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Essai sur la notion de réglementation

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ESSAI SUR LA NOTION DE RÉGLEMENTATION

BIBLIOTHÈQUE DE DROIT PUBLIC sous la direction de

MARCEL WALINE Professeur à l'Université de Droit, d'Economie et de Sciences sociales de Paris Membre de l'Institut

TOME CXXVI

ESSAI SUR LA NOTION DE RÉGLEMENTATION

PAR

Maryvonne HECQUARD-THÉRON Docteur en Droit

Assistante à l'Institut d'Etudes Politiques de Toulouse Université des Sciences sociales

Préface de

Jean-Arnaud MAZÈRES Professeur à l'Université des Sciences sociales de Toulouse

P A R I S LIBRAIRIE GÉNÉRALE DE DROIT ET DE JURISPRUDENCE

R. PICHON ET R. DURAND-AUZIAS 20 et 24, rue Soufflot - 75005

1977

I. S. B. N. 2-275-01256-7

OUVRAGES PARUS DANS LA MÊME COLLECTION

TOME 1. — ROBERT (J.) : Les violations de la liberté individuelle commises par l'administration (le problème des responsabilités). Epuisé.

TOME 2. — DURAND (C.) : Les rapports entre les juridictions administrative et judiciaire. Epuisé.

TOME 3. — ARDANT (P.) : La responsabilité de l'Etat du fait de la fonction juridictionnelle. Epuisé.

TOME 4. — DUCOS-ADER (R.) : Le droit de réquisition (théorie générale et régime juridique). Epuisé.

TOME 5. — LEVY (D.) : La responsabilité de la puissance publique et de ses agents en Angleterre. Epuisé.

TOME 6. — FOURRIER (C.) : La liberté d'opinion du fonctionnaire (Essai de droit public comparé : France, Grande-Bretagne, Etats-Unis, U.R.S.S., Alle- magne, Suisse, Belgique, etc.). Epuisé.

TOME 7. — MOREAU (J.) : L'influence de la situation et du comportement de la victime sur la responsabilité administrative. Epuisé.

TOME 8. — CHAPUS (R.) : Responsabilité publique et responsabilité privée. (Les influences réciproques des jurisprudences administrative et judiciaire). Epuisé.

TOME 9. — GROSHENS (J.-C.) : Les institutions et le régime juridique des cultes protestants. Epuisé.

TOME 10. — TOURDIAS (M.) : Le sursis à exécution des décisions administra- tives, 1957.

TOME 11. — BOURDONCLE (R.) : Liberté d'opinion et fonction publique en droit positif français. Epuisé.

TOME 12. — KOECHLIN (H.-E.) : La responsabilité de l'Etat en dehors des contrats de l'an VIII à 1873 (Etude de jurisprudence).

TOME 13. — JACQUEMART (D.) : Le Conseil d'Etat Juge de Cassation. Epuisé. TOME 14. — DUBISSON (M.) : La distinction entre la légalité et l'opportunité

dans la théorie du recours pour excès de pouvoir. 1958. TOME 15. — BORELLA (F.) : L'évolution politique et juridique de l'Union Fran-

çaise depuis 1946. Epuisé.

TOME 16. — DREVET (P.) : La procédure de révision de la Constitution du 27 octobre 1946.

TOME 17. — VENEZIA (J.-C.) : Le pouvoir discrétionnaire. Epuisé. TOME 18. — CONNOIS (R.) : La notion d'établissement public en droit admi-

nistratif français. Epuisé. TOME 19. — SPILIOTOPOULOS (Ep.) : La distinction des institutions publiques

et des institutions privées en droit français. Epuisé. TOME 20. — GARREAU (R.) : Le « Local Government » en Grande-Bretagne.

Epuisé. TOME 21. — KORNPROBST (B.) : La notion de partie et le recours pour excès

de pouvoir. TOME 22. — BARDONNET (D.) : Le tribunal des conflits, juge du fond. TOME 23. — LESCUYER (G.) : Le contrôle de l'Etat sur les entreprises natio-

nalisées. TOME 24. — PEUREUX (G.) : Le Haut Conseil de l'Union Française et le

Conseil exécutif de la Communauté. Epuisé. TOME 25. — LAMARQUE (J.) : Recherches sur l'application du droit privé aux

Services publics administratifs. Epuisé. TOME 26. — GOUR (C.-G.) : Le contentieux des services judiciaires et le juge

administratif. TOME 27. — RUZIE (D.) : Les agents des personnes publiques et les salariés

en droit français. TOME 28. — LESAGE (M.) : Les interventions du législateur dans le fonction-

nement de la justice. TOME 29. — DEMICHEL (A.) : Le contrôle de l'Etat sur les organismes privés.

