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Claude Le Manchec Mircéa Eliade, le chamanisme et la littérature In: Revue de l'histoire des religions, tome 208 n°1, 1991. pp. 27-48. Résumé Dans la seconde édition de son essai sur le chamanisme, M. Eliade ajoute un épilogue où il évoque la filiation entre les créations verbales des chamans et le langage poétique. Le dialogue ainsi escompté entre l'histoire des religions et la littérature moderne repose sur l'idée de la perpétuation de la transe chamanique dans la création littéraire : en préparant sa transe, le chaman parlerait un « langage secret », véritable parangon du langage poétique. Mais Eliade ne peut apporter la preuve du rôle eminent joué par ce langage secret qui n'est qu'un épiphénomène de la créativité vocale et verbale des chamans. Celle-ci contribue avec la danse et la musique à faire de la séance chamanique un spectacle total auquel participe l'assistance. Abstract Eliade, shamanism and literature In the second edition of his essay on shamanism, Mircea Eliade added an epilogue where he touched on the relationship between the verbal creation of the shaman and poetic language. The anticipated dialogue between the history of religion and modern literature is based on the idea of the perpetuation of the shamanic transe in literary creation in preparing his transe, the shaman speaks in a « secret language », a real model for poetic language. Eliade was unable however to find proof of the eminent role played by this secret language which is merely an epiphenomen of the vocal and verbal creativity of the shaman. This creativity with dancing and music contribute towards making the shamanic seance into a total performance in which the audience participates. Citer ce document / Cite this document : Le Manchec Claude. Mircéa Eliade, le chamanisme et la littérature. In: Revue de l'histoire des religions, tome 208 n°1, 1991. pp. 27-48. doi : 10.3406/rhr.1991.1683 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhr_0035-1423_1991_num_208_1_1683

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Claude Le Manchec

Mircéa Eliade, le chamanisme et la littératureIn: Revue de l'histoire des religions, tome 208 n°1, 1991. pp. 27-48.

RésuméDans la seconde édition de son essai sur le chamanisme, M. Eliade ajoute un épilogue où il évoque la filiation entre les créationsverbales des chamans et le langage poétique. Le dialogue ainsi escompté entre l'histoire des religions et la littérature modernerepose sur l'idée de la perpétuation de la transe chamanique dans la création littéraire : en préparant sa transe, le chamanparlerait un « langage secret », véritable parangon du langage poétique. Mais Eliade ne peut apporter la preuve du rôle eminentjoué par ce langage secret qui n'est qu'un épiphénomène de la créativité vocale et verbale des chamans. Celle-ci contribue avecla danse et la musique à faire de la séance chamanique un spectacle total auquel participe l'assistance.

AbstractEliade, shamanism and literature

In the second edition of his essay on shamanism, Mircea Eliade added an epilogue where he touched on the relationshipbetween the verbal creation of the shaman and poetic language. The anticipated dialogue between the history of religion andmodern literature is based on the idea of the perpetuation of the shamanic transe in literary creation in preparing his transe, theshaman speaks in a « secret language », a real model for poetic language. Eliade was unable however to find proof of theeminent role played by this secret language which is merely an epiphenomen of the vocal and verbal creativity of the shaman.This creativity with dancing and music contribute towards making the shamanic seance into a total performance in which theaudience participates.

Citer ce document / Cite this document :

Le Manchec Claude. Mircéa Eliade, le chamanisme et la littérature. In: Revue de l'histoire des religions, tome 208 n°1, 1991. pp.27-48.

doi : 10.3406/rhr.1991.1683

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhr_0035-1423_1991_num_208_1_1683

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CLAUDE LE MANCHEC

MIRCE A ELIADE, LE CHAMANISME

ET LA LITTÉRATURE

Dans la seconde édition : de son essaie sur le chamanisme, M: Eliade ajoute1 un épilogueioù il 'évoque la filiation entre les créations verbales des chamans et le langage poétique; Le dialogue ainsi escompté entre V histoire des- religions et: laj littérature • moderne repose sur l'idée de la perpétuation de la transe chama- nique - dans >■ la : création • littéraire : en préparant '- sa transe, le - chamant parlerait un, « langage secret », véritable parangon du з langage apoétique: . Mais ; Eliade ne peut apporter la preuve du rôle eminent 'joué par ce langage secret qui n'est qu'un épiphé- nomène de la créativité . vocale et verbale des chamans;. Celle-ci ■-. contribue avec la danse et la musique à faire de la séance chama- nique un spectacle total auquel participe l'assistance..

Eliade, shamanism and literature

In the second \ edition . of i his ■ essay ; on < shamanism, Mircea Eliade added an : epilogue where he touched on the ■ relationship : between the verbal creation of the shaman and poetic language. The : anticipated dialogue* between; the history- of religion and modern literature is based ; on <. the idea с of the ; perpetuation of the shamanic transe in •: literary creation : in preparing? his transe, the shaman speaks in a « secret language », a real model for poetic . language. - Eliade . was > unable ' however to find i proof of the eminent role played by this secret language which. is merely an epiphenomen of the vocal and verbal creativity of the shaman. This creativity with dancing anď> music contribute towards making the shamanic seance into a total performance, in which the audience participates. Revue de V Histoire des Religions, r.cviii-1/1991, p. 27 à 48 ■

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La . récente réimpression; de l'essai 5 de Mircea ; Eliade, Le chamanisme' et les techniques - archaïques > de> l'extase (Paris, Payot, 1988),. a- satisfait tous ceux qui, . malgré l'oubli ; ош notre civilisation industrielle les a reléguées, n'ont pas renoncé* à l'étude des croyances religieuses des peuples sans écriture. Publié pour la première fois en •■ 1951; Le ctiamanisme a apporté sur. ces croyances des révélations ; comparables à. celles de Lav pensée chinoise (Paris, Albin Michel, 1934) de Marcel' Granet sur les idées religieuses delà Chine ancienne. . Il a été considéré à juste titre comme une contribution irremplaçable à la; connaissance des traditions spirituelles non occidentales. Son . succès a été à la : mesure des efforts déployés par * Eliade pour le mener à terme (selon l'auteur. lui-même, la préparation, eť las rédaction 1 de l'essai í ont duré au <■ total » onze ■■ ans) et la ? place considérable qu'il lui accorde dans ses mémoires montre assez: l'importance que; cet ouvrage revêtait à ses yeux1. Depuis ses cours et ses conférences jusqu'à . ses mémoires laissés inachevés en passant par son journal intime, Eliade a poli et défendu son essai avec ferveur et ténacité2; L'historien des religions- tirait pour une large » part son* autorité de- ce livre auquel' les -plus éminents- spécialistes du chamanisme ont apporté -leur, caution3 et qui a <. contribué avec le Traité d'Histoire des Religions .(Paris, Payot, 1949)à> lui ouvrir la voie de* lav prestigieuse Université* de Chicago et sa- chaire d'histoire des religions.

Peu : de temps avant son installation définitive aux Etats-

1. Ct. Fragments ďun Journal, I (1945-1969), trad, franc, de L. Badesco, Paris, Gallimard, 1973, p. 105, et Les moissons du solstice. Mémoire II (1947- 1960), trad, franc, de A. Paruit, Paris, Gallimard, 1988, p., 103-105, 131-132, 141-146, 273-274.

