Espagne en mutation

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Synthèse d'articles tirés de mon blog @Geographedumond

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Espagne en mutation

18 octobre 2006. Avant que le Courrier International n833 n'arrive dans les kiosques (c'est--dire demain), je m'empresse de conseiller mon lecteur le prcdent numro. Ma curiosit s'est porte non sur un article discrtement remis en page par la rdaction de lhebdomadaire. Il se prsente comme un synthse de plusieurs articles de journaux espagnols et portugais, le tout sous un dnominateur commun, l'Ibrisme : O lon reparle dune Union ibrique (). L'accroche choisie par lauteur anonyme est un sondage. Celui-ci fait apparatre que plus dun quart des Portugais verrait dun bon il lunion de leur pays avec son voisin oriental.Les arguments go conomiques ne manquent pas pour tayer cette opinion, comme le rappelle lauteur. Viennent sy ajouter les faits culturels ; lauteur cite un Lisbote : 'Nous partageons les mmes icones littraires et footballistiques, les plages et la gastronomie.' (Sic !) Malheureusement, si lon suit toujours lauteur de larticle, les opposants forment des bataillons entiers. Cest plus particulirement cette dernire catgorie qui mintresse dans larticle, car lon y trouve une collection dinepties. On peut en outre constater quun raisonnement dont les arguments ont t forgs pour conduire une conclusion prpare l'avance est un sophisme (au mieux, une opinion).Le sociologue et ancien ministre cit peu importe son nom veut voir dans le lien entre le Portugal et lEspagne une sorte de transposition de lIrlande avec le Royaume Uni ; proposition irrecevable dabord parce que le Royaume Uni comprend lIrlande du nord (au contraire de la Grande Bretagne). Pour lui, 'personne ne songe douter de lindpendance de Dublin par rapport Londres.' Le problme est quune mer appele mer dIrlande spare les deux les dites britanniques : ce qui nest pas le cas entre le Portugal et lEspagne, faut-il le prciser ? Cette mme personne se trompe en outre sur lanciennet des routes commerciales irriguant la pninsule. Elles ne sont pas aussi rcentes qu'il l'imagine, et datent de la haute Antiquit. Elles prcdent donc dans le temps toutes les relations quivalentes entre villes et rgions du nord de lEurope.Le journaliste espagnol dEl Pais convoqu enfin par lauteur anonyme infirme lui-aussi le prsuppos du titre. Non, lunit de la pninsule ibrique ne correspondrait rien : et tant pis pour lhistoire, la gographie, lconomie, etc. Ses arguments sont dune part que les nationalistes portugais naiment pas lEspagne. Mais les nationalistes espagnols naiment pas davantage la France. Et les nationalistes franais dtestent lAllemagne ou lAngleterre. Nest-ce pas l justement la principale caractristique de la pense nationaliste que dtre contre son voisin, de se construire en opposition ?!Son deuxime argument ressemble un lieu commun : les rgionalismes en Espagne sont dj tellement pousss au plan institutionnel qu'une union des deux pays conduirait un clatement de lEspagne. Son troisime argument est quune union ibrique amnerait les Espagnols sappauvrir au profit du Portugal ; la rentre des deux pays dans la CEE en 1986 en est probablement une illustration ses yeux ? () Le meilleur est pour la fin : 'enfin, les frontires de lEurope occidentale ont t plus ou moins dfinies avant le 15me sicle. Je reste coi.En conclusion, lunit de la pninsule doit bien plus lhistoire, la gographie qu lconomie. Celle-ci me parat en loccurrence balayer les illusions de tous ceux qui considrent tort le monde comme une manation des cartes politiques nes au 19me sicle, trs rcemment lchelle de lhistoire humaine. Les cartes tentent au contraire de retranscrire le moins maladroitement possible la complexit du monde. Dans le cas de la pninsule ibrique, les Phniciens, les Romains, les conqurants arabo-musulmans, ainsi que les souverains de Castille, dAragon et du Portugal ont raisonn de faon globale, lchelle de la pninsule. Pendant la guerre dEspagne, le soutien de Salazar a beaucoup pes dans la balance pour le succs des Nationalistes.Car les faits gographiques sont tenaces. La pninsule se rpartit en trois zones bio climatiques (ocanique, semi-continentale du fait des altitudes moyennes de la meseta, et mditerranenne), pour les deux premires recoupes par les frontires politiques. La pninsule se compartimente de surcrot en trois ou quatre grands bassins hydrographiques. Dans le cas du Douro et du Tage, les deux fleuves prennent leur source dans le centre Est de la pninsule et scoulent vers lAtlantique, recoupant dans le sens Est Ouest la frontire (N/S) entre le Portugal et lEspagne. Du point de vue linguistique enfin, il est trs probable quun Galicien non castillan comprenne un Portugais, mais pas un Brsilien ou un Angolais. O lon devrait reparler dune Union ibrique...*22 fvrier 2007. Andalousie. Au dpart, il y a un homme : Blas Infante (1885 1936). Issu de la petite bourgeoisie andalouse, il fait des tudes de droit qui lui permettent de sinstaller lge de 24 ans dans la capitale provinciale, Sville. Il sintroduit alors dans les cercles rgionalistes naissants. Au XIXme sicle, en Espagne, rares sont les progressistes centralisateurs Les premiers font penser la rvolution franaise honnie, et les seconds la monarchie. Infante saffirme vite comme rousseauiste, agrarien, et ce titre attach une religion lie la terre ; le chant finalement choisi par Blas Infante en 1933 (puis repris par les nationalistes andalous) drive ainsi de lAngelus. Mon nationalisme, avant quandalou, est humain. Je pense que, pour la naissance, la Nature signale aux soldats de la Vie lendroit o ils doivent lutter pour elle. Je veux travailler pour la Cause de lesprit en Andalousie car en elle je suis n. En Andalousie, il ny a pas de langue rhabiliter, mais une histoire locale rcrire. Blas Infante participe de ce mouvement qui sacclre la fin du XIXme sicle. La dfaite de lEspagne lissue de la guerre hispano-amricaine (1898) dconsidre durablement lEtat centralisateur et une monarchie critique de toutes parts. Les deux premires dcennies du sicle suivant correspondent en outre une phase de dveloppement rapide de la pninsule, rentre tardivement dans la rvolution industrielle ; contrairement au Portugal engag contre lAllemagne, lEspagne reste neutre pendant la premire guerre mondiale : son conomie en tire tous les bnfices, lAndalousie comprise. Sa faade atlantique, avec le port de Cadiz, est tourne vers lAmrique do arrivent matires premires et produits manufacturs.La premire assemble dite rgionaliste se runit en 1918 Ronda. On y rclame lautonomie, et Blas Infante se fait connatre comme lordonnateur du mouvement, runissant toute lAndalousie derrire le drapeau ray vert et blanc... Directement copi des armes de la ville de Cadiz. Dans le Manifeste de Cordoue (1er janvier 1919), alors que lEspagne traverse une priode de crise profonde des institutions, Blas Infante appelle sans dtour au dmantlement de lEtat espagnol et une sorte dindpendance de lAndalousie.Par la suite, Blas Infante na jamais rencontr de soutien srieux auprs de ses concitoyens : chec lectoral imput la rsistance des caciques. Il rejette la dictature de Primo de Rivera, qui en retour ordonne la fermeture des Centres andalous. Lorsquil prend contact avec des rgionalistes galiciens, cest sans lendemain. La proclamation de la Rpublique en 1931 concide avec son installation comme notaire Sville. A la tte de lAssemble Libraliste Andalouse, il choue cependant une nouvelle fois dans ses tentatives pour se faire lire autour dun programme avant-gardiste : fdralisme, rforme du systme lectoral, de lenseignement, du mariage ou encore de la proprit agricole. Le fondateur de landalousisme va jusqu se piquer de sympathies pour lanarchisme ; nouvelle dconvenue aux lections de novembre 1933.Il participe cette anne-l la rdaction dun Avant-projet pour le Statut dAutonomie. Mais cet avant-projet ne rallie que quelques notables clairs de Sville et Cordoue. A Huelva, on souhaite un rattachement lEstrmadure, tandis qu lest les notables de Grenade, Jaen et Almeria militent pour une fdration dAndalousie orientale A Malaga, on sabstient. Pendant ce temps, lEspagne se dcompose. Les rgionalistes ont dautres chats fouetter !Le 5 juillet 1936 Sville, quelques jours avant le putsch des gnraux (rallis ensuite par Franco), une assemble autoproclame (comme future Assemble Rgionale d'Andalousie) lit Blas Infante prsident dhonneur. Le gnral rebelle Qeipo de Llano simpose avec une poigne de fidles la tte de la garnison dans cette mme ville de Sville, sans rencontrer dopposition, une semaine aprs. LAndalousie devient mme la base arrire des putschistes bientt appels franquistes pour le reste de la guerre. Grce elle, le transfert de troupes au dpart du Maroc permet mme aux rebelles de marcher sur Madrid ds la fin du mois de juillet 1936, trois semaines aprs le pronunciamiento Blas Infante est fusill le 11 aot sur la route de Carmona.Le rgionalisme andalou rapparat dans les annes 1960 et vient au grand jour la fin des annes 1970. Le statut dautonomie est officialis en 1982. Socialistes et autonomistes ont depuis dirig la premire rgion espagnole (deuxime par la superficie) jusquen 2007, date du dernier vote sur lequel il convient de conclure, et qui ressemble sy mprendre