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    UNIVERSIT PARIS-SORBONNE

    COLE DOCTORALE MONDES ANCIENS ET MDIVAUX

    T H S E pour obtenir le grade de

    DOCTEUR DE LUNIVERSIT PARIS-SORBONNE

    Discipline/Spcialit : Histoire des religions et anthropologie religieuse

    Prsente et soutenue par :

    Alfred ERRERA

    le : 17 dcembre 2013

    Le rapport des matres soufis

    aux peuples du Livre et leurs doctrines

    Sous la direction de :

    Monsieur Paul Fenton Professeur des Universits,

    Paris-Sorbonne

    JURY :

    Madame Marie-Thrse Urvoy Professeur des Universits, Bordeaux III,

    Prsidente du jury,

    Monsieur Pierre Lory Professeur des Universits, EPHE

    Monsieur Giuseppe Cecere Professeur des Universits, Universit di Bologna

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    1. Introduction, vise et mthodologie

    Si le regard de l'islam sur les autres religions fait l'objet d'un intrt croissant, peu d'attention

    a t accorde au rapport des matres soufis tant au christianisme et au judasme qu'aux

    chrtiens et aux juifs. Dans une premire partie, cette tude prsente une analyse de ce sujet

    tel qu'il a t peru par les intellectuels occidentaux qui se sont convertis l'islam ou qui ont

    consacr au soufisme de longues annes de recherche, en vue de dvoiler les principaux

    vecteurs du rapport positif des matres soufis aux chrtiens et aux juifs. Dans sa deuxime

    partie, elle analyse les positions des matres soufis selon cinq aspects : leur rapport aux

    critures et doctrines des chrtiens et des juifs, leur regard sur leurs rites et coutumes, la

    conception de leur Salut, leur relation aux chrtiens et aux juifs en tant que personnes, et enfin

    leur conception du jihd guerrier contre les pays chrtiens, ainsi que le lien que font ces

    matres entre le jihd majeur, celui de la lutte contre les mauvais penchants, et le jihd

    mineur, belliqueux.

    2. Le rapport positif des matres soufis aux peuples du Livre et leurs doctrines

    D'minents intellectuels occidentaux ont embrass l'islam par la filiation l'sotrisme

    islamique. La conversion du mtaphysicien Ren Gunon (1886-1951), loin d'tre le fait du

    hasard, tait le rsultat d'une enqute minutieuse sur les diffrentes religions mystiques et

    socits initiatiques de son temps . De nombreux convertis devinrent rapidement eux-mmes

    des shaykhs, certains comme Schuon fondant leur propre confrrie. Ces matres, ainsi que

    certains chercheurs qui consacrent ou ont consacr l'sotrisme musulman le cur de leur

    recherche, nous prsentent une image trs positive du rapport des matres soufis aux non

    musulmans. Pour eux, la base de leur tolrance et de leur ouverture tient leur croyance en

    une religion primordiale, qui serait le tronc duquel naquirent toutes les religions. Geoffroy,

    minent chercheur converti l'islam par le biais du soufisme, nous prsente le grand matre

    Ibn Arab comme celui qui a vu dans chaque religion une thophanie dvoilant une partie de

    vrit. En ralisant sa propre tradition, le croyant peut parvenir la Ralit universelle

    (aqqa), qui transcende toutes les croyances et confessions, et par l mme devenir tolrant

    et ouvert. Pour Nasr, le Shaykh al-Akbar va mme jusqu' considrer positivement la doctrine

    chrtienne de la Trinit, analysant celle-ci comme trois modes diffrents de dvoilement de

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    Dieu. Jall al-Dn Rm aura ralis compltement ce ressourcement, proclamant qu'il n'est

    d'aucune religion, mais n'appartient qu' l'Esprit suprme. va de Vitray-Meyerovitch, elle

    aussi convertie l'islam par la porte soufie, affirme que l'islam de Rm est tolrance,

    amour universel, splendeur mystique, sens de la gloire divine, c'est l'islam des saints

    musulmans, des grands penseurs, architectes, musiciens. Cet Islam-l est totalement

    universaliste.1 Geoffroy dcrit ce matre comme trs ouvert aux autres confessions,

    comparant les voies menant Dieu aux chemins qui convergent tous vers La Mecque.

