15
LA MORT DES SDF À PARIS : UN RÉVÉLATEUR SOCIAL IMPLACABLE Daniel Terrolle L’Esprit du temps | « Études sur la mort » 2002/2 n o 122 | pages 55 à 68 ISSN 1286-5702 ISBN 2913062865 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-etudes-sur-la-mort-2002-2-page-55.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Daniel Terrolle, « La mort des SDF à Paris : un révélateur social implacable », Études sur la mort 2002/2 (n o 122), p. 55-68. DOI 10.3917/eslm.122.0055 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour L’Esprit du temps. © L’Esprit du temps. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 181.213.73.3 - 01/07/2015 14h53. © L?Esprit du temps Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 181.213.73.3 - 01/07/2015 14h53. © L?Esprit du temps

ESLM_122_0055

Embed Size (px)

DESCRIPTION

Artigo sobre população de rua de Paris e morte.

Citation preview

LA MORT DES SDF PARIS : UN RVLATEUR SOCIALIMPLACABLEDaniel TerrolleLEsprit du temps | tudes sur la mort 2002/2 no 122 | pages 55 68 ISSN 1286-5702ISBN 2913062865Article disponible en ligne l'adresse :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-etudes-sur-la-mort-2002-2-page-55.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Daniel Terrolle, La mort des SDF Paris : un rvlateur social implacable, tudes sur lamort 2002/2 (no 122), p. 55-68.DOI 10.3917/eslm.122.0055-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution lectronique Cairn.info pour LEsprit du temps. LEsprit du temps. Tous droits rservs pour tous pays.La reproduction ou reprsentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorise que dans les limites desconditions gnrales d'utilisation du site ou, le cas chant, des conditions gnrales de la licence souscrite par votretablissement. Toute autre reproduction ou reprsentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manireque ce soit, est interdite sauf accord pralable et crit de l'diteur, en dehors des cas prvus par la lgislation en vigueur enFrance. Il est prcis que son stockage dans une base de donnes est galement interdit.Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) Document tlcharg depuis www.cairn.info - - - 181.213.73.3 - 01/07/2015 14h53. L?Esprit du temps Document tlcharg depuis www.cairn.info - - - 181.213.73.3 - 01/07/2015 14h53. L?Esprit du temps Toutes (les socits) mentent comme elles respirent,mais il faut bien respirer pour vivre. Pouillon J., (1977).Plus cest la mme chose, plus a change. Nouvelle Revue de Psychanalyse, 15.Lanthropologue qui sattache ltude du vivant aurait tort dignorer ce queltude de la mort de ce dernier peut lui apporter dans la connaissance de sonobjet : de fait, la manire dont chaque socit traite ses morts rvle de manireexemplaire, travers ce rite de passage ultime ou son absence, des significationsessentielles sur lordre social qui lanime, au-del de la prcaution des repr-sentations dont elle sentoure.Ltude de la mort apporte la comprhension du tissu social une lecturede son envers autant et sinon plus rvlatrice que celle de son endroit. Elle rendcompte de cette face cache, de ce visage obscur qui, en se dvoilant ainsi offreune vrit dautant plus redoutable quelle se donne lire, dans la brutalit desfaits de terrain, cest--dire dpouille de tous les artifices et des enluminuressymboliques, tant des gestes que de la parole.Cest la dcouverte de cette face cache, relative la mort des SDF Paris,que le lecteur est convi tout en lavertissant que lapproche de celle-ci ne se faitquau prix de questionnements constants, tant ne va pas de soi, sur un sujetdomin par les reprsentations et, la limite tout entier dfendu par la force decelles-ci, compte tenu des enjeux sociaux qui sy jouent, lirruption mme de laquestion de leur mort.LA MORT DES SDF PARIS :UN RVLATEUR SOCIAL IMPLACABLEDaniel TERROLLEtudes sur la mort, 2002, n 122, 55-68. Document tlcharg depuis www.cairn.info - - - 181.213.73.3 - 01/07/2015 14h53. L?Esprit du temps Document tlcharg depuis www.cairn.info - - - 181.213.73.3 - 01/07/2015 14h53. L?Esprit du temps 56 TUDES SUR LA MORTUN CONSTAT SCIENTIFIQUE TROUBLANT la suite de recherches menes depuis 1991 sur le mode de vie des SDF Paris1, et en 1994-1995, sur les quipements dissuasifs urbains conus leurencontre, la question de leur avenir a surgi au dtour dun double constat : dunepart, les responsables des associations caritatives attestaient tous rgulirementdu volume constant si ce nest en augmentation de cette population et dautrepart, les mdecins qui la soignaient tmoignaient tous, comme en apart, de safaible esprance de vie. La rsolution logique de ces assertions ne semblait pasposer problme. En effet, on pouvait immdiatement conclure que si cettepopulation se maintenait ou mme augmentait (en volume), malgr uneesprance de vie courte, cest quelle enregistrait un renouvellement constant aumoins gal sinon suprieur au nombre de ceux qui la quittaient. Or, il ny a pasdautres issues pour sortir de la vie la rue que lalternative qui est soit de serinsrer, soit de mourir. La question se pose donc de manire simple et sarsolution ne peut passer que par lexamen successif de ces deux occurrences.Un premier bilan des publications parues sur chacune dentre elles met envidence un dficit manifeste entre la plthore