2 volumes. Epuisé. TOME 30. — WOLFF (G.) : La trésorerie britannique. Epuisé. TOME 31. — ROUSSEAU (G.) : L'agent judiciaire du Trésor public. TOME 32. — TROTABAS (J.-B.) : La notion de laïcité dans le droit de l'Eglise

catholique et dei l'Etat républicain. Epuisé. TOME 33. — FROMONT (M.) : La répartition des compétences entre les tribu-

naux civils et administratifs en droit allemand. TOME 34. — DI MALTA (P.) : Essai sur la notion de pouvoir hiérarchique. TOME 35. — LEFEBURE (M.) : Le pouvoir d'action unilatérale de l'adminis-

tration en droit anglais et français. TOME 36. — AZAR (A.-A.) : Genèse de la Constitution du 4 octobre 1958. TOME 37. — PHILIP (L.) : Le contentieux des élections aux assemblées poli-

tiques françaises. TOME 38. — DEBBASCH (C.) : Procédure administrative contentieuse et pro-

cédure civile. Epuisé. TOME 39. — DESFORGES (C.) : La compétence! juridictionnelle du Conseil

d'Etat.

TOME 40. — NIZARD (L.) : Les circonstances exceptionnelles dans la juris- prudence administrative.

TOME 41. — OLLE-LAPRUNE (J.) : La stabilité des ministres sous la III Répu- blique.

TOME 42. — BERNARD (P.) : La notion d'ordre public en droit administratif. Epuisé.

TOME 43. — DOUC-RASY : Les frontières de la faute personnelle et de la faute de service en droit administratif français. Epuisé.

TOME 44. — GILLI (J.-P.) : La cause juridique de la demande en justice. TOME 45. — DUBOUIS (L.) : La théorie de l'abus de droit et la jurisprudence

administrative. Epuisé. TOME 46. — COTTERET (J.-M.) : Croissance et déclin du pouvoir législatif en

France. Epuisé. TOME 47. — MAZÈRES (J.-A.) : Véhicules administratifs et responsabilité

publique. TOME 48. — ARNE (S.) : Le Président du Conseil des Ministres sous la IV Répu-

blique. TOME 49. — LANDON (P.) : Histoire abrégée du recours pour excès de pouvoir

des origines à 1954. TOME 50. — MAESTRE (J.-C.) : La responsabilité pécuniaire des agents publics

français. TOME 51. — CHARNAY (J.-P.) : Le contrôle de la régularité des élections par-

lemeintaires. TOME 52. — DAUMARD (J.) : Les marchés industriels des départements de

l'Etat. TOME 53. — DANAN (Y.-M.) : La vie politique à Alger de 1940 à 1944. Epuisé. TOME 54. — TIMSIT (G.) : La nature et le rôle de la notion de fonction admi-

nistrative en droit administratif français. TOME 55. — SÉNÉCHAL (M.) : Droits politiques et libertés d'expression des

officiers des forces armées. TOME 56. — SANDEVOIR (P.) : Etudes sur le recours de pleine juridiction. TOME 57. — CASTAGNE (J.) : Le contrôle juridictionnel de la légalité des actes

de police administrative. Epuisé. TOME 58. — BRETTON (Ph.) : L'autorité judiciaire gardienne des libertés essen-

tielles de la propriété privée. TOME 59. — LINO DI QUAL (G.) : La compétence liée. TOME 60. — RENARD-PAYEN (0.) : L'expérience marocaine d'unité de juri-

diction et de séparation des contentieux. TOME 61. — FAVOREU (L.) : Du déni de justice en droit public français. TOME 62. — MONTAGNIER (G.) : Le Trésorier-Payeur général. TOME 63. — MARTIN-PANNETIER (Andrée) : Eléments d'analyse comparative

des établissements publics en droit français et en droit anglais.