une semi indpendance .Mais cette Andalousie Infantise na plus grand-chose voir avec celle davant la Guerre civile. Sur un peu plus de 7 millions dhabitants, plus dun tiers vit dans les grandes villes ; celle, industrieuse de Sville (704 000 hab.), mais aussi Malaga (536 000), Cordoue (315 000) Grenade (240 000) et Cadix (136 000). Ces villes captent une bonne part du tourisme international, en concurrence toutefois avec le littoral (Costa del Sol plus prise que la Costa de la Luz).Peut-on encore parler dEspagne sans lAndalousie ? Cette province nest pas la seule ayant une faade atlantique. Mais que lon regarde la carte : il ny a pas lquivalent du Guadalquivir au nord. La meseta centrale ny est pas borde par des lignes de montagnes, mais au contraire ouverte grce au fleuve. LAndalousie phnicienne, carthaginoise avant dtre romaine fait le lien entre lEspagne et lAmrique. Elle garde enfin toutes les traces dun pass maure.Mais beaucoup se rjouissent dans le reste de la pninsule de la semi-indpendance de l'Andalousie. La sparation comble daise tous ceux qui, plus au nord, y voient une coupure avec lEspagne ibro amricaine, avec lEspagne africaine ; celle du Sud, du soleil des fainants Qui ne se sont dplacs quau tiers du corps lectoral pour valider (certes plus de 90 %) le nouveau statut lectoral. Mais le national rgionalisme se fait souvent rebours du peuple pourtant constamment appel la rescousse Dans les discours. O va lAndalou ? P.S. : Le statut andalou de fev. 2007 fixe "l'identit andalouse (hymne, drapeau, fte) et tablit Sville comme capitale. Comme le statut catalan, il garantit les comptences de la rgion pour viter que l'Etat n'en fasse une interprtation restrictive. Il largit les comptences de la rgion en crant l'Agence fiscale andalouse, une entit qui recueillera les impts locaux et la part des recettes fiscales cde par l'Etat, notamment une partie de l'impt sur les revenus. Il prvoit aussi la cration d'un conseil audiovisuel et d'un institut de mtorologie."*15 septembre 2008. D'aprs Yves Lacoste... Que va-t-il arriver l'Espagne ? Yves Lacoste (voir prcdent papier) entame ainsi son premier chapitre. La question confirme le choix de l'auteur, qui commence par l'Espagne son tude de la Gopolitique de la Mditerrane. Par cette ellipse, il dlaisse volontairement la neutralit qui sied un universitaire. Yves Lacoste ne demande pas comment va l'Espagne, mais considre d'emble qu'elle va mal. Il livre dans le mme paragraphe les responsables des graves difficults traverses par l'Espagne : les sparatistes catalans et basques, qui menacent l'unit du pays. Cependant, cinquante pages plus loin, au moment de clore son chapitre, Yves Lacoste conclut sur l'immigration. Le pril n'a pas disparu, mais aurait chang de nature ?De l'histoire espagnole, le gopoliticien a tir entre temps une conviction expliquant son revirement. On devine une ligne directrice : lEspagne na jamais t un Etat unifi. La Reconquista est le fait de royaumes autonomes les uns par rapport aux autres. En 1474, alors que le califat de Cordoue vit ses dernires annes, l'union des couronnes de Castille et d'Aragon s'effectue dans le respect des privilges et spcificits locales (fueros). La conqute du Nouveau Monde et l'afflux de mtaux prcieux en Espagne fragilisent ensuite le pays. En 1700, le petit-fils de Louis XIV monte sur le trne sous le nom de Philippe V, mais lEspagne peine devenir un Etat moderne. Dans le mme temps, l'alliance avec la France apporte deux dsastres, sous-entend Yves Lacoste : suppression des privilges locaux d'Aragon et de Catalogne sur place, beaucoup contestent la lgitimit de la nouvelle dynastie , et affaiblissement naval. La monte en puissance de l'Angleterre annonce la perte des colonies amricaines.L'histoire mdivale et moderne donne donc du crdit et de l'paisseur aux revendications rgionalistes, si l'on rsume d'une phrase. Pour Yves Lacoste, l'histoire de l'Espagne aprs le dos de mayo 1808 met au contraire au second plan cette question. C'est l mon sens que le gopoliticien prte le flanc la critique. Mme sil lui trouve des excuses, l'arme franaise envahit deux reprises l'Espagne, fragilise l'difice institutionnel et divise durablement les lites intellectuelles et financires que compte le pays. L'auteur s'en tonne comme s'il s'agissait d'un vnement hasardeux : or la guerre na pas cess en 1814 aprs le dpart des Franais. Cette maladie a continu ronger lEspagne ensuite.Le gopoliticien retient cependant du XIXme sicle le combat entre le progrs et une raction plus ou moins incarne par la monarchie bourbonienne, la lutte entre le petit peuple cras et les possdants reprsents par l'Eglise et les grands propritaires. Les deux guerres carlistes (1833 1840 et (1870 1873) illustrent pourtant des fractures internes durables, et la ralit dun caractre rgional bien marqu. En dcoulent la sparation entre Navarrais et Basques en 1936... et la cohabitation actuelle entre deux autonomies distinctes. Pour dcrire enfin lhistoire espagnole la plus rcente, Yves Lacoste sen tient une grille de lecture trs rductrice : la guerre perdue de 1898, vue sous langle de la critique de limprialisme, la guerre civile de 1936 1939 sous langle de lopposition entre fascistes et dmocrates. Cette simplification lui permet de remiser les rgionalismes au second plan.L'opinion perce sous le discours savant : le nationalisme, ici l'chelle d'une rgion, se range dans le camp du bien et de la justice parce qu'il combat le franquisme et qu'il ne s'oppose pas l'instauration d'une monarchie parlementaire Madrid aprs 1975. Dans ce pays de 505.000 km et de 42 millions d'habitants, la constitution de 1978 affirme l'indissoluble unit de la nation espagnole [P.71] mais en mme temps reconnat l'existence des nationalits basque, catalane et galicienne. Dans chacune des rgions concernes, les autorits locales bnficient d'une grande libert pour restreindre l'utilisation du castillan et l'inverse favoriser l'utilisation du basque, du catalan ou du galicien. La Generalitat a ainsi pris la responsabilit d'imposer le catalan aux immigrs extra-europens installs la faveur du boom conomique des annes 1990 2000.Les indpendantismes basque et catalan se heurtent pour finir des obstacles difficiles contourner, suggre Yves Lacoste : la prsence dans les autonomies de populations toutes origines gographiques confondues ne parlant que le castillan, qui se sentent espagnols bien qu'ils soient ns Barcelone ou Bilbao. En outre, les nationalistes basques et catalans ne peuvent gure accuser l'Etat espagnol d'avoir frein leur dveloppement industriel. [P.69] A juste titre, le gopoliticien relve qu'au Pays basque ou en Catalogne, la question de l'indpendance spare sociologiquement les populations : plus on descend dans l'chelle sociale, plus on trouve de familles n'utilisant que le castillan. Les slogans autonomistes ou indpendantistes sduisent les mieux instruits, les catgories socio-professionnelles les plus favorises. Des risques d'clatement existent donc.Les partis autonomistes et / ou indpendantistes laisss eux-mmes rivalisent de propositions pour se dmarquer et dconsidrer leurs adversaires. Une surenchre en rsulte. Le fondateur d'Herodote s'inquite galement des revendications territoriales mettant en cause la frontire franco-espagnole. A l'intrieur de l'Espagne, les plus extrmistes lorgnent sur les rgions voisines : la Navarre pour le Pays basque, les Balares et le pays valencien pour la Catalogne. Pour justifier la comparaison avec une autre pninsule mditerranenne et tayer l'ide d'une balkanisation rampante de l'Espagne, Yves Lacoste constate que les journaux basques et catalans se sont passionns pour l'indpendance de la Croatie et de la Slovnie [...]. En juin 2006, ils ont applaudi la scession officielle du Montngro (500.000 habitants) qui s'est spar de la Serbie, bien que la langue soit commune. [P.74].Selon le mme auteur, deux nationalismes coexistent, lun peu dangereux parce quil saccommode du jeu dmocratique, lautre beaucoup plus. A ses yeux, ETA menace lEspagne, mais a peu de chances dobtenir gain de cause, tant donn que lorganisation criminelle ne bnficie plus de la protection des autorits franaises. Je retournerai personnellement la dmonstration en liant les rgio nationalismes la question migratoire sur laquelle il termine. A mon sens les indpendantistes catalans ont cr un contentieux plus lourd. La Catalogne, qui a prospr grce au dynamisme de Barcelone et au boom immobilier, a en effet attir une main duvre peu qualifie et mal paye. La catalanisation a rendu ces immigrs, et plus encore leurs enfants, esclaves de la Catalogne. La crise conomique (voir vido sur le ralentissement du BTP Madrid) va provoquer des tensions sociales fortes, quand ces Latino-amricains ou ces Africains vont se sentir rejets, obligs de sinstaller dans un ailleurs forcment tranger : moins de trouver un emploi en Andorre, le reste du monde se passe du catalan. On peut certes sinterroger sur lampleur de la remise en cause venir du dynamisme conomique des littoraux, en Espagne ou ailleurs.Je l'annonais au dpart, Dans les deux dernires pages de ce chapitre consacr l'Espagne, Yves Lacoste conclut sur les liens entre immigration et terrorisme. Il distingue au pralable trois vagues successives de migrants. Les tudiants nord-africains de l'aprs-guerre accueillis par les universits de Sville ou de Cordoue arrivent une poque o Franco protge discrtement les nationalistes maghrbins. Les travailleurs qui viennent un peu aprs permettent l'Espagne de se transformer en une puissance agricole exportatrice de fruits et lgumes, surtout aprs son entre dans la CEE en 1986. Dans les vingt dernires annes enfin, les migrants ont oeuvr dans le btiment et les services. Cela prfigure t-il le 11 mars 2004 et les attentats de Madrid ? Le gopoliticien admet au dtour d'une phrase que l'on ne peut trancher facilement cette question, en parlant d'un : rseau islamiste constitu par des Marocains islamistes installs depuis longtemps en Espagne o ils taient relativement bien intgrs. [P.104] Le terrorisme n'a sduit ni le maon construisant un immeuble dans la priphrie de Madrid, ni la femme de mnage travaillant dans un htel de la Costa del Sol, ni l'ouvrier agricole irrigant les plants de tomates sous serre prs d'Almeria. Mais l'amalgame est tentant. Yves Lacoste prsente l'hostilit de l'opinion publique espagnole vis--vis des immigrs comme grandissante : c'est probable, mais selon quels critres ? Les dfis socio-conomiques exposs plus haut semblent en outre plus inquitants que le menace bien hypothtique d'une reconqute de l'Andalousie brandie par des groupuscules islamistes. Que vont devenir les 'petites mains' du mirage conomique espagnol ?