8
ENTRETIEN AVEC MARIE-HÉLÈNE BOURCIER Bernard Andrieu Dilecta | Corps 2008/1 - n° 4 pages 5 à 11 ISSN 1954-1228 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-corps-2008-1-page-5.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Andrieu Bernard, « Entretien avec Marie-Hélène Bourcier », Corps, 2008/1 n° 4, p. 5-11. -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Dilecta. © Dilecta. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Universidade de São Paulo - - 143.107.252.186 - 05/08/2013 22h27. © Dilecta Document téléchargé depuis www.cairn.info - Universidade de São Paulo - - 143.107.252.186 - 05/08/2013 22h27. © Dilecta

Entrevista Bourcier, Marie-helène

Embed Size (px)

DESCRIPTION

Entrevista Bourcier, Marie-helène

Citation preview

  • ENTRETIEN AVEC MARIE-HLNE BOURCIER

    Bernard Andrieu

    Dilecta | Corps

    2008/1 - n 4pages 5 11

    ISSN 1954-1228

    Article disponible en ligne l'adresse:--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    http://www.cairn.info/revue-corps-2008-1-page-5.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Andrieu Bernard, Entretien avec Marie-Hlne Bourcier , Corps, 2008/1 n 4, p. 5-11. --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Distribution lectronique Cairn.info pour Dilecta. Dilecta. Tous droits rservs pour tous pays.

    La reproduction ou reprsentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorise que dans les limites desconditions gnrales d'utilisation du site ou, le cas chant, des conditions gnrales de la licence souscrite par votretablissement. Toute autre reproduction ou reprsentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manire quece soit, est interdite sauf accord pralable et crit de l'diteur, en dehors des cas prvus par la lgislation en vigueur enFrance. Il est prcis que son stockage dans une base de donnes est galement interdit.

    1 / 1

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    Unive

    rsid

    ade

    de S

    o P

    aulo

    - -

    143

    .107

    .252

    .186

    - 05

    /08/

    2013

    22h

    27.

    Dile

    cta

    Docum

    ent tlcharg depuis www.cairn.info - Universidade de So Paulo - - 143.107.252.186 - 05/08/2013 22h27. Dilecta

  • DIRE

    DIRE

    N 4 Mars 2008 Le Corps mangeant

    Bernard Andrieu : Comment tes-vous venue aux queer studies, depuis la cration de Zoo jusqu aujourdhui ?

    Marie-Hlne Bourcier : En 1995, je crois, je suis tombe sur Gender Trouble dans une petite librairie militante de Camden Londres. Pour le bb post-structural nourri de Barthes, de Lacan, de Derrida et de Foucault que jtais, ce fut la rvlation par la perversion de ces auteurs dont certains taient gais ou SM,

    au placard personnel et thorique. Jtais familire des gender studies et des medias studies assez politises et ne faisant pas lconomie de la culture populaire via les tudes culturelles. Ce sont cette redfi-nition de la culture et cette exprience de la queerisation des acteurs franais du structuralisme et du post-structuralisme qui ont t un dclic pour moi. La dimen-sion politico-sexuelle tait enfin l. Cest comme a que jai pu me politiser grce

    ENTRETiEN avec MARiE-HLNE BOURCiER

    par Bernard Andrieu

    E n 1996, LA CRAtIOn DU ZOO par la philosophe Marie-Hlne Bourcier a pour but de dvelopper les tudes gaies, lesbiennes et queer dans luniversit travers la traduction et la publication des travaux de Judith Butler et Beatriz Preciado. Lob-jectif est de mettre en valeur loriginalit de la pense queer et la spcificit des points de vue gais, lesbiens ou trans et de diffuser savoirs et rfrences leur sujet. Le Zoo met en uvre un sminaire en 1999-2000 identits et sexualits, performance et performativit : Lobjectif des sminaires queer du Zoo est de faire circuler le plus largement possible un type de savoir et de rfrences relatifs la construction historique, sociale politique et culturelle de lhomosexualit, de lhtrosexualit, de la bisexualit, de la transsexualit et des genres. De mettre en valeur les travaux et les initiatives qui relvent dune critique hyperbolique des lieux de formation des identits sexuelles et de genre normatives, qui dconstruisent les savoirs qui fondent et naturalisent la discipline des corps. Il est dautant plus urgent de crer de tels espaces critiques que ceux-ci nont pas vraiment droit de cit dans luniversit franaise. Le but est la rappropriation des corps par les sujets et lin-vention dun corps lesbotrans.