TOME 64. — BAROUD (Antoine) : La situation juridique des journalistes au Liban.

TOME 65. — LACHAUME (Jean-François) : La hiérarchie des actes adminis- tratifs exécutoires en droit public français. Epuisé.

TOME 66. — EMERI (Claude) : De la responsabilité de l'Administration à l'égard de ses collaborateurs.

TOME 67. — CATHALA (Thierry) : Le contrôle de la légalité administrative par les tribunaux judiciaires.

TOME 68. — BATAILLER (F.) : Le Conseil d'Etat, juge constitutionnel. Epuisé. TOME 69. — SABOURIN (Paul) : Recherches sur la notion d'autorité adminis-

trative en droit français. TOME 70. — VINCENT (F.) : Le pouvoir de décision unilatérale des autorités

administratives. TOME 71. — SFEZ (Lucien) : Essai sur la contribution du doyen Hauriou au

droit administratif français. TOME 72. — KLEIN (Claude) : La police du domaine public. TOME 73. — RAINAUD (Jean-Marie) : La distinction de l'acte réglementaire et

de l'acte individuel. TOME 74. — CHAUDET (J.-P.). — Les principes généraux de la procédure admi-

nistrative contentieuse. TOME 75. — MOURGEON (Jacques) : La répression administrative. TOME 76. — BRAUD (Philippe) : La notion de liberté publique et ses impli-

cations en droit français. TOME 77. — BASSO (Jacques) : Les élections législatives dans le département

des Alpes-Maritimes de 1860 à 1939. TOME 78. — LANG (Jack) : L'Etat et le théâtre. TOME 79. — ISAAC (Guy) : La procédure administrative non contentieuse. TOME 80. — CHARLES (Hubert) : Actes rattachables et actes détachables en

droit administratif français. TOME 81. — DOUENGE (Jean-Claude) : Recherches sur le pouvoir réglementaire

de l'Administration. TOME 82. — WEBER (Yves) : L'Administration consultative. TOME 83. — LANDON (Pierre) : Le recours pour excès de pouvoir depuis 1954. TOME 84. — RONGERE (Pierrette) : Le procédé de l'Acte-type. TOME 85. — DELPEREE (Francis) : L'élaboration du droit disciplinaire de la

fonction publique. TOME 86. — MESNARD (A.-H.) : L'action culturelle des pouvoirs publics. TOME 87. — SALON (Serge) : Délinquance et répression disciplinaire dans la

fonction publique. TOME 88. — DELVOLVE (Pierre) : Le principe d'égalité devant les charges

publiques.

TOME 89. — AMAURY (Philippe) : Les deux premières expériences d'un « Minis- tère de l'Information » en France.

TOME 90. — GROSDIDIER de MATONS (J.) : Le régime administratif financier des ports maritimes.

TOME 91. — BECET (Jean-Marie) : La responsabilité de l'Etat pour les dom- mages causés par l'Armée aux particuliers.

TOME 92. — DENOYER (Jean-François) : L'exploitation du domaine public. TOME 93. — SCHWARTZENBERG (Roger-Gérard) : L'autorité de chose décidée. TOME 94. — TAGAND (Roger) : Le régime juridique de la société d'économie

mixte. TOME 95. — VALTER (Gérard) : Le régime de l'organisation professionnelle de

la cinématographie. TOME 96. — LALIGANT (Marcel) : L'intervention de l'Etat dans le Secteur

agricole. TOME 97. — CHEVALLIER (Jacques) : L'élaboration historique du principe de

séparation de la juridiction administrative et de l'administration active. TOME 98. — WIENER (Céline) : Recherches sur le pouvoir réglementaire des

ministres. TOME 99. — GARRIGOU-LAGRANGE (Jean-Marie) : Recherches sur les rapports

des associations avec les pouvoirs publics. TOME 100. — ETZION (David) : Le contrôle juridictionnel de l'administration

en Israël. TOME 101. — COLSON (Jean-Philippe) : L'Office du Juge et la preuve dans le

contentieux administratif. TOME 102. — NEGRIN (Jean-Paul) : L'intervention des personnes morales de

droit privé dans l'action administrative. TOME 103. — MADIOT (Yves) : Aux frontières du contrat et de l'acte adminis-

tratif unilatéral : Recherches sur la notion d'acte-mixte en droit public français.