    Mawlana n'a-t-il pas affirm qu'il n'tait d'aucune religion, n'aspirant qu' appartenir l'Esprit

    suprme ? N'a-t-il pas proclam que quant l'amour pour Dieu, il se trouve cach dans

    toute la cration, chez tous les hommes, zoroastriens, juifs, chrtiens, en tous les tres2 ?

    Pour Massignon, la plupart des matres soufis effacent les frontires sparant les confessions,

    toutes ayant la mme valeur relative en face du but suprme atteindre : l'amour de Dieu.

    Geoffroy rappelle qu'Ibn Hd a pouss si loin cette approche ouverte qu'il accueillait le soleil

    son lever en faisant le signe de la croix et qu'ils proposaient trois voies initiatiques : celles

    de Mose, de Jsus et de Muammad. Un maitre soufi soutint d'ailleurs que tant que foi et

    infidlit ne seront pas compltement semblables, pas un seul homme ne deviendra un vrai

    musulman. Goldziher constate que les matres soufis ont remoul l'image des premiers hros

    de l'islam, changeant leurs martiales figures en images d'anachortes, des pnitents et des

    moines clotrs. Pour ce grand orientaliste, le Fayal al-tafriqa de Ghazl constitue un

    ouvrage consacr l'ide de tolrance, dans lequel il proclame la doctrine islamique selon

    laquelle l'accord sur les fondements principaux de la religion est la base de la reconnaissance

    des hommes comme croyants, les divergences touchant des particularits dogmatiques et

    ritualistes ne pouvant offrir aucun fondement l'excommunication.

    La tolrance soufie trouve sa marque dans les influences rciproques entre ce courant, le

    judasme et le christianisme. Fenton a montr comment elles se refltent dans les crits de la

    gnza du Caire et dans les ouvrages de grands matres juifs du Moyen-ge. On les trouve

    aussi dans des pratiques similaires, dont les danses mystiques du sam. L'acceptation de

    savants juifs dans les cercles soufis en Perse constitue une preuve indubitable de la tolrance

    et de l'ouverture de matres soufis . Leur inclinaison voir la prsence divine et son action en

    toutes choses les a amens une tolrance de fait, mme si parfois teinte d'un sentiment de

    1 Eva de Vitray-Meyerovitch, Un message pour notre temps, Paris : ditions de la table ronde, 1993, p. 37.

    2 Djall-ud-Dn Rm, Fih m-fih, Le livre du dedans, trad. Eva de Vitray-Meyerovitch, Paris : Sinbad, 1975, p. 261.

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    supriorit : ainsi al- allj, consquent avec sa conception dterministe, considre que Dieu

    a dcid que les juifs seraient juifs et les chrtiens chrtiens ; en consquence, leur reprocher

    leur foi reviendrait critiquer Allah lui-mme, ce qui constitue le summum de l'hrsie.

    Geoffroy a not le respect tout particulier que vouent aux moines et asctes chrtiens les

    matres soufis qu'il cite, rappelant que certains d'entre eux ont prsent la conduite des moines

    comme un idal atteindre pour leurs disciples. De manire tonnante, les spcialistes du

    soufisme dcrivant ce courant comme tolrant et ouvert aux autres religions tmoignent d'un

    rapport positif des matres soufis au jihd belliqueux, justifiant celui-ci comme une pratique

    religieuse de l'islam, l'acte religieux par excellence tant de sacrifier sa vie dans la Voie de

    Dieu. Geoffroy restreint cependant le champ de ce jihd la guerre dfensive, dont il affirme

    qu'elle est la seule autorise en islam.

    3. Conclusions sur le rapport des matres soufis aux peuples du Livre et leurs

    doctrines

    Une tude plus dtaille selon les cinq aspects rappels en introduction dvoile une image

    plus ngative, voire inquitante.

    a. Le rapport des matres soufis aux critures et aux doctrines juives et

    chrtiennes

    Pour les matres soufis, les originaux de la Torah et des vangiles ont bien t rvls par

    Dieu, mais les juifs et les chrtiens les ont falsifis, soit, comme le pense Ghazli, par manque

    de prudence dans sa transmission, soit sciemment par refus de reconnatre Muammad, qui

    aurait t annonc dans les versions originales, comme le conoit Rm. Renforant la

    vraisemblance de la corruption des textes, Jall al-Dn rapporte que certains chrtiens

    reconnurent Muammad et vnrrent les versets de l'vangile qui en parlaient. Muammad a

    apport le message divin ultime, abrogeant dfinitivement tous les messages transmis avant

    lui. Aprs cette rvlation, l'hrsie tient au rejet de la mission de Muammad. Pour Ghazl,

    les consquences en sont trs lourdes : Celui qui ignore le Messager et l'Autre monde est

    galement incroyant (aljhil bilrasl wabilkhira ayan kfir)3 .

