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Party britannique d’être créé par le syndicat ouvrier. Des parcours syn- dicaux, puis politiques comme ceux de Lech Walesa (Solidarnosc en Pologne) ou de Lula (Parti des tra- vailleurs au Brésil) illustrent cette complexité. En France, les syndicats assument une lutte à la fois économique et politique qu’ils précisent déconnec- tée de toute appartenance à un parti politique particulier, ce que tendent à démontrer les sondages aux sorties des urnes lors des élections poli- tiques, même si des tendances fortes se dégagent pour quelques syndicats. L’industrialisation et l’urbanisation propices aux syndicats Économie et démographie jouent un rôle majeur dans l’émergence du syndicalisme salarié. C’est en Angleterre, au début du XIXe siècle, qu’il prend son essor et non en Afrique ou en Chine. Il se développera au rythme de la révolution industrielle sur le continent européen, puis aux États-Unis, enfin dans les pays d’Amérique latine, l’Asie, l’Afrique et l’Australie. Les ouvriers les plus quali- fiés s’organisent les premiers et leur concentration dans les grandes villes industrielles facilitent les adhésions à Manchester, Barcelone, Buenos Aires ou Chicago. La taille SocialCE n°66 Septembre-Octobre 2013 35 A ux yeux des employeurs, l’ADN commun à tous les syndicats de salariés se résume à un « toujours plus ». Vision réductrice et partisane, mais témoin d’un rôle assu- mé : le syndicat représente et défend les intérêts immédiats de la profession et cela passe concrètement par l’emploi, le travail et le salaire. Garantir l’emploi, c’est rechercher une stabilité : mieux vaut être en CDI qu’être demandeur d’emploi ou journalier. Agir sur le travail, c’est traiter de la durée de la journée et des horaires, du droit au repos, de la sécurité et des conditions de travail. Quant au salaire, son augmentation ou le maintien d’un pouvoir d’achat sont bien sûr recherchés. Il y a des thématiques plus larges autour des libertés individuelles et donc syndicales comme politiques, si bien que les revendications clas- siques ne sont pas toujours la priorité quand des syndicats de travailleurs luttent pour la paix ou la démocratie. De fait le syndicalisme, même apolitique, ne peut peser sur le monde du travail et la société sans développer une politique économique et sociale pour être reconnu au niveau national, voire continental. Chaque syndicat déve- loppe une idéologie : si l’American Federation of Labor (AFL) a intégré la notion de libre entreprise, ce n’est pas le cas de la plupart des syndicats, dont les courants de pensée s’appuient sur différentes contestations sociales. Certains syndicats sont stigmatisés pour leur proximité à un parti politique… ce qui n’a pas empêché le Labour des entreprises est un facteur important, le nombre d’ou- vriers en un même lieu est un terreau fertile pour la croissance du syndicat. Il ne faut pas négliger non plus les conditions politiques du pays, car les syndicats se cons- truisent avant tout dans le cadre de la nation. Les dicta- tures ont interdit les activités syndicales, mais donné naissance à des mouvements syndicaux révolutionnaires. Les démocraties ont développé des syndicats plus concentrés sur le monde du travail et moins contestataires vis-à-vis des gouvernements. Cela ne veut pas dire que la répression syndicale qui a existé et existe encore dans de nombreuses démocraties ne légitime pas des syndicats révolutionnaires. Les syndicats ont partout lutté, souvent au prix de nombreuses vies, pour obtenir le droit d’exister. Même après leur légalisation, les États sont restés hostiles avant de reconnaître le rôle de régulateur social de ces corps intermédiaires. Enfin, les origines industrielles et la lente évolution des mentalités expliquent sans doute le peu de place accordé pendant longtemps aux femmes dans le mouvement syndical ouvrier sur toute la planète. Le rôle de l’Église est aussi à souligner. Initialement et globalement hostile au syndicalisme d’inspiration socialiste ou anarchique, elle a soutenu les combats de libération des popula- tions en Amérique du Sud, par exemple, et donné naissance à un syndicalisme chrétien, encore présent avec la CFTC en France. Le syndicalisme dans le monde arabe est arrivé plus tardivement, après la Seconde Guerre mondiale. Quels syndicalismes dans le monde ? L’amélioration de la condition salariale passe par la revendication, mais pas systématiquement par le rejet de la société capitaliste. Ainsi, le syndicalisme américain corporatiste comme les syndicats d’Europe du Nord (britanniques, allemands, scandinaves) ou encore les syndicats d’inspiration chrétienne ou représentatifs de l’encadrement sont réformistes. Un autre syndicalisme d’inspiration révolutionnaire refuse toujours le capitalisme et porte un projet de changement de société. Les reven- dications d’amélioration ne sont pour eux qu’une étape. Il existe aussi le syndicat associé à l’État, souvent rencontré dans les régimes autoritaires, voire fascistes, tels l’Espagne franquiste, dont la force revendicatrice perdit alors de sa force, si bien que d’autres formes syndicales sont apparues, à l’image de Solidarnosc en Pologne. Le syndicat défend les intérêts professionnels de ses adhérents. Il ne se résume pas au mouvement ouvrier, il existe aussi des syndicats patronaux, de professions libérales, d’étudiants... Les syndicats de salariés se sont construits à partir de la réaction du monde ouvrier aux mauvaises conditions de travail. Mais à travers le monde, ces syndicats ont des parcours, des priorités et des modes d’action caractéristiques d’un pays ou d’un continent, fruit de leurs origines et de leur histoire. Invitation au voyage syndical. SYNDICATS LE TOUR DU MONDE DES 34 Septembre-Octobre 2013 SocialCE n°66 Par Ronan Darchen EN COUVERTURE

