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8 UNE AVENTURE SAUVAGE En l’an 2019, le Château de Thoiry fête ses 460 ans 1559, Raoul Moreau, trésorier du Roi et érudit, demande au célèbre architecte Philibert de l’Orme, de lui construire un château à qui il confie deux missions : Témoigner de l’ésotérisme français de la Renaissance par son architecture fondée sur le nombre d’or et autres proportions remarquables. Valoriser les fonctions d’un site consacré à la célébration des cycles saisonniers, grâce à un relief particulier et à une latitude adaptée. Le château est le pivot d’un calendrier solaire dont l’horizon est le cadran et les aiguilles sont les axes des transparences des fenêtres. Le soleil se lève au solstice d’été et il se couche au sols- tice d’hiver à travers le vestibule central et aux équinoxes de printemps et d’automne dans l’axe d’une transparence transversale des fenêtres. Du fait de la latitude, les axes du lever et du coucher du soleil aux solstices d’été et d’hiver à travers le vestibule sont les petits côtés de deux triangles de Pythagore dont les hypoténuses accolées sont l’axe des pôles, celui de la rotation de la Terre. Lors des flamboyants levers et couchers du soleil à travers le château aux solstices, la projec- tion dans l’espace de ces triangles de Pythagore témoigne du pouvoir de l’esprit d’encadrer par la géométrie sacrée le phénomène astronomique. Les synergies entre l’architecture du château et les qualités physiques exceptionnelles du site fondent les fonctions ésotériques. Elles mettent habitants et visiteurs en correspondance avec les moments privilégiés de la course du soleil dans le ciel, en résonance avec les courants telluriques et en harmonie avec le nombre d’or, les proportions de l’Univers et les fréquences musicales. Au fil des siècles, 400 000 archives, du Moyen Âge à nos jours, laissées par les ancêtres, sont les véhicules des voyages dans le temps. Elles témoignent de la mémoire de moments de vie disparus qu’elles empêchent de sombrer dans l’océan de l’oubli, où s’engloutit le temps. Grâce à elles, la famille, animatrice historique, pilote du vaisseau à voyager dans le temps « Château de Thoiry », fait revivre les acteurs d’une saga éton- nante. Seize générations de châtelains et de châ- telaines, dont treize en ligne directe, ont transmis l’héritage historique ancestral tout en intégrant les aspirations culturelles de leur époque. Elles ont affronté les épreuves de la vie et les boulever- sements économiques et sociaux. Elles ont adapté le château et les jardins à l’évolution de l’art de vivre au quotidien et au fil des siècles. Les sou- venirs d’ancêtres personnalisent des événements qui ont fait l’histoire de l’Europe. Maison fami- liale toujours habitée, leurs objets d’art et leurs meubles embellissent les actes les plus humbles de la vie de tous les jours. En 1965, soutenu par mes parents, Antoine et Solange, comte et comtesse de La Panouse, j’ouvre le château au public, pour lui donner une activité culturelle, une fonction sociale et des revenus. Les jardins, espaces sculptés par les siècles, expriment la vision idéalisée de la nature à l’époque où ils furent créés. À la Renaissance ils valorisent les fonctions solaires du château. Au début du xviii e  siècle, Claude Desgot, petit- neveu et successeur de Le Nôtre, crée les jardins à la française et une illusion d’optique unique qui inverse l’effet de perspective : plus on s’avance, plus l’horizon recule. Au xix e  siècle, les jardins romantiques se veulent plus naturels que nature. Annabelle, mon épouse, restaure les jardins his- toriques et crée des jardins à thèmes. Les fonctions solaires astronomiques du site et les tracés de l’architecture du château, fondés sur le nombre d’or et les fréquences musicales, furent oubliés. Je les ai retrouvés et je les fais revivre. Thoiry met en scène les proportions fondamen- tales qui relient l’art à la nature pour servir la beauté et l’amour, qui seuls transfigurent les évé- nements de la vie. En 1968, pour la première fois, dans la Réserve africaine, vingt espèces d’animaux sauvages et exotiques vivent en liberté et ensemble sur le même territoire. Sauvé par les animaux sauvages, le vaisseau à voyager dans le temps, en prenant Ci-contre : Façade S.O. du château et perspective à la française N.E.

