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N’ayez plus peur du noir ! La cécité est souvent incomprise. Les aveugles ont un souhait : s’intégrer dans la société. Nice a posé une première pierre dans ce sens.

Enquête Aveugles 2008

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Ceci est une enquête sur l'insertion des aveugles à Nice effectuée durant ma formation à l'EDJ (Ecole du journalisme) en 2007/2008. Le handicap isole et beaucoup de non-voyants refusent d'être catalogués. Leur seul souhait : être sociabilisés.Enquête sur les moyens mis à disposition à Nice pour les aider à surmonter leur cécité au quotidien.

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N’ayez plus peur du noir ! La cécité est souvent incomprise. Les aveugles

ont un souhait : s’intégrer dans la société. Nice a posé une première pierre dans ce sens.

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Edito

Voir avec le coeur...Par Fabien Morin

A l’heure actuelle, plus personne ne

conteste ce fait : nous vivons dans une socié-té de l’apparence et de l’image. Une société où nous nous soucions du regard et du jugement que les autres portent sur nous. On veut se montrer. On cherche à être vu. On veut une reconnaissance, même si elle n’est qu’éphémère. Nous ne sommes plus jugés sur qui nous sommes, mais sur ce à quoi nous ressemblons. Nos rêves sont bâtis ainsi. Nos vies, aussi. Alors imaginons un instant un autre scé-nario. Une autre so-ciété. Elle serait plon-gée dans l’obscurité. Pas les ténèbres, juste l’obscurité. Finie l’ima-ge. Terminées les ap-parences. Il existerait d’autres valeurs pour estimer les gens. Le courage. L’intellect. L’esprit. La gentillesse. L’humour. Des qualités humaines qui tendent simplement à dispa-raître et que les yeux ne distinguent pas tou-jours. Mais cette so-ciété existe. C’est celle dans laquelle vivent les aveugles et déficients visuels au quotidien.

Voilà peut-être pour-quoi nos deux socié-tés - voyants et non-voyants - ont du mal à se comprendre. Parce que notre monde tourne autour d’une seule chose. La seule chose qui manque au non-voyants. Ceux-ci nous prouvent chaque jour que l’on peut vi-vre, aimer, rire… sans voir. Il faut simplement essayer d’aller vers eux pour s’en rendre compte. Faire l’effort de franchir la barrière qui nous sépare. Celle de l’image. Car à leurs contacts, on se sur-prend à apprécier les choses différemment. En portant un autre regard sur les aveu-gles, vous porterez un autre regard sur la vie. Jules Renard avait raison : ce sont les aveugles qui nous apprennent à voir… A voir avec le cœur.

Sommaire

Ouvrons les yeux 3

Vivre à l’aveugle Des aveugles dans la ville 6Un handicap, des maladies 7 Vivre dans le noir 8

Associations Des associaitons, des actions 8Association Valentin Haüy : «pour oser de nouveau sortir de chez soi» 9Chiens guides d’aveugles :un apport essentiel au quotidien 10A.N.I.C.E.S :«à chacun son défi» 12Trois questions à Sophie Prigent 13Paul : «le noir, c’est pas commun» 13

RencontreSandrine et Sébastien Filippini : «La vie nous a souri» 14

EducationDes ados avant tout... 16

Insertion professionnelleAssociation Horus : l’écrit à destination des déficients visuels 17Antoine Beninati : «Je me bats pour garder ma liberté» 18

PortraitClaude Garrandès :professeur, artiste, éditeur... et aveugle 19

CultureLe point culture de «madame culture» 20Des images grâce aux mots 20Musées : visite non guidée 21La voie du bonheur 21

RessentiComment voient les aveugles 22On a testé 23

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La France compte aujourd’hui 1,5

million de déficients visuels. Plus de 500 000 malvoyants et 60 000 aveugles. A Nice, les associations ne sont pas en mesure de donner un chiffre précis. Le handicap isole et beaucoup de non-voyants re-fusent d’être cata-logués. Leur seul souhait : être socia-bilisés. Dans une vil-le comme Nice, quels moyens sont mis à leur disposition pour les aider à surmonter leur cécité? Avec des associations actives, une municipalité à l’écoute et des infras-tructures adaptées, la cinquième ville de France multiplie les efforts. Il y a dix ans, le mensuel « Louis Braille » affirmait qu’elle était la mieux équipée de France. Aujourd’hui, le cons-tat est plus modéré. Les bases sont po-sées, mais des pro-grès restent à faire.

« Les yeux sont le miroir de l’âme ». Le lieu com-mun fait figure de vérité dans l’inconscient col-lectif. Mais de quel droit l’âme appartiendrait-elle à ceux qui voient ? A leur insu, les aveugles ont été stigmatisés et mis au banc de notre société. Les voyants et non-voyants sem-blent se protéger pour s’éviter. Ils redoutent le re-gard que nous portons sur eux. Paradoxalement, c’est nous qui ne les voyons pas. La peur du handicap est un prétexte suffisant pour ne pas franchir le bou-clier de la canne et du chien. Ces deux sou-tiens sensés les ouvrir vers la société les ghet-toïsent trop souvent.

Accessibilité

Dès 1997, Nice s’af-fiche en précurseur et commence à adapter ses infrastructures pour les non-voyants. La ville montre l’exemple en installant le premier feu sonore de France. La municipalité poursuit ses efforts. Aujourd’hui, quatre cents passages piétons sont équipés de bandes podotacti-les. Une cellule d’ac-cessibilité a été mise

en place au sein de la mairie, sous le man-dat de Jacques Peyrat. L’élaboration de chaque projet prend désormais en compte le handicap. Dernier exemple en date : le tramway. Boî-tiers sonores, annon-ces vocales et autres technologies facilitent

l’accès à ce moyen de transport (p.6). Les po-litiques sont de plus en sensibles à l’intégration des handicapés. La ré-cente mission confiée à Gilbert Montagné par Xavier Bertrand, minis-tre du Travail, des Rela-tions Sociales et de la Solidarité, sur « l’intégra-tion des personnes mal-voyantes et aveugles à la vie de la cité » con-firme cette tendance.

Accompagnement

« C’est notre rôle de les réinsérer dans une vie sociale ». Daniel San-tin, vice-président de l’Association Valentin Haüy à Nice (AVH), ré-sume bien le leitmotiv des associations loca-les investies auprès

des déficients visuels. L’AVH est la plus emblé-matique (p.9-10). Elle est sur tous les fronts : insertion profession-nelle, cours de Braille, activités sportives et culturelles… Elle se dis-tingue par sa volonté d’améliorer le quotidien des non-voyants en

mettant à leur dis-position un matériel adapté (thermomè-tre parlant, mon-tre Braille…) (p.8).A chacun sa mis-sion. Les associa-tions se spéciali-

sent dans un domaine précis. Celle des Chiens Guides d’Aveugles de Provence Côte d’Azur met à la disposition des déficients visuels un chien dressé par leurs soins (p.10). Au-delà de l’affection qu’ap-porte ce compagnon, il contribue à leur offrir une part d’autonomie.Cette autonomie passe par une intégration pro-fessionnelle, comme l’explique Antoine Beni-nati, employé de la CAF (Caisse d’allocations fa-miliales) et mal-voyants (p.18). L’association Horus travaille dans ce sens auprès des étu-diants. Elle les accom-pagne et les oriente vers un métier, en fonc-tion de leurs capacités.

Rédacteur en chef :Fabien Morin

Rédacteurs :Cécilia DuvertAudrey GibauxBénédicte JourdierFabien Morin

Ouvrons les yeux

C’est nous qui ne les

voyons pas

L’intuition est une vue du coeur dans les ténèbres, André Suarès 3

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Une tâche primordia-le face à la difficulté de trouver un emploi. D’autant plus lorsqu’on est déficient visuel.Autre facteur d’in-tégration, le sport.L’association A.N.I.C.E.S (Association niçoise d’initiative culturelle et sportive), la plus récen-te dans le paysage as-sociatif niçois, souhaite favoriser les échanges sportifs entre handica-pés et valides. Par cette action, elle marque sa singularité. Et fait dé-couvrir un sport original : le torball (p.12-13). Les rôles sont inversés dans ce jeu collectif où la différence s’estompe. Le handicap change de camp. Tous les joueurs équipés de lunettes opaques évoluent

dans le noir. Réflexes, silence et concentra-tion sont de rigueur.

Problème de communicationRégies par la loi de 1901, toutes ces asso-ciations à but non lucra-tif dépendent principa-lement des dons et des legs des particuliers et des collectivités. En dépit des bonnes vo-lontés, un phénomène dommageable et sur-prenant les pénalise. Le manque de cohésion et de communication af-fecte la vie associative de la ville. La relative concurrence met à mal les quelques affinités existantes. Si elles ne s’ignorent pas, les asso-ciations n’œuvrent pas

pour une entente com-mune. Un problème qui nuit aux initiatives pri-vées. Elles sont vouées à l’échec avant même que les projets aboutis-sent (p. 8). Ce disfonc-tionnement s’illustre avec l’action menée par Sylvie Lefebvre, récem-ment arrivée à Nice, et qui n’a pas su imposer son projet. La visite destinée aux déficients visuels de l’exposition «Plossu façon Fresson», au Musée de l’image et de la photographie, comptait une quaran-taine de visiteurs : par-mi eux, aucun aveugle.

Charisme etdévotionPour réussir, ces actions ont besoin de l’implica-tion de personnalités fortes. Mais leur omni-présence se révèle être à double tranchant. Ce dynamisme permet de faire vivre les associa-tions. Le caractère de chacun, les pousse par-fois à se diviser. Parmi ces figures, Claude Garrandès (p.19). Ha-

bitué à vivre avec son handicap, il est devenu un boulimique de la vie. Professeur, artiste, édi-teur, sculpteur et sportif à ses heures, ce touche-à-tout s’est aujourd’hui retiré de la vie associati-ve, mais reste un acteur incontournable de Nice. A l’AVH, ce sont deux personnages qui se démarquent. Daniel Santin, vice-président, et Jacqueline Dicharry, surnommée « madame culture » au sein de l’as-sociation. Impliqués, dévoués, toujours prêts à communiquer sur leur vécu, ils se démè-nent pour ouvrir tou-jours plus de perspec-tives à leurs adhérents.Symbole de la nouvelle génération : le couple Filipini (p14). Sandrine et Sébastien se battent pour abolir les barrières de la cécité. Lui, par son implication en tant que capitaine de l’équipe de Torball, sport phare d’A.N.I.C.E.S qu’il préside. Elle, par son engage-ment politique et son nouveau poste d’adjoin-te à la mairie de Nice. Il n’est pas nécessaire d’être aveugle pour agir. Max Bouvy, pré-sident de l’AVH, et So-phie Prigent, directrice technique fédérale de torball, apporte une aide précieuse aux collectifs associatifs. La jeune femme a un

Système d’écriture tactile à l’usage des aveugles ou personnes gravement déficien-tes visuelles, le braille porte le nom de son in-venteur : Louis Braille. Né en 1809 à Coupvray (Seine et Marne), cet homme est devenu aveugle à l’âge de 5 ans. En 1829, il sort la première édition du Braille en simplifiant de 12 à 6 points la version originale de son ami Charles Barbier de La Serre, capitaine d’ar-mée. La version défi-nitive est achevée en 1837. Elle sera peu à

peu reconnue et défi-nitivement adoptée par les aveugles du monde entier en 1844. Elle est encore universellement utilisée aujourd’hui. Par ailleurs, il existe diffé-rentes formes de Braille : le Braille abrégé, le Braille informatique, le Braille musical, le Braille mathématique.En Braille standard, un caractère est représen-té par la combinaison de 1 à 6 points en relief, disposé sur une matri-ce de 2 points de large et 3 points de haut.

