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1870

Emeraude Mars 2014

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  • no

    27 Mars 2014

    EMERAUDE

    Un Essai apologtique

    La pierre prcieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'meraude, se voit insulte par un morceau de

    verre habilement truqu, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procder un examen et de dmasquer

    la faute. Et lorsque de l'airain a t ml l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisment le vrier ?

    (Saint Irne, Contre les Hrsies)

    Table des matires

    L'apologie de la foi . . . . . . . . 3

    Face aux paens, une lite

    intellectuelle chrtienne . . . . 6

    Interprtation de Copenhague . . 9

    Thorie de la complmentarit . 13

    Interprtation de Bohm-Broglie . 18

    Interprtation des mondes

    multiples . . . . . . . . . . . . 19

    La n de l'empire arabe des

    Omeyyades . . . . . . . . . . . 21

    meraude est aussi un blog :

    emeraudechretienne.blogspot.com

    [email protected]

    La foi, un acte rchi

    Est-il raisonnable de croire que l'glise ait plong les hommes dans l'obscurantisme

    pendant des sicles pour maintenir son emprise sur les esprits ? C'est bien mconnatre

    l'Histoire et notre civilisation. C'est aussi bien ignorer la doctrine chrtienne. C'est

    enn bien sous-estimer l'homme et ses capacits intellectuelles. Pouvons-nous en

    eet croire l'expansion du christianisme sur toute la surface de la Terre et toutes

    les poques s'il n'tait fait que pour des gens simples et ignorants ? Pourrions-nous

    encore admirer les uvres chrtiennes si elles n'taient que l'uvre de la draison ?

    Notre patrimoine est le plus beau tmoignage de la force rationnelle du christianisme...

    Si la foi est un don de Dieu, si mme l'inclination vers le commencement

    de la foi est une grce divine, Dieu nous demande un acte libre d'adhsion

    que seule peut fournir notre raison. Par le baptme, nous devenons chrtiens.

    Par l'ducation et par la culture, nous apprenons vivre et grandir chrtiennement.

    Et au cours de ce long cheminement, Dieu nous interpelle. Crois-tu ? Crois-tu au-del

    du mimtisme et des habitudes ? De mme, sans natre et grandir dans un milieu

    chrtien, Dieu arrte l'homme dans son histoire et lui pose la seule question de sa

    vie : crois-tu ? Ou encore, comme Saint Paul sur le chemin de Damas, pourquoi me

    perscutes-tu ? Pourquoi ne crois-tu pas ?

    Comme nous le rappelle le 1er Concile du Vatican (1870), le dle ne peut arriver la foi par la raison mais il peut seconvaincre qu'il est raisonnable de croire les mystres . La foi n'est pas en eet le fruit de la raison. Mais nous ne pouvons

    pas croire ce que Dieu a dit si d'abord nous ne sommes pas convaincus que Dieu existe et qu'Il a parl. L'homme ne

    croirait pas s'il ne voyait pas que cela est croyable. Nous sommes bien dans l'ordre de la conviction et donc de la

    raison. Et pour nous convaincre, nous avons besoin d'arguments, c'est--dire de signes ou de tmoignages qui nous persuadent

    qu'eectivement Dieu existe et qu'Il a parl. Ces signes sont appels motifs de crdibilit . C'est en se positionnant

    devant la vracit de ces motifs que l'homme adhre librement la foi ou la rejette, accepte ou refuse le don

    de Dieu.

    L'acceptation des tmoignages ne rclame pas ncessairement une recherche personnelle approfondie.

    Il n'est pas en eet ncessaire que chaque dle parvienne par lui-mme se convaincre de l'existence de Dieu et de sa

    Rvlation. Il peut recevoir d'autrui, par une foi naturelle, ces deux vrits de raison et passer ensuite la foi surnaturelle.

    Ainsi, par l'intermdiaire d'un croyant, nous pouvons raisonnablement croire que Dieu existe et qu'Il a parl.

    Cependant cette foi naturelle et cette conance ncessitent encore de la part du converti un

    acte de raison. Il doit en eet juger de la lgitimit de cette personne par laquelle il juge

    raisonnable ce qui lui est propos. Les faux prophtes et les faux docteurs sont en eet

    nombreux.

    L'glise n'exige pas pour chaque dle une telle science personnelle avant la foi. Elle laisse chacun

    suivre sa propre voie selon ses propres capacits. Mais cette voie passe ncessairement par un acte de

    raison. Avant sa conversion, le dle doit se rendre compte que la vrit divine est croyable

    et qu'elle doit tre crue.

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  • Comme nous le rappelle Saint Augustin, l'adhsion par la foi naturelle des vrits est une attitude naturelle parfaitement

    louable. Nous pouvons nous rfrer une personne pour admettre des vrits qui nous dpasse. La foi naturelle est

    le principe sur lequel repose l'enseignement et l'ducation. C'est faire preuve de Sagesse. Elle s'appuie en

    particulier sur la conance et sur des signes. Nous croyons en ce que dit un enseignant car non seulement il est revtu de

    toute la crdibilit ncessaire pour enseigner mais galement il inspire la conance. Ses connaissances ne susent pas pour

    les transmettre ecacement. Il a besoin d'tablir un lien de conance avec son lve an de toucher sa raison

    et sa conscience. Combien d'tudiants assistent des cours sans que rien ne se passe ? Combien d'heures perdues au fond

    d'une classe ? Une information n'est pas une connaissance...

    Cependant, la raison ne sut pas pour adhrer l'appel de Dieu. La volont joue galement un rle important. Que

    d'obstacles en eet au travail srieux du commencement de la foi ! Paresse et lgret, orgueil et esprit mondain, passion et

    immoralit. Il est encore plus dicile de croire dans un monde imprgn de rationalisme et de scientisme, cloisonn dans

    une pense unique, martel de censures. Se dtacher d'un milieu peu propice la foi ou contraire la foi demande de

    vrais eorts et exige un courage parfois surhumain. Il s'agit bien de disposer susamment de libert pour rchir

    et pour poser l'acte. Il n'y a pas de vritable rexion sans volont de se retirer du Monde au moins le temps de la rexion.

    Une autre dicult plus srieuse : c'est de vivre chrtiennement avec conviction et vritable adhsion et non par

    mimtisme. A l'heure des perscutions et des preuves se dvoilent l'authenticit et la profondeur de la foi. Le rapide dclin

    du christianisme dans notre pays s'explique probablement en partie par le conformisme qui a supplant la foi. De nombreux

    dles ont aussi apostasi lors d'une des dernires perscutions romaines cause de la lgret de leurs conversions.

    Sans la dcision de la volont, l'intelligence ne peut non plus mener bout le travail pnible et srieux qu'est l'examen

    des motifs de crdibilit. Sans volont, elle ne peut maintenir sa concentration loin des turbulences du Monde. Sans courage,

    nous sommes plutt enclins suivre le confort de la routine intellectuelle. Ne pas se poser de questions pour tre

    tranquilles conduit parfois l'enfermement de l'me et au refus de Dieu. S'en poser trop conduit aussi l'impasse. Se rfrer

    un Sage est le meilleure des remdes. La grce divine y est aussi probablement ncessaire.

    Saint Paul prchant aux

    athniens

    L'examen des motifs de crdibilit n'est pas une invention des thologiens avides de

    spculations. Il n'est pas non plus une tentative de couvrir le christianisme du voile de la raison

    pour rpondre aux accusations des rationalistes. La Sainte criture est formelle. Saint Paul exhorte

    tout prouver : N'teignez point l'Esprit (I .Thess., V, 21), c'est--dire la partie rationnellede l'me, sige de la raison, de la libert et de la grce

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    . L'aptre des Gentils rajoute : prouvez

    tout ; retenez ce qui est bon . Saint Jean demande aussi que nous prouvions notre esprit : Mes

    bien-aims, ne croyez point tout esprit, mais prouvez les esprits, s'ils sont de Dieu (I. Jean,

    IV, 1). Car notre service Dieu doit tre raisonnable. Nous ne devons pas en eet croire la

    lgre. Le dle doit se protger contre les faux prophtes et les faux docteurs. Il doit notamment

    vrier la conformit de leurs discours avec l'enseignement de l'glise. Saint Pierre demande au chrtien qu'ils soient toujours

    prts satisfaire quiconque vous demandera la raison de l'esprance qui est en vous (I. Pier., III, 15).

    Songeons aussi aux Pres apologistes et aux Pres de l'glise qui ont dfendu le christianisme contre des Juifs, des paens,

    des schismatiques et des hrtiques, en usant de nombreux arguments et dmarches rationnels. Ils ont su convaincre des

    philosophes, des scientiques et des autorits, et pas uniquement des gens simples . Nous ne convertissons pas une socit

    uniquement en convertissant les gens simples . La foi a pntr toutes les couches de l'Empire, y compris son

    lite. Elle a vaincu le paganisme.

    Pour dfendre la foi, nous avons tendance utiliser l'argument d'autorit. Mais comment s'appuyer sur un tel argument

    pour convaincre des hommes qui la refusent ? Ce n'est pas en usant de l'autorit de la Sainte criture que nous pouvons

    convaincre celui qui n'y croit pas. Il est plutt plus pertinent de commencer la discussion sur les points auxquels

    nous sommes en accord. Ainsi les Pres apologistes ont-ils us du droit de la raison commune tous pour dfendre la foi.

    Mais les motifs de crdibilit ont une ecacit relative. Leur pertinence dpend du contexte dans lequel ils sont

    prsents. Il est alors ncessaire de nous les rapproprier et d'adapter les discours pour les rendre audibles tout en demeurant

    dle l'enseignement de l'glise. Pour garantir cette dlit, il est ncessaire de faire appel une autorit indfectible.

    Le christianisme peut-il vraiment tre draisonnable ? N'a-t-il converti un empire que par la force et le mensonge ?

    Interrogeons-nous parfois sur son expansion depuis qu'un jour, douze pauvres Juifs ont os parcourir le Monde pour annoncer

    la Parole ! Imaginons les obstacles qu'ils ont rencontrs : adversit des Juifs, opposition des paens, moqueries des philosophes,

    inquitudes des marchands des temples, dviations doctrinales... Avant de sourir les terribles perscutions, ils ont port le

    poids des railleries et des humiliations. Auraient-ils pu supporter la Croix et convertir des peuples de toute rgion et de toute

    poque s'il tait vraiment draisonnable de croire ?

    1. Note de la Sainte Bible selon la Vulgate, trad. l'abb J.B. Glaire, dition DFT, 1992, annot par le R.P. Eusbe Tintori.

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  • Il n'est pas encore temps pour nous de prsenter toute la lgitimit et la force de cet argument. Nous souhaitons

    simplement suggrer que le christianisme n'a pas pu s'tendre et tre encore aujourd'hui si prsent s'il n'tait

    pas raisonnable et convainquant. La prsence mme des hrsies et de ses adversaires susent pour montrer toute la force

    rationnelle du christianisme ! Il est parfois possible d'valuer la valeur d'une doctrine en mesurant la force de ses adversaires.

