ESLM_130_0047

LA MORT SANCTIFIE

Claude Bersay

L'Esprit du temps | Etudes sur la mort

2006/2 - n 130pages 47 53

ISSN 1286-5702

Article disponible en ligne l'adresse:--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

http://www.cairn.info/revue-etudes-sur-la-mort-2006-2-page-47.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Bersay Claude , La mort sanctifie , Etudes sur la mort, 2006/2 n 130, p. 47-53. DOI : 10.3917/eslm.130.0047--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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LA MORT SANCTIFIE

Claude BERSAY

Elles mmeuvent les afchettes grisesQui timbrent les murs de chaque ville

Avec des photos denfants martyrsLa clef du Paradis au cou

Ils furent fauchs comme du bl vertSans avoir le temps de mrir...

R.H. Thran, juillet 1983

Depuis la nuit des temps, des hommes ont sacri leur vie pour une cause, pour un idal, ou par amour. Ces hommes ont t clbrs et leur mmoire honore par les potes et dans les livres dhistoire ; hrosme dun jour ou dune vie.

Rcemment, ce phnomne, par nature exceptionnel, sest banalis. Des gens, de plus en plus nombreux, acceptent de mourir pour tuer, non seulement des soldats, mais aussi de simples civils que le hasard a mis sur leur route.

HISTORIQUE

- Samson, lorsque ses forces furent revenues, t scrouler le Temple sur les Philistins et perdit vie en mme temps que ses ennemis.

tudes sur la mort, 2006, n 130, 47-53.

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48 TUDES SUR LA MORT

- L islam mdival, fut marqu, du IXe au XIIIe sicle, par laction de la secte ismalienne des Assassins. Leur sige ft longtemps le Chteau dAlamt, bti plus de 1800 mtres daltitude, sur la crte dun norme rocher. Cette secte, venue de Syrie, chercha renverser lordre existant dans lislam mdival et tablir une socit nouvelle dirige par limam, lhritier du Prophte et, selon eux, seul chef lgitime de lhumanit. En 1092, les ismaliens remportrent leur premier succs en liminant le tout puissant vizir Nizam al Mulk Si. Ainsi commena une longue srie dagressions, qui, dans une guerre de terreur bien ordonne, allait apporter la mort tous les souverains, princes, gnraux, gouverneurs et mme thologiens qui avaient condamn les doctrines ismaliennes. L autorit appartenant un seul individu, llimination de cet individu apparaissait donc comme le moyen simple et radical deffectuer un changement politique.

Pour les ismaliens, les Assassins formaient un corps dlite dans la guerre contre les ennemis de limam. En frappant les oppresseurs et les usurpateurs, ils donnaient lultime preuve de leur foi et se gagnaient une flicit ternelle. On citera deux quelques phrases :

- La rponse des Assassins Saladin qui menaait de les tuer. Nos hommes recherchent lintimit de la mort. Menace-t-on un canard de le jeter leau ? .

- Frres, lorsque lheure du triomphe arrivera avec pour compagne la bonne fortune dans ce monde comme dans lautre, alors un seul guerrier pied pourra frapper de terreur un Roi, possderait-il plus de 100000 hommes cheval ! .

- Les Japonais. En 1944, devant la menace dun dbarquement amricain aux Philippines, lamiral Onichi, chef des forces ariennes japonaises reut lautorisation de crer un corps de kamikazes. Le terme de kamikaze vent divin avait t choisi en mmoire dun ouragan providentiel qui avait dtruit, au XIIIe sicle, la otte dinvasion mongole. Les avions, chargs dexplosifs, devaient scraser sur des cibles ennemies. Malgr leur nombre (prs de 1900 attaques suicides lors de la bataille dOkinawa), cette arme du dsespoir ne put empcher la dfaite japonaise.

- Attentats sur diverses cibles essentiellement occidentales depuis une quinzaine dannes. Le plus spectaculaire et le plus meurtrier reste celui du 11 septembre 2001, la collusion volontaire davions civils remplis de passagers sur les tours World Trade Center, New York, entranant la mort de prs de 3000 personnes.

Beaucoup des kamikazes actuels sont des musulmans. En effet :

1) Un certain nombre de guerres actuelles se droulent en pays arabes ou concernent des musulmans : Palestine, Tchtchnie, Afghanistan, Irak.

2) La mouvance Al Qaida. Al Qaida est une organisation islamiste radicale qui commet des actions terroristes spectaculaires sur des cibles occidentales ou certains pays arabes.

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49CLAUDE BERSAY LA MORT SANCTIFIE

Dnition du terrorisme :

ONU 8 dcembre 1999. Tout acte destin tuer ou blesser gravement un civil ou une personne qui ne participe pas directement aux hostilits dans une situation de conit arm, lorsque par sa nature ou son contexte, cet acte vise intimider une population ou contraindre un gouvernement ou une organisation internationale accomplir ou sabstenir daccomplir un acte quelconque.