    Avec Queer studies Marie-Hlne Bourcier distingue le genre et le queer en utilisant la philosophie politique comme levier dune critique radicale des tentations den revenir un naturalisme ou une diffrence des sexes. Dans le t. 1 en 2001, Politiques des ingalits sexuelles, des reprsentations et des savoirs, la matrice sexe/genre est dtruite pour analyser le sexisme dans les discours mdicaux et littraires, le cinma et la pornographie. Dans le t. 2 en 200, Sexpolitiques, lducation sexiste, machiste et phallique est critique dans la mise en scne de corps soi-disant gender comme Madonna et autre icne bisexuelle SM, alors que la dfinition de lidentit culturelle et politique exige de se dbarrasser des analyseurs classiques comme la psychanalyse, la lacit et la citoyennet pour proposer une alternative la renaturalisation du sexe.

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    Unive

    rsid

    ade

    de S

    o P

    aulo

    - -

    143

    .107

    .252

    .186

    - 05

    /08/

    2013

    22h

    27.

    Dile

    cta

    Docum

    ent tlcharg depuis www.cairn.info - Universidade de So Paulo - - 143.107.252.186 - 05/08/2013 22h27. Dilecta

  • 6Entretien avec Marie-Hlne Bourcier

    une resexualisation de ma rflexion et de la thorie dite franaise.

    Le Zoo est n dans cette ide de queeri-ser et de politiser les savoirs franais via un activisme culturel qui redonnait son sens sociologique et politique la culture avec un grand C la franaise. Do les smi-naires queer, les colloques, les traductions, les vnements culturels que nous avons organiss, la problmatisation de luniver-sit et des savoirs franais que nous avons initie dans des lieux aussi divers que le Centre gai et lesbien de Paris ou luniversit de Paris 1, puis travers des dplacements dans toute la France.

    B. A : Quelle est pour vous la diffrence entre gender et queer ?

    M. -H. B. : Trs grande et multiple. Il faut se souvenir que la notion de genre est bien antrieure la thorie queer et aux tho-risations fministes utilisant la catgorie de genre, mme si elle nest pas antrieure la premire signification du terme queer , entendu comme la dsignation injurieuse des gais et des lesbiennes, entre autres, dans la culture amricaine des annes 50. Les anthropologues ont utilis la notion de genre ou de rle de sexe dans une perspective constructiviste ds les travaux de Margaret Mead. Et ce sont les psychia-tres comme Money ou Stoller qui ont fait grand usage de la notion de genre dans une acception constructiviste justifiant leurs interventions normatives et chirurgicales. Dans ce cas prcis, la notion de genre est utilise des fins rpressives et disciplinai-res par la mdecine. Ce qui change avec les thories fministes, queer ou gender queer, cest prcisment le fait que lon entre dans une phase critique des genres tels quils sont imposs. Les fministes de la deuxime vague mettent laccent sur la critique des rapports de pouvoir quengendrent les relations entre les genres, les phnomnes doppression de genre et les luttes mener pour rduire lingalit entre les genres (qui

    recouvrent gnralement les entits les hommes et les femmes ).