EN COUVERTURE Pa R a Dache LE TOUR DU MONDE DES … · émergé grâce au soutien des progressistes de l’Église et de groupes issus de la lutte armée et d’intellectuels

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Party britannique d’être créé par lesyndicat ouvrier. Des parcours syn-dicaux, puis politiques comme ceuxde Lech Walesa (Solidarnosc enPologne) ou de Lula (Parti des tra-vailleurs au Brésil) illustrent cettecomplexité. En France, les syndicats assumentune lutte à la fois économique etpolitique qu’ils précisent déconnec-tée de toute appartenance à unparti politique particulier, ce que tendent à démontrerles sondages aux sorties des urnes lors des élections poli-tiques, même si des tendances fortes se dégagent pourquelques syndicats.

L’industrialisation et l’urbanisation propices aux syndicatsÉconomie et démographie jouent un rôle majeur dansl’émergence du syndicalisme salarié. C’est en Angleterre,au début du XIXe siècle, qu’il prend son essor et non enAfrique ou en Chine. Il se développera au rythme de larévolution industrielle sur le continent européen, puisaux États-Unis, enfin dans les pays d’Amérique latine,l’Asie, l’Afrique et l’Australie. Les ouvriers les plus quali-fiés s’organisent les premiers et leur concentration dansles grandes villes industrielles facilitent les adhésions àManchester, Barcelone, Buenos Aires ou Chicago. La taille

SocialCE n°66 Septembre-Octobre 2013 35

Aux yeux des employeurs, l’ADN communà tous les syndicats de salariés se résumeà un « toujours plus ». Vision réductriceet partisane, mais témoin d’un rôle assu-mé : le syndicat représente et défend lesintérêts immédiats de la profession etcela passe concrètement par l’emploi, le

travail et le salaire. Garantir l’emploi, c’est rechercherune stabilité : mieux vaut être en CDI qu’être demandeurd’emploi ou journalier. Agir sur le travail, c’est traiter dela durée de la journée et des horaires, du droit au repos,de la sécurité et des conditions de travail. Quant au salaire,son augmentation ou le maintien d’un pouvoir d’achatsont bien sûr recherchés. Il y a des thématiques plus largesautour des libertés individuelles et donc syndicalescomme politiques, si bien que les revendications clas-siques ne sont pas toujours la priorité quand des syndicatsde travailleurs luttent pour la paix ou la démocratie. Defait le syndicalisme, même apolitique, ne peut peser surle monde du travail et la société sans développer unepolitique économique et sociale pour être reconnu auniveau national, voire continental. Chaque syndicat déve-loppe une idéologie : si l’American Federation of Labor(AFL) a intégré la notion de libre entreprise, ce n’est pasle cas de la plupart des syndicats, dont les courants depensée s’appuient sur différentes contestations sociales.Certains syndicats sont stigmatisés pour leur proximité àun parti politique… ce qui n’a pas empêché le Labour

