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Copyright 2012 El Kalima 1 Les voies du réformisme musulman contemporain Conférences du Centre EL KALIMA n° 3 Khalil Kochassarty

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Les voies du réformisme musulman contemporain

Conférences du Centre

EL KALIMA n° 3

Khalil Kochassarty

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Table des matières

I. LES WAHHABITES ................................................................................................................................ 4 II. LES AUTEURS RÉFORMISTES CONTEMPORAINS ................................................................................. 6

GAMAL AL DIN AL AFGHANI (1838-1897) .............................................................................................. 6 La doctrine réformiste d’Afghani ...................................................................................................... 7

Il propose des voies pratiques pour cette réforme ..................................................................... 7 Conclusion ........................................................................................................................................ 8

AL CHEIH MUHAMMAD ABDUH (1849-1905) ........................................................................................ 9 Sa vie ................................................................................................................................................. 9 Points de réforme ............................................................................................................................. 9

RACHID RIDA (1865-1935) .................................................................................................................... 12 Sa vie ............................................................................................................................................... 12 Sa doctrine ...................................................................................................................................... 12

LES FRÈRES MUSULMANS ..................................................................................................................... 16 La doctrine des Frères Musulmans ................................................................................................. 17 L’État islamique .............................................................................................................................. 18 Les questions sociales ..................................................................................................................... 18

SAYYID QUTB ........................................................................................................................................ 19 Pensée de Sayyid Qutb ................................................................................................................... 19 Comment détruire la “Jahiliyya” ? .................................................................................................. 19 Le mouvement réformiste aujourd’hui .......................................................................................... 19

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a notion de réforme, tout en ayant revêtu, le long de l’histoire, et à notre époque, des modalités diverses et des acceptions variées, est

commandée, dans sa signification fondamentale, par le Coran ; elle plonge ses racines dans la doctrine de base de l’Islam et apparaît comme une donnée permanente dans l’histoire religieuse musulmane. Le mot arabe qui traduit réforme est “Islah” اصالح. Le verbe “aslaha” أصلح déformer, s’oppose à “afsada” qui signifie “corrompre”. D’où “Islah” veut dire d’abord l’action qui remet en état ce qui a été corrompu. À la sourate 26, v. 152, il est écrit qu’on ne doit pas obéir à « ceux qui sèment la corruption sur la terre et, ne, réforment pas ».

De la même racine, le mot “salihat”, les actions bonnes, celles qui plaisent à

Dieu et qui sont liées à la foi. Ceux qui méritent le paradis sont ceux qui ont cru et ont fait actions bonnes. (Coran 2.25).

Toujours de la même racine, la forme “sulh” صلح est employée dans le sens de faire oeuvre de paix, inviter à la concorde et la réconciliation (Coran 2. 228 - 4. 35-114…).

Quant au mot “muslih” أصلح. "muslihun" désigne celui qui a souci du perfectionnement des autres et des institutions en vue du meilleur. C’est ainsi que se définissent les réformistes musulmans modernes revendiquant le titre de "muslihun".

Le Coran les met en honneur, étant dans la ligne des prophètes, et plus particulièrement du prophète Muhammad, le Réformateur par excellence. Ils sont loués par le Coran, et sont objet de haute considération (Coran 7. 170 - 11. 117 - 28. 19).

Il n’y a pas lieu ici de tracer l’historique de l’Islah depuis le début de l’Islam.

Disons seulement avec Rachid Rida que dans chaque génération il s’est trouvé des hommes fermement engagés dans la défense de la sunna - la tradition, dans la lutte contre la “bid'a” “l'innovation” ; chaque siècle a donné un régénérateur (mujaddid) de la foi et de la sunna. Et c’est dans la fidélité à tous les réformateurs et rénovateurs qui ont défendu la foi et la sunna, que les réformistes musulmans modernes entendent mener leur mission.

Parmi ceux qui ont mené cette action de réforme, dans l’Islam contemporain

et qui se prolonge dans l’Islam moderne, à travers leurs disciples, on mentionne généralement ; Gamal-al-din-al-Afghani (1839-1897), Muhammad Abduh (1849-1905), Rachid Rida (1865-1935).

Mais avant eux, les Wahhabites avaient déjà créé un mouvement de réforme et

de rénovation de l’Islam, préparant ainsi le terrain à une dynamique plus méthodique et plus accélérée.

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I. LES WAHHABITES

Le Wahhabisme ou les Muwahhidun, comme ils se nomment : “les unitaires” partisans de la stricte unicité divine, est née de Muhammad ben Abd el Wahhab (1703-1792) d’Arabie. À Médine, il s’instruit auprès d’un disciple d’Ibn Taymiyya. En 1739, il revint en Arabie et rédige son livre : “Kitab al tawhid” il y prêche contre le culte des saints et appelle ses coreligionnaires à se débarrasser des superstitions, mais sans succès : il rencontre au contraire une forte opposition. C’est alors qu’il essaie, avec la collaboration du chef local de sa ville natale “Uyayna” de former le noyau d’un État théocratique. Là aussi, il échoue et part pour Dar'iyya près de Riyad. Il y rencontre l’émir Muhammad Ibn Sa'ud et son fils 'Abd al Aziz Ibn Sa'ud, et arrive, après les avoir ralliés à sa doctrine, à conclure avec eux un pacte de fidélité mutuelle pour faire triompher l’Islam pur. L’État théocratique sa'udi-wahhabite était né. C’était en 1744.

À la mort de Muhammad Ibn Sa'ud, son fils 'Abd al 'Aziz lui succéda pour un

long règne qui dura de 1765 jusqu’à 1803, durant lequel le mouvement gagna tout le Najd. En 1803, il meurt assassiné. Son fils Sa'ud ben 'Abd al 'Aziz lui succède. Il occupe alors le Hijaz, La Mecque, Médine et Djedda, envahit l’Iraq et la Syrie. Il échoue devant Damas par une intervention vigoureuse des forces ottomanes.