2. Cf. Fragments ďun Journal, I, op. cit., p. 105, 107," 197-199. 3. Dans ses mémoires, Eliade évoque les avis favorables qu'il reçut sur son .

travail de la part de R. Pettazzoni et E. de Martino, cf.* Les moissons du solstice, op. cit., p. 142-143.

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M ircea* Eliade- 29

Unis,. Eliade semblait cependant émettre1 des- doutes suivie succès de som essai; Malgré l'accueil -très- favorable que 'les spécialistes ■ ont réservé au Chamanisme; il désigne brusquement dans son í journal les ■ poètes et les artistes comme ■ les principaux dédicataires de l'ouvrage: : « J'aimerais bien;. écrit-il^ que ce livre (...) fût lu par, les poètes, les dramaturges; les critiques littéraires, les peintres. Qui sait s'ils ne tireraient pas -mieux profit de cette lecture que les orientalistes et les historiens des religions ?...,»4 Le choix. très médité des termes de l'énumération>prouve, si nécessaire,. que ce vœu n'est pas une boutade. Ce n'est pas non plus une remarque isolée comme le confirme un autre -extrait du ï journal dans lequel Eliade reprend- et complète son? idée : « 1Г se- pourrait, que1 mes recherches soient considérées un » jour comme une tentative de retrouver les sources oubliées de l'inspiration littéraire. »5 L'essai \ sur le chamanisme semble - être pour Eliade le point de départ d'une réévaluation- de son 'œuvre scientifique qui; si. elle n'est que discrètement annoncée dans le 'journal,, est délibérément et clairement indiquée 'dans la» seconde édition; de l'essai sous Ла forme d'un épilogue aussi- bref .'que décisif6." Insatisfait de ses premières conclusions publiées dans l'édition de 1951, Eliade augmente eneffet l'essai d'un texte qui; treize ans après, en ■ change sensiblement la - portée. Après • y avoir rappelé • le ■ rôle social et religieux !. du ' chaman dans les sociétés primitives- — le chaman; défend la vie;. la santé, la fécondité, le monde de la « lumière » contre la mort, les maladies, la stérilité, la malchance et le monde des « ténèbres » — , c'est-à-dire soni rôle essentiel ■■ dans « la défense de - l'intégrité psychique- de la ; communauté » (Le; chamanisme; p. 395), l'historien examine l'apport culturel du chamanisme en signalant, d'une part les origines chamaniques de la. littérature

4. Fragments ďun Journal, II, op. cit., p. 105 et p. 352.' 5. Ibid. 6/ En 1959; alors qu'il vient de s'installer aux Etats-Unis, Eliade prépare,

la traduction en anglais en même temps que la réédition revue et augmentée de • l'ouvrage. Considéré par l'historien comme l'édition définitive, celui-ci paraît simultanément à Londres et à New York en 1964.

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épique - orale ч et, . d'autre ' part; la - perpétuation » de - lai transe chamanique dans la création littéraire moderne.

Certes • Eliade avance : ici : prudemment'. : « C'est, écrit-il; grâce ■ à sa capacité de voyager dans les mondes surnaturels et de ' voir : les ■ êtres surhumains (dieux," démons, esprits ■ des morts, etc.) que le chaman.a , pu (c* est nous qui soulignons ) contribuer- d'une manière décisive- à> lai connaissance* de la- mort. Il est probable qu'un grand nombre de traits de la "géographie funéraire", de même qu'un certain nombre de thèmes de la -mythologie de;la- mort, sont^le résultat des expériences extatiques deschamans » (...). «? West légalement probable que l'euphorie - préextatique a e constitué • une des sources • du > lyrisme universel » (ibid:, p. 396). Plus loin; Eliade se dépêche de conclure, . alléguant les limites de son1, ouvrage, non: sans formuler imexiremisi cet autre j vœu : «> Queb beau ?. livre on- pourrait, écrire- sur. les "sources" extatiques des la poésie épique et du lyrisme, sur, la; préhistoire du i spectacle dramatique: et, en» général; . sur les mondes fabuleux découverts, . explorés et décrits par les anciens chamans... » (ibid., p. 397).

Mais sont-ce seulement les « limites » de l'ouvrage qui sont en cause ? L'idée "de réaliser ce « beau» livre » n'a-- peut-être jamais quitté Eliade mais ilm'y serait; parvenu que de façon з fragmentaire,-, tout am long de son; œuvre scientifique. Ainsi1 s'expliqueraient les • propos tenus dans le journal l où il donne - pour sens à ses recherches la mise au jour des « sources oubliées de l'inspiration; littéraire ». .

Quelle est donc la nature exacte du livre qui nous intéresse ici ?: Si * l'on : en - croit son épilogue, une simple ■ contribution1 à l'étude des origines de la littérature, mais; si l'on suit le journal intime ;d'Eliade,\ beaucoup* plus que* celai: Le chamanisme et' les i techniques ■• archaïques i de • l'extase jetterait les fondements d'une nouvelle critique littéraire et artistique. Les précautions oratoires dont s'entoure l'auteur et la5 relative confidentialité des propos du journal: n'atténuent en rien la surprise que ces analyses ;■ provoquent : en raison s d'abord" des faits envisagés dans l'essai*:. le chamanisme,. à Ла '.fois « magie, mystique et

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Mircea t Eliade ■ 3 1 *

religion » (Le chamanisme;.]). 15), est un domaine dont l'étude- est restée jusqu'alors circonscrite aux seules sciences humaines ; en raisoni ensuite du " dialogue escompté entre -l'essai"; et les poètes, . les • artistes qui ens deviennent, nous l'avons dit; .les principaux dédicataires. Mais- ce qui- surprend" davantage,, c'est qu'Eliade ait voulu inscrire son vœu dans le corps même de l'ouvrage puisque .* l'épilogue n'est pas daté. Il i en < modifie tardivement la destination1 comme s'il voulait: em corriger l'insuffisance. Insuffisance liée-aux premières' conclusions de son. enquête et surtout.: à; l'influence- que celle-ci pourrait exercer7. L'épilogue trahit son inquiétude de voir la •. carrière- de l'essai : se ■ limiter : au seul* domaine de la science. . Pour; qui a lu Le chamanisme dans sa première édition, nul- doute que et; texte tardif .paraîtra déconcertant.

Les préoccupations littéraires d'Eliade tranchent radicalement avec l'enquête scientifique quis les précède. Dans ce mystique - qu'est le ■ chaman,- il invite désormais ; à •= voir, une préfiguration du poète moderne. Certes, il use avec habileté du? conditionnel mais certains de ses émules pourront, en suivant la: voie ainsi tracée, franchir Ле pas sans encourir de reproches8.'