*20 fvrier 2009. Banquiers. Un entrepreneur du btiment dans le nord-est de lEspagne (Lleida) a fait rcemment parler de lui. Cribl de dettes la suite de la faillite de son entreprise, le jeune quinquagnaire a dcid au dbut de lanne dernire de prendre le taureau par les cornes. Press par ses dbiteurs, il a trouv une solution a priori loigne de ses comptences premires : le braquage de banque. Cet homme jusque l au-dessus de tout soupon, et priv de toute exprience dans le grand banditisme sest inspir dun hros de srie tlvise - voleur insaisissable, et a drob en quatre fois 80.000 euros.Au pralable, il slectionnait soigneusement une agence avec un seul employ, de prfrence de sexe fminin, dans une bourgade bien desservie par lautoroute. Une fois rendu proximit des lieux, il enfilait dans un coin un passe-montagne, un bonnet, des gants, et compltait son dguisement avec des lunettes de soleil. Utilisant un pistolet ou un couteau, le braqueur amateur attachait sur son sige lemploy(e) avec du ruban adhsif et filait ensuite avec son maigre butin en poche. De retour la vie normale, il ne gardait ni pour lui ni pour ses proches les fruits de sa rapine. Au contraire, il consacrait cet argent frauduleusement acquis au remboursement de ses dettes.A cinq reprises, il a maintenu son dispositif, toujours habill de la mme faon, croire quil souhaitait inconsciemment se faire pincer. Les policiers qui le suivaient discrtement ont interrompu l cette srie en larrtant lissue de son ultime forfait [source]. Y avait-il des banques parmi les cranciers ? Lhistoire ne le prcise pas. Le hros sest montr aussi habile que Pierre Richard dans les Fugitifs [extrait]Plus srieusement, lanecdote peut se lire sous langle sociologique, comme un rvlateur du malaise social. Jean-Jacques Bozonnet a justement consacr le 22 janvier 2009 un dossier dans Le Monde au sujet des femmes battues. En 2008, 400.000 Espagnoles ont subi une agression et 70 ont succomb aux coups de leur conjoint. Lenqute cite par le journaliste met en lumire la surreprsentation des couples trangers. Beaucoup dimmigrs travaillent comme manuvres sur des chantiers qui ferment en cascade et se retrouvent en grande difficult. Au fond, les agissements insenss de cet entrepreneur - braqueur donnent rflchir sur la crise conomique espagnole. Que se passe-t-il en Espagne pour quune industrie de base traverse une telle crise quelle amne un patron navoir aucun espoir ? Dans une population de quarante millions dEspagnols, des dizaines de milliers de personnes cherchent chaque anne se loger : ils ont besoin de maisons neuves et dappartements mis aux normesLquivalent espagnol de lINSEE rvle toute lampleur de la crise. LINE brosse un tableau trs sombre, en commenant par la baisse du nombre des actes de vente de 28,6 % en 2008 par rapport 2007. La chute est encore plus svre pour les logements anciens (- 39 %) que pour les logements neufs (- 14 %). Les donnes du mois de dcembre 2008 indique de surcrot une aggravation de la situation. Rapportes au nombre dhabitants de chacune des Communauts Autonomes, les transactions varient toutefois du simple au double. La Catalogne et le Pays Basque arrivent bonnes dernires, avec respectivement 1.066 et 1.093 ventes de logements pour 100.000 habitants. Les deux rgions les plus engages dans une politique de sparation avec lEtat central nen tirent apparemment aucune attractivit, bien au contraire. La Mancha (2.143 ventes pour 100.000 habitants) et la rgion de Murcia (2.347) se placent linverse au sommet de la hirarchie rgionale. LINE divulgue galement pour le mois de dcembre 2008 les variations rgionales dans les transmissions de logements par hritage. La vieille Espagne vieillit visiblement [2]. Mais il en faudrait plus pour stimuler lactivit des professionnels du btiment.Pendant au moins deux dcennies, les pouvoirs publics Madrid ont encourag de faon continue le gonflement de la bulle immobilire, mme quand lEspagne comptait 85 % de propritaires. Le nombre de logements construits a ainsi doubl entre 2002 (475.000) et 2003 (990.000) : dans lintervalle les prix suivaient (+ 18 %) [Source]. Les autorits se flattaient dun taux de croissance suprieur ceux des autres pays de lUnion. Tout a chang depuis. La moiti des agences immobilires ont mis la clef sous la porte. Le chmage repart la hausse. Dans Au chevet de lEspagne, jabordais les effets du marasme de limmobilier sur lactivit industrielle et sur les politiques migratoires. Que vont devenir les petites mains du mirage conomique espagnols ? Le gouvernement Zapatero a dcid de rapatrier ceux quil nose appeler les inutiles. LEspagne compte pourtant plus de personnes ges que dadolescents (voir Le loup est las). Finalement, lentrepreneur - braqueur nest pas le seul tout confondre (casser une banque et construire une maison).Dans laire urbaine de Madrid regroupant environ quatre millions de personnes, les politiques expansionnistes laisseront forcment place dautres, visant recoudre ce qui a t dcousu. Il y a de cela quelques mois, les concepteurs de la ville nouvelle de Valdeluz (voir au-dessus) affichaient encore firement les voies de communication en cours de ralisation, et les mensurations de la future ville. Leau si rare en Castille ne ltait pas Valdeluz, comme en tmoignent les espaces verts, les piscines et le golf. Or la lumire (luz) ne manque pas en juillet, avec la chaleur qui sensuit : en moyenne suprieure 30 C en t Madrid.Depuis, le projet patine et les arrivants ne se manifestent quen petit nombre [source]. Dans la ville fantme situe une quarantaine de kilomtres de Madrid, les rares acheteurs se lasseront du paysage et des trajets, mais ils ne trouveront probablement pas de repreneurs pour leurs biens. Pensada para crecer ou ciudad humana sonnent dsormais creux. En attendant les vents soufflent sur la Meseta, la musique dEnio Morricone rsonne. On guette un chasseur de primes ou un braqueur de banques[1] Frappe en pleine rue dune demi-douzaine de coups de couteau par son ancien compagnon, une jeune femme a chapp de peu la mort, mardi 20 janvier, Barcelone, grce lintervention de passants. La veille, dans un tribunal de Madrid, un procureur a rclam 33 ans de rclusion pour un homme qui a rendu son pouse ttraplgique en la rouant de coups devant ses enfants. La chronique des violences faites aux femmes est quasi quotidienne dans la presse espagnole depuis que le pays sest dot, en dcembre 2004, dune loi contre la violence conjugale. En dpit de cette initiative pionnire en Europe, les statistiques annuelles, prsentes lundi 19 janvier Madrid, montrent que le nombre de victimes reste lev. En 2008, 70 femmes ont t tues par leur conjoint ou ex-conjoint. Le bilan pourrait tre alourdi en fonction du rsultat de sept enqutes encore en cours sur des crimes survenus en fin danne. Lanne prcdente, 71 femmes taient mortes, cest--dire autant quavant la loi (71 en 2003 et 72 en 2004). Lembellie constate en 2005 (57 victimes) et 2006 (68) aura t de courte dure. Au total, 400 000 femmes seraient maltraites selon une rcente tude du ministre de la parit. Les violences faites aux femmes de nationalit espagnole ont diminu en 2008, mais la proportion des victimes immigres, notamment latino-amricaines, est en forte hausse. Elle est passe de 39,4 % en 2007 44,3 %, soit prs dune victime sur deux. Dans un rapport rvl par lhebdomadaire Tiempo, la police nationale sattend une aggravation du phnomne avec la crise conomique. Les agressions se sont acclres depuis le dclenchement de la crise financire en octobre, avec dix femmes tues pour le seul mois de dcembre. La quasi-totalit tait en situation de prcarit sociale. [] Grce aux campagnes dinformation et un numro vert, les plaintes sont en augmentation (+15,9 % entre 2007 et 2008). Si 75 % des cas sont signals par la victime elle-mme, les appels des familles ont doubl en 2008. [] Le nombre de morts par violence domestique rapport la population place le pays parmi les moins touchs (3,61 cas par million dhabitants), entre la Sude (3,42) et le Royaume-Uni (3,77). La violence conjugale nest pas toujours sens unique. Lundi 19 janvier, dans la rgion barcelonaise, une femme a tu son ex-compagnon en lcrasant volontairement avec son 4 4. Prs de 40 000 femmes maltraitantes seraient recenses dans les fichiers de la police. / La loi espagnole, pionnire en Europe, na pas rduit les violences conjugales / Le Monde / Lundi 22 janvier 2009 / Jean-Jacques Bozonnet.