De 1818 à 1900, la dynastie saoudienne et le wahhabisme sont en sommeil, occupés à des luttes interminables entre clans locaux. Ce n'est qu’en 1932, que 'Abd al 'Aziz ben 'Abd al Rahman ibn Sa'ud, après avoir reconquit l’Arabie, rétablit la dynastie sa'udienne à Riyad et se fait proclamer roi de l'Arabie et le wahhabisme religion d’État.

La doctrine du wahhabisme est basée sur le hanbalisme le plus strict. Celui-ci

ne reconnaît que le Coran dans une lecture absolument littérale, et la sunna des compagnons et des Salaf les devanciers, mais qui ne dépassent pas les trois premiers siècles de l’Islam. En vue de purifier l’Islam, le wahhabisme détruira toutes les innovations, bid'a introduites depuis le 3e siècle. Il luttera contre le culte des saints, les visites aux tombeaux, les coupoles élevées sur les tombeaux, le chapelet, les dorures et les mosaïques dans les mosquées. Pour ramener la civilisation musulmane à l’état où elle était au VIIIe s, le wahhabisme condamnera aussi les importations de la civilisation moderne : café, tabac, musique, tissus de soie, bijoux, couteaux, fourchettes etc. et appliquera strictement la législation coranique et les sanctions légales : couper la main du voleur, lapider 1’adultère... Avec les nécessités de la vie moderne, ce puritanisme rigoureux a été largement modéré. Mais officiellement, le wahhabisme se veut l’Islam à l’état pur ; il est la

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doctrine de l'Arabie Sa'udite et influence sa politique et le comportement social du peuple.

L’influence du wahhabisme comme doctrine dépasse les frontières de l’Arabie

Sa'udite. Plusieurs mouvements fondamentalistes en Indonésie, en Afrique noire orientale et occidentale se disent wahhabites.

Donc, en s’attachant à réactualiser les valeurs de l’Islam primitif et à insuffler

aux musulmans un dynamisme politique en harmonie avec la loi coranique, les wahhabites jouèrent un rôle réel dans l’évolution de l’Islam moderne, et, à ce titre, méritent d'être rangés parmi les premiers coopérateurs du mouvement réformiste.

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II. LES AUTEURS RÉFORMISTES CONTEMPORAINS

“Afghani, Abduh, Rida”. Caspar les appelle les trois grands. En effet, ces trois personnages sont unanimement considérés comme les promoteurs de la renaissance musulmane.

GAMAL AL DIN AL AFGHANI (1838-1897)

Personnage mystérieux qui s’est ingénié à se présenter sous des visages et selon des origines différentes suivant les circonstances. On le connaissait surtout à travers la figure qu’il s’est forgé dans ses « souvenirs » publiés par son disciple Abduh, Hais, depuis 1963, des documents et des notes, ainsi qu'une partie de sa correspondance l’ont rendu plus accessible.

Il est né en 1838 dans le village iranien de Asadabad. Son nom complet est :

Garnal al din Muhammad Safdar al Asadabadi. Il n’est donc ni Afghan, ni sunnite. Après son expulsion d'Afghanistan, il se fera appeler Afghani et se présentera comme sunnite pour les besoins de sa cause en Égypte et à Istanbul.

Après ses études, il entreprend un voyage en Inde où il prend contact avec les mouvements réformistes indiens En octobre 1866, il se rend en Afghanistan, à Kaboul où il reste deux ans, se mêlant aux querelles internes, prenant parti contre les Anglais. En 1868, il est expulsé. Il se rend à Bombay puis à Istanbul via le Caire pour un bref séjour qui lui a permis de rencontrer des Azhariens contestataires.

À Istanbul, il se fait appeler al-Afghani et, avec les réformistes turcs, il rêve de

faire d’Istanbul le centre d’un empire panislamique moderne et indépendant. Les Turcs l’accueillent, lui, le 'alim moderne, contre les 'ulama conservateurs. Il est nommé membre du Conseil de l’Éducation ; alors, il propose de réformer l’Islam en modernisant l’enseignement. Mais, Afghani provoque l’opposition du sayh aï-Islam, en comparant le rôle du Prophète à celui de philosophe, et, il est expulsé. Il va au Caire en 1871 où il restera 8 ans.

Très vite un noyau de disciples l’entoure. Parmi ceux-ci, Muhammad Abduh.

Afghani appuie son programme de réforme sur une doctrine composite, avec des données de philosophie, de mystique, de pensée occidentale structurée par la raison et la science. Puis, à partir de 1877, il se mêle de politique et provoque un réveil nationaliste. Malgré cela, l’Égypte, pour des raisons économiques et politiques passe sous la domination anglaise. Afghani est expulsé et s’embarque pour l’Inde où il reste trois ans, pendant lesquels il écrit et prêche contre la colonisation anglaise. Il se présente comme un réformateur de l’Islam par le retour au Coran, mais en tenant compte de la raison et des sciences modernes. N’ayant reçu qu’une audience

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restreinte, il quitte l’Inde pour Paris où il reste deux ans et demi (1883-1885). De son côté Muhammad Abduh, condamné à l’exil, vient le rejoindre à Paris. Ensemble, ils fondent une revue arabe, bimensuelle pour y exprimer leurs idées réformistes. C’est “Al rurwa al utka” (“le lien indissoluble”). La revue est envoyée dans le monde musulman et connaîtra une influence large et profonde. Sous le même titre une société secrète, déjà fondée en Égypte s’organise à Paris et essaime en divers pays musulmans.