    La critique centrale des matres soufis par rapport aux doctrines juive et chrtienne consiste

    dans l'accusation d'associationnisme, les juifs considrant Uzayr comme fils de Dieu

    3 Al-Ghazl, Fayal al-tafriqa bayn al-islm wal zanadiqa, Le critre de distinction entre l'islam et l'incroyance, arabe et franais, trad. Mustapha Hogga, Paris : Librairie Philosophique J. Vrin, 2010. pp. 108-109.

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    (al-Makk, al-Rnr), et les chrtiens croyant en la Trinit, et voyant donc Jsus comme Dieu,

    alors que pour eux il n'est qu'un homme, bien que n d'une immacule conception et jamais

    mort (ni crucifi). Rm se montre mme blessant, affirmant que considrer Jsus comme

    Dieu constitue les paroles d'ivrognes ayant bu le vin de Satan et dcrivant le christianisme

    comme de l'or faux, noir et corrompu. Les soufis font acte d'islamisation et de soufisation

    des grands personnages de la Bible, les prsentant comme reconnaissant Muammad en tant

    que Sceau des prophtes : Ainsi, pour Tabrz, Mose avait ardemment souhait imiter en tout

    Muammad et faire partie de son peuple. La mme dmarche a t suivie par les grands

    matres spirituels musulmans concernant Jsus : indiffrents l'anachronisme et l'absurdit

    de leur affirmation, ils font de lui un musulman qui suit les rgles du droit islamique. Dniant

    l'essence mme de sa personnalit telle qu'elle se rvle dans les vangiles et la thologie de

    la passion, ils font revenir la fin des temps celui qui symbolise la misricorde, la non-

    violence et la piti envers les pcheurs dont il supporte les fautes, comme gnral d'arme

    dont la lance devient rouge du sang des ennemis de l'islam, comme juge suprme qui brisera

    les croix et fera prir les porcs. Enfin, voici Jsus accus d'une vision fausse et monolithique

    du monde, et qui plus est, dans une condescendance vexante, considr comme bien infrieur

    au Prophte de l'islam, et parfois lui-mme coupable de sa dification. Le fait que les matres

    soufis lui reconnaissent un trs haut niveau spirituel ne consolera pas, surtout la lumire de

    l'accusation qu'il aurait manqu de foi en Dieu. Pire, lui dont l'image centrale est l'amour se

    voit accus de manque d'amour de Dieu et attribu dans l'avenir le rle de supprimer le

    christianisme et de mettre mort toute personne qui ne le suivrait pas dans cette voie.

    b. Le Salut des juifs et des chrtiens

    Pour les matres soufis, le Salut ne provient pas d'actes bons ou mauvais, mais procde de la

    justesse de la foi. La foi des juifs en Uzayr comme Dieu et des chrtiens en la Trinit et plus

    particulirement en la divinit de Jsus, ainsi que leur refus commun de reconnatre la

    prophtie de Muammad, les condamne donc aux affres ternelles de l'enfer. Mme si

    Bistm prie pour qu'ils en rchappent, il ne renie pas le fait que les chrtiens et les juifs y

    chouent indpendamment de leurs actes. Pire, pour certains de ces matres, l'incroyance est

    dfinie par un statut lgal qui rend licite la mise mort du coupable et la confiscation de ses

    biens (cf. Ghazl). On trouve toutefois des matres qui pensent que le juif pieux aura droit au

    Paradis (cf. Hujwr).