des entreprises est un facteur important, le nombre d’ou-vriers en un même lieu est un terreau fertile pour lacroissance du syndicat. Il ne faut pas négliger non plus lesconditions politiques du pays, car les syndicats se cons-truisent avant tout dans le cadre de la nation. Les dicta-tures ont interdit les activités syndicales, mais donnénaissance à des mouvements syndicaux révolutionnaires.Les démocraties ont développé des syndicats plusconcentrés sur le monde du travail et moins contestatairesvis-à-vis des gouvernements. Cela ne veut pas dire que larépression syndicale qui a existé et existe encore dans denombreuses démocraties ne légitime pas des syndicatsrévolutionnaires. Les syndicats ont partout lutté, souventau prix de nombreuses vies, pour obtenir le droit d’exister.Même après leur légalisation, les États sont restés hostilesavant de reconnaître le rôle de régulateur social de cescorps intermédiaires. Enfin, les origines industrielles et

la lente évolution des mentalités expliquent sansdoute le peu de place accordé pendant longtemps

aux femmes dans le mouvement syndicalouvrier sur toute la planète. Le rôle del’Église est aussi à souligner. Initialementet globalement hostile au syndicalisme

d’inspiration socialiste ou anarchique, elle asoutenu les combats de libération des popula-

tions en Amérique du Sud, par exemple, et donnénaissance à un syndicalisme chrétien, encore présent avecla CFTC en France. Le syndicalisme dans le monde arabe estarrivé plus tardivement, après la Seconde Guerre mondiale.

Quels syndicalismes dans le monde ?L’amélioration de la condition salariale passe par larevendication, mais pas systématiquement par le rejet dela société capitaliste. Ainsi, le syndicalisme américaincorporatiste comme les syndicats d’Europe du Nord(britanniques, allemands, scandinaves) ou encore lessyndicats d’inspiration chrétienne ou représentatifs del’encadrement sont réformistes. Un autre syndicalismed’inspiration révolutionnaire refuse toujours le capitalismeet porte un projet de changement de société. Les reven-dications d’amélioration ne sont pour eux qu’une étape. Ilexiste aussi le syndicat associé à l’État, souvent rencontrédans les régimes autoritaires, voire fascistes, telsl’Espagne franquiste, dont la force revendicatrice perditalors de sa force, si bien que d’autres formes syndicalessont apparues, à l’image de Solidarnosc en Pologne.

Le syndicat défend les intérêts professionnels de ses adhérents.Il ne se résume pas au mouvement ouvrier, il existe aussi dessyndicats patronaux, de professions libérales, d’étudiants... Lessyndicats de salariés se sont construits à partir de la réaction dumonde ouvrier aux mauvaises conditions de travail. Mais à traversle monde, ces syndicats ont des parcours, des priorités et desmodes d’action caractéristiques d’un pays ou d’un continent, fruitde leurs origines et de leur histoire. Invitation au voyage syndical.

SYNDICATS

LE TOUR DUMONDE DES

34 Septembre-Octobre 2013 SocialCE n°66

Par Ronan DarchenEN COUVERTURE

SocialCE n°66 Septembre-Octobre 2013 37

EN COUVERTURE LE TOUR DU MONDE SYNDICAL

TENDANCE RéVOLUTIONNAIRE EN AMéRIQUE DU SUD L’indépendance d’abord En Amérique latine, les syndicats ont eu une action moinsautonome, plus liée à l'État, aux partis politiques et auxmouvements nationaux-populaires. Malgré l’essor del'industrialisation, le syndicalisme latino-américain enArgentine, au Brésil, Chili, Bolivie ou Mexique ne s’est pasdétaché de ces préoccupations initiales : ces syndicatsmettent au premier rang les questions de développementet d'indépendance nationale, même si les problèmes de lasociété industrielle prennent aujourd'hui une place crois-sante et qu’apparaissent ici et là de véritables mouvementsouvriers. Cette prédominance de l'action politique sur lesmouvements sociaux est ici une caractéristique du syndica-lisme ouvrier comme du monde paysan, oùla défense d'une communauté ethnique etla lutte pour la terre font ainsi naître devéritables mouvements sociaux plus l'Étatest appelé à intervenir.