La vie déjà agitée d’Afghani devient alors plus mouvementée. Sollicité par le

gouvernement anglais d’intervenir auprès du Mahdi du Soudan révolté, il va à Londres, mais sa médiation sera sans suite. Sur l’invitation du Chah d’Iran, il se rend à Téhéran, mais vite éloigné par le même Chah, vue l’audace de ses idées réformistes. Il va alors en Russie, puis de nouveau en Iran où sous son impulsion, le Chah est assassiné par un de ses disciples. Pour finir il aboutit de nouveau à Istanbul où il a une grande activité, propageant ses idées dans son cercle “Majlis” d’Istanbul Finalement, il meurt à Istanbul, le 9 mars 1897, suite d’un cancer.

La doctrine réformiste d’Afghani

La pensée d’Afghani est très ferme et cohérente et est à l’origine de la plupart des idées réformistes de l’Islam d’aujourd'hui. On y distingue, au niveau de l’action et prédication, le volet politique et le volet doctrinal, mais dans la conception islamique l’action politique est aussi religieuse.

1. Afghani avait la hantise d’un Islam libre, indépendant et uni. C’est ce but

qu'il s'est fixé quand il a lutté contre le colonialisme, surtout anglais, qu’il a rencontré partout où il allait. Il ne pouvait admettre que des étrangers gèrent des pays musulmans. C’était une politique d'alliance avec les étrangers que menaient les chefs des états musulmans. En plus, il les accusait de despotisme, ce qui entravait sérieusement le panislamisme.

2. Quant à la pensée musulmane de son temps, il la trouvait dans un état de

décadence et d'inertie. Inutile de songer à libérer les pays musulmans aussi longtemps que la religion musulmane n'ait été réformée, renouvelée et dynamisée.

Il propose des voies pratiques pour cette réforme

– Il estime que les premiers siècles de l’Islam avaient accordé à la raison et aux données scientifiques leur place dans la formulation de sa pensée, conformément à l’invitation du Coran lui-même. Depuis, l’Islam, sous prétexte de se concentrer sur la révélation coranique, a délaissé les exigences de la raison et de la science. C’est à une redécouverte de cet héritage musulman qu’invite Afghani.

Cette approche scientifique permettra dès lors de faire une re-lecture du

Coran dont l'interprétation a été atteinte d'inertie complète. Pour Afghani, le sens du Coran est progressif, évoluant selon les nécessités de chaque époque. D'où la

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valorisation de l’Ijtihad, c.-à-d. de l’effort de compréhension dont chaque musulman a le devoir de chercher à pénétrer par lui-même, les deux sources : la révélation et la sunna. Il faut, écrit Afghani : « Rouvrir la porte de l’ijtihad restée longtemps fermée ».

Les réformistes ont donc la clef pour rejoindre le vrai sens du Coran. – Sur un plan théologique, Afghani donne son interprétation du fameux

problème de la prédestination, le qadar. Il s'attaque à l’interprétation des gabriyya, le fatalisme et la contrainte, qui ont provoqué la décadence de l’Islam.

Afghani avance que cette façon de voir est étrangère au vrai sens du Coran. Pour lui, Dieu est en effet le Maître de tous les événements. Le bon musulman se confie totalement en Lui. Mais, ceci n’enlève en rien la liberté de l’homme, car, celui-ci est une cause créée et libre et doit agir dans l’obéissance aux directives coraniques, s’appuyant sur un verset célèbre « Dieu ne change rlien en un peuple, avant que celui-ci n’ait changé lui-même. » (8. 53 ; 13, 11).

– Pris par le souci de l’unité du monde musulman, il lance un appel vers une unité encore plus englobante, et envisage l’unité des trois religions monothéistes le judaïsme, le christianisme et l’Islam. Ce même Dieu est à l’origine de ces religions et il en est le but. Toutes visent à rendre l’homme heureux. Leur accord est plus profond que leurs différences, surgies à cause des circonstances historiques dans lesquelles la révélation fut envoyée à Moïse, Jésus et Muhammad.

– Le grand moyen pour arriver à cet ensemble de réformes, est, selon Afghani,

l’éducation. Il s’attaque au système d’enseignement musulman de son temps qui est le monopole de 'ulama “conservateurs et figés”. Il reconnaît la qualité de l'enseignement dans les établissements tenus par des étrangers, mais, les élèves musulmans y reçoivent une formation étrangère à leur tradition musulmane. D’où la nécessité de créer des écoles musulmanes modernes, qui assurent, avec l’enseignement du Coran et des sciences musulmanes, des matières modernes. Comme il insiste sur l’instruction à donner aux filles.

Conclusion

a. Comme agitateur politique Afghani a eu un rôle évident dans les mouvements de renaissance et d’indépendance des pays musulmans, à la fin du 19e siècle et de la première moitié du 20e siècle.

b. Comme réformiste, il faut le considérer comme le père du réformisme

contemporain, car, il semble être à l’origine des principales idées du mouvement réformiste, aujourd’hui.

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AL CHEIH MUHAMMAD ABDUH (1849-1905)

Parmi les trois grands du courant réformiste, Muhammad Abduh est considéré comme le théologien du réformisme. En bon disciple d’Afghani, il a repris ses idées, mais il les a développées et synthétisées en un corps de doctrine, devenue la théologie du réformisme. Même si aujourd’hui des penseurs musulmans estiment que la pensée d’Abduh est dépassée, étant marquée par son époque, il faut dire que cette pensée imprègne la conscience musulmane contemporaine, et, c’est à son esprit, qu’elle se réfère en critiquant le conservatisme et en confrontant l’Islam et la civilisation moderne.