    Ces derniers ont notamment permis aux chrtiens de dvelopper et de rvler toute la force rationnelle qui existe dans le

    christianisme. Croire encore que le chrtien est un rtrograde, un ignorant, un imbcile, c'est nalement prfrer l'injure et

    le mensonge la raison. C'est renier une ralit pour viter le dbat...

    L'apologie de la foi

    La Foi et la Raison ne sont pas incompatibles. Au contraire, elles se compltent harmonieusement pour exposer et dfendre

    la Vrit, objet de toute connaissance. Nous sommes des tres raisonnables. Dieu ne demande pas que nous rejetions notre

    nature humaine qu'Il a lui-mme cre. La grce divine s'appuie au contraire sur notre nature pour l'lever. Ainsi

    use-t-elle de toutes nos qualits intellectuelles pour que nous grandissions dans la vrit et l'amour de Dieu. Le salut ne va

    pas l'encontre de notre nature humaine.

    Au cours du temps et ds les premires heures, les chrtiens ont us de raison pour justier leur foi. En lisant les ptres

    de Saint Paul, nous dcouvrons une pense tonnante d'une lvation extraordinaire. Saint Jean nous lve une pense

    diante que bien peu d'crivains peuvent atteindre. La premire page de l'vangile selon Saint Jean reste une merveille

    de la pense. Nous demeurons toujours agrablement surpris par cette lumire de quitude qui se dgage de la lecture de la

    Sainte criture.

    Un contexte dfavorable la naissance et au dveloppement du christianisme

    Faisons un bond en arrire de deux mille ans environ. Nous sommes en Palestine au temps

    des Aptres. L'poque est domine par une culture paenne. Le paganisme est la religion

    de l'Empire romain. La mode est au syncrtisme avec une tendance aux religions orientales. Le

    monde de la pense est plutt hellniste. Les nombreuses philosophies grecques font encore

    d'objets d'tude dans les coles de l'Empire et continuent leur dveloppement. Depuis longtemps,

    les philosophes ne prennent plus au srieux les fables de la mythologie. Certains songent mme un

    Dieu minent ou unique, objet de pense, au-dessus de tout et matre de tout. En Palestine et aux bords de la mditerrane,

    un peuple se direncie par la foi en un Dieu personnel qui ose intervenir dans les histoires humaines...

    Quand le christianisme clot en Palestine, il se heurte rapidement une grande partie du peuple

    juif qui voit les chrtiens comme des faux docteurs, aux philosophes qui les prennent pour des gens

    ignorants, peu srieux et irrationnels, et enn aux paens qui les considrent comme des athes, des

    mauvais citoyens, des parasites. Le monde n'est ainsi gure favorable aux chrtiens. Et dans ce

    contexte si dfavorable, Notre Seigneur demande aux aptres de rpandre partout la

    bonne Parole. Ce n'est pas une invitation, c'est un ordre. La bonne nouvelle doit tre adresse

    tous les hommes sans exception.

    Le Salut qu'annonce la bonne nouvelle est universel. Il touche non seulement le peuple juif mais aussi les paens,

    les lites comme la populace, tous les hommes quel que soit leur niveau sociale, leur origine raciale ou ethnique, ... Aucun

    exclusivisme communautaire. La bonne nouvelle s'adresse tous et dans toutes les langues. Car Dieu sauve tous les hommes

    sans aucune exception. Sur la Croix, Notre Seigneur n'a exclu personne. Seul l'homme s'exclue de lui-mme. Le bonheur

    qu'Il ore est donc accessible tous. Et tous doivent le savoir.

    Cet universalisme extraordinaire a de quoi choquer un paen et un philosophe. Il choque aussi le juif. Les paens rattachent

    leur religion leur histoire, leur culture ou leur cit. Elle forme leur identit. Les philosophes refusent de diuser la

    connaissance au bas peuple et la restreignent une communaut intellectuelle. Les Juifs se renferment aussi dans une foi

    exclusive. Parole tonnante en eet qui n'aurait du naturellement ne jamais rencontrer un si grand succs.

    Cas exceptionnel, incomprhensible pour l'homme. Un vritable miracle ...

    Face aux Juifs, la Sainte criture

    Face aux Juifs, les chrtiens doivent rapidement justier leur foi. La tche n'est pas aise. Ils doivent non seulement

    prouver leur dlit envers Dieu mais surtout les clairer pour modier leur regard sur ce qu'ils ont toujours

    cru. C'est une profonde remise en cause de leurs certitudes, des certitudes devenues trop humaines. Le Messie tant attendu

    n'est pas venu pour restaurer un royaume et apporter la gloire au peuple juif. Il n'est pas venu les librer des paens et

    restaurer la grandeur du royaume de David et de Salomon. Et pourtant, Notre Seigneur Jsus-Christ est bien le Messie

    attendu. Il a ralis ce que les prophtes ont annonc.

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  • Saint Pierre et Saint

    Paul, Le Greco

    La Sainte criture est le point commun qui rapproche les juifs et les chrtiens. C'est donc

    partir de l'Ancien Testament que les chrtiens dbattront. Revendiquant le mme hritage, ils

    montrent que les prophties de l'Ancien Testament sont ralises en Notre Seigneur Jsus-Christ. Ce

    qui tait obscur est dsormais lumineux

    2

    . Deux points sont en particulier dvelopps : la valeur des

    prophties comme valeur de dmonstration et leur ralisation en Notre Seigneur Jsus-

    Christ.

    Les chrtiens engagent aussi un dbat sur le rapport entre les deux Alliances et par consquent

    sur le plan divin. L'Histoire prend un sens. L'Ancienne Alliance entre dans un plan pdagogique.

    Provisoire, il s'adapte la duret de cur du peuple de Dieu et le prpare recevoir le Salut annonc

    ds les origines. Le temps de la Nouvelle Alliance est alors venu, une alliance dnitive destine toutes

    les nations, une alliance longtemps annonce par les prophtes. Ainsi les chrtiens dmontrent que Dieu

    est auteur de l'Ancienne comme de la Nouvelle Alliance, la premire laissant sa place la seconde en

    vue d'atteindre un but unique, la premire prparant la seconde.

    Enn, les chrtiens doivent prsenter les mystres de la foi qui apparaissent pour un Juif irrationnels et scandaleux.

    Les mystres de l'Incarnation et de la Croix leur sont dicilement comprhensibles. Un eort est alors entrepris pour

    en montrer toute leur cohrence au regard de l'Ancien Testament. En outre, s'ils sont incomprhensibles, ils ne sont pas

    draisonnables au vue de l'Ancien Testament. Car ce qui leur parat incomprhensible a t en eet annonc. Et justement,

    c'est parce que cela est naturellement incomprhensible qu'il fallait le tmoignage de l'criture pour qu'au jour o cela se

    produit, les mes y adhrent avec certitude. La Sainte criture devient donc motif de crdibilit. La Sainte criture

    devient matire dmonstration pour la foi. Elle ne porte pas uniquement une Parole. Elle entre pleinement dans le plan divin.

    Face aux hrtiques, la Tradition

    Avant mme de porter la bonne parole aux paens, les Aptres sont rapidement confronts

    des erreurs au sein mme des communauts chrtiennes. Dans ses ptres, Saint

    Paul combattent les judo-chrtiens qui veulent maintenir le joug de la Loi. Il doit clairer

    les communauts, approfondir leur foi, leur montrer toute la dimension de la Nouvelle Alliance.

    Averti des dangers de faux docteurs, Saint Paul demande aussi aux communauts chrtiennes

    de ne pas entendre les gnostiques qui diusent leurs erreurs et dforment la vrit. Il doit leur

    rappeler ce qu'ils ont appris : tre dles la foi qu'ils ont reue.

    La tche des chrtiens est alors de dmasquer l'erreur par rapport l'enseignement reu, d'en montrer

    les contradictions et son inconsistance rationnelle. Quiconque veut les convertir doit connatre exactement leurs

    systmes : impossible de gurir des malades, si l'on ignorer le mal dont ils sourent

    3

    . Les chrtiens se montrent trs soucieux

    d'tre bien informs de leurs adversaires et de se munir des documentations et tmoignages ncessaires pour approfondir

    leurs penses et les rcuser. Saint Irne et Saint Optat de Milve sont des exemples de ces hommes qui ne combattent pas

    l'erreur la lgre. Ils s'appuient sur des faits vris et solides. Leur combat ne se borne pas dnoncer et rfuter

    les erreurs. Ils exposent aussi la doctrine chrtienne, la clarient, la prcisent, l'approfondissent.

    Le but de leurs travaux est de dceler et de rvler les carts qui existent entre la doctrine errone et la rgle

    de foi, une rgle qu'il faut crire et enseigner avec clart et prcision, sans ambigut, sans laisser de possibilit l'erreur de

    se dissimuler, sans non plus trahir la foi. Leurs travaux ne rfutent pas simplement les erreurs. Ils approfondissent galement

    la doctrine sur les points centraux qui font objets de questionnement et d'erreurs. Contre les manichens

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    , les donatistes

    5

    et les plagiens

    6

    , Saint Augustin a mieux dni la vritable nature du mal, de l'glise et du pch.

    Pour appuyer leurs propos, les hrtiques abusent de la Sainte criture, inventent des textes, les manipulent ou les

    falsient. De nouveau, le discernement est ncessaire pour distinguer le vrai du faux la lumire de la foi. Un

    canon est labor an d'tablir ce qui constitue la Sainte criture. Un eort est aussi fourni pour mieux comprendre ce que

    sont la Sainte criture et l'origine de son autorit.

    De quelle autorit les hrtiques peuvent-ils alors modier la rgle de la foi ou la Saint criture ? Leur argumentation

    est irrecevable. Car les chrtiens ne peuvent adapter la foi leur volont mais au contraire la volont doit s'y

    soumettre. Toute nouveaut en matire de doctrine est donc proscrite. La dlit est gage de vrit. Cela ne signie pas

    que la doctrine ne peut pas tre approfondie, claircie, prcise. Elle doit tre tire d'une source irrfutable. Pour rfuter

    une erreur, il est alors ncessaire d'identier l'autorit sur laquelle ils s'appuient et d'en mesurer toute sa

    lgitimit.

    2. Saint Justin, Dialogue avec Tryphon.

    3. Saint Irne, Contre les hrsies, Dnonciations et rfutations de la gnose au nom menteur, les ditions du Cerf, 2001.4. Voir meraude, dcembre 2013, articles sur le manichisme.5. Voir meraude, septembre 2013, articles sur le donatisme.6. Voir meraude, mars 2013, articles sur le plagianisme .

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  • Le temps de la Rvlation est en eet achev par la venue de Notre Seigneur Jsus-

    Christ. Il est l'Alpha et l'Omga. Il ne peut donc y avoir de nouveauts, de nouvelles

    rvlations. Pour juger si une doctrine est alors vraie ou errone, il faut vrier si elle est

    dle ou non la Rvlation. Face aux nouveauts, les chrtiens usent alors d'un nouvel

    argument, celui de la Tradition qui est intimement li l'enseignement et donc l'glise.