    La thorie queer met laccent sur la criti-que des genres en faisant clater le cadre binaire hommes/femmes qui stait fina-lement rindex sur la diffrence sexuelle avec le fminisme, en explorant plutt la production des masculinits et des fmi-nits, des masculinits sans hommes et des fminits sans femmes, par exemple. Elle sintresse aux effets opprimants que gnrent des conceptions des genres bloques, mais aussi la circulation, voire la fabrication, de masculinits et de fmi-nits sans correspondance avec le sexe dit biologique . Cela est notamment d au fait quelle ait pu prendre en compte, de manire positive, les dviances de genre, les dissonances entre sexe dit biologi-que et genre qui peuplent les cultures lesbiennes, gaies (butch/fem, drag king, drag queen, invertis revendiqus du xixe). Voire quelle ait russi les constituer en tant que nouveaux sites pistmopolitiques , ce que ne permettait pas le fminisme de la deuxime vague trop identifi femme et saventurant finalement trs peu sur le terrain de la masculinit, les hommes tant considrs comme les agents de loppres-sion contre les femmes.

    Voil qui ne laissait gure despace dex-pression et de thorisation aux femmes ou aux lesbiennes masculines par exemple. Fminisme de la deuxime vague et thorie queer ont cependant en commun de proposer une utilisation critique et poli-tique des notions de genre et de chercher modifier le carcan naturaliste des genres. Le fminisme veut modifier le modle de la fminit. La thorie queer veut pluraliser les modles de fminit et de masculinit et prendre en compte les diffrences de genre et les diffrences entre les femmes. Les subcultures et les thorisations gender queer cherchent explicitement produire de nouvelles formes de masculinit et de

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    Unive

    rsid

    ade

    de S

    o P

    aulo

    - -

    143

    .107

    .252

    .186

    - 05

    /08/

    2013

    22h

    27.

    Dile

    cta

    Docum

    ent tlcharg depuis www.cairn.info - Universidade de So Paulo - - 143.107.252.186 - 05/08/2013 22h27. Dilecta

  • 7N 4 Mars 2008 Le Corps mangeant

    fminit, dans la culture transgenre notam-ment. Le point de rencontre entre ces deux approches critiques des genres se situe dans leur position antinaturaliste et le regard politique quelle porte sur la produc-tion du systme sexe/genre dominant dans notre culture (voire de celui qui sinstalle dans les subcultures pour la thorie queer : la culture gaie homonormative contempo-raine anti-folle par exemple).

    Ceci tant dit, jaimerais souligner au passage que la thorie queer ne se rsume pas ses thorisations des genres. La thorie queer des annes 90, par exemple (Butler, Rubin, Sedgwick), est mme marque par une tension salutaire entre genre et sexualit. Rubin et Sedgwick, de manire diffrente, cherchent sparer, du moins analytique-ment, les axes danalyses selon le genre et la sexualit pour Sedgwick, et les sexualits pour Rubin, afin de faire face leffacement progressif de la sexualit dans les thories et les politiques fministes (except dans le fminisme prosexe) et la thorie queer (butlrienne notamment) et de manire prendre en compte les sexualits dvian-tes non htrocentres (gaies, lesbiennes, SM mais aussi allorotiques) pour Rubin et Sedgwick. Cest aussi la rencontre impro-bable mais fructueuse entre cet oublieux absolu du genre quest Foucault et le fmi-nisme.

    B. A. : La dconstruction du corps conduit quelle position selon vous : un cultura-lisme, une libert de genre, une cration performative ?

    M.-H. B. : Il faut savoir de quelle dcons-truction on parle et quels sont ses objets ou binarismes favoris. Si la dconstruc-tion dobdience derridienne consiste insister sur des autres ou crer des autres , des dehors constitutifs , selon lexpression consacre, qui relvent de l imperformable , du forclos, tout en constituant une menace spectrale suscepti-ble de venir hanter et disrupter le centre

    ou la norme, je ne suis pas sre dtre int-resse.