des ouvrages relatifs linsertion(ou la rinsertion) et labsence totale de publications franaises sur la mort desSDF. Ce premier indice, troublant, motiva le chercheur dpouiller ces sourcespour lamener constater que labondante littrature produite propos delinsertion concerne essentiellement les dispositifs et financements mis en place cette fin, tout comme les conseils et recommandations en tout genre mme dela raliser. Or, pour contrebalancer le caractre thorique et virtuel de cesdmonstrations, peu de faits patents sont recenss et analyss quand seulementlauteur pense prouver ainsi la pertinence de ses analyses thoriques. Ainsi, desvidences toutes faites sy affirment plus quelles ne sy dmontrent, reposantplus sur une croyance dans le bien fond des dispositifs que sur les rsultatsmanifestes de leur prtendue performance.Bien plus troublante encore est lattitude consensuelle de toute une sociologiedu social qui, aprs stre vertue mettre en vidence la carrire du SDF cest--dire ce qui amenait ces personnes se retrouver la rue interromptbrutalement ses recherches et suspend sa curiosit scientifique quand il sagitdanalyser ce quelles deviennent et comment cette carrire sachve. Si certainsconcluent alors la ncessit de la rinsertion comme un vu pieux, dautres2,sans amener la moindre preuve de terrain, laissent entendre que : ...Sil y a desentres dans la carrire des sans domicile, il y a aussi des sorties . Justement, on1. Terrolle D., Dir., 1993, Errances urbaines. Recherche en ethnologie urbaine , Rapportpour le PUCA, 230 p.2. Damon J., Firdion J. M., 1996, Vivre dans la rue : la question SDF, S. Paugam Dir.,Lexclusion ltat des savoirs, Paris, La Dcouverte, 583 p. Document tlcharg depuis www.cairn.info - - - 181.213.73.3 - 01/07/2015 14h53. L?Esprit du temps Document tlcharg depuis www.cairn.info - - - 181.213.73.3 - 01/07/2015 14h53. L?Esprit du temps DANIEL TERROLLE LA MORT DES SDF PARIS :UN RVLATEUR SOCIAL IMPLACABLE57aurait aim savoir lesquelles... De la part dauteurs dont on ne peut que partagerla conclusion, laquelle malheureusement ils drogent, lorsquils crivent :Affirmer la ncessit de la connaissance et de lvaluation permet de sortir dudomaine de lincantation et de lidologie qui trop souvent entoure les dispositifsdaide aux SDF3.Un dernier constat vient enfin parachever le trouble sur ce sujet : la Francepossde deux observatoires de la pauvret chargs dassurer une veille attentive toutes les questions concernant les personnes les plus dfavorises. Or, la ques-tion de la mort des SDF na jamais fait lobjet de la moindre interrogation tantdans les publications de lObservatoire National de la Pauvret et de lExclusionSociale que dans celles de lObservatoire du Samu Social de Paris. Plus curieuse-ment encore, cette dernire institution russit le tour de force dviter le surgis-sement de cette question dans les rapports pidmiologiques quelle produitrgulirement et dans lesquels elle cite mme des travaux trangers o desdonnes relatives ce fait sont analyses ! ce stade, comment ne pas sinter-roger sur le mutisme dlibr dont semblent faire preuve ces institutions dont lamission revendique et les financements obtenus visent justement rendre comptede tous les problmes relatifs aux personnes les plus dfavorises ? La mort deces personnes serait-elle un problme annexe, surtout la lumire de leur tatpidmiologique ? Si aucune logique scientifique ne peut justifier cette attitudedlibre, il faut chercher ailleurs les raisons qui fondent lvitement systma-tique de cette question. En quoi la mort des SDF serait-elle une question dange-reuse pour mobiliser son sujet tant doccultations systmatiques ?LIMAGINAIRE DE LINSERTIONLtat des lieux fait apparatre dabord labsence de toute statistique pertinenterelative linsertion. Bertrand Bergier, lun des rares sociologues avoir travaillsur cette question4 atteste que : Vraisemblablement, sur le plan statistique,Catherine et les autres reprsentent une quantit ngligeable , ce nest pas pourautant que leurs itinraires doivent tre ngligs . Il stonne, juste titre, quela sociologie nait pas pouss ses analyses jusque-l5.3. Ibidem, p.385.4. Bergier B., 2000, Les Affranchis. tiquets SDF, drogus, marginaux, inemployables... Ils sen sont sortis !, Paris, LHarmattan, 207 p.5. Quand bien mme serions-nous dans une sociologie de lexception, lobservationattentive dun phnomne aberrant offre deux issues dignes dintrt : soit lui donner une placedans un modle thorique existant, place quil na pu alors trouver faute de donnes dtailles,ce qui affine le modle ; soit montrer linadquation de cette construction thorique et aboutir une nouvelle modlisation, Ibidem, p. 6. Document tlcharg depuis www.cairn.info - - - 181.213.73.3 - 01/07/2015 14h53. L?Esprit du temps Document tlcharg depuis www.cairn.info - - - 181.213.73.3 - 01/07/2015 14h53. L?Esprit du temps 58 TUDES SUR LA MORTPour notre part, une rapide enqute de terrain mene auprs des responsablesdassociations caritatives confirme cela : ces derniers, tout en reconnaissantque toute sortie de leur association ne sassimile pas une rinsertion russie(la personne entrant souvent alors dans une autre association) nen continuent pasmoins de comptabiliser ces sorties comme autant de preuves de lefficacit dusystme. Pousss dans leurs