    L'enseignement de la Vrit doit demeurer dle ce qui a toujours t enseign

    dans l'glise en tant que telle. Cette dlit est notamment rendue possible par la

    succession des vques depuis les Aptres et surtout par l'autorit du Pape qui en garantit

    l'intgrit.

    Mais si tout a t rvl, tout n'est pas compris sa juste mesure. Sur des points obscurs de l'enseignement, toute

    discussion est alors possible dans l'glise jusqu'au jour o l'glise par la voix du Pape tranche la question et parle. La

    discussion laisse alors place l'obissance. Le silence est aussi parfois ncessaire quand la discussion tourne au drame sans

    qu'une rponse mature s'en dgage.

    L'enseignement de l'glise n'est ni l'enseignement d'une cole thologique, ni celui d'un homme. Les

    chrtiens ne suivent que le Christ. Ils ne sont disciples ni de Saint Paul, ni de Saint Augustin, ni de Saint Thomas. Ils

    appartiennent l'glise avant d'appartenir une nation ou une communaut. Les donatistes se sont gars en prtendant

    suivre Saint Cyprien de Carthage. Des protestants ont quitt l'glise en croyant suivre des ides de Saint Augustin. Les

    exemples ne manquent pas o l'attachement un homme ou des opinions ont gar bien des mes. Saint Paul nous a bien

    rappel l'exigence de la dlit l'gard de l'glise.

    Une hrsie peut mettre en exergue l'un des points de la doctrine chrtienne soit en le ngligeant, soit en le surestimant au

    dtriment de l'ensemble. Elle remet ainsi en cause la cohrence de la foi et nalement la foi elle-mme. Tout excs fait natre

    l'erreur. Le combat contre l'erreur ncessite alors un eort consquent pour la comprendre et la rfuter, pour approfondir

    la comprhension de la doctrine et amliorer le discours de la foi. L'glise s'oppose toute dviation l'gard de la

    rgle de la foi. Le Credo reste le socle sur lequel se rapporte toute discussion. Parfois, des hrsies acceptent la rgle de foi

    mais l'interprtent mal et en abusent. L'glise doit alors prciser son enseignement pour viter des malentendus et dnoncer

    les fausses interprtations.

    Face aux schismatiques, l'glise

    L'glise a t trs tt victime de schismes qui ont remis en cause non la doctrine de la foi mais son unit et nalement

    l'autorit qui la garantit. La tunique du Christ est encore aujourd'hui bien dchire. O scandale des scandales ! Les schismes

    naissent d'un refus de se soumettre une autorit lgitime de l'glise et de la volont de la supplanter. Ils

    peuvent natre de querelles de personnalits, de malentendus malheureux, de refus de suivre des dcisions, de s'obstiner dans

    une opinion.

    Dans la dfense de la foi, l'glise ne recherche pas simplement enseigner la Vrit. Elle recherche aussi l'unit que ralise

    la charit. La vrit ne sut pas. Tout est en eet vain sans la charit. L'erreur n'excuse pas les fautes envers la charit.

    Nous pouvons tre dans la vrai au niveau de la doctrine tout en tant hors de l'glise. La dfense de la foi doit en eet

    rpondre une double exigence fondamentale dans l'glise : la communion de l'esprit et des curs. L'unit

    de l'glise est au centre des dbats entre chrtiens dsunis. La reconnaissance de la vritable glise et la lgitimit d'une

    autorit deviennent alors l'enjeu des discussions entre catholiques et schismatiques.

    Face aux paens, la droite raison

    Dans la socit paenne, les chrtiens font l'objet d'accusations injurieuses et calomniatrices. Ils dnoncent alors l'injustice

    dont ils sont victimes. Ils combattent les mensonges, les calomnies, les perscutions. Leurs discours portent donc sur la

    notion de justice.

    Le recours la Sainte criture pour justier la foi aux paens n'est gure pertinent. Seul l'appel la raison est utile

    et ecace. Les chrtiens utilisent toute la richesse de la culture grco-romaine pour se dfendre contre les calomnies et

    exposer leurs doctrines. Toute la force de la philosophie est aussi utilise pour dfendre la vrit dont ils sont porteurs. Leurs

    discours doivent surtout se faire reconnatre comme rationnels, non seulement comparables ceux des religions paennes mais

    encore suprieurs. Les chrtiens montrent alors que la philosophie et le christianisme sont compatibles. Certains apologistes

    prtendent mme que des philosophes ont jou un rle identique auprs des Gentils celui des prophtes auprs du peuple

    juif : prparer les esprits recevoir la bonne nouvelle.

    Certains chrtiens s'adressent en philosophes des philosophes comme Saint Justin. D'autres se prsentent comme avocats

    auprs des juges comme Tertullien. Ils font ainsi appel la vrit et la justice. Matres de toutes les ressources de la

    rhtorique et du droit, ils exposent une plaidoirie vigoureuse et argumente. Contre les accusations d'infamie, ils dcrivent

    5

  • les vertus chrtiennes et expliquent le culte qu'ils rendent Dieu. Contre les accusations de tratrise, ils prouvent combien

    ils sont au contraire dles et loyaux envers la socit laquelle ils sont utiles. Ils prient mme pour les empereurs paens.

    Ils montrent aussi le rle bnque des chrtiens dans le monde. Ils sont l'me du monde . Leur argumentation devrait

    nous faire rchir, nous qui, parce que la socit n'est pas juste, en protons parfois pour tre injustes. Les exigences de

    la foi ne dpendent pas de la valeur de la socit, de sa perversit ou de son degr de christianisation. Notre

    Seigneur nous l'a enseign : nous devons aussi tre bons avec ceux qui nous maltraitent.

    Les chrtiens accusent surtout leurs calomniateurs de ne pas s'informer leur sujet et de ne

    pas respecter les procdures. Il retourne aussi les accusations contre eux. Ce sont eux qui mprisent

    Dieu, trahissent leurs lois, pratiquent des crimes et se livrent l'immoralit. Le dfenseur se fait

    attaquant.

    La foi chrtienne ne peut vivre dans un environnement ferm. La lumire ne peut briller

    pour elle-mme. Accessible tous les hommes, elle doit se confronter la raison commune et rendre

    raison d'elle-mme. Elle ne peut ignorer les contestations, les oppositions, les calomnies dont elle fait

    ncessairement objet. Inlassablement, au cours des sicles, l'glise reprend le dbat avec la mme esprance

    et les mmes exigences. Croire que le christianisme n'est pas rationnelle, c'est ignorer et lui refuser ce

    dbat.

    Les chrtiens mettent au service de la foi toutes leurs ressources, chacun apportant sa pierre l'dice

    sous l'il vigilant d'une autorit garante du dpt sacr. L'exposition de la foi, la rfutation des erreurs, la ncessit

    de dbattre, l'exigence de la Parole de Dieu ncessitent rexion, intelligence et sagesse. La foi ne supprime pas les qualits

    de chacun mais les oriente, les lve, les sublime. Ainsi la foi et la raison s'paulent mutuellement pour que la vrit se rpande.

    Mais cette exigence de vrit n'est pas une n en soi. Elle rpond deux autres exigences, probablement beaucoup

    plus hautes et diciles. D'une part, le grand commandement de la charit est la vritable me des dfenseurs de la foi.

    La douceur, la misricorde, l'humilit accompagnent la raison an que la lumire de la vrit ne blesse pas l'me. Il s'agit

    bien de combattre l'ignorance, l'erreur et la mauvaise foi et non ceux qui en sont victimes. D'autre part, tout cela serait vain

    et mme nuisible si les paroles ne sont pas accompagnes d'un vritable tmoignage de vie chrtienne. Le chrtien ne

    peut tre objet de scandale. Leur tmoignage vaut en eet tout discours. Si un chrtien fait semblant de se convertir pour

    avoir la vie sauve, il aura peut-tre sauv sa vie mais il aura perdu le combat de la foi. S'il fraude publiquement l'tat pour

    mieux garantir son confort, toute tentative d'apostolat de sa part est voue l'chec. Si les chrtiens se montrent uniquement

    juges de la vrit, terribles censeurs au cur dur, indfectibles dans la qute du mensonge, intraitables dans la dnonciation,

    ces chrtiens dfendront peut-tre la vrit mais pas la foi...

    Si le christianisme est rationnel et doit justier sa rationalit, il n'oublie pas qu'il doit aussi rpondre des exigences

    encore plus leves. L'appel la raison ne sut pas... C'est pourquoi le christianisme n'est ni une philosophie ni une science

    ni une idologie ...

    Face aux paens, une lite intellectuelle chrtienne

    Julien,

    l'apostat

    Il me parat bon d'exposer tous les raisons pour lesquelles je me suis laiss convaincre que la superstition

    des Galilens est une ction humaine, mise en uvre par la malice ; qu'elle n'a rien en elle de divin, mais a

    mis prot le penchant pour le faible, le ct puril et insens de l'esprit pour transformer un rcit fantastique

    en tmoignage vridique

    7

    .

    Selon l'empereur Julien (331 ou 332 363), le contenu du christianisme serait intellectuellement faible,incohrent et mensonger. Les chrtiens sont alors accuss d'tre des imposteurs et d'abuser des faibles,

    notamment des femmes et des esclaves, ce qui encouragerait le fanatisme. Enn, la pratique des commandements

    vangliques serait nfaste la socit. Julien n'est pas seul combattre la religion nouvelle. L'lite paenne

    et le monde de l'enseignement se dressent contre elle. Ils prsentent le christianisme comme contraire la

    sagesse et la raison. Les philosophes paens somment les chrtiens de s'expliquer et de justier leur foi. Un de

    leurs griefs consiste reprocher au christianisme son caractre irrationnel et le rle excessif dvolu la foi

    8

    .

    Aujourd'hui, le discours antichrtien n'a peut-tre gure volu. Nous pourrions nanmoins rajouter cette diatribe

    l'accusation d'anachronisme. Il n'est pas raisonnable d'tre chrtien de nos jours comme il ne l'tait pas au

    temps de l'empire romain. C'est pourtant dans cette atmosphre peu favorable que le christianisme a grandi et s'est

    dvelopp et qu'il continue encore de perdurer en dpit de l'opposition parfois agressive d'une lite intellectuelle sre de sa

    rationalit et de sa supriorit.

    7. Julien, Contre les Galilens, cit dans De Julien Cyrille de Pierre Evieux, dans Les Apologistes chrtiens et la culture grecque,

    sous la direction de Bernard Pouderon et Joseph Dor.