[2] Nombre de logements transmis par hritage : Canaries (109 / 100.000 habitants), rgion Cantabrique (159), Rioja (163), Navarre (164), Madrid (207), Murcie (256), Pays Basque (374), Balares (406), Extrmadure (450), Galice (620), Asturies (736), Aragon (966), Catalogne (1.000), pays Valencien (1.035), Andalousie (1.135), Castille la Mancha (1.415) et Castille - Len (2.251). Chiffres INE.*14 mai 2009. Bton et urbanisation Intitul Surproduction immobilire et crise du logement, l'article de Charlotte Worms se suffit presque lui-mme. Il s'appuie sur des sources diversifies et visiblement bien exploites. Pour les besoins de ma dmonstration, je livrerai quand mme les grandes lignes de la premire partie, avant de commenter quelques ides tires de la seconde. L'historienne asseoit sa rflexion sur une ide directrice, la rvolution paysagre espagnole entame il y a quatre dcennies. La fin de l're franquiste et l'installation de la dmocratie espagnole ont concid avec une croissance conomique intense, trs manifeste dans les grandes villes. Charlotte Worms tait en revanche l'impact de l'intgration de l'Espagne dans la CEE en 1986, et le dveloppement qui s'ensuit, dans l'agriculture subventionne par exemple.Quoi qu'il en soit, le pays ressemble en ce dbut de XXIme sicle une rplique des Etats-Unis transpose au sud de l'Europe. La littoralisation des activits imite celle de la Floride et l'talement de la mtropole madrilne quivaut celui de Los Angeles toutes proportions gardes : pour l'une, sur les plateaux battus par les vents du centre de l'Espagne, et pour l'autre sur une vaste plaine situe au sud de la Californie... L'auteur constate froidement cette transformation sans verser une larme la fois facile et prvisible sur le temps qui passe et dtruit tout. Miracle ou mirage ? Elle prend soin de ne pas trancher. Au fond, les villes surgissent de terre, partir d'une gare de l'AVE (le TGV espagnol) Ciudad Real, ou au bout d'une ligne de mtro madrilne Valdecarros. Ce n'est plus simplement de l'urbanisme oprationnel, c'est un spectacle quotidien.L'expression de folie immobilire employe par Charlotte Worms indique non seulement le rythme effrn des constructions, mais galement le dfi la raison. Les prix moyens des logements ont trs fortement augment, de plus d'un tiers entre le dbut de 2003 et la fin de 2004, lors du maximum de la spirale inflationniste. Les promoteurs et industriels ont livr jusqu' 700.000 nouveaux logements au cours de la seule anne 2006. L'historienne parle de bulle spculative, mais dclare toutefois se dsintresser des causes de son retournement. Sa premire partie se termine par cette accroche : "Je voudrais rendre compte ici de quatre lments spcifiques au cas espagnol, qui ont converg vers une certaine forme de surproduction immobilire : une tendance historique lhypertrophie de limmobilier en priode dexpansion, la structure particulire du march du logement espagnol, la drgulation foncire et urbanistique depuis le milieu des annes 1990 et la dcentralisation des comptences en matire durbanisme. [...] On observe, dans lhistoire de ce pays, la rptition de priodes o limmobilier prend un poids trs important dans lconomie nationale. Ce poids se reflte dans la passion sociale pour les questions immobilires et, depuis les politiques franquistes daccession la proprit, pour le fait de devenir propritaire dun logement. "La droute conomique espagnole me semble trop rsume, trop caricaturale. Entendons-nous quand mme. Franco a gr un pays que ses armes ont en partie ravag entre 1936 et 1939 : Madrid transforme en champs de ruines, Tolde, les villes de la valle de l'Ebre, de Catalogne ou de l'ancienne poche cantabrique (Saint-Sbastien, Santander, ou encore Oviedo). Par la suite, rien de ce qui est de nature gommer la guerre civile n'est nglig... Les Espagnols devenant majoritairement propritaires, le rgime escompte sans doute les rendre reconnaissants, dfaut de les convaincre. Sur la ncessaire modernisation d'une Espagne en retard, Franco reprend un slogan aussi vieux que Joseph Bonaparte...Mais dans l'aprs-guerre, quel pays europen n'a pas connu les mmes volutions que l'Espagne ? Dans le cas de l'Allemagne, de l'Angleterre ou d'une partie de l'Europe centrale et orientale, les destructions de la Seconde guerre mondiale ont provoqu des dgts si importants que la dcennie 1950 n'a pas suffi pour achever la reconstruction des villes dtruites. Dans le cas de la France, globalement moins endommage que ses voisins, le retard pris durant la guerre et les consquences du baby-boom ont conduit une sorte de frnsie de constructions aprs 1945. Dans une Europe pige par une trs forte inflation, les loyers deviennent vite insupportables alors que les emprunts immobiliers se remboursent presque tout seul."Les politiques dextension planifie des villes (ensanche) du dernier tiers du XIXe sicle, qui dlimitent de nouveaux territoires urbains, entranrent une flambe des prix du sol, alimente par des transactions caractre spculatif. Historiens et gographes ont montr comment les bourgeoisies urbaines, notamment Madrid, se construisaient en accumulant le patrimoine foncier. Plus tard, dans la priode dite de desarrollismo, de la fin des annes 1950 au dbut des annes 1970, caractrise par louverture aux capitaux trangers, le dveloppement de lconomie espagnole sappuie sur le btiment et le tourisme et lconomie du tourisme est aussi fonde sur le btiment." Je souscris pleinement cette chronologie, en incorporant l'ide que la France ou l'Italie - pour ne citer que deux pays voisins - ont peu ou prou connu le mme sovitisme mou : cration de la DATAR, dveloppement des villes nouvelles, largissement du rseau autoroutier, etc. Alors Charlotte Worms insiste sur l'expansion qu'elle juge spcifique (?) de l'conomie espagnole au cours des trois derniers cycles de 1969-1974, de 1986-1991 et de 1998-2006. Puisque j'ai rapproch un peu plus haut l'Espagne et les Etats-Unis, j'abonderai en partie dans son sens en parlant de changement d'poque dj perceptible la veille de la mort de Franco. A partir des annes 1970, le gouvernement espagnol s'est entich d'un nouveau modle conomique, sans transition et de faon plus marque que dans le reste de la Communaut Economique Europenne. Le plein emploi et la croissance l'Amricaine passent alors par un gonflement du secteur des services... Il est videmment tentant de grossir le poids du tourisme dans le cas spcifique de l'Espagne, pour s'apitoyer des hectares btonns de la cte mditerranenne. Mais de quelles alternatives disposaient les Majorquins ou les Andalous ? Au demeurant, le fort taux de chmage - suprieur 20 % dans les annes 1980 - a laiss aux autorits une faible marge de manuvre. Le besoin insatiable de terrains constructibles a conduit les promoteurs se fournir chez les propritaires fonciers, d'autant plus aisment que l'autorit centrale retirait son droit de regard sur la viabilisation de nouvelles parcelles, en autorisant les municipalits statuer sans autorisation pralable. Le propritaire foncier, le promoteur, les villes recevant de nouveaux impts et mme l'acheteur vite convaincu de retirer une plus-value en cas de revente ultrieure, tous y ont trouv leur intrt. L'historienne dplore le retrcissement de l'espace agricole espagnol. Il convient cependant de rappeler que la surface agricole rellement utilise s'est accrue grce aux grands amnagements hydrauliques lancs ds l'poque de Primo de Rivera (1923-1930). En outre, les pturages semi-arides de la Meseta ne sont pas comparables de riches terres cralires du bassin parisien. Le paradoxe apparat dans les statistiques : malgr l'empavillonnement forcen de son territoire, l'Espagne est dvenue un pays exportateur de matires premires agricoles, grce l'irrigation, l'intensification... Et aux petites mains maghrbines payes au lance-pierre. Les besoins de logements ont cr rapidement parce que '[l]a taille moyenne des mnages a diminu.' Encore une fois, ceci vaut ailleurs ! A juste titre, Charlotte Worms complte son argument. "Cette ralit ne suffit toutefois pas expliquer le volume de la construction dans ce dernier cycle. Entre 1997 et 2006, plus de 5,5 millions de logements neufs ont t mis en chantier, alors que ne se craient sur la mme priode que 3,5 millions de nouveaux mnages." Les trangers acquirent en grand nombre des rsidences secondaires en Espagne, mais on entend l'argument dans le Sud-Ouest franais, en Toscane, ou mme Paris. Autant l'historienne se rpand contre la dcentralisation en matire d'urbanisme qu'elle appelle tort drgulation [1], autant elle se montre laconique sur l'impact des politiques publiques. 