Sa vie

Muhammad Abduh est né dans un village du delta, en Égypte. Après ses études à Tanta, puis à Al Azhar, il rencontre en 1870 Afghani dont il devient un disciple. En 1878, il est nommé professeur à Dar al'ulum et fréquente les cercles nationalistes. Compromis politiquement il est arrêté et, après trois mois de prison, il est exilé le 24/12/1882. C’est alors qu'il rejoint Afghani à Paris et, fonde avec lui la revue al "urwa al-utka, dont il prend la rédaction. Une différence de point de vue les sépare : Afghani insistait sur la lutte anti-colonialiste, tandis que Abduh donnait la priorité à la réforme des esprits. Abduh se rend à Beyrouth où de 1885 à 1888, il enseigne la théologie, et rédige son livre : Risalat al tawhid.

Au terme de son exil, Abduh rentre au Caire et est nommé juge, puis rédacteur du journal, puis conseiller à la Cour d’appel au Caire. En 1892, il obtint de Khédive 'Abbas, la création d'un comité d’administration d’al Azhar. Il en profite pour proposer son plan de réforme : examens, enseignement de langues européennes, simplification et modernisation de la langue arabe, nationalisation de l'enseignement pour le libérer de l’emprise des ‘cheikh’ d’al Azhar. Mais, en fait, il se heurte à une forte opposition, et avoue son échec.

En 1899, il est nommé grand mufti d’Égypte. En 1905 il se retire dans sa maison d’Héliopolis et l'été de la même année, il meurt d'un cancer, à Alexandrie.

Points de réforme

Muhammad Abduh était surtout un lutteur qui voulut réformer l’état de la communauté musulmane, et, en premier lieu l’enseignement. Muhammad Abduh souffrait de voir que l’enseignement religieux musulman était basé principalement sur un respect servile de l’argument d’autorité d’une part, et d’autre part sur une démarche d’imitation passive désignée déjà par le mot : taqlid Ainsi, on mêlait les idées authentiquement musulmanes jj ULe émanant du Coran et du Hadith et les innovations, où les fidèles étaient entraînés dans une voie étrangère à l’Islam pur. Il faudrait donc, propose Abduh entreprendre un travail d’épuration pour ne retenir que ce qui est dicté par la raison ou la révélation. C’est une tâche primordiale, dit-il, de libérer l’esprit des chaînes du taqlid. Le “muqallid” n'atteint pas la vérité" elle-même. Il sait seulement qu’un tel a dit que telle chose est vraie, sa connaissance

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reste limitée à celle de l’affirmation d1autrui. Abduh donne droit à l’intelligence, et considère que tout homme est capable de raisonner en quelques domaines, même s’il

ne peut le faire sur tout. On doit vérifier par la raison ce que l’on a entendu par l’oreille.

Pour Abduh, la foi et la raison sont donc concordantes. « L’Islam est la religion de la raison et de la science ».

Il peut arriver qu’apparaisse une certaine contradiction entre l’affirmation coranique et l’affirmation scientifique. Dans ce cas, il y a deux attitudes légitimes : se confier à Dieu qui seul connaît les secrets : se refusant de vouloir tout expliquer, ou, si possible, recourir à une interprétation allégorique des versets coraniques, qui suppose avoir reçu une bonne formation théologique et exégétique.

La prédestination, pour Àbduh, comme pour Afghani, n’enlève en rien à l’homme sa liberté : il est responsable de ses actes dans leur acquisition. Volontairement il refuse d’employer le terme “création”, qui est réservé à Dieu seul. La foi au qadar est, pour Abduh source de confiance dans la Providence et source d’engagement humain. L’homme fait tout ce qu’il faut sans attendre l’intervention de Dieu. C’est lorsqu’il est au bout de ses possibilités qu’il peut faire appel à Dieu. Donc, l’homme doit agir et Dieu intervient pour “compléter” l’acte de l'homme.

Muhammad Abduh est un partisan convaincu du libre arbitre ; il combat les

réactionnaires qui prétendent que, en déclarant l'homme libre, on élève sa volonté au même rang que la volonté divine et on commet par là le péché du “chirk” qui consiste à “associer quelqu’un à Dieu”. C’est une erreur, dit-il ; l’homme qui commet le péché du chirk n’est pas celui qui compte sur ses propres forces et choisit librement sa voie, mais bien celui qui, sentant son impuissance et n’ayant pas foi en lui-même implore le secours des forces irrationnelles : les idoles ; ou encore celui qui se lance à l’aventure en comptant sur une intervention illusoire.

En ce qui concerne la prophétie, Muhammad Abduh suit l’enseignement de l’orthodoxie musulmane, mais en le rationalisant et en lui insufflant un esprit nouveau. Il met en relief la valeur morale des prophètes et leur rôle d'éducateurs de l’humanité : « les prophètes écrit-il, sont comme les jalons posés par Dieu le long de la voie que doit parcourir l’humanité pour arriver à son but » Le rôle des prophètes est de diriger la raison dans la bonne voie pour connaître Dieu et ses attributs, de nous imposer des devoirs religieux ; d’enlever aux hommes toutes causes de dispute en semant la concorde parmi eux. Ce sont eux qui nous enseignent quelles sont les actions qui agréent à Dieu.

Muhammad Abduh, avec l’orthodoxie musulmane proclame que Muhammad

est bien le dernier des prophètes, « qu’il a scellé la Prophétie ». Le Coran appelle Muhammad, le sceau des Prophètes. (Coran 33. 40).