    8. Gilles Dorival, Apologtique chrtienne et culture grecque dans Les Apologistes chrtiens et la culture grecque.

    6

  • Le christianisme est-il vou ne sduire que les prtendus faibles et ignorants ? Ses adversaires comprennent rapidement

    leurs erreurs. En eet, leurs attaques ne restent pas sans rponse. Des chrtiens crivent des ouvrages pour justier leurs

    croyances et la lgitimit intellectuelle de leurs doctrines supposes absurdes. Pour se faire entendre, ils n'hsitent pas

    utiliser les arguments des philosophes paens et leurs propres mthodes. Les auteurs chrtiens prouvent aux lites que les

    doctrines chrtiennes peuvent tre comprises dans leur cadre intellectuel et qu'elles sont compatibles certains lments de

    leurs philosophies. Ils ne peuvent donc les juger irrationnelles sans porter atteinte leur propre rationalit.

    Leurs discours prsentent un autre intrt. Ils tmoignent de l'existence d'une lite intellectuelle chrtienne,

    capable de rpondre de manire ecace leurs adversaires. L'intelligence et la culture ne sont pas simplement

    du ct de l'lite paenne. Des chrtiens connaissent et matrisent leurs philosophies. Ils sont cultivs et peuvent rivaliser

    ses membres les plus minents. Les paens nissent mme par recourir des matres chrtiens. Origne, l'esprit le plus

    universel de son temps

    9

    , a gagn une renomm internationale au point que des princes paens veulent l'entendre. Son

    autorit est incontestable. Les crivains chrtiens ne sont donc ni des faibles, ni des ignorants. Le fait mme de rpondre

    et d'tre entendus par les philosophes paens surait montrer leurs adversaires que les chrtiens peuvent tre aussi

    savants qu'eux. Ce sont en eet de vritables philosophes qui rpondent des philosophes, arguments contre arguments

    selon leurs propres mthodes, n'hsitant pas parfois utiliser la mme argumentation. Les paens apprennent ainsi leur

    dpend que les chrtiens sont loin d'tre des esprits faibles. Par leurs ouvrages, le christianisme a gagn ses lettres de noblesse.

    D'o viennent ces chrtiens qui osent ainsi rpondre l'lite paenne ?

    Certains proviennent de l'lite paenne. Autrefoismembres de l'intelligentsia, ils se sont convertis au christianisme.

    Tatien tait un rhteur renomm avant sa conversion. Athnagore tait un matre platonicien avant qu'il ne reoive le baptme.

    Son rudition [...] le dsigne tout fait comme un de ces matres privs qu'employaient les cits pour former leur jeunesse

    10

    . Saint Justin est probablement le premier philosophe chrtien qui surpasse tous ses prdcesseurs. Reprsentant

    parfait de la classe moyenne de son temps , il est devenu philosophe. En qute de vrit, il dcouvre le stocisme, qu'il

    juge strile, le pythagorisme, trop rudit, et le platonisme. Il nit par conclure : le christianisme est la seule philosophie

    solide et utile que j'ai jamais trouve

    11

    . Dans son ouvrage Dialogue avec Tryphon le juif, il dmontre l'incomparable

    supriorit du christianisme dans la connaissance de Dieu. Car la philosophie consiste essentiellement en une recherche, en

    une qute de Dieu. La rponse se trouve dans la personne de Notre Seigneur Jsus-Christ.

    Ainsi le christianisme peut toucher des hommes minents de la socit. Comment pouvons-nous alors accepter

    les accusations de Julien, de Celse ou des intellectuels ? De telles conversions susent rejeter leurs arguments fallacieux.

    taient-ils tous en eet idiots et faibles ces Saint Justin, Athnagore, Tatien, Origne et Saint Augustin ? Mais nous pouvons

    encore citer dans l'histoire d'autres intellectuels illustres qui ont embrass la foi. N'oublions pas surtout qu'au IIe sicle, le

    fait d'tre chrtien pouvait conduire la mort. Saint Justin nira sa vie en martyr. Une conversion ne rpond pas des

    intrts conomiques, sociaux ou politiques. Elle est mme une entrave la clbrit, la tranquillit sociale, un avenir

    radieux. Car elle est l'encontre de la sagesse du Monde...

    Le christianisme n'attire pas seulement des gens rationnels et cultivs, parfaitement conscients de l'aspect raisonnable de

    la foi, il forme galement des hommes exercer leurs intelligences et lever leurs cultures, et nalement

    faire progresser l'humanit sur la voie de la connaissance et de la raison.

    Au IIe sicle, la premire formation que tout chrtien reoit avant son baptme comprend les fondements de la doctrine

    chrtienne. Ils suivent des cours de doctrines lmentaires. Le catchumne est en eet soigneusement prpar au baptme.

    tre chrtien implique en eet des exigences et des responsabilits. Ils ne s'engagent pas la lgre. De nombreuses coles

    catchtiques se sont cres dans les villes o se dveloppe le christianisme.

    Pour ceux qui veulent approfondir leurs connaissances et mieux comprendre la doctrine,

    il leur est possible de recevoir un enseignement plus pouss auprs de matres

    rputs, gnralement sous la forme d'entretiens publics ou individuels, de causeries, de

    conversations au cours duquel un matre tmoigne auprs de chrtiens dj instruits de

    la doctrine. Saint Irne coute Saint Polycarpe qui lui transmet ce qu'il avait lui-mme

    entendu des Aptres et qui lui dlivre une interprtation de la Sainte criture. Ce type

    d'enseignement s'inscrit dans la transmission de la Tradition. Saint Irne coute Saint

    Polycarpe, disciple de Saint Jean, lui-mme porte-parole de Notre Seigneur Jsus-Christ.

    L'approfondissement de la doctrine passe ainsi par la relation entre un matre et un

    lve.

    9. Hans von Campenhausen, Les Pres grecs, traduit de l'allemand par O.Marbach, ditions de l'Orante, 1963.10. Bernard Puderon, Sur la formation d'une lite chrtienne dans Les Apologistes chrtiens et la culture grecque.

    11. Saint Justin cit dans Les Pres grecsde Hans von Campenhausen.

    7

  • A ct de cet enseignement personnel se crent aussi de vritables coles qui approfondissent non seulement la

    doctrine chrtienne mais enseignent aussi les matires classiques de l'poque. A l'imitation des coles philosophiques

    des paens, des philosophes chrtiens enseignent et forment d'autres chrtiens pour les instruire et parfaire leurs connaissances,

    notamment celles des critures, mais aussi pour les initier la philosophie. Un vritable enseignement solide tait dispens

    au sein de vritables coles, tout fait comparables celles que connaissaient le monde hellnistique

    12

    . Le christianisme

    favorise ainsi l'enseignement et le progrs de la connaissance. L'Histoire montre susamment son apport dans la

    construction intellectuelle de l'Occident aussi bien dans la prservation de sa connaissance, notamment au cours des invasions

    barbares grce au travail des monastres, que dans son dveloppement grce aux coles monastiques et aux universits

    prestigieuses qu'il a fondes. De nombreux philosophes et scientiques illustres sont sortis de ces coles et ont fait progresser

    les connaissances et les sciences.

    Aprs sa conversion, Athnagore christianise son enseignement et fonde une des toutes premires

    coles chrtiennes. Muni du manteau grec qui distingue les philosophes, Saint Justin enseigne la

    philosophie en authentique matre de sagesse. Son cole atteint une telle rputation qu'elle est en

    lutte contre d'autres coles, en particulier celle de Crescens. Nous pouvons encore citer Origne qui

    attire chrtiens, paens et hrtiques.

    Dans tout l'empire romain naissent et croissent ainsi de nombreuses coles

    chrtiennes dont la rputation attire la jeunesse. De nombreux chrtiens n'hsiteront pas

    faire de grands voyages pour entendre des matres penser, comme nous le montre le priple de

    Saint Clment d'Alexandrie sur les pourtours de la Mditerrane

    13

    .

    Certaines de ces coles se sont regroupes dans des centres qui correspondent aux centres universitaires de l'poque.

    L'cole chrtienne s'est ainsi logiquement insre dans la vie intellectuelle de l'Empire romain. Le christianisme

    ne fuit pas le monde dans lequel il vit. Il ne s'enferme pas dans une forteresse comme s'il ne devait pas ctoyer le monde. Les

    chrtiens ouvrent aussi les coles tous ceux qui veulent les entendre. Les principaux centres chrtiens sont Rome, Athnes

    avant d'tre remplace par Alexandrie, et Antioche. Nous pouvons aussi citer d'autres villes secondaires comme Carthage,

    Smyrne, desse en Syrie. Ds le IIe sicle, la vie intellectuelle chrtienne est dj foisonnante, pleine de vitalit.

    C'est dans ces coles que s'est forme l'lite chrtienne.

    Saint Ambroise

    L'enseignement de ces coles varie en fonction du matre. Saint Justin est plutt tourn vers

    l'exgse et la Sainte criture, l'tude des textes philosophiques et d'autres textes profanes. Athnagore

    est plutt proccup de thologie, de morale, de physique. Dans l'cole d'Origne, l'tude est classique :

    logique, physique, gomtrie, astronomie, thique avant de passer la thologie, la mtaphysique,

    la Sainte criture. Les doctrines profanes sont enseignes non pas en tant que telles

    mais dans un but apologtique, voire mthodologique an de tirer d'elles le meilleure

    partie.

    Enn l'lite chrtienne s'est aussi forme dans les coles paennes. Aprs une solide

    formation auprs de son pre professeur, Origne tudie les philosophies grecques auprs de

    matres paens rputs pour pouvoir les rfuter. Dans le mme but, il oblige ses lves d'tudier

    mthodiquement la philosophie. Certains chrtiens appartiennent en outre une classe sociale

    qui traditionnellement se forme la culture de leurs temps. Saint Basile le Grand, vaisseau

    lourdement charg de culture

    14

    a reu un enseignement classique Csare, Constantinople et

    Athnes. Saint Ambroise en est un autre exemple. Sa culture atteint un niveau ingalable son

    poque.

    Des membres de l'lite paenne se sont donc convertis au christianisme et ont contribu par leur intelligence et leur

    culture dfendre la foi pour rpondre aux attaques de leurs anciens coreligionnaires. Le christianisme a aussi form une

    lite capable de rpondre aux accusations et aux objections des paens. Des chrtiens ont enn approfondi leur culture en se

    formant auprs des matres paens. Tout cela montre videmment que le christianisme ne s'adresse pas uniquement

    aux faibles et aux ignorants. Il s'adresse tous les hommes sans exception. Car Notre Seigneur est venu apporter la

    lumire tous.

    Si au contact des chrtiens, les paens ont htivement accus le christianisme d'tre une religion purile, nous pouvons

    peut-tre les comprendre car la graine venait d'tre seme. Mais aprs deux mille ans d'histoire o les chrtiens ont dploy

    tant d'nergie pour combattre l'obscurantisme et dvelopper les connaissances dans tous les domaines, nous ne pouvons

    qu'tre atterrs et attrists d'entendre encore une telle accusation. Les fables du XVIIIe sicle sont-elles encore plus

    imposantes que la force de la raison ? La haine contre l'glise a-t-elle plus de poids que la connaissance et la

    sagesse runies ?