L’expérience brésilienneAu Brésil, au cours de la dictature (1964-1985), un puissant mouvement social avaitémergé grâce au soutien des progressistes del’Église et de groupes issus de la lutte arméeet d’intellectuels. En 1980, ensemble, ilsavaient formé le Parti des travailleurs, unparti « sans patrons ». À l’époque naissaitaussi la Centrale unique des travailleurs(CUT) en 1983 et le Mouvement des travailleurs sans terre(MST), en 1984. Lula a longtemps été leader syndical avantd’accéder à la présidence du pays en 2003 et de mener unepolitique de conciliation pour accroître le niveau de vie dela population sans rogner les profits des entreprises nibousculer les privilèges des puissants : une politiquesaluée, mais conduite en rupture avec le projet initial dusyndicat. Au cours du mois de juin dernier, une contestation sociale,issue de la jeunesse et des classes moyennes, s’est sponta-nément formée pour réclamer la gratuité des transports encommun. Quand le mouvement est devenu massif, lessyndicats ont appelé à l’action avec des grèves et des mani-festations. Leurs revendications ont repris les exigencesdes premiers manifestants pour la santé, l'éducation, lestransports, mais ils ont ajouté des attentes plus anciennescomme la diminution de la durée du travail de 44 à 40 heures

par semaine, le relèvement des retraites oula réforme agraire. Les centrales syndicalesveulent mettre en avant les questions socia-les, mais restent divisées sur l'opposition ounon au gouvernement. L’influente Centraleunique des travailleurs (CUT) est toujoursproche du Parti des travailleurs de DilmaRousseff, actuelle présidente du Brésil.

Le symbole mexicainLe syndicalisme mexicain de 1929 à 2000 aété étroitement lié au parti au pouvoir (PRI),surtout à partir de 1936, quand est née la

Confédération de Travailleurs du Mexique (CTM) : on par-lait de « syndicats officiels » ou de syndicats « corporatifs ».Dans ce schéma, les syndicats exercent un contrôle socialdont l’efficacité est assurée par divers dispositifs, comme laclause qui accorde au syndicat majoritaire la représenta-tion exclusive des travailleurs et le monopole d’embauchedans la plupart des cas. Les salaires sont réglés par lescontrats collectifs, mais dépendent largement de l’évolu-tion du salaire minimum, qui résulte des décisions prises ausein de la Commission Nationale Tripartite du salaire mini-mum. L’emploi bénéficie d’une relative protection contreles licenciements et le droit de grève est limité par lerecours systématique à la conciliation et à l’arbitrage. Lesévolutions libérales des dernières décennies, avec de nom-breuses privatisations et l’alternance politique en 2000, ontbouleversé la situation. Le taux de syndicalisation a reculéde 30 % en 1984 à 20% en 1995. Des syndicats plus indé-

pendants ont émergé et les orientations syndicales ontchangé dans un contexte de tentatives de réforme et deflexibilisation du droit du travail. Le pôle « indépendant »est aujourd’hui constitué autour de l’UNT, une nouvelleconfédération qui rassemble des syndicats indépendantset certains officiels qui ont quitté le Congrès du Travail.L’UNT veut un syndicalisme plus revendicatif, maiscapable d’accompagner la « transition démocratique »,plus réformiste que l’autre coalition indépendante dupouvoir, le FSM, mais l’orientation libérale du gouverne-ment se traduit par des obstacles à l’implantationsyndicale dans les entreprises; où leur présence réduitl’attractivité à l’égard des investissements internatio-naux, particulièrement dans les maquiladoras, zones franchesétablies tout au long de la frontière avec les États-Unis.

… ET APOLITIQUE EN AMéRIQUE DU NORD À l’origine du 1er maiLe 1er mai est américain. Cette journée internationale derevendication est née en 1884, quand la Fédération amé-ricaine du Travail (AFL), constituée 3 ans plus tôt, décidepar motion qu'à partir du 1er mai 1886, la journée de 8heures sera la durée légale de la journée de travail etrecommande aux organisations syndicales de faire pro-mulguer des lois conformes à cette résolution. Plus de5 000 grèves eurent lieu et le 1er mai 1886, à Milwaukee,au nord de Chicago, des policiers tirent, faisant 9 morts.Le 3 mai, trois autres manifestants sont tués. Le lende-main, une bombe explose, faisant 7 morts parmi les forcesde l'ordre. Huit militants seront condamnés à mort,sans preuve ; 3 seront graciés. En juillet 1889, le Congrèssocialiste international décide que dans tous les pays ilsera organisé une grande manifestation à date fixe pourréduire légalement à 8 heures la journée de travail. Lamanifestation du 1er mai 1890 eut un énorme succès ; ilfut décidé de la reconduire le 1er mai suivant.