retranchements, ils finissent par avouer quen dehorsdes pauvres salaris obligs davoir recours aux dispositifs dhbergementet dalimentation durgence ( cause de la faiblesse de leurs revenus issus decontrats prcaires) on peut estimer 1 % les personnes qui, tombes la rue,rebondissent trs rapidement et se rinsrent dans lconomie englobante, 4 5 %ceux qui, aprs quelques mois de vie la rue, finissent, au terme dchecsritrs et de dmarches, par sinsrer dans une conomie protge6. Quantaux autres, soit 94 95 %, si certains tmoignent ne pas savoir ce quilsdeviennent , dautres finissent par reconnatre quils disparaissent , quilsmeurent , compte tenu de la duret des conditions de vie la rue. Ces valua-tions ne sont pas nouvelles : dj le journaliste H. Prolongeau, en 1993 dressaitle mme constat en citant X. Emmanuelli : La rinsertion est une illusion pourbeaucoup de SDF, pour lesquels il ny a rien faire dautre que les aider etP. Declerck7.Face un tel constat qui perdure plusieurs questions surgissent : pourquoicette attitude propos de la mort des SDF sil en meurt plus quil ne senrinsre ? quoi et qui servent alors les financements publics consquentsverss par ltat et les collectivits locales pour linsertion ?LAMORT DES SDF : LESCAMOTAGE DLIBR DUNE RALIT8.De lalternative voque quant au devenir des SDF, il ne reste plus quanalyser le dernier terme, cest--dire leur mort. Quatre annes de rechercheseront ncessaires cela, pour dmler les fils multiples des faits, pour surmonterles rticences, pour patiemment reprer les non-dits , pour comprendre lessilences embarrasss, les rponses vasives et le sens des fins de non recevoirconcernant aussi bien le questionnement de lethnologue que, parfois, lethno-logue lui-mme.6. Cette conomie protge peut tre le fait de structures caritatives ou du dtournement destructures publiques comme les Centres dAide par le Travail, initialement destins aux handi-caps mentaux et qui accueillent maintenant de plus en plus dhandicaps sociaux.7. Ce dernier en tmoigne ouvertement dans Les naufrags, Plon, 2001, au chapitre De lacharit hystrique la fonction asilaire , p. 319 et suivantes.8. Les lments essentiels de cette enqute ont dj t publis in Terrolle D., 1999, Privsde deuil, Le Nouveau Mascaret, Bordeaux, CREAHI., n 55, pp. 26-32. Document tlcharg depuis www.cairn.info - - - 181.213.73.3 - 01/07/2015 14h53. L?Esprit du temps Document tlcharg depuis www.cairn.info - - - 181.213.73.3 - 01/07/2015 14h53. L?Esprit du temps DANIEL TERROLLE LA MORT DES SDF PARIS :UN RVLATEUR SOCIAL IMPLACABLE59Pendant ce temps, les lois sur la biothique se mettront en place, modifiantcertains faits ; certaines structures changeront, dispersant les informateurs, celancessitant chaque fois de rajuster lenqute, de ractualiser les donnes.Deux pistes complmentaires soffrent la comprhension du phnomne :lune est quantitative, statistique, alors que lautre est qualitative, ethnographique.DES STATISTIQUES MUETTESLa premire tourne court trs vite : dj hypothque par une absence dedfinition statistique de son vivant, la personne la rue reste indcelable dans lesstatistiques de mortalit. La dmonstration peut sarrter l. Cependant elle seraitincomplte dans ce quelle rvle des multiples dysfonctionnements techniquesmais aussi politiques qui y prsident.Bases sur le traitement des bulletins de dcs, les statistiques relatives lamortalit de la population la rue, sont tout dabord biaises par le classementdes SDF par lINSEE dans la vaste catgorie des inactifs (avec les retraits, lesrentiers, les femmes au foyer et autres). ce propos, divers responsables de cetteinstitution finiront par admettre que si des difficults techniques existent pourcerner auplus prs cette population, elles ne sont pas insurmontables si la volontpolitique dy arriver se manifeste . Pourquoi celle-ci ne se manifeste-t-elle pas ?Pourquoi, comme le suggre un spcialiste de cette question, la volont de suivrejusqu la mort une cohorte de personnes la rue na-t-elle jamais t effectue,alors que les SDF existent depuis plus de vingt ans en France ? cette dilution statistique globale des vivants sajoute, constate parlINSERM qui traite plus particulirement des causes de mortalit, labsencesystmatique de donnes, des rsultats dautopsies, provenant de lInstitut mdico-lgal, par lequel passent tous les cadavres retrouvs la rue, Paris. Contacte,cette dernire institution, malgr une prsentation argumente de cette recherche,refusera obstinment de rencontrer le chercheur. Or, ce dernier apprendra, quau-del du dsert statistique officiel sur la mortalit de ces personnes, les chiffresexistent au Ministre de lIntrieur (dont dpend lIML). Pourquoi ne sont-ils pasrendus publics ? En quoi la mort des SDF relve-t-elle dun quelconque secret ?LENSEIGNEMENT DU TERRAINLensemble de ces causes voques prend sens la lumire de lexamende la piste qualitative, cest--dire lors de lenqute de terrain. Son projet taitde cerner dabord les divers lieux de cette mort : deux champs simposaient,lun lhpital o la personne la rue pouvait dcder suite son hospitalisation,lautre tait les espaces publics o son cadavre tait trouv. Document tlcharg depuis www.cairn.info - - - 181.213.73.3 - 01/07/2015 14h53. L?Esprit du temps Document tlcharg depuis www.cairn.info - - - 181.213.73.3 - 01/07/2015 