En l’an 2019, le Château de Thoiry fête ses 460 ans€¦ · tion du zoo de Santo Inácio (Porto Portugal) a été reprise par le groupe Thoiry en partenariat avec la famille Guedes,

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Page 1: En l’an 2019, le Château de Thoiry fête ses 460 ans€¦ · tion du zoo de Santo Inácio (Porto Portugal) a été reprise par le groupe Thoiry en partenariat avec la famille Guedes,

8Une aventUre saUvage

En l’an 2019, le Château de Thoiry fête ses 460 ans

1559, Raoul Moreau, trésorier du Roi et érudit, demande au célèbre architecte Philibert de l’Orme, de lui construire un château à qui il confie deux missions :

Témoigner de l’ésotérisme français de la Renaissance par son architecture fondée sur le nombre d’or et autres proportions remarquables.

Valoriser les fonctions d’un site consacré à la célébration des cycles saisonniers, grâce à un relief particulier et à une latitude adaptée. Le château est le pivot d’un calendrier solaire dont l’horizon est le cadran et les aiguilles sont les axes des transparences des fenêtres. Le soleil se lève au solstice d’été et il se couche au sols-tice d’hiver à travers le vestibule central et aux équinoxes de printemps et d’automne dans l’axe d’une transparence transversale des fenêtres. Du fait de la latitude, les axes du lever et du coucher du soleil aux solstices d’été et d’hiver à travers le vestibule sont les petits côtés de deux triangles de Pythagore dont les hypoténuses accolées sont l’axe des pôles, celui de la rotation de la Terre. Lors des flamboyants levers et couchers du soleil à travers le château aux solstices, la projec-tion dans l’espace de ces triangles de Pythagore témoigne du pouvoir de l’esprit d’encadrer par la géométrie sacrée le phénomène astronomique. Les synergies entre l’architecture du château et les qualités physiques exceptionnelles du site fondent les fonctions ésotériques. Elles mettent habitants et visiteurs en correspondance avec les moments privilégiés de la course du soleil dans le ciel, en résonance avec les courants telluriques et en harmonie avec le nombre d’or, les proportions de l’Univers et les fréquences musicales.

Au fil des siècles, 400 000 archives, du Moyen Âge à nos jours, laissées par les ancêtres, sont les véhicules des voyages dans le temps. Elles témoignent de la mémoire de moments de vie disparus qu’elles empêchent de sombrer dans l’océan de l’oubli, où s’engloutit le temps. Grâce à elles, la famille, animatrice historique, pilote du vaisseau à voyager dans le temps « Château de Thoiry », fait revivre les acteurs d’une saga éton-

nante. Seize générations de châtelains et de châ-telaines, dont treize en ligne directe, ont transmis l’héritage historique ancestral tout en intégrant les aspirations culturelles de leur époque. Elles ont affronté les épreuves de la vie et les boulever-sements économiques et sociaux. Elles ont adapté le château et les jardins à l’évolution de l’art de vivre au quotidien et au fil des siècles. Les sou-venirs d’ancêtres personnalisent des événements qui ont fait l’histoire de l’Europe. Maison fami-liale toujours habitée, leurs objets d’art et leurs meubles embellissent les actes les plus humbles de la vie de tous les jours.

En 1965, soutenu par mes parents, Antoine et Solange, comte et comtesse de La Panouse, j’ouvre le château au public, pour lui donner une activité culturelle, une fonction sociale et des revenus. Les jardins, espaces sculptés par les siècles, expriment la vision idéalisée de la nature à l’époque où ils furent créés. À la Renaissance ils valorisent les fonctions solaires du château. Au début du xviiie siècle, Claude Desgot, petit-neveu et successeur de Le Nôtre, crée les jardins à la française et une illusion d’optique unique qui inverse l’effet de perspective : plus on s’avance, plus l’horizon recule. Au xixe  siècle, les jardins romantiques se veulent plus naturels que nature. Annabelle, mon épouse, restaure les jardins his-toriques et crée des jardins à thèmes.