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Accrochée à cette vision de la prophétie, une théorie de l’histoire des religions

est présentée par Muhammad Abduh. D’après cette théorie, l’humanité a derrière elle une longue évolution religieuse par l’intervention des divers prophètes. Mais au moment où apparut Muhammad l’humanité à laquelle le prophète s’adressa, avait atteint sa maturité. Comme il n’y a plus de progrès à attendre pour l’humanité au niveau religieux, il n’y a pas de raison qu’une prophétie supérieure vienne supplanter celle de Muhammad.

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RACHID RIDA (1865-1935)

Disciple de Muhammad Abduh, il s’est donné entièrement au service du mouvement réformiste, qu’il a fait propager dans le monde musulman. Il ne gardera pas intégralement les idées du maître. Sur beaucoup de points, il retournera à des positions plus conservatrices et plus polémiques. Mais son rôle dans la fonction de la conscience musulmane contemporaine est prépondérant.

Sa vie

Rachid Rida est né à Tripoli en Syrie ottomane en 1865. Au cours de ses études, il a rencontré deux fois Muhammad Abduh en visite dans cette ville. Muhammad Abduh lui fait connaître le mouvement de la Réforme (Islah), et l’informe largement sur la revue al 'Urwa al utka, ainsi que sur la société du même nom. Il lui parle aussi d’Afghani qui résidait à cette époque à Istanbul. Rachid Rida s’est enthousiasmé de tout ce qu’il a appris, et, après avoir écrit à Afghani, il a adhéré au mouvement. Sans tarder, ses idées innovatrices ont percé et la police a deviné derrière ses déclarations la critique du régime turc. S’y sentant traqué, il pris la fuite vers Le Caire en 1897, où il rejoint son maître. Il se met à son service et reçoit de lui la mission de fonder une revue pour propager leurs idées réformistes : c’est la revue al Manar (le phare). Le premier numéro paraît en 1898. La maison d’édition du Manar servira aussi comme centre de propagande du réformisme. Rachid Rida poursuivra son oeuvre de réforme principalement par son enseignement propagé par la revue. Pour diffuser sa revue, Rachid Rida voyage à travers le monde musulman. En 1909, il fonde au Caire un séminaire pour former des propagateurs de l’Islam réformiste. Faute de candidats en nombre suffisant, il abandonne le projet.

En politique, il s’oppose au mandat français sur la Syrie en 1918. En 1921, il est premier vice-président de la délégation syrienne indépendante à la Société des nations. En 1926, il prend une part active aux congrès panislamiques du Caire et de la Mecque qui visent à ressusciter un califat Qoraychite. Mais le résultat c’est l’échec complet.

Rachid Rida continue à éditer sa revue. Il meurt au Caire le 24 octobre 1935.

Avec lui s’éteint aussi la revue al Manar.

Sa doctrine

1. Soucieux d’un Islam pur et authentique Rachid Rida, à la suite de ses maîtres, fait appel au retour aux deux sources fondamentales à savoir, le Coran et le

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Hadith. D’où son application à l’étude du commentaire du Coran de son Maître Muhammad Abduh où sont développées ses idées novatrices. Rachid Rida, ne se contentera pas de les répandre, mais il s’en servira largement comme arguments apologétiques et polémiques. Quant au Hadith, Rachid Rida s’est attelé à en faire faire une édition très soignée et d’un abord agréable, mais sans analyse critique, et sans étude sérieuse sur le problème de leur historicité et authenticité.

Sans prendre le rang de ces deux sources, une autre référence privilégiée est

retenue et mise en avant comme “source éclairante” et non comme données canoniques : c’est la tradition des salaf, c.-à-d. le témoignage des “pieux devanciers”.

Le terme “salaf”, “les devanciers”, désigne une réalité à la fois historique et culturelle. Il implique l’idée d’antériorité à laquelle est liée une autorité et une exemplarité, vue la parfaite orthodoxie des devanciers et leur grande piété, et, par dessus tout leur expérience historique au contact du Prophète pour les uns, au contact des compagnons du Prophète et de leurs successeurs pour d’autres. Les salaf sont les témoins exemplaires et représentent l’orthodoxie islamique à une période donnée de l'histoire.

Pour Rachid Rida, les salaf ce sont les éminents représentants de la communauté islamique primitive, celle du premier âge qui recouvre les trois premières générations, à savoir, celle du Prophète et de ses Compagnons (sahâba), celle de leurs suivants (tâbi'un) et celle des continuateurs de ces derniers. Rachid Rida se base sur deux Hadith ! « La meilleure des générations c’est la mienne, puis la suivante, puis celle qui vient après ». – « Honorez nos compagnons et ceux qui les suivront et ceux qui suivront ces derniers ; après quoi apparaîtra le mensonge ».

Ceci dit, on constate que les réformistes modernes ne refusent pas de prendre en considération, en dehors de la période des salaf définie ci-dessus, l’apport des docteurs indépendants qui furent, à l’exemple des salaf, libres de tout sectarisme et soucieux de sauvegarder l’intégrité de la sunna et la cohésion de la Umma. Ce sont les grands penseurs et mystiques sunnites de l’Islam, tels al-Ghazali (1111), al Djuwyni (1147), Ibn Taymiyya (1328). C’est aussi dans la lignée de tels rénovateurs de l’Islam et fidèles transmetteurs de la pensée des salaf, que s’inscrit le nom de Muhammad Abduh, considéré comme le maître qui véritablement inaugure le renouveau islamique au seuil du XXe siècle.

Ainsi les salaf représentent le milieu nécessaire de compréhension du Coran et de la Sunna.

2. La purification de l’Islam de toutes innovations malsaines introduites

surtout par les confréries religieuses musulmanes, tel le culte des saints “awliya”, et toutes sortes de superstitions liées au culte des saints.

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Un autre malfait des confréries est signalé. Elles invitent à la “fuite du monde”, donc empêchent les musulmans à s’engager dans l’action, et les poussent à se réfugier dans des états spirituels artificiels avec soumission aveugle à un maître. Rachid Rida voit dans ces phénomènes une des raisons du déclin de l’Islam.