36 Septembre-Octobre 2013 SocialCE n°66

En juin 2013, manifestation à Sao Paulo,

Brésil, contre l’augmention du coût

des services publics.

Au New Jersey, USA, les syndicalistes

se rassemblent pour contester

l’annulation de la construction d’un

tunnel ferroviaire vers New-York.

Des syndicalistes manifestent à Toronto, Canada, en janvier 2013,

contre la récente législation anti-grève et les compressions budgétaires.

Canada et USA, même schémaUn syndicalisme apolitique et concentré sur le métier vadominer jusque dans les années 1930. La réduction de ladurée de la journée de travail est la principale revendi-cation, et aux États-Unis, les femmes ouvrières du textiles’associent aux mouvements de grève. La conquête del’Ouest favorise l’accès à une dimension nationale desorganisations locales par métier. Ces trade-unions vontaussi accueillir les syndicats canadiens avec l’idée decombattre la mise en concurrence des salariés par un« dumping » social. La carte syndicale permet de passerd’un côté à l’autre de la frontière pour travailler etdéveloppe des solidarités transfrontalières : l’union faitla force, y compris lors des grèves. Pour le Canada, cecaractère « international » pallie l’absence d’unité natio-nale liée à la question du Québec. L’immigration joue unrôle avec l’expérience syndicale de travailleurs en prove-nance de Grande-Bretagne notamment. Sous l’impulsionde son dirigeant Samuel Gompers, l’AFL adopte le modèleanglais pour créer des syndicats puissants : les cotisa-tions élevées assurent le financement, la gestion dusyndicat est centralisée et les adhérents bénéficient debonnes assurances mutuelles et du monopole syndicalpour l’embauche (closed shop), tandis que les entrepri-ses non syndiquées affrontent des boycotts. Le clivageentre salariés syndiqués et non syndiqués est alors trèsfort. Dans le secteur privé, le droit syndical depuis la loiWagner de 1935 oblige l’employeur à négocier avec lesyndicat si ses salariés l’ont désigné comme représen-tant. Cette loi fut révisée à la baisse en 1947 par la loiTaft-Hartley, qui limita le droit de grève en déclarant lesdébrayages spontanés illégaux et en exigeant un préavisde grève de 60 jours quand l'objectif est une nouvelleconvention collective. Le droit de grève des fonctionnairesfédéraux, des fonctionnaires des États et des collectivitéslocales est supprimé. Le closed shop est aussi remisen cause : le syndicat ne peut plus exiger que seuls sesmembres soient embauchés au sein d’une entreprisesyndiquée. Si le contrat de travail peut encore stipulerque les salariés doivent se syndiquer une fois embau-chés, les États peuvent interdire cette pratique. De plus,la loi interdit à tout salarié exerçant une autorité surd’autres de se syndiquer. Enfin, les dirigeants syndicauxsont obligés de prêter serment de non-communisme,mais la disposition sera jugée anticonstitutionnelle en 1965.

« Au Brésil, l'influente Centrale Unique des travailleurs est toujours proche du Parti des travailleurs de Dilma Rousseff,actuelle présidentedu pays. »

EN COUVERTURE LE TOUR DU MONDE SYNDICAL

USA todayÀ l’instar du syndicalisme français, le syndicalisme améri-cain connaît un affaiblissement par une perte régulière deseffectifs syndiqués depuis les années 1960, accentuée dansle secteur privé où ils représentent aujourd’hui moins de8 % des salariés, contre plus de 35 % au début des années50. Ce déclin a des causes multiples liées au contexte juri-dique et politique radicalement hostile pendant plusieursprésidences républicaines. La période Reagan-Thatcher alaissé des traces, mais la règle principale demeure. La négo-ciation d’un accord est subordonnée à l’élection préalabled’un syndicat, puis à la ratification de l’accord par les sala-riés concernés. Contrairement à la France, l’adhésion à un syndicat ne relèvepas d’un choix individuel, mais d’un choix collectif à l’issued’un vote majoritaire des salariés qui établit le syndicatunique pour l’entreprise. La négociation collective de bran-che est d’ailleurs quasi inexistante, puisque la décision dese syndiquer est prise au niveau d’une seule entreprise.