    Si la dconstruction est le nec plus ultra qui sert marquer la diffrence avec dautres constructivismes, aussi radicaux soient-ils, si elle sert donner lespoir que, comme rien nest jou davance dans la rptition, tout reste ouvert rarticulation ou resi-gnification, je crains que cette recette trop gnrique et trs intransitive (pas dagent ou dagency reconnaissable), que lon a vue successivement applique au genre, lidentit, aux injures, ne serve pas grand-chose, plaque sur le corps. Je dirais mme que le corps est sa bute. Non tant parce quil opposerait une matrialit irrducti-ble, encore que mais parce quil disparat en tant que problmatique spcifique, en quelque sorte annul par la prise en compte premire du genre qui aspire le sexe qui aspire le corps. Au mieux peut-il esprer le mme traitement : tre considr comme un produit discursif comme un autre. Le corps lequel je ne sais pas plus que vous de quoi il est fait et lequel, jen conviendrais volontiers, ne prcde aucune ralit discursive (visuel inclus), ce qui ne veut pas dire quil nexiste pas se voit alors noy dans une espce de monisme constructi-viste.

    Prenez lexemple de la question du corps chez Butler. premire vue, dans son analyse de la gendrisation (des corps), Butler dit avec Trouble dans le genre : la loi, le genre ne viennent pas des corps. La loi, les genres produisent les corps. Des conclusions en accord avec le principe dex-triorisation auquel je faisais allusion tout lheure et qui visent aussi repolitiser la production des genres. Le corps genr sera donc dfini comme se constituant par une srie dactes rpts qui donnent accs des rptitions dloyales et donc des rptitions parodiques et des chappes prolifrantes.

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    Unive

    rsid

    ade

    de S

    o P

    aulo

    - -

    143

    .107

    .252

    .186

    - 05

    /08/

    2013

    22h

    27.

    Dile

    cta

    Docum

    ent tlcharg depuis www.cairn.info - Universidade de So Paulo - - 143.107.252.186 - 05/08/2013 22h27. Dilecta

  • 8Entretien avec Marie-Hlne Bourcier

    Que celles-ci ne soient pas volontaires ne change rien lespoir donn dun potentiel performatif re-cratif, pour reprendre en le modifiant lgrement lun des termes de votre question. Les exemples concrets seraient la drag queen en majeur et la culture butch/fem en mineur, bien que la drag queen soit leve au rang de vrita-ble paradigme intellectuel (la drag queen parodierait lide mme doriginal). Mais, cette extriorisation politique des mca-nismes de production des corps genrs, Butler ajoute, en contrepoids, une limita-tion de la performance de genre qui passe par la psychanalyse et la question de lin-corporation (voir toute son analyse du tabou de lhomosexualit qui institue la matrice htrosexuelle, donc la diffrence sexuelle). Problme : cette incorporation nous entrane dans un dehors constitutif relativement ineffable, imperformable .

    juste titre, daucuns ont pu avoir limpres-sion que cette dconstruction des genres aboutissait un oubli du corps. Sans doute que la dconstruction du corps comme point de dpart naurait pas donn les mmes rsultats. Le pige du genre est tendu. Le sexe sefface devant le genre en ce sens que la diffrence sexe/genre na plus lieu dtre : tout est genre, y compris le sexe dont les prtentions naturalisantes, biologisantes et binaires seront rduites. Cest sans doute ce binarisme sexe/genre qui est dconstruit au dtriment du corps. Et si vous lui faites subir le mme sort constructiviste que le sexe, cest une drle de dconstruction trois termes qui se produit. Sexe, genre, corps : le triangle infernal est intressant ; si agaant que Butler consacre tout un livre au titre effront et significatif pour essayer de rpondre aux accusations de somato-phobie quont pu gnrer Trouble dans le genre et Bodies That Matter que lon pour-rait gloser en un les corps comptent ou bien un je ne fais pas lconomie de la matrialit des corps .

    Significativement, le livre rate sa promesse ou, en tout cas, ne parvient pas propo-ser autre chose que lapplication de deux recettes derridiennes et linguisticistes. Premire proposition : la matire (du corps, du sexe : ce nest pas clair) est redfinie comme un processus et un effet de matria-lisation. Cette matire est une production, elle aussi soumise des normes qui ont besoin dtre rptes pour exister et qui, dans leur rptition, ouvrent la fois sur leur stabilisation et leur dstabilisa-tion. Deuxime proposition, qui va en fait dans le sens dune augmentation du linguisticisme et de la dcorporalisation : le genre comme performance va tre red-fini comme performatif. la rptition des actes (corporels) se substitue la ritration des discours ou formules performatives (cest une fille, cest un garon), la cita-tionalit derridienne. Difficile dans ce contexte de parler de libert de genre ou de cration qui sont par ailleurs des termes incompatibles avec les thorisations queer antifondationnalistes et avec la conception post-moderne du sujet.