Le Braille : késako ?

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objectif : promouvoir le torball dans les-collèges et lycées.

« Le luxe de la cécité »Dans le milieu éducatif, le Collège Port-Lympia de Nice accueille des élèves déficients vi-suels. L’établissement permet à ces jeunes d’évoluer dans un cadre scolaire ordinaire. Ils apprivoisent leur han-dicap et se préparent à leur vie future (p.16). Ils ont à leur disposition un matériel onéreux finan-cé par le Conseil Géné-ral des Alpes-Maritimes. Cette prise en charge des appareils (loupe

électronique, logiciels Zoomtext et Talks, ma-chine Perkins…) n’exis-te quasiment pas pour les particuliers. Des frais exorbitants qui ne sont pas à la portée de tous. Comme si être aveugle était un luxe. La médecine s’inté-resse au côté ophtal-mologique et délaisse la partie psychologique pourtant essentielle. La cécité est un handicap propre à chacun (p.7).

« Sans vue mais pas sans vie »Certains refusent la ma-ladie et se referme sur eux-mêmes. D’autres, au contraire, ont la

force de continuer à vivre. « Ils pensent que la vie s’arrête mais ce n’est pas vrai. C’est une autre vie », résume Jacqueline Dicharry. Pour sa part, elle pense que c’est la musique qui l’a sauvé. Pianiste, répétitrice, juriste et an-cienne directrice d’éco-le de musique, «Mada-me culture» a consacré sa vie entière à sa pas-sion. Une échappatoi-re pour tous ses sou-cis et ses angoisses du noir. Mais encore faut-il que la culture s’ouvre aux aveugles. Certains musées com-mencent à prendre cons-cience de ce public, trop souvent oublié. (p 21).

Et c’est là le problème. Le milieu associatif souffre d’un manque d’exposition médiati-que. C’est donc notre rôle à nous, jeunes journalistes, de com-bler ce vide. Les as-sociations comme les aveugles ont besoin d’un intermédiaire pour leur donner la parole et les sortir de l’ombre. Ils ont besoin d’une écoute et d’une prise en compte particulière.Après six mois d’inves-tigation, nous avons découvert un monde authentique, pas si diffé-rent du nôtre. Des gens qui n’ont qu’une en-vie, s’ouvrir au monde.

Inventaire des principaux outils mis à disposition des non-voyants :

- L’outil le plus simple est formé d’une tablette munie de guides normali-sés avec des lignes de six points et d’un poinçon. Cet outil nécessite une adaptation particulière. Il faut complètement inversé le sens d’écriture. On poinçonne le dos de la feuille.- La machine Perkins, sorte de machine à écrire, est composée de sept touches en Braille. - L’embosseuse est une imprimante qui transcrit un texte informatique en texte Braille.- La loupe électronique permet de grossir des textes dactylographiés sur un écran d’ordinateur.- La synthèse vocale est une technique informatique de synthèse sonore. Elle permet de créer de la

parole artificielle à partir de n’importe quel texte. - Le scaner avec la reconnaissance de caractères permet de photogra-

phier un document de manière électronique. Grâce à un logiciel d’agrandis-sement, d’une synthèse vocale ou d’une barrette Braille, le déficient visuel peut prendre connaissance du document écrit.

- Les barrettes Brailles est un dispositif qui transforme les informations numériques en caractère Braille sur un clavier (voir ci-contre).

C’ est le malheur du temps que les fous guident les aveugles, William Shakespeare 5

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Des aveugles dans la ville Vivre à l’aveugle

Un petit son musical retentit. Le bon-

homme est vert. Piétons vous pouvez traverser. Voilà le principe d’un feu sonore. Le premier du genre a été inauguré par Gilbert Montagné en juin 1997, à Nice. Depuis, quelques qua-tre cents traversées ont été équipées de ce sys-tème, dont Carras, Gam-betta et le secteur de la gare routière. Munis d’une télécommande, les déficients visuels ac-tionnent le signal qui les renseigne sur la couleur du feu et son emplace-ment. Un dispositif com-plété par des bandes podotactiles au sol. Elles indiquent la proximité de la bordure du trottoir. S’il est relativement aisé de se déplacer à pied dans la ville pour les non-voyants, les trans-ports en commun et l’accès aux lieux publics demeurent un parcours du combattant. Les bus niçois ne disposent pas de signalétique sonore. Les aveugles manquent de repères géographi-ques. Pourtant, la loi du 11 février 2005 tend à changer la donne.

A l’unissonLa municipalité de Nice travaille en étroite col-laboration avec les as-sociations. Cette colla-boration se traduit par la mise en place d’une commission d’acces-sibilité. Dans une liste établie par le préfet, le

maire sélectionne des représentants choisis pour trois ans. Leur fonction est d’examiner et d’étudier les projets de construction de lieux

publics et transports en commun avec la DDE (Direction départemen-tale de l’équipement). Une fois les travaux, ef-fectués ils se rendent sur place pour tester le résultat. Mais les orga-nismes officiels comme le groupe Socotec ont le dernier mot. Présent sur les marchés de la cons-truction et de l’immobi-lier, il s’agit d’un pres-tataire de services. Sa spécialité : la maîtrise des risques et l’amélio-ration des performan-ces. Antoine Stellardi, directeur de la cellule d’accessibilité de Nice explique que « lorsqu’il y a une non-conformité par rapport à la deman-de effectuée, c’est une commission départe-mentale qui prend le re-lais et est habilitée à éta-blir des dérogations ».

Le projet d’accessibilité du tramway n’a pas sus-cité de problème. Les déficients visuels sont plutôt satisfaits. Tout a été réfléchi et conçu pour leur faciliter la vie. Annonces sonores des arrêts, bandes podotac-tiles et contrastées bor-dent la voie du tram’. Au-delà de la démarche artistique de Ben, les panneaux désignant les arrêts offrent un con-traste lisible pour les malvoyants. De plus, la mairie a offert à cha-que déficient visuel un boîtier coûtant six cents euros. Il leur permet d’activer un répétiteur sonore situé dans la borne du distributeur de billets. Cette télécom-m a n d e d é c l e n -che éga-l e m e n t l’annonce de l’ar-rivée du prochain tramway. En dépit de légers p r o b l è -mes de signalisa-tion des voies sur le par-cours piétons de l’agglo-mération, le tramway est synonyme de réussite.

Plage sonoreSur le même rail, les efforts vont devoir con-tinuer. L’arrêté oblige tous les Etablissements

qui reçoivent du Pu-blic (ERP) à créer une mise en accessibilité de leurs locaux, d’ici 2015. Pour l’aménage-ment des bus, les me-sures sont à la charge de la CANCA (Commu-nauté d’Aggloméra-tion Nice Côte d’Azur). La ville de Nice n’exclue pas l’aménagement des plages. Rassurés sur terre comme dans l’eau, les aveugles aussi ont accès aux loisirs. Une audioplage a été créée à Carras en 2007. Le principe : quatre ba-lises munies de récep-teurs sont disposées en mer à espace régulier. Le nageur munis d’un bracelet émetteur est prévenu par un signal

sonore de son évolution aquatique. Ainsi guidés, les handicapés peuvent bénéficier en toute sé-curité d’un petit bain.

Le premier feu sonore a été installé à Nice en 1997. Destiné à faciliter le déplacement des dé-ficients visuels, ce projet est le premier d’une longue série. Depuis, d’autres aménagements

spécifiques ont été intégrés au décor citadin. Pourtant, les bâtiments publics restent pour la plupart inaccessibles aux handicapés. La loi du 11 février 2005 tend à faire évoluer la situation.

Des bandes podotactiles aux abords du tramway niçois.

La place Masséna, dangereuse pour les aveugles. Ni bande podotactile, ni dénivelé au niveau des rails

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Il existe deux sortes de cécité sur cette terre : les aveugles de la vue et les aveugles de la vie, Ahmadou Kourouma

Un handicap, des maladiesIl n’existe pas une malvoyance mais des malvoyances. Les maladies de l’œil et leurs cau-

ses sont multiples et aboutissent souvent à la cécité (voir encadrés). Chaque malade de-mande des soins appropriés, propres à son handicap. Ses soins purement médicaux sont pris en charge par les hôpitaux et autres ophtalmologues. Le ressenti psychologique du patient tout simplement ignoré. Pour accepter le handicap, les déficients visuels doivent entamer une démarche personnelle vers les associations. A l’hôpital St Roch de Nice, juste une affi-che dans la salle d’attente les informe de l’existence de l’Association Valentin Haüy. Encore faut-il avoir le courage de faire le pas. Pour apprendre à vivre avec ce nouvel handicap, seuls deux centres de rééducation fonctionnelle pour déficients visuels existent : l’institut ARAMAV de Nîmes (voir encadré) et le Centre de rééducation aveugles et malvoyants de Marly le Roi.Institut ARAMAV (association pour la réinsertion des aveugles et mal-voyants)

La clinique de réédu-cation fonctionnelle

pour déficients visuels est ouverte depuis 1989. Elle est gérée par l’association ARAMAV créée à l’initiative de son président Denis Brillard en 1984. Agréée par le Ministère de la santé, et conventionnée par les caisses d’assurance maladie, elle accueille des déficients visuels

majeurs venant de la France entière. Seuls vingt lits sont à dispo-sition pour des séjours allant de 6 semaines à 6 mois. L’objectif est de coller au mieux aux besoins de chaque patient dans le but de lui (re)donner un maximum d’autono-mie. Pour cela, quatre unités de rééducation sont mises en place, dans les domaines mé-

dicaux, psychologiques et sociaux. L’unité d’orthoptie est dédiée aux patients bé-néficiant d’un potentiel visuel réduit, suscepti-ble d’être amélioré. Elle consiste en une stimu-lation visuelle et permet de mettre en place de nouvelles stratégies de compensation au défi-cit.L’unité d’ergothérapie développe les sens com-pensatoire de la vision. Au menu, des activités de mise en situation : mosaïque, peinture, menuiserie et activités de la vie journalière. Le module propose aussi des activités de commu-nication. Comme l’ap-prentissage du Braille et de l’informatique.L’unité de psychomotri-cité permet un travail corporel. Ceci vise à pal-lier les difficultés engen-drées par la perte de la vue (troubles de l’équili-bre, de l’espace…). Enfin, l’unité des éduca-teurs est présente pour entourer le patient. Et l’aider à vivre différem-ment. Ils sont à l’écoute de chacun et les aident à se réinscrire dans une réalité sociale.

Institut ARAMAV, 12 chemin du Belvédère, 30900 Nîmes tél : 0466234855

L’œil est un organe fragile, complexe et per-fectionné. Par ces caractéristiques, il est sujet

à de nombreuses maladies. Elles peuvent frapper n’importe qui, n’importe quand. Mais les person-nes âgées sont les plus menacées. La médecine fait des progrès. La population des déficients vi-suels vieillit. En effet, les jeunes aveugles sont de plus en plus rares du fait d’opérations à succès.

La cataracte :Maladie touchant gé-néralement les person-nes âgées. La vision de-vient progressivement floue du fait de l’opacité du cristallin. Le patient éprouve la sensation

de voir comme s’il se trouvait derrière une chute d’eau. Sans opération, la cataracte peut conduire à une cécité partielle ou totale. Le décollement de rétine : Apparition d’éclairs, d’une mouche volante ou d’un voile noir, sont les signes d’un décollement de la ré-tine. Si les symptômes ne sont pas repérés suffisam-ment tôt, la cécité est inévitable. Même une bonne opération peut laisser des séquelles sous forme d’une amputation d’une partie du champ visuel.Le glaucome :Maladie insidieuse et progressive, le glau-come est systématiquement dépisté lors de l’examen ophtalmologique par la prise de ten-sion oculaire. La vue n’est pas directement affectée. C’est le champ de vision qui rétré-cit peu à peu jusqu’à disparaître totalement. La dégénérescence oculaire :Maladie liée à l’âge, la dégénérescence oculaire est une perte de vision centrale qui empêche de lire même avec un système grossissant. Le patient ne sera jamais aveugle. Il continuera à voir sur les côtésLa rétinopathie diabétique :Il s’agit d’infections de la rétine liées au diabète. Ainsi apparaissent des hémorragies, des micros anévrismes et exsudats qui altèrent considérable-ment la vision. Cette maladie doit être dépistée par angiographie de la rétine et traitée au laser.