Les fonctions solaires astronomiques du site et les tracés de l’architecture du château, fondés sur le nombre d’or et les fréquences musicales, furent oubliés. Je les ai retrouvés et je les fais revivre. Thoiry met en scène les proportions fondamen-tales qui relient l’art à la nature pour servir la beauté et l’amour, qui seuls transfigurent les évé-nements de la vie.

En 1968, pour la première fois, dans la Réserve africaine, vingt espèces d’animaux sauvages et exotiques vivent en liberté et ensemble sur le même territoire. Sauvé par les animaux sauvages, le vaisseau à voyager dans le temps, en prenant

Ci-contre : Façade s.O. du château et perspective à la française n.e.

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à bord les espèces les plus rares, est devenu une arche de Noé contemporaine. Les animaux sau-vages ont sauvé le château mais celui-ci en repro-duisant les espèces en voie de disparition préserve la biodiversité de la planète.

Cinquante ans plus tard, 2018, Thoiry a accueilli 23  millions de visiteurs. Nos enfants, Colomba et Edmond, continuent à faire du domaine un rêve écologique à la fois historique et contemporain.

La Réserve africaine de Thoiry, Yvelines, est le navire fondateur d’une flotte d’arches de Noé. Dès 1974, j’ai créé le Safari Parc de Peaugres (Ardèche) et la Réserve africaine de Sigean (Aude). Suivirent

le Parc national de Yamoussoukro (Côte d’Ivoire) et le château du Colombier (Aveyron). La ges-tion du zoo de Santo Inácio (Porto Portugal) a été reprise par le groupe Thoiry en partenariat avec la famille Guedes, et par Edmond de La Panouse celle de la Réserve biologique des Monts d’Azur, Alpes-Maritimes, fondée par le docteur vétérinaire, Patrice Longour. Pour soutenir une expansion en Europe, notre famille a ouvert le capital de la société holding d’exploitation du Groupe Thoiry, qui comprend les parcs de Thoiry, Peaugres et Santo Inácio, à des partenaires finan-ciers, Ekkio Capital, majoritaire, la BNP Paribas et Ile-de-France Capital. Notre famille conforte

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ainsi les revenus du patrimoine historique dont elle est seule propriétaire et animatrice. Colomba et Edmond, nos enfants, ont gardé une part signi-ficative du capital de la holding et ils font partie du comité de surveillance. Colomba est directrice générale déléguée du Groupe Thoiry. Colomba et Edmond développent leurs propres entreprises écologiques. Edmond gère la Réserve biologique des Monts d’Azur (Alpes-Maritimes) et reprend le château du Colombier (Aveyron). Il a construit une Orangerie en synergie avec les activités évé-nementielles du château. Je suis membre du conseil d’administration de la Réserve africaine de Sigean (Aude). À bord de ces arches de Noé,

54 millions de visiteurs ont partagé un moment de leur vie avec celle des animaux sauvages, acteurs de la merveilleuse biodiversité de la planète. Les deux domaines historiques ancestraux reçoivent des revenus importants et pérennisés. Colomba a créé à titre personnel la première unité de métha-nisation qui fournit en biogaz le réseau public GRDF et alimente le safari zoo, le château et huit villages et la ville de Plaisir. Elle construit aussi une ferme bio. Je conseille la création de parcs en Asie et en Afrique. Le premier fonds de dotation créé en France, « Thoiry Conservation », finance des projets de conservation en milieu naturel.

Notre famille historique a donné une vocation culturelle, sociale et économique à ses racines ancestrales et elle s’ouvre sur le monde. Mes parents, Antoine et Solange, avaient risqué leur fortune pour soutenir les idées originales d’un fils âgé de 21 ans. Ils avaient vendu du capital à faible rentabilité pour financer une activité nature et culture qui prenne en charge les coûts d’entretien du domaine et offre des revenus au patrimoine historique. Les parcs de Thoiry, du Colombier et de Thorenc affrontent des règlements adminis-tratifs contradictoires qui ont fait échouer plu-sieurs de leurs projets. Famille, actionnaires et salariés font face à ces difficultés ubuesques mais, sans se décourager, ils poursuivent l’œuvre pour l’adapter aux rêves écologiques contemporains.