'Des dductions fiscales hauteur de 15 % sont prvues pour les mnages qui acquirent un logement ainsi que pour les titulaires dun plan dpargne pour lachat dun logement, condition de se porter effectivement acheteur dans les quatre ans.' Dans le mme temps, les autorits ont littralement fossilis le parc locatif (gel des loyers, alourdissement des baux et durcissement des conditions d'expulsion). Cette politique fiscale assortie d'une politique montaire focalise sur des taux d'intrt trs bas a produit un appel d'air quivalent celui occasionn par un bris de vitre dans une cabine pressurise. Contrairement la France, le gouvernement espagnol n'a pas contrebalanc son dispositif par des aides aux logements anciens, dans une optique patrimoniale, par exemple. Le parc historique, souvent en centre-ville a d'autant plus perdu de son attractivit.Les promoteurs cupides [2] et les mairies avides de nouvelles ressources financires entrent dans la catgorie des grands responsables, en boucs missaires commodes. A propos de ces dernires, Charlotte Worms recense deux impts directs, sur les biens immeubles et sur les plus-values, mais aussi plusieurs impts indirects. De surcrot, "[l]es rglements durbanisme rservent galement une part du foncier nouvellement urbanis au patrimoine municipal (outre celle destine la voirie et aux quipements). Celle-ci est dfinie par les Communauts autonomes dans le cadre du plafond de 10 % fix par la loi de 1998 (modifie en 2007). Il sagit en principe de permettre la constitution de rserves foncires et la mise en uvre dune politique de logement social et dquipement urbain. En fait, les municipalits ont souvent utilis la vente aux enchres de leur patrimoine foncier comme mode de financement ordinaire."Pourquoi le cacher, la conclusion optimiste de l'auteur ne me ravit pas. De Franco Zapatero, les dirigeants politiques se succdent, mais les ides la mode sduisent toujours autant. Le tournant voqu par le chef de gouvernement socialiste ne me fait pas oublier ce qui a prcd. Je n'idalise pas la planification, ft-elle au nom du dveloppement durable. Vendus au nom de gains hypothtiques, combien de grands travaux se sont finalement avrs destructeurs, coteux et sous-utiliss ! Charlotte Worms se rend-elle compte qu'elle sous-entend un regret vis--vis de l'amnagement du territoire tel qu'imagin l'poque de Franco ? En glissant ceci au dtour d'un paragraphe, elle me touche bien davantage : 'il ne peut sagir que dune politique courte vue, puisque lurbanisation anarchique, discontinue et de faible densit quelle a permise est terme trs coteuse pour la collectivit.' Le court-termisme tmoigne aujourd'hui de ses cueils.Je n'oublie pas ce qu'il a pu porter de positif... Ni tout ce qu'il a fallu supporter sans broncher ; que les sceptiques combattaient en vain la modernit en marche; que la dette rcompensait l'audacieux et que le ringard payait comptant (la dette immobilire des mnages, en Espagne, est passe d'un quart du PIB en 1998 aux deux tiers en 2007 / Chiffres C.W.); qu'il fallait construire parce que l'on manquait de logements. etc. Alors le gouvernement espagnol devra relever un dfi majeur, soutenir ou non le march immobilier. L'administration Obama a plutt opt pour la premire, en paulant les banques dfaillantes et en secourant les mnages endetts. En mai 2009, le rythme de saisies immobilires ne ralentit cependant pas [3].Il faut s'attendre une augmentation du stock de logements vides, et une glissade des prix. Que deviendront alors les milliers de mtres-carrs vides ? Je gage que le contribuable paiera la reconversion d'espaces rendus l'agriculture ou la nature sauvage, un peu comme dans le lit majeur de la Durance. Le Monde y consacre rien moins que son ditorial du 13 mai 2009. Dans la Crau, la Caisse des Dpts se propose de rendre la nature 357 hectares de valle caillouteuse pour l'instant occups par des vergers l'abandon : cot estim pour l'hectare de cailloux... 35.000 ! Combien paiera-t-on la reconversion de l'hectare btonn ? De Franco la Crau.[1] "Depuis la premire loi du sol de 1956, qui tablit le cadre contemporain de lintervention publique dans la gestion foncire, la lgislation foncire et urbanistique espagnole postule un lien de cause effet simple entre laugmentation du volume foncier et la baisse des prix des logements. Cest sur cette ide que sappuie la loi du sol de 1998 (en vigueur jusqu ladoption dune nouvelle loi du sol en 2007) visant libraliser loffre foncire. Alors que la loi de 1975 distinguait, parmi le sol non encore urbanis, le sol non-urbanisable (protg), le sol urbanisable et le sol urbanisable non programm, la loi de 1998 supprime cette dernire catgorie, retirant aux pouvoirs publics un outil fondamental de la planification. Dsormais, tout le territoire national peut tre qualifi pour lurbanisation, moins dtre expressment protg. Larticle 10 de la loi tablit ainsi 'la prsomption gnrale favorable la transformation urbanistique du sol, cest--dire sa classification comme urbanisable'. Les pouvoirs publics doivent motiver la protection dun terrain et non sa qualification pour lurbanisation. Par ailleurs, cette loi tablit officiellement lunique rfrence au march pour lvaluation du prix du sol au moment de sa qualification pour lurbanisation, donc avant son changement dusage ; elle va ainsi contre un sicle de rflexion sur les moyens dune rpartition quitable des bnfices du changement dusage du sol. Dans tous les cas (y compris celui de lexpropriation par la puissance publique), il nexiste quun seul prix du sol, calcul sur la base de la valeur attendue de lexploitation maximale du terrain en fonction de sa catgorie juridique ; celui-ci est appliqu avant la prparation effective du sol pour lurbanisation." / La Vie des Ides / Surproduction immobilire et crise du logement / Charlotte Worms [2] "Aujourdhui, le grand vacarme des grues sest tu, les promoteurs bradent leurs produits. On a vu certains proposer deux appartements pour le prix dun, dautres offrir la voiture avec la maison. Les journalistes font des reportages sur des villes fantmes. Ainsi le Residencial Francisco Hernando, construit dans la petite commune toldane de Sesea (12 000 habitants), 35 km de Madrid par la route, ne compte aujourdhui que 750 habitants dans ses 2 536 logements dj livrs. N de la mgalomanie dun promoteur immobilier multimillionnaire et de la corruption dlus locaux, le Manhattan de Sesea, comme lavaient baptis les mdias, aurait d terme compter 13 500 logements. Projet sans infrastructures ni quipements, sans la garantie de ressources en eau suffisantes pour assurer la consommation des habitants, cet ensemble est un cas particulirement frappant des mauvaises pratiques (ici de surcrot frauduleuses) auxquelles a donn lieu lemballement de lconomie immobilire. Aujourdhui, aprs avoir vu ses projets ralentis par le nouveau maire communiste qui a obtenu sa mise en examen, le promoteur est finalement emport par la crise : cette fois-ci, Paco el Pocero (lgoutier), comme lont surnomm les Espagnols en rfrence son premier mtier, a perdu sa mise. Les grandes socits immobilires dposent le bilan les unes aprs les autres et leurs directeurs, hros des success stories depuis les annes 1960, appellent laide les pouvoirs publics au nom de lintrt gnral. En juin 2008, une tude du ministre chiffrait 500 000 le stock de logements neufs (construits depuis 2005) non vendus." / La Vie des Ides / Surproduction immobilire et crise du logement / Charlotte Worms. [3] "Record des saisies immobilires aux USA. Les procdures de saisie immobilire aux Etats-Unis ont atteint un nouveau record en avril, a indiqu jeudi le cabinet RealtyTrac. Au total, plus de 342 000 biens immobiliers ont fait l'objet d'une procdure au cours du mois pass. Qu'il s'agisse de simples notifications de retard aux propritaires, d'annonces de ventes aux enchres ou d'expulsions des occupants par les cranciers. Toutefois, la hausse des procdures a fortement ralenti, pour atteindre 1 % sur un mois et 32 % sur un an en avril, aprs un bond de 17 % et 46 % respectivement en mars. Selon RealtyTrac, la progression de ces derniers mois est imputable la leve du moratoire sur les saisies, arriv chance en fvrier. Les Etats les plus touchs par ce phnomne restent la Californie, l'Arizona, le Nevada et la Floride. A eux quatre, ils ont reprsent 56,6 % des procdures en cours en avril, indique RealtyTrack." / Le Monde / Supplment abonns - 12:15 / 13 mai 2009.