Le centre offre un suivi médical approprié

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Page 8: Enquête Aveugles 2008

Associations

Des associations, des actionsNice compte sept grosses structures associatives dédiées aux déficients visuels. Cours de

Braille, randonnée, torball, lecture, cinéma, dessin, sculpture, insertions professionnelle et sociale, les aveugles niçois ont l’embarras du choix. Toutes agissent dans un seul but : sortir les mal et non-voyants de l’isolement. Mais des rivalités existent et troublent la communication.

L’Association Valentin Haüy (AVH) (p. ) et

l’Association des Chiens guides d’aveugles (p. ) font figures de leaders dans le milieu associatif niçois. La première jouit de son rayonnement national, et la seconde est incontournable par son activité spécifique. Peut-être en raison de leur renommée respec-tive, il existe une rela-tive mésentente entre ces deux organisations.

Une indifférence mu-tuelle se ressent de la part des dirigeants.Pourtant des liens se sont tissés avec des co-mités plus modestes. L’AVH n’hésite pas à soutenir les ambitions de ses membres. Le couple Filippini (p17), dans sa volonté de s’investir, a créé l’As-sociation niçoise d’ini-tiatives culturelles et sportives (A.N.I.C.E.S), dédiée à la pratique

du torball et à l’ensei-gnement du Braille. A l’initiative de la créa-tion d’Horus (p. ) et d’Ar-rimage, une autre figure forte : Claude Garran-dès (p. ). Sa person-nalité les unie même si elles œuvrent dans différents domaines.En matière culturel-le, les Chiens guides d’aveugles orientent plus facilement leurs adhérents vers l’Union des Aveugles (voir en-

cadré) plutôt que vers Arrimage ou l’AVH. Parmi ces associations, les Donneurs de voix de la bibliothèque sonore se sentent relativement isolés. Seule l’AVH, dont les bureaux sont dans le même immeuble, orien-te les personnes en trop grande difficulté morale vers cette structure. La « lecture » leur permet de briser leur solitude. Et pourquoi pas de faire un pas vers l’extérieur ?

Union des Aveugles Civils de Nice, Alpes-Maritimes et Corse : Depuis 1930, l’UACN s’est donné la mission d’aider les aveugles civils et de favoriser leur en-traide. Une centaine d’adhérents de tous les âges se retrouvent pour acquérir une plus grande auto-nomie. Autour du sport, du théâtre, de la musique, de la culture chacun tente de sortir de l’isolement.27/29 avenue Jean Médecin 06000 Nice, tél : 04 93 88 04 80.

Comité Départemental Handisport des Alpes-Maritimes Le comité compte aujourd’hui dix-neuf clubs affiliés. Au total, ce sont 286 licenciés qui pra-tiquent dix-sept disciplines sportives. Grâce à des personnes handicapées, le comité a vu le jour et a décidé de développer les sports pro-posés par la Fédération Française Handisport. Parmi les clubs consacrés aux activités pour les aveugles, les associations A.N.IC.E.S. et AVH.Maison des associations 19 boulevard d’Alsace 06400 Cannes, tél :04 93 49 17 51.

Vivre dans le noirFermez les yeux. Imaginez-vous être plongé

dans un noir total. Vous devez réaliser tous ces petits gestes de la vie quotidienne qui, jus-qu’alors, ne vous demandaient aucun effort. Des aveugles livrent leurs astuces pour re-donner à ces actes leur caractère insignifiant. Remplir un verre d’eau. Une action contraignan-te quand vous n’avez plus vos repères visuels. Trop d’eau, pas assez, à côté. Il suffit de poser son doigt sur le rebord du verre pour estimer le niveau atteint par le liquide. Des inventeurs se sont penchés sur le sujet, en collaboration avec des entreprises spécialisées. Ils ont créé un gadget qui son-ne quand le récipient est plein. De nombreux appareils exploitent ce principe comme la montre, le micro-on-des et le thermomètre.Mais la technologie ne fait pas tout. Aucune al-ternative n’a, par exem-ple, été trouvée en faveur des fumeurs, contraints de tâtonner la cigarette

au risque de se brûler. Autre désagrément : porter des couleurs dépareillées. Pour con-tourner le problème, le système D est de ri-gueur. Les déficients visuels font preuve de créativité pour se re-pérer dans leurs ran-gements. De la cuisine au dressing, tout est étiqueté en Braille. Par cette solution, ils sont plus autonomes et ne dépendent de personne. Pour eux, il s’agit là du respect de leur intimité. Trop souvent, ils ont besoin d’une tierce personne. Se dépla-cer, faire les courses, remplir des papiers, des tâches impossibles dans le noir. Les aveu-gles doivent sans cesse se tourner vers l’autre.

Daniel Santin, vice président de l’AVH fait parti des figures les plus impliquées sur Nice

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Association Valentin Haüy : « pour oser de nouveau sortir de chez soi »Apporter la bonne humeur. Proposer des activités. Permettre de rester socia-

bilisé. Des enjeux pour les bénévoles de l’association Valentin Haüy. Ins-tallés à Nice depuis plus de 70 ans, ils oeuvrent pour les déficients visuels.

D’ampleur nationale, l’association Va-

lentin Haüy s’organise autour de son siège pa-risien. Dans 85 régions, des comités se sont mis en place grâce à l’impli-cation de bénévoles. Les Alpes-maritimes, et plus particulièrement Nice, sont le berceau d’un comité des plus actifs. L’association y est bien implantée et réussit à proposer divers servi-ces et activités aux per-sonnes aveugles et mal-voyantes. Ceci grâce à une équipe dynamique. Quelques trois cents adhérents bénéficient donc régulièrement des activités mises en place. Avenue Henri Barbusse, l’accueil est chaleureux. Il y a toujours quelqu’un pour recevoir, guider, conseiller, écouter.

De l’insertion à l’enseignementPour que le handicap ne triomphe pas, Max Bouvy et Daniel Santin, respectivement presi-dent et vice-président de l’AVH oeuvrent parmi les nombreux bénévoles niçois. « Et ça marche bien ». Ils travaillent en collaboration avec leur siège à Paris. Test de nouvelles technologies adaptées et travail pour une amélioration du quotidien font partis de leurs préoccupations de chaque jour. Dans cette optique, l’association propose régulièrement

toutes sortes d’activités culturelles et physiques. L’important est de per-mettre aux personnes aveugles et malvoyantes de rester sociabilisées. De l’enseignement du braille au cours d’infor-matique. Du cyclisme au tir à la carabine en passant par la randon-née en montagne. Ces

activités diverses et variées remportent un succès certain. Elles ne sont possibles que grâce aux innovations technologiques coû-teuses acquises par l’association. Seuls les dons permettent de telles actions. Outre ces ouvertures sur la vie sociale, l’AVH joue un rôle d’écoute. Daniel Santin est directement concerné. Malvoyant lui-même, il assure que son discours empreint de joie de vivre et de vo-

lonté possède toujours un impact plus impor-tant auprès des handi-capés visuels qui se re-ferment sur eux-mêmes. « Il n’y a que quelqu’un comme moi pour pou-voir dire ces choses-là ».

Au-delà du mal « Rien n’est plus comme avant lorsqu’on devient aveugle du jour au len-demain » explique Daniel Santin. « La moindre ac-tivité prend des allures de parcours du combat-tant». Et les démarches administratives de véri-tables casse-têtes. Les membres de l’associa-tion le savent bien. Les bénévoles endossent donc fréquemment un rôle d’assistante sociale afin de permettre aux déficients visuels de ve-nir à bout de ces formali-tés ou de remplir les pa-piers nécessaires…Pour oser de nouveau sortir et devenir autonome mal-gré le handicap, il faut un emploi. L’association propose son aide en tra-vaillant avec des orga-

nismes en partenariat avec l’ANPE (Handijob ou la maison départe-mentale des personnes handicapées). L’asso-ciation milite auprès de la DDE (Direction dépar-tementale de l’équip-

ment) notamment. Ceci par un travail de repré-

sentation au sein de la cellule d’accessibilité de la mairie de Nice. Le but : prévoir l’aménage-ment des lieux publics.Mais il faut aussi lutter contre ceux qui profitent du handicap. Max Bou-vy y travaille en collabo-ration avec Paris. Il a ra-mené dans ses bagages, lors de son dernier voya-ge, un livre en Braille qui décrit les couleurs à l’aide de textes poé-tiques et de dessins en relief. L’ouvrage suscite une interrogation quant à la qualité du papier. Le président de l’asso-ciation sollicite Denise, l’une des adhérentes niçoises. «C’est notre spécialiste ». Aveugle de naissance, elle accepte

avec ravissement de se rendre utile pour lutter contre l’escro-querie. Il s’avère qu’el-le ne sent pas le relief

et ne réussit pas à lire le texte soumis à son ex-pertise. Verdict : «bon à jeter». Le doigté délicat de Denise a jugé. Paris sera informé par Max Bouvy et se chargera de faire le nécessaire.

Pour oser de nouveau

Pour le tir à la carabine : plus le vi-seur se rapproche de la cible, plus les bips sonores s’intensifient

Une bénévole guide les pas d’une non-voyante

9Seule l’obscurité a le pouvoir d’ouvrir au monde le coeur d’un homme, Paul Auster

Page 10: Enquête Aveugles 2008

L’association Valentin Haüy, au-delà de soula-ger et de divertir, s’inscrit dans une démarche de protection et de valorisa-tion des aveugles et de ce qui leur est proposé.Sensibiliser les voyants fait partie intégrante de ce processus. Dans cette optique, l’associa-tion organise chaque année un repas dans le noir. Et même si un va-lide ne ressent jamais exactement les choses comme un non-voyant, il prend conscience des difficultés que ce dernier rencontre au quotidien.4 avenue Henri Barbusse 06100 Nice tél: 04 93 52 54 54.

La communica-tion, vecteur d’ac-ceptationL’association Valentin Haüy s’attelle à la publi-cation de deux journaux.

Tout d’abord, le Louis Braille. Ce premier jour-nal est un mensuel. Du nom de l’inventeur de

l’alphabet permettant aux aveugles de s’infor-mer par la lecture, et de communiquer, il paraît en deux versions. Une version Braille et une ver-sion imprimée en gros caractères. Le contenu est relatif à l’actualité sociale, aux nouvelles technologies adaptées pour les déficients vi-suels, à la recherche mais aussi au sport. Le deuxième titre publié par l’association porte le nom de cette der-nière. Le Valentin Haüy paraît tous les deux mois. Il contient l’ac-tualité des différents

comités régionaux. Une rubrique consacrée à l’accessibilité, une rubrique culture mais également des articles consacrés à la santé, au sport ou encore à la lecture en font sa spéci-ficité. Un exemplaire de ce bimensuel est sys-tématiquement envoyé gratuitement aux oph-talmologues de France. C’est d’ailleurs par ce biais que des patients nouvellement atteints de cécité commencent à être orientés par leurs médecins vers l’asso-ciation. Un pas en avant dans la communication.

