Upload
jsremeraude
View
30
Download
0
Embed Size (px)
Citation preview
no
26 Fvrier 2014
EMERAUDE
Un Essai apologtique
La pierre prcieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'meraude, se voit insulte par un morceau de
verre habilement truqu, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procder un examen et de dmasquer
la faute. Et lorsque de l'airain a t ml l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisment le vrier ?
(Saint Irne, Contre les Hrsies)
Table des matires
Le scientisme, une religion en
chec. . . . . . . . . . . . . . . 1
Foi et Raison selon la doctrine
catholique . . . . . . . . . . . 4
Les Rvolutions scientiques du
XXe sicle : une vritable
remise en cause . . . . . . . . 7
Les prambules de la physique
quantique . . . . . . . . . . . . 10
Principes de la physique quantique 13
Les direntes interprtations du
droit musulman . . . . . . . . 16
meraude est aussi un blog :
emeraudechretienne.blogspot.com
Un essai apologtique audacieux...
Nos lecteurs pourront trouver trange notre essai apologtique, surtout aprs la
lecture de cette meraude. Est-il en eet opportun de parler de physique
quantique quand notre objectif est de dfendre la foi ? N'y a-t-il pas d'autres
sujets plus urgents et plus simples ? Certes l'tude des sciences modernes nous
a permis de trouver quelques arguments pour carter le dterminisme laplacien
comme l'tude de l'volutionnisme nous est aujourd'hui protable. Nous constatons
rgulirement combien il imprgne l'opinion et la manire de penser de beaucoup
de nos contemporains. Mais est-ce une raison susante pour nous engager sur un
chemin si prilleux et dicile ?
La physique quantique est issue d'une vritable rvolution scientique qui a
boulevers nos connaissances. Un homme de notre sicle ne voit plus le monde
comme ses aeuls. Pouvons-nous alors croire que cette rvolution scientique n'a
perturb que les scientiques ? Depuis que nous avons commenc notre tude, nous
constatons en eet combien son tour, elle a inuenc notre manire de penser et
notre comportement.
Si la science et la foi portent sur des domaines dirents, elles agissent sur le mme
individu. Ce sont deux modes de connaissance de nature et de qualit direntes
mais ont la mme nalit : la connaissance du Monde, de la Vie et de l'Homme.
Si des discours scientiques viennent armer que la vrit n'est qu'une ction,
que devient alors la foi ? Or rcemment, un de nos proches a t confront un
tel discours. Heureusement, nous tions entrain d'tudier cette "philosophie" tire
d'une interprtation de la physique quantique. Nous avons ainsi pu lui apporter
quelques brefs claircissements, hlas encore bien insusants notre got. Cette
rcente exprience nous a convaincus que nous tions sur une bonne piste.
Mais au-del de nos progrs personnels, est-ce vraiment utile de poursuivre et de diuser ce travail ? Parfois nous soupirons
en eet devant une tache si ingrate. Mais rapidement la triste ralit nous interpelle. Alors que nous prenons conscience des
ides pernicieuses qui se dgagent des interprtations scientiques, nous constatons notre grande stupfaction que peu de
livres et de textes traitent de tels sujets au regard de la foi. Lors de nos recherches sur le theillardisme, nous avons t surpris
et peins du silence assourdissant chez les dfenseurs de la foi alors que les ouvrages en faveur de ces idologies envahissent
les librairies. Autrefois pour rpondre de telles attaques, nous pouvions utiliser des ouvrages srieux de grande qualit mais
dj vieux d'un sicle environ. Mais si de telles livres rpondent en partie certaines accusations rcurrentes, ils semblent
bien illusoires devant les progrs de la connaissance et de l'erreur...
Le scientisme, une religion en chec.
Quand il parle de la rsurrection aux philosophes grecs l'Aropage, Saint Paul obtient moquerie et raillerie. Nous
t'entendrons l-dessus une autre fois (Acte des Aptres, XVII, 32). Dans son ouvrage contre les chrtiens, le philosopheCelse ironise aussi sur la doctrine chrtienne qui lui parat si peu raisonnable, faite d' illusions grossires et si misrable
qu'elle ne peut attirer qu'une troupe d'enfants, d'esclaves ou de gens simples
1
. Il reproche au christianisme de ne
pas donner la primaut la raison et de recourir des fables pour sduire les foules. Nous ne devons pas, dit-il,
recevoir aucun dogme qu'aprs avoir pris conseil de la raison, et que suivant ce qu'elle nous dicte, parce qu'autrement on
est sujet se tromper dans les opinions qu'on embrasse . Dans son ouvrage sur le livre de Celse, le philosophe Louis Rougier
1. Celse, Expos de la vrit ou Discours Vrai, cit dans Contre Celse d'Origne. Voir meraude, fvrier 2012, Celse et Origne,
un combat qui dure encore
1
(1889 1982) condamne l'clipse mentale, le sommeil magique que le christianisme, vritable mancenillier mystique, a faitsubir la pense humaine, pendant plus de quinze sicles
2
. Le christianisme aurait bris les progrs de la science
qu'auraient initis les Grecs.
Nous retrouvons un mpris semblable au XVIIIe sicle. Voltaire et les philosophes des
Lumires accusent l'glise d'tre contraire la raison et de vouloir enfermer l'homme
dans l'ignorance et l'obscurantisme. L'Encyclopdie est l'arme du savoir pour terrasser
l' Infme . De nombreuses fables contre l'glise datent de cette poque. Il est surprenant que
pour combattre l'glise juge ignorante et obscurantiste, ses adversaires utilisent le mensonge et la
caricature.
Au sein mme de l'glise, le philosophe Teilhard nous dcrit le chrtien moyen dans des termes peu
logieux et accuse l'glise de ne pas adapter son discours et sa doctrine au progrs de la connaissance.
Combien de chrtiens contemporains qui se disent ouvertement catholiques souhaitent dpoussirer
et moderniser l'glise tant elle leur parat obsolte, contraire l'esprit du temps ?
Finalement, le christianisme est peru comme un obstacle la Raison et la Science. Or, ces dernires sont
considres comme facteur essentiel au progrs scientique et sociale de l'humanit. Ainsi on l'accuse de s'opposer au
bonheur des hommes. L'accusation est parfois plus astucieuse. Certains ne condamnent pas le christianisme en tant que
tel mais l'glise et plus prcisment la structure visible de l'glise. Mais qui atteint l'une blesse invitablement l'autre.
Les succs de la science au XIXe sicle
Ces attaques contre l'obscurantisme prtendu de l'glise sont encore plus vive lorsque les progrs de la connaissance et
les progrs techniques exaltent les capacits intellectuelles de l'homme. Ainsi au XIXe sicle le christianisme fait l'objet de
virulentes railleries de la part d'intellectuels et de scientiques. Forte de ses avances extraordinaires et des inventions qui
en dcoulent, la science apparat comme une nouvelle religion, rationnelle et humaine, destine remplacer la
religion chrtienne.
Le XIXe sicle est en eet une poque extraordinaire au niveau de la connaissance et des progrs
techniques. En peu de temps, la socit a t profondment transforme. Nous lui devons l'lectricit, des moyens de
transport multiples et rapides, des moyens de communication trs ecaces,... C'est aussi l'poque de savants minents :
Maxwell, Pasteur, Lavoisier, ... Toutes les sciences se sont brillamment dveloppes en moins d'un sicle. Brillante
poque d'eervescence intellectuelle et technique ! Heureux temps o gris par ses succs, l'homme se prend comme le vritable
matre des terres et des ocans ! Le Monde est devenu un vaste champ d'exploitation d'o sortent les richesses et les usines.
Indniablement, l'ignorance et l'impuissance semblent reculer devant l'avance de la connaissance et de la
technologie. Rien ne semble s'opposer au progrs. Selon Taine, l'accroissement de la science est inni .
Les hommes dcouvrent ainsi toute l'tendue de la puissance de la raison. Ils peuvent lgitimement s'merveiller de leurs
exploits et de leurs dcouvertes. Mais pour certains, l'merveillement se transforment en adoration, en idoltrie. Le
XIXe sicle marque le triomphe du scientisme, triste avatar du rationalisme. La raison apparat comme l'expression
suprme du monde et de l'homme, comme la mesure des choses
3
.
Le scientisme, l'imprialisme de la science
Des scientiques, des philosophes, des penseurs, des sociologues et bien d'autres encore voient
dans la science la seule source des progrs de l'humanit. Le scientisme s'appuie sur quelques
principes :
le Monde est uniquement intelligible par la science ;
seules sont valables les connaissances qui rsultent de la science ;
la science est seule capable de rsoudre tous les problmes qui se posent l'homme ;
la raison n'a pas d'autres tches que de dvelopper la science.
Le scientisme revte la science d'une certitude absolue et arme sa primaut dans la recherche de la
connaissance. La science est un systme clos qui sut elle-mme. Rien ne doit donc lui faire obstacle ou freiner
son avance. Tout autre mode de connaissance est alors mprisable. En dehors de la science, on ne peut esprer construire
un dice qui ait quelque chance de durer
4
.
Ainsi la science doit tre capable de tout expliquer et toute armation qu'elle ne propose pas est sans fondement. Le
monde est aujourd'hui sans mystre. En tout cas, l'univers entier est revendiqu par la science et personne n'ose plus rsister
2. Louis Rougier, Celse contre les Chrtiens, la raction paenne sous l'empire romain, Chapitre IX.
3. Daniel Rops, L'glise des nouveaux destins, Chap. VI, 1960.4. Berthelot, Les Origines de l'Alchimie, 1885.
2
en face de cette revendication
5
.
Renan
(1823-1892)
Selon les scientistes, la science est donc suprieure tous les autres modes de la
connaissance, par exemple la philosophie et la mtaphysique. Elle se substitue eux. Renan
a envisag dans l'Avenir de la science l'poque o la science se substituerait la philosophie,
la religion et mme la posie.
6
Renan rve d'une philosophie scientique
7
. Nous pourrions
ainsi rsumer le credo du scientiste : je crois l'avenir de la science, et la science seule rsoudra
toutes les questions qui ont un sens ; je crois qu'elle pntrera jusqu'aux arcanes de notre vie
sentimentale.
8
Mais le scientisme renferme une contradiction fondamentale : le fait de confrer un caractre exclusif
la science et la vrit scientique est une thse philosophique qui n'est pas tire de la science.