*30 janvier 2010. El Greco. Dans une remarquable synthse consacre aux finances publiques grecques [La Grce dans l'Europe: le rvlateur budgtaire], Batrice Hibou annonait il y a prs de cinq ans les dfis poss au gouvernement d'Athnes en cette anne 2010. L'Etat grec se caractrise depuis l'entre de la Grce dans la CEE par un dficit chronique. Cette tendance lourde rompt toutefois avec la priode prcdente. L'auteur indique en effet qu'entre 1958 et 1981, les recettes quilibraient les dpenses. Car le poids de l'Etat demeurait relativement limit dans l'conomie. Les annes 1980 marquent donc un tournant. Les gouvernements de transition - en particulier les socialistes du Pasok - poussent l'Etat dans une logique de redistribution, en mme temps que s'accroissent les effectifs de fonctionnaires. Les dpenses militaires gonflent. [Mais] il est intressant de remarquer que, partant d'un niveau trs infrieur celui de la Communaut (-11 points en 1979), les dpenses budgtaires ont atteint la moyenne communautaire en moins de six ans: l'influence de l'Europe a t non seulement importante mais trs rapide ! La politique du Pasok, en distribuant du pouvoir d'achat (hausse des salaires beaucoup plus importante que la hausse de productivit; rforme avantageuse du systme des retraites, du systme de sant et de la scurit sociale en gnral) a permis une acclration incontestable du processus d'harmonisation des consommations et des niveaux de vie, ft-ce en dpit de tout critre de rationalisation et de viabilit, et au prix d'un endettement croissant. Dans le mme temps, l'Etat s'avre incapable d'largir ses sources de revenus, constate Batrice Hibou. Les Grecs paient moins d'impts et de taxes que la moyenne des Europens. Beaucoup placent leur argent l'tranger. L'impt sur le revenu reprsente moins d'un cinquime des recettes fiscales de l'Etat. Et l'espoir plac dans la cration d'une TVA grecque a dur. Il est inutile de revenir sur les causes historiques de cette faible lgitimit de l'Etat qui se manifeste tant par la sous-fiscalisation que par l'absence d'Etat-providence (nouveaut du pays et construction conflictuelle de l'Etat; hritage ottoman de mfiance par rapport ce dernier; absence de dmocratie stable jusqu'en 1974, etc.). Mais des facteurs socio-conomiques expliquent aussi cette sous-fiscalisation: importance de l'informel; grande proportion de travailleurs indpendants et faiblesse du salariat; prpondrance des services et des activits off shore, etc. Les aides europennes ont pourtant rgulirement augment : de 1,3% du budget en 1981 8,5% en 1985, et 10,2% en 1990. Comme si Bruxelles renonait intervenir autrement qu'en fermant les yeux sur le laxisme des autorits grecques.La crise grecque met l'euro sous pression. L'article du Monde s'intresse en ralit aux dclarations des principaux dirigeants de l'Union lors du sommet de Davos, au premier rang desquels Jose Luis Zapatero. En tant que premier ministre espagnol, il assure la prsidence tournante de l'Union europenne. Frdric Lematre relve une volution instructive. L'Etat grec empruntait en octobre 2009 sur les marchs internationaux un taux de 4,5 %. Quatre mois plus tard, le taux a gliss dangereusement, s'tablissant 7,5 % en janvier. Le renchrissement du crdit qui en rsulte tmoigne de la difficult relative du gouvernement grec attirer des capitaux. Elle prfigure un alourdissement de la dette. Tout comme ses homologues la tte de pays classs comme fragiles (Espagne, Portugal, Irlande) prsents Davos, le premier ministre grec a tent de minimiser les difficults de son pays et de prsenter de riantes perspectives.Qu'il me soit permis de douter. Athnes prtend rabaisser les dficits publics de 9 3 % d'ici 2012, c'est--dire rpondre aux critres de Maastricht dans moins de trois ans. La Tribune a prcis le 24 dcembre dernier la mthode poursuivie pour diminuer le poids de la dette. La majorit socialiste a vot en faveur du projet gouvernemental, validant de fait le budget 2010. Au chapitre des recettes budgtaires, le gouvernement prvoit un impt exceptionnel sur les grands profits et les grandes fortunes, l'augmentation de l'impt sur le tabac et l'alcool. Une rforme fiscale comprenant des mesures contre la fraude sera en outre prsente au parlement fin fvrier. Afin de rduire les dpenses de l'Etat, le gouvernement entend diminuer d'au moins 10% des salaires des dirigeants des entreprises du secteur public et baisser de 50% les salaires des membres des conseils d'administration. Le budget du ministre de la Dfense est en baisse de 6,6% par rapport 2009. L'arme grecque dpense entre 4 et 5 % du PIB, le double de ce qu'utilise l'arme franaise (source). Les Europens se moquent de la prtendue menace turque, mais exigent d'Athnes un strict contrle de ses frontires maritimes en mer Ege [Les evzones de mer].Les bonnes intentions inapplicables ctoient les annonces anecdotiques ou simplement mensongres. Chacun jugera. Au regard des tendances structurelles de l'Etat grec au cours des trois dernires dcennies, on ne pressent aucune rvolution. Les taxes supplmentaires sur le tabac et l'alcool susciteront la consternation chez les dbitants grecs ayant pignon sur rue. Dans les Balkans et en Turquie, de l'autre ct de la frontire ou sur l'autre bord de la mer Ege, d'autres se frotteront les mains. La Turquie est en effet l'un des principaux producteurs et le quatrime exportateur mondial de tabac. De 150.000 tonnes en 1970, la production est passe 260.000 tonnes en 1999. (source). Le port de Mersin a mme une spcialisation en la matire (source). Le gouvernement turc a rcemment autoris la privatisation de l'ancienne socit d'Etat Tekel qui bnficiait jusqu' prsent du monopole du tabac et de l'alcool (source).En Grce, l'illusion provient cependant du maintien des recettes courantes de l'Etat en temps de crise. La forte hausse des taux d'intrt va en effet se rpercuter sur le secteur de l'immobilier, rendant plus difficile l'achat et la construction de logements. Feu le gouvernement Caramanlis peut tmoigner de la sensibilit de l'opinion publique sur ce dossier (Figaro). Le cot de la vie Athnes s'approche de celui des grandes villes d'Europe de l'ouest, mais avec un niveau de vie moyen infrieur. Cet cart se ressent dans les les les plus frquentes et sur les littoraux touristiques, beaucoup moins dans le cur de la pninsule balkanique (source). Une baisse des recettes touristiques est donc prvoir, si les visiteurs restaient chez eux ou prfraient d'autres destinations. Au printemps 2009, le gouvernement grec a justement annonc des mesures de soutien au secteur (source).En conclusion, les mdias europens s'agitent autour des rumeurs visant la Grce et les pays risque de l'Union. Le dollar se rvalue par rapport l'euro. Les exportateurs europens y trouveront motif de satisfaction : merci la Grce ! Jose Luis Zapatero sent de son ct s'approcher la tempte. A Davos, il a expos ses solutions pour amliorer la solvabilit de l'Etat espagnol. Ce dernier ptit de la mme dfiance des capitaux trangers que l'Etat grec, si ce n'est des mmes maux. Le premier ministre espagnol espre raliser 50 milliards d'conomies l'Etat d'ici 2013, dont un cinquime l'actif des collectivits territoriales : rien de moins ! Pour atteindre cet objectif, l'Etat cessera de recruter de nouveaux fonctionnaires (un remplacement pour dix dparts), et tentera de repousser l'ge lgal de la retraite de 65 67 ans (Le Monde).Dans un pays vieillissant, cette ide ne parat pas saugrenue, mme si le parti socialiste franais affirme le contraire. Cela tant, pour le budget de l'Etat, les pensions de fonctionnaires retraits psent de la mme faon que les salaires des fonctionnaires actifs. En outre, comme le nombre de sexagnaires s'accrot, la mesure annonce ne produira pas d'conomies. Pas plus Madrid qu' Athnes les gouvernements ne peuvent dvaluer. Reste la possibilit de faire diminuer les prix et les salaires (dvaluation interne). Les entreprises licencient d'ores et dj les salaris non protgs par un contrat dure indtermine (18 % de chomeurs fin 2009) [Fiona Maharg].Le peintre El Greco a exerc son art la cour des Rois d'Espagne. El Zapatero servira-t-il de modle aux socialistes grecs ? Je gage qu'il s'agira de magie plutt que de peinture mystique.*6 dcembre 2010. Cantona. L'Espagne est le gros lphant dans la crise de la dette europenne, parce qu'il n'y aura probablement pas assez d'argent pour la renflouer financirement a rcemment affirm lors dune confrence Prague Nouriel Roubini qui enseigne lUniversit de New York. Ces propos tombent mal, compte tenu des efforts raliss par les gouvernements europens pour secourir lIrlande le mois dernier (85 milliards deuros). Le gros lphant dans le magasin de porcelaines nest pas le Portugal, mais lEspagne. Il ny a pas assez dargent disponible pour raliser le sauvetage irlandais en cas de problme. Dans le pire des cas, lEspagne aurait besoin de 351 milliards deuros sur trois ans. Son dficit est le troisime de lUE, mais Madrid affirme contrler la situation. Pourtant, les banques espagnoles dtiennent 181 milliards deuros dactifs plus ou moins lis limmobilier. En Espagne, de mon point de vue, lardoise dpassera les prvisions du gouvernement espagnol. Les tests deffort pratiqus lencontre des banques nont pas lev les doutes. Le New-Yorkais anticipe dores et dj lintervention du FMI. [source]. On reproche Nouriel Roubini son pessimisme. Je manque malheureusement des comptences pour en juger. Il me semble quil expose toutefois avec clart les mcanismes de la crise europenne entame il y a quelques mois en Grce. Celle-ci a dmarr lorsque des investisseurs privs ont obtenu que leurs pertes se transforment en dette publique. Econoclaste utilise lexpression de dni de ralit pour qualifier la dcision des dirigeants europens de refinancer la dette grecque puis irlandaise. Le problme demeure entier, simplement repouss dans le temps. Mais en 2008, le gouvernement amricain na-t-il pas sauv la banque Lehman Brothers et les deux principaux organismes spcialiss dans le refinancement des crdits hypothcaires (Fannie Mae et Freddie Mac), accuss de ne pas avoir matris leurs investissements ? Les dirigeants europens avaient-ils une alternative ? De fait, les grandes banques franaises, allemandes, suisses, ou anglo-saxonnes ont temporairement russi passer entre les gouttes. En Espagne, le premier ministre bat des records dimpopularit depuis quil a opt pour une stricte orthodoxie budgtaire [El Zapatero]. La presse tente de dceler des signaux positifs. Jose-Luis Zapatero gagnerait du temps, essaierait de protger le pays des attaques extrieures. Les semaines ne passent