Nous avons toujours allié esthétique et attrac-tivité touristique. Thoiry ne reçoit pas les sub-ventions allouées aux zoos publics concurrents et nous refusons les manèges et les décors à la Disneyland. Seule la qualité du spectacle de la vie des animaux en liberté dans de vastes espaces paysagers fonde l’attractivité qui assure la fré-quentation et la rentabilité économique.

Quand notre regard croise celui des animaux sauvages, nous découvrons que ces êtres sensibles sont nos frères de sang et d’âme. Arbres, bêtes et hommes, nous sommes tous acteurs et solidaires d’une même biodiversité. Thoiry, théâtre de l’his-toire et théâtre de la nature, glorifie la beauté et les mystères de la vie dans un site privilégié pour nous aider à transformer les moments de bonheur d’une promenade familiale ou amoureuse en ins-tants d’éternité.

Ci-contre : cobes, lechew et zèbres

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La famille de La Panouse en 2017 sous un prunier « tai Haku » au Jardin anglais de thoiry. De gauche à droite : Paul et annabelle, comte et comtesse de La Panouse,

edmond, vicomte, Colomba et son mari Cameron turnbull

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LA SAGA FAMILIALE

À travers les siècles et les continents,Paul de La Panouse, ses ancêtres et le chêne François I er

racontent

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15La saga FaMILIaLe

1965. Notre famille ouvre le château au public pour lui donner une activité culturelle, une fonction sociale

et des revenus touristiques

1965. Paul de La Panouse : j’ai 21  ans et je m’interroge : est-il possible d’adapter le vais-seau à voyager dans le temps, le château de Thoiry, aux contraintes économiques et sociales contemporaines ou dois-je choisir d’autres orien-tations de vie ? Mes parents m’autorisent à ouvrir le château au public, pour lui donner une activité culturelle, une fonction sociale et des revenus touristiques. C’est généreux car rien ne les obli-geait à risquer leur sécurité patrimoniale et à accueillir le public dans leur maison privée.

solange et antoine de La Panouse, et leurs enfants, Cécile, assise, et, debout, raoul, agnès et Paul

Page de gauche : salon Blanc, enfilade W.e. et enfilade s.O.

guide et visiteurs au salon vert

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16Une aventUre saUvage

1966. Pour attirer les familles de visiteurs, parc d’attractions ou parc zoologique ?

1966. Le château a reçu 30 000 visiteurs. C’est insuffisant. Comment attirer les familles ? Un parc d’attractions détruirait l’esthétique des jar-dins que je souhaite sauver et il sera démodé le jour où Disney Land s’installera en Europe. Les animaux sauvages ont deux avantages : ils sont en harmonie avec les arbres des jardins et, comme le château et les objets d’art, ils ne se démoderont jamais.

Difficile d’acquérir un savoir-faire car les rares zoos à l’époque ne m’ouvrent ni leurs portes ni les grilles de leurs enclos. Deux hommes géné-reux répondent enfin. Joseph de Mauléon, pro-priétaire du zoo de Montevran, me reçoit en stage et en ami. Jean Richard, acteur populaire, a construit deux cirques, une ménagerie et un parc d’attractions, La Mer de Sable. Il m’accueille en disant : « Quand j’ai débuté, la profession m’a balancé des peaux de banane. J’ai juré de ne pas me comporter ainsi. » Il ordonne à ses employés de répondre à toutes mes questions.

Jean richard à thoiry

Il me présente deux professionnels compétents et généreux dont l’aide sera fondamentale pour la réussite de Thoiry.

Dominique Perrin 1985

Dominique Perrin, aussi génial que discret, conçoit, met en scène, trouve les sponsors et gère des événements prestigieux, tels le Bal des Petits Lits Blancs et le gala de l’Union des artistes.

Le Dr  Michel Klein, vétérinaire surdoué, a pour clients des cirques, des personnalités connues et des vedettes. Parmi ses interven-tions géniales, il y aura le massage cardiaque d’un rhinocéros et l’extraction d’une défense d’éléphant avec un démonte-pneu et un pique de maçon, assisté par Caroline de Monaco et le prince Rainier. Outre une éléphante et un couple de lions, le nombre d’autres espèces est  modeste. Pour que les médias s’intéressent à ce nouveau zoo, j’acquiers une attraction unique. Douze ours de quatre races différentes cohabitent dans une grande fosse.