9
La science, une nouvelle religion
Si la science est la matresse de toute connaissance, elle doit aussi dnir ce que doit connatre l'homme
puis les relations sociales et les principes sur lesquels repose la socit. Elle devient nalement le fondement
de la socit elle-mme. Considres dans le pass, les sciences ont aranchi l'esprit humain de la tutelle exerce sur lui
par la thologie et la mtaphysique et qui, indispensable son enfance, tendait ensuite la prolonger indniment. Considres
dans le prsent, elles doivent servir soit par leurs mthodes, soit par leurs rsultats gnraux, dterminer la rorganisation
des thories sociales. Considres dans leur avenir, elles seront, une fois systmatises, la base spirituelle de l'ordre social,
autant que durera sur le globe l'activit de notre espce
10
.
La science doit donc diriger les hommes. Selon Bachelot, elle doit assurer la direction matrielle, intellectuelle
et morale de la socit et permettre de fonder une morale scientique destine remplacer la morale religieuse .
11
C'est ainsi que le scientisme envahit les sciences sociales. Il touche aussi le politique, l'ducation, l'art... Nous n'avons
pas le droit d'avoir un dsir, quand la raison parle ; nous devons couter, rien de plus ; prts nous laisser traner pieds
et poings lis o les meilleurs arguments nous entranent.
12
La socit doit s'organiser scientiquement comme le prne
Saint-Simon. Finalement, le scientisme est l'imprialisme de la science de laboratoire sur tous les domaines de la pense et
de la conscience de l'homme.
13
Mais les scientistes ne sont pas les seuls prtendre dlivrer la connaissance absolue et les solutions
tous les besoins de l'homme et de la socit. La religion prtend aussi cet absolu. Le conit est
alors invitable. La religion apparat en eet comme un obstacle combattre ou plutt le
prambule dornavant dsuet d'une nouvelle religion que la science annonce et prpare.
Disciple dle de Renan et scientiste convaincu, le biologiste Flix Le Dantec annonce un ge qui
concidera ncessairement avec l'ge religieux, dans la mesure o, accdant un tat plus parfait,
la science sera l'intelligence toute entire de la nature humaine et apportera ce titre une rponse
dnitive au problme dont les religions avaient impos la rponse.
14
Une vision de l'Univers
La science concurrence donc les autres modes de connaissance et doit les remplacer. Mais le scientisme va au-del. Il
rclame aussi la primaut dans l'objet mme de la connaissance. La connaissance scientique doit eacer tout autre
forme de connaissance. La science peut rvler les secrets du Monde car seuls les secrets qu'elle saisit sont rels. La ralit
qu'elle peroit eace toute autre ralit. Hors des yeux de la science, rien n'existe. Le scientisme cherche donc imposer
une vision de la Vie et du Monde. Un de ses objectifs est alors de remplacer Dieu. Ce n'est pas une exagration
de dire que la science renferme l'avenir de l'humanit, qu'elle seule peut lui dire le mot de sa destine et lui enseigner la
manire d'atteindre sa n... L'uvre moderne ne sera accomplie que quand la croyance au surnaturel sous quelque forme que
ce soit sera dtruite... La raison, aprs avoir organis l'humanit, organisera Dieu.
15
Ma religion, c'est toujours le progrs de la raison, c'est--dire de la science
16
5. Berthelot, Les Origines de l'Alchimie, 1885.6. Moural I., Petite Encyclopdie Philosophique, ditions Universitaires, 1995.7. Ernest Renan, in uvres compltes, t. III, Paris, Calmann-Lvy, 1949, cit dans Franoise Balibar, Le scientisme, Lacan, Freud et LeDantec, in Alliage, n
o 52, octobre 2003, La Science de la Guerre.8. Le Dantec, cit dans Franoise Balibar, Le scientisme, Lacan, Freud et Le Dantec.
9. Confrence prononce au Colloque International Le d du scularisme et le futur de la foi, au seuil du troisime millnaire,
Universit Urbanienne, Rome, 30 novembre 1995, Georges Cottier O.P.10. Auguste Comte (1798 1857) cit dans Jean-Pierre Lonchamp, Science et croyance, DDB, 1992.11. cit dans Franoise Balibar, Le scientisme, Lacan, Freud et Le Dantec.
12. Renan,Wikipdia.
13. Louis Jugnet (1913 1973) , Problmes et grands courants de la philosophie, http ://fr.calameo.com.14. Flix Le Dantec, Contre la mtaphysique, Alcan, 1912, cit dans Franoise Balibar, Le scientisme, Lacan, Freud et Le Dantec.15. Renan, L'Avenir de la Science, 1849.16. Renan, L'avenir de la science, dans Du scientisme au relativisme de Denis Collin, denis.collin.pagesperso-
3
Avec le dveloppement des sciences, les scientistes proclament donc un avenir radieux pour la socit. Elle doit accomplir
ce qu'a prvu Descartes : grce la mise en uvre de la nouvelle mthode dans les sciences, nous allons pouvoir nous
rendre comme matres et possesseurs de la nature.
17
Un nouveau messianisme du progrs de l'intelligence et de
la technique se dveloppe. Diuse par les mdias et l'enseignement, l'idoltrie atteint la socit. Dans leur dlire, certains
scientistes prdisent la mort du christianisme, voire annoncent la mort de Dieu. Il est dsormais pour moi aussi vident
que le jour, que le Christianisme est mort et bien mort, et qu'on ne saurait plus rien en faire qui vaille.
18
Le XIXe est le sicle o le scientisme triomphe. Mais rapidement, ses partisans vont dchanter devant les nouvelles
dcouvertes de la science et devant ses monstruosits. Au sicle suivant, la science rvlera non seulement son impuissance et
ses limites mais galement sa puissance destructrice. Contrairement aux prophties, elle sera incapable de rpondre
aux rves des hommes. Ce sera une cruelle dsillusion, voire un vritable dsespoir. Face cette ralit amre, une
nouvelle hrsie de la connaissance se dveloppera : le relativisme. Puisque la matresse des connaissances ne peut
nous clairer avec certitude, il n'est donc pas possible de connatre. Tout devient incertain. Tout n'est nalement qu'opinion.
Autre eet nfaste d'une idoltrie de la raison !
En dpit de ses checs, le scientisme n'a pas totalement disparu. Il reste mme vivace dans la mentalit collective.
Les mdias abusent toujours des discours scientiques comme paroles d'vangile. Il persiste aussi dans les sciences de la nature
et de la vie. Seules les sciences de la matire semblent avoir nalement abandonn leurs prtentions. Face un discours en
apparence scientique, il est donc ncessaire de dceler s'il n'est pas scientiste.
Les chrtiens se sont toujours opposs au rationalisme et au scientisme. Tout en reconnaissant la valeur de la raison et
de la science, l'glise ne les surestime pas. Elle connat la valeur des dirents modes de connaissances et sait les mettre
leur place. Au lieu de les exclure, le christianisme a su les harmoniser an que chacun dans son domaine lve l'homme vers
la Vrit. Elle est convaincue que sans la Sagesse, sans la droite raison, il n'y a pas de vritable connaissance...
Foi et Raison selon la doctrine catholique
Au XIXe sicle, de nouveau, on proclame l'incompatibilit entre la foi et la raison. Pire, on suggre qu'en adhrant l'une,
nous serions opposs l'autre. Celui qui croirait serait en contradiction avec la raison. Celui qui chercherait comprendre la
foi la trahirait.A plusieurs reprises, l'glise catholique a solennellement rappel qu'il n'y avait pas d'opposition
entre ces deux modes de connaissance.
Trois textes principaux dnissent la doctrine catholique sur les rapports entre la foi et la raison :
Qui Pluribus (9 novembre 184), une encyclique du Pape Pie IX. Dei Filius (28 avril 1870), une constitution dogmatique issue du Concile de Vatican I (1870) ; Fides et Ratio (14 septembre 1998), une encyclique du Pape Jean-Paul II.
D'aprs la doctrine catholique, trois traits caractrisent les rapports entre la foi et la raison :
la foi et la raison sont deux principes de connaissance distincts ;
loin d'tre en dsaccord, ils doivent se prter un mutuel concours ;
l o les deux principes se rencontrent, la foi est au-dessus de la raison.
Atteindre la vrit par la foi et la raison
L'homme est capable de dsirer et de chercher la vrit. La qute de la vrit est une de ses caractristiques
fondamentales. Que recherche l'homme ? La rponse des questions essentielles, rponses qui donnent sens l'existence des
choses, sa propre existence. La qute de sens est pressante dans le cur de l'homme (Fides et Ratio, 1). Ce dsir dela vrit n'est pas vain. Il peut l'atteindre. Cependant, la plnitude de la vrit ne se manifeste qu'en Dieu.
Comment l'homme peut-il connatre la vrit ?Deux ordres de connaissance lui sont accessibles : la connaissance
naturelle et la connaissance surnaturelle. Pour les atteindre, deux moyens distincts : la raison naturelle et la
foi divine. L'glise a toujours tenu et tient encore qu'il existe deux ordres de connaissance, distincts non seulement par
leur principe mais aussi par leur objet. Par leur principe, puisque dans l'un c'est par la raison naturelle et dans l'autre par la
foi divine que nous connaissons. Par leur objet, parce que, outre les vrits que la raison naturelle peut atteindre, nous sont
proposs croire les mystres cachs en Dieu, qui ne peuvent tre connus s'ils ne sont divinement rvls (Dei Filius,
Chap. IV, denz. 3015).
Ces deux modes de connaissance distincts se compltent harmonieusement. La foi et la raison sont comme
les deux ailes qui permettent l'esprit humain de s'lever vers la contemplation de la vrit (Fides et Ratio).
orange.fr/scientisme.htm.
17. Descartes, Discours de la mthode, VIe partie.
18. Berthelot, E. Renan et M. Berthelot, Correspondances 1847 1892, Calmann Lvy, 1898.
4
Les erreurs lies la recherche de la vrit
L'homme dispose de multiples ressources naturelles pour progresser dans la voie de la vrit, notamment par la philosophie
et par la science. Faut-il aussi qu'il soit instruit et form pour les exercer ecacement et pleinement. Nanmoins, elles ne sont
pas susantes par elles-mmes pour rechercher le vrai et pour former la pense. Dtournes de leur vocation, qui est la
recherche de la vrit, nos ressources naturelles peuvent tre sources d'erreurs et de perversion de l'esprit.
Les capacits spculatives peuvent tre surestimes au sens o l'homme ne songe qu' s'appuyer sur elles pour progresser
dans le vrai. Il vient alors remettre en cause toute connaissance qui ne proviendrait pas de sa raison. Le rationalisme et
le scientisme ont dvelopp et rpandu cette erreur, en particulier au XIXe sicle. Or outre la connaissance propre de la
raison humaine, capable par nature d'arriver jusqu'au Crateur, il existe une connaissance qui est propre la foi (Fides
et Ratio), connaissance qui est la vrit trs certaine .