Pour Raymond Aron : est dite terroriste une action de violence dont les effets psychologiques sont hors de proportion avec les effets purement physiques (le jugement serait videmment modi si les terroristes parvenaient semparer darmes de destruction massive).

Ce terrorisme accompli au nom de lislam ne concerne quune inme minorit de personnes sur plus dun milliard de musulmans dans le monde.

Motivations:- Rcuprer les terres musulmanes, notamment celles, sacres, de Jrusalem

et dArabie Saoudite.- Chasser des terres musulmanes les gens au pouvoir qui ne respectent pas la

charia.- Pour les plus ardents, diffuser au monde entier la foi musulmane.- Conviction des islamistes tre les seuls connatre la route du Paradis,

conviction qui, si elle nest pas nouvelle, navait pas pris depuis le Moyen Age, une forme si exalte. Comment les lois rpublicaines faites par des hommes pourraient-elles tre suprieures celles de lIslam, dorigine divine ?

Par malchance, lOccident croit connatre, lui aussi, la route du Paradis : la dmocratie, la socit de consommation, le capitalisme...

Comment peut-on tre Kamikaze ? Pourquoi tuer des inconnus ? Pourquoi se tuer ? Pourquoi y a-t-il tant de candidats ?

I. Considrations gnrales :

Le suicide altruiste obligatoire de Durkheim. Absorb dans la mouvance dune collectivit qui se dfend ou qui safrme, lindividu ne peut se soustraire une mort quil estime indispensable la cause commune. La personne qui accomplit ce type de suicide a pralablement assimil une valeur qui lui est offerte par le groupe auquel elle appartient. Les valeurs varient selon les socits. Pour cette raison il est difcile de comprendre une mort volontaire accomplie en vertu dune valeur qui nous est trangre.

La mort volontaire des militaires japonais et des militants islamistes est un suicide altruiste, un consentement libre au sacrice de leur vie pour servir une cause troitement lie leur communaut dappartenance. Pour les japonais

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lopration kamikaze est une stratgie militaire efcace ayant comme cible des quipements et des soldats ennemis. Elle est inspire par une longue tradition de mort volontaire dans lthique du samoura. Quant aux attentats islamistes, ils sont excuts par les militants dans la conjoncture du djihad, lutte arme transnationale o le religieux et le politique sont intimement lis. Le croyant se soumet la volont de Dieu et accomplit la vindicte divine entranant dans la mort une population civile imprcise juge non pas innocente mais vivant dans lignorance et donc complice du systme capitaliste occidental estim foncirement injuste et inquitable.

II. Autres motivations :

- Le dsespoir devant une situation juge insupportable ou rvoltante.

- Sentiment dhumiliation aviv par le souvenir de la gloire passe du monde musulman. Entre le dclin de lantiquit Grco-romaine et la naissance de lEurope moderne, lislam ft la civilisation la plus brillante, grce ses grands et puissants royaumes, son industrie et son commerce orissant, son originalit et son inventivit dans les sciences et lettres. Il y a eu un apport considrable de penseurs et de savants musulmans qui ont permis aux socits europennes dmerger de la nuit du Moyen Age, mais, depuis, lOccident a pris une avance notamment dans les domaines scientique et militaire. L Occident et, tout particulirement, lAmrique, font lobjet dune fascination rpulsion dans la monde arabe, qui se traduit, la fois, par un sentiment de convoitise et par une haine dune ampleur sans prcdent chez des peuples qui narrivent pas sortir du sous dveloppement.

- Les musulmans ont limpression de se heurter un Occident hostile non seulement dans les divers conits o ils sont engags ; mais, galement, dans leurs tentatives dintgration dans les socits daccueil. En outre, ils se sentent menacs par le modle culturel occidental sur la sexualit, sur les relations hommes-femmes, sur le consumrisme qui inclut lalcool, les drogues et les perversions sexuelles parmi lesquelles les islamistes placent lhomosexualit, menace qui se traduit par une sduction malsaine sur les socits musulmanes. Les liberts occidentales dtruiraient lordre de Dieu.

Ces sentiments de dsespoir ou dhumiliation ont t ressentis par divers peuples travers les ges sans jamais provoquer une telle eforescence de kamikazes. Aussi faut-il chercher dautres explications :

1) Le prol psychologique ? Le suicide qui accompagne lacte terroriste est de nature conforter lide dune maladie mentale. Mais on ne dtecte pas de maladie mentale patente. Ce sont plutt des individus quilibrs. Ce suicide se tient bien au-del du devoir et ne saurait tre le signe dune pathologie.

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Il apparat dans un contexte social, historique, religieux, culturel prcis qui rejette le suicide mais reconnat la noblesse du martyre quil encourage. Le terroriste nest pas un criminel au sens habituel ; sil enfreint la loi cest au nom de Dieu, pas son bnce personnel. Si, de lextrieur on peroit surtout linstinct meurtrier du terroriste, vu de lintrieur, cest son dsir de mourir qui prime. Ces gens aspirent devenir des martyrs, des tmoins de Dieu, pas des assassins !