TOME 104. — ESCARRAS (Jean-Claude) : L'unité de juridiction en droit com- paré (expériences belge et italienne).

TOME 105. — HEYMANN (Arlette) : Les Libertés publiques et la guerre d'Algérie.

TOME 106. — PIEROT (Robert) : Le statut de l'Instituteur public. TOME 107. — LOSCHAK (Danièle) : Le rôle politique du juge administratif

français. TOME 108. — GAUDEMET (Y.) : Les méthodes du juge administratif. TOME 109. — BERN (Philippe) : La nature juridique du contentieux de l'impo-

sition. TOME 110. — JACQUOT (Henri) : Le statut juridique des plans français. TOME 111. — BAYLE (Gabriel) : L'enrichissement sans cause en droit admi-

nistratif.

TOME 112. — BRECHON-MOULENES (Christine) : Les régimes législatifs de responsabilité publique.

TOME 113. — BLUMANN (Claude) : La renonciation en droit administratif français.

TOME 114. — FRANCK (Claude) : Les fonctions juridictionnelles du Conseil Constitutionnel et du Conseil d'Etat dans l'ordre constitutionnel.

TOME 115. — DU BOIS DE GAUDUSSON (Jean) : L'usager du service public administratif.

TOME 116. — MESTRE (Achille) : Le Conseil d'Etat protecteur des prérogatives de l'administration.

TOME 117. — LIVET (P.) : L'autorisation administrative préalable et les liber- tés publiques.

TOME 118. — LAVIALLE (Ch.) : L'évolution de la conception de la décision exécutoire en droit administratif français.

TOME 119. — HOSTIOU (R.) : Procédure et formes de l'acte administratif uni- latéral en droit français.

TOME 120. — GIROD (P.) : La réparation du dommage écologique. TOME 121. — MESTRE (J.-L.) : Un droit administratif à la fin de l'Ancien

Régime : le contentieux des Communautés de Provence. TOME 122. — DELCROS (B.) : L'unité de la personnalité juridique de l'Etat. TOME 123. — THERON (J.-P.) : Recherche sur la notion d'établissement public. TOME 124. — PY (P.) : Le rôle de la volonté dans les Actes administratifs

unilatéraux.

TOME 125. — TRUCHET (D.) : Les fonctions de la notion d'intérêt général dans la jurisprudence du Conseil d'Etat.

Préface

Les entreprises les plus attachantes sont aussi les plus périlleuses. Tel était bien le cas de la recherche dans laquelle Maryvonne Théron s'est engagée et qui l'amène à proposer aujourd'hui un remarquable « Essai sur la notion de réglementation ». Les difficultés étaient propres à décourager bien des enthousiasmes, et même bien de sages projets.

N'était-il pas, d'abord, présomptueux ou au moins risqué de traiter un tel thème qui traverse le droit administratif dans son ensemble et que très peu d'auteurs, depuis les « grands classiques », ont approché ? Ne l'était-il pas davantage aujourd'hui encore, alors que cette notion même de réglementation s'est étendue, compliquée, soulevant toujours de nouveaux problèmes ou dévoilant encore de nouvelles contradictions ? C'est effectivement un lieu commun que de relever la dégradation progressive de la place du règlement dans le système juridique français au moment même où il se trouve élevé au rang de norme initiale par la Constitution. Dégradation au plan organique, le pouvoir d'édicter des normes générales et impersonnelles réservé originairement aux représentants de la Na- tion est devenu une faculté reconnue à un grand nombre d'autorités administratives parfois tout à fait secondaires ; au plan formel, il n'est pas rare aujourd'hui que les dispositions réglementaires soient à rechercher, voire à débusquer dans des textes échappant aux règles de forme et de procédure des décrets ou des arrêtés; au plan matériel, les actes réglementaires se multipliant, en sont venus à s'appliquer à des domaines de plus en plus réduits et mineurs, réa- lisant ce que M. Foucault appelle très justement une « distribution infinitésimale des rapports du pouvoir » (Surveiller et punir, p. 218).