Elles peuvent tre aussi sous-estimes ou galvaudes. Le disme et le traditionalisme du XIXe sicle en sont des
exemples. Nous pouvons aussi citer le relativisme et le scepticisme. La croyance de ne jamais atteindre le vrai et d'tre dans
l'illusion ou encore l'usage de multiplier des propositions qui lvent l'phmre au rang de valeur (Fides et Ratio)
ruinent non seulement toute qute de sens et de vrit mais enlvent la raison toute ecacit. Comment l'homme peut-il
connatre la vrit en tant persuad de son incapacit de l'atteindre ? Nous revenons au principe mme de la connaissance
qu'avait dni Saint Augustin
19
. Cette croyance en l'impossibilit de connatre le vrai a un fondement philosophique. Elle a
t rendue possible cause de la philosophie qui a perdu sa vocation originelle, qu'est de former la pense et la culture par
l'appel permanent la recherche du vrai (Fides et Ratio).
Foi et raison, pas de dsaccord mais mutuel concours
Chaque mode de connaissance a son domaine respectif. Le domaine de la foi,
ce sont les vrits de la Rvlation. Certaines vrits sont accessibles la raison, d'autres
non. Elles ont t rvles par Dieu pour tre connues avec certitude. Le domaine de la
raison, ce sont les vrits que la raison peut dcouvrir par ses propres forces. De droit,
elle peut atteindre avec certitude des vrits naturelles de la religion comme l'existence
de Dieu, principe et n de toutes choses. Extrmement utile, la rvlation des
vrits naturelle est en fait indispensable pour connatre avec certitude et sans
mlange d'erreurs, compte tenu de la nature dchue de l'homme suite au pch
originel.
Les deux modes de connaissance proviennent de Dieu. Dieu a parl aux Patriarches, aux Justes, aux Prophtes
de l'Ancien Testament. Notre Seigneur Jsus-Christ, le Verbe fait chair, est intervenu directement ici-bas pour apporter la
lumire. La Parole de Dieu se rvle dans la Sainte Bible et la Tradition. Dieu est aussi crateur de l'homme et donc de ses
capacits spculatives
20
.
Dieu n'a pas simplement donn l'homme les moyens de connatre la vrit. Il en a donn aussi le dsir indispensable
sa recherche. C'est Dieu qui a mis au cur de l'homme le dsir de connatre la vrit (Fides et Ratio).
Il ne peut donc y avoir de contradiction entre la Rvlation et la raison sans remettre en cause la
Sagesse divine. Elles participent une mme nalit et se prtent un mutuel concours. La raison prpare les fondements
intellectuels sur lesquels la foi doit se reposer. Quand la foi est en possession des vrits rvles, la raison les rend intelligibles,
comprhensibles, autant qu'elle puisse le faire. La foi claire la raison et l'encadre, l'empchant de s'garer dans les erreurs.
Elle stimule et lve la raison en lui proposant de nouveaux horizons. La droite raison dmontre les fondements de la foi,
et, claire par la lumire de celle-ci, elle s'adonne la science des choses divines. Quant la foi, elle libre et protge la
raison des erreurs et lui fournit de multiples connaissances (Dei Filius, chap. 4, denz. 3019).
Comme le souligne la Sainte criture, il existe une profonde et indissoluble unit entre la connaissance de la raison et
celle de la foi (Fides et Ratio). Il n'est pas possible de regarder et d'tudier compltement le Monde sans professer en
mme temps la foi en Dieu qui y opre. Sans cette unit, il n'est pas possible de connatre rellement le Monde.
En rompant cette unit fondamentale dans l'ordre de la connaissance, l'homme devient insens. Il s'imagine beaucoup de
choses, mais en ralit il n'est pas capable de xer son regard sur ce qui est essentiel (Fides et Ratio, 6).
La foi suprieure la raison
La foi et la raison sont matresses dans leur domaine respectif. Mais il arrive que les connaissances accessibles l'un ou
l'autre mode se croisent. Soit des vrits rvles peuvent tre accessibles la raison, soit des vrits inaccessibles la raison
19. meraude, janvier 2014, articles "Croire pour comprendre".20. De manire directe, contrairement ce que suggre Teilhard qui voit ses capacits spculatives comme l'uvre de l'volution, le rsultat
d'une conscientisation de la vie.
5
ont indniablement des relations avec des vrits de raison. Dans ce cas, la raison doit se conformer aux vrits de foi.
Toutefois, l'glise ne sous-estime pas la raison. La droite raison peut accder des vrits essentielles d'ordre naturel.
Elle n'acquiert sa pleine signication que si son contenu est plac dans une perspective plus vaste, celle de la foi (Fides
et Ratio). Ainsi clair par la foi, l'homme dcouvre le sens profond des choses.
Retour Adam et ve
Dieu a interdit nos premiers parents de goter aux fruits de l'arbre de la connaissance du bien et du mal. L'homme ne
peut pas par lui-mme, et en particulier par la raison, dcider ce qui est bien et ce qui est mal. Il est dans l'obligation de
se rfrer un principe suprieur, une connaissance qui vient de Dieu.
Par la dsobissance d'Adam et d've, l'homme est bless dans sa nature. Cette blessure a atteint la raison qui l'entrave
sur le chemin de la pleine vrit. Dsormais, la capacit humaine de connatre la vrit est obscurcie par l'aversion envers
Celui qui est la source et l'origine de la vrit (Fides et Ratio). La lumire de la foi est donc essentielle pour
ouvrir les yeux de la pense. A cause du pch originel et de tout pch, la raison peut s'garer dans ses principes ou
dans un raisonnement faux et vain.
La raison naturelle est limite...
En outre, comment la raison peut-elle atteindre des vrits qui la dpassent ? La mort
de Notre Jsus-Christ sur la Croix est folie pour la sagesse humaine. Le plan de Dieu n'est pas
comprhensible selon notre regard naturellement restreint un Monde bien limit. Il ne s'explique
pas dans sa totalit par une construction intellectuelle invitablement partielle et fragile. Ce n'est
pas la sagesse des paroles mais la Parole de la Sagesse qui est bien critre de vrit. Si la lumire
de la raison naturelle ne nous permet pas de comprendre les volonts divines dans
toutes leurs dimensions, elle permet nanmoins l'homme de recevoir cette sagesse et
d'accder la vrit que seule peut donner la foi.
La foi suppose et perfectionne donc la raison. La raison, claire par la foi, est libre des fragilits et des limites
qui proviennent de la dsobissance du pch, et elle trouve la force ncessaire pour s'lever jusqu' la connaissance du mystre
de Dieu, un et trine (Fides et Ratio, 43). C'est pourquoi l'homme n'est ni ananti ni humilie lorsqu'elle donne sonassentiment au contenu de la foi ; celui-ci est toujours atteint par un choix libre et conscient (Fides et Ratio, 43).
Tout en tant ncessaire et utile...
Mais la foi demande que son objet soit compris avec l'aide de la raison ; la raison, au sommet de sa recherche, admet
comme ncessaire ce que prsente la foi (Fides et Ratio). L'homme ne peut donc mpriser sa raison en croyant par
exemple qu'elle est inutile. La foi ne s'oppose pas la raison. Elle ne la craint pas non plus. Car la raison n'a pas
pour vocation de juger du contenu de la foi mais de savoir trouver un sens, de dcouvrir des raisons qui permettent tous
de parvenir une certaine intelligence du contenu de la foi (Fides et Ratio).
C'est pourquoi l'glise a toujours arm la ncessit de la rexion de la foi (Fides et Ratio, 6) comme elle atoujours apprci les eorts de la droite raison pour rpondre sa nalit. Elle l'a toujours considre capable de connatre
des vrits fondamentales, comme une aide indispensable pour approfondir l'intelligence de la foi (Fides et Ratio, 5).
Cependant, nous ne pouvons pas atteindre la plnitude de la vrit par la foi et la raison. Les mystres
divins, par leur nature mme, dpassent tellement l'intelligence cre que, mme transmis par la Rvlation et reus par la
foi, ils demeurent recouverts du voile de la foi, et comme envelopps dans une certaine obscurit, aussi longtemps que, dans
cette vie mortelle, nous cheminons loin du Seigneur (Dei Filius, chap. 4, Denz. 3017).
La foi et la science
Fille de la raison, la science se caractrise normalement par le libre examen et la libre recherche de la
vrit tandis que la foi n'est libre ni dans ses mthodes, ni dans ses conclusions. La premire est en mode de
recherche, la seconde, d'obissance. La science tablit des hypothses et tente d'expliquer les phnomnes dont elle est tmoin.
Elle construit de manire rationnelle un modle de la ralit, susceptible notamment de sauver les apparences . La foi
reoit des vrits auxquelles l'homme doit se soumettre sans s'appuyer sur des dmonstrations ni sur des raisons de croire ni
sur les choses qu'il croit. La science doit suivre les principes de la raison quand la foi ceux de l'autorit.
Un cours dans une
universit mdivale
(XVIe)
Mais comme nous l'avons souvent montr, la ralit n'est pas aussi simple que cela.
Toute science se btit partir d'une croyance et est fortement imprgne par l'environnement
dans laquelle elle s'labore. La libert du scientique n'est qu'un leurre. Les
6
concepts qu'il utilise, son ducation, sa culture, son langage et sa formation scientique,
la qualit de ses instruments encadrent et orientent invitablement ses recherches et ses
discours. La science n'est pas isole du Monde qu'il tudie. L'intuition intervient enn
dans le progrs scientique. Ainsi la science est plus ou moins l'uvre de la
raison.
Les motifs de crdibilit
Le dle ne peut pas arriver la foi par la raison. Nanmoins, l'assentiment de la foi n'est
nullement un mouvement aveugle de l'esprit (Dei Filius, Chap. 3, denz. 3010). Il peut en eetse convaincre qu'il est raisonnable de croire les mystres. L'hommage de notre foi est
conforme la raison (Dei Filius, Chap. 3, denz. 3009), compte tenu de la crdibilit destmoignages et des signes en faveur de la foi, c'est--dire du fait de l'existence de Dieu et de celui
de la Rvlation. Ce sont les motifs de crdibilit
21
. Ce ne sont pas des motifs de foi.
Les motifs de crdibilit sont des arguments nombreux, admirables, splendides qui doivent trs nettement convaincre
la raison que la religion chrtienne est divine. Ainsi rien n'est plus certain que notre foi, rien ne repose sur des
principes plus fermes . Les motifs de crdibilit sont des signes la porte de toutes les intelligences. Personne ne
peut croire avant de savoir d'une manire ou d'une autre que Dieu a parl.