pas sans quil annonce une nouvelle srie de mesures, cette semaine la fin des aides aux chmeurs en fin de droit, la privatisation partielle de la loterie nationale et celle de lautorit de rgulation du trafic arien. Cette seule annonce a dclench une grve sauvage dans les aroports espagnols [source]. A Madrid, on rflchirait une prochaine augmentation des taxes sur les carburants, lalcool et le tabac [source]. Laugmentation du prix des cigarettes en France permettra de toutes faons damliorer les recettes fiscales espagnoles ; les buralistes franais protestent en vain [source]. La ministre de lEconomie et vice-prsidente du gouvernement espagnol se dmultiplie pour rpandre la bonne parole dans les organes de presse europens. Elle rpond aux interrogations avec le ton protecteur et rassurant du mdecin qui peine soigner un malade chronique. Le gouvernement espagnol matrise la situation, argumente telle la BBC. Elena Salgado ne se contente pas de reprendre les critiques dj entendues sur les politiques menes lintrieur de lUnion europenne contre la crise : naves ( Il y a en effet de la spculation contre leuro ), tardives, et mal coordonnes. Dans une interview aux Echos, elle soutient que son pays ne recourra aucune aide financire trangre dans le futur, en insistant bien sur les spcificits grecque et irlandaise. Les banques espagnoles rpondent bien aux tests deffort, prcise telle sans mentionner leurs engagements risqus au Portugal, ou leur implication dans un march immobilier en difficult [Lorsque je suis fort, cest alors que je suis faible]. Sur ce point, la ministre espagnole use darguments sibyllins. Le dsquilibre du btiment s'est corrig de lui-mme : le nombre d'habitations en construction est trs infrieur la demande. Le stock va donc se rduire. [] La crise [immobilire] est termine mais elle laisse un stock important. Et le stock le plus important concerne les logements secondaires. Mais c'est assez normal, car je rappelle que plus de 80% des Espagnols sont propritaires, ce qui, terme, est une bonne chose. On peut en douter. En septembre 2010, plus de 20 % des actifs sont au chmage, deux fois plus quen France [source].La dette publique espagnole reste cependant en de des seuils observs dans dautres pays de lUnion. Malgr la part prise par les rgions et les municipalits, aucune des quatre plus grosses conomies de lUnion nest parvenue une matrise quivalente des dpenses : ni lItalie (118 % du PIB), ni la France (78 %), ni lAllemagne (73,5 %) ni le Royaume-Uni (68 %) [source]. Madrid prfre toutefois prendre les devants en affichant un objectif de dficit deux fois moindre en 2011 (6 %) quen 2010 (11 %) [source] Le gouvernement espagnol nassume mme pas ses responsabilits au lendemain dlections qui ont balay la coalition socialiste - autonomiste au pouvoir Barcelone, les lecteurs sanctionnant une gestion hasardeuse. En octobre dernier, la Generalitat a ainsi dcid de lancer un emprunt - pompeusement appel bon patriotique - au taux annuel de 4,75 % afin de payer ses fonctionnaires [source] ! Le gouvernement saveugle sur la situation actuelle de lEspagne, dfend mal la part inattaquable de son bilan et privilgie des pistes hasardeuses pour chapper la menace dune dflation [source]. Kenneth Rogoff met lui aussi des rserves au sujet de la capacit de lEtat espagnol intervenir en cas de dfaut de son systme bancaire : Le cas de lEspagne est plus compliqu. Le gouvernement central est sans doute solvable, ce qui ne semble pas tre le cas de plusieurs musipalits et tablissements bancaires espagnols. La grande question dans ce cas est de savoir si le gouvernement central est prt, comme en Irlande, assumer la dette prive (et municipale). A nouveau, lhistoire nincite pas loptimisme. Il est trs difficile pour un gouvernement central de rester sur la ligne de touche quand des acteurs cls de lconomie sont au bord de la faillite. On pourrait ajouter sur la liste des dettes inquitantes celles des vingt clubs de football de la Lliga espagnole, estimes lan pass plus de 3,5 milliards deuros [source]. Un footballeur fait justement parler de lui en France en ce dbut de mois de dcembre. Une vido dEric Cantona circule sur Internet dans laquelle il recommande un retrait massif de liquidits pour dstabiliser les banques dtentrices du vrai pouvoir. Cette boutade - moins quil ne sagisse dune rflexion srieuse, nul ne sait - a provoqu de multiples commentaires dans le monde politique, jusqu celle de la ministre franaise de lEconomie ! Proche de celui des Allemands, le taux dpargne des mnages franais (16 % en 2009) est certes deux fois plus lev que celui observ dans les autres grands pays industrialiss (Italie, Royaume Uni, Japon, Etats-Unis). Le taux dpargne des mnages espagnols a pratiquement doubl entre 2007 et 2009, dpassant lan pass le taux franais. Beaucoup dEspagnols anticipent manifestement une crise profonde [source]. Rsumons. Si les Espagnols retiraient leurs conomies des banques nationales, il en rsulterait un affaissement de leur systme banquier. Si les Franais faisaient de mme le systme banquier franais s'effondrerait, suivi du systme espagnol. Les banques franaises auraient plac en effet 220 milliards deuros en titre dEtat ou sous forme de dette prive [source]. En ralit, les banques franaises se soucient sans doute assez peu dun Cantona qui bat la campagne. Qui ne fait chteaux en Espagne ? En revanche, les sommes engages en Grce, en Irlande et bientt au Portugal ou en Espagne ne seront jamais rcupres. Comme le lait renvers de Perrette.*9 juin 2011. L'Espagne va mal. Son cas n'est cependant pas isol. Elle incarne les difficults de biens des pays occidentaux, emptrs dans des problmes conomiques et gnrationnels ['Au chevet de l'Espagne']. Aprs la mort de Franco, le boom conomique espagnol a repos sur des atouts internes - le dur soleil mditerranen n'est pas le seul - mais aussi externe. Le pays a tir un profit relatif des taux d'intrt bas et d'une main d'uvre bon march issue de l'immigration ['De Franco la Crau']. Les prix des logements ont augment de 150 % entre 1995 et 2011. Mais la bulle immobilire a fini par clater en 2009, laissant derrire elle des milliers de logements vides et des entreprises en difficult ['Ne pas confondre casser une banque et construire une maison']. La part du btiment dans le PIB s'lve 16 %.En dcembre dernier, Nouriel Roubini jouant une nouvelle fois au Cassandre, a exprim de faon image ses doutes sur un relvement de l'Espagne. 'L'Espagne est le gros lphant dans la crise de la dette europenne, parce qu'il n'y aura probablement pas assez d'argent pour la renflouer financirement.' Paradoxalement, l'Etat espagnol peut se targuer d'une gestion rigoureuse au contraire de bien des grands Etats de l'Union europenne. Les critres de Maastricht ont t respects Madrid. Tout le monde en Europe ne peut en dire autant : la dette publique espagnole est infrieure (60 % du PiB en 2010) celle de l'Italie, de la France, de l'Allemagne et du Royaume-Uni. ['Cantona qui bat la campagne']. L'Espagne butte en revanche sur l'ampleur de la dette prive (source). La surconsommation a conduit au surendettement. Les Espagnols n'ont plus les moyens de continuer, au moment mme o le chmage repart en forte hausse : cinq millions de personnes en 2011 (21,3 % des actifs). Les fondements de la croissance conomique prcdente se fissurent ['Lorsque je suis fort, c'est alors que je suis faible'].Les signes avant-coureurs n'ont pas manqu, et en particulier l'augmentation des prix de l'nergie et des matires premires ds 2005. Le secteur de l'immobilier n'a pas seulement tir vers le haut l'conomie espagnole. Il a accompagn l'affaissement du modle familial traditionnel, la multiplication des sparations et la banalisation des mnages mono-parentaux. Le nombre de mnages est pass de 11,5 millions en 1991 16,2 millions en 2007, alors que le crot naturel s'approche de zro. L'immobilier a monopolis les investisseurs attirs par l'effet d'aubaine, au dtriment des autres secteurs conomiques.Des milliers de jeunes Espagnols ont renonc poursuivre des tudes pour profiter du moment prsent. Un adolescent de quinze ans sur trois quitte le systme ducatif sans diplmes. Dans le mme temps, le taux de chmage des moins de 20 ans atteint 45 %. Les secteurs du btiment et du tourisme ont pendant plusieurs annes embauch grce des salaires attrayants. L'occasion tait trop belle pour que les cigales ne la saisissent. Combien sont-ils aujourd'hui, sans travail ni qualifications ? Les fourmis ont rsist aux sirnes. Elles ont poursuivi leurs tudes, en dpit des embches. A la sortie des universits, la concurrence entre candidats et les besoins limits des entreprises ont frustr les plus fragiles : des salaires insuffisants par rapport au cot de la vie - encore le logement - et les attentes, des emplois parfois loigns des qualifications, le chmage pour les plus inadapts [voir Matilde Alonso Prez, Elies Furio Blasco et Christel Birabent Camarasa : Espagne: croissance, crise et indignation]. Ceux qui ont survcu intressent moins que les mileuristas qui gagnent moins que le minimum ncessaire pour vivre chichement. Ces derniers ont fourni les gros bataillons des indignados rassembls sur les places des grandes villes espagnoles. Les dsenchants regrettent la fte bien que celles-ci soit termine. Ils ne veulent pas renverser l'ordre ancien, mais le prolonger : 'une