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Le garde-chasse, M.  Nicolas, m’avait appris à  observer la faune des bois et des champs. Nous partagions le plaisir de lire des ouvrages de science-fiction. Sa pratique des animaux sau-vages sur le terrain et son ouverture d’esprit en font un excellent responsable zoologique. Sur cette photo, nous sommes, mon frère Raoul, lui et moi, avec les otaries.

1967, châtelains et employés, nous changeons d’ère. Nous ouvrons un zoo et nous arrêtons la chasse. La présentation d’ours, un loisir popu-laire, remplace le plaisir aristocratique des bat-tues de perdreaux.

Je nageais et je jouais dans l’eau avec les ota-ries par tous les temps. L’inconvénient c’était la fine pellicule d’huile de poisson qui flottait à la surface du bassin. Son odeur imprégnait ma peau et mes cheveux. Malgré une longue douche, à un dîner de gala dans l’un des hôtels particuliers les plus élitistes de Paris, ma voisine de table, s’étonna à la cantonade : « C’est curieux, il flotte ici une légère odeur de poisson et pourtant il n’y en a pas au menu ? »

Nicolas et André Delannoy nettoient la fosse des ours. Un employé négligent ouvre la trappe de la cage de Narvick, le mâle ours blanc, 800 kg et 3 m de haut debout. Adossés au bassin d’eau, entourés de murs lisses infranchissables avec l’ours polaire entre eux et la porte de sortie, Nicolas et Delannoy sont condamnés. Nicolas a d’instinct

Docteur Michel Klein

M. nicolas, garde-chasse et chef animalier, Paul et son frère raoul

accompagné par nicolas, Paul nage avec les otaries

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le bon réflexe, le seul qui ait une chance infime de réussir. Il court vers l’ours et il le frappe sur le nez avec sa casquette de garde-chasse en hurlant :

« Toi, tu rentres. » L’ours interloqué retourne dans sa cage. Nicolas revient vers Delannoy, qui s’accroche à son balai, tétanisé par la peur. Il le tire par le bras en criant : « Toi, tu sors. » Narvik réalise que deux proies vulnérables s’échappent. Il ressort en courant et il heurte la porte refermée de justesse. La fosse à ours sera supprimée en 1969 quand j’aurai créé le premier parc où les ours vivent en liberté dans les bois.

Pour l’inauguration du zoo, Dominique Perrin organise une fête pour la presse. Philippe Bouvard rédige le texte qu’interprète Maurice Biraud, pré-sentateur vedette de la radio Europe n° 1. Jean Richard invite ses amis célèbres pour aider « un jeune qui a mis des animaux dans son jardin pour sauver son château ».

1re attraction du zoo, 12 ours de races différentes, 3 polaires, 1 syrie, 4 du tibet et 4 bruns

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19La saga FaMILIaLe

Comment faire vivre ensemble et en liberté sur un même territoire 20 espèces d’animaux sauvages

exotiques ? Les opposants demandent aux autorités d’interdire ce rêve aberrant

L e nombre de visiteurs augmente. Agrandir le zoo, c’est ajouter des cages et des enclos

qu’il faudra cacher. Le domaine est vaste. Je rêve de mettre les animaux en liberté. Nicolas et moi nous manquons d’expérience zoologique. Les marchands d’animaux allemands, Ruhe, père et fils, qui m’ont fourni les ours, gèrent les zoos de Hanovre et de Gelsenkirchen. Je leur loue les services de deux soigneurs et d’un chef animalier, M. Rinkel. Celui-ci, petit-fils et fils de soigneur, transmet l’expérience de trois générations. Il est exigeant mais respecté car il sait partager son enthousiasme et ses compétences. Je soumets à Rinkel et à Nicolas mes idées pour faire coha-biter plusieurs espèces d’animaux sauvages et