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    c. Le rapport des matres soufis aux rites et coutumes des juifs et des

    chrtiens

    Concernant les rites et coutumes chrtiennes, on trouve chez les matres soufis tout un

    ventail de positions, allant de leur respect et acceptation des critiques argumentes ou

    violentes et dnues de fondement. Les juifs sont considrs comme ne s'attachant qu'

    l'extriorit, cette approche entranant une hypertrophie des commandements, ainsi qu'un

    amour inadquat de la vie : Le raisonnement logique mis en forme, on dira: Tout ami

    souhaite rencontrer son ami; le Juif ne souhaite pas rencontrer Allah ; on en dduit donc qu'il

    n'est pas parmi les amis d'Allah4. (Ghazl). Le laxisme gnral et l'absence de lois suivre

    chez les chrtiens sont considrs comme dcoulant d'une tendance exagre l'intriorit,

    que, pour ces matres soufis, l'islam corrige par une heureuse harmonie entre le spirituel et le

    matriel.

    d. Le rapport des matres soufis aux chrtiens et aux juifs en tant que

    personnes

    De nombreux matres soufis ont une vue ontologiquement trs ngative sur les juifs en tant

    que personnes. Nation maudite (Jawziyya, al-Maghl), les juifs ont des dfauts intrinsques,

    dj mentionns dans le Coran : fils de singes et assassins de prophtes (Jawziyya, Hajj

    Umar). Pour certains (alMaghl), chaque juif incarne le Satan lui-mme. Ils sont un peuple

    de supercherie, de ruse, et d'une extrme hostilit. Ils sont puants, du fait que durant la guerre

    de Khaybar les femmes juives se sont accouples aux cadavres morts des soldats juifs ! (Sidi

    Lakhdar). Un grand matre, Sirhind, va mme en tirer la fatale conclusion : chaque fois qu'un

    juif est tu, c'est dans l'intrt de l'islam. Al-Sabt a accus les juifs d'avarice, et pire il les

    prtend opposs tout forme de charit. Face cette liste accablante, le mrite du grand

    matre soufi Sd Amad ben Ysuf, qui aurait accueilli en Algrie avec amour et tolrance

    toute une communaut juive de rescaps de l'Inquisition espagnole, nous remplit d'admiration.

    Des matres soufis ont fait preuve d'une estime sincre et profonde envers des moines

    chrtiens : avant tout, pour ce qu'ils ont appris de ces asctes la nature du dsir, comment

    dominer son Moi, trouver la voie vers Dieu. D'aucuns reconnurent ces mystiques chrtiens

    la capacit de faire des miracles et admirrent la moralit et l'intgrit de leur comportement,

    leur honntet.

    4 Al-Ghazl, Al-qiss al-mustaqm, Beyrouth : al-mabaa al-klkiyya, 1959, p. 57.

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    notre connaissance, aucun matre n'a recommand de supprimer la dhimma, le statut

    humiliant des peuples du Livre en terre d'islam, ou mme d'en considrer une rforme. Bien

    au contraire, les plus grands matres, tels alGhazl et Ibn Arab, ont appel les dirigeants

    l'appliquer de manire plus stricte. Nombreux considrrent comme licite et juste de recevoir

    les recettes de la taxe de capitation (jizya). Certains allrent mme jusqu' rdiger des prires

    maudissant les peuples du Livre , d'autres enjoignirent les musulmans de ne pas prendre les

    juifs et les chrtiens pour amis. Des matres soufis consacrrent des efforts convertir juifs et

    chrtiens l'islam, le point commun des rcits rapports principalement par les hagiographes

    tant la dmonstration de la supriorit de l'islam sur tout ce que le judasme et le

    christianisme ont de plus vertueux ou spcifique : la charit, l'humilit, la prire, le shabbat.

    De plus, certains matres, dont des sommits comme Rm, ont entran des conversions en

    accomplissant des miracles suprieurs ceux des asctes chrtiens, et parfois mmes l'image

    des miracles raliss par Jsus lui-mme (soigner les malades, ressusciter les morts). Poussant

    l'extrme la supriorit de l'islam, on note le cas d'un matre appelant Jsus en personne

    tmoigner miraculeusement dans une glise de la vracit de l'islam, convainquant ainsi les

    fidles chrtiens se convertir. Mais le plus grave demeure sans doute la participation active

    de matres soufis des meutes populaires contre les juifs et les chrtiens, prenant parfois la

    tte de ces mouvements ou mme les initiant. Ces meutes visaient principalement la

    destruction et le pillage de synagogues et d'glises, construites selon eux en infraction des lois

    de la dhimma. On note aussi leur action en vue de dmettre de leurs fonctions administratives

    des juifs et des chrtiens nomms des postes importants auprs des dirigeants politiques

    musulmans de leur poque. On ne s'tonnera donc pas de voir Ghazl autoriser lgalement

    maudire les juifs, les chrtiens, les corrompus, les fornicateurs et les oppresseurs, incluant

    dans une mme catgorie les peuples du Livre et les hommes de la pire engeance.