    12. Bernard Pouderon, Sur la formation d'une lite chrtienne.

    13. Bernard Pouderon, Sur la formation d'une lite chrtienne.

    14. Saint Grgoire de Nazianze, Discours, 43, 21 cit dans Les Pres grecs de Hans von Campenhausen.

    8

  • Cependant, n'oublions pas l'exemple de Saint Augustin. Si le christianisme fait encore l'objet d'une telle accusation, c'est

    peut-tre parce que nous ne sommes peut-tre pas la hauteur des exigences de notre foi. O est l'lite chrtienne aujourd'hui

    capable de rpondre aux attaques incessantes dont le christianisme fait l'objet ? Que rpond-elle des hommes qui

    recherchent de vritables rponses et manquent de repres ? Ils ne veulent pas de belles phrases plaisantes qui ne

    mnent rien. Ils recherchent surtout d'hommes convaincus et convaincants.

    Au IIIe sicle, l'empereur Julien comme tant d'autres paens connaissent la valeur de leurs adversaires. Dans leurs

    ouvrages, ils dnoncent le sectarisme des chrtiens, c'est--dire leur opinitret dans leur croyance. Ce n'est donc pas

    leur dmarche rationnelle qui est vraiment remise en cause mais leur comportement, leur inbranlable dlit leur foi.

    Aujourd'hui, avons-nous cette certitude inbranlable de possder la vrit ? Hommes de peu de foi...

    L'autre lment perturbant pour les paens est le refus des chrtiens de rester neutres face la Vrit. Car la

    connaissance de la vrit implique un comportement, un changement de vie. Elle n'est pas que paroles transmettre ou

    tudier. Elle implique un choix et des dcisions. Elle est principe d'actions. En prenant conscience de la Vrit, l'homme

    ne peut pas fuir devant ses responsabilits. Il ne peut plus vivre comme s'il ne savait pas. Il importe maintenant de prendre

    ouvertement fait et cause pour cette Vrit, l'encontre de tout prjug et de toutes les calomnies, ainsi qu'il convient aux

    philosophes et mme, s'il le faut, en y risquant sa vie

    15

    .

    Et nalement, les paens accusent les chrtiens de mettre la foi au-dessus de la raison.

    Il y a l un lment qui rend irrconciliable, du point de vue des philosophes, le christianisme et la

    philosophie

    16

    . Les philosophes paens acceptent que la foi joue un rle dans l'activit philosophique

    mais en tant que marchepied la raison. Or chez les chrtiens, la raison est servante de la foi.

    L'adhsion au christianisme repose sur une rvlation. Tout repose sur Notre Seigneur Jsus-Christ et non

    sur des motifs de raison. Comme les Pres de l'glise n'ont cess de l'armer, la raison et la philosophie

    ne susent pas pour saisir la Vrit et pour la vivre. L'Histoire du christianisme en montre tout

    leur danger quand elles sont livres des hommes gars. Il faut s'en remettre ncessairement l'autorit

    de l'glise.

    C'est pourquoi forts de la foi, les crivains chrtiens ont une libert incroyable. La supriorit de Saint Justin n'est

    pas simplement le fruit d'une culture plus riche, plus profonde, mais tient avant tout l'attitude trs personnelle que Justin

    prend lui-mme l'gard de cette culture

    17

    .. Ils ne sont pas assujettis un modle social ou intellectuel. Notre Seigneur

    Jsus-Christ nous donne cette libert contrairement aux accusations des paens. Un chrtien est un homme libre...

    En acceptant la confrontation avec l'hellnisme, les Pres ont permis une secte juive dissidente de se transformer

    en une institution capable non seulement d'accueillir les gens simples de tout l'empire romain, mais aussi de rpondre aux

    besoins des lettrs et des lites

    18

    . Sous la lumire de la foi, les Pres de l'glise montrent que les doctrines chrtiennes

    sont croyables et non draisonnables. Audacieux, ils en arrivent mme dmontrer l'ignorance de leurs adversaires et leur

    indignit dans leur rle de philosophes

    19

    . Enn, leurs activits littraires et philosophiques sont de beaux tmoignages d'une

    vrit profonde : la foi lve les capacits de l'homme et ne les supprime pas. Aujourd'hui, de manire inattendue,

    nous avons pu entendre un philosophe des sciences, scientique rput, prendre comme rfrence Saint Augustin dans une

    des questions cls de la science moderne qu'est la notion du temps. Quel plus bel hommage que nous pouvons rendre ces

    chrtiens ! ...

    Interprtation de Copenhague

    Le Monde quantique est bien trange apprhender pour la physique classique. Comment peut-elle en eet le

    comprendre quand il renie l'une de ses hypothses fondamentales ? En eet, la science issue de Descartes et de

    Newton tudient les objets comme s'ils taient possibles de les isoler du Monde dans lequel ils se dploient et des eets

    de l'observation elle-mme. Or l'tude de l'inniment petit montre que l'observateur intervient dans la mesure de l'objet

    qu'il observe. Le fait de connatre inue sur l'objet de notre connaissance. Cette dcouverte soulve de nombreuses

    questions sur l'objectivit de notre connaissance du Monde. Certains scientiques en viennent remettre en cause notre

    connaissance, voire la ralit elle-mme.

    Dans les mdias, il n'est gure pensable et utile de dcrire les principes de la physique quantique

    20

    . Il est aussi trs

    dicile de les simplier pour les rendre comprhensibles. L'opinion ne cherche que du sens et non des thories. Il

    est donc souvent plus simple de lui donner directement leur signication et de dcrire le Monde quantique, c'est--dire de

    15. Saint Justin cit dans Les Pres grecs de Hans von Campenhausen.

    16. Gilles Dorival, Hellnisme et patristique grecque : continuit et discontinuit, Universit de Provence et Centre Lenain de Tillemont.

    17. Saint Justin cit dans Les Pres grecs de Hans von Campenhausen

    18. Gilles Dorival, Hellnisme et patristique grecque : continuit et discontinuit.

    19. Saint Justin dmontre que Crescens, son adversaire, ignore ce qu'il condamne. Origne a aussi montr que Celse ignorait le christianisme.

    Voir Celse et Origne, un combat qui dure encore, meraude, 14/02/2012.20. Nous les avons dcrits dans meraude, fvrier 2014.

    9

  • lui fournir des interprtations. L'une d'entre elles est prpondrante dans les mdias et dans l'enseignement. Elle domine la

    communaut scientique mme si aujourd'hui elle semble tre discute.

    Quand nous ne disposons que des concepts et des outils de la physique classique pour aborder

    le Monde quantique, nous nous confrontons rapidement des contradictions. Pour y faire face, la

    plus simple des solutions pour un scientique est de ne pas les confronter en ne voyant dans les

    thories que des outils pour agir sur le Monde. La vrit n'a donc plus d'intrt et de sens pour

    lui. Une proposition est alors vraie lorsqu'elle lui apparat utile. Un couteau aiguis est plus ou

    moins vrai ou faux selon qu'il tranche ou non une viande et non dans le sens o nous disons qu'une

    table est rouge. Ainsi selon cette conception instrumentaliste de la science, la physique

    classique est vraie tant qu'elle donne des rsultats satisfaisants, c'est dire tant qu'elle

    est fconde. La ralit en soi n'a donc pas de sens pour ce scientique. Ce qui le proccupe est

    d'agir sur cette ralit et non sur ce qu'est la ralit.

    Il est possible de refuser cette solution en essayant de donner du sens aux thories. L'interprtation dite de Copenhague

    est un courant de penses en qute de cohrence dans le Monde quantique. Une de ses variantes, moins

    philosophique et plus instrumentaliste, domine aujourd'hui les manuels et les coles. Elle est considre comme l'interprtation

    classique de la physique quantique. Ces deux interprtations sont centres sur l'interaction entre l'objet observer

    et l'observateur et donc sur la connaissance de la ralit.

    Interprtation classique

    Dans l'interprtation classique, la fonction d'onde est considre comme un outil prdictif qui permet de dterminer

    les direntes probabilits d'une mesure. Si la prdiction d'une mesure de grandeur physique relatif un objet atteint

    la certitude, l'objet dispose alors de cette proprit. Les objets du Monde quantique ont alors une ralit et peuvent recevoir

    des proprits. Mais certaines grandeurs ne l'atteignent pas ; elles ne sont donc pas considres comme des proprits. Il n'y

    a donc pas de sens de les chercher dans le Monde quantique. Dans ce Monde, nous parlons donc de fait quand il concerne

    des rsultats de mesures ou des prdictions certaines. Si un instant t, un Geiger dtecte une dsintgration alors il y a bien

    eu dsintgration d'un atome. Les proprits d'objets peuvent donc tre connues par des expriences. Mais ces prdictions

    sont fortement probabilistiques. Les mesures sont en eet imprvisibles puisque le fait de mesurer un systme le perturbe

    de manire alatoire. C'est pourquoi le Monde quantique est fondamentalement indterministe.

    Il y a deux manires de considrer les probabilits. Dans le Monde classique, elles ont pour but de dcrire des

    systmes dont nous ne pouvons pas connatre avec prcision l'tat des lments qui les composent. Elles retent donc une

    certaine incapacit dterminer les dtails d'un systme et ne font que donner des moyennes. Selon Laplace, elles sont un

    moyen de contourner notre ignorance. Dans le Monde quantique, elles ont un rle bien dirent : elles dcrivent compltement

    le systme. Dans l'interprtation classique de la physique quantique, les probabilits ne sont pas un reet de

    notre ignorance mais retent la nature mme du systme qu'elles dcrivent. Les prdictions ne peuvent tre

    que probabilistes car le monde est fondamentalement indterministe .

    Pourtant l'quation de Schrdinger est dterministe. Dans l'interprtation classique, elle ne s'applique nanmoins qu'entre

    deux mesures. Ainsi entre deux observations, le Monde quantique est parfaitement dtermin mais le fait de mesurer le rend

    indterministe. Le Monde quantique est divis en deux parties, l'une dterministe, parfaitement dcrite par

    une quation quand il n'est pas objet de mesure, l'autre indterministe au moment mme de la mesure.

    L'quation de Schrdinger est parfaitement dterministe du point de vue mathmatique, puisque la donne d'une onde,

    un certain instant, dtermine son devenir tout instant ultrieur . Pourtant quand cette onde se manifeste concrtement

    par l'arrive d'un lectron dans un dtecteur, cela ne peut tre que de manire totalement alatoire. Il s'agit d'un hasard

    intrinsque, sans qu'il n'y ait de cause ignore ou cache, ni de mcanisme concevable bien qu'incontrl : un hasard absolu

    21

    .

    Comment pouvons-nous alors concilier ces deux parties d'un mme monde dont l'volution est dirente

    et incompatible ? La principale dicult rside dans la dnition de la mesure. A partir de quels critres pouvons-nous

    dire qu'une observation est une mesure ? Et qu'est-ce qu'une observation ? Sut-il qu'un regard se porte sur un objet

    pour qu'il y ait interaction ? Et quel regard ? Celui d'un animal, d'un homme ? Ce problme, dit problme de la mesure ,

    est insoluble dans l'interprtation classique en dpit des solutions qu'on a pu apporter.