3. Le renouveau de la pensée musulmane pour élaborer des solutions aux

problèmes que pose l’époque moderne. C’est le rôle de l’ijtihad où la réflexion personnelle doit fonctionner. Ainsi Rachid Rida a lutté contre l'enseignement “figé” et décadent à Al Azhar. Ceci ne veut pas dire qu'il approuve les “libéraux” à l’occidental, qui ont tendance à ignorer les valeurs traditionnelles de l’Islam ou le rationalisme. Mais en même temps, il condamne le conservatisme des “'ulama” qui ne font qu’imiter aveuglément les autres. Il est pour la promotion de la femme, pour une morale sociale progressiste et pour la renaissance politique de la communauté musulmane.

4. Rachid Rida a écrit un ouvrage sur le califat. Sa thèse est la nécessité de faire

renaître un califat Qoraychite-hachémite, qui a été aboli, sous l'image du califat ottoman, en 1924. Pour lui, le califat est indispensable pour assurer l'unité de la Umma, qui, quoique fortement cohérente religieusement, est menacée d’éclatement par l’intrusion des facteurs politico-nationalistes. Le problème concret qui se pose est : où trouver cet homme digne du califat ? Rachid Rida constate qu’aucun des chefs d’États musulmans n’en est digne, faute de piété et de probité morale et, à cause des compromissions politiques et des alliances avec l’occident.

C’est alors que Rachid Rida a imaginé un système électif où le peuple désignerait ses représentants. Ceux-ci, réunis en un Congrès panislamique, éliraient un Calife parmi les descendants du Prophète, les hachemites. Son rôle serait celui d’un “murchid”, c.-à-d. un guide de la Umma, et d'un “mujtahid” c.-à-d. un juriste qui donne des avis au sujet des problèmes nouveaux. Ce rêve ne s'est pas vu encore réalisé.

« Le salafisme pur de Rachid Rida et de l’école du Manar, est mort avec les derniers compagnons de Rachid Rida, la disparition de la revue et des éditions. Il semblait d'ailleurs avoir épuisé sa puissance réformiste et se tournait de plus en plus vers le conservatisme. Paradoxalement, il est maintenant la doctrine des Cheiks des grandes mosquées, d’Al Azhar en particulier que Muhammad Abduh et Rachid Rida avaient tant combattu sans réussir à l’influencer. Ce qui est d’ailleurs significatif de la fin du salafisme en conservatisme » (Caspar. Traité de Théologie musulmane, p. 293).

Pour porter un jugement d’ensemble sur cet effort de réformisme, tenté par les penseurs remarquables et les promoteurs que je viens de présenter, je préfère rappeler ces pages d’un musulman contemporain Mohamad Talbi :

« Le réformisme, qu’il fut nationaliste comme celui d’Afghani, libéral comme celui d’Abduh, ou conservateur comme celui de Rachid Rida, a donné la preuve, en tant que doctrine d’ensemble se proposant de résoudre le problème de l’adaptation de l’Islam au diapason du monde moderne, soit de sa stérilité, en restant jusqu’ à nouvel ordre

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sans écho durable, soit de son caractère régressif en ouvrant en définitive la voie aux “Ikwan al-Mouslimun” du monde arabe, aux “Fedayin Islami” d’Iran et au “Dar al-Islam” d’Indonésie. Une restauration médiévale n’est pas la solution rêvée. Il y a donc une certaine antinomie dans l’option pour le réformisme et la modernisation des structures de la vie ». (Mohamad Talbi, « L'Islam et le monde moderne », “Se comprendre”, série saumon n° 38 du 15 novembre 1960).

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LES FRÈRES MUSULMANS

Le mouvement des Frères Musulmans est la conclusion poussée à l’extrême du mouvement réformiste issu d’al Afghani, de Muhammad Abduh et de Rachid Rida. Un retour aux sources doublé d’un radicalisme dogmatique qui, dans l’application de la shari'a ne tient compte ni de l’évolution de la société ni des nouvelles conditions de la vie moderne, explique le succès de ce mouvement auprès des foules. Ce mouvement a été fondé en 1928 en Égypte par Hassan al Banna. Né en Egypte en 1906, Hassan al Banna s’initia auprès de son père, versé dans les sciences religieuses et hanbalite, à la rigide morale hanbalite. Encore étudiant il était membre de trois associations religieuses :

jam'iyat al Akhlaq al adabiya, association du comportement moral. Elle exigeait une vie religieuse et morale stricte

jam'iyat raan' al muharramat, association pour prohiber les interdits dont les membres envoyaient des lettres aux “pécheurs”, pour les amener à la pratique.

Jam'iyat al 'amal al khayriyya, association d'œuvres de bienfaisance, association qui menait une lutte contre le travail et la présence des missionnaires chrétiens.

Plus tard, étudiant à l’école normale, il prêche pour le retour à la loi coranique

contre le courant “libéral” En 1927, il est nommé instituteur à Ismailia, et y fonde l’association des frères

musulmans. Il est nommé “guide général” et montre un grand talent d’organisateur. Il structure son mouvement sur le modèle communiste, avec des cellules de base dans tous les milieux de la vie, assemblées annuelles des délégués des cellules, bureau d'orientation, secrétariat général, branche militaire plus ou moins secrète. Tous les membres doivent obéissance aveugle au guide général.