Les- ambitions d'Eliade concernant, l'essai : peuvent, être encore déduites d'un; article, Les mythes du monde moderne, qu'il écrit et publie dans la NRF en 1953,. à la demande de Jean t Paulhan. Les analyses tardives de l'épilogue y j sont

7. On trouve dans les Mémoires d'Eliade cette note qui récapitule ses griefs à l'égard de la lre édition du Chamanisme.:.* La correction des épreuves, la; mise au point de l'Index et la rédaction des Conclusions me prirent deux semaines. Ce fut alors seulement que je pus mesurer entièrement 'les mérites i et les insuffisances de ce livre. J'étais mécontent surtout : des Conclusions,' trop succinctes, rédigées trop vite, sous la pression de l'imprimeur » (Les moissons ■ da solstice, op. cit., p. 155).

8. Ces précautions pourraient aussi avoir pour origine les réserves exprimées par G. Payot, l'éditeurd'Eliade, à l'égard de son. œuvre littéraire ; cf: Les^ moissons du solstice, op. cit., p. 148. Cf. en particulier l'article de J. Biès, Chamanisme et littérature, dans Cahier de V H erne, Mircea Eliade, rééd. Le Livre de poche, 1990, p. 249-300. L'auteur se propose de déchiffrer des œuvres littéraires occidentales à la lumière du « processus chamanique » mis en évidence par Eliade : initiation, obtention des pouvoirs, inspiration poétique. C'est à propos: de la poésie surréaliste de R. Daumal que J. Biès parle de « résurgence chamanique ». Sur l'analyse par. Eliade de la poésie surréaliste, cf. Mythes, rêves et mystères, Paris, Gallimard, 1957; rééd. Folio Essais, 1989, p. 35.

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annoncées : «'Toute poésie,, affirme-t-il; est un « effort' pour recréer le langage, eni d'autres- termes фоиг- abolir Ле langage courant; de 'tous les jours, et inventer un* nouveau* langage, personnel et privé; en dernière instance- secret... Voilà' qui rappelle étrangement le ■ comportement: du " "primitif" et de l'homme: des - sociétés traditionnelles. »9 Ce sont, mot pour mot, . les termes de l'épilogue et l'essentiel de som argumentation • (Le chamanisme,, \>: 397).

Cet article permet' de mieux saisir, les motifs qui poussent Eliade à formuler; un tel vœupour son essai : Le chamanisme doit être compris comme le premier jalon d'un rapprochement entre - l'histoire des ■ religions i et la « littérature • moderne ; son auteur: pourra être - regardé : comme * l'instigateur d'une véritable critique initiatique, « origine d'un complet renouvellement; à la fois dans le sens d'un' élargissement des horizons intellectuels et de leur * approfondissement »10.*. Mieux encore; l'œuvre entière de l'historien devra jouer un rôle de ' premier- plan dans la régénération1 de l'art en général: « Si'l'art — et en premier lieu l'art littéraire; la poésie, le roman — connaît une nouvelle Renaissance denos jours, elle sera suscitée parla* redécouverte de la fonction des; mythes,- des symboles religieux et des comportements archaïques » (Fragments d'un? Journal, II; p.. 352).

Il est étrange cependant qu'en préparant la seconde édition- de son, essai; Eliade ne voie pas la fragilité des liens qui? unissent l'épilogue. et le reste de l'ouvrage, qu'il ne voie pas, par conséquent, les risques que court,' à peine née; cette « critique -initiatique » dont il est l'instigateur.. En. effet,, les analyses qui y sont développées ne suffiront pas à . l'asseoir solidement. Les émules d'Eliade auront beaufaire, Le chamanisme ne leur fournira au mieux que quelques analogies entre les pratiques chamaniques et la création ; littéraire moderne , mais ni ? méthodes ni t arguments valables. Pour qu'il en •• soit

9." Les mythes du monde moderne, dans Mythes, rêves el mystères, op. cil:, p. 36. 10. J. Biès, Chamanisme et littérature, dans. Cahier de VHerne, Mircea:

Eliade, op. cit., p. 267.'.

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autrement, pour que l'essai joue pleinement le rôle que l'historien lui a tardivement assigné, la méthode utilisée et la nature même de l'ouvrage, nous allons essayer de le montrer, devaient être modifiées, et ses conclusions ultimes auraient été bouleversées. L'influence exercée par Le chamanisme dans les milieux littéraires est de ce fait restée limitée en Europe et le vœu d'Eliade n'y a été que faiblement exaucé. (Vest seulement aux Etats-Unis qu'il a eu la satisfaction de voir l'essai inspirer sur le tard écrivains ot artistes11.

Lorsqu'il relate dans son journal et ses mémoires la genèse de son ouvrage, Eliade dévoile l'origine exclusivement livresque de ses informations sur le chamanisme (Les moissons du solstice, p. 131 et 150). Le travail qui précède la rédaction est de nature compilatoire. Eliade n'étant pas ethnologue, les analyses auxquelles seront soumises les informations recueillies ne procèdent pas de ses propres enquêtes sur hi terrain. Le chamanisme ne peut s'appuyer sur aucun contact direct avec les cultures chamaniques, à l'inverse par exemple de son premier livre, Yoga, essai sur les origines de la mystique indienne (Paris, Paul Geuthner, 1936), qui se fonde sur l'expérience d'un séjour de trois années en Inde. Pour mener à bien son projet — réaliser la première étude embrassant tous les chamanismes — il est dans l'obligation de puiser dans ce qu'il nomme dès la première page de l'essai Г « énorme bibliographie chamanique ». Au sein de cette masse de textes, il opère d'emblée un distinguo lourd de conséquences entre, d'une part, la « littérature ethnographique purement descriptive » et, d'autre part, les « travaux d'ethnologie historique » [Le chamanisme, p. 10). C'est à ces travaux, au vu des « grands services » qu'ils ont déjà rendus dans la connaissance du chamanisme, qu'il entend exclusivement s'attacher et ce sont

11. Sur ce point, cf. l'article de M. Borie, De l'herméneutique à la régénération par le théâtre, dans Cahier de ГНегпе, Mircea Eliade, op. cit., p. 117-133. L'auteur analyse la convergence de l'œuvre d'Eliade et des créations théâtrales de J. Beck et du Living Theatre.

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leurs résultats, complétés par. ceux de la psychologie et de lai sociologie;, que ■ l'histoire des religions : a, selon ? lui,- pour r mission d'intégrer et d'interpréter. Cette sélection dans les sources se justifie encore, toujours selon Eliade, par Ла volonté de ne' pas étouffer l'essai sous une documentation pléthorique qui lasserait le lecteur. . L'intention- est louable,, mais- elle ne l'empêchera pourtant pas, , en préparant la seconde édition :. du С humanisme, de grossir les notes en bas de pages au point que celles-ci rivalisent parfois avec le texte lui-même (p.. 128, 266, 292; 336). Mais l'essentiel ici est cette exclusion préalable delà « littérature - ethnographique > ». On en . trouvera confirmation; tout' au long de l'essai où, pour chaque aire géographique étudiée, Eliade se réfère exclusivement aux synthèses effectuées sur les différents t chamanismes. Un -- chapitre est plus particulièrement révélateur des sources utilisées dans l'essai; celui consacré aux chamanismes nord- et sud-américains (p. 232-267).