    Mais cela ne pose aucun problme au niveau du dispositif exprimental. La mcanique quantique est parfaitement

    convenable d'un point de vue pragmatique. Un problme existe seulement lorsqu'on demande que la thorie et son interprtation

    puissent s'noncer clairement, de faon cohrente et sans ambigut . Nous retrouvons la qualit instrumentaliste de la

    physique quantique. Finalement, l'interprtation contient seulement ce dont un physicien instrumentaliste peut avoir besoin

    pour utiliser la thorie .

    21. Voir Roland Omns, Comprendre la mcanique quantique, EDP.

    10

  • Interprtation de Copenhague

    L'interprtation de Copenhague est dnie comme l'interprtation de la mcanique quantique commune tous les

    scientiques qui ont appartenu au groupe de Copenhague - Gttingen, notamment Bohr, Born, Heisenberg, Pauli, Jordan,

    Dirac... Gnralement, Bohr est considr comme l'un des principaux auteurs. Elle est aussi dnie comme l'interprtation

    expose l'automne de 1927 par Werner Heisenberg et Max Born la Ve confrence de Solvay sous le titre de mcanique duquanta. Enn selon certaines tudes, elle peut aussi se dnir comme l'ensemble des propositions que rejettent les adversaires

    du groupe de Copenhague, par exemple Einstein et Schrdinger. C'est surtout par opposition ce qu'ils avaient en commun

    que leurs opposants ont quali rtrospectivement leur interprtation comme tant celle de Copenhague .

    L'interprtation de Copenhague n'est pas un ensemble de propositions bien dnies et partages par l'ensemble des

    membres. Il existe en eet des direnciations entre Heisenberg qui met davantage accent sur le rle de l'observateur, et Bohr

    qui se focalise sur le langage. Bohr est plus philosophique quand Heisenberg est davantage pragmatique.

    Interaction entre l'objet observ et l'observation

    Niels Bohr

    L'interprtation de Copenhague se concentre principalement sur l'interaction existant entre

    un objet et l'instrument de mesure. Le postulat quantique (...) exprime que toute observation des

    phnomnes entrane une interaction nie avec l'instrument d'observation ; on ne peut pas par consquent

    attribuer ni aux phnomnes ni l'instrument d'observation une ralit physique autonome au sens ordinaire

    du mot. De toute faon, le concept d'observation contient un lment arbitraire : il dpend du choix des objets

    compts comme faisant partie du systme observ.

    22

    L'objet ne peut pas tre tudi sans prendre en compte

    l'instrument de mesure. Ils forment un seul systme contrairement la physique classique qui les

    dissocie. Isoler une partie des phnomnes atomiques pour tudier en eux-mmes n'est qu'une idalisation.

    On a aaire une totalit insparable . Vouloir tudier l'inniment petit selon les principes de la physique

    classique revient en eet idaliser la science. Cette idalisation est possible dans le monde macroscopique cause de

    la petitesse du quantum d'action vis--vis des actions qui interviennent dans nos perceptions ordinaires

    23

    . Ainsi toute

    mesure se dnit en fonction des conditions exprimentales et n'a de sens que par rapport ces conditions. L'observation

    d'un phnomne est donc dpendante de l'exprimentation elle-mme.

    A partir de ce constat sont dnis deux concepts : le concept de la complmentarit et le concept de la rduction

    de la fonction d'onde.

    Concept de la complmentarit

    Les eets de l'observation sur l'objet observ ne sont pas ngligeables dans le Monde quantique. Le fait d'isoler un

    objet comme le prtend la physique classique est donc une illusion. En physique classique, la science partait

    de la croyance - ou devrait-on dire de l'illusion ? - que nous pouvons dcrire le monde sans nous faire en rien intervenir

    nous-mmes.

    24

    Cela ne signie pas que la connaissance scientique est subjective mais que la physique classique qui se base

    sur cette croyance n'est pas adapt au Monde quantique. La thorique quantique ne comporte pas de caractristiques

    vraiment subjectives, car elle n'introduit pas l'esprit du physicien comme faisant partie du phnomne atomique ; mais elle

    part de la division du monde entre objet et reste du monde, ainsi que du fait que nous utilisons pour notre description les

    concepts classiques. Cette division est arbitraire

    25

    .

    Un systme du Monde quantique ne peut donc tre pens hors des conditions exprimentales. Les proprits d'un

    systme physique ne peuvent tre penses indpendamment des conditions d'observation, qui se ramne en dernier ressort

    des dispositifs d'observation et de mesure de caractre macroscopique, appropris nos sens, et faisant appel aux grandeurs

    de la physique classique, supposes plus naturelles que d'autres.

    26

    C'est pourquoi nous dcrivons le Monde quantique

    selon des concepts de la physique classique, concepts pourtant inappropris d'o viennent les contradictions.

    Le Monde quantique est donc trange non par ses proprits mais par l'usage de notre langage. Il est prsent selon des

    notions et des mots inadapts pour le dcrire. Ce paradoxe est la source des contradictions constates.

    Le principe d'incertitude vient ainsi non de la ralit mais traduit les limites de notre connaissance. Toute

    exprience physique, qu'il s'agisse de phnomnes de la vie quotidienne ou de phnomnes atomiques, se dcrit forcment en

    termes de physique classique. Les concepts de physique classique forment le langage grce auquel nous dcrivons les conditions

    dans lesquelles se droulent nos expriences et communiquons leurs rsultats. Il nous est impossible de remplacer ces concepts

    par d'autres et nous ne devrions pas le tenter. Or, l'application de ces concepts est limite par les relations d'incertitude et,

    quand nous utilisons ces concepts classiques, nous ne devons jamais perdre de vue leur porte limite, sans pour cela pouvoir

    22. Bohr, La thorie atomique et la description des phnomnes cit dans Les fondements philosophiques de la mcanique

    quantique de Grete Hermann, Librairie philosophique J. Vrin, 1966.23. Bohr, La thorie atomique et la description des phnomnes.

    24. Werner Heisenberg, Physique et Philosophie, ditions Albin Michel, 1971.25. Werner Heisenberg, Physique et Philosophie.

    26. Michel Pathy, Interprtations et signications en physique quantique in Revue internationale de philosophie, n

    o 212, 2000.

    11

  • ou devoir essayer de les amliorer

    27

    . Le Monde quantique perd donc tout sens lorsqu'il est transcrit dans notre

    langage. Et il n'existe pas de langage capable de donner du sens au Monde quantique.

    Or il n'y a pas de connaissance sans discours, sans description, sans langage. Par consquent, la connaissance du

    Monde quantique en tant que tel n'a pas de sens. Demander que l'on dcrive ce qui se passe dans le processus

    quantique entre deux observations successives est une contradiction in adjecto, puisque le mot dcrire se rfre l'emploi des

    concepts classiques, alors que ces concepts ne peuvent tre appliqus dans l'intervalle sparant deux observations

    28

    .

    Heisenberg et Niels

    Bohr

    Selon Bohr, nous ne pouvons donc connatre le Monde quantique que lorsqu'il fait l'objet d'une

    mesure et la description que nous en tirons use de concepts inadapts puisqu'ils sont tirs de la physique

    classique. Et il n'en existe pas d'autres. Par consquent, la science est incapable de nous faire

    connatre le Monde quantique. La position de Heisenberg est dirente. Il donne comme rle

    la physique quantique de reprsenter la connaissance que nous avons de la ralit et non la

    ralit en elle-mme. Il se proccupe surtout des relations entre ce que nous percevons et non de la

    ralit.

    Le concept de rduction de la fonction d'onde

    Selon l'interprtation classique, le monde est divis en deux ensembles dont l'un est dtermin par l'quation de Schrdinger,

    parfaitement dterministe, et l'autre qui n'est qu'une actualisation alatoire d'un ensemble de phnomnes possibles, deux

    ensembles nalement incompatibles. La dicult est de passer d'un ensemble un autre.

    Selon l'interprtation de Copenhague, la formule de Schrdinger dcrit un ensemble de potentialits et de possibilits

    d'un phnomne hors de toute mesure. Le fait de mesurer fait qu'une de ces possibilits se ralise du fait de

    l'interaction de l'observateur dans le fait d'observer. La transition du "`possible"' au "`rel"' [...] a lieu pendant

    l'acte d'observer

    29

    . Le fait d'observer un systme quantique lui donne susamment d'informations pour qu'il n'y ait plus

    de probabilit. Ce passage entre potentialit et actualisation du phnomne est appel rduction de la fonction d'onde.

    Cela signie concrtement que la valeur d'une grandeur physique n'existe pas hors de la mesure. C'est le fait

    mme de mesurer qui donne existence cette valeur. Le processus de la mesure impose le phnomne prendre une

    valeur prcise. Un phnomne n'a donc pas de proprits intrinsques. Ces dernires sont cres partir de l'observation.

    Comme dans l'interprtation classique, la dtermination de cette valeur est alatoire. Nous sommes donc trs loin de

    la physique classique qui suppose que les valeurs mesures soient attaches au systme qu'elles dcrivent,

    indpendantes de toutes observations.

    4

    8

    7

    5

    6

    1 3

    2

    X tats

    7

    1 tat

    Sans Mesure Avec Mesure

    Rduction de la fonction donde

    Ainsi l'interprtation de Copenhague direncie un phnomne selon qu'il est observ ou

    non :

    s'il n'est pas observ, il n'est pas possible de le connatre. Seule l'quation de Schrdinger

    donne les dirents tats du systme ;

    s'il est observ, le fait mme d'observer apporte susamment d'lments au systme

    observ pour qu'il se manifeste sous une des potentialits dcrites par la formule de

    Schrdinger.

    En conclusion, entre deux mesures, il n'est pas possible de connatre quoi que ce soit sur le Monde quantique. Et lors de

    la mesure, nous ne faisons que dcrire le systme comprenant le phnomne d'tude et l'observateur, et non le phnomne

    en lui-mme. En clair, la connaissance objective d'un phnomne est impossible selon l'interprtation de

    Copenhague.

    Potentialit de ralit

    La ralit selon l'interprtation de Copenhague est encore plus extravagante. En eet, cette interprtation ne traite pas

    simplement de la connaissance mais aussi de la ralit. La formule de Schrdinger ne dcrit pas des possibilits au sens

    o il s'agirait des descriptions possibles que nous pouvons avoir de l'observation mais bien des vritables potentialits

    de ralit. Dans le point de vue orthodoxe, la fonction d'onde donne bien la description ultime de toutes les proprits

    physiques existantes du systme ; elle n'est en rien, ni contextuelle, ni relative un observateur ou un autre

    30

    . Comme

    notre langage est incapable de saisir ce que cela signie rellement, nous ne pouvons pas saisir ce qu'il se passe hors de

    toute mesure. Le fait mme de mesurer rend nalement la ralit connaissable au sens o elle devient intelligible. En clair,

    l'observation cre de la ralit connaissable. Ou dit autrement, hors de l'observation, rien n'est intelligible. Ou selon

    une variante extrme de l'interprtation de Copenhague, hors de l'observation, rien n'est rel.