    e. Le rapport des matres soufis au jihd

    Les matres soufis ont souvent tmoign paralllement un soutien inconditionnel au jihd

    mineur et au jihd guerrier et sanguinaire contre les infidles et les ennemis de l'islam, forme

    paroxysmique de l'intolrance dans le rapport l'autre. Ce soutien s'exprima dans les cas de

    jihd dfensif, quand les forces chrtiennes attaquaient les territoires que les musulmans

    considraient comme dr al-islm (territoire une fois tomb sous domination musulmane),

    position comprhensible car relevant d'une lgitime, mme si subjective, dfense. Mais il se

    manifesta de manire quivalente, et sans diffrentiation, en faveur du jihd offensif, visant

    tendre la domination de l'islam aux territoires du dr al-arb (territoire non encore conquis

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    par la nation musulmane), et supprimer ce que ces matres considraient comme

    polythisme et idoltrie. Ghazl recommande de conduire une expdition guerrire chaque

    anne sur quelque front important. Dans ce jihd, le matre lgitime l'acte de tirer dans une

    forteresse, mme s'il s'y trouve des femmes et des enfants. On a le droit de les livrer un

    incendie et/ou de les noyer. Il valide aussi toute prise de butin durant le jihd. Summum de

    l'intolrance, il conseille de convertir de force les ennemis vaincus durant le jihd.

    Contrairement aussi une ide reue, le jihd majeur, celui des curs, ne vient, notre

    connaissance, jamais remplacer chez les matres soufis le jihd mineur, celui de la guerre.

    Bien au contraire, les strates dinterprtation symboliques se juxtaposent la strate des

    obligations lgales sans l'abolir5 , le jihd majeur constitue la condition de la russite du

    jihd mineur, sa matrialisation, et par-l permet de raliser l'harmonie entre le monde

    spirituel et le monde matriel. La soif de la mort spirituelle en Dieu par le fana trouve son

    cho et sa concrtisation dans la mort en shahd au combat contre les infidles. Le soufi

    nettoie sa souillure intrieure par le jihd majeur et la souillure polythiste du monde par le

    jihd mineur. L'invocation d'Allah et le takbr donnent l'avantage aux troupes musulmanes

    dans leur guerre contre des troupes chrtiennes gales en nombre et en force physique. De

    grands matres, tel Ibn Arab, ont soutenu que la participation la guerre sainte ouvrait les

    portes de la saintet, voyant un lien causal entre la guerre du soufi contre les ennemis de

    l'islam et son niveau spirituel. Donc, loin d'tre une action rpugnante mais ncessaire, le

    jihd contre les infidles constitue une forme extrme de saintet. En consquence, la

    participation au jihd guerrier garantit le Bonheur dans ce monde-ci et dans le monde venir.

    Le rappel par les matres soufis des entreprises de jihd, tant offensif que dfensif, de

    Muammad comme modle suivre, indique bien que le rapport la guerre sainte est

    ontologique et ne dcoule pas du besoin de dfendre les territoires de l'islam. De plus, les

    matres soufis, par les miracles qu'Allah accomplit pour eux dans le cadre de ces guerres

    saintes auxquelles ils participrent si souvent, affirment que le jihd guerrier est agr et

    soutenu par Dieu lui-mme, et lui donnent ainsi une valeur positive absolue et ternelle. Ceci

    explique que pour tout le millnaire couvert par cette tude, des dbuts du soufisme 1856, et

    pour les trois continents tudis, l'Asie, l'Europe et l'Afrique, on ne trouve, notre

    connaissance, aucun matre soufi condamnant explicitement le jihd guerrier et affirmant que

    celui-ci est rvoqu et remplac par le jihd majeur. Si l'on garde en mmoire que la guerre

    5 Dominique et Marie-Thrse Urvoy, Les mots de l'islam, Toulouse : Presses Universitaires du Mirail, 2004, p. 107.

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    arme contre ceux qui professent une autre foi reprsente le paroxysme de l'intolrance

    religieuse, cette tude du rapport des matres soufis au jihd, rvle une image profondment

    ngative.