14h53. L?Esprit du temps 60 TUDES SUR LA MORTDans sa grande candeur, le chercheur pensait navement que la connexioninformatique en rseau des diverses institutions hospitalires, sur Paris, serait mme de lui fournir des lments pertinents et rapides sur ce sujet : il dchantarapidement. Dune part, cette dernire ntait pas oprationnelle pour traiter decela, dautre part, en raison de logiques internes de fonctionnement parfois obscu-res (comme le fait quon ne dcde pas en ranimation, mme si cest le cas...),la recherche des informations (et plus forte raison des dossiers de personnesdcdes lhpital) relve du parcours du combattant, rendu encore plus compli-qu par lthique mdicale (qui fait relever lapproche de ces questions de la seulecomptence dun mdecin). Or, curieusement, aucun mdecin, sur Paris, bien queconscient de la faible esprance de vie de ces personnes, ne semble se prcipiterpour tudier leur mortalit9.Lenqute de terrain relative au devenir du cadavre trouv dans les espacespublics a permis dtablir les tapes suivantes : Ds sa dcouverte et lappel fait la police ou aux Pompiers de Paris, cesservices sollicitent un mdecin de lIML pour constater le dcs et acheminerle corps jusqu cette institution pour dterminer les causes de la mort. Cest lIMLque, dune part, lidentit du dfunt sera recherche, et quedautre part, un premier examen du corps, articul au constat dress lors des cir-constances de sa dcouverte permettra dtablir sil sagit dune mort naturelle ou suspecte . Dans ce dernier cas, le parquet est saisi, ordonne une autopsiequi, si elle confirme les prsomptions du premier examen, permettra de lancerune enqute policire. Concernant lidentification du corps, il nest pas rare quecelui-ci soit retrouv dpourvu de papiers didentit : la brigade didentificationjudiciaire est alors charge dtablir cette dernire. Jusqu un pass rcent, unephoto post mortem prsente la secrtaire du CHAPSApermettait davoirdes renseignements, mais cette dernire ayant chang de service et dtablis-sement, cest au personnel permanent du CHAPSAque ces services sadressentdabord, tout en menant une enqute de proximit auprs des associations carita-tives et dautres SDF. Lorsque cette identit est tablie, elle doit se charger deretrouver la famille pour lavertir et quelle reconnaisse le corps. Dans ce dessein,ses moyens informatiques ne dpassant pas la grande couronne de Paris, et denombreux SDF tant issus de province, lenqute est souvent difficile : limpos-sibilit de pouvoir sappuyer sur des connexions ventuelles avec les recherchesdans lintrt des familles que ces dernires auraient pu lancer, linsuffisance des9. Quelques thses de mdecine (en province) ont trait de cela, mais rien na t entreprissur Paris. Suite ma demande, le Dr J. Hassin, mdecin au centre de soins du CHAPSA deNanterre, a accept de simpliquer dans cette dmarche. Depuis quatre annes, nous avonsdpouill de multiples dossiers, parfois difficiles rcuprer dans linstitution hospitalire. Siles donnes mdicales sont importantes, les donnes sociologiques restent allusives. Le traite-ment et la synthse de ce travail est en cours. Document tlcharg depuis www.cairn.info - - - 181.213.73.3 - 01/07/2015 14h53. L?Esprit du temps Document tlcharg depuis www.cairn.info - - - 181.213.73.3 - 01/07/2015 14h53. L?Esprit du temps DANIEL TERROLLE LA MORT DES SDF PARIS :UN RVLATEUR SOCIAL IMPLACABLE61effectifs pouvant tre affects cela, rendent la chose peu aise. Il faut doncsouligner que lidentification des SDFreste cruciale : les identits quils donnentsont parfois fantaisistes ou se rduisent des surnoms que leur vie la rue leura procurs. Le milieu associatif ne les dsignant que par leur prnom ( pourprserver leur pudeur avoue un responsable), ce dernier sera dun faible recourspour aider cette identification sauf sil accompagne rgulirement ces person-nes. Lensemble de ces raisons expliquent que nombre de SDF, morts dans la rue,sans papiers, soient finalement dclars morts sous X. linverse, lorsquele corps trouv peut tre identifi grce des papiers, lIMLdclarera ce dcsen faisant mention de la profession retrouve dans ceux-ci alors que la personnene lexerce plus et vit la rue depuis plusieurs annes. Cette pratique, qui estau moins un dni de la ralit de la situation de la personne lors de son dcs la rue sinon, pnalement, une fausse dclaration, biaise encore un peu plusla possibilit danalyser la mortalit des SDF sur le plan statistique. Lorsque la famille na pas t retrouve ou quelle refuse de prendre encharge les obsques, ou bien encore lorsque le corps ne peut tre identifi, lecadavre patiente en chambre froide lIMLjusqu avoir sept partenaires pourjustifier la mise en bire et le convoi, en camionnette banalise, par la SAEMServices funraires de la ville de Paris , jusquau cimetire parisien de Thiais.L, il est procd linhumation de chacun dans un caveau dcompositionrapide10, sans rites particuliers. La dmarche est la mme pour la mort lhpital.Cependant, si la demande est faite par des proches auprs de linstitution et surla base dun document attestant lindigence du dfunt, il est possible dobtenirune leve du corps (avec porteurs en tenue et corbillard), un office religieux, etun convoi (qui peut accepter deux accompagnateurs jusqu Thiais), pour uneinhumation plus ritualise. Ces