En même temps, la réglementation s'est trouvée, depuis quelques années, assez sérieusement remise en cause comme activité spéci- fique de la puissance publique. D'un côté, selon un mouvement sou- vent relevé, la technique contractuelle, permettant la négociation et l'action au coup par coup paraît se substituer en bien des domai-

nes de l'intervention publique, à celle de l'acte unilatéral de portée générale et impersonnelle. De l'autre, c'est la notion même de règle- ment défini comme prérogative de puissance publique qui est au- jourd'hui discutée : un regard attentif porté sur le domaine des institutions privées fait apparaître qu'elles obéissent souvent à des dispositions unilatérales, de nature générale et impersonnelle, qu'il existe donc une véritable « puissance privée » qui vient ébranler les vieux dogmes du consensualisme, de l'autonomie et de l'égalité des volontés individuelles.

Ainsi diluée et disséminée dans le corps social par ses effets comme par ses sources, la réglementation semble être devenue ainsi une notion fuyante, minée de contradictions et d'incertitudes. Cette situation plutôt dissuasive pour l'analyse, a au contraire incité Maryvonne Théron à chercher à éclairer ce terrain tourmenté, et à tenter une vue d'ensemble faisant ressortir, au plan de l'identi- fication de la notion comme à celui de ses manifestations, un certain nombre de lignes de forces essentielles. C'est dans cet esprit que la perspective adoptée dès le départ par Maryvonne Théron a été d'appréhender globalement la notion de réglementation, et d'essayer d'en dégager en quelque sorte le « modèle » dans le système juri- dique français. Il ne s'agit donc pas d'une étude sur le pouvoir régle- mentaire, ni sur l'acte réglementaire : au-delà de l'analyse de la compétence que détiennent certaines autorités administratives d'édicter des mesures à portée générale et impersonnelle, au-delà de l'examen de l'acte qui est l'expression juridique de cette compé- tence, la référence à la notion de réglementation implique la saisie d'un processus complexe et d'un instrument opératoire de l'action administrative. Processus et instrument, la réglementation obéit, selon l'auteur, à une certaine logique essentielle qu'il est nécessaire de faire apparaître au-delà des incohérences et des contradictions apparentes. Il ne s'agit donc pas d'une recherche sur le phénomène de la réglementation, mais bien d'une tentative de dégagement de la notion de réglementation.

Certains émettront peut-être des doutes sur l'opportunité ou même la validité d'une telle approche théorique et globale : l'heure serait plutôt aux sages constats, modestement empiriques, porteurs de certitudes partielles plus nécessaires que des constructions « doc- trinales » sujettes à controverses. On leur répondra que, comme toutes les autres, la science du droit progresse par plusieurs côtés; que la plus belle construction théorique n'est à coup sûr rien si elle ne s'appuie sur des observations exactes; mais que l'accumulation de celles-ci n'a jamais permis d'expliquer quoi que ce soit, et qu' il est un moment où il faut prendre quelque recul avec le réel pour

mieux ensuite le saisir. La lecture de l'ouvrage de Maryvonne Théron les convaincra, du reste, que la rigueur et la prudence scientifiques ne sont pas incompatibles avec le goût de la synthèse et de l'expli- cation d'ensemble : l'esprit de géométrie ne s'oppose pas chez elle à l'esprit de finesse, il en est le double obligé — le frère jumeau. Leur complicité nous donne aujourd'hui une étude sur la régle- mentation qu'il sera impossible d'ignorer désormais pour l'appro- che de cette notion essentielle du droit administratif.

L'ouvrage de Maryvonne Théron, dont on ne saurait ici mesurer tous les apports, a le mérite essentiel et nouveau pour une analyse de ce type, d'être construit, dans son ensemble, non sur une logique formelle (qui se satisfait d'une cohérence de la forme purement extérieure) mais sur une logique du contenu. A tous les stades de sa démonstration, l'auteur s'attache effectivement à la matière qui constitue la réglementation et en forme la substance, à celle qui la produit et en établit le fondement, à celle enfin qui l'exprime et en assure la manifestation. Et c'est par le maniement de cette logique du contenu que Maryvonne Théron fait apparaître des orien- tations fondamentales là où la logique formelle, en général utilisée, conduit aux constatations habituelles d'incohérence et d'incertitude.