Les chiens guides d’aveugles : un apport essentiel au quotidien« Il a changé ma vie » Cette phrase vient comme un cri du cœur chez toutes les person-nes malvoyantes qui parlent de leur chien guide. Il y a eu un avant et un après. Depuis 1976, l’Association les Chiens Guides d’Aveugles de Provence Côte d’Azur se charge de former ces accompagnateurs du quotidien à tous ceux qui désirent en acquérir. Le che-min est parfois long, mais quand la récompense est là, elle fait oublier tout le reste.

L’association se fixe plusieurs missions.

Elle se veut à la fois in-formatrice et formatrice. D’un côté, elle se bat pour éclairer l’opinion et les pouvoirs publics sur l’action menée par les dix écoles affiliées à la Fédération Française des Associations et éco-les de Chiens guides d’aveugles. De l’autre, elle s’occupe de former des éducateurs diplô-més, de sélectionner et d’éduquer des futurs chiens guides de qua-lité. Elle récolte aussi

des dons. Ces dons sont indispensables pour la survie de leur travail. Ils permettent de financer l’aide à la locomotion que représente le chien guide pour les person-nes déficientes visuel-les. Ce dernier est remis gratuitement à son futur maître et sa formation coûte quinze mille euros. Un vecteur de communication formidableCette association à but non lucratif veut sim-plement permettre à chaque personne non-voyante qui le souhaite de pouvoir bénéficier de l’aide d’un chien. Un animal qui obéit à tous les ordres de direc-tion, peut identifier un

obstacle et le signaler, emprunter un passage clouté, s’arrêter devant un trottoir, sécuriser une montée ou une descen-te d’escaliers et parfois même trouver certaines infrastructures. Vérita-ble plus pour tous les

déficients visuels, il se révèle être aussi d’une aide précieuse sociale-ment. Comme l’explique le président non-voyant de l’Association établie à Nice, Alfred Farru-gia, « on ne vient pas

Le président Alfred Farrugia discourt pour la traditionnelle galette des rois

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Page 11: Enquête Aveugles 2008

parler aux aveugles qui ont une canne dans la rue contrairement à ceux qui possèdent un chien ». Ces chiens sont des vecteurs de communication formi-dables. Le maillon man-quant qui permet de fa-ciliter le rapprochement parfois difficile entre voyants et non-voyants.Plusieurs étapes ja-lonnent le chemin qui conduit à posséder son propre compagnon. Le centre Pierre Aicard de l’association est ins-tallé à Eze-sur-mer. Au cours des deux pre-miers mois, les chiots sont soumis à plusieurs analyses afin de déter-miner les aptitudes qui font d’eux des chiens hors du commun. Ceux qui sont sélectionnés sont conduits pendant

un an dans des familles d’accueil volontaires. Après cette période de transition primordiale, les chiens retournent à l’école d’Eze où des éducateurs spécialisés se chargent de les en-traîner tous les jours pendant six mois. C’est ensuite au futur maître non-voyant d’être sou-mis à des entretiens. Il est alors pris en charge par une équipe. En une semaine, il effectue plu-sieurs essais afin de trouver le chien avec qui il se sentira le plus complice. Dès lors, un tandem se forme pour se lancer dans une nou-velle vie. Afin de veiller à l’harmonie de cette vie commune, l’équipe de l’école d’Eze garde un suivi pendant 10 ans.

Un appel aux dons

Pour Julien, retraité qui a perdu la vue adoles-cent, il est essentiel de « ne pas oublier qu’un chien guide reste aussi avant tout un chien ». C’est un animal de com-pagnie affectueux en qui il a pleinement con-fiance… ou presque ! Un chien ne voit pas au-delà de 1,30 mètre et ce champs de vision a déjà joué des tours surpre-nants à Antoine, atteint d’une dégénérescence de la rétine. Il se rap-pelle : « Il m’est arrivé de marcher avec mon compagnon dans la rue. Celle-ci était en travaux. Mon chien marchait tranquillement mais il n’a pas vu qu’une barre dépassait à hauteur de ma tête. Lui est passé en dessous mais moi, je n’ai pas pu l’éviter !» Ces quelques désagré-ments évoqués avec le sourire n’entachent en rien toute la joie, la tendresse et le bon-heur que cet animal lui apporte au quotidien. Beaucoup ne cachent pas qu’ils ne sortaient plus de chez eux avant qu’ils n’aient leur chien. L’association sait qu’el-le a souvent permis à des non-voyants de « s’échapper de leur

prison de solitude ».Dans le bureau du pré-sident Alfred Farrugia, plusieurs photos accro-chées au mur montrent les différents parrains que l’association a eu au cours des dernières années. On y reconnaît Benoît Poelvoorde, Mi-chel Boujenah, Mireille Darc ou encore I Mu-vrini. L’association se bat pour sensibiliser les gens à leur cause. Leur montrer combien ils ont besoin du sou-tien du public. Les dons et les legs représentent près des trois-quarts de leurs ressources. Ils ont permis à l’association d’offrir quinze chiens à des personnes déficien-tes visuelles en 2007. Chaque année, ils or-ganisent deux mani-festations : « Opération Une rose pour un Chien guide » en mai et la ven-te des bougies en sep-tembre. Les coûts sont considérables pour l’as-sociation, mais elle sait qu’elle peut compter sur la générosité des gens pour les soutenir. Car c’est grâce à eux si les personnes handicapées peuvent avoir la chance de trouver un jour dans les yeux de leurs chiens, l’illumination de leur vie. 15 rue Michelet 06100 Nice Tel : 0492071818

Le chien guide, un soutien indispensable pour se déplacer

11La gentillesse est le langage qu’un sourd peut entendre et qu’un aveugle peut voir, Mark Twain

Page 12: Enquête Aveugles 2008

ANICES : «A chacun son défi»Fondée en Juillet 2007, ANICES (Association niçoise d’initiatives culturelles et spor-

tives) promeut le torball. Ce sport collectif reste méconnu du grand public mais réunit de nombreux déficients visuels. Et pas seulement. Pas d’ostracisme pour les voyants, tout le monde est bienvenu et incité à participer. Original, spectacu-laire et déroutant, le torball estompe les différences entre voyants et non-voyants.

Oubliez foot, rugby, hand et tennis ! Dé-

laissez les pistes d’ath-létisme ! Et venez faire un tour au gymnase Terra Amata de Nice. On y pratique un sport hors du commun qui commence juste à faire

parler de lui : le torball. Sébastien Filippini, pré-sident de l’associa-tion ANICES, lui-même aveugle et capitaine de l’équipe de torball a un objectif : développer ce sport dans les compéti-tions officielles et dans les établissements sco-laires. Dynamiques et motivés, les membres de l’association ne veulent pas être mis à l’écart de la société. « Ce que je n’ai pas dans les yeux, je l’ai dans le cœur», proclame le président.Dix huit adhérents bé-névoles organisent les évènements sportifs. Stéphanie Coiffier, atta-chée de presse de l’as-sociation « manage » ses troupes. La solidarité est au service de l’inté-

gration. ANICES permet aux malvoyants la prati-que d’un sport. L’occa-sion de se défouler et de rencontrer valides et invalides. Aux dires des déficients visuels, il est primordial de s’évader des difficultés quoti-

diennes, de sortir des clubs fermés aux handi-capés. « Contrairement à d’autres associations, nous, on s’ouvre à tous», ajoute Stéphanie Coiffier. Ainsi, tous sont au même rang. La diffé-rence disparaît. Depuis septembre 2005, les équipes de torball ont la possibilité d’intégrer en leur sein un voyant pen-dant les compétitions. Stéphanie commente, « les plus handicapés dans ce sport, ce sont les valides » (voir en-cadré Paul Reybaud). C’est un jeu difficile, de-mandant de la concen-tration pour «gérer l’es-pace, le bruit, et le noir ».

Une discipline hors du commun

Le torball est un sport collectif né en 1955. Dans cette période d’après guerre, il per-mettait une rééducation douce, agréable et effi-cace pour les mutilés du second conflit mondial. Pratiqué depuis vingt ans à Nice, ce sport s’étend désormais au niveau national. ANICES développe ce jeu, trop souvent méconnu ou in-compris. Rares sont ceux qui ne sont pas étonnés à la vue de cette acti-vité hors du commun. Munis de lunettes opa-ques, de coudières et de genouillères, les deux équipes de trois compétiteurs s’échan-gent la balle contenant un grelot. Le groupe de défenseur se tient à genou devant ses buts. En face, un attaquant envoie la balle à ras de terre, mimant le geste d’un joueur de bowling. L’objectif est de contrôlé la trajectoire du ballon afin de marquer dans le camp adverse. Les d é f e n s e u r s plongent alors en travers de leur cage pour faire barrage, en se re-pérant au tintement du ballon. L’espace est dé-limité par des cordelet-tes à clochettes situées à quarante centimètres du sol. Le ballon ne doit en aucun cas les tou-cher, sous peine de pé-

nalité. De la moquette tapisse certains endroits du terrain donnant des repères aux joueurs, via le toucher. Sébastien Fi-lippini précise « le jeu se pratique en deux fois 5 minutes. C’est rien mais ça demande beaucoup de concentration et de force physique. Dès qu’on entend le ballon, il faut plonger, se lever, tirer. Tous les membres du corps travaillent ».

Les règles sont rigou-reuses. Le silence obli-gatoire. Quatre juges de lignes autrement dit juges de touche guident les participants. Le coup d’envoie peut être lancé. Tout ouïe, les joueurs sont parés. Privée de la vue les sportifs dévelop-pent leurs quatre autres sens. Au-delà de l’effort physique, ce sport per-met l’intégration et le développement social de l’individu. Le torball a tout pour plaire et ne

souffre que d’une seule chose : son manque d’exposition médiati-que. Alors foncez ! Et n’ayez plus peur du noir !Sébastien Filippini : seb.n i s s a r t @ w a n a d o o . f r

Les défenseurs bloquent la balle

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Trois questions à Sophie Prigent Directrice techni-

que fédérale de torball, arbitre natio-nal et coach d’une équipe à Paris, Sophie Prigent était présente au championnat de France de D3 masculine à Nice le 15 mars dernier. Elle a accepté de délaisser son sifflet et les terrains de jeux pour répondre à nos questions. Pour nous faire partager son travail et sa passion.

Comment êtes-vous arrivée à ce sport qu’est le torball ?Sophie Prigent : Il se trouve que ma sœur est non-voyante. J’ai donc cherché à connaître les sports qui étaient offerts aux personnes handicapées visuelles. J’ai découvert le torball et j’en suis tombée amoureuse. Et j’ai déci-dé de m’y investir à fond ! Le torball est assez peu médiatisé. Réus-sit-il à rassembler de nombreux adeptes ?Il y a 380 licenciés de 14 à 56 ans en France. C’est plutôt satisfaisant. Pour l’instant, le torball est moins populaire que le goal-ball qui est la discipline paralympique des Jeux. Le fait que les Etats-Unis n’aient pas voulu le choisir rend notre tâche plus difficile. On a souvent l’impression de se bat-tre contre des moulins à vent. Mais les choses commencent à changer. Notamment grâce à des villes comme Nice qui est un super promoteur du torball ! Ce n’est pas un hasard si on parle

d’elle dans les couloirs de la Fédération pour organiser la prochai-ne Coupe du Monde…

Quelles initiatives met-tez-vous en place pour promouvoir ce sport ?Nous allons beaucoup dans les écoles et nous rencontrons à chaque fois un grand succès ! Nous avons de plus en plus de demandes de collèges ou lycées qui souhaitent initier leurs élèves. C’est un sport spectaculaire et le fait que les voyants puissent le pratiquer ajoute un attrait supplé-mentaire. Pour jouer, il faut le silence absolu. Le torball permet de véhiculer des valeurs importantes comme le respect des autres et la solidarité. A Poitiers ou Marseille, le torball est intégré au cursus scolaire. Au dernier Cri-térium de Lilles l’an der-nier, nous avons réussi à rassembler plus de 350 jeunes ! Le torball est un sport d’avenir et il est en voie de progres-sion chez les valides ! Il gagne à être connu !