Nommé instituteur au Caire, Hassan al Banna y transfère le siège de son association. À cette même époque s’organise une branche féminine : les sœurs musulmanes (1933). C’est une période d’intense agitation politique. L’association a été dissoute par le premier ministre Mahmud Fahmi al Naqrachi. Le 28 décembre 1948, un des frères musulmans assassine Noqrachi. Et, bien que Hassan al Banna ait désavoué ce meurtre, il est à son tour assassiné par la police égyptienne, le 12 février 1949. En 1952, après la révolution de Nasser, les frères musulmans bénéficient d’un régime de faveur. Mais, tout change quand un extrémiste fait une tentative avortée d’assassinat de Nasser pour son alliance avec la Grande-Bretagne.

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Alors, la répression est féroce. Hassan al-Hudaybi, successeur de al Banna, comme guide général est condamné à mort, mais sa peine est commuée en prison a vie.

La persécution redoublera en 1965 contre les frères musulmans accusés de complot contre le régime. Après la mort de Nasser, sous Sadate, en 1970, les frères musulmans connaissent une détente et retrouvent un deuxième souffle. Ils se lancent alors dans la voie de la propagation de leur projet et réclament un État Islamique selon la shari'a, la Loi coranique.

De nouveaux conflits surgissent avec Sadate ; puis ce fut l’assassinat de 1’ex-ministre des Waqf, le Cheikh al Dhahabî (juillet 1977) et de violents incidents confessionnels avec les coptes (juin 1981). Alors le gouvernement décide la grande purge (sept 81). Peu après, Sadate est assassiné (6 oct 85), par un des frères musulmans. Aujourd’hui, avec Moubarak, on passe de la répression à la tolérance, puis à des compromis, avec la volonté de se concilier les modérés, contre les extrémistes.

La doctrine des Frères Musulmans

Les Frères Musulmans ont voulu symboliser leur idéal et leur cadre de réflexion et de vie dans le slogan suivant : Dieu est notre but ; le Prophète est notre modèle ; le Coran est notre Loi ; la guerre sainte est notre voie, le martyr est notre souhait.

D’une certaine façon, la doctrine des Frères Musulmans est simple : il s’agit de revenir au Coran et d’appliquer toutes ses prescriptions à la lettre.

Au point de vue théologique, les Frères Musulmans s’inspirent du hanbalisme

d’ibn Taymiyya et du wahhabisme d’Arabie Sé'udite, du salafisme de Rachid Rida et de la doctrine “islamiste” de Mawdûdî (3). Ils tiennent au radicalisme de tous ces courants.

Ils n’admettent comme sources fondamentales de l’Islam que le Coran et le

Hadith, rejetant toute intrusion de la raison dans la réflexion religieuse, donc de toute théologie. Pour eux, “'ilm al Kalâm” a semé la division parmi les musulmans.

Quant au soufisme, les Frères musulmans l’admettent uniquement dans sa dimension ascétique (zuhd) et comme facteur qui favorise la piété, mais, ils rejettent l’aspect contemplatif qui distrait les militants de l'action à laquelle les Frères Musulmans tiennent.

Une des perspectives des Frères Musulmans c’est d’unir tous les musulmans

dans un islamisme commun indépendamment de leurs écoles juridiques ou de leur appartenance à telle ou telle branche de l’Islam. Le moyen, qu’ils proposent c’est le fondamentalisme (Coran et Hadith seuls) et le retour à la première communauté unie autour du Prophète. Ainsi toute révolution islamique, qu’elle soit menée par des Chi'ites ou sunnites ou autres, est considérée comme authentiquement islamique, à soutenir et à imiter.

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L’État islamique

Les Frères Musulmans visent partout à prendre le pouvoir, par tous les moyens, même révolutionnaires et armés, pour instaurer un État véritablement islamique, qui sera géré à la lettre selon la loi coranique, dans toutes ses déterminations y compris les peines légales. Pour eux, la souveraineté appartient à Dieu seul. S’il faut un calife ou imam, c’est uniquement pour faire appliquer la loi de Dieu. Le calife devra être assisté d’un comité d’experts en droit, les fuqahâ, pour élucider les cas difficiles. Le pacte d’allégeance (wala) entre le peuple et le calife ou l’imam assurera la fraternité entre tous les musulmans et la soumission de tous à Dieu.

Dans cet État islamique les incroyants n’ont aucune place ; ils sont à expulser ou à exterminer, Quant aux juifs et chrétiens, ils peuvent être tolérés aux conditions coraniques : payer le tribut de capitation, et rester “petits” (Coran 9,29) c’est-à-dire n'avoir aucune part à l’État islamique.

Les questions sociales

La répartition des richesses et des biens dépend du libre vouloir de Dieu, seul Propriétaire de tous les biens. Il les distribue à qui il veut, mais il veut que chaque être humain ait au moins le minimum vital. Ainsi la propriété privée est respectée. La justice sociale sera garantie par l’obligation de l’aumône légale : zakât. Le pouvoir a, en outre, le droit de prendre du superflu des riches pour donner aux pauvres.

Les “banques islamiques” remplaceront le système bancaire occidental fondé sur le prêt à intérêt, interdit par le Coran.

Quant au statut de la femme, les Frères Musulmans sont conservateurs. Tout

en avançant des déclarations de principe sur l’égalité de l'homme et de la femme, sur l’instruction des filles, sur la liberté du consentement au mariage, ils justifient au nom du Coran la polygamie, la répudiation unilatérale, l’inégalité de l’héritage, l’insistance pour dire que la vocation essentielle de la femme est le foyer, l’enfantement et la première éducation des enfants, les tâches domestiques.

Hassan al Banna définit l’Islam en cette phrase qui englobe tout : « L’Islam est :

doctrine et culte

patrie et nation

religion et action

esprit et action

livre et glaive »

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SAYYID QUTB

C’est un adib, homme de plume : il est considéré comme l’idéologue des Frères musulmans.