Il en est ainsi d'abord en ce qui concerne l'identification de la notion de réglementation, premier objectif poursuivi par l'auteur.

D'emblée, au-delà de la multitude des formes, l'auteur dégage les caractères intrinsèques de la réglementation : unilatéralité et normativité qui forment un couple indissociable. Rejetant en effet toute analyse quantitative, Maryvonne Théron appréhende l'unila- téralité comme rapport inégalitaire entre l'auteur et le destinataire de l'acte, cette inégalité au sein du contenu de l'acte s'exprimant juridiquement par la modification apportée à l'ordonnancement juridique, c'est-à-dire la normativité. Cette perspective la conduit à préciser bien des points classiquement débattus en doctrine comme celui des circulaires et des directives, celui de la distinction de l'acte réglementaire et de l'acte individuel, ou encore celui de l'impé- rativité qui traduit la force exécutoire de l'acte.

Une telle position centrale attribuée à la normativité permet aussi à Maryvonne Théron de se situer clairement au sein du débat au- jourd'hui largement ouvert sur la « production » de la décision :

dans le processus d'élaboration de la décision, le moment essentiel est celui de l'édiction qui traduit le passage du fait au droit. L'au- teur en ce sens, rejette la conception la décision dans la totalité de la société : la linéarité n'est pas seulement une référence formelle et idéalisée mais participe bien à la structure même de la formation de l'acte, quelles que soient par ailleurs ses déterminations métajuridiques. Mais est refusée aussi toute analyse qui, se situant au plan kelsénien de la théorie pure du droit, ne retiendrait aucun élément volontariste dans la production de la norme. Car l'édiction est justement le moment où la volonté se manifeste juridiquement : les organes créateurs de la norme sont ceux qui sont appelés à intervenir dans cette créa- tion par un acte valant consentement et exprimant une volonté suffisante. L'influence de Ch Eisenmann est ici évidente, et d'ail- leurs reconnue; l'on ne peut, selon nous, que s'en féliciter. Peut- être, cependant, faudrait-il s'interroger sur le recours à ces notions subjectives que sont la volonté ou le consentement. Un dilemme apparaît alors. Ou bien, en effet le fondement de la volonté créa- trice de la norme est d'ordre purement juridique, il se trouve dans une autre ou dans d'autres normes, et l'on est alors ramené au schéma pyramidal de Kelsen qui débouche sur l'hypothétique norme originaire. Ou bien le fondement de la volonté normative est de nature non juridique, mais par cette référence à la volonté dont il faut alors chercher les déterminations, s'engouffrent toutes sor- tes d'éléments disséminés dans la totalité sociale; et l'on est bien proche alors semble-t-il des positions de ceux qui critiquent les notions classiques de linéarité, de rationalité et de liberté. Dans ce débat capital, peut-être Maryvonne Théron n'a-t-elle pas conduit la logique du contenu qui la guide jusqu'à ses conséquences ultimes. Il est cependant difficile de lui en faire grief tant est enraciné dans notre tradition juridique la nature en quelque sorte axiomatique du recours à la volonté dans l'analyse des actes. L'on est du reste d'autant moins porté à formuler un tel regret que l'analyse entre- prise plus loin sur le fondement de la réglementation permet en définitive à l'auteur de dégager sans équivoque le cadre général au sein duquel le dilemme évoqué peut être tranché. Respectueuse de l'observation du droit positif, Maryvonne Théron constate qu'à cet égard, le fondement premier de la réglementation est la puis- sance publique : seule celle-ci a la faculté d'édicter des actes uni- latéraux à portée générale. Et si les développements consacrés à cette question sont classiques, au meilleur sens du terme, certaines vues tranchent par leur originalité que soutient d'ailleurs une dé- monstration rigoureuse : ainsi, par exemple l'analyse du pouvoir

réglementaire des ministres comme pouvoir dévolu pour mener à bien une mission assignée de l'extérieur et non comme pouvoir pré- tendument spontané issu des « besoins » de l'organisation.