Paul : « le noir, c’est pas commun »

Paul Reybaud a 23 ans. Etudiant en

STAPS (Sciences et techniques des ac-tivités physiques et sportives), il découvre l’activité du Torball par hasard. Carolina, entraîneur, est absente. Elle demande à Paul de la remplacer. Une véritable passion naît chez le jeune sportif. A l’occasion du cham-pionnat de France masculin de troisième division à Nice, il confie ses impressions.« Au départ, j’étais complètement désorienté sur le terrain. On est dans le noir, ce n’est pas commun. Je lançais le ballon sur les côtés. Il n’atteignait jamais les buts. Aujourd’hui, je suis admis dans l’équipe de Nice. J’ai réussi à me faire une place parmi les non-voyants. Et je suis trop content, j’ai marqué deux buts.L’esprit d’équipe et l’originalité du sport me plaisent. Je ne loupe aucun entraînement du jeudi soir. C’est difficile, mais la pratique de ce sport m’a montré mes capacités à me dépasser en ayant un sens en moins.»

Un public curieux et en-thousiaste a accueilli plusieurs équipes de torball de l’hexagone et d’Outre-Mer le sa-medi 15 mars 2008. Il s’agissait du premier tour du championnat de France (Divi-sion 3 mascu-line, poule B).

Fier de recevoir de nouveaux clubs, Montpel-lier et la Marti-nique, l’asso-ciation ANICES s’est montrée motivée et cha-leureuse. Gilles Veissières, ancien ar-bitre international de football, était présent

pour l’occasion et a donné le coup d’envoi. Marseille et Poitiers se placent en tête de cette division, Nice finit qua-trième. Cette compéti-tion a été l’occasion de sensibiliser les Niçois et

de créer de nouvelles vocations sportives sor-tant des sentiers battus.

Championnat de France : Nice quatrième

13Ecouter, c’est encore voir un peu, pour l’aveugle, Paul Rougier

Page 14: Enquête Aveugles 2008

RencontreSébastien et Sandrine Filippini : « La vie nous a souri »Le torball a décidément des valeurs insoupçonnées. Le temps d’un match à Yzeure, il a

joué les Cupidon pour faire se rencontrer Sébastien, niçois de cœur, et Sandrine, bretonne dans l’âme. Depuis ce jour, ils ne sont plus quittés. C’était en 1997. Aujourd’hui, le couple Filippini vit à Nice et s’investit sans compter pour défendre le statut des mal et non-voyants. Lui par l’intermédiaire de son association ANICES. Elle, par son récent statut d’adjointe au maire où elle est en charge du handicap et de l’accessibilité. Heureux parents d’un petit Thi-bault âgé de 4 ans et demi, ils ont réussi à s’épanouir, chacun dans leur domaine. Actifs, généreux et courageux, ils sont le symbole d’une nouvelle génération qui veut que le han-dicap ne soit plus une barrière. Avec eux, le flambeau ne semble pas prêt de s’éteindre.

La déficience visuelle que vous partagez

fait de vous un couple atypique. Pouvez-vous nous expliquer le degré de votre handicap res-pectif ?Sandrine : On peut me considérer comme très malvoyante. Je ne peux distinguer que le jour et la nuit. A dix-sept mois, je souffrais d’une forte myopie. A l’âge de seize ans, j’ai eu plu-sieurs maladies (décol-lement de la rétine, ca-taracte, glaucome). J’ai été énuclée d’un œil, mais sans résultat po-sitif. Depuis, je vis avec tous mes autres sens.Sébastien : Pour ma part, je suis malvoyant. J’aperçois des ombres, des masses et certai-nes couleurs vives. Je souffre de la mala-die Leber. Ca m’a pris à l’âge de seize ans et demi. Auparavant, j’avais dix sur dix à cha-que œil et j’ai perdu la vue en trois semaines.

Comment, à cet âge-là, avez-vous réussi à faire face à la maladie ?Sébastien : Il y a tou-jours une phase d’ac-ceptation difficile. C’est un passage obligé. On doit accepter son han-

dicap et l’entourage aussi. J’ai dû arrêter le lycée Hôtelier dans le-quel j’étais et c’est dur de devoir réapprendre à vivre. J’ai pratiqué beau-

coup de sport pour me défouler, pour essayer de penser à autre cho-se. L’AVH m’a beaucoup aidé dans ce sens. Elle m’a fait sortir de ma solitude et m’a fait dé-couvrir que la vie était possible sans la vue.Sandrine : Pour moi, le

déclic est arrivé diffé-remment. Au lycée, je n’acceptais pas ma dé-ficience visuelle, j’avais honte et très peur du regard des autres. Je

n’osais pas utiliser ma canne qui m’étiquetait automatiquement. Je me cognais très sou-vent, mais je refusais une aide matérielle connotée. Un jour, des amies m’ont encoura-gée à l’utiliser. J’ai pris sur moi et le lendemain, j’ai franchi le cap. Ca

m’a permis de revalo-riser mon handicap et de le surmonter. Il faut décider un jour de se prendre en charge. Soit on sombre et on ne voit personne. Soit on se dit : « Je prends tout ce qui est à ma portée, je fon-ce et je vis ! » J’ai choisi la deuxième solution !

J’ai appris les cou-leurs à mon filsComment avez-vous réussi à bâtir votre couple ? Sandrine : La chose es-sentielle, c’est que nous nous refusons d’être tri-butaires l’un de l’autre. Il est indispensable que nous ayons chacun no-tre jardin secret. Si on perd notre liberté, le cou-ple ne peut pas tenir. La cécité ne change pas la donne. Notre autonomie est la richesse de notre couple. Quand on ar-rive à cela, c’est gagné.

Thibault, votre petit garçon, va bientôt avoir cinq ans. Comment êtes-vous parvenus à concilier votre déficien-ce visuelle et votre rôle de parents ?Sandrine : Thibault vit comme tous les enfants de son âge.

Sébastien et Sandrine Filippini, la joie d’être parents

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Page 15: Enquête Aveugles 2008

La différence ré-side peut-êtredans le fait que nous lui imposons une certaine rigueur que d’autres en-fants n’ont pas. Remet-tre les choses à leur pla-ce notamment, pour que nous gardions nos repè-res. Mais jamais le han-dicap n’est au cœur des interdits. Je veux rem-plir mon rôle de mère. Grâce au Braille, j’ai pu apprendre l’alphabet et les couleurs à mon fils ! Sébastien : Ce que cer-taines personnes ont du mal à comprendre aussi, c’est que nous n’avons pas fait un enfant pour avoir des yeux dans le foyer. On a fait un enfant pour connaître la joie d’être parents. Ce n’est pas une tierce personne. Il est protecteur avec nous par instinct, mais il reste un petit garçon. C’est nous qui sommes responsables de lui, pas l’inverse.

Vous êtes très impli-qués dans la vie niçoi-se. Parlez-nous de votre rôle ? Sébastien : Je suis pré-sident de l’association ANICES. Je l’ai créé il y a moins d’un an pour es-sayer de valoriser le tor-ball. Le but est de redon-ner une valeur à notre handicap. Nous avons déjà réussi à mettre ce sport dans trois écoles. Nous continuons de fai-re des démonstrations et je dois reconnaître que le succès est au ren-dez-vous. Ce que je sou-haite, c’est transmettre aux autres ce qu ‘on m’a transmis par le passé.

Depuis fin mars, San-drine, c’est par le biais de la politique que vous menez votre combat ?Sandrine : Ce n’était pas prévu, croyez-moi ! Christian Estrosi m’a proposé d’être sur sa liste en décembre, sim-plement parce que

j’avais pris la parole lors d’une convention. Il m’a dit avoir eu le coup de foudre pour moi ! (rires) J’ai accepté parce que c’était une opportunité incroyable, mais, à pré-sent, je suis adjointe au maire, en charge du handicap et c’est une tâche très lourde ! C’est en tout cas une preuve de la volonté politique de mettre le handicap au cœur de la ville. Mais je n’ai pas de ba-guettes magiques, je ne pourrai pas tout faire.

Ce nouveau statut vous confère-t-il certains privilèges ?Sandrine : Je ne veux pas être une élue pri-vilégiée. La mairie m’a mis une voiture et un chauffeur à disposition pour mes rendez-vous, mais je ne l’utilise pas tout le temps. Je veux préserver mon autono-mie et palper du doigt les difficultés du ter-

rain ! Je ne dois pas me couper de la réalité !

Vos vies semblent avoir été marquées par une succession d’opportu-nités que vous n’avez jamais voulu laisser passer. Pourrait-on les résumer à cela ?Sandrine : Oui, c’est vrai. Avec mon mari, on ne s’est jamais pro-jeté, on a laissé libre-court au destin. Dans la vie, quand on a une chance, il faut la saisir. Il faut aussi se donner les moyens. C’est ce qu’a montré Sébastien en créant ANICES. On a la vie qu’on a envie de se donner, c’est ce que j’ai toujours pensé. Et la vie nous a souri !Sébastien : Bien sûr, cer-taines étapes ont été dif-ficiles, on nous a parfois mis des bâtons dans les roues mais, on s’est tou-jours attaché à suivre notre philosophie : celle de s’ouvrir aux autres.

La scolarisation : un droit pour tousA Nice, l’école du Château et le collège Port-Lympia offrent la possibilité à des élèves déficients visuels de suivre une scolarité dans un cadre normal. Il exis-te cependant plusieurs possibilités pour ces élèves d’accéder à des connaissan-ces. Soit par le biais d’école privée, soit par celui d’école publique adaptée. Voi-ci les quelques dates clefs dans l’histoire de la scolarisation des enfants aveugles.1882 : Loi organique rendant l’école obliga-toire, gratuite, laïque. L’article 4 mentionne la nécessité d’une sco-larisation particulière pour les enfants sourds-muets et aveugles.1925 : Les établis-sements, institutions privées ou confession-nelles d’aveugles se re-groupent au sein de la FISAF (Fédération des Institutions de Sourds et d’Aveugles de France) dans le but d’harmoni-

ser les méthodes éduca-tives et pédagogiques.1964 : Création de l’ANPEA ( Association Nationale des Parents d’Enfants Aveugles) par André Glatigny1976 : Arrêté du 15 dé-cembre sur la création du CAEGDV (Certificat d’Aptitude à l’Enseigne-ment Général des Aveu-gles et Déficients Visuels)1987 : Décret n°87-415 du 15 juin sur la création du CAPSAIS (Certificat d’Aptitude aux Actions

Pédagogiques Spécia-lisées d’Adaptation et d’Intégration Scolaires). L’option B de certificat est spécialisé dans l’en-seignement aux aveu-gles et mal-voyants.1988 : Circulaire n°88-09 du 22 avril établit le fait que l’intégration des handicapés est recon-nue par la loi comme la normalité et c’est à la CDES (Commission Dé-partementale de l’Edu-cation Spécialisée) de prouver que l’intégration

n’est pas possible pour justifier d’un placement en institut spécialisé. 1999 : Circulaire n°99-181 du 19 novembre sur la mise en place des groupes dépar-tementaux de coor-dination Handiscol’2005 : Loi du 11 février pour l’égalité des droits et des chances, la parti-cipation et la citoyenneté des personnes handica-pés. Elle affirme le droit à l’éducation des per-sonnes handicapées.