Il est né en 1906 à Mucha en moyenne Égypte. Après ses études, il est nommé

enseignant puis inspecteur. Ses ouvrages, à caractère autobiographique, et ses articles nationalistes et politiques attirent la colère des gouvernants, qui l’éloigne de l’Égypte en lui confiant une mission d’étude en Amérique. À son retour en 1951, il devient Frère musulman. Il est alors élu chef de la section propagande. Lors du conflit entre officiers libres et Frères musulmans, il est arrêté et condamné à 3 mois de prison. Le 8 octobre 1952, suite à la tentative d'assassinat de Nasser par un Frère musulman, Sayyid Qutb est de nouveau arrêté et condamné à 25 ans de prison. En prison il écrit ses deux importants ouvrages :

Sous l’égide du Coran

Signes de piste (Le que faire ? du mouvement islamiste). En 1964, Sayyid Qutb est libéré, mais une année après, un complot est

découvert. Sayyid Qutb est arrêté et condamné à la pendaison, en août 1966.

Pensée de Sayyid Qutb

Après l’échec des diverses civilisations et idéologie, l’heure de l’Islam est venue. Sa mission c’est de faire sortir l’Umma de l’état de jahiliyya dans laquelle elle s’est laissé entraîner, et, de susciter une résurrection islamique et un état islamique dont la souveraineté revient à Dieu seul. Une avant-garde sera créée pour l’exécution de ce projet. « Signes de piste » a été précisément écrit pour l'usage de cette avant-garde qui y apprendra la tactique nécessaire pour combattre la “jahilia”.

Comment détruire la “Jahiliyya” ?

La restauration de l’Islam nécessite une véritable révolution. Seuls le Prophète et ses compagnons – pas au delà des 4 califes, seront l’exemple à suivre. Un effort sera demandé à chaque musulman pour chasser la jahiliyya de sa tête, en méditant le Coran et s’abstrayant de toute culture non-musulmane, Pour que la société islamique change de jahiliyya en Umma dominée par Dieu, il faut rester toujours en mouvement en approfondissant le Coran et dans un état de combat sacré : le jihad. Le combat se fait par le Livre et le sabre. Si le Livre n'est pas opératoire, c’est au sabre de prendre le relais.

Le mouvement réformiste aujourd’hui

Dans l’évolution du réformisme, Ali Merad discerne trois phases ;: 1. La première phase, au cours de laquelle Afghani et Abduh posent les

principes essentiels d’une réforme islamique totale, aura pour visée le relèvement de

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la communauté spirituellement et socio-politiquement. L’effet immédiat fut l’éveil de la conscience musulmane devant le monde moderne et la naissance d’aspirations et d’interrogations sur l’avenir de l’Islam.

2. La seconde phase sera celle de la mise en place du système doctrinal pour

définir l’idée de la réforme et la corroborer doctrinalement. Ce fut l’apport de Rachid Rida, qui s’est prolongé à travers de nombreux auteurs, dans différents pays musulmans. En dépit de son indéniable fécondité, l’oeuvre réformiste au cours de ce demi-siècle n’apporta pas de réponses satisfaisantes pour toutes les couches sociales de la communauté musulmane.

3. La troisième phase, depuis les années 50 à nos jours, est marquée par

l’avènement de mutations profondes socio-politiques des pays musulmans, ce qui affectera les réformistes. C’est le mouvement des Frères Musulmans qui s’imposera à l’attention du monde par l’action politique et les principes de la foi religieuse, tandis que les tenants de la tendance moyenne de la réforme apparaîtront comme les mainteneurs d’un système qualifié déjà de traditionnel. Ajoutons que beaucoup de personnalités religieuses ayant un rôle dans la réforme religieuse, se laissent absorber par les fonctions publiques en vue du pouvoir. Ils n’auront dès lors à fournir que des thèses “officielles” par pur opportunisme. La jeune génération, entraînée par de nouvelles philosophies ou idéologies plus ou moins combattantes et révolutionnaires et confrontées à des réalités sociales et politiques nouvelles, se montrera sceptique et doutera des vertus et des principes du réformisme des générations précédentes. La religion, si on a à l’aborder sera plutôt sollicitée par la politique qui s’en servira comme moyen de soulèvement et de mobilisation. Aussi, les principes doctrinaux dans les domaines socio-économiques des réformistes ne semblent pas enthousiasmer la jeune génération, attirée davantage par les propositions des États arabes modernes, sous forme de programme et de chartes.

Tout indique que ni l’échelle des valeurs du réformisme, ni sa problématique ne semblent en harmonie avec celles de la génération montante. Quand le réformisme sera invoqué, cela sera pour appuyer l’idéologie politique officielle, non pour ses valeurs religieuses ou par souci d’un Islam pur et authentique. Dans un tel contexte socio-culturel et politique, le public réformiste lui-même finit par évoluer selon deux courants : un courant libéral, partisan d’une adaptation globale de la vie musulmane au monde moderne, et un courant strictement orthodoxe décidé à sauvegarder l’intégrité du message islamique initiale, en dépit de toutes les oppositions et de tous les obstacles : ce dernier courant est la mission que s’est donnée et essaie de réaliser, aujourd’hui comme avant, le mouvement des Frères musulmans et ses branches.

Pour terminer, Ali Merad attire l'attention sur le fait, qu’en dehors de ces deux

courants qui s’excluent, il existe aujourd’hui un réformisme musulman qui veut échapper au dogmatisme figé des mouvements monolithiques, et se veut être le lien de rencontre de nombreux penseurs et chercheurs universitaires qui se sentent

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concernés par le devenir de l’Islam dans le monde contemporain et qui s’efforcent de donner à la culture islamique un nouveau départ.

Edition et mise en page : www.domuni.eu