2) Un phnomne de classe sociale ? Apparemment pas plus. On y trouve tous les niveaux aussi bien conomiques quintellectuels.

3) Il y a, nanmoins, quelques points communs (Marc Sageman sur un chantillon de 172 terroristes) :

- Le jeune ge.- Un mme parcours. La religion est le point de ralliement. La religion rgle

chaque instant de leur vie selon leur interprtation du Coran ; et le combat (djihad) serait le moyen de changer le monde. Le martyre est le sommet du djihad, la forme ultime de dvotion pour Dieu. Ils se sentent investis dune mission sacre : dbarrasser le monde de ses impurets et rcuprer tout territoire musulman occup par des incroyants.

- Autre moteur, la victimisation. L autre est mauvais. Images denfants morts ou blesss montrs en boucle. L Occident a pris de lavance grce aux biens pills aux musulmans. Il y a une psychologie politique de la haine. Obligation de se trouver des ennemis pour aboutir la violence.

- La dynamique de groupe les anime. Seuls ils ne passent pas lacte mais ils le feront en groupe ou pour le groupe. On ne bascule pas dans le terrorisme du jour au lendemain. La radicalisation se fait au terme dune longue priode. On entre dans un groupe parce quon y a des amis, puis on adopte leurs convictions. Rester en groupe permet de garder la motivation. Ce qui fait accepter aux gens dtre tus cest la pression du groupe. L amour du groupe rend mieux compte de leur comportement que la haine de lextrieur. L Islam contrairement aux autres religions occidentales est davantage quun simple assortiment de croyances. Cest aussi un mode de vie impos par Dieu.

- Le courage des musulmans face la mort compenserait leur infriorit vis--vis de la technique occidentale. Dans sa culture de la vie quotidienne, lOccident en est venu bannir la violence et la mort. En opposition cette tendance, les islamistes promeuvent la mort comme expression dune ralisation de soi absolue, par d, en rupture avec la banalit de la vie. Elle peut permettre daccder, surtout si lon meurt sur le chemin de Dieu , aux flicits ternelles Je hais la vie et jaime la mort. Jaime la mort comme vous aimez la vie. Nous sommes prts mourir, pas vous (VIIe sicle) . Le contexte mdiatique mondialis donne le maximum de publicit au spectacle de cette mort et induit la frayeur chez les occidentaux. La peur de la mort serait le talon dAchille de lOccident.

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4) Sur le plan stratgique, intrt des oprations martyres qui sont les plus aptes iniger des pertes lennemi et les moins coteuses en vies humaines.

Argumentaire :

- Pas de distinction entre combattants et non combattants. Les victimes ne sont pas dsignes en fonction de ce quelles font mais de ce quelles sont. On tue lautre parce quil est crois , juif ou indle ou mme chiite ou sunnite. Il y a l une parent inquitante avec les gnocidaires. L absence de sentiment de culpabilit est li la perception de lOccident inigeant le mal aux musulmans et lide que lagression contre lislam justie la violence en retour.

- Les promesses de lAu-del sont sans garantie ; il faut tre croyant. Il y a l une certaine quivalence avec le pari de Pascal mais ce dernier ne pariait pas avec la vie des autres.

- L arrive en masse des kamikazes la fois dans les confrontations militaires et dans le terrorisme, ce jeu avec la mort de leur vie et de celle des autres nous est difcilement comprhensible. Le respect de la vie humaine est un impratif de la civilisation en Occident. Mme sil est loin dtre toujours respect cest un idal vers lequel on doit tendre. La peine de mort a t supprime dans de nombreux pays.

Dans les situations ou lon est contraint dy faire exception, on doit limiter de telles exceptions celles qui sont strictement ncessaires. Et mme celles-ci peuvent faire dbat comme cela sest produit, il y a quelques annes, lorsque la police a abattu le gangster Mesrine et le terroriste du jardin denfants de Neuilly, criminels qui ne mritaient pourtant pas que lon sapitoie sur leur sort.

- Il faut dire que pour beaucoup des croyants, la parole de lIslam peut tre porte paciquement, sans recours la violence, comme durant la priode mecquoise de la vie du Prophte.

Cette opposition entre Islam radical et Occident nest pas un simple affrontement militaire, cest une guerre de civilisation. Ce nest pas un combat sur le terrain qui la rglera mais une volution dans les esprits. Pour les musulmans qui vivent en Occident, on attend des intellectuels, musulmans et non musulmans quils essaient dadapter les enseignements de lislam avec les principes de la dmocratie.

Claude BERSAYCardiologue

Secrtaire Gnral de la Socit de Thanatologie

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BIBLIOGRAPHIE

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