éVEIL DE L’EXTRêME-ORIENTAu Japon, une tradition de lutte érodéeLa seconde guerre mondiale est terrible pour le Japon, maispermet au syndicalisme jusque-là réprimé de prendre saplace avec en 1946 un taux record de 41,5 % de salariéssyndiqués et de grandes manifestations contre la pénuriealimentaire, la misère et l’inflation. Les syndicats obtien-nent le plein emploi et le doublement des salaires. La suiteest plus dure pour ce syndicalisme proche du communisme,condamné par les Américains de MacArthur. Il y aura desconflits violents, un million de salariés licenciés avant 1950et un marché du travail dual : permanents à salaires élevésd’une part, temporaires précarisés d’autre part. Aujourd’huiles syndicats représentent les salariés à avantages garantis,soit au plus un tiers des travailleurs japonais. Le systèmesyndical est très éclaté et il existe plus de 71 000 unités syn-dicales, car 99 % d’entre elles sont formées sur la base del’entreprise, voire de l’unité de production. Chaque grandeentreprise possède son syndicat, perçu par l’employeur

38 Septembre-Octobre 2013 SocialCE n°66

Des ouvriers assistent à la cérémonie d'inauguration

du stade olympique, le 28 mai 2005 à Pékin, Chine.

comme un collaborateur.Les fédérations japonaisessont pour la plupart affiliéesaux principales confé-dérations de l’archipel : laSOHYO (tendance socialisteradical), dissoute aujourd’-hui au profit de RENGO (quiaccueille désormais le sec-teur public et se montrebien moins radicale) et laDOMEI (social-démocrate),

au rôle consultatif et qui se limitent à diffuser des informa-tions et des brochures à caractère propagandiste. La volontéd’indépendance des unions de base est confortée par desmoyens humains et financiers suffisants.La prédominance dans le secteur privé résulte de l’affilia-tion automatique des salariés dans les grandes sociétés.C’est une condition de l’embauche et les cotisations sontprélevées directement sur les salaires. Le syndicat ne repré-sente pas tous les salariés, mais exclusivement les tra-vailleurs réguliers liés par un contrat à durée indéterminée.Dans le secteur des services et des PME, où l’implantationsyndicale est faible, la négociation collective est quasiabsente. Ajoutons que la notion d’emploi à vie et de salaireà l’ancienneté ont aussi vécu au Japon en même temps quela population vieillissait ; autant de facteurs d’affaiblisse-ment pour le syndicalisme le plus actif en Extrême-Orient.

Éveil syndical chinois Si le syndicalisme japonais a été pionnier en Extrême-Orient, c’est aussi que la Chine a longtemps été paysanneavant qu’une classe ouvrière se développe avec l’essor desmines, du rail et au contact des étrangers, alors que lamodernisation et les grandes sociétés étaient sur le littoral.Main-d’œuvre temporaire, peu qualifiée, féminine sontautant d’explications à une émergence tardive des syndi-cats en Chine, sans compter l’emprise des sociétés secrètes,triades et autre guildes. Naissant au début du XXe siècle, cesyndicalisme à tendance patriotique a été fortement réprimé.Aujourd’hui, les salariés ne choisissent toujours pas leursdélégués et les syndicats officiels découragent les grèves,encore interdites. Le taïwanais Foxxconn fait partie desentreprises où des élections libres vont avoir lieu. La pres-sion des ONG qui dénoncent la dureté des conditions detravail a eu enfin des effets après une vague de suicidesrelayée par les médias. Pékin aurait donné son aval, cons-cient que l’évolution est incontournable, mais celle-cirisque d’être longue si les groupes chinois résistent. Duréedu travail, salaires, délocalisation dans le Sud-Est asia-tique, les problématiques du salarié chinois font croître lacontestation et les grèves se multiplient, annonçant l’émer-gence d’un syndicalisme nouveau.

« Durée du travail,délocalisation, salaires, les problé-matiques du salariéchinois font croîtrela contestation et les grèves se multiplient. »

syndicats non affiliés. Les organisa-tions syndicales sont autonomes ausein du TUC et la confédération a unrôle de forum de discussions et d’in-terlocuteur du gouvernement. En1906, le TUC a créé son propre parti,le « Labour Party », pour promouvoirles revendications des travailleurssur la scène politique. Aujourd’huiencore, les syndicats ont des rela-tions étroites avec le parti travailliste,qui apporte une bonne partie desfinances et des militants. L’autre caractéristique du syndi-calisme britannique repose sur la place du contractuel,puisque les règles ne sont pas fixées par la loi ou l’interven-tion de l’État. Les partenaires sociaux se sont historique-ment comportés de sorte que l’État reste hors du jeu dela régulation sociale : les accords définissent les règles deprotection minimum des salariés.