    Ce que je peux dire, cest que la dnatura-lisation des genres, quils soient vus comme des constructions ou des performances, a permis de dmystifier et de sapproprier des mcanismes de production des genres et de produire des corps diffrents pour ceux et celles qui le veulent personnelle-ment et politiquement. Il sen est suivi une multiplication avre des identits de genre et des pratiques sexuelles.

    B. A : Judith Butler nest-elle pas pour le queer une critique encore gender ?

    M.-H. B : Jai dj rpondu plutt oui cette question en rappelant comment la production des genres telle quelle est thorise dans Trouble dans le genre amne une dcorporalisation qui va saccentuant avec Bodies That Matter. Jaimerais ajouter trois choses et quelques prcisions parce

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    Unive

    rsid

    ade

    de S

    o P

    aulo

    - -

    143

    .107

    .252

    .186

    - 05

    /08/

    2013

    22h

    27.

    Dile

    cta

    Docum

    ent tlcharg depuis www.cairn.info - Universidade de So Paulo - - 143.107.252.186 - 05/08/2013 22h27. Dilecta

  • 9N 4 Mars 2008 Le Corps mangeant

    que cette question est vraiment trs impor-tante si on sintresse au corps.

    Tout dabord je pense que cette dcor-poralisation est en partie un effet de la connexion la psychanalyse comme appareillage thorique et non comme tech-nologie de pouvoir (comme chez Foucault par exemple). Ce que lon gagne en ext-riorisation et en critique du corps comme rceptacle de lme ou de lintrio-rit est perdu si on laisse la psychanalyse rgir et rinvestir lespace psychique, bref reproduire une forme dintriorit ou din-ternalisation abstraite. Cela pose la question de savoir si le psychisme produit le corps ou sil fait partie du corps ? Ou bien est-ce quau couple me/corps sest substitu celui psychisme/corps ?

    Par ailleurs, quil sagisse de Freud ou de Lacan, la psychanalyse utilise par Butler va plus encore dans le sens de linternalisation et de labstraction en ce quelle rpudie et contrle le visuel Et cest lune des raisons qui fait quelle nous aveugle et nous barre ou contrle laccs aux technologies de production visuelle et visibles du corps. Si la mthode gnalogique de Foucault augmente que jai dcrite il y a quelques instants dbouche sur une saisie du corps hystrique et des dispositifs visuels de sa production publique, Freud reprivatise et dvisualise la femme hystrique. la diff-rence de Charcot dont il a suivi les sances du mardi et o le matre de la Salptrire produisait lexhibition de la femme hyst-rique dment place devant la gravure de Richer qui lui indique la chorgraphie suivre, Freud sort dfinitivement lhystri-que du champ visuel et des manipulations directes (titillations hystriques et autres massages) pour la ramener dans lespace cosy et secret du cabinet du psychanalyste, o cest la/sa parole qui prend le relais. La psychanalyse freudienne en gnral est dailleurs anti-visuelle. Grandes sont les rticences de Freud envers toute figuration

    image de linconscient par dautres et en public. Il nest que de voir sa raction au projet dadaptation cinmatographique de la psychanalyse de Pabst (Les Mystres dune me). Pour Freud, limage est au moins aussi dangereuse que la butch : on ne peut viter le film, semble-t-il, pas plus que les cheveux taills la garonne. Mais quant moi, je ne me les laisserai pas couper et je ne veux personnellement rien avoir faire avec ce film.