Conformément à Г Avant-Propos, l'historien -n'utilise que les travaux d'ethnologie historique : W. Thalbitzer, Л: S wanton; M.' E. Opler, W. Z. Park, J.\de Angulo sont parmi» ses principaux ; informateurs suri le chamanisme nord-américain;; A. Métraux est sa presque unique référence pour l'aire sud1 américaine12.* Tous ont réalisé les premières études complètes sur les chamanismes. Dans sa seconde édition, l'essai s'enrichira des derniers travaux accomplis dans : ce domaine. Les renvois bibliographiques se multiplient mais Eliade ne modifie nullement ses premières analyses; La- nature- des- sources utilisées ne change donc pas entre la première 'et la seconde

12. W. Thalbitzer, The Heathen , Priests ; of East Groenland;, dans ъ The ? Ammassalik •■ Eskimo : Contributions to the • Ethnology of the • East • Groenland ' Natives, l, Copenhague, 1914; J. Swanton, Shamans and Priests, dans Handbook of American Indians North > of Mexico, , II, . Washington, , 1907,' , 1910 ; M. E. Opler, The Creative Role of Shamanism in Mescalero Apache Mythology, dans Journal of American Folklore, vol. 59, 1946 ; W. Z. Park, Shamanism in Western North i America, dans American < Anthropologist,, vol. 36, 1934 ; J. de Angulo, La psychologie religieuse des Achumawi, dans Anthropos, 23, 1928 ; A. Métraux, Religions et magies indiennes d'Amérique du Sud, Paris, Gallimard, 1967. Ce livre posthume reprend tous les articles consacrés par Métraux au chamanisme et cités par Eliade.

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edition de l'essai. La « littérature ethnographique » demeure exclue de ses lectures. L'historien des religions reste préoccupé d'intégrer les résultats de l'ethnologie historique ; l'histoire des religions, telle qu'elle a été définie dans l'Avant- Propos, est toujours apparemment à l'ordre du jour ; surtout, l'orientation de l'essai ne varie pas.

Entérinée dans la seconde édition de l'ouvrage, l'exclusion de la littérature ethnographique consacrée aux chamanisines nord- et sud-américains laisse pourtant perplexe le lecteur qui a pris connaissance de son épilogue : en ne reconsidérant pas ses sources pour l'étude de cette aire géographique, Eliade se prive de la possibilité d'atténuer l'improbabilité de ses ultimes conclusions. Le chamanisme nord-américain est en effet à l'origine d'une littérature aussi abondante que variée. E. Zolla en a établi l'ancienneté et l'originalité : des premiers récits romancés de voyageurs et de missionnaires aux plus récentes autobiographies indigènes, la création littéraire aux Etats-Unis a souvent puisé dans les croyances chamaniques13.

Bien avant que J. Beck et son Living Theatre s'inspirent des expériences extatiques du chaman et du yogin, le chamanisme a iniluencé directement une multitude d'œuvres poétiques et romanesques14. Eliade ne peut l'ignorer. Vivant aux Etats-Unis, préparant la seconde édition de son essai pour le public anglo-saxon, son silence sur ces œuvres apparaît d'autant plus étrange. Le dialogue qu'il escompte entre la littérature occidentale et les cultures chamaniques a été dans ce pays engagé de longue date mais, il est vrai, sur d'autres bases que celles qu'il propose.

L'ouvrage de l'ethnologue M. Austin, The American Rhylhm (Boston, 1923), constitue à ce sujet la première tentative réussie de rapprochement entre la création litté-

13. Le chamanisme indien dans la lillérature américaine, trad, franc, de V. Pâques, Paris, Gallimard, 1974.

14. Citons en particulier : A. F. Bandelier, The Delight Makers, New York, 1890 ; G. B. Grinnell, Pavanée, Blackfool and Cheyenne, New York, 1961. E. Zolla publie de larges extraits de ces œuvres dans Le chamanisme indien..., op. cit., p. 197-231.

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raire et le chamanisme15. De ses. patientes observations- des cérémonies magiques des Indiens Paiute et Shoshone, M. Austin tire l'idée d'un parallèle possible entre, d'une part, les danses, les mélodies et les hymnes des chamans et, d'autre part, des œuvres poétiques présentant des qualités rythmiques et un fond mystique semblables bas г ceux des chants indiens (i6id.,.p. 230). Elle fonde ses analyses non, comme Eliade, sur les seules créations verbales, des chamans, . mais,, plus généralement, sur l'aptitude de l'Indien -à puiser dans, «un réservoir élargi d'impressions sensorielles d'où, il tire ses poétiques drames dansés • (...) » [ibid.', . p.\ 227). .

Les travaux de •■ M. , Austin •■ inaugurent une nouvelle ère dans les rapports entre création^ littéraire etr chamanisme qu'E^ Zolla:nomme « la littérature du respect » (ibid., p; 205).. Sous l'impulsion1 de l'ethnologue,, des œuvres vont naître qui se placent sous le signe d'une écoute attentive et complice de la vie spirituelle indienne. Elle favorisera d'abord la collecte et la traduction d'hymnes chamaniques, puis dès les années 1930; la г publication, des- premières biographies ou autobiographies de chamans16.. Elle informera enfin et surtout les œuvres d'écrivains-ethnologues dont les récits, à travers le personnage de chamans,. tenteront de donner une image vivante des croyances religieuses indiennes.

L' « ethnographie poétique • » (Zolla) américaine,- écartée de l'essai d'Eliade, a fait finalement beaucoup mieux que de dégager de simples analogies entre les pratiques chamaniques et la i création» littéraire. Elle constitue la première tentative dans la littérature occidentale pour remonter' aux sources de l'inspiration1 poétique indienne. Les œuvres pionnières de

15. Notre analyse s'appuie sur les extraits cités par E. Zolla, Le chamanisme indien, op. cit., p.. 221-233/

16. Cf. par exemple E. L. Walton, Dawn Boy, New York, 1926. Cf. en particulier P. Radin, Thundercloud, a Winnebago : Shaman •■ Relates and Prays et : Crashing Thunder, the Autobiography of an American Indian, New York, 1926 ; W. Dyk, .Son of Old Man Hat, New York, 1938 ; С S. Ford, Smoke from their - Fires, Yale University, Press, 194K Pour une synthèse sur cette forme de littérature ethnologique, . cf. C.. Kluckhohn, The Use of «Personal Documents, in History, . Anthropology and. Sociology (Social Science Research Council,". Bulletin, 53, New York, 1945).

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M* Austin; P.\ Radin ou J. de Angulo devancent de plusieurs: années les analyses de l'historien et, surtout, contribuent, à ■- tisser des liens solides et durables entre chamanisme et littérature. Pour mener1 à- bien leurs œuvres, ces auteurs disposaient de r par leur ' séjour prolongé ■■ dans les - tribus < indiennes d'une connaissance élargie des pratiques et croyances chama- niques. Leur immersion » dans ces sociétés > traditionnelles les a conduits progressivement de l'étude. des idées religieuses à la création^ de fictions inspirées des expériences poétiques et mystiques des chamans. La voie ainsi suivie s'est avérée autrement plus féconde que celle indiquée par Eliade.