Si la raison humaine est limite dans l'accessibilit la vrit, elle peut nanmoins connatre clairement et nettement
que Dieu est l'auteur de la foi. Elle ne peut pas progresser davantage, mais rejetant et repoussant toute espce de
dicult ou de doute, elle doit lui rendre hommage de la foi, puisqu'elle a la certitude que c'est Dieu qui a transmis tout ce
que la foi propose aux hommes de croire et de faire .
Avant de croire, le dle doit donc se rendre compte de deux jugements : la vrit
est croyable et elle doit tre crue. Les uns y parviendront par la raison, les autres par
d'autres moyens moins rationnels comme l'impression que fait une prdication ou le charisme du
prdicateur. Combien de conversions la foi ont t opres par des motifs personnels saisissants,
par l'hrosme d'un martyr, l'impression que produit le culte catholique, la parole et l'exemple d'un seul
missionnaire !
22
Action du Saint Esprit
Enn, personne cependant ne peut donner son adhsion la prdication vanglique de la manire requise pour obtenir
le salut "`sans illumination et l'inspiration du Saint Esprit qui donne tous son onction lorsqu'ils adhrent et croient la
vrit"'
23
(Dei Filius, chap. 3, denz. 3010). La seule force naturelle ne sut pas ; la grce est en eet ncessairepour parvenir la connaissance de la vrit qui touche au salut ternel.
En conclusion, la foi n'exclut pas la raison. Elle la prsuppose. L'glise dnit l'homme comme un tre rationnel
capable d'accder la vrit, soit par ses propres moyens, soit par la lumire de la foi. L'homme est aussi capable d'erreurs,
notamment en rompant l'harmonie qui doit exister entre la foi et la raison. Mme si la foi est au-dessus de la raison, il ne
peut jamais exister entre elles aucun dissentiment rel, aucune discorde [...], en sorte que la raison droite dmontre, protge,
dfend la vrit de la foi, tandis que la foi libre la raison de toute erreur et, par la connaissance qu'elle a des choses divines,
elle l'claire, la conrme et la parfait magniquement . L'glise est en fait consciente des qualits relles de la
raison humaine.
L'glise ne s'oppose pas aux sciences. L'Histoire montre qu'elle les a soutenues et les a fait progresser de multiples
faons. Car elles peuvent conduire Dieu, avec l'aide de sa grce, si on s'en sert comme il faut (Dei Filius, chap. 4,denz. 3019).
L'Eglise nous enseigne donc que la vrit est accessible l'homme. Cependant cette connaissance objective
n'est pas pleine et entire au sens o l'homme ne peut pas tout connatre dans l'ordre naturel comme dans l'ordre surnaturel.
La nature et les cieux gardent un certain mystre. Ainsi faut-il tre humble devant la ralit...
Les Rvolutions scientiques du XXe sicle : une vritable remise en cause
Plus nous abstrayons la ralit, plus elle devient explicable. Plus nous nous loignons de la ralit, plus nous la saisissons.
Telle est le paradoxe que nous rvlent les thories de la relativit et la physique quantique
24
. Des scientiques laborent au
21. Exemple de motifs : les miracles, les prophties, l'existence, la dure et l'action de l'glise.
22. Mausbach, Religion, Christianisme, glise, I.
23. 2me concile d'Orange (529), can.7, denz. 377.24. meraude, janvier 2014, article La lumire .
7
dbut du XXe sicle de nouvelles thories en voulant rpondre aux contradictions de la physique classique. Ils comprennent vite
que les notions qu'ils ont l'habitude de manipuler n'ont pas de ralit dans le monde de l'inniment petit. Leurs dcouvertes
semblent mme remettre en cause la ralit quotidienne. La notion du temps a aussi chang depuis qu'Einstein a dni
les thories de la relativit. La conception du Monde a ainsi profondment volu depuis un sicle. L'Univers de
Laplace avec son dterminisme exact apparat dsormais bien naf et bien loign de la science. Qui oserait encore s'en servir
pour combattre la foi ? Si les progrs scientiques rendent le scientisme du XIXe sicle moins dangereux pour le christianisme,
peuvent-ils nanmoins prsenter de relles inquitudes pour la foi ? Les thories scientiques du XXe sicle dcrivent en
eet un monde trange qui interpelle et remet en cause notre perception de la ralit et nos connaissances.
Contrairement ce que prvoyait le scientisme, la philosophie revient en force dans les sciences. En percevant
au loin le Big Bang, de nombreux astrophysiciens se posent de vritables questions philosophiques sur la Cration et sur
Dieu. Les physiciens les plus clbres se sont aussi interrogs sur la nature mme de la ralit et de la connaissance. De
srieux dbats se poursuivent encore sur des questions fondamentales. Car les scientiques touchent dsormais aux principes
mmes de la matire et de la vie. Que doit-on croire ? Que peut-on faire ? Les philosophes leur tour utilisent des rsultats
scientiques pour argumenter et valider leurs penses, dier de nouvelles thories de la connaissance. De ces recherches
scientiques et philosophiques sont nes de nouvelles conceptions du Monde et de l'homme, bien tranges
pour un chrtien non averti. La foi est-elle alors de nouveau menace ?
La physique quantique : un nouveau regard scientique de l'inniment petit
L'exprience des fentes de Young
25
est l'une des expriences les plus marquantes du XXe sicle.
Non seulement elle a montr la dualit corpuscule-onde de la lumire mais galement l'interaction entre
l'observation et l'observateur au niveau des particules. Elle renverse des concepts de la physique et de la vie
quotidienne. Les corpuscules et les ondes ne sont-ils que des leurres ? Elle renverse aussi un postulat de base
de la physique. L'observateur et les appareils d'observation feraient-ils partie intgrante de l'exprience au
point de rendre caduque l'tude isole d'un objet ? Nous pourrions alors remettre rapidement en cause toute
connaissance de la ralit, voire la ralit elle-mme. Ne serait-elle qu'une construction intellectuelle ? La ralit n'aurait-elle
de sens qu'en fonction de l'observation, voire de notre conscience ? En d'autres termes, en observant le Monde, nous ferions
la ralit. Il n'y aurait pas non plus de ralit hors du regard de l'homme. Nous pourrions enn croire qu'il n'y aurait pas
nalement de ralit. Certaines de ces conclusions se retrouvent hlas dans des essais scientiques et philosophiques. Elles
aectent aussi des hommes et des femmes comme nous avons pu nous en apercevoir.
L'exprience des fentes de Young est donc une des expriences les plus caractristiques de la physique quantique. N
au dbut du XXe sicle, elle a boulevers notre apprhension scientique du Monde. Considr aujourd'hui comme une des
branches fondamentales de la science, elle a donn lieu des interprtations tant physiques que philosophiques.
Thories de la relativit : une nouvelle conception de l'Univers
Si la vitesse de la lumire est xe dans un milieu homogne quel que soit le rfrentiel utilis, Einstein a
montr que le temps physique n'est pas une notion absolue mais dpend du mouvement de l'observateur
26
.
Plus le mouvement est rapide, plus le temps se dtend ; plus il est lent, plus le temps se contracte. Si vous
voyagez une trs grande vitesse, votre temps ralentira. Le temps est comme un des dimensions physiques
de l'espace, il est relatif un rfrentiel. Contrairement ce que pensait la physique classique, le temps
est une dimension qui se rajoute celles de l'espace. L'Univers apparat ainsi quatre dimensions : la
hauteur, la largeur, la profondeur et le temps. Ainsi les thories de la relativit ont labor l'espace-
temps.
Une nouvelle perception de la ralit
Si le temps et l'espace sont relatifs l'observateur selon les thories de la relativit, si la ralit dpend de l'observation
selon les conclusions htives de la physique quantique, le relativisme apparat alors comme une des rgles naturelles
qui rgissent le Monde. Tout semble en eet tre relatif l'homme, son mouvement ou son regard. Nous retrouvons
ce relativisme dans d'autres sphres de la pense, dans la morale et la religion. Finalement, la connaissance et donc la
vrit elle-mme seraient-elles relatives l'homme ? Que deviendrait alors la foi dans un tel Monde ? Elle ne
pourrait subsister bien longtemps.
Comment dfendre nos convictions dans un Univers o tout serait relatif ? Aucune vrit n'est tenable dans de
telles conditions. C'est le rgne du scepticisme et non de la certitude. Que deviendrait mme la notion de Dieu, notion
absolue par excellence ?... Les thories de relativit et la physique quantique fonderaient-elles alors un relativisme dans lequel
tout se dissout, o rien de durable ne subsiste ?
25. meraude, janvier 2014, article La lumire .26. meraude, janvier 2014, article La vitesse xe de la lumire .
8
De vritables rvolutions
La physique quantique et les thories de relativit s'laborent dans les annes 20 du XXe sicle. Elles ont engag uneintense activit scientique internationale. De nombreux savants ont en quelques annes fond les branches fondamentales
des sciences modernes, balayant les certitudes scientiques du XIXe sicle. D'abord fruits de spculations intellectuelles, les
thories ont t ensuite conrmes par des expriences. Elles ont donn naissance de nombreuses technologies, devenues
rapidement indispensables pour notre vie quotidienne (laser, nergie nuclaire, GPS, supraconducteurs, informatique, imagerie
mdicale, etc.).
Nous oublions souvent que la science a connu un bouleversement extraordinaire en quelques annes au dbut du sicle
prcdent. Souvent, nous nous dbattons contre les penses funestes des idologies qui datent presque toutes du XIXe sicle.
Nous luttons aussi contre le positivisme et le scientisme qui ont vu leurs heures de gloire dans ce sicle si riche en vnements.
L'volutionnisme date aussi de ce sicle. Mais les interprtations issues de la physique quantique et des thories
de la relativit ne doivent-elles pas une plus grande attention de notre part tant elles bouleversent notre
manire de concevoir et de connatre le Monde ?
Sans la physique classique, il n'est gure possible de rfuter le scientisme et le dterminisme qui ont produit de nombreux
ravages dans les mes. Pour comprendre l'volutionnisme et le theillardisme, nous avons du aborder de nombreuses thories
et mthodes scientiques. Ainsi avons-nous pu dnir des arguments contre ces idologies. Pouvons-nous aussi comprendre
le monde d'aujourd'hui en ignorant la science moderne ? L'tude des nouvelles thories s'impose donc.