15Il y a les gens qui ont les yeux en magasin, mais pas l’esprit, Gilbert Montagné

Page 16: Enquête Aveugles 2008

Education

Des ados avant tout…

Depuis plus de 20 ans, le collège Port-Lympia de Nice accueille des élèves déficients vi-suels. Cette année, ils sont douze répartis de la 6ème à la 3ème. Ils apprennent à vi-

vre avec leur handicap dans un cadre scolaire normal. Pas d’avantage par rapport aux autres. Simplement un encadrement adapté qui leur permet de profiter de ce qu’ils sont : des ados avant tout. Avec les caprices, les insouciances, les rêves et les envies de leur âge.

Ils s’appellent Hiba, Aude, Jean-Luc et Elia.

Assis au premier rang, au fond de la classe ou près du radiateur, ces quatre collégiens écou-tent avec plus ou moins d’attention le cours sur les vecteurs et transla-tions de Mme Pouvesle. Comme leurs camara-des de classe, ils pas-sent leur brevet en fin d’année. A une différen-ce près. Ils auront droit à un tiers temps sup-plémentaire du fait de leur déficience visuelle.

Pour leur permettre de suivre le cours, chaque élève utilise l’appareil avec lequel il se sent le plus à l’aise. Ce choix est souvent orienté par le degré d’importance de leur handicap. Hiba a opté pour la tradition-nelle machine Perkins qui lui permet d’écrire en Braille. Jean-Luc utilise un monoculaire pour grossir les inscrip-tions du tableau. Aude est restée, quant à elle, au stade informatique.

Elle se sert d’un logi-ciel et d’une police 36 pour lire correctement. Son cas pose problè-me à son professeur : « L’enregistrement des fichiers prend du temps. Aude est toujours en retard par rapport aux autres. Elle refuse d’ap-prendre le Braille parce qu’elle refuse de recon-naître son handicap ».Des efforts ré-c o m p e n s é s La difficulté est là. Cha-que enfant est différent.

Chaque han-dicap, aussi. Si Aude cu-mule à sa malvoyance des problè-mes psycho-l o g i q u e s . Hiba, de son côté, ne se repère pas dans l’es-pace. Pour Elia, ses en-nemis sont

les couleurs. Elle ne les voit pas. Cela oblige ses professeurs à n’utiliser que du bleu ou du noir au tableau et que très rarement les rétroprojecteurs.S’adapter à chacun sans pénaliser les autres. Voi-là la devise du collège. Les efforts auprès des élèves déficients visuels semblent récompensés. Le Conseil Général des Alpes-Maritimes prend en charge le coût de l’intégration de ces ado-

lescents. Il paye notam-ment les frais des taxis qui conduisent chaque élève au collège. Il n’est donc pas rare de voir Hiba ou Elia fatiguer plus vite que leurs ca-marades. Véronique Garrandès, en charge de l’accueil des élèves non-voyants, le justifie : « Les enfants n’arri-vent parfois chez eux qu’après 18h et doivent faire leurs devoirs. Sans compter qu’ils sont obli-gés de se lever plus tôt que les autres. Du fait de leur handicap, le bruit et leurs efforts de concentration les fati-guent encore plus vite ».

Après le collège, la jungle Si la classe a été allé-gée en nombre d’élèves pour faciliter l’écoute de ces ados, les cours sont les mêmes. Le rythme, aussi. Pour Véronique Garrandès, « quand on ne veut pas, on ne veut pas. Si un élève n’a pas envie de réussir et de se forcer, nous ne pouvons rien faire pour lui ! » Les élèves ont chacun leur personnalité. Jean-Luc traverse sa crise d’ado-lescence et paraît moins studieux. Hiba préfère bavarder avec sa voi-sine. Pourtant, chacun sait qu’après le collège, le lycée ne leur appor-tera pas le même con-fort. « Nous essayons de

les adapter à la vie qui les attend, même si par-fois nous sommes trop gentils. Après le collège, c’est la jungle. Nous tentons de ne pas trop les assister pour qu’ils puissent être autono-mes dans l’avenir ».L’intégration n’est ja-mais facile pour ces col-légiens. Elle ne l’est pas non plus pour leur pro-fesseur. A Port-Lympia, tous les enseignants ont un jour ou l’autre eu en charge une clas-se dans laquelle se trouvaient des élèves déficients visuels. Une formation préalable de deux ans est nécessai-re. Mme Pouvesle ex-plique : « C’est lourd de gérer le handicap à cet âge. On met souvent les meilleurs élèves avec eux pour les motiver, mais ça ne change pas vrai-ment leurs résultats ! ». A Port-Lympia, certains ont trouvé quelque cho-se de plus précieux que les notes. « Des amis ! Avant, j’étais à Paris et c’était difficile ! A Nice, j’ai trouvé mes meilleurs amis ! » confie Elia, sou-rire aux lèvres. C’est jus-tement ses compères qu’Elia part retrouver pour un cours de sport. Ces jeunes préfèrent le sport aux maths, la ré-cré à la dictée et la mu-sique à la physique. Par-ce qu’ils sont des ados comme les autres. Des ados avant tout. Avant même leur handicap.

Une élève écrit en Braille sur sa machine Perkins

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Page 17: Enquête Aveugles 2008

Insertion professionnelle

Association Horus : l’écrit à destination des déficients visuelsDepuis 1987, sous l’impulsion de Claude Garrandès (p. ) l’Association Horus facilite l’accès

des déficients visuels aux écrits. Toutes les personnes gênées dans la lecture d’un document peuvent faire appel à cette structure. Insertions sociale et professionnelle font aussi partie de son champ d’action. Dans ce « petit monde » associatif, Horus occupe une place essentielle.

La vitrine de l’avenue Ernest Lairolle est

modeste. Mais à l’inté-rieur, les membres de l’Association Horus se sont fixés une noble tâ-che : permettre aux défi-cients visuels d’accéder à l’écrit. La première mission est l’adaptation de documents. Muriel Petit, membre de l’asso-ciation, explique : « Ici, on adapte le document selon le handicap de chacun, en Braille ou en gros caractères. Et même en relief pour les cartes géographiques ». Au quotidien, ce sont une trentaine d’écoliers, collégiens, lycéens et étudiants qui font appel aux techniques exploi-tées par Horus pour pou-voir suivre leurs études. Les particuliers peuvent

aussi se faire traduire des documents : « On n’y pense pas, mais les aveugles ne peuvent pas lire leurs factures ! Horus se charge de les

retranscrire en Braille. Mais tout ça coûte de l’argent », ajoute Muriel Petit. Dans un coin du bureau, on traduit juste-ment une facture EDF. Grâce aux aides des Conseils Régional et Gé-néral, l’association peut mener son action. Pour

les études supérieures, Cellule handicap, dédiée à tous les handicapés, centralise les produc-tions grâce au finan-cement de l’université.

Egalité des droits et des chan-cesDepuis la loi de 2005 sur « l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté

des personnes handica-pées », les services pu-blics ont l’obligation de traduire les documents pour les déficients vi-suels. « Nous sommes sollicités par les grosses structures. Les offices de tourisme, intéressés par le « label handicap », et le Conseil Général font

de plus en plus appel à nos services », cons-tate Muriel Petit. Face à cette activité grandis-sante, Horus emploie deux personnes à temps plein affectés à l’adap-tation des documents. Pour les personnes qui souhaitent se (re)lancer dans la vie active, l’as-sociation se mobilise pour l’adaptation des postes de travail avec le concours de l’Age-fiph (Association de gestion de fonds pour l’insertion profession-nelle des handicapés). Horus évalue les capa-cités de chacun, le sou-tient peut lui proposer une formation adaptée. Grâce à ces actions, les déficients visuels voient s’effacer la différence.13rue Ernest Lairolle 06100 Nicetel : 0492090348

Un membre d’Horus envoie une facture traduite sur une imprimante en Braille

La MDPH pour un retour à l’emploiLa Maison Départemen-tale pour les Personnes Handicapées, s’occupe notamment de la réin-sertion profession-nelle des personnes mal ou non-voyantes. Le processus est sim-ple. La démarche doit venir du demandeur. La personne souffrant de handicap fait la démar-che. Elle va ainsi être conviée à participer à une première réunion. Cette réunion d’infor-mation est collective.

Par la suite, chaque par-ticipant remplie un for-mulaire renseignant sur ses facultés, ses exigen-ces… Ce dossier va être examiné par un comité pluridisciplinaire. Enfin, aux vues des conclu-sions de ce comité, la personne sera, ou non, redirigée vers un orga-nisme chargé de lui trou-ver un travail adapté.66-68 route de Grenoble 06201 Nice cedex 3Tel : 0805560580

17Un aveugle vit dans un monde où les instants sont chargés d’éternité, Yann Queffélec

Page 18: Enquête Aveugles 2008

Insertion professionnelle

Antoine Beninati : «Je me bats pour garder ma liberté» Atteint d’une dégénérescence de la rétine (rétinopathie pigmentaire), Antoine Beninati, ne

voit quasiment plus. Son champ de vision est diminué, mais il peut encore lire. Il ne bais-se pas les bras. Derrière ses lunettes, se cache un doux regard. Son allure discrète et sa mine rayonnante témoignent de sa ténacité. Selon lui, l’handicap visuel se résume en deux phrases : « Il ne faut pas voir ce que l’on ne peut plus faire. Mais voir ce que l’on peut en-core faire.» Il se bat tous les jours pour garder sa liberté. Actuellement Gestionnaire Tech-nicien Conseil, il travaille à la Caf, Caisse d’allocation familiale, depuis 1979. A cinquan-te ans, Antoine ne veut pas être mis à l’écart de la société, et mise tout sur l’intégration.

Quelles sont les démarches à suivre

pour obtenir un travail en tant que déficient visuel? Avant tout, il faut être reconnu en tant qu’han-dicapé par la Maison Départementale des Personnes Handica-pées (MDPH). Ensui-te on peut réaliser la démarche auprès de son employeur. De-puis 79, je travaille à la Caf de la Marne.Mes problèmes de vue, m’ont amené à toujours anticiper. Je me dé-brouille tout seul. Même si cela me revient cher. Par exemple, une lou-pe électronique coûte 4000 euros. La sécurité sociale ne prend pas

tout en charge. Heu-reusement pour moi, Je suis correspondant départemental de Re-tina France, une asso-ciation qui récolte des fonds pour la recherche des maladies visuelles, alors je suis au courant des dernières nouvelles sociales et techniques.

Comment pouvez-vous travaillez dans l’admi-nistration malgré votre handicap visuel? J’ai deux écrans. Le premier est relié à une loupe électronique qui grossit les caractères et inverse les contras-tes. Je peux donc lire les documents manus-crits. Dans le deuxième ordinateur, j’ai un lo-

giciel, zoomtext, qui réalise toutes les modifications possibles pour optimiser ma per-ception. Je chan-ge les couleurs, la police, le fond d’écran... Je pos-sède aussi un clavier avec des caractères agran-dis. Je peux tra-vailler comme tout le monde, même si je mets un peu plus de temps. Comment avez vous été accueilli

par vos collègues? Au début, ils voyaient que j’avais un problè-me, mais ils ne compre-naient pas trop. Je me prenais des portes, je ratais des marches, je marchais les mains ten-dues dans le vide. Une fois, j’ai même touché la poitrine d’une femme. (Rires). Il y a du bon à être aveugle! Mais main-tenant, tout le monde est au courant. Mes collègues sont très sym-pas et très solidaires. Qu’est ce qui est le plus difficile au quotidien? C’est le déplacement. En fait, le manque de li-berté et d’autonomie me pèse. On a toujours be-

soin de quelqu’un. Dès que je sors seul, je suis angoissé. Quand on est malvoyant, on est tou-jours obligé d’être con-centré sur le pas que l’on fait et que l’on va faire. On n’est jamais vrai-ment libre. Les voyants, eux, s’ils veulent avoir une maîtresse, ils peuvent! (Rires) Pourtant vous avez un chien guide, et puis les associations à Nice vous proposent un panel d’activités. Sous entendez-vous qu’il n’y a pas de réelle autono-mie? C’est difficile d’être autonome. Il y a toujours des dangers, même avec un chien guide. D’ailleurs ma chienne va prendre sa retraite. Elle est trop fatiguée...Il me reste la canne. Mais je n’aime pas. C’est afficher claire-ment son handicap et cela me gêne. Je suis un battant, je veux paraître comme tout le monde. Mon plus grand sou-hait est que d’ici quel-ques années on trouve une solution pour stop-per l’évolution de cette maladie. L’association Retina France se mo-bilise pour récolter des fonds. Je garde espoir.