Le choix effectué parmi ; les sources d'information sur; le chamanisme est en. définitive indissociable de la méthode utilisée tout , au long de l'essai. - Le travail ; de l'historien des religions n'est pas tenu, . écrit Eliade :■ dans l 'Avant-Propos (p. 12-15), « de se dérouler dans la perspective chronologique de l'historiographie ». Il doit se garder.de se laisser « suggestionner par. certains résultats de l'ethnologie historico- culturelle ». S'il utilise les manifestations historiques d'un г phénomène religieux, sa mission essentielle est de « découvrir ce que ' 'veut dire" un tel phénomène ». En d'autres termes, l'historien des religions attachera plus de prixt à « la présentation du phénomène chamanique, à l'analyse de son idéologie, à la discussion de ses techniques, de son, symbolisme, de ses mythologies - » qu'à • l'histoire du * chamanisme elle-même. , II i doit finalement conclure à Г « anhistoricité » de la vie religieuse, car « toute histoire est en quelque sorte une chute du sacré ;. une limitation- et une diminution* ». C'est pourquoi , Eliade travaillera en comparatiste ; il confrontera -les divers chama- nismes afin- d'en- dégager: les motifs récurrents. .

Pour évaluer les conséquences de - cette méthode sur. la « lecture » éliadienne du. chamanisme,, un détour par l'œuvre d'A. Métraux, qui est par ailleurs,, nous l'avons dit; un des principaux informateurs de l'historien; nous a paru s'imposer. Tous les essais consacrés par Métraux au chamanisme ■ sem-

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blent , répondre à v l'angoisse que suscite chez : l'ethnologue l'agonie: des cultures chamaniques.". Leur rapide décadence explique 'l'urgence1 de-la^ tâche -qu'il i se donne, à savoir le rétablissement de la ï vérité c sur. les • pratiques chamaniques pour lesquelles « les auteurs anciens (missionnaires et voyageurs) n'ont généralement pas vu les croyances ou les mythes qubles expliquaient .»• (Religions: el magies indiennes d'Amérique du Sud; op:cit;, p. 180). En confrontant ses propres observations à; celles faites ; autrefois > par ces auteurs, , il espère donner une image * plus juste des chamanismes. Faute* de- pouvoir empêcher: la disparition- physique^ de ces- cultures, tout doit être fait pour en « conserver le souvenir, pour l'avenir » : « La rapidité avec laquelle l'homme- dit' primitif assimile certains aspects de notre civilisationnous crée un devoir impérieux et urgent : celui- de recueillir,, lorsqu'il еш est encore temps, le plus d'informations possible sur les croyances, les mœurs et les sentiments de ces témoins des âges révolus (...). L'ethnographe est appelé'à<partagerla*vie des chasseurs de l'Amazonie s'il - espère comprendre* leur,- civilisation- et err conserver* le souvenir pour l'avenir » (Les ■ Peaux-Rouges * de l'Amérique du; Sud; Paris,. Bourrelier, 1950, p. 4). Ainsi les mythes, des Indiens Toba, publiés ? dans un1 article remarquable, Entretiens avec • Kedoc ■ et Pedro ' (Religions et magies indiennes i d 'Amérique * du Sud; op. cit:, p. 1 17-159), ne présentent : pas, aux yeux de • Métraux, qu'une valeur documentaire. Les analyses qui' précèdent leur traduction réaffirment ce souci constant dans son œuvre de corriger l'image donnée de la pensée indigène. Si les pratiques chamaniques ne sont rien sans les croyances et les mythes des Indiens, comme • le pense Métraux, c'est à l'ethnologue, avec les moyens dont il dispose, de veiller à- ce que ces pratiques et ces mythes soient exposés ensemble et1 s'éclairent mutuellement.

L'ethnologue doit se montrer sensible aux créations artistiques des peuples : archaïques : « Ces mythes, écrit-il,"

sont destinés : à ; faire connaître ' les idées poétiques, fabuleuses ou * scientifiques que ces Indiens se font de la nature » * (ibid;,

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Mircea Eliader 39

p. - 122). C'est pourquoi; dans cet article, . l'enquête ethnographique* et les préoccupations littéraires1 et artistiques se confondent sans cesse. De Kedoc, un de * ses informateurs Toba; Métraux évalue la force créatrice qui nourrit ses récits,, mythes ou contes : « Kedoc, le Toba,* savait étoffer le thème le plus maigre. Il avait du dialogue un sens très vif. Tous les protagonistes de ses ; contes se saluent, se parlent et pensent comme -les Indiens. Ces dialogues improvisés -permettaient à, mon informateur d'esquisser les caractères et de glisser dans son récit des nuances humoristiques non dénuées de finesse »• (ibid., p. 121). Cette force créatrice, l'ethnologue cherche par l'écriture à l'amplifier. Entre l'Indien et l'Occidental, récriture n'est pas un sujet de division; La littérature ethnographique se tient au plus près de la parole indienne : « Autant que je l'ai4 pu, précise Métraux, je: me suis effacé derrière1 les informateurs, respectant leurs phrases et l'ordre de leur discours » [ibid}, , p. 122). Mais Iavaleur des mythes que l'ethnologue se donne pour tâche de faire connaître ne rend que plus pathétique la décadence des cultures dont ils sont les plus belles réalisations. .

Tout autre est, chez:EHade, l'analyse de cette décadence. . Dans le cadre fixé - dès Г Avant-Propos de l'essai; l'historien *■ a pour mission ; de dégager ; Г « idéologie sous-jacente* » aux diverses pratiques et croyances chamaniques. Tout addition ou í développement tardif dans ces pratiques et croyances est analysé en ; termes d'influence - ou - de • décadence par rapport à cette idéologie originaire qui sous- tendrait tous lés chama- nismes : et dont il résume ainsi la teneur : : « • L'ascension au ciel,- la descente aux enfers afin de ramener l'âme du malade ou* conduire ̂ les trépassés, l'évocation et l'incorporation' des "esprits" pour pouvoir entreprendre le voyage extatique;.. » (Le chamanisme, p. 296). Il parvient ainsi,, au; terme de l'enquête, à unifier toutes ces croyances sur le thème du chaman- psychopompn qui, selon le scénario initiatique bien : connu, meurt et ressuscite durant, la cure : «La -phénoménologie de la transe (...) a >- subi •■ mainte altération i.et dégradation (...).. Néanmoins, toutes ces innovations et toutes ces dégradations

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n'ont pas réussi à > abolir la possibilité delà, véritable extase chamanique (i.e. " : l'expérience de la mort et de la résurrection mystiques) » (ibid.:, p. 394)..