Une tude particulirement ardue
Cependant rapidement, nous rencontrons un srieux obstacle. Nous devons en eet aborder des sciences diciles,
aux notions peu communes, o les mathmatiques les plus complexes jouent un rle central. La physique
quantique, par exemple, a pu se dvelopper grce aux dcouvertes mathmatiques les plus rcentes. Le monde quantique
n'est en fait peru qu'au travers d'un formalisme mathmatique ardu. En outre, les sciences modernes ne sont gure abordes
dans l'enseignement secondaire qui reste profondment newtonien. Elles sont gnralement rserves aux tudes suprieures.
Paradoxalement, ce sont aussi des sciences trs vulgarises. Nombreux
sont en eet les documents, les livres et les missions qui traitent de ces
sciences pour le grand public. Gnralement, ils se focalisent sur des rvlations,
simplient l'extrme des rsultats complexes et abordent des sujets sans
apporter de vritable lumire. La documentation de vulgarisation ne permet pas
souvent de comprendre les fondements des sciences modernes et de distinguer
l'essentiel du superu. Nombreux sont aussi les pseudo-scientiques qui usent
d'une connaissance mal digre pour dvoiler des thories parfois farfelues.
Ainsi il est ncessaire d'aborder des documents plus srieux mais aussi plus
complexe. La dicult est alors de comprendre l'essentiel et de le rendre
comprhensibles des non-initis sans tomber dans le pige de la
vulgarisation.
Dans l'tude de la physique quantique, nous avons alors rencontr une autre
dicult, cette fois-ci inattendue. Si les thories sont aujourd'hui bien
formalises, elles donnent lieu de nombreuses interprtations, parfois
contradictoires et des dbats multiples entre scientiques, dbats qui ne
sont pas encore achevs. Il est tonnant de constater que si, l'heure actuelle,
le formalisme, l'appareil mathmatique et le cadre opratoire de cette thorie sont
universellement reconnus, il existe encore des dbats acharns sur son interprtation
et ses implications philosophiques. Pour la premire fois sans doute, l'esprit humain
se sent parfois domine par une vrit qu'il a lui-mme construite
27
. Il existe de
nombreuses coles de pense sur le sens que nous pouvons donner aux rsultats de
la physique quantique.
27. Jean-Louis Basdevant et Jean Dalibard, Mcanique quantique, cours de polytechnique, fvrier 2002.
9
Ces interprtations inuencent les thories de la connaissance et nos relations avec le rel. Elles nous interrogent sur
les limites de la science et de nos langages, sur nos capacits de dcrire la ralit et de la comprendre. mon sens, la
physique actuelle soulve la question radicale [...] : le rel est-il connaissable ?
28
. Les interprtations philosophiques
rveillent de vieilles interrogations que le matrialisme du XIXe avait enterres. Nous entrons invitablement
dans la philosophie et la mtaphysique. Nombreux sont les physiciens philosophes ou philosophes scientiques. Une des
consquences de la rvolution scientique du XXe sicle ! Et l apparat toute la pertinence de notre tude. Certaines
interprtations nissent par branler les conceptions et les manires de penser au point de dtourner le
regard loin de Dieu et de sa Cration. Comment pouvons-nous alors chercher dfendre la foi et la rpandre si
l'homme s'loigne de la ralit ?...
Les prambules de la physique quantique
Il est dicile en quelques mots de dcrire clairement la physique quantique
29
tant elles nous paraissent si loignes de
notre perception de la ralit et de nos intuitions. Certains n'y voient que des subtilits mathmatiques quand d'autres
ne considrent aucune ralit en dehors de cette science. La physique quantique tente de dcrire l'inniment petit, c'est--dire
le monde des particules de la taille de l'atome ou des corps plus petits encore. Elle est aussi capable d'expliquer notre vie
quotidienne comme l'inniment grand. Elle dpasse la physique classique qui n'est plus qu'une approximation de
la ralit. Aujourd'hui, elle est le socle fondamental sur lequel repose la physique. La mcanique quantique est en fait
l'pine dorsale de l'ensemble de la science moderne
30
...
La physique quantique, une rponse aux limites de la physique classique
Il existe plusieurs pdagogies pour expliquer les principes de la physique quantique. La plus classique est de les dcrire
partir des limites de la physique classique, soit partir des expriences les plus convaincantes qui les ont rvls, soit partir
de l'histoire scientique, riche en vnements. La physique classique ne parvient pas en eet expliquer tous les
phnomnes et se rvle mme contradictoire dans certaines situations. Devant un tel embarras, la communaut
scientique a men une intense activit o se sont illustrs de nombreux gnies. En trs peu d'annes, les travaux ont conduit
l'laboration d'une nouvelle thorie capable de surmonter les limites de la physique classique. La thorie
quantique reprsente la plus grande ralisation de la science
31
, certainement une des plus grandes aventures scientiques.
La physique quantique, une extraordinaire aventure humaine
En quelques annes, de 1925 1930, des scientiques comme Einstein,de Broglie, Bohr, Schrdinger, Dirac et tant d'autres encore ont donn
naissance une nouvelle science. Si tout a t dit en si peu de
temps, l'histoire s'est poursuivie jusqu' nos jours, notamment par des
expriences plus prcises qui ont permis de conrmer la thorie et de
l'amliorer.
La physique quantique est d'abord le rsultat d'intuitions, de
suggestions, de dbats avant d'avoir t conrme par des rsultats
exprimentaux. La thorie a surtout t dveloppe par des expriences dites
de pense qui rvlent des paradoxes de la physique classique et quantique. Il a
fallu attendre de nombreuses annes pour que ces expriences puissent tre eectues. L'une des plus clbres est le paradoxe
EPR (1935) du nom de ses concepteurs (Einstein, Podolsky et Rosen). Ces scientiques ont pens une exprience qui devaitmettre dfaut une interprtation indterministe de la physique quantique en rvlant son incompltude, c'est--dire son
incapacit de tout dcrire. Bohm a pu rpondre leurs objections en supposant le principe de non-localit, un des principes
de la physique quantique. En 1964, Bell l'a traduit en une exprience. Au lieu de conrmer leurs objections, la ralisation decette exprience entre 1980 1982 a permis de valider la rponse de Bohm, mettant n un long dbat.
La dcouverte du monde quantique est une aventure extraordinaire sur plusieurs gnrations de gnies : Max Planck
(1858 1947), Albert Einstein (1879 1955), Max Born (1882 1970), Niels Bohr (1885 1962), Erwin Schrdinger(1887 1975), Louis de Broglie (1892 1987), Wolfang Pauli (1900 1958), Werner Heisenberg (1901 1976), Dirac(1902 1984) et bien d'autres encore. Le commencement de l'aventure date probablement de 1900 quand Planck nonaune formule qui dboucha de manire involontaire sur la mcanique quantique. Un ensemble d'hypothses furent ensuite
proposes, des expriences menes, validant ou non ces hypothses et leurs conclusions. Une intense activit mla de nombreux
scientiques au travers de confrences et de publications. Il semble que la science europenne ait t nourrie par un ferment
28. Bernard d'Espagnat, Bernard d'Espagnat De la physique la mtaphysique ? Entretien d'Hugues Simard,
http ://journaldesgrandesecoles.com.
29. De manire rigoureuse, nous devrions parler de mcanique quantique mais comme elle est au cur de la physique quantique, il est plus
pertinent d'utiliser ce terme. Par ailleurs, est-ce encore de la mcanique ?
30. John Gribbin, Le Chat de Schrdinger, physique quantique et ralit, Flammarion, trad. de l'amricain par Christel Rollinat, 1984.31. John Gribbin, Le Chat de Schrdinger, physique quantique et ralit
10
d'ides qui arrivaient maturit, et que des ides direntes closaient en des lieux dirents, pas ncessairement dans ce
qui semble tre aujourd'hui un ordre logique.
32
N. Bohr, A. Einstein, M.
Planck
W. Pauli, W. Heisenberg,
E. Schrdinger
A la n des annes 20, les progrs fondamentaux ont ainsi t raliss de maniredisparate, avec des checs et des succs. D'autres dcouvertes seront ralises ensuite mais
la thorie quantique apparat complte. Une nouvelle phase dbute la n des annes 20,celle de la recherche de cohrence et de signication. Dans les annes 30, alors que la thoriequantique commenait tre enseigne, elle donna lieu des questionnements philosophiques
sur certains principes comme le principe de la causalit, sur la nature du temps, sur les
limites de la science, sur la ralit. Une nouvelle vision du monde apparat ainsi au XXe
sicle...
La physique quantique, une vision extrmement mathmatique du Monde
Une autre mthode pour prsenter la science quantique est de se lancer dans les formules
mathmatiques et dans des notions complexes au point que la prsentation devient nalement un
cours d'algbres et de probabilits. Elle a pu en eet se dvelopper et tre si ecace grce aux
progrs des mathmatiques qui ont su fournir aux physiciens les oprateurs ncessaires. La collaboration
entre physiciens et mathmaticiens ont ainsi permis le dveloppement rapide de la thorie. Mais en
contrepartie, rien ne semble comprhensible en dehors du langage mathmatique.
La physique quantique, une dmarche scientique
Enn, une dernire solution pdagogique est de donner directement les principes et les concepts de la physique quantique
pour dvelopper ensuite la thorie et ses implications, puis prsenter les expriences qui la conrment. La physique quantique
est, comme toute science, le rsultat d'une dmarche rationnelle, combinant raisonnement et exprimentation.
Nanmoins, il s'avre que la philosophie, notamment d'origine allemande, a jou un rle dans certaines interprtations.
Le fait qu'il y ait nalement autant de pdagogies et de soins pour introduire et dvelopper la physique quantique rvle
une vritable dicult intrinsque la thorie, non seulement d'ordre scientique mais aussi d'ordre philosophique
et mme psychologique. Une nouvelle faon de penser le rel, une nouvelle logique
33
Un orage soue sur la physique du vingtime sicle, faisant trembler ses fondations et jetant la confusion sur la nature
mme de ses concepts les plus ultimes. Vritable rvolution qui vient jeter un pav dans la mare pourtant si tranquille de nos
croyances acquises jusqu'alors
34
. La physique quantique est une science tonnante, contre-intuitive . Ce que
arrive dans l'inniment petit n'est pas pensable dans la physique classique. Toutefois, la physique quantique inclut la physique
classique et explique des phnomnes de l'inniment petit jusqu' l'inniment grand sauf les phnomnes relativistes. Elle
est ainsi plus puissante que la physique classique.