gnration dsengage, dsinvestie, accro la socit de consommation et qui ne croit plus en rien.' (source). Certains ne comprennent pas que les difficults du moment n'ont pas surgi tout d'un coup (source).Lorsque la fte battait son plein, tous ne s'amusaient pas, comme l'crivait Lucia Etxebarria dans 'Amour, Prozac et autres curiosits', best-seller de 1997. On y trouve de quoi comprendre l'Espagne d'aujourd'hui. C'est un clich qui a fait le succs du roman : une jeunesse libre et insouciante se doit de consommer des drogues de toutes sortes et de multiplier les expriences sexuelles. Les premires circulent qui mieux-mieux sans que Lucia Etxebarria ne parvienne transmettre le mystre du malaise des consommateurs. Des secondes, on retient quelques performances sportives. Quant au futur...La chair mise nu ennuie. Elle ne drange que lorsque Cristina, la jeune hrone se remmore un orgasme avec un homme qui l'a menotte et prise de force. Elle-mme prfre tre serveuse plutt que d'exercer un mtier conforme ses diplmes. Lucia Etxebarria ne se contente pas de dcrire une jeunesse qui brle la chandelle par les deux bouts, tourdie par la Movida. Les deux surs de Cristina jalousent leur cadette, libre et (presque) heureuse. Le roman s'achve sur leurs retrouvailles improbables. La cadre va lcher son boulot et la mre au foyer va divorcer pour vivre selon leurs (vraies) aspirations. L'air du temps est au dveloppement personnel et l'harmonie interne ['Comment tre heureux sans suivre aucun cours']Les Indigns recrutent au-del des Pyrnes. Toute la jeunesse europenne se reconnaitrait dans le mouvement du 15 mai (source). Les statistiques de l'emploi des jeunes Europens montrent bien que l'Espagne n'est pas un pays original. Encore faudrait-il ne pas se tromper sur les bases du malaise. Les non qualifis souffrent bien plus que d'autres du chmage ['Deviations obligatoires']. Et les jeunes qui arrtent leurs tudes comme Cristina prtent le flanc un retournement de conjoncture, sans adaptation possible. Les gnrations prcdentes ont elles aussi vcu dans l'insouciance. Elles ont vomi le confort de la vie bourgeoise, et recherch un bonheur pur de toutes compromissions. Elles ont lgu leurs enfants des souvenirs cahotiques et des fantmes encombrants. Dans 'Amour, Prozac et autres curiosits', on constate un glissement des idaux. Ainsi, Kerouac cit par la romancire espagnole prfre en substance tre maigre que clbre. Les jeunes Espagnols de Lucia Etxabarria ne jurent quant eux que par les nymphettes anorexiques.Cette jeunesse n'est pas rvolutionnaire, instruite des dsastres passs, sans doute anime par des intentions pacifiques et constructives. Elle ne sait juste pas trs bien quels saints se vouer. Une des meilleures scnes du roman se droule dans un bus, entre Cristina et une de ses amies. Elles changent sur leurs expriences sexuelles et la banalit de leurs rencontres masculines. A leur ge, leurs grands-mres se mariaient et avaient des enfants. Elles font l'amour le samedi soir en banlieue, dans des chambres de garons, avec la maman de l'autre ct de la cloison. Les gugusses font rarement l'affaire, se prenant pour des talons, avec la subtilit et l'intelligence de l'animal.Les fils de bourgeois rvolts se comportent en aristocrates canailles et pleurnichards ? Le malaise conomique et social ne sort pas du cerveau de quelques excits. Mais il n'y a rien attendre de ceux qui palabrent tout en refusant de voter. Les rseaux sociaux ne crent pas des partis de gouvernement (source). Les ttes de linottes ne manquent pas qui se laissent influencer et suivent le mouvement (source). Pour l'heure les plus radicaux restent minoritaires (source). En attendant le chmage frappe les moins arms, et la dsesprance rgne, que les plus excits essaieront de rcuprer.Tous ignorent la fable de la cigale et de la fourmi, et oublient le caractre relatif des choses matrielles. C'est bien facile dire lorsque l'on jouit d'un emploi stable. Mais au-del, seuls les plaisirs suprieurs nous sauvent. Ils relvent du spirituel, de l'esthtique ou de l'intellectuel ; encore faut-il s'engager dans cette voie.*18 fvrier 2012. L'Espagne veut viter les saisies immobilires. C'est le titre incongru du Figaro. Je ne fais pas ici allusion la personnalisation du pays : tendance agaante, mais aussi habituelle que relativement anodine. Non, il s'agit de la contradiction profonde des termes employs. Le droit ne peut nier le droit. D'un ct, le gouvernement espagnol veut protger les expulss potentiels ; par la voie lgale, j'entends. De l'autre, les banques ont le droit de saisir les biens d'emprunteurs rcalcitrants." [...] En 2010, 100.000 familles espagnoles ont t expropries par les banques pour des traites impayes, un nombre quatre fois plus lev qu'en 2007. Cette dgradation de la situation tient autant la crise qu' la structure du march immobilier. En Espagne, 83% de la population est propritaire de son logement, un record dans l'Union europenne. Malgr un changement d'attitude depuis l'clatement de la bulle immobilire, le march locatif est encore trs rduit. Au plus fort du boom immobilier, les banques ont accord des crdits sans discernement ; pour 100% ou davantage de la valeur du bien, taux variable et sur des dures allant jusqu' 40 ans. Au fur et mesure des saisies, les banquiers sont devenus les premiers agents immobiliers du pays. Ces proprits, difficiles vendre sur un march morose, constituent aujourd'hui une vritable bombe retardement dans les bilans des banques. [...] ""A ce niveau de la dmonstration, je note que le bilan ne fait plus dbat. Il tait temps. Si j'tais un peu caustique, j'interrogerais le Figaro sur l'argument des 83 % de propritaires... N'a t-on pas serin les oreilles des Franais avec le modle de la proprit ? Mais passons. Il y a quand mme une grosse erreur corriger.Les banquiers ne sont pas des agents immobiliers. Ils ne le sont pas devenus : ni en Espagne, ni ailleurs. Ceux-ci grent un parc (trs accessoirement en Espagne) et - surtout - vendent des appartements et des maisons. Ceux-l sont donc devenus autre chose. Ils ont acquis des centaines de milliers (millions ?) de m, le tout en rcoltant chaque mois les remboursements d'emprunts d'Espagnols encore solvables. Plus rentiers que les rentiers : appelons-les super-rentiers..." [...] La Banque d'Espagne a publi vendredi le taux de crances douteuses des banques espagnoles. 7,87% en dcembre 2011, c'est le chiffre le plus lev depuis 1994, plus du double du taux qui prvalait il y a encore trois ans. Ces crdits, dont certains ne seront jamais rembourss, concernent essentiellement le secteur immobilier et s'lvent 135,7 milliards d'euros. Entre crances douteuses, et un stock d'immeubles et de terrains invendus, les actifs considrs comme problmatiques - car la valeur incertaine - reprsentaient au total 176 milliards d'euros en juin 2011. La rforme financire prpare par l'excutif vise assainir le secteur bancaire, principale source d'inquitude des marchs. L'objectif est de favoriser l'absorption des petites structures dficitaires par les banques les plus importantes et de contraindre les tablissements de crdit renforcer leurs provisions de 52 milliards d'euros. La loi a t vote jeudi par une large majorit des dputs. Une union sacre rare face l'urgence de la crise. "Les super-rentiers font trembler. En Espagne et ailleurs, personne ne peut estimer le montant de leurs actifs. Les transactions immobilires vont bientt tomber un niveau tel que les prix n'indiqueront plus grand chose. Car, nous a dit le Figaro, les expulsions n'auront plus lieu. Or celles-ci provoquent 'en temps normal' la revente rapide de biens un prix plancher qui contre-balance la tendance haussire du march.Rsumons.Les gouvernements espagnols, droite et gauche confondues, ont pouss leurs concitoyens dans un pige : 'Jeunesse, chmage et autres curiosits. Rajoy et son ministre luttent dsormais pour les en extirper ? Je saisis mal la manuvre d'ensemble. Dans la partie de poker en cours, les super-rentiers ont en main les mauvaises cartes.Ils ne peuvent durablement grer un parc immobilier, sauf changer de mtier ou se muer en associations caritatives. J'imagine que cette option tentera l'un ou l'autre. Une minorit : la preuve par les Etats-Unis vaut ici parfaitement. Pour le reste, on entend d'ores et dj des pleurs et des grincements de dents. Je suis bon prince parce que j'ai refus la partie de poker titre personnel : j'aime trop les cartes pour cesser d'tre locataire.Et puis je garde en mmoire que les banques espagnoles, comme les autres banques europennes peuvent maudire la BCE et ses taux d'intrts plancher ; elle-mme s'en prend la Fed. Je conclus sur deux questions, en dpassant la question du blocage des expulsions : les Etats-Unis prcdent l'Espagne (et terme la France) de plusieurs annes. L-bas, la faible intensit des transactions immobilires demeure.(1) Une majorit d'Espagnols continuent de rembourser leurs emprunts, en lien avec une valeur fictive. Cela vaut en France, mais pour combien de temps encore ?(2) Les faillites bancaires approchent. Aux Etats-Unis, elles vont mme devoir verser des indemnits pour expulsions abusives. L'opinion publique rongera son frein quelques temps avec l'affaire de la sous-traitance de la gestion des emprunts (incrustation) Que feront les Etats affaiblis ? Peut-tre une loi sur les banquiers la rue...