    Paralllement et cela vaut pour Lacan, nombre des concepts centraux de la psycha-nalyse comme le ftichisme ou le stade du miroir, par exemple, reposent sur linter-prtation de scnes et/ou dvnements visuels qui engagent le corps (observer labsence de pnis, se reconnatre dans le miroir et se confondre dans la coalescence imaginaire avec la mre) mais matriss et dvaloriss par ces thoriciens cliniciens. Cest cela la pente de la psychanalyse proto-mdiatique et je crois que Butler en fait les frais en cherchant avec Bodies That Matter prendre ses distances avec la dimen-sion thtrale et vestimentaire donc visuelle, lisible de la performance de genre et jajouterais du corps de la drag queen. De fait, sur quoi repose cette distinction entre vtement et corps dans la performance de genre ? Pourquoi na-t-elle pas inclus le vtement dans le corps, voire reformul la piste ftichiste dans une acception plus sociale et politique que psychanalytique ? Une acception qui dconstruirait prcis-ment lopposition entre corps et objet qui sous-tend la dfinition naturaliste, sexolo-gique et psychanalytique de la perversion ftichiste dont furent accuss les anctres des drag queens, des transsexuel(le)s et des transgenres.

    Cest loccasion de signaler les critiques quadresse Jay Prosser dans son Second Skins, The Body Narratives of Transsexuality lap-proche trop axe sur le genre, pour ne pas dire simplement figurative du (trans)genre

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    Unive

    rsid

    ade

    de S

    o P

    aulo

    - -

    143

    .107

    .252

    .186

    - 05

    /08/

    2013

    22h

    27.

    Dile

    cta

    Docum

    ent tlcharg depuis www.cairn.info - Universidade de So Paulo - - 143.107.252.186 - 05/08/2013 22h27. Dilecta

  • 10Entretien avec Marie-Hlne Bourcier

    et du transsexuelles de la premire Butler. Son analyse de la dmatrialisation du corps laquelle aboutit la thorisa-tion du genre chez Butler, qui prsuppose lexclusion du dsir dincarnation sexue des transsexuel(le)s est particulirement pertinente, et ce dautant quelle mane dun thoricien f(emale) to m(ale) identifi comme tel. Prosser repre et value avec brio le cot de la r-intriorisation de la performativit dans le psychisme en liaison avec la construction de lidentit via la diffrence des sexes et en relation avec le couple htrosexualit/homosexua-lit, telle quelle est reformule par Butler avec la mlancolie de genre. Il donne des lments pour rpondre la question que nous posions plus haut : le psychisme produit le corps ou bien fait-il simplement partie du corps ? Prosser montre bien, je crois, comment le corps devient chez Butler un simple espace incorpor, un effet du psychisme alors que cest linverse chez Freud pour qui le corps produit le psychisme (voir son commentaire de la note de Freud dans ldition anglaise de Le Moi et le a ). Sa critique de linstrumentalisation thorique et purement figurative du trans-genre qui hante vritablement Trouble dans le genre et de manire plus ambivalente encore Bodies That Matter avec la seconde mise mort de Venus Xtravaganza, lune des protagonistes transsexuelles du film Paris Is Burning, dbouche sur une recon-ceptualisation de la peau qui nvite plus les pratiques corporelles transsexuelles.

    Enfin si le problme de la premire Butler est dtre trop genre sans tre transgenre ou transsexuel(le), avec la deuxime Butler no-universaliste, la question de savoir si trop de genre tue le queer et le corps ne se pose mme plus. Son dernier ouvrage intitul Dfaire le genre est trs reprsen-tatif dun retour un constructivisme plat (constat de la construction des genres via les normes) pour ne pas dire dun subs-

    tantivisme qui loigne dfinitivement des conclusions de Trouble dans le genre. Les recettes de la performativit tant dpla-ces sur les normes de genre et celle de la resignification sur luniversalisme, on en arrive un questionnement qui se situe aux antipodes dune possible rsistance via les dissonances de genre ou la stratgie du take up the tool de Trouble dans le genre : Butler se demande : que veut le genre ? On a envie de lui rpondre : rien, si tant est que cette volition soit reprable. moins que le dsir de Dfaire le genre soit de dfaire Trouble dans le genre.