Mais la physique quantique ncessite un cadre conceptuel dirent, entirement nouveau. Les rsultats
exprimentaux et les interprtations des formules dpassent en eet notre entendement si nous restons dans le cadre de
la physique classique. Des notions traditionnelles perdent en eet tout leur sens si nous les utilisons pour interprter les
rsultats mathmatiques ou exprimentaux. Ds que l'on tente d'exprimer par des mots les rgles de calcul [...] on est
conduit formuler des vues qui frisent, vraiment, l'absurdit
35
. La question est de savoir si la dicult rside
dans l'utilisation de nouveaux concepts, dans le changement de modle scientique ou dans une ralit
irrationnelle.
La physique quantique peut remettre en cause nos certitudes scientiques. Elle peut souligner les faiblesses
de notre raison et notre dpendance l'gard de concepts hrits de la physique classique. Des scientiques parlent de
rvolution pistmologique . Il est indniable qu'une prsentation de la physique quantique ne laisse gure indirente une
me prise de vrit.
La physique quantique, une science ecace
La physique quantique ne se rduit pas des formules ou des spculations. Elle est aujourd'hui fondamentale dans
certaines activits : la biologie molculaire, l'imagerie mdicale (IRM), l'nergie nuclaire, la technologie des lasers et des
supraconducteurs, l'informatique, la cryptographie, etc. Il n'est pas non plus possible d'essayer de concevoir le Big Bang en
dehors du monde quantique. Comment comprendre la Cration et louer Dieu dans ses uvres en refusant d'apprhender
l'inniment petit ? Notre Crateur n'a pas seulement cr ce que nous pouvons percevoir. Tout ce qui existe est son uvre...
32. John Gribbin, Le Chat de Schrdinger, physique quantique et ralit
33. Jean-Louis Basdevant et Jean Dalibard, Mcanique quantique, cours de polytechnique, fvrier 2002.34. Donald Nadon, Introduction la physique quantique, www.futura-sciences.com.
35. Bernard d'Espagnat, Bernard d'Espagnat De la physique la mtaphysique ? http ://journaldesgrandesecoles.com
11
En outre, il est indubitable que les expriences, qui deviennent chaque dcennie de
plus en plus labores et prcises, n'ont jamais russi mettre en dfaut la mcanique
quantique
36
.
Nous pouvons cependant relativiser l'enthousiasme des partisans de la physique
quantique. Elle connat encore quelques contradictions et limites. Une de ses
interprtations, qui a longtemps domin dans les communauts scientiques, celle de
Copenhague, semble aujourd'hui tre mme conteste. La physique quantique reste
une thorie scientique...
Le monde quantique
Nous parlons de monde quantique :
soit pour dsigner le monde des particules de la taille des atomes et en de ;
soit des phnomnes auxquelles s'appliquent les rgles de la physique quantique ;
soit enn le modle de la ralit labor selon les principes de la physique quantique.
Dans nos articles, le monde quantique dsignera ce modle.
La physique quantique ne s'applique pas simplement l'inniment petit mais tend tout l'Univers. La physique classique
apparat alors comme une approximation ou un cas particulier de la physique quantique. Pour les besoins de notre vie
quotidienne, cette approximation est nettement susante. Ainsi la physique classique demeure valable. Cependant, en dpit
des eorts, la physique quantique ne parvient pas encore englober la thorie de la relativit gnrale. Ainsi est-elle
incapable d'expliquer tous les phnomnes.
La principale caractristique du monde quantique est son tranget. Il est compltement dirent de notre
monde quotidien, plus prcisment du modle de la physique classique. Tout ce que nous croyons connatre, perd en eet
tout sens. Si nous devons lui appliquer les principes de la physique classique, certains phnomnes seraient incomprhensibles
et absurdes. Il est fort probable que les scientiques du XIXe sicle l'auraient rejet. L'un des premiers principes de la
physique classique est donc de s'loigner de la perception du Monde telle qu'elle tait envisage et enseigne
depuis le XVIIe sicle.
Direntes attitudes devant la physique quantique
Les dirents rsultats de la physique quantique paraissent ainsi tranges, droutants, voire totalement
fous. Ils ont donn lieu de nouvelles notions, des formules mathmatiques, des rgles lmentaires
qui forment en quelques sortes des recettes ncessaires pour manipuler les particules. Comme un
cuisinier qui ne soucie gure des ractions chimiques qui se ralisent lors de la confection d'un plat, il
est possible de manipuler les particules selon la physique quantique sans mme comprendre le sens des
modles utiliss. L'important est d'obtenir des rsultats et de faire progresser les technologies. C'est une
interprtation empiriste, utilitariste de la physique quantique. Dans certains cours, son aspect
interprtatif et philosophique est rejet, mme combattu.
Mais si au-del de leur aspect pratique et ecace, nous interrogeons les thories, si nous essayons de comprendre le modle
sousjacent, si nous osons nous frotter l'tranget du monde quantique, invitablement, nous sommes dans l'obligationde nous interroger sur la ralit des choses. Car quel que soit le discours, le scientique aborde un domaine central
de la connaissance de la matire et du Monde. Il ne peut interroger la Cration dans son intimit et la manipuler dans ses
profondeurs sans s'interroger sur ses fondements et sans se remettre en cause lui-mme puisqu'il fait aussi partie de la Nature.
Leurs tudes et leurs manipulations engagent une certaine responsabilit non seulement envers notre Crateur mais aussi
envers les hommes. Nous abordons alors invitablement la philosophie, voire la mtaphysique...
Responsabilit philosophique
La Corde est un lm d'Hitchcock. Pour avoir cout leur professeur philosophe et voulu appliquer
sa philosophie, des tudiants tuent un de leur camarade et cachent leur victime. L'intrigue policire
tourne autour de la dcouverte du corps et sur la raison qui les a conduits commettre un assassinat
gratuit. Leur crime n'est qu'une mise en pratique des cours du philosophe. Le lm pose donc la
responsabilit de l'enseignant qui a indirectement inspir un acte infme. Dans l'histoire rcente et
aujourd'hui encore, des philosophies ont donn lieu des ignominies sans pourtant que leur auteur en
porte une quelconque responsabilit. La libert d'expression et d'enseignement n'exclut pas
une certaine responsabilit...
36. F. Lalo, Comprenons-nous vraiment la physique quantique ?, www.phys.ens.fr.
12
De nombreux scientiques ne sont pas rests au niveau des formules. Ils ont cherch donner du sens et de la
cohrence la physique quantique par rapport notre vie quotidienne. L'interprtation la plus classique, celle qui
domine encore la communaut scientique, est celle de Copenhague ou ses drives. Elle se focalise davantage sur l'interaction
entre l'lment observ et l'observation, sur les limites de notre langage et de nos concepts. A partir de cette interprtation,
certains ont essay de montrer que la ralit n'est qu'une cration de la conscience... Il existe d'autres interprtations qui se
penchent davantage sur la ralit, celle de l'onde pilote ou des variables caches , celle des univers multiples , ou
encore celle des histoires dcohrentes ...
Principes de la physique quantique
Lorsque nous voulons connatre srieusement la physique quantique, une des plus grandes dicults que nous rencontrons
est de distinguer dans tous les livres, revues, manuels ce qui constitue vritablement les principes qui la rgissent. Car
rapidement, nous constatons au cours de nos recherches que ce qui peut apparatre comme principe n'est nalement qu'une
de ses interprtations et ne relve pas proprement parler de la physique quantique. Le Monde quantique nous oblige alors
nous poser de relles questions de fond, notamment de distinguer dans un discours scientique ce qui est thorie
et interprtation.
Toutefois, en dpit de cette dicult, nous allons tenter de dnir les principes de la physique quantique tout en prenant
bien conscience que parfois, ils peuvent correspondre une interprtation.
Discontinuit dans le monde quantique
Dans la physique classique, les grandeurs physiques (vitesse, nergie, intensit de courant, etc.) permettent de dcrire des
aspects de la ralit observable ou encore mesurable. Elles sont objectives au sens o elles ne dpendent pas de nos mesures.
Un objet rel constitue un systme qui un instant donn se trouve dans un tat, c'est--dire sous une forme particulire que
revt la ralit, sa manire d'tre en quelque sorte. Les grandeurs permettent de connatre cet tat. Un tat d'un systme nous
est alors connu si nous avons eectu un certain nombre de mesures et si nous avons obtenu ses grandeurs caractristiques.
Une des grandeurs d'un solide en mouvement est par exemple sa vitesse, celle d'une onde, sa longueur d'onde ou sa frquence.
En physique classique, les grandeurs que nous pouvons connatre par mesure ou observation nous permettent
donc de dcrire objectivement un objet.
Ces grandeurs physiques ont une valeur continue. Si un solide se dplace d'un point A un point B, nous savons
qu'il est pass par des points successifs uniques selon une ligne commenant par A et nissant par B. Avant d'atteindre sa
cible, une che doit atteindre au moins la moiti de la distance qui la spare de son objectif. Elle doit suivre une trajectoire
unique et prcise. Dans le monde quantique, ce n'est pas le cas.
Le premier principe du Monde quantique est en eet la prsence d'une certaine discontinuit. Certaines
grandeurs physiques qui classiquement prennent une valeur continue en physique classique n'ont que de valeurs discrtes en
physique quantique. Une grandeur physique peut instantanment prendre une valeur particulire. Pour passer d'un tat 1 un tat 2, une particule ne passe pas automatiquement par les valeurs intermdiaires qui sparent les deux tats. Ce passagepeut tre instantan.
Les particules mettent et reoivent de l'nergie que par paquets. Les changes d'nergie ne
s'eectuent donc pas de manire continue. Elle correspond un multiple d'un seuil minimal
d'nergie, appel quantum, d'o l'origine du terme quantique . Ce quantum est une constante
invariable, produit d'une constante elle-mme invariable, appele constante de Planck, et d'une
longueur d'onde. La quantication de l'nergie est le point de dpart de toute
l'aventure de la physique quantique.
Chaque tat de particule est dni par une quantit d'nergie. Elle change donc
d'tat en absorbant ou en mettant un quantum d'nergie. Comme cet change se
fait par paquet d'nergie, une particule passe donc subitement, instantanment d'un
tat un autre, sans aucune continuit
37
. C'est le saut quanta. Ce changement
d'tat ne se produit en outre sans aucune raison. Il n'existe aucun
moyen de dire quand cette transition interviendra
38
. Il existe ainsi une certaine
indtermination dans ces sauts. L'outil statistique
39
est alors utilis pour tudier
les tats des particules. Le Monde quantique est alors dcrit par des lois
statistiques.