C'est sur ce point que les positions d'Eliade et de.Métraux. apparaissent résolument irréconciliables : à la mort symbolique du i chamaní dont, l'historien fait l'argument central de sa « critique initiatique », . l'ethnologue, oppose- la mort: réelle, la mise; à mort des pratiques chamaniques par: la civilisation occidentale,- et voue son < œuvre au combat contre l'oubli qui les menace. Métraux sera suivi ■ dans cette voie par, peu » ou \ prou, toute l'ethnographie contemporaine. La mort inéluctable des cultures chamaniques est, à l'évidence, au1 cœur de la , majorité des grandes enquêtes ethnologiques de l'après- guerre. Nul peut-être mieux que l'ethnologue J. Malaurie n'a exprimé dans son récit, Les ; derniers ; rois ■-. de : Thulé (Paris, Pion, , 1976), la disparition- pathétique des croyances ; chamaniques, incarnée ici, par l'Esquimaude Saoûningouak dont la mort lui inspire ces superbes phrases- : « Eniacquérant des formes de civilisations parfaitement' étrangères, l'Esquimau-? s'est progressivement interdit , de r comprendre et de lire * son > propre • abécédaire.. Toutefois, même s'il i n'a . plus ■ de chaman, .. l'Esquimau est encore trop et» qu'il. est pour avoir oublié la foi iet les tremblements de ses pères. Dans son? tréfonds, ill. croit toujours à sa tradition; même s'il n!y recourt. qu'aux moments ultimes.. Saoûningouak, la? belle amante de- Néqrî, vue en 1951 à.Nouanatarssouak, chantera en 1971, lors de son. agonie ai l'hôpital de Thulé,. les vieux ayayak, appelant désespérément' à son aide les chers esprits familiers » (p. 390).

On trouvera encore l'écho de cette disparition du chama- nisme, mais sur un mode moins dramatique, dans les enquêtes menées par, F... Huxley,. M.\ Benzi,. G. Condominas ou: P. Clastres17.. La mort des chamans, l'agonie des^ cultures

17." F. Huxley, A imables sauvages, trad, franc, de M. Lévi-Strauss, Paris, Pion, 1960 (v. en particulier p. 224-237) ; M.' Benzi; Les derniers adorateurs du Peyotl, Paris, Gallimard, 1972 (v. p. 429-430) ; G. Condominas, L'exotique est:, quotidien, Paris, Pion, 1965 (v. p. 392-412) ; P: Clastres, Chroniques des Indiens s Guayaki, Paris,. Pion, .1972 (v. p. 229-256)..

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Mircea Eliade- 4Г

chamaniques ne sont pas non plus ici des métaphores. Chacun de -ces récits décrit les formes empruntées par celles-ci : succession impossible ou problématique aux fonctions de chaman, travestissements ou dissimulation des croyances chamaniques. L'extinction inéluctable du chamanisme se reflète dans le destin d'hommes aux abois, suspectés de sorcellerie ou ; marginalisés.

C'est parce que ■ les chamans ■> ne * peuvent . plus jouer." leur rôle dans la: société -dont- ils sont issus qu'ils deviennent dans ces récits des personnages centraux- et pathétiques, et c'est parce- que --ces- récits sont', nés de la- confrontation^ avec des cultures en déliquescence qu'ils rivalisent parfois avec la plus f haute littérature comme- en1 témoigne cette- belle ■ page de

F. Huxley consacrée* à l'unique séance de chamanisme; à -,. laquelle il' a pu . assister pendant son '■ séjour chez - les Indiens Urubu * : « Presque après chaque- couplet, Chico^ soupirait,, épuisé :. "ehh ! ohh !" et remplissait: encore une- vingtaine de fois ses poumons de fumée de tabac. Ensuite — quand il n'était pas pris d'unequinte dé toux,. comme cela devait lui arriver plus tard* — il passait- au; couplet' suivant.. "Ehh ! ohh

!"" soupiraient les autres hommes autour de lui, simple

ment pour être dans le coup ; ils emplissaient leurs poumons de fumée, vociféraient la mélodie, et envoyaient , des étincelles dans l'air.1 C'était vraiment un beau spectacle. Ma lampe à pétrole était éteinte, il faisait noir ; on apercevait seulement les extrémités allumées des cigares, dont la lueur s'intensifiait ou faiblissait, et d'où» jaillissaient des gerbes d'étincelles illuminant parfois un visage sombre et hâlé - tout occupé à : respirer. La fumée envahissait la- hutte, . fusait au travers des parois, d'où ■ elle s'élevait en de • lentes spirales. Le tumulte était vraiment magnifique » (Aimables sauvages, trad, franc, de M: Lévi-Strauss, Paris; Pion; 1960, p; 230-231; Chico est un aspirant chaman). .

Envers cette agonie, Mircea Eliade n'a montré qu'indifférence. Contrairement . à , tous les travaux sur le ■ chamanisme, son essai ne cherche nullement à mettre en valeur.les créations

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artistiques des communautés primitives.. Dans le chapitre consacré au. chamanisme d'Asie centrale- et septentrionale (Le chamanisme, p. 154-210) par, exemple, la -présentation et l'analyse d'hymnes chamaniques sont englobées dans l'étude générale des séances de guérison ou l'historien' tente de mettre au jour les fondements mythiques et théologaux du « voyage extatique:» que le chaman mime et récite pendant. toute la durée de la cure. -Celle-ci est un tout et les hymnes ne sont que l'accompagnement verbal . des différents rites accomplis. C'est dans* les expériences extatiques dm chaman (descente aux» enfers, conversation? avec les esprits : tutélaires, combat avec les démons, ascension au ■ ciel) et > non dans les hymnes eux-mêmes qu'Eliade discerne l'origine de la littérature épique ■ des peuples de; ces régions * d'Asie. Dans l'épilogue cependant, , l'historien réévalue l'importance des hymnes en1 les désignant cette fois-ci comme la source des mythes et des légendes . des communautés primitives ::«(...) Un -grand nombre de "sujets" ou de motifs épiques, de même que beaucoup de personnages, d'images et declichés de la .littérature épique; sont, en dernière analyse, d'origine extatique, en ; ce ; sens qu'ils - ont été empruntés aux • récits de chamans narrant leurs voyages et aventures dans les- mondes surhumains » (ibid., p. 396). . Le recentrage de ses analyses sur les récits des : chamans et non plus ; sur les séances chamaniques emgénéral prépare еш réalité l'argument, suivant,: « IKest probable que' l'euphorie préextatique a constitué une: des sources du lyrisme universel » (ibid., p. 396).. L'essentiel: n'est plus tant, pour. Eliade, l'influence des expériences extatiques des chamans sur la formation ; de littératures vernaculaires, mais i la « filiation i entre les créations .verbales des chamans et le langage poétique : « Quand il ; prépare sa transe, le chaman * (...) parle un "langage secret" ou le "langage des animaux? (...). C'est à partir de créations linguistiques de cet ordre, rendues possibles par Г "inspiration" préextatique, que les "langages secrets" des- mystiques et les- langages allégoriques traditionnels se sont cristallisés plus- tard6»- (iôic/.', p. 397). Cette

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Mircea Eliade* 43'

analyse dont nous avons indiqué le rôle central ; dans • l'argumentation d'Eliade fait .écho à», uns. bref développement: de l'essai * intitulé* « Langage secret' -- langage des animaux^ » (ibid:, p. 91-93) : l'historien qui a choisi ses exemples essentiellement dans lés chamanismes esquimau et sibérien y décrit rapidement ce -langage secret comme; une langue imitative faite de cris d'animaux accompagnés de gestes et de comportements animalesques.Puis il en arrive à l'interprétation? de ce phénomène : l'utilisation: d'un » langage hermétique : serait le signe que les chamans partagent- les secrets de la; nature et communiquent avec les dieux ; elle- serait, em définitive,- un « syndrome paradisiaque» ::« Dans de nombreuses traditions, l'amitié avec les animaux et la compréhension de leur langue constituent des syndromes paradisiaques (...). Ce n'est qu'à Ла suite d'une catastrophe primordiale que l'homme est devenu, ce qu'il, est aujourd'hui' :: mortel,, sexué, obligé de travailler pour se nourrir et en conflit avec les animaux. (...). L'amitié avec les animaux, la connaissance de leur, langue, la transformation* en - animal, sont" autant; de - signes que le chaman a* réintégré* la situation "paradisiaque" perdue à l'aube des temps. »