Le consensus allemandLa confédération syndicale la plus importante est leDeutscher Gewerk Schaftsbund (DGB), avec 8 syndicats affi-liés qui représentaient fin 2008 près de 6,4 millions demembres, soit presque 80 % des adhérents du mouvementsyndical allemand. Contrairement aux confédérations syndi-cales françaises, le DGB n’est pas un acteur de premièreligne et n’intervient pas directement dans les négociationsavec les organisations patronales. En Allemagne, le principeest le suivant : une entreprise, un syndicat. Il s’agit de syndi-cats unitaires, qui ne sont pas liés aux partis politiques,même s’il en alla autrement au cours de leur histoire. Ledéclin du nombre d’adhérents touche également nos voisinsgermaniques depuis les restructurations économiques et ladélocalisation d’industries traditionnelles qui, quoi qu’on endise, ont aussi eu lieu. La réunification avec l’Allemagne del’Est a aussi eu un effet de dilution vis-à-vis de secteurs où letaux de syndicalisation était important.

Les syndicats peinent à conquérir de nouveaux adhérentsdans les services où de nouveaux emplois sont créés, mêmesi les cotisations restent de loin leur première ressourcefinancière. Associées aux autres ressources propres géné-rées par des actifs, elles permettent de financer l’activitésyndicale, qui comprend une gamme de services offerts auxadhérents. Le système allemand se caractérise par le poidsdes conventions collectives de branche. Elles s’appliquent

totalement ou partiellement à une branche don-née, à l’échelon régional ou national, et concer-nent toutes les entreprises dont les dirigeantsappartiennent à l’association patronale signa-taire. Les seules obligations fixées par la loi sontle plafonnement du temps de travail quotidien à10 heures et l’octroi de 4 semaines de congésminimum. Ainsi il n’existe pas de Smic légal à cejour. Le temps de travail, la durée des congés etla rémunération sont à la négociation et nondéterminés par l’État.

Les pays latinsLe Portugal, la France, l’Espagne et l’Italie se caractérisentpar un syndicalisme « minoritaire » puisque les syndicats neregroupent pas la majorité des salariés (2 millions de syn-diqués sur 20 millions de salariés en France ou en Espagne,11 millions en Italie mais dont la moitié sont retraités).C’est notamment parce que l’adhésion n’y est pas obliga-toire et se fait sur des bases relativement combatives etmilitantes. Ces syndicats ont des rapports avec les partispolitiques, mais pas de lien organique. En France, le syndicalisme est marqué depuis ses débutspar une volonté d’indépendance à l’égard de l’État et despartis politiques, indépendance mise à mal cependant parla mainmise du PCF sur l’appareil de la CGT il y a encorequelques années.L’influence des syndicats d’Europe du Sud est bien plusforte que le nombre relativement faible de leurs adhérentset militants et se mesure, en dehors des élections profes-sionnelles, à leur capacité de mobilisation. La cogestion etl’intégration des syndicats à l’État y est moindre qu’ailleurs,leur but étant d’imposer par la loi un rapport de force favo-rable à l’ensemble des salariés. On peut donc expliquer ceparadoxe : la France, avec le plus faible nombre de syndi-qués de tous les pays occidentaux (9 % de syndiqués ), estcelui où la classe ouvrière est la plus combative. D’ailleurs,n’a-t-elle pas pris rendez-vous le 10 septembre 2013, alorsqu’une nouvelle réforme des retraites se profile ?

EN COUVERTURE LE TOUR DU MONDE SYNDICAL

SocialCE n°66 Septembre-Octobre 2013 4140 Septembre-Octobre 2013 SocialCE n°66

En novembre 2008 à Wiesbaden,

en Allemagne, plus de 3 millions d’ouvriers

métallurgistes exigent une augmentation

de salaire de 8 % au lieu des 2,1 %

proposés par les employeurs.

Manifestation de la Confédération Européenne des

Syndicats (CES) à Ljubljana, Slovénie, au printemps 2008.