prestations sont alors factures 609,80h, soit ledouble du cot de linhumation prcdente, la ville de Paris. Au bout de cinq annes, les restes sont transfrs et incinrs au crma-toriumdu Pre Lachaise, et les cendres disperses dans le Jardin du Souvenir .PRCISIONS ET VOLUTIONSLors de cette enqute, ces caveaux numrots taient anonymes, et fort peuportaient la marque dun souvenir quelconque. Ils tmoignent cependant, en10. Il sagit dun caveau modulaire prfabriqu, conu et ralis par la socit Augival. Sonfonctionnement repose sur une circulation dair dans le caveau, au moyen de deux conduits enforme de siphons remplis de liquide bactriologique, obtenue de manire inerte par la diff-rence de pression atmosphrique diurne et nocturne, acclrant la dcomposition du corps. Unjoint tanche est pos entre la dalle suprieure et le reste du coffret. Ces caveaux sont implan-ts dans les divisions nos 48, 49 et 50, dans un environnement paysager impos par le cahierdes charges, pour recycler les gaz de dcomposition rejets. Document tlcharg depuis www.cairn.info - - - 181.213.73.3 - 01/07/2015 14h53. L?Esprit du temps Document tlcharg depuis www.cairn.info - - - 181.213.73.3 - 01/07/2015 14h53. L?Esprit du temps 62 TUDES SUR LA MORTsuccdant la fosse commune qui jusque-l accueillait les corps des plus dmu-nis, dune amlioration manifeste. Le corps repose dans un caveau individuel etnest plus align, en terre, avec les autres, sur plusieurs niveaux. Il est plusfacilement reprable, partir du cahier denregistrement de la Conservation ducimetire et de fait, son exhumation ventuelle (pour identification) sen trouvefacilite. Pour les fossoyeurs, comme pour les responsables des Cimetiresparisiens, linvestissement concd par la Ville de Paris11 est la mesure desamliorations aussi bien techniques et thiques que ces caveaux apportent.Cependant, il faut apporter un bmol cette efficacit technique applique lacclration du retraitement des corps : certains fossoyeurs tmoignent quaubout de cinq ans, le rsultat nest pas toujours la mesure des estimations.Plusieurs raisons techniques et culturelles peuvent expliquer cela. Dune part, lesdiffrences entre la pression atmosphrique diurne et nocturne seraient moinsimportantes au nord de la Loire quau sud, attnuant ainsi loptimisation du fonc-tionnement mme du systme. Dautre part, les pratiques culturelles mortuairesen vigueur contrarient elles-mmes cette logique : de fait, si habiller un cadavrepour linhumer ne facilite pas la circulation de lair et sa dcomposition rapidedans ce type de caveau, sa disposition sous housse tanche, non biodgradable,par lIMLinterdit compltement celle-ci. Il nous faudrait des cadavres nus pourarriver un meilleur rsultat convient un fossoyeur.Interrog rcemment sur ces dysfonctionnements ventuels et sur uneenqute dvaluation quils auraient pu susciter, un responsable de ce secteur la Mairie de Paris a sembl tomber des nues. Il ne serait pas sans intrt quunevaluation officielle infirme ou confirme le constat des hommes de terrain qui setrouve dailleurs tay, pour lobservateur anonyme, par ladjonction discrtedans le caveau par un personnel de SFVP, lors de linhumation, dune petite botede substance non identifiable dont la fonction est sans doute de pallier cela.Dans le champ symbolique dont la pauvret tait la mesure des dfunts,laction mene par lassociation Aux captifs la libration12, permit dobtenirde la part de la Mairie de Paris, des amliorations manifestes : depuis les plaquesnominatives qui furent places sur les caveaux ds lt 2001, en passant par ledpt dune petite gerbe de fleurs sur chaque caveau lors de la fte de la Toussaintde cette mme anne, jusqu la clbration laque organise et accueillie lHtelde Ville de Paris par M.B. Delano, le 11 juin 2002 la mmoire des morts de11.Entre 1991 et 1994, la Ville de Paris a investi 3 811 225h dans limplantation de 1800de ces caveaux. Depuis cette date, une seconde tranche de 228 caveaux a t ralise en 2000,et 330 nouveaux en 2001. La socit Augival est passe sous le contrle de Vivendi.12. Contact par C. Rocca, charge de mission sur ce sujet, en novembre 2000, je lui avaisdonn un article (D. Terrolle, 1999) tablissant la premire version des rsultats de ma recher-che. Cest ce dernier qui servit de base cette association pour susciter la campagne de pressequi alerta lopinion publique en mai 2001 sur ce sujet. propos de laction de cette association,lire larticle de C. Rocca publi dans ce mme numro. Document tlcharg depuis www.cairn.info - - - 181.213.73.3 - 01/07/2015 14h53. L?Esprit du temps Document tlcharg depuis www.cairn.info - - - 181.213.73.3 - 01/07/2015 14h53. L?Esprit du temps DANIEL TERROLLE LA MORT DES SDF PARIS :UN RVLATEUR SOCIAL IMPLACABLE63la rue, le traitement funraire de ces dfunts sest lvidence amlior et unelarge prise de conscience, tant dans le public que dans linstitution municipale,sest effectue. Si lanthropologue constate que ces personnes ne sont plus lobjetde la sgrgation qui les frappait mme comme dfunts, il remarque cependantque, avec la poursuite de cette sgrgation de leur vivant, labsence de chiffrespertinents relatifs leur dcs persiste. Mais ceci dune manire diffrente :au mutisme total prcdent succde maintenant un bruit assourdissant, uneprofusion de chiffres qui, recoups et analyss