On;a là un exemple' frappant de la1 manière dont; Eliade réévalue dans l'épilogue ses premières ■ conclusions et extrapole : analysé d'abord ? et exclusivement : comme - un élément ; constitutif ; de ■ l'idéologie • chamanique, le * langage i secret des chamans se voit promu ? au terme de l'enquête au rang : de parangon du langage - poétique. Sa recherche- des « sources oubliées » de * la littérature ne tire finalement argument que d'une ■ infime partie de l'essai, elle-même contestable et très : incomplète. Dans ce langage secret où l'historien /voit s'incarner la créativité verbale des chamans, . certains ethnologues et informateurs de l'essai > n'ont vu qu'un \ leurre : : K. , Ras- mussen,.par exemple,. rappelle que la rivalité entre chamans conduit certains à une surenchère verbale quit passe ■ par l'utilisation -d'un langage secret, fait jugé par les chamans- esquimaux caribous de pure intimidation ; le langage secret

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ne serait quîune langue factice destinée à accroître le prestige de chamans vénaux et abusant de la crédulité de l'assistance pendant les séances18/ D'autre ■ part, . le caractère universel que l'historien feint d'attribuer, au i langage 'secret n'est pas établi ; . il Í serait en i fait utilisé surtout - en > Asie.

La i créativité " verbale • des c chamans déborde ■ en < réalité le cadre -étroit qu'Eliade; lui' a -tardivement fixé. Les pratiques chamaniques s'accompagnent de nombreux phénomènes linguistiques qui? font, d'eux; de véritables athlètes de -la* voix;. Paradoxalement, le: meilleur interprète de cette virtuosité vocale dont; ils font .preuve dans- l'exercice de leur métier aurait pu être Eliade lui-même puisque l'essai en fait mention presque à chaque page : depuis les propos incohérents tenus pendant leurs : extases initiatiques, , les chants, les récits de rêves prémonitoires (Le chamanisme,./p. 32,. 49, 71-, 77, 81) jusqu'aux hymnes débités pendant .les séances de guérison- (ibid.,, p. Л61-165', 190), en passant par les exercices de ventri- loquie et l'invention de langages imitant les cris d'animaux,' les chamans, leur vie durant, de leur initiation à l'organisation de cures, parcourent "■< tous les registres de - la voix . humaine. Du > simple cri au г chant le plus élaboré, du з marmottement' inintelligible au. récit' très structuré de leur voyage extatique, ils explorent: toutes les possibilités de la voix dans le sens de l'imitation; et de la modulation. Toute séance • chamanique se présente- comme une succession? de- chants et de; cris, de mélodies psalmodiées et de bruits divers (bâillements, hoquets, crachats...), de -voix: humaines et inhumaines (ibidi, p. 174; 190; 197,203, 262,.268). Les chants eux-mêmes ne sont .pas fixés une fois i pour, toutes :.ils suivent le rythme du dialogue que : le chaman i instaure - avec ses esprits protecteurs , tantôt plus intenses et dramatiques, tantôt, plus monotones.. Ces intonations ont un -. sens : - les prouesses - vocales • du i chaman pendant la séance miment sa difficulté à rejoindre et dialoguer

18., K. Rasmussen, Intellectual Culture of the Caribou Eskimo, Report of the Fifth Thule Expedition, 1921-1924, vol. VII, n° 2, p. 54-55 ; cité dans P. Radin, La religion primitive, trad, franc. d'Al Métraux, Paris, Gallimard, 1941, p. 92л

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Mircea Eliade 45

avec l'esprit responsable de la maladie. Ses cris, ses chants, les bruits divers qu'il fait retentir accompagnent les étapes de cette rencontre et de ce dialogue ; ils participent d'une mise en scène qui a pour but de mettre fin au désordre occasionné par l'esprit. La puissance du chaman réside dans sa capacité à mettre fin à ce désordre dans le sacré que la mort ou la maladie ont entraîné. Au moyen du langage, il va tout d'abord l'amplifier : de là ses cris, les bruits qu'il produit. Il va, mieux encore, tenter de le circonscrire à sa propre personne : de là ses états cataleptiques et son mutisme qui dure parfois des heures entières (ibid., p. 234, 264). Usant d'un langage secret ou de ses dons de ventriloque, il incarnera par son langage la lutte qui oppose l'ordre et le désordre, à laquelle il mettra fin grâce encore au langage et dans le langage au moment de faire le récit de son voyage extatique et de désigner les moyens de la guérison.

Le langage secret qu'utilisent certains chamans n'est donc qu'un épiphénomène qui démontre, au même titre que les cris, la ventriloquie ou les chants, que la fascination exercée en tous lieux et en tous temps par les chamans dépend étroitement de leur aptitude à repousser à l'infini les limites de la voix humaine et à maîtriser la parole. L'ethnologue J. Monod le confirme dans son superbe essai sur les Indiens Piaroa : « On croit communément, écrit-il, qu'un chaman est quelqu'un dont l'âme, dès qu'il entre en transes, voyage. En réalité, chacun peut s'en persuader au cours d'une; séance, la qualité particulière de l'âme d'un chaman est qu'elle demeure égale quand toutes les autres divaguent. Il est maître de sa vision comme de sa parole » (Wora, la déesse cachée, Paris, Ed. Evidant, 1087, p. 136).

Ses prouesses vocales et verbales, associées aux tours de prestidigitation au moyen desquels il renforce son ascendant sur l'assistance, font du chaman un acteur doublé d'un dramaturge comme A. Artaud en a rêvé dans son Théâtre de la cruauté, et de la séance chamanique, un véritable « drame de la cruauté » : « Tout spectacle, écrit le poète-dramaturge,

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contiendra un. élément physique et objectif, sensible à i tous. Cris, plaintes (c'est nous qui/ soulignons), apparitions, surprises, coups de théâtre de toutes sortes, beauté magique des costumes pris à certains modèles rituels,. resplendissement de la lumière, beauté incantatoire des voix (...). » Et plus loin:: « Puisqu'il est la. base dece langage de la- scène deproeéder à . une utilisation • particulière des - intonations ; ces intonations doivent constituer une sorte d'équilibre harmonique, de déformation, seconde- de. la parole,, qu'il: faudra, reproduire à- volonté (...) » (Le théâtre et son double, ; Paris; Gallimard, 1964,, rééd. Folio Essais,. 1979;p. 144-145).-

On est frappé par le parallèle étroit qui lie ces affirmations aux descriptions classiques de séances chamaniques que nous a lais.-ées la littérature ethnographique et dont voici deux exemples,. à propos respectivement des Indiens Araucans et Achumawi :

(...) Lu euro commence à-la tombée de la nuit. Lu rnachi (femme chaman) bat de son tambourin pour avertir l'assistance que la cérémonie est en train. Elle chante pour que le malade s'habitue à sa voix et ne s'effraye pas lorsqu'elle retirera le mal de son corps (...). La; machi apparaît alors dans ses plus ; beaux vêtements. (Elle) entonne un chant magique que ; deux acolytes (llankan) accompagnent à la -flûte (...)..