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Portrait

Claude Garrandès : Professeur, artiste, éditeur… et aveugleClaude Garrandès est un personnage des plus dynamiques. Jusqu’à l’âge de dou-

ze ans, il était un enfant niçois comme les autres. Suite à un décollement de la ré-tine, le jeune homme s’est retrouvé dans un noir total. Grâce à sa famille, il a conti-nué à suivre une scolarité dans des établissements conventionnels. Aujourd’hui, il est devenu une figure incontournable de la ville de Nice. Présent sur tous les fronts.

Claude Garrandès est Niçois. Il a la chaleur

de son pays. Cet épicu-rien a le sourire facile et le sens du partage. Il a très vite compris que sa cécité ne devait pas l’empêcher de vivre. Il est devenu un boulimi-que de la vie. Sportif, ar-tiste, l’homme est aussi et surtout professeur.«Mon boulot, c’est d’en-seigner le Braille et l’informatique adaptée aux déficients visuels». Claude Garrandès tra-vaille à mi-temps au collège Port-Lympia de Nice. Mais comme il l’avoue avec une douce ironie, « ce statut n’exis-te pas dans notre bon système scolaire fran-çais ». Le reste de son temps, il le passe au service du recteur pour tout ce qui concerne les problèmes d’inté-gration des déficients visuels sur l’académie. Un emploi du temps qu’il consacre également à son association Arri-mage. Dans un atelier pittoresque, il accueille des handicapés visuels dans le but de les initier à l’art. Une ambition qui témoigne de l’éner-gie du personnage et de sa démarche volontaire. Avant d’embrasser cette carrière, Claude Garran-dès a « beaucoup cru aux études ». Non sans humour, il assigne cet-te caractéristique aux

«gens bêtes». Il explique en souriant : « On se dit que si on va plus loin, on va finir par compren-dre et au bout… il n’y a rien à comprendre ! » Il a étudié le droit et ob-tenu un doctorat en psy-chologie, doublé d’une formation de psychana-lyste. Cet érudit affiche un palmarès impres-sionnant de diplômes, mais ne comptez pas sur lui pour s’en vanter. Professeur dès l’âge de vingt ans, il occupait un poste très précaire mais, «nul au niveau carrière». C’est pour occuper un poste plus sûr qu’il a décidé de passer un Capes en économie, même s’il « d é t e s t e cette scien-ce». Le fu-tur profes-seur a fait ce choix, car il con-sidère que l’économie se rapproche le plus de ses formations initiales.

Une vie au service des aveuglesMême si Claude Garran-dès fait figure de bat-tant, derrière ses lunet-tes noires, il déplore de «ne pas être reconnu dans [sa] vraie matiè-re». Il avait l’opportunité

d’enseigner à la faculté, mais il a fait le choix de travailler auprès d’élèves déficients vi-suels. « Je pourrais beaucoup moins bos-ser et toucher le dou-ble, mais aujourd’hui, je me rends compte que j’ai fait le bon choix ».Claude Garrandès est aussi investi dans le pay-sage associatif niçois. En 1987, il crée l’asso-ciation Horus (page ). « A l’époque ce qui m’inté-ressait, c’était de mener une grosse bataille sur l’écrit. Aujourd’hui, je ne

suis plus dans l’asso-ciation, mais je ne suis jamais bien loin d’eux ». La première fonction de l’association était de créer des documents pour les personnes handicapées visuelles.Il se souvient : « A mon époque, c’était très sportif ! Il n’y avait pas grand-chose. On vous balançait une tonne

de documents, vous la preniez et vous vous débrouilliez. J’ai donc épuisé toute la famille : ils enregistraient les documents sur ma-gnétophone. J’ai eu de la chance d’avoir des parents qui se sont battus pour moi ».

« Ma passion c’est l’image »Après ce combat pour l’écrit, Claude Garran-dès se bat aujourd’hui pour l’accès à l’image. « Nous sommes dans une société de l’image et les non-voyants aussi ». Au sein de son asso-ciation Arrimage, l’ar-tiste a aussi développé une maison d’édition qui produit des images en relief. « J’essaye de trouver des techniques et de faire en sorte que les images existent ». Mais il avoue : « Les outils ne remplacent pas tout, surtout pas le temps et le travail ».« J’adore le traitement de l’image, sous toutes ses formes » confie Claude Garrandès derrière son sourire. C’est pour cela qu’il préfère aller au cinéma entre amis plutôt qu’au sein d’une association spéciali-sée, « une fois de plus on se retrouve entre bi-gleux, c’est dommage ».www.claude.garrandes.com

19Je suis aveugle, mais on trouve toujours plus malheureux que soi. J’aurais pu être noir, Ray Charles

Page 20: Enquête Aveugles 2008

CultureLe point culture de «Madame culture» Elle vit à Nice depuis 2004, mais sa réputation n’est déjà plus à faire. Dès qu’on parle

d’accessibilité culturelle pour les déficients visuels, c’est vers elle qu’on se tourne. Jac-queline Dicharry fait l’inventaire des difficultés rencontrées et de ce qui reste à faire à Nice.

Professeur de musi-que, répétitrice de

piano, et aussi juriste, Jacqueline Dicharry s’in-téresse à la culture en général. C’est de part son état de non-voyante et un passé de direc-trice d’école de musi-que qu’elle peut juger des efforts nécessaires à réaliser. Mais aussi grâce à une véritable volonté de se cultiver envers et contre tous. «Je suis toujours allée au cinéma, à l’opéra et au musée». Un état d’es-prit qui lui permet de sa-voir exactement ce qu’il manque, aujourd’hui, pour que les gens «com-me elle» puisse avoir «le droit à la culture».Faire en sorte que le «handicap soit mis de côté». Un véritable leit-

motiv ! La volonté de Jacqueline Dicharry : qu’aucune porte ne soit fermée aux personnes handicapées. L’audio-description est la base. Les musées et les sal-les de spectacle de-vraient en être équipés. «Malheureusement, ce n’est pas le cas pour l’instant». Elle déplore que ce procédé ne soit que très ponctuelle-ment utilisé par la télé-vision. « Si ça dérange les gens, il faut utili-ser un canal spécial ».Jacqueline Dicharry met l’accent sur un autre pro-blème. « Les bâtiments ne sont pas adaptés ». Trop de marches, des obstacles sur le chemi-nement, une mauvaise signalisation des es-caliers, pas de rampe.

La liste est longue. Nice n’est pas une exception. Mais la situation s’amé-liore.

Voir avec les mainsAu niveau des enfants, l’accessibilité des con-servatoires reste un véritable point négatif. Pourtant, l’ancienne directrice d’école de musique affirme avoir réussi à intégrer par-faitement des enfants souffrant de handicap. Elle ne comprend donc pas pourquoi les aveu-gles et les handicapés en général, sont tenus à l’écart. Un constat qui lui est difficile à admettre.Aujourd’hui, les mentalités sem-blent vouloir évoluer. Grâce à l’intervention

de Patricia Grimmaud, attachée au conserva-toire, les non-voyants peuvent, à l’occasion de visites spécialement organisées, se rendre au musée Chéret. Une occasion de «voir» par eux-mêmes en tou-chant les sculptures. A u d i o d e s c r i p t i o n , Braille, possibilité de toucher, adaptation des locaux. Des petites cho-ses qui changent la vie. Ne pas s’imposer aux autres mais pouvoir par-tager la culture. Une de-mande simple qui passe par une autonomisation. Reste à pouvoir accé-der aux lieux dédiés à l’art. Le chemin de la culture est semé d’em-bûches. Le challenge pour Nice : éclairer la route des non-voyants.

Des images grâce aux motsLe plaisir de l’image. Le plaisir du cinéma. Un loisir interdit aux personnes souffrant

de déficit visuel. Interdit jusqu’en 1989. Depuis, grâce à l’invention d’Auguste Cop-pola et au soutien de l’AVH, ce public peut goûter aux joies que procure le septième art. Cette évolution réside dans l’audiovision, une bande son riche en descriptions.

C’est désormais un ri-tuel mensuel pour les

membres de l’AVH. Pas de sièges confortables, ni de pop corn. Juste une salle avec quelques chaises, un grand écran et un vidéoprojecteur. Les rideaux sont tirés et le film commence. Un film recent, autant que possible, dont la bande son est celle d’ori-gine. Seule particularité, les spectateurs bénéfi-cient en même temps d’une bande sonore qui décrit les scènes, expli-que le contexte. Réali-sée en studio, au siège

de l’association à Paris, elle décrit les costumes,

les lumières, les mouve-ments, les expressions corporelles. Le descrip-teur s’efforce de deve-

nir une sorte de caméra verbale. Le montage est

précis. La ban-de d’audiodes-cription ne doit en aucun cas empiéter sur les dialogues et les effets so-nores. Rester audible et clair pour le specta-teur demande un travail de montage im-portant. Un

travail qui permet aux non-voyants d’accéder à une forme de culture à laquelle ils n’étaient pas

conviés. Grâce à l’audio-vision ils captent toutes les subtilités d’un film. «Je comprend tout ce qui se passe, sans avoir à demander à mon voisin des précisions. Je «vois» le film dans sa globa-lité » assure Jacqueline. Le rendez-vous mensuel remporte un grand suc-cès à Nice. Et même si le siège parisien tarde à envoyer de nouveaux films, il y a toujours un volontaire pour décrire les images. Une tâche pas toujours simple.

Les membres de l’AVH lors d’une séance d’audiovision

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Page 21: Enquête Aveugles 2008

Musées : Visite non guidéeNice dispose d’un riche patrimoine. Il s’étend du Musée Masséna en plein centre-ville jus-

qu’aux musées Matisse et Chagall, sur la colline de Cimiez. Mais rares sont les musées à avoir pensé que les aveugles pouvaient s’intéresser à l’art et à l’image.

La visite débute en centre-ville, au Mu-

sée Masséna. Aucune explication au bas des œuvres, pas de pros-pectus en Braille et en-core moins de guide formé pour les visites aux non-voyants. Seule attention « à partir de juillet, pour la saison touristique, des visites seront organisées pour les aveugles », confie la prédisposée au ticket. Une initiative que le Mu-sée de la Photographie et de l’Image a prise dès le mois de mars, avec «Mars au Musée». Sylvie Lefebvre, récem-

ment arrivée dans la région niçoise a orga-nisé, une visite de l’ex-position Plossu pour les déficients visuels. Mais à croire que les aveu-gles sont aussi sourds: aucun d’entre eux ne s’est déplacé. Une fois encore, la communica-tion entre les différentes actions est mise à mal.Même constat au Mu-sée d’Art Naïf. Le ma-nuel où figure une des-cription détaillée des œuvres, en Braille, est intact. Si on grimpe sur les collines, le bilan n’est pas meilleur. Les deux musées principaux

dédiés aux grands artis-tes, Matisse et Chagall, n’ont prévu aucun aménagement. Du côté de l’ad-m i n i s t r a t i o n on râle : « Ces infrastructures dépendent de l’argent dont on dispose. Et on manque cruel-lement de budget ! » Une exception tout de même: le Musée ar-chéologique de Cimiez. La quasi-totalité de l’œuvre est commentée en Braille. Les grands

repères historiques sont aussi traduits. Mais ici, le budget semble avoir été englouti par ces aménagements desti-nés aux non-voyants: il serait temps de re-faire les peintures.