finement, restent contradictoires.Ainsi, sans doute pour faire la preuve que cette question nest en rien redoutable,la communication produit une surenchre daffirmations numriques, toutesplus affirmatives et diversement fondes les unes que les autres. Au silence dela dissimulation, devenu intenable en regard de laction mene par cetteassociation, succde le vertige des effets dannonces qui est une autre manirede noyer le poisson. Le dossier de presse diffus par la Mairie de Paris sur ce sujetlors de la dernire Toussaint est de ce point de vue difiant : des nombres sontcits, des tableaux chiffrs sont produits, et lon retrouve mme un itemSDFdans ceux-ci... alors que la direction du SFVP dclare au chercheur, quelquesmois aprs, quil est impossible de dgager significativement un itemSDFparmiles dfunts dont ils traitent les dossiers (lesquels servent de base de donneexclusive la Mairie de Paris). Avec cette surenchre numrique, un autre effetde cette campagne de presse sest manifest : ce sujet est devenu subitementsensible pour la Mairie de Paris, au point que laccs du chercheur aux sourcesstatistiques du SFVP (qui avant cela navait pas pos de problme) fait lobjetdun entretien pralable la demande du directeur de cette entreprise. La trans-parence affiche est donc loin de linnocence premire, et son aveu revendiquofficiellement avoue le verrouillage de cette question. Il ne manque plus quela nomination dun comit de spcialistes pour parachever lenterrement de cenombre de morts derrire lalibi de difficults aussi techniques quthiques.On laura compris, si, dans le champ symbolique des choses ont chang,lenjeu du nombre de ces dcs reste le mme. Pour quelle raison?LAMORT : UN ENJEU SOCIAL?Sinterroger sur la dissimulation de ces chiffres implique de rflchir, enparallle, sur lattitude trs ambivalente de notre socit vis--vis des autresdcs : ainsi celle-ci adopte-t-elle en regard des diverses causes de mortalit quifrappent sa population des positions fort diffrentes. Dit autrement, toutes lescauses de mortalit ne font pas lobjet, en France, de la mme volont statistiqueni du mme traitement mdiatique.De fait, lenqute mene tant auprs de lINSEE que de lINED a mis envidence, de la part des responsables contacts, le mme constat dj voqu : se Document tlcharg depuis www.cairn.info - - - 181.213.73.3 - 01/07/2015 14h53. L?Esprit du temps Document tlcharg depuis www.cairn.info - - - 181.213.73.3 - 01/07/2015 14h53. L?Esprit du temps 64 TUDES SUR LA MORTrfugiant derrire labsence de volont politique de faire avancer vritable-ment cette question, ces spcialistes se renvoient la balle dinstitution institution.Dautre part, pourquoi dun point de vue mdico-lgal, aucune tude nestparue sur cette question alors que lInstitut mdico-lgal occupe une place nodaledans la connaissance du nombre et de la cause de ces dcs sur Paris ?Quant au traitement mdiatique que notre socit donne aux diversescauses de dcs, on peut aussi remarquer quentre le nombre de dcs par acci-dents de la circulation et ceux par suicide, son attitude varie considrablement.Si les premiers sont largement publis, les derniers sont occults systmati-quement. On ne peut allguer pour expliquer cela une diffrence de pertinencestatistique entre les deux: si les dcs dus aux accidents de la circulation sontclairement enregistrs, ceux relevant du suicide, mme sils restent pris dans descontextes qui influencent leur dclaration comme tel13sont considrs commepertinents.Il faut donc chercher ailleurs les motivations de ces diffrences de traitementtant des groupes sociaux que des causes de dcs, tant de la publicit qui sattache certains que de lobstination la dissimulation qui tente de masquer les autres.Cest en cela quune anthropologie de la mort reste justement rvlatrice dufonctionnement des vivants.QUEL NOMBRE DE MORTS?la lumire des lments prcdents, quest-ce qui serait mme de motiverde telles attitudes envers la mort des SDF? Sagirait-il, en volume, de limportancedu nombre de ces dcs ? Il est vident que la rponse primordiale rside l. Maisquapportera comme explication la rvlation de ce nombre si lon nest pas enmesure de le rapporter celui des SDF vivants ? de pouvoir tirer de ces rapportsun pourcentage global et des pourcentages diffrencis (par causes) de mortalit,et de les comparer avec ceux qui sont relatifs au reste de la population franaise ?Sans nul doute, lobtention du nombre de dcs de SDF, selon le sexe, lge,par mois et par anne, sur Paris, permettrait de remettre en question bien des idesreues (quentretiennent dailleurs de nombreuses campagnes caritatives) commencer par celle, par exemple, de la forte mortalit hivernale qui frappe ces13. Dans son rapport au Conseil conomique et Social sur Le suicide (rapport du06/07/1993, J.O., n 15, 30/07/1993), M. Debout voque la pression des familles, motive pardes raisons religieuses, sociales mais aussi conomiques (relativement une assurance vie)pour que le suicide ne soit pas dclar comme tel. Pour ces raisons et dautres lies des dys-fonctionnements institutionnels rcurrents (comme le frquent oubli des parquets, en cas dau-topsie, renvoyer les bulletins de dcs) il value alors 20 % la variation destimation dunombre des suicides en France, chiffre qui, selon lui, ne remet pas en cause la pertinence desanalyses