La machi chante un nouveau chant avant de s'accroupir en face: de soni patient. Elle annonce que celui-ci ̂ vivra. grâce à un remède qu'elle lui administrera : « Je chercherai dans la montagne le remède mellico ; je chercherai seulement du paupahuen, beaucoup de remède; llanco, un remèdeitrès fort. Je vaincrai le Gouverneur des hommes. Avec ce tambour, je lèverai mon malade. »

Son' chant devient de plus en plus intense. Elle secoue som tambourin^ au-dessus du malade, et s'agite frénétiquement.. L' « animateur » de la machi donne un ordre. Les acolytes se lèvent et marquent- la mesure du chant en élevant et en abaissant les branches de canelo* (arbre magique). Ils entrechoquent ensuite les « crosses de hockey » au-dessus du malade.. En même temps, ils crient : « Ya, ya, ya. » Ce tumulte exprime la- joie de- l'assistance qui* attend» l'arrivée' de l'esprit...19.:

19. T. Guevara, Historia de Chile, vol. II, p. 133-133 ; cité dans A. Métraux, Religion et magies indiennes d'Amérique du Sud, op. cit., p. 213-214.

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Mircea ' Eliade 47

(Le chaman) se balance en i chantonnant, les . yeux à demi clos. D'abord; c'est. un bourdonnement sur ■ un ton: plaintif/ comme si le chaman voulait ! chanter malgré une souffrance intérieure. Le bourdonnement . devient ;. plus fort, . prend « la forme d'une . vraie , mélodie, . mais encore en sourdine.. On- commence à se taire, à écouter, à faire, attention. . Le chaman n'a pas ;■ encore son : damagomi (: esprit auxiliaire) (...). Bientôt5 il sent son damagomi qui arrive,- qui s'approche, qui voltige dans l'air de la nuit, dans la brousse, sous la terre, partout, même dans son propre ventre (...).. Alors le chaman s'adresse à. son damagomi. Sa voix est haute,' comme s'il parlait à un sourd. Il parle d'une voix rapide, . saccadée, monotone/, mais en • langage ordinaire que tout4 le monde comprend. Les phrases sont courtes. Et tout; ce qu'il dit, 1' « interprète » le répète exactement, mot pour, mot (...)20.

Ces deux récits prouvent que- le lien qui' unit la cure chamanique - et la; dramaturgie artaudienne- réside en tout premier lieu dans le rôle joué par le langage, non plus logique et discursif, mais incantatoire. Il n'y a pas, en outre, de différence • de nature • entre la' complicité du chaman'. et de l'assistance et la; fameuse union entre l'acteur et le spectateur préconisée- par Artaud) dans son í manifeste : « Une- communication directe sera rétablie entre le spectateur et le spectacle; entre l'acteur et le spectateur; du, fait que le spectateur; placé au centre de l'action; est enveloppé et sillonné par elle » (Le théâtre' et ! son* double, op. cit:, p. 148). Sur ce point,, les cures chamaniques et les conceptions^ théâtrales- d'Artaud onť été victimes de la même ; méprise • : quand* bien < même le but assigné à la с cure т et à la ■ représentation > théâtrale ■ serait une crise cathartique au cours- de laquelle le patient ou de spectateur est confronté à son être intime, l'action dramatique qui s'y déroule n'est pas synonyme d'anarchie, d'improvisation . ou < de • transe imprévisible: Elle suppose au contraire — et les meilleures descriptions de cures l'attestent — une organisation; une rigueur de la part du chaman ou du dramaturge tel qu'Artaud * le conçoit : « Mes spectacles, répond-il à Jean Paulhan, n'auront rien à voir avec les improvisations de Copeau. . Si fort qu'ils plongent dans le concret, dans le

20." J. de Angulo, La psychologie religieuse , des -Achumawi, IV : Le chama- nisme (« Anthropos », 23, 1928, p. 561-582) ; cité dans M. Eliade, Le chamanisme..., op. cit., p. 245-246.

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dehors (...), ils ne sont pas pour. cela livrés au caprice de l'inspiration inculte et irréfléchie de l'acteur » (ibid:,. -p.. 170).

Maints récits de cures chamaniques confirmeraient encore la dette de l'esthétique théâtrale d'Artaud ; à l'égard; du chamanisme21.'. Mais l'essentiel ici est la contribution ? inattendue qu'apporte- son» manifeste ■ à la*» compréhension* de ■ la ; séance chamanique' qui- doit être* conçue comme un* « spectacle » total où sont étroitement, imbriqués les prouesses vocales du chaman; les chants, la musique, la. danse, la pantomime mais aussi le costume et le décor dans lequel il évolue. C'est, selon nous, en envisageant tous ces éléments globalement, et non- pas séparément comme le fait Eliade,' que les liens qui unissent chamanisme et expressions artistique ' pourraient être • établis avec quelque pertinence. Une telle analyse devrait se confondre avec une- « archéologie » du, spectacle dramatique: dont le modèle inégalé reste, à notre sens, la) séance chamanique..

Mircea Eliade n'a, quant à lui; prêté attention; au terme de sa quête des «sources oubliées » de l'inspiration artistique, qu'à un? élément, dépourvu i de? sens еш lui-même,- des pratiques chamaniques. Sa? surestimation du í rôle joué par le langage secret de certains chamans: n'est pas cependant', qu'une faiblesse de sa: démonstration:- Elle découle logiquement d'une utilisation- partielle .- des sources- d'information • sur/ le chamanisme et, corollairement, des présupposés de sa méthode comparatiste, ai savoir la: préséance du complexe chamanique d'Asie centrale et. septentrionale, seul» à; même, selon ̂ lui; de fournir, les éléments • constitutifs de : l'idéologie originaire - du chamanisme. Il serait intéressant de savoir si ces présupposés ne sont pas à l'origine de l'absence d'influence de son enquête sur sa: propre œuvre littéraire, théâtrale et romanesque.

21. Cf. sur ce point le texte de J. Cuisinier, , Pouvoir des gestes, Cahiers Renaud-Barrault, n° 69, Paris, Gallimard, p. 93-99.' L'auteur, qui s'est intéressé aux danses magiques des tribus de la péninsule de Malacca, évoque la convergence des idées théâtrales d'Artaud et des danses extatiques des peuples aborigènes du Sud-Est asiatique. Qu'on nous permette en outre de rappeler le séjour, effectué en 1936 par A. Artaud chez les Tarahumaras, au Mexique, et son initiation au rite chamanique du peyotl (cf. Les .Tarahumaras, éd. M. ; Barbezat, L'Arbalète,. 1963)..