exotiques en liberté et ensemble sur un même territoire. Ceux-ci m’aident à trouver des tech-niques originales. Les opposants s’organisent. Des voisins clament que leurs maisons seront dévaluées car les lions s’échapperont et que les animaux attireront mouches et moustiques. Le Pr Jacques Nouvel dirige les parcs zoologiques de la Ville de Paris et il occupe la chaire d’éthologie au Muséum d’histoire naturelle. Fort de l’auto-rité conférée par ces fonctions, il demande aux administrations concernées d’interdire le projet. N’étant ni vétérinaire ni zoologiste. Mon incom-pétence mettra en danger la vie des animaux, des visiteurs et des voisins. Je réponds que les qua-lités requises sont celles des rangers d’Afrique du

visiteurs en voiture dans la réserve africaine

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Sud. Il prétend que les lions lâchés dans les bois s’échapperont si un arbre tombe sur le grillage. Je vais au zoo de Vincennes, où je compte 30 arbres vétustes proches d’enclos d’animaux dangereux. Le professeur réplique que le chef animalier du zoo frappe les arbres avec un marteau et qu’il supprime ceux qui sonnent creux. Je rétorque : « Mon père, étant forestier, sera qualifié  pour déterminer la santé d’un arbre. » Selon le profes-seur, mon projet de faire vivre plusieurs espèces sauvages ensemble sur un même territoire est impossible car les animaux s’entre-tueront.

Au sein de chaque espèce, il y a compétition. Dans les zoos, les enclos étant petits, tout mâle supplémentaire deviendra bouc émissaire et il sera tué faute de pouvoir s’éloigner à une distance suffisante pour calmer l’agressivité du chef. Dans la nature, le bouc émissaire est le premier qui meurt de faim, s’il n’y a plus d’herbe, et de soif, s’il n’y a plus d’eau. Il est plus vulnérable à l’attaque d’un fauve. Le chef sera le dernier à mourir et le premier à se reproduire. Pour les espèces territo-riales, le chef assure à son harem l’accès à l’eau et à l’herbe en cas de sécheresse. Les mâles dominés meurent en premier. Quand la pluie revient, le chef se reproduit avec les femelles ayant survécu grâce à lui. Je suis convaincu qu’une surface de 40 ha (400 000 m²), sera suffisante car, à Thoiry, comme en Afrique, le bouc émissaire restera visible et proche du troupeau dont il est la sécu-rité.

Entre espèces, je savais qu’il n’y aurait pas de compétition. En Afrique, plus on s’approche de l’équateur, plus le nombre et la diversité des plantes augmentent, des milliers d’espèces végé-tales contre quelques centaines en Europe. Chaque espèce d’herbivores se nourrit de plantes négligées par les autres. Certaines cueillent les feuilles des arbustes et les autres broutent les herbes. Une espèce prélève la partie haute d’une herbe ou d’un arbuste, une autre la partie basse. La composition du territoire est aussi importante que sa surface. L’alternance des plans d’eau, clai-rières, zones boisées, collines et carrières per-mettra aux animaux de se rencontrer ou de s’éviter selon leur humeur. Nouvel argumente : « Même si cela fonctionnait l’été, l’hiver, les ani-maux devront choisir entre mourir de froid dehors ou s’entre-tuer dans des maisons chauf-

fées. » Je réponds que les animaux circuleront sans se voir dans les dizaines de boxes communi-cants d’une maison-labyrinthe. Si un dominé rencontre un dominant, il sortira par une porte et rentrera par une autre.

Ces attaques répétées de personnalités émi-nentes m’inquiètent. Je soumets mon projet à un sachant exceptionnel, Jean Delacour, alors âgé de 77 ans. Ornithologue, il a découvert de nouvelles espèces d’oi-seaux et publié des dizaines de livres et ouvrages scienti-fiques. Sa curiosité insatiable nourrit une vaste culture. Cofondateur de la Ligue de Protection des Oiseaux, il administre de multiples organismes scientifiques et culturels. Il a aussi un savoir-faire de terrain. Dans son château de Clères, il reproduit les oiseaux exotiques les plus rares. Il m’y invite. En commençant la visite, je l’avertis de la faiblesse de mes connaissances en sciences naturelles. « Ce serait un préalable nécessaire si vous vouliez enseigner, répond Jean Delacour, mais pour élever des animaux, il faut d’autres savoir-faire. » Après déjeuner, il m’inter-roge sur les techniques que j’ai imaginées pour mettre en liberté, ensemble et sur un même ter-ritoire, vingt espèces d’herbivores africains. J’ex-pose les objections du Pr Nouvel. Jean Delacour conclut : « Vous ne pouvez pas prouver que vous avez raison. » À ces mots, mon moral s’effondre. En souriant, il ajoute : « mais personne ne peut prouver que vous avez tort. J’aurais votre âge, je vous proposerais de m’associer avec vous ». C’est un formidable encouragement. Avec un vent d’ouest arrière, je vole sur un nuage rose et sur l’autoroute à 150  km/heure, (vitesse autorisée à l’époque), car j’ai hâte de partager cette bonne nouvelle avec la famille et les collaborateurs.