37. L'exprience de Franck et de Hertz, 1914, prix Nobel de 1925, conrme la thorie des quanta associe aux atomes.38. John Gribbin, Le Chat de Schrdinger, physique quantique et ralit
39. Le sens de la valeur de ces statistiques est dirent selon l'interprtation.
13
Nous retrouvons cette discontinuit dans la lumire. Einstein a introduit le quantum de rayonnement, appele
photon, pour dcrire la lumire et expliquer les eets photolectriques. Le photon a une nergie qui se dtermine partir de
la longueur d'onde et de la pulsation de la lumire selon des fonctions non continues. Sa thorie est en contradiction avec les
quations de la physique classique qui n'admet que des fonctions continues dans le temps et dans l'espace. Einstein propose
de considrer ces fonctions comme des moyennes dans le temps.
Dualit onde et particule
En physique classique, les termes d'ondes et de particules ont des proprits direntes,
voire totalement opposes. Un corps solide est notamment localisable par la dtermination
de sa position dans un espace en trois dimensions. Lorsqu'il est en mouvement, il occupe
une succession de points formant alors une trajectoire. La connaissance de la vitesse
du corps et de sa trajectoire permet ainsi l'tude complte de son mouvement. C'est le
principe mme de la mcanique depuis Newton. La situation est dirente avec une onde.
Elle n'est jamais au repos et emplit tout l'espace dans lequel elle est diuse. Elle n'est
pas vraiment localisable en un point. Les deux notions ne sont pas conciliables en
physique classique, contrairement au monde quantique.
L'autre principe de la physique quantique est en eet la dualit onde / particule. Constatant que la lumire
se prsente sous forme de paquets de lumire (photons) ayant le mme paquet d'nergie, Einstein comprend rapidement
que la lumire doit tre dcrite en termes de particules et d'ondes. Il songe alors une fusion entre la thorie corpusculaire
et la thorie ondulatoire pour dcrire la lumire
40
. Le physicien Campton (1892 1962) montrera dans une expriencetoute la pertinence de la dualit onde / particule dans le cas de la lumire. A son tour, de Broglie propose de dcrire les
particules en associant la thorie des ondes celles des corpuscules : j'arrivais associer au mouvement de tout corpuscule
la propagation d'une onde
41
. Plusieurs expriences
42
conrment sa thse. Selon l'interprtation la plus commune, la
physique ondulatoire et la physique corpusculaire sont aussi valables l'une que l'autre pour dcrire la mme
ralit. Ce sont deux descriptions complmentaires pour un mme objet.
L'quation de Schrdinger
La thorie quantique se traduit sous deux versions quivalente : la mcanique ondulatoire, la plus utilise, et la thorie des
matrices, d'usage plus complexe. Dans la mcanique ondulatoire, l'tat d'une particule est dni par une solution, appele
fonction d'onde, d'une quation, appele quation de Schrdinger. L'quation de Schrdinger est la pierre angulaire
de la physique quantique moderne . C'est une formule qui dcrit le comportement d'une particule selon la double dualit
corps / corpuscule. La signication de cette fonction d'onde est dirente selon les interprtations.
L'quation de Schrdinger prsente quelques traits caractristiques
importants. Il existe d'abord plusieurs fonctions d'onde solutions
de l'quation. Chaque fonction d'onde est probable selon un taux
qu'il est possible de calculer partir de la fonction d'onde elle-
mme
43
.
L'autre caractristique importante est sa linarit. Si des fonctions d'onde
sont solutions de l'quation alors l'ensemble de ces fonctions est aussi
solution. Un ensemble de fonctions d'onde est appel paquet d'onde ,
chacune correspondant un tat. Et tous ces paquets peuvent alors
s'interfrer de la mme manire que des ondes. L'exprience de Young
44
que
nous avons dcrite traduit cette interfrence lorsqu'il n'y a pas de mesure au
niveau des fentes.
Selon l'quation de Schrdinger, il y a donc une superposition de paquets d'onde et donc une superposition d'tats
dirents. Il est dicile d'imaginer ce qu'il se passe rellement. Nos observations et nos mesures donnent pourtant pour un
systme donn des grandeurs uniques, un tat unique et non pas un ensemble de rsultats dirents. Nous connaissons donc
uniquement une solution particulire de l'quation de Schrdinger parmi les solutions possibles, l'ensemble des autres solutions
tant inconnaissables ou ayant disparu. Ce processus, quand il est accept, est appel eondrement ou rduction
de la fonction d'onde. Une des questions fondamentales de la physique quantique est de comprendre comment s'eectue
le passage d'une superposition d'tats un seul tat observable.
40. Voir meraude, janvier 2014, article La lumire.41. Louis de Broglie, La physique quantique restera-t-elle indterministe ? dans la Revue d'histoire des sciences et de leurs
applications, 1952, Tome 5, no 4, www.persee.fr/web/revues.42. Exprience de Davisson et de Germer (1927).43. Plus prcisment le carr de la fonction d'onde. La fonction d'onde est une fonction variable complexe.
44. Voir meraude, janvier 2014, article La lumire.
14
Selon l'interprtation de Copenhague, la transition du possible au rel [...] a lieu pendant l'acte d'observer
45
. Selon
cette logique, l'acte d'observer a alors un rle dans les rsultats d'observation. Nous sommes alors aux antipodes de la
physique classique. En eet, dans cette dernire, l'objet d'tude est isol de tout et surtout de l'observateur qui reste
extrieur l'exprience. L'indpendance entre l'objet tudi et l'observateur est fondamentale dans la physique
classique. Elle garantit l'objectivit de la connaissance scientique. La dicult est aussi de donner un sens
ces tats superposs qui semblent n'exister qu'en dehors de toute mesure. Selon l'interprtation d'Everett, dite encore
interprtation des mondes multiples, ces superpositions d'tat dsigneraient des mondes rels qui se superposent dans une
extra-ralit...
Principe d'incertitude
L'aspect probabilistique, que nous avons dj identi plusieurs reprises saut des particules, mcanique ondulatoire
est un des principes fondamentaux de la physique quantique. La mcanique quantique est une thorie intrinsquement
probabiliste
46
.
Cet aspect probabilistique se traduit surtout par le principe d'incertitude,
dite encore formule d'Heisenberg
47
. Cette formule est le principe intrinsque
du Monde quantique selon l'interprtation la plus classique. Elle montre qu'il
n'est pas possible de connatre simultanment la localisation d'une particule
et son impulsion ou encore sa vitesse. La notion de trajectoire qui associe
position et vitesse n'a donc pas de sens en physique quantique. C'est une
impossibilit naturelle, fondamentale, non lie l'imperfection de nos moyens de
mesures
Selon l'interprtation la plus commune, il est ainsi fondamentalement impossible de connatre de manire prcise
et simultane des paires de proprits, l'une associe l'aspect corpusculaire de la particule, l'autre son
aspect ondulatoire
48
. Plus nous avons de l'information sur l'un des deux aspects, moins nous en avons sur l'autre.
Intrication quantique et non-localit
Dans le Monde quantique, lorsque deux objets interagissent, leurs proprits se couplent et restent corrles mme
aprs que l'interaction soit termine. Ainsi dans un systme deux particules, en mesurant une des proprits de l'une, il
est possible de connatre la valeur de la mme proprit pour l'autre particule. L'autre consquence encore plus trange est
que la modication de l'une par l'observation modie la seconde mme si elles sont loignes l'une de l'autre. En clair, il y a
interaction entre les lments d'un mme systme quelles que soient leurs distances spatiales et temporelles.
Ce principe d'intrication et de non-localit n'est pas reconnu par toutes les interprtations. Il est nanmoins le plus souvent
enseign.
Nous avons essay de dcrire simplement et le plus clairement possible les principes de la physique quantique en essayant
de supprimer ou d'identier ce qui peut relever d'une interprtation. Cette description peut paratre simpliste pour les initis
mais elle semble susante pour apprhender le Monde quantique et comprendre combien il est bien dicile de le comprendre
et mme de l'imaginer. Cette description est aussi susante pour les articles qui vont suivre. Elle permet aussi de comprendre
la pertinence de certaines questions fondamentales que nous devons nous posons face un monde si trange et inconnu. Que
rvlent les principes de la physique quantique ? Que signie l'quation de Schrdinger ? Qu'est-ce qu'une mesure ? Quel
est nalement ce Monde quantique aux principes si tonnants ? La physique quantique ne donne pas de sens ce
Monde. Il ne dit pas ce qu'est ce Monde. Ainsi a-t-elle donn lieu des interprtations qui essayent de lui donner de
la signication.
Certaines interprtations remettent en cause des certitudes et peuvent nous loigner de la ralit. Or une interprtation
d'une thorie a pour fonction de fournir l'image d'un monde dans lequel la thorie serait vraie, c'est--dire caractriser les
entits dont se compose le monde et prciser quelles sont leurs proprits
49
.
Le danger est alors vouloir donner une interprtation une ralit qu'elle n'a pas et de l'imposer comme
vrit. Or si une telle vision est prise pour la ralit, la foi n'a plus gure de sens, la connaissance non plus.
45. Werner Heisenberg, Physique et Philosophie=, ditions Albin Michel, 1971.46. Jacques Weyers, Physique gnrale III, Mcanique quantique, notes de cours, 2006 2007, Universit catholique de Louvain, Facult desSciences, Dpartement de physique.
47. Principe nonc par Heisenberg en 1927.48. Thorie de la complmentarit, dnie principalement par Bohr
49. Thmas Boyer, La pluralit des interprtations d'une thorie scientique : le cas de la mcanique quantique, thse pour l'obtention
du grade de docteur en philosophie de l'Universit de Paris 1 Panthon-Sorbonne, 2 dcembre 2011, http ://www-ihpst.univ-paris1.fr
15
Les direntes interprtations du droit musulman
La dhimmitude a t une ralit et a engendr un conditionnement de la population. Humilis, rabaisss, les non-
musulmans ont ni par croire qu'eectivement ils taient infrieurs aux musulmans. Ils ont aussi t victimes de violences, de
pillages et de massacres. En dpit des faits avrs, certaines voix tentent de relativiser ou de rejeter cette ralit de l'islam,
probablement pour viter de radicaliser des positions ou de rompre le dialogue entre les religions. Il n'est pas rare, non plus,
d'entendre que les crimes prtendus commis au nom de l'islam ne viendraient pas de vrais musulmans mais d'une de ses
branches les plus radicales, d'un fanatisme obscur, d'une incomprhension de ce qu'est nalement le vritable islam. Cette
religion est ainsi innocente en faisant retomber le poids de ses crimes sur l'ignorance et la btise humaine. Pour rpondre de
telles rponses, nous allons dcrire ce que sont les direntes branches juridiques de l'islam. Cela nous permettra aussi de nous
introduire dans la pense juridique de l'islam. Car il est impossible de pntrer la structure de la socit musulmane
sans en connatre le systme juridique, c'est--dire la Loi prise dans son acception la plus large
50
. Nous dcouvrirons
notamment un nouveau dogme musulman : l'infaillibilit de la communaut des croyants.