    B. A. : Comment situer la scne franaise de la recherche queer par rapport la scne anglo-amricaine ?M.-H. B. : Il est difficile de rpondre cette question tant la recherche queer est minoritaire et empche en France. Lho-monormativit ambiante et le fait que les formulations et les rflexions minoritaires soient traditionnellement confisques par des intellectuels majoritaires straight dans notre pays lexpliquent en partie (voyez ce qui sest pass et se passe avec le fmi-nisme).

    La scne anglo-amricaine de la premire vague est en phase dexpansion institution-nelle et gographique et ses protagonistes se comportent plus comme des touristes en Europe que comme des partenaires politiques ou thoriques. Leur dsintrt pour les traductions culturelles locales est patent. cela, il faut ajouter un malen-tendu instructif : les Amricains ont pris dans ce quils ont appel la French Theory, aprs avoir invent le French Feminism, ce quil leur fallait pour asseoir leur peur ou leur critique de la politique des identits aux tats-Unis en piochant dans la critique de lidentit gaie selon Foucault (lui-mme placard plutt quanti-identitaire au sens amricain du terme).

    Le French Queer, assez amricain de ce point de vue, a fait exactement linverse.

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    Unive

    rsid

    ade

    de S

    o P

    aulo

    - -

    143

    .107

    .252

    .186

    - 05

    /08/

    2013

    22h

    27.

    Dile

    cta

    Docum

    ent tlcharg depuis www.cairn.info - Universidade de So Paulo - - 143.107.252.186 - 05/08/2013 22h27. Dilecta

  • 11N 4 Mars 2008 Le Corps mangeant

    Il a utilis le potentiel identitaire construc-tiviste de la thorie queer de manire identitaire post-identitaire pour rompre avec le formalisme structuraliste, la para-lysie politique (pour ne pas parler des politiques sexuelles) dans laquelle Derrida, Lacan et Foucault avaient plong les gais et les lesbiennes depuis les annes 80, mais aussi pour lutter contre luniversalisme et le rpublicanisme franais abstraits et anti-identitaires.

    Ensuite, la passion amricaine pour la psychanalyse, queerise ou non, ne fait pas partie des priorits de la scne fran-aise, plutt en phase avec les thories gender queer, trans et la question de la post-pornographie. Lautre proccupation majeure consiste articuler les interpn-trations entre sexualits, genres et races dans un pays que je ne qualifierais pas de post-colonial, avec une entre privilgie qui est celle du whiteness. cela sajoute la dimension pistmopolitique de la pda-gogie, de lenseignement et de la recherche

    dans des structures universitaires fermes qui ont vit les remises en question pis-tmologiques des fminismes et des tudes culturelles.

    Marie-Hlne Bourcier, thoricienne et activiste queer,

    Universit de Lille 3, Geriico, EHESS-Paris

    BIBLIOGRAPHIE

    M.-H. Bourcier 2001, Queer zones. Politiques des identits sexuelles, des reprsentations et des savoirs, Paris, Balland.

    M.-H. Bourcier 2005, Sexpolitiques. Queer zones 2, Paris, La Fabrique.

    M.-H. Bourcier 2006, Queer , dans B. Andrieu (d.), Dictionnaire du corps en sciences humai-nes et sociales, Paris, CNRS ditions.

    J. Butler 2006, Dfaire le genre, Paris, ditions Amsterdam.

    M. Foucault 1984, Histoire de la sexualit, 3 tomes, Paris, Gallimard.

    E.K. Sedgwick 2007 (1991), pistmologie du placard, ditions Amsterdam.

    DR

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    Unive

    rsid

    ade

    de S

    o P

    aulo

    - -

    143

    .107

    .252

    .186

    - 05

    /08/

    2013

    22h

    27.

    Dile

    cta

    Docum

    ent tlcharg depuis www.cairn.info - Universidade de So Paulo - - 143.107.252.186 - 05/08/2013 22h27. Dilecta