    27. Werner Heisenberg, Physique et Philosophie.

    28. Werner Heisenberg, Physique et Philosophie.

    29. Werner Heisenberg, Physique et Philosophie.

    30. F. Lalo, Comprenons-nous vraiment la mcanique quantique ?, Dpartement physique de l'ENS.

    12

  • Une thorie complte

    L'interprtation de Copenhague a t prsente comme une thorie complte : Nous tenons la mcanique des quanta

    pour une thorie complte, dont les hypothses fondamentales, physiques et mathmatiques, ne sont plus susceptibles de

    modication

    31

    . Elle est complte non pas relativement une ralit mais l'exprience. Elle n'est pas cense

    dcrire la ralit car elle prtend que l'homme est fondamentalement incapable de le faire.

    Finalement aux dicults physiques du Monde quantique, l'interprtation de Copenhague associe un

    problme philosophique qu'est celui de la connaissance. Elle conduit donc renouveler une rexion sur ce sujet

    et mme l'tendre au-del de la physique quantique. Enn, Bohr et surtout Heisenberg posent en principe une limite

    cette connaissance. Bohr suggre mme que la ralit physique telle que nous la connaissons dpend du contexte dans lequel

    elle est observe. L'interprtation de Copenhague dnie alors toute possibilit de dcrire une ralit physique

    indpendante, objective. C'est pourquoi elle fut notamment refuse par Schrdinger et Einstein qui ont dfendu le ralisme

    scientique...

    Thorie de la complmentarit

    Niels Bohr

    Concept ou thorie, la complmentarit est un des points centraux de

    l'interprtation de Copenhague. Elle est ne d'abord pour rpondre aux objections de

    ses adversaires et l'apparente irrationalit de la physique quantique. Elle a suscit ou

    rveill de nombreux problmes philosophiques qui dbordent le domaine de la physique pour

    atteindre d'autres sciences et nalement toucher le domaine de la connaissance. En insistant

    sur les relations d'interactions entre l'objet observ et l'observateur, et en s'interrogeant

    sur la valeur du discours scientique, Bohr remet en cause les bases fondamentales

    de la science et de la connaissance. Nous allons donc tudier davantage ce qu'est la

    complmentarit.

    Dnition de la complmentarit

    Bohr est considr comme le vritable auteur de la complmentarit. Il la prsente la premire fois au Congrs de Physique

    international Cme en septembre 1927 puis lors du 5me conseil de Physique de Solvay. Elle se dnie en trois points 32 :

    l'existence de plusieurs descriptions ncessaires d'un mme phnomne ;

    l'ide qu'il existe des couples de descriptions mutuellement exclusives qui ne peuvent pas tre appliques simultanment ;

    l'ide que ni l'une ni l'autre description d'un couple n'est susante pour donner une description exhaustive du

    phnomne en question, et que par consquent, une description exhaustive au sens classique est impossible.

    Bohr a dni complmentaires tantt les reprsentations ondulaires ou corpusculaires des objets quantiques, tantt des

    variables conjugues reprsentant des proprits caractristiques de chacune de ces reprsentations. Les termes dsignant

    ces reprsentations ou proprits ne peuvent pas tre employs ensemble. Nous pouvons ainsi parler de l'lectron

    comme d'une onde ou comme d'une particule mais nous ne pouvons pas employer les deux concepts ou leurs proprits

    respectives en mme temps. Si nous parlons de l'lectron en tant que particule, nous ne pouvons pas faire rfrence

    simultanment sa position et sa vitesse, deux concepts complmentaires.Ces reprsentations ou proprits prsentent

    nanmoins des aspects de la ralit qui doivent tre prises en compte pour puiser notre connaissance de la

    mme ralit. Il sera en gnral ncessaire de nous placer dirents points de vue pour clairer sous toutes ses faces un

    seul et mme objet, ce qui rend impossible une description univoque d'un mme objet

    33

    .

    La complmentarit est en rapport avec la discussion sur la signication physique des mthodes de la thorie des

    quanta

    34

    , c'est--dire du sens physique et de la ralit objective des concepts utiliss dans le discours scientique.

    Bohr aborde cette question en posant le problme au niveau de l'observation.

    Si l'origine, Bohr prsente la complmentarit comme un point de vue particulier, il la considrera progressivement

    comme un principe, une position philosophique, sans pourtant changer sa dnition. Elle nit par devenir une nouvelle

    philosophie de la connaissance. Ce changement serait une raction aux objections de ses adversaires, en particulier

    d'Einstein.

    31. Born et Heisenberg, lectrons et photons, cit dans Interprtations et signications en physique quantique de Michel Pathy, in

    Revue internationale de philosophie, n

    o 212, 2000.32. Bernadette Bensaude-Vincent, L'volution de la complmentarit dans les textes de Bohr (1927-1939) in Revue d'histoire dessciences, 1985, Tome 38,no 3-4, www.persee.fr.33. Bohr, La thorie atomique et la description des phnomnes cit dans Les fondements philosophiques de la mcanique

    quantique de Grete Hermann, Librairie philosophique J. Vrin, 1966.34. Bohr cit dans L'volution de la complmentarit dans les textes de Bohr (1927-1939).

    13

  • Il semble que la complmentarit est devenue aujourd'hui une notion obsolte en physique quantique aprs avoir

    eu un pass prestigieux. Cependant, au-del de la science, elle joue encore un rle non ngligeable dans la philosophie de la

    connaissance. Elle demeure en particulier une arme pour les antiralistes.

    Le Monde quantique, une rupture avec le Monde classique

    Dieu joue-t-il aux ds ?

    Revenons d'abord aux principes sur lesquels repose la science classique depuis le XVIIIe sicle.

    Le dterminisme en est un des points cls. Par la connaissance prcise du prsent, nous pouvons

    prvoir l'avenir. Si un temps donn toutes les donnes du systme sont connues, alors il est

    possible de prdire avec certitude le comportement physique du systme dans le futur

    35

    . La

    connaissance du prsent ncessite cependant de pouvoir saisir toutes les proprits physiques des

    objets ncessaires la description des phnomnes observs. Dans la thorie classique on part

    de certains nombres qui dcrivent compltement l'tat initial du systme et l'on dduit d'autres

    nombres qui dcrivent compltement l'tat nal. Cette thorie dterministe ne s'applique qu'

    un systme isol

    36

    . En eet, le dterminisme ne s'applique que sur un systme isol,

    indpendant de l'observateur et des conditions exprimentales. Or toute observation

    des phnomnes entrane une interaction nie avec l'instrument d'observation . Du moment qu'il est observ, un

    systme n'est plus isol dans le Monde quantique. Et sans mesure, il n'y a pas non plus possibilit de le

    connatre.

    Dans le Monde inniment petit, l'interaction n'est pas ngligeable. Ce n'est pas un phnomne marginal. Il est inscrit

    au cur de la thorie selon l'interprtation de Copenhague. Cette interaction conduit quelque chose d'arbitraire

    37

    dans

    l'observation, une certaine irrationalit de la description. Ce problme impose, selon Bohr, rompre avec les habitudes

    de penser et les concepts de la physique classique.

    L'erreur de la physique classique

    La physique classique utilise des concepts que les physiciens manipulent selon un cadre rigide mis en place au XIXe sicle.

    Ce cadre tait form des concepts fondamentaux de la physique classique, l'espace, le temps, la matire et la causalit ; le

    concept de ralit s'appliquait aux choses ou aux phnomnes que nous pouvons percevoir avec nos sens ou qui peuvent tre

    observs au moyen des instruments perfectionns que la technique avait fournis... Le changement le plus important d aux

    rsultats de la physique moderne est d'avoir bris ce cadre rigide de concepts

    38

    . Que devient par exemple la notion de

    vitesse lorsque la notion de position n'a plus de sens ? Les rsultats obtenus par la physique moderne atteignent eectivement

    des concepts aussi fondamentaux que celui de ralit ou ceux d'espace et de temps... il semble qu'il y ait une rupture relle

    dans la structure de la science

    39

    .

    Non seulement nous ne pouvons pas connatre exactement les grandeurs physiques mais en outre nous usons d'un langage

    inappropri. D'o vient cette impossibilit de dcrire le Monde quantique avec les concepts classiques, impossibilit qui cause

    tant de contradictions et de discours irrationnels ? D'o sont forgs les concepts classiques ?

    Selon l'interprtation de Copenhague, la physique classique a cr des concepts selon l'ide qu'il

    traduisait l'tat des choses telles qu'elles taient perues. Dans la physique classique crit Bohr

    l'idal d'objectivit est atteint du fait que, mises part les conventions terminologiques non essentielles, la

    description est fonde sur des images et des ides ancres dans le langage ordinaire, qui est lui-mme adapt

    notre orientation vers les vnements de la vie ordinaire

    40

    . La physique classique s'est dveloppe comme

    s'il y avait continuit et conformit entre une chose, sa perception ordinaire et le discours scientique

    qui la dcrit. Elle suppose donc que la conceptualisation de faits rels permet de les saisir dans leur ralit.

    La structure de l'espace et du temps dnie par Newton sur la base de la description mathmatique de la

    nature tait simple, cohrente et correspondait trs bien l'emploi des concepts d'espace et de temps dans la vie quotidienne ;

    cette correspondance tait en fait si proche que les dnitions de Newton pouvaient tre considres comme la traduction

    mathmatique prcise de ces concepts habituels [9].

    Cette hypothtique conformit entre la ralit et sa conceptualisation est devenue au l du temps ralit

    aux yeux des physiciens. Il s'agit donc, pour la physique classique, de poser mtaphysiquement l'existence d'une ralit

    autonome an de pouvoir rendre lgitime l'ide que le discours est la traduction, toujours plus adquate, des caractres de

    cette ralit . Avec cette idalisation, cette pseudo-vidence, la physique classique a contourn le problme ontologique

    de la connaissance que rveille nalement le Monde quantique.

    35. W. Heisenberg, Die Rolle der Unbestimmtheitsrelationen in der modernen Physik , 1931, cit dans Complmentarit et langage dansl'interprtation de Copenhague de Catherine Chevalley.

    36. Catherine Chevalley, Complmentarit et langage dans l'interprtation de Copenhague.

    37. Bohr cit dans L'volution de la complmentarit dans les textes de Bohr (1927-1939).38. W. Heisenberg, Physique et philosophie.

    39. W. Heisenberg, Physique et philosophie.

    40. N. Bohr, Physical Science and the Study of Religions dans Mlanges de Pedersen, 1953.

    14

  • Cela conduit remettre en cause la philosophie cartsienne. Nous serions selon Descartes les spectateurs du Monde

    qui peuvent alors s'abstraire du Monde pour pouvoir l'tudier. Les tenants de l'interprtation de Copenhague rpondent que

    nous en sommes aussi des acteurs. Ils critiquent Descartes qui aurait dissoci res cogitans (l'tre de l'esprit) et res

    extensa (l'tre de la nature).