Philippe Bouvard annonce, dans le Figaro, l’ouverture l’année suivante d’une réserve afri-caine : « Des lions à 40 km de Paris. » À l’époque, la réglementation des zoos est inexistante. Le site est classé mais les services préfectoraux et le ministère de la Culture sont coopératifs. Aujourd’hui le principe de précaution et la surabondance des réglementations offrent à une

Jean Delacour

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21La saga FaMILIaLe

association hostile et à un service de l’État dubi-tatif les moyens de bloquer tout projet innovant. (Trente  ans plus tard, les attaques d’une associa-tion sectaire, usant de faux arguments écologiques, retarderont la présentation d’animaux au château du Colombier et nous feront perdre un million d’euros.) Malgré l’inquiétude de leur entourage, mes parents me soutiennent moralement et finan-cièrement. Malgré mon inexpérience, deux ban-quiers me font confiance, M. Potier de la B.N.P. et M. Lassus du C.I.A.L. Je lance l’appel d’offres en octobre  1967 pour construire 7 000  m² de bâtiments, maisons des animaux, installations techniques et accueil des visiteurs, 10 km de clô-tures, 13  km de routes, 130 000 m² de surfaces goudronnées, transformer des anciennes écuries en restaurant. Les entreprises refusent un délai de quatre mois car les pluies d’hiver rendront le terrain argileux impraticable. Rallonger le délai ferait manquer la saison estivale ce qui serait une catastrophe financière. Gilles Thierry, jeune directeur de l’entreprise Razel, me dit : « Je peux faire vos routes comme celles que j’ai construites en Afrique. Vous avez un sable de qualité dans le sous-sol de votre domaine. Je creuse une car-rière. Je réalise un talus de sable sur deux mètres d’épaisseur. Les bulldozers et les camions s’en-fonceront mais le fond restant soutiendra la construction de la route à l’avancée quel que soit l’état du sol. » Sans lui, nous aurions échoué. Les autres corps de métier se passionnent pour le projet. Fin avril 1968, tout fonctionne. 80 per-sonnes sont engagées et 20  employés du châ-teau se reconvertissent. Ils font évoluer à la fois leurs compétences et l’entreprise. Quelques-uns, grâce à leur talent et aux compé-tences acquises chez nous, pour-suivront leur carrière ailleurs, tel Pierre Gonnaud, à Carrefour et à Virgin.

Sylviane Laude, âgée de 20 ans, engagée par ma mère comme secrétaire, deviendra directrice du Groupe Thoiry. Elle aura l’estime et le respect de ses collaborateurs. En 41 ans de carrière, son intelligence professionnelle, sa rigueur morale, son écoute sociale, sa fidélité et son dévouement conforteront les réus-

sites et aideront à surmonter les épreuves. Avec sang-froid et par ses compétences, elle assurera la sauvegarde des entreprises et du domaine lors des crises les plus graves.

Claude Pellier, soigneur, renonce à sa sélec-tion pour les Jeux Olympiques, pour participer au lâcher des animaux. Aujourd’hui, je siège avec lui au conseil d’administration de la Réserve africaine de Sigean dont il fut chef animalier. Le chef cuisinier du château, Louis Berthelot, maître pâtissier, dirige le restaurant self-service. Christian Nicol, mécanicien et délégué du per-sonnel, deviendra directeur technique et chef animalier. Il saura trouver des solutions pour résoudre les crises, un animal échappé, un acci-dent, les pannes un jour d’affluence ou comment rouvrir le parc après la chute de 2 500 arbres lors de la tempête de 1999. Soutenu par ma famille et des collaborateurs motivés, je suis prêt à recevoir les animaux puis le public avec plus d’enthou-siasme que d’expérience.