ÇA BOUGE AU NIVEAU EUROPéEN ?La Confédération Européenne des Syndicats (CES)Le « oui » sera timide si le regard se porte sur la mise enplace ou l’activité réelle des comités d’entreprise euro-péens. Cela ne signifie pas que les organisations syndicalesnationales s’en désintéressent, mais les freins patronauxsont puissants. L’Europe sociale est à la traîne, concurrenceéconomique oblige. Des initiatives existent néanmoins.Confrontés aux vagues de délocalisations, plusieurs syndi-cats - mais un seul français (la CFDT) - ont participé à uneétude baptisée Moos pour construire une réponse à unphénomène qui ne faiblit pas. Les syndicalistes mettent enévidence les coûts induits et autres que ceux de la main-d’œuvre, qui seuls motivent souvent la décision de l’entre-prise. Un guide a été élaboré pour aider les représentantsdu personnel dans leurs argumentaires. C’est insuffisantpour stopper le mouvement, mais il s’agit là d’une initiativetransfrontalière intéressante, qui invite à réfléchir enFrance sur l’application de la nouvelle loi de sécurisation del’emploi et la teneur des futures informations-consultationssur la stratégie de l’entreprise.Fondée en 1973 par 17 organisations nationales affiliées àla Confédération internationale des syndicats libres (CISL),la CES s’est progressivement élargie à d’autres organisations

affiliées à la CISL, à la Confédération mondiale du travail(CMT) ou sans affiliation internationale, et compte aujour-d’hui plus de 60 millions de membres répartis dans 36 payseuropéens et liés à 85 organisations syndicales nationaleset 10 fédérations de branche. La CES est démocratique,indépendante, pluraliste et unitaire. L’objectif est de pré-server le pouvoir de négociation collective des travailleurs,ainsi qu’une influence sur l’économie et la société dans sonensemble. La CES est un acteur syndical européen reconnupar le Traité de l’Union. Son action se traduit par un dialoguesocial sectoriel et elle négocie des accords-cadres au niveaueuropéen. Ainsi du congé parental (1996), du travail àtemps partiel (1997) et des contrats à durée déterminée(1999). Par ailleurs, les syndicats et employeurs ont mis en œuvred’autres accords conclus au niveau européen dans le cadredu dialogue social « autonome » : statut des télétravailleurs(2002), stress lié au travail (2004), harcèlement et violenceau travail (2007), ou encore marchés du travail inclusifs(2010). Enfin, il faut souligner la signature des cadresd’action pour le développement des compétences et desqualifications tout au long de la vie (2002) et sur l’égalitéhommes-femmes (2005). La CES organise régulièrementdes manifestations à l’occasion de sommets européens :Lisbonne en juin 2000 ou Nice en décembre 2000, àStrasbourg contre la directive Services en mars 2005 etfévrier 2006, à Ljubljana en 2008 pour les salaires et lepouvoir d’achat, en décembre 2008 pour dire « non » auxhoraires de travail « à rallonge ». Quatre euro-manifestationsimportantes ont eu lieu en 2009 pour combattre la crise eten 2010 pour dire non à l’austérité. Si le phénomène syndicaleuropéen n’a pas abouti au XXe siècle à un syndicalismeeuropéen unifié, c’est aussi en raison de son histoire : selonles pays, il a suivi différentes directions et les penséessyndicales britanniques, allemandes ou des pays latins éla-borées dans les années 1880 se sont prolongées au XXe siècle.

Le berceau anglaisLe syndicalisme ouvrier y est né et on identifie ses prémicesbien avant 1880. On relèvera toutefois que la forme souslaquelle il s’est développé est celle qui a eu le moins desuccès sur le continent européen. Après une tentative quiéchoue dans les années 1830, les syndicats britanniquesparviennent à créer une grande confédération en 1868, leTrade Union Congress (TUC). Les salariés syndiqués sontregroupés au sein de cette confédération, qui dispose parconséquent d’un monopole, même s’il subsiste quelques

« Portugal, France,Espagne et Italie se caractérisent par un syndicalisme"minoritaire"notamment parceque l'adhésion n'yest pas obligatoire. »

Une marche contre l’austérité, à Londres, organisée par

les syndicalistes du Trade Union Congress en mars 2011

a regroupé plus de 250000 personnes.

Manifestation dans les rues de Valence, Espagne,

pour protester contre l’austérité, en mars 2012.