statistiques sur ce sujet. Document tlcharg depuis www.cairn.info - - - 181.213.73.3 - 01/07/2015 14h53. L?Esprit du temps Document tlcharg depuis www.cairn.info - - - 181.213.73.3 - 01/07/2015 14h53. L?Esprit du temps DANIEL TERROLLE LA MORT DES SDF PARIS :UN RVLATEUR SOCIAL IMPLACABLE65personnes alors que bien des lments permettent de penser quau contraire,le pic de mortalit des SDF Paris se situe la priode estivale, au mois daot.Un autre intrt serait danalyser dans la dure, sur plusieurs annes, la constanceou non de ces rsultats. Enfin, ltude des causes de la mortalit de ces personnesserait du plus vif intrt pour clairer tant la comprhension de leur mode de vieque celle de leur tat sanitaire et pidmiologique, en regard de lassistance quileur est apporte.Au-del de cela, et pour faire un pas dcisif de plus il faut que le nombre deces dcs puisse tre rapport une valuation pertinente du nombre des SDFvivants, sur Paris. Lobtention de cette seconde rfrence nest pas impossible envisager mme si la liquidit de cette population tant dans lespace quedans le temps ne rend pas les choses aises. Il serait alors possible de confirmerou dinfirmer, pour Paris, les rsultats produits par dautres tudes menes ltranger sur cette question que, tant nos spcialistes des SDFque nos Obser-vatoires de la pauvret et que lInstitut mdico-lgal font semblant dignorer.Ces travaux effectus plus de vingt ans de distance et dans deux pays diff-rents, en Sude et aux tats-Unis, ne manquent pas pourtant dintrt dans laconvergence de leurs rsultats : en Sude, C.H. Alstrom, R. Lindelius et I. Salum, partir de ltude de six mille trente-deux dossiers de SDF, entre 1969 et 1971,dnombrent trois cent vingt-sept dcs, soit une mortalit observe quatre foisplus leve que la mortalit estime. Ils mettent en vidence que la mortalit paraccident est douze fois plus leve et celle, issue de maladies digestives ou respi-ratoires, sept fois plus leve, que celle de la population de rfrence. Enfin,selon eux, la population SDF de moins de quarante ans a, globalement, un risquede dcs neuf fois plus lev que la population gnrale. Aux tats-Unis,J. R. Hibbs, L. Benner, L. Klugman et dautres, partir dune tude mene surPhiladelphie, soulignent en 1994 que les personnes itinrantes ont un taux demortalit quatre fois plus lev que dans le reste de la population. Autant dire quela situation de SDF ne rime pas avec limportance de lesprance de vie : tout lemonde sen doute mais personne ne le dmontre. Pourquoi alors labsence mani-feste dintrt de ces institutions et de ces chercheurs, en France, pour travaillersur cette question?UNE HYPOTHSE TROUBLANTELethnologue est bien oblig dmettre, face ce constat accablant, lhypo-thse selon laquelle tout se passe comme si, au-del des apparences et desdiscours, la mortalit sans nul doute excessive des SDF reprsentait la fois unechose impossible avouer mais galement une solution tacitement et collective-ment acceptable. Cette attitude dabjection sociale garantit en fait lillusion quela solidarit que notre socit manifeste envers les SDFest pertinente. Le mutisme Document tlcharg depuis www.cairn.info - - - 181.213.73.3 - 01/07/2015 14h53. L?Esprit du temps Document tlcharg depuis www.cairn.info - - - 181.213.73.3 - 01/07/2015 14h53. L?Esprit du temps 66 TUDES SUR LA MORTsur ces morts permet ainsi de justifier la prennit de tout lensemble du dispo-sitif en place : le traitement de lurgence sociale tel quil est mis en place etdfendu malgr ses rsultats aberrants, mais aussi sa dlgation par ltat ausecteur associatif et caritatif quil finance directement en le subventionnant (sansobligation de rsultats) et indirectement par le biais des dductions fiscalesconsenties aux dons humanitaires. Or, les aspects conomiques de cette gestionde la pauvret font apparatre une logique de march, avec ses financementspublics et privs, ses entreprises du social qui, au-del des bnvoles magnifiquesde dvouement, ont une masse salariale croissante et des stratgies mdiatiqueset publicitaires qui tmoignent de la concurrence existant pour se rpartir les partsde ce march. Pour que ce dernier prospre dans la bonne conscience gn-rale, il est ncessaire que ces morts occults, qui sont des tmoins charge de lafaillite du dispositif et de sa logique, restent dans le silence institutionnel et socialobstin qui leur sert de linceul. Ainsi on peut comprendre que si 94 95 %des SDF ne se rinsrent que par une mort rapide, lefficacit conomique de cemarch nest pas chercher dans ses rsultats mais surtout dans limaginairerassurant quil entretient relativement la probabilit de ceux-ci.Ainsi, se nouent dans cette hypothse dune part la dimension conomiqueet sociologique de cette question, et dautre part la dimension du sacr (lac maisaussi religieux), dans le sens o, avec la mort, saccomplit la logique sacrifi-cielle14 dans laquelle sinscrivent les SDF qui ce terme seulement accdent une rinsertion. Lors de cette mort, ils renouent avec une identit, jusque-ldnie ou perdue ; ils retrouvent une inscription administrative, un ancrage spatialet temporel officiel (mme sil ne dure que cinq annes au cimetire de Thiais) ;ils sont resocialiss par des rites funraires (certains rintgrent leur ligne dansle caveau familial) et par le devoir de mmoire que ceux-ci