Un matin d’avril 1968, 200 caisses d’animaux sauvages et exotiques venant de zoos européens et d’Afrique sont alignées côte à côte dans la plaine centrale de la Réserve africaine. À gauche sur cette photo, mon frère Raoul est le 2e debout sur une caisse. À droite, au 1er rang entre les caisses, Rinkel, Nicolas et moi, nous avons ava-lisé la mise en place. C’est l’angoissante heure de vérité : à trois semaines de l’ouverture au public, les animaux vont-ils cohabiter ou s’entre-tuer comme l’a prédit le Pr Nouvel ? Mon père m’encourage d’un sourire bienveillant. Dans un silence tendu, les soigneurs déclouent les trappes et montent sur les caisses. Les animaux, énervés,

s’agitent à l’inté rieur. Nous écou-tons, inquiets, le raclement des sabots et les claquements des cornes contre les parois en bois. Si la coha-bitation des animaux échoue, par ma faute, mon père aura vendu sa forêt des Vosges pour rien et ma mère devra abandonner tout espoir de pérenniser le domaine ancestral auquel elle a consacré sa vie.

Je crie : « Ouvrez les trappes. » Zèbres, autruches et douze espèces d’antilopes jaillissent hors des caisses et galopent droit devant. sylviane Laude

Page 15: En l’an 2019, le Château de Thoiry fête ses 460 ans€¦ · tion du zoo de Santo Inácio (Porto Portugal) a été reprise par le groupe Thoiry en partenariat avec la famille Guedes,

22Une aventUre saUvage

Les  animaux esquissent une ruade, secouent la tête, amorcent une fuite ou un mouvement d’intimidation, libérant les frustrations d’un long voyage. Puis ils s’arrêtent, hument le vent et broutent paisiblement. Ils se regroupent par espèces. Chaque espèce, comme je l’avais espéré, occupe tout le territoire et cohabite avec les autres espèces. Au sein de chaque espèce, les luttes pour la hiérarchie respectent un comporte-ment rituel. Chez les espèces territoriales, le chef constitue son harem. Les mâles dominés forment un groupe secondaire d’où est exclu un bouc

émissaire. Chez les espèces migratoires, tels les élans du Cap et les gnous, mâles et femelles, sont mélangés et seul le bouc émissaire est rejeté hors du troupeau. Comme je l’avais espéré, les boucs émissaires s’éloignent à une distance suffisante. Il n’y a ni les blessés ni les morts prédits par les détracteurs.

Je raconte dans un livre illustré pour enfants l’histoire de « Brigitte la Gnou ». Cette jeune femelle gnou, désignée bouc émissaire, vit éloi-gnée du troupeau. Parfois un mâle lui rend visite. Brigitte est enceinte. L’instinct des gnous oblige

Lâcher des 20 espèces d’herbivores africains avec nicolas, rinkel, raoul et moi

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23La saga FaMILIaLe

la mère à accoucher au milieu d’une famille gnou qui la protégera elle et son bébé pendant ce moment critique. En Afrique, entourée de milliers de gnous, Brigitte trouverait une autre famille mais à Thoiry il n’y en a qu’une. Plus elle insiste, plus le chef la repousse à coups de cornes. Elle s’obstine, plutôt mourir que de renoncer à cette sécurité. Nous l’isolons dans un enclos. Michel Klein, vétérinaire, les soigneurs et moi, nous formons en silence un cercle autour

d’elle. Rassurée, elle libère son petit. Nous par-tons quand celui-ci se dresse debout sur ses pattes tremblantes. Adolescent, son fils rejoint les autres gnous. Adulte, il devient le chef. Il désigne un mâle bouc émissaire. Brigitte intègre la famille dirigée par son fils, avec une position dominante de mère du chef. Les animaux vivent leurs comportements affectifs et sociaux dans le présent. Qui sait jusqu’où leur mémoire affective est personnalisée ?

Combat entre deux gnous pour la hiérarchie