Quand nous parlons des direntes interprtations de l'islam, nous faisons allusions, non pas ses divisions religieuses
de l'Islam qui ont conduit principalement au sunnisme et au chiisme, mais aux direntes coles de droit que compte le
sunnisme.
La shar'a
L'islam comprend un ensemble de normes rglant d'une part la doctrine musulmane et d'autre part
le comportement des musulmans. Les rgles qui dnissent ce qu'ils doivent croire forment
l' aquida et celles qui prescrivent la manire de vivre forment la shar'a , c'est--dire
la voie. La shar'a est la voie indique par Dieu pour le salut de ses cratures. Elle comprend, de ce
fait, des commandements qui relvent tout autant du culte, que de la morale et du droit. C'est un tout
intelligible par sa n
51
.
La shar'a nous intresse principalement. Elle prend sa source dans le Coran et dans la Sunna, considrs
comme les deux sources fondamentales du droit de l'islam. Environ 550 versets sur 6219 du Coran prsententun intrt juridique dans dirents domaines (droit civil, droit constitutionnel, statut personnel, droit pnal, etc.). Le
Coran, nous dit Ibn Khaldoun, a t rvl phrase par phrase, verset par verset, selon les occasions, soit pour manifester
la doctrine de l'unit de droit, soit pour indiquer les obligations auxquelles les hommes doivent se soumettre en ce monde
52
.
Mais il est dicile de distinguer dans l'ensemble du Coran ce qui constitue la shar'a , compte tenu de l'entremlement
des dirents niveaux de discours. La Sunna, sous forme d'entretiens ( hdiths ), apparat comme un complment du
Coran. Mais ces deux sources ne susent pas pour rpondre aux cas pratiques. Cet ensemble ne constitue pas encore un
systme lgislatif complet, nonant explicitement les dispositions lgales applicables tous les cas
53
. Viennent alors les
sources secondaires du droit islamique.
Le qh, la science de l'intelligence de la charia
54
Pour rpondre aux questions auxquelles ne peuvent rpondre le Coran et la Sunna, les musulmans ont
dvelopp le qh , qui peut tre dni comme un ensemble de qualications ou jugements [...] des comportements et
actions humaines
55
. Il se prsente en eet comme un ensemble de qualications de comportements prcis
56
. Il s'agit
de poser les normes de l'exgse du Coran, les conditions de validation ou d'authentication d'une Tradition du Prophte,
les conditions de validit de l'idjm'
57
(consensus) ainsi que les rgles de dduction, par raisonnement analogique, des
qualications lgales non voques par les sources sacres, partir de celles qui sont voques par ces sources
58
.
Il rpond aussi une volont politique des premiers califes d'organiser un nouvel empire. Au contact de
nombreuses autres tats, ils ne pouvaient ignorer les dirents droits existants (romain, persan, hbraque).
50. Louis Millot, professeur la Facult de Droit de Paris, La pense juridique de l'Islam dans la Revue internationale de droit
compar, Vol. 6, no 3, Juillet-Septembre 1954, www.persee.fr.51. Slim Laghmani, Les coles juridiques du sunnisme.
52. Cit dans Louis Millot, La pense juridique de l'Islam.
53. Louis Millot, La pense juridique de l'Islam.
54. Slim Laghmani, Les coles juridiques du sunnisme.
55. Slim Laghmani, Les coles juridiques du sunnisme.
56. Les qualications (ahkm) sont au nombre de cinq : lobligatoire (fardh), le recommand (mandb), le licite ou permis (mubh), le
dsapprouv (makrh) et linterdit (mahdr).
57. L' idjm' est soit explicite quand la dcision est prise par un groupe de savants qui se prononce lunanimit, soit tacite quand elle
correspond une opinion communment admise. L' idjm' explicite est irrvocable. L' idjm' implicite est rvisable comme elle peut tre
conrme ou inrme par l' idjm' explicite.
58. Slim Laghmani, Les coles juridiques du sunnisme.
16
Le qh a t labor partir de l' idjtihd , c'est--dire de l'eort intellectuel qu'ont men des matres
juridiques partir de l'exgse du Coran et de la Sunna. Cette science s'est construite partir de deux sources :
l' idjm' , qui correspond l'accord unanime des docteurs de la loi ;
le kiys , qui est un raisonnement par analogie partir d'un lment de la loi.
Selon la tradition sunnite, la construction du droit musulman s'est constitue en deux tapes, la premire durant la
dure de la vie de Mahomet puis la seconde jusqu'au Xe sicle. Des matres en droit ont ainsi dvelopp le qh et
ont constitu des coles dont certaines d'entre elles, appeles madhhab , ont t reconnues comme une voie correcte
d'interprtation des sources traditionnelles du droit.
Les coles du droit musulman
Le sunnisme reconnat quatre grandes coles
59
:
le hanasme,
le malkisme,
le shasme,
l'hanbalisme,
du nom de leur fondateur : Ab Hanfa Annu'mn (699 767), Mlik Ibn Anas (709/716 796), Muhammad Ibn IdrissAsh-sh' (767 820) et Ahmad Ibn Hanbal(780 855).
Ces coles se reconnaissent mutuellement. Chaque musulman peut suivre l'cole de son choix ou en changer
sans aucune formalit ; il peut mme, si cela lui convient, ou pour toute autre raison qui lui est propre, propos d'un
acte ou d'une transaction particulire, choisir la doctrine d'une cole autre que celle qu'il suit habituellement
60
. Elles
acceptent leurs divergences tant qu'elles ne touchent pas aux fondements du droit, c'est--dire le recours aux quatre sources
fondamentales (Coran, Sunna, idjm' , kiys ) et la rgle de validit suprme du qh : les ahkm (qualications)
doivent imprativement tre rattachs la volont divine
61
.
Les coles ont nanmoins quelques particularits : le hanasme est caractris par le recours de son fondateur la libre
opinion (ra'y) et l'istihsn alors que le malkisme est marqu par la place prpondrante qu'il accorde aux Traditions du
Prophte, la coutume de Mdine, ville du Prophte, ainsi qu'au consensus (ijm') des docteurs de Mdine. Le sh'isme est
gnralement prsent comme une voie mdiane entre les deux premires doctrines. Le hanbalisme est marqu par la place
essentielle qu'il accorde aux Traditions du Prophte, par sa mance l'gard de l'analogie et sa conception restrictive de
l'ijm' rduit l'accord des seuls compagnons du Prophte
62
. Une de leurs principales divergences repose sur leur
position par rapport au rle que jouent la libre opinion (ahl al-r'ay) et la tradition (ahl al-hadth). Nous constatons
aussi l'importance des aires gographiques partir desquelles les coles se sont dveloppes.
59. Le chiisme a aussi ses coles : le jafarisme, le zaydisme, l'ismalisme. Le kharidjisme : l'ibadisme, les azraqites, les sufrites, les nekkarites.
60. Slim Laghmani, Les coles juridiques du sunnisme.
61. Slim Laghmani, Les coles juridiques du sunnisme.
62. Slim Laghmani, Les coles juridiques du sunnisme.
17
Les quatre coles
Mosque de Kairouan
(Tunisie), un des grands
centres d'enseignement du
malkisme.
L'cole hanate est surtout caractrise par l'importance donne au raisonnement
par analogie et l'opinion personnelle. C'est pourquoi elle est souvent considre
comme une cole rationaliste et la plus librale. Elle se caractrise par l'emploi d'une
mthode rigoureuse pour accepter ou rejeter un hadith
63
et par son habitude discuter
des problmes hypothtiques. Elle tablit enn des critres et une norme hirarchique
pour dnir les dirents sources du droit musulman. N en Irak, l'hanasme a eu
l'appui de l'Empire Ottoman d'o son importance en Turquie et dans l'ancien empire
ottoman. Elle est rpandue de nos jours l'Est de l'Iran (Afghanistan, Inde, Pakistan),
en Syrie, en Russie et en Chine. Elle touche donc principalement le monde non
arabophone.
Mosque d'Alexandrie
(Egypte), centres
d'enseignement du
hanbalisme.
L'cole malkite se fonde principalement sur la Sunna, c'est--dire sur l'avis
des compagnons du Prophte, sur la pratique des Mdinois et sur l'intrt gnral
de la socit s'ils ne s'opposent pas aux sources principales du droit. La plupart
des disciples de l'Imm Mlik sont partis en Afrique du nord et en Espagne.
Cette cole s'est rpandue en Andalousie, au Maghreb, en Afrique subsaharienne,
aux mirats, au Kowet, Bahren, au Soudan et au Khursn (Nord-Est de
l'Iran).
L'cole shafite est un quilibre entre les deux coles prcdentes. Le fondateur, qui a
vcu La Mecque avant de partir en Irak puis en gypte, a tudi le qh d'abord selon
l'cole malkite puis selon l'cole hanate. Elle valorise la Sunna et l' idjm . Cette cole s'est
rpandue en gypte, au Ymen, et dans certains pays de l'Asie comme l'Indonsie, la Malaisie
et la Thalande.
L'cole hanbalite se caractrise par une certaine mance l'gard du kiys comme source de droit. L'opinion
personnelle est rejete. Seuls comptent le Coran et la Sunna dans leur interprtation apparente. Elle s'est surtout rpandue
dans le nord de l'Iran. Un des matres de l'cole, Ibn Taymiyya, a donn naissance au salasme en radicalisant certaines
positions de l'cole hanbalite. Cette tendance au rejet du kiys s'est radicalise en Arabie Saoudite au XIXe sicle avec
l'apparition du salasme wannabite.
Selon l'islam, les fondateurs des coles ont prvu toutes les questions et ont pos toutes les solutions les
plus justes. Dans chaque cas douteux, selon les principes tablis par leur matre, leurs disciples doivent alors rechercher les
points de similitude ou de dirence qui leur permettent de le rattacher un cas rsolue ou de l'en distinguer absolument.
Cette mthode d'assimilation et de direnciation est l'outil juridique. C'est donc partir de cette science
que se construit l'orthodoxie de l'islam en absence d'autorit lgislative.
Le refus du droit naturel
Dans l'laboration de l'orthodoxie, deux tendances se sont armes en parallle : celle du raisonnement
et celle de la tradition. L'une est incarne par Abu Hanfa, l'autre par Malk. Elle a donn lieu de nombreux dbats et
des hrsies, notamment celle des mutazilites qui dfendaient le rle de la raison dans la capacit de qualier les choses en
tout