impliquent.Cette sorte de bnfice des victimes, rendues consentantes dans leuragonie par limplacable logique du procd15 Il ne me reste plus qu mourir concde avec justesse un SDF puis et dtruit par la vie la rue reste bien lamoindre des choses que notre socit puisse accorder ces personnes en recon-naissance, sans doute inconsciente, de tout ce que leur mort nous permet degarantir : le dtournement de la violence interne de la socit (Girard R., 1972),notre cohsion sociale , notre lien social , notre inclusion. Sans parler delalibi aussi thique quinattaquable quelles reprsentent pour justifier le marchde la pauvret, le recyclage de nos stocks et de nos invendus alimentaires, et,finalement, notre bonne conscience .14. Terrolle D., 1995, La liminarit des SDF. Rites de sgrgation et procdure sacrifi-cielle , Le Nouveau Mascaret, Bordeaux, 36, pp. 9-14.15. Lempert B., 2000, Critique de la pense sacrificielle, Paris, Seuil, 235 p. Document tlcharg depuis www.cairn.info - - - 181.213.73.3 - 01/07/2015 14h53. L?Esprit du temps Document tlcharg depuis www.cairn.info - - - 181.213.73.3 - 01/07/2015 14h53. L?Esprit du temps DANIEL TERROLLE LA MORT DES SDF PARIS :UN RVLATEUR SOCIAL IMPLACABLE67UN PACTE ABJECT...Cette abjection rencontre en tudiant lenvers de la socit, lors de cetterecherche, nest gure nouvelle pour les anthropologues dont le devoir est deconstruire leurs objets scientifiques au-del des reprsentations sduisantes quetoute socit se complat donner delle-mme.En assistant la clbration donne pour les morts de la rue lHtel de Villede Paris, le chercheur ne pouvait sempcher de penser la pertinence de laremarque de C. Lvi-Strauss (Lvi-Strauss C. 1955, 277) : ... La reprsentationquune socit se fait du rapport entre les vivants et les morts se rduit un effortpour cacher, embellir ou justifier, sur le plan de la pense religieuse, les relationsrelles qui prvalent entre les vivants . En clbrant ainsi leur mmoire, en vo-quant leur fin, en chantant pour eux, quest-ce qui se ponctuait et se sanctifiaitainsi sinon, travers ces victimes ainsi sacrifies, le pacte nous liant au Dieuobscur16...Daniel TERROLLELaboratoire dAnthropologie Urbaine,CNRS27 rue Paul Bert94204 Ivry sur Seine [email protected]., LINDELIUS R., SALUMI., 1975, MortalityAmong Homeless Men,British Journal of Addiction, Alcohol and Other Drugs, n 70, pp. 245-252.BERGIER B., 2000, Les Affranchis. Paris, LHarmattan, 207 p.DAMONJ., FIRDIONJ.M., 1996, Vivre dans la rue : la question SDF, in PaugamS. (sousla dir.), Lexclusion. Ltat des savoirs, Paris, La Dcouverte d., 583 p.DECLERCKP., 2001, Les Naufrags, Paris, Plon, 458 p.DEBOUT, 1993, Le suicide, Rapport du Conseil conomique et Social, J.O. n 15.GIRARDR.,1972, La violence et le sacr, Paris, Grasset, 452 p.HIBBS J.R., BENNERL., KLUGMANL., SPENCERR., MACCHIAI., MELLINGERA.K., FIFED., 1994, Mortality in a Cohort of HomlessAdults in Philadelphia , NewEngland Journal of Medicine, n 331, pp. 304-309.16. Zaloszyc A., 1994, Le Sacrifice au Dieu Obscur, Nice, ZEditions, 95 p. Document tlcharg depuis www.cairn.info - - - 181.213.73.3 - 01/07/2015 14h53. L?Esprit du temps Document tlcharg depuis www.cairn.info - - - 181.213.73.3 - 01/07/2015 14h53. L?Esprit du temps 68 TUDES SUR LA MORTLEMPERTB., 2000, Critique de la pense sacrificielle, Paris, Seuil, 235 p.LVI-STRAUSS C., 1955, Tristes tropiques, Paris, Plon, 490 p.POUILLON J., 1977, Plus cest la mme chose, plus a change , Nouvelle Revue dePsychanalyse, 15.TERROLLE D., Dir., 1993, Errances urbaines. Recherche en ethnologie urbaine.Rapport pour le Plan Urbain Construction et Architecture, 230 p.TERROLLE D., 1995, La liminarit des SDF. Rites de sgrgation et procdure sacri-ficielle , Le Nouveau Mascaret, n 36, pp. 9-14.TERROLLE D., 1999, Privs de deuil, Le Nouveau Mascaret, n 55, pp. 26-32.ZALOSZYC A., 1994, Le Sacrifice au Dieu Obscur. Tnbre et puret dans la commu-naut. Nice, ZEditions, 95 p.RSUMEn mettant jour lescamotage systmatique des donnes relatives la mortdes SDF Paris, lethnologue questionne le mutisme dlibr de lensembledes institutions et des spcialistes pourtant concerns par cette population.Lenqute de terrain arrive retracer le parcours de ces dfunts, les difficultsrencontres, les rticences quelle suscite. Elle amne le chercheur sinterro-ger sur lenjeu redoutable que reprsentent ces morts : tmoins charge de lafaillite dun systme qui les instrumentalise, mais aussi victimes sacrificiellesncessaires au maintien de la cohsion sociale .Mots-cls : SDF Mort Sacrifice.SUMMARYDatas of SDF (homeless) mortality seem to be systematically hidden in Paris.The ethnologist tries to understand the reasons of this intentional muteness ofinstitutions as specialists of this population. The fieldwork investigation recallsthe course of these deceased, the problems and reserve that they generate. Theresearcher asks himself what kind of challenge those dangerous dead personsrepresent : witnesses of the failure of a Society that use them as objects, butalso necessary victims of the maintenance of social cohesion.Key-words : Homeless Death Sacrifice. Document tlcharg depuis www.cairn.info - - - 181.213.73.3 - 01/07/2015 14h53. L?Esprit du temps Document tlcharg depuis www.cairn.info - - - 181.213.73.3 - 01/07/2015 14h53. L?Esprit du temps