    La complmentarit s'oppose cette idalisation : d'aprs l'essence de la thorie des quanta, nous devons

    nous contenter de considrer la reprsentation dans l'espace-temps et le principe de causalit, dont la combinaison est

    caractristique des thories classiques, comme des traits complmentaires mais s'excluant mutuellement, de la description

    de l'exprience, qui symbolisent l'idalisation des possibilits d'observation et de dnition

    41

    . Il y a complmentarit et

    exclusion de la description et de la causalit. Il n'y a plus de relation comme cela existe dans la physique classique. Bohr

    demande donc de renoncer la tradition positiviste de la science et l'idalisation de la physique. Il faut renoncer

    l'absolu an d'viter les contradictions.

    Un discours impossible pour dcrire le Monde quantique

    Selon toujours l'interprtation de Copenhague, il n'y a pas simplement impossibilit de dcrire le Monde quantique de

    manire cohrente avec les concepts classiques de la physique mais il y a surtout impossibilit d'en crer d'autres capables

    de donner un discours cohrent. Aucun mot ne peut exprimer la ralit du Monde quantique puisque nos mots

    portent une perception errone de cette ralit. Tous les mots du langage ordinaire portent l'empreinte de nos formes

    habituelles d'intuition, pour lesquelles le quantum d'action est une irrationalit ; il en rsulte que mme des mots comme tre

    et savoir n'ont plus un sens univoque

    42

    . Le langage humain analyse, dcoupe, isole des proprits des sensations de choses,

    il les dtermine ensuite selon les principes d'identit, d'individuation, et de raison susante, tous procds irrmdiablement

    inadquats ce que dcrit le formalisme mathmatique

    43

    .

    Les images par lesquels nous pensons notre rapport au monde est indissociable l'usage du langage.

    Or dans la physique quantique, il est impossible de se former des images. Il faut renoncer cette

    revendication enfantine de la visualisation

    44

    . Le postulat selon lequel la comprhension exige une

    reprsentation visuelle des phnomnes n'est plus valable dans le Monde quantique. Ainsi faut-il s'en

    passer. C'est pourquoi notre comprhension ne doit plus se fonder sur les reprsentations du

    langage ordinaire mais sur le formalisme mathmatique qui lui-seul est capable de dpasser

    la visualisation. Est donc intuitif et visualisable ce qui n'est pas contradictoire dans le langage

    mathmatique. C'est ce qui est parfois appel, la mathmatisation de l'intuition.

    Ainsi selon l'interprtation de Copenhague, la physique quantique ne peut plus prsupposer que le rel soit

    reprsentable dans la perception ordinaire. Au lieu de penser la chose, nous pensons l'image que nous avons tire de

    la chose, image devenue concept. Le Monde quantique ne fonctionne pas selon ce postulat.

    La complmentarit au secours de la rationalit du discours

    Pourtant nous sommes dans l'obligation d'avoir un discours cohrent et comprhensible que ne peut donner

    le formalisme mathmatique et que seul peut donner un langage classique. La situation est ainsi paradoxale. Nous

    sommes en eet faces une double impossibilit fondamentale : celle d'utiliser des termes de la physique classique dans

    leur emploi habituel et celle de reconstruire un langage propre une description adquate de la physique quantique. Le vrai

    problme - crit ainsi Heisenberg - est qu'il n'y a pas de langage pour exprimer de faon cohrente la nouvelle situation

    45

    .

    Bohr labore alors le principe de complmentarit. Cela consiste viter l'emploi simultan des concepts par

    lesquels on dterminait, en mcanique ou en lectromagntisme classiques, les conditions initiales de l'tat d'un systme : cet

    emploi simultan, en eet, produit de la contradiction ds lors que l'on ne peut plus identier le phnomne un systme

    isol

    46

    .

    Bohr illustre sa thse partir du principe d'Heisenberg. En 1927, ce principe est utilis pour rvler et manifester sa thoriepuis en 1939, Bohr nit par expliquer le principe de Heisenberg par sa thorie. Ce qui explique que les quantits conjuguesne puissent tre xes, dans aucune mesure concevable,[...], c'est le caractre complmentaire des images employes dans la

    description de tout agent auxiliaire semblable, employ dans le processus de mesure.

    47

    41. Bohr cit dans L'volution de la complmentarit dans les textes de Bohr (1927-1939) .42. Bohr dans Ta cit dans Complmentarit et langage dans l'interprtation de Copenhague de Catherine Chevalley.

    43. Catherine Chevalley, Complmentarit et langage dans l'interprtation de Copenhague.

    44. W. Heisenberg, The nature of elementary particles .

    45. W. Heisenberg, Physique et philosophie.

    46. N. Bohr, Quantum Physics and Philosophy (1958), in Essays 1958-1962, 1963 et Le postulat quantique et le dernier dveloppementde la thorie quantique , in Ta dans Complmentarit et langage dans l'interprtation de Copenhague de Catherine Chevalley.

    47. Bohr cit dans L'volution de la complmentarit dans les textes de Bohr (1927-1939).

    15

  • Par la complmentarit, il s'agit donc d'viter de donner une signication absolue aux attributs physiques

    conventionnels( masse, quantit de mouvement, etc.). La thorie consiste en eet enlever tout sens absolu au concept

    classique. Son usage s'accompagne d'une restriction mentale, qui traduit une modication complte du rapport du langage

    son objet : cette restriction consiste poser qu'il n'existe pas de choses correspondant aux concepts utiliss, et que ces

    concepts ne sont qu'un eort pour adapter le langage et la perception humains la ralit propre d'objets quantiques qui ne

    se laisse, au mieux, exprimer que dans le formalisme.

    48

    Bohr refuse donc l'idalisation de la physique et la valeur absolue des grandeurs physiques. Il dcrte des concepts

    en apparence contradictoires et complmentaires mais exclusifs an de gagner de l'information. En ralit,

    il ne s'agit pas ici de conceptions contradictoires des phnomnes, mais de conceptions complmentaires, qui ne fournissent

    que par leurs combinaisons une gnralisation naturelle du mode de description classique.

    49

    Les tenants de l'interprtation de Copenhague recherchent de la signication dans leur science an de prserver leur

    rapport avec le Monde. La dicult est de trouver du sens la Nature sans qu'il soit dj inscrit dans le langage. Ainsi

    inventent-ils un art du discours an de compenser l'impossibilit de trouver un langage quantique adquat des objets

    qui ne se prsentent plus comme des choses du monde ordinaire.

    L'ambigut, le prix de la rationalit

    Mais en contrepartie, cette solution rend le langage quivoque. Ce paradoxe est associ un raisonnement qui,

    par le dtour d'une analyse de la physique classique, conduit l'ide que la relation de complmentarit, si elle permet bien

    d'viter les contradictions, se paie toutefois d'une quivocit irrductible dans le discours de la physique, d'un "ottement"

    et d'un " vague" du langage

    50

    . Le concept de complmentarit - crit Heisenberg en 1955 - introduit par Bohr dansl'interprtation de la thorie quantique, a encourag les physiciens utiliser un langage ambigu plutt que non ambigu,

    utiliser les concepts d'une manire plutt vague en conformit avec le principe d'indtermination, appliquer alternativement

    dirents concepts classiques qui mneraient des contradictions si on les utilisait simultanment

    51

    . Le discours devient

    ncessairement ambigu, quivoque. Cest refuser une corrlation clairement et compltement dnie entre un phnomne

    et un concept

    52

    .

    Finalement, les concepts n'ont qu'un sens relatif, dpendant du choix arbitraire de notre point de vue

    53

    . Le langage

    cre en notre esprit des images et la notion que ces images ne sont qu'un vague rapport avec la ralit

    54

    . Les

    concepts classiques deviennent des images, des paraboles, des mtaphores ... Lorsque nous voulons dcrire dans le langage

    naturel les consquences de l'ordre des phnomnes, nous sommes rduits nous servir de paraboles, c'est--dire de modes

    d'interprtation complmentaires qui contiennent des paradoxes et des contradictions apparentes

    55

    . Ce n'est pas tonnant

    que certains scientiques usent tant de posie dans leurs ouvrages. Cette ambigut est le prix payer pour tenir un

    discours en apparence rationnel.

    Au-del du langage, une dmarche exprimentale

    La thorie de complmentarit ne concerne pas uniquement le langage mais aussi la dmarche exprimentale.

    Il n'est pas possible de construire une exprience capable de montrer des phnomnes complmentaire comme le dmontre

    le principe de Heisenberg. Dans l'laboration d'un dispositif exprimental, il faut donc choisir quel phnomne tudi. Dans

    l'exprience de Young, le dispositif des deux fentes amne employer le langage des ondes et le dtecteur oblige l'envisager

    comme une particule d'o des contradictions dans les rsultats.

    Bohr en vient alors dnir ce qu'est un phnomne : comme une faon plus approprie de s'exprimer, il est possible

    de plaider fortement en faveur de la limitation de l'usage du mot phnomne pour se rfrer exclusivement des observations

    obtenues dans des circonstances spcies incluant la prise en compte de la totalit des conditions exprimentales.

    56

    Un

    phnomne n'est pas seulement le fait observ. Il inclut les conditions exprimentales qui le rvlent. Nous

    revenons donc l'ide centrale de l'interprtation de Copenhague : il n'est pas possible de connatre un objet sans prciser

    ses conditions exprimentales. La connaissance d'un objet est donc insparable de l'observateur. Il n'y a pas de connaissance

    en dehors de l'observation. Il n'y a mme aucun sens vouloir connatre en dehors des conditions d'observation.

    48. Catherine Chevalley, Complmentarit et langage dans l'interprtation de Copenhague.

    49. Bohr cit dans L'volution de la complmentarit dans les textes de Bohr (1927-1939).50. Catherine Chevalley, Complmentarit et langage dans l'interprtation de Copenhague.

    51. Heisenberg, Physique et philosophie.

    52. Catherine Chevalley, Complmentarit et langage dans l'interprtation de Copenhague.

    53. Bohr, Wirkungsquantum vmd Naturbeschreibung , 1929, trad, franc., in Ta.54. Rappelons que nous essayons de dcrire la pense de l'interprtation de Copenhague et non la ntre.

    55. Bohr, On the notions of Causality and Complementarity dans Dialectica, 1948.56. Bohr, Dialectica, aot-novembre 1948 dans G. Cohen-Tannoudji, Laboratoire de recherche sur les sciences de la matire (LARSIM, CEASaclay), propos de Remarque sur l'ide de complmentarit de Ferdinand Gonseth.

    16

  • Le rle du physicien est donc primordial dans l'tude d'un objet puisque ses choix conditionnent les

    rsultats de son exprience. Je souhaite nouveau souligner ici que le libre choix de l'observateur peut produire l'une

    ou l'autre de deux traces et que chaque phnomne ou trace est accompagn par un changement imprdictible et irrversible

    dans l'horizon profond

    57

    .

    Au-del de la physique quantique

    Mais construite pour conserver l'usage des co