Le musée archéologique de Cimiez s’est adaptés aux déficients visuels.

La voie du bonheurUn livre se lit. Mais s’écoute aussi. L’association « Donneurs de voix » met tout en œuvre pour

favoriser l’accès des déficients visuels à la littérature. Et compte bien se faire entendre.

Créée en 1976, l’as-sociation niçoise les

«Donneurs de voix» rend la lecture possible aux déficients visuels. Elle transforme les supports écrits en supports sono-res. L’handicapé n’est plus dépendant d’une tierce personne. L’auto-nomie est trop souvent la cause de problème d’intégration. Une so-lution : la bibliothèque sonore. Nadine, prési-dente de l’association, accompagnée de dix bé-névoles, s’investit pour offrir le maximum de livres sonores aux ad-hérents. Ouvert le mardi et le jeudi, la bibliothè-que propose toute sorte d’œuvres littéraires, de Ludlum à Nothomb. El-les sont enregistrées par des bénévoles ou par les auteurs eux-mêmes.

Inégalité culturelle

Les actions sont dif-ficiles. L’association manque de fonds et de communication. Seul le bouche à oreilles fonc-tionne véritablement. «Les ophtalmologues et les pharmaciens ne jouent pas le jeu». La présidente a tenté plu-sieurs prospections chez ces professionnels. Sans résultat. Alors les «Donneurs de voix » comptent sur le soutien des autres associations tel que l’AVH. Au-delà de ces problèmes, l’as-sociation est obligée de se soumettre aux di-rectives liées aux droits d’auteurs. Les maisons d’éditions imposent des délais d’enregistrement par rapport à la date de sortie des livres. Des dé-

lais de trois mois qui pri-vent ainsi les adhérents d’une découverte simul-tanée des nouveautés littéraires. La Fnac offre des livres à écouter, ap-pelés « Audiolib ». Situés en bas de rayon, les CD et cassettes ne sont pas à la portée des person-nes handicapées. Et pour cause, ils s’adres-sent aussi et avant tout aux valides.

Bénévoles au ren-dez-vousSource d’imagination, la littérature devient une échappatoire. Nom-breux sont les retraités à Nice, qui, atteints de dégradation de la vue, commandent ou vien-nent se procurer des ro-mans et polars. Pour ad-hérer à la bibliothèque sonore, les «lecteurs»

versent une cotisation. Puis, chacun se crée une fiche de préféren-ces. Cette liste permet aux bénévoles de mieux connaître ses membres. L’esprit familial règne dans ces «Donneurs de voix». Raymonde, Claudine ou Robert tra-vaillent ensemble pour répertorier et classer les livres. Le plus dur reste l’enregistrement. « On ne prend pas n’im-porte quelle voix » com-mente Nadine. «Il faut qu’elle corresponde au livre. Cela demande du temps. Mais la passion fait vite disparaître ces petits désagréments». Nadine a toujours vou-lu aider les aveugles. «C’est un plaisir d’agir pour les autres et de leur procurer du bonheur». 4 avenue Henri Barbusse 06100 Nice

20La voix est un second visage, Gérard Bauër

Page 22: Enquête Aveugles 2008

Comment voient les aveuglesUn aveugle de naissance ne connaît pas la notion de distance, de profondeur. Il ne rêve pas

en couleur. Il ne connaît pas le relief. La perception d’un déficient visuel, quel qu’il soit, est forcément différente de celle des voyants. Si scientifiquement ils ne voient pas, leur imagina-tion prend le relais. Jacqueline Dicharry et Julien, tous les deux atteints de cécité, expliquent leur vision des choses.

Cheveux blancs, lunet-tes noires, son appa-

rence est celle d’un roc-keur. Un air narquois, une voix assurée, il dé-

clare «moi, un éléphant, je lui pisserais dessus». Non, ce n’est pas de la provocation. Julien est aveugle. Du jour au lendemain, à l’âge de 19 ans, sa maladie l’a plongée dans le noir. «Quand tu perds la vue comme ça, pendant 3 à 4 ans, tu bouffes tes tri-pes ». Aujourd’hui retrai-té, l’homme prend son handicap en dérision. Il aime en rire même si une pointe de mélanco-lie se cache derrière son humour noir. Sa devise : « il faut bouger, être dans l’action, être positif ». Un credo identique à celui de Jacqueline Dicharry. «On s’accro-che quand ça va mal». Lorsqu’elle est devenue aveugle la jeune femme n’a jamais vraiment

baissé les bras. « Si tu fonces pas maintenant, tu fonceras jamais». Comme un guide, cette phrase l’a escortée sur

le chemin de la vie. Une vie bien remplie qu’el-le mène avec entrain. Même si elle n’oublie jamais son handicap. «On te rappelle toujours que tu es aveugle ». Elle estime que les enfants sont plus sociables que les adultes. Ces derniers ont peur. En effet, dans l’inconscient collectif, lorsque l’œil est atteint, c’est la vie qui s’éteint. «Les gens s’adressent à la personne qui est à côté de moi, mais pas à moi ». Un cons-tat amer qui ne l’a pas empêché de persévérer. La vue en moinsPour elle, elle voit tou-jours. Mais d’une autre manière. « Je m’imagine les gens d’après leur façon d’être ». Elle expli-

que que chez les aveu-gles, les autres sens se développent. Notam-ment le toucher et l’ouïe. La cécité l’a ébranlée à l’âge de 18 ans. Elle avoue qu’il y a des cho-ses dont elle ne se sou-vient pas. Son imagina-tion a pris le relais. Une « imagination différente de la votre. Il y a des choses qu’on voit en tant que non-voyant et que vous, vous ne voyez pas ». Primordiale chez les handicapés visuels : la représentation men-tale. Le mécanisme est identique à celui d’une personne valide. La vue en moins. Ce facteur est remplacé par la person-nalité et les acquis. Ain-si naissent des images intérieures. Elles n’ont pas forcément les cri-tères de la réalité. Mais pour l’aveugle, l’impor-tant est d’avoir ses re-pères et de s’y retrouver. Quand il est impossible de toucher, l’ima-gination est le seul recours. C’est par as-s o c i a t i o n d’idées que la représenta-tion mentale prend forme. Par exemple, le pingouin est un oiseau. Il aura donc les caracté-ristiques de cet animal et les attri-buts propres que lui don-

nera la personne. Une couleur agréa-bleComment expliquer qu’un non-voyant de naissance aime le rou-ge ? Dans l’obscurité ou dans la grisaille, la cou-leur n’est qu’un mot abs-trait. Pourtant, le vert, l’orange, le bleu ont une signification en rapport avec une émotion, un souvenir. Les aveugles ressentent les couleurs. « J’aime le rouge ». Julie est enthousiaste lors-qu’elle reçoit en cadeau un nouveau fauteuil. La première question qui lui vient à l’esprit est d’en demander la cou-leur. Rouge. Une cou-leur qu’elle associe à quelque chose d’agréa-ble. Ce n’est pas parce qu’ils ne voient plus, qu’ils ne vivent plus.

Ressenti

Les aveugles ont un autre sens très développé, le sens de l’humour.

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Page 23: Enquête Aveugles 2008

On a testéLa visite de l’exposition dédiée au photographe Plossu débute au son du violoncelle. Premier

arrêt devant une photographie. « N’avance plus il y a quelqu’un devant toi. C’est bon ? Je peux te lâcher la main ? » Les visiteurs qui ont voulu se prêter au jeu sont perturbés. Ils ont besoin de cette main amicale qui les guide. La douce voix de la soprano retentit. Le conteur débute son récit. Il improvise et décrit les œuvres. Les voyants envient presque ceux qui ont les yeux bandés. Ceux qui jouent le jeu paraissent perdus dans leur imagination. Ils tentent de se figurer les photos dans leur esprit. Un chuchotement réussit même à les déconcentrer. Dans l’esprit de ces voyants, tous les objets et les couleurs se dessinent. A la fin de la visite, c’est avec plaisir, et étonnement parfois, que ce public découvre enfin ce qu’il a passé tant de temps à s’imaginer.« C’est dans le noir qu’on voit le mieux la bougie, le cœur du mon-de ». Des mots qui se pour-voient d’une toute autre signif ication les yeux ban-dés. Visiter un musée dans le noir. Une drôle d’idée. Pourtant, lors-que vous vous privez de voir, les autres sens prennent rapide-ment le relais. Soudain, vous entendez le moin-dre chuchotement, le cliquetis d’un appareil photo, le grincement du parquet sous des semel-les plastifiées avec une ampleur déroutante. La voix du comédien rem-plie l’espace. Vos oreilles semblent munis de tym-pans ultras puissants. Rapidement, il faut se déplacer. Avoir un guide et lui faire confiance devient indispensable. Le sens de l’orientation vous abandonne. Il y a cinq minutes, tout était si facile. L’obscurité change la donne. Où êtes-vous ? Une ques-tion qui vous obsède. Le sol semble se dérober par endroit. Une pente, une bosse s’insinuent sous vos pieds. Ils ne sont pourtant que le fruit

de votre imagination. Les stigmates d’une perte de repères qui in-fluence votre équilibre. Et votre nez ! Lui aussi donne l’impression de décupler ses facultés. Un parfum pique les narines. Une odeur de transpiration, de cuir, de bois vous parviennent. Vous n’aviez pourtant rien senti lorsque vous aviez les yeux ouverts. La voix du comédien vous surprend. D’ins-tinct vous la suivez. A gauche, à droite, der-rière. Vos repères dans l’espace commencent à s’améliorer. Guidés par cette voix bienveillante et par celle de votre guide. Le comédien dé-crit les images. Curieux, vous aimeriez faire tomber ce bandeau qui vous oppresse. Mais, vous jouez le jeu. Vous imaginez. Une femme,

une Cadillac bleue, un peu de paille, un tee-shirt j a u n e … E n -fin, le dernier mot intervient comme un soulagement. Le noir, vous ne le con-naissiez pas. Vous venez de l ’approcher. De tenter de l ’ a p p r i v o i -ser. Pourtant,

c’est avec empresse-ment que vous quittez ce bandeau qui obstrue votre vue. Comment s’acclimatent les aveu-gles ? Avec le temps… Vous avez la chance de voir les images avec les yeux. La vision imagée était proche. L’expérience est con-cluante. Et déroutante.Par Cécilia Duvert

« Yeux bandés. Noir com-plet. Dans les premiers instants tous mes repè-res étaient bouleversés. Chaque pas, chaque respiration, chaque mot dérangent. Il est difficile de se repérer dans l’es-pace. Mais après quel-ques minutes d’adap-tation, l’imagination se met en marche et on apprivoise nos sens. Les descriptions du con-teur permettent d’imagi-ner les photos. Même si l’image est abstraite, elle prend forme dans mon esprit. Grâce à mon attention, mes sens j’ai retrouvé mes repères. Mon inquiétude s’est dissipée et j’ai visité l’exposition avec mon imagination, guidée par la voix du conteur. Une expérience déroutante »

Par Audrey Gibaux

Audrey et Cécilia n’ont pas l’air sereines

Le conteur improvise et envoute son public

Une initiative de Sylvie Lefebvre, avec les élèves du

Conservatoire

23Les vérités de l’obscur ne se formulent pas, Pierre Gascar

Page 24: Enquête Aveugles 2008

Ecole du Journalisme Nouvelles. Nice 2008