Mais les perspectives les plus neuves, et aussi les plus riches, apparaissent lorsque l'auteur, dépassant l'étude de la réglementation comme expression de la puissance publique, fait ressortir le fonde- ment institutionnel de toute production normative. On sait com- ment le doyen Hauriou, dénonçant le système de la règle de droit objective de Duguit pourtant estampillée du label officiel du droit positif, s'attacha à montrer que ce ne sont pas les règles de droit qui créent les institutions, mais bien au contraire « les institutions qui engendrent les règles du droit grâce au pouvoir de gouverne- ment qu'elles contiennent » (La théorie de l'institution et de la fondation, p. 94). Dans notre société française, où la puissance étatique ne s'est vu longtemps opposer que les myriades de relations interindividuelles et où les relations de groupe à membre de groupe ont été systématiquement oubliées ou occultées, une telle analyse ne pouvait guère avoir d'écho. Il n'en est plus de même aujourd'hui, toute une partie de la doctrine qui n'a pas voulu rester aveugle sur l'importance des décisions unilatérales et impersonnelles dans la sphère des intérêts privés, admet désormais que la réglementa- tion, indépendamment de sa nature publique ou privée, est inhé- rente au phénomène institutionnel qui traverse le corps social dans son ensemble. Maryvonne Théron a le grand mérite d'apporter un certain nombre de démonstrations difficilement réfutables à l'appui de cette thèse, notamment en ce qui concerne le règlement intérieur expression fondamentale des relations inégalitaires au sein de l'en- treprise. Mais elle va plus loin. Elle tente de dépasser la simple affirmation du caractère institutionnel de la réglementation, pour chercher à déterminer pourquoi et par quelles voies l'institution produit, secrète la réglementation. Et à ce stade, il apparaît impos- sible de se référer à un concept général et abstrait d'institution : la réglementation découle des éléments constitutifs de la notion même d'institution qu'il est donc indispensable d'analyser. Mais alors une question se pose : quels éléments, quelle institution ? Question qui paraîtra à certains incongrue : l'institution ne ren- voie-t-elle pas, évidemment, à la construction de Maurice Hauriou ? Maryvonne Théron n'a pas pensé que l'on pouvait en rester là — et nous l'avons encouragée dans l'exploration des modèles ins- titutionnels élaborés selon d'autres perspectives que celles du doyen de Toulouse. On ne peut, par exemple, ignorer aujourd'hui le courant institutionnaliste que représentent G. Lapassade et R. Lourau; et les juristes ne peuvent toujours fermer les yeux sur

la construction si rigoureuse que J.-P. Sartre propose de l'insti- tution dans sa « Critique de la raison dialectique », ni sur les vues si enrichissantes que G. Deleuze propose sur les rapports entre les institutions, le contrat et la loi. Ouverte, comme toute bonne juriste, aux recherches sociales, Maryvonne Théron montre ainsi que la norme institutionnelle peut n'être pas nécessairement analysée com- me découlant de l'adhésion des consciences individuelles à l'idée d'œuvre, et que d'autres analyses sont possibles dans le sillage no- tamment de conceptions matérialistes des rapports sociaux.

Si, en définitive, la réglementation est l'expression de « l'autono- mie institutionnelle maîtrisée par la puissance publique », les mani- festations de la notion de réglementation dans le droit positif ne peuvent que revêtir, si l'on va au fond des choses, qu'une ambiguïté fondamentale, celle de l'un et du multiple qui est au cœur de toute organisation sociale.

Cette ambiguïté, Maryvonne Théron, toujours guidée par la logi- que du contenu, en fait apparaître la première manifestation dans ce qu'elle appelle « les deux dimensions de la réglementation ». Ici, le propos est entièrement original, ici plus qu'ailleurs encore, l'œuvre est créatrice et répond à ce que l'on doit exiger d'une thèse, au vrai sens du terme.

Selon l'auteur, les autorités administratives exercent dans cer- tains cas une compétence réglementaire qui leur a été dévolue par la puissance publique pour leur permettre d'exercer leur mission : il s'agit alors d'une réglementation conférée qui se définit matérielle- ment. Dans d'autres hypothèses, la réglementation, dont on connaît le fondement, traduit justement au sein de l'ordre juridique « le pouvoir de commandement nécessaire à l'organisation et au fonc- tionnement d'une institution » et manifeste le pluralisme institution- nel au sein du corps social; mais l'Etat ayant le monopole de la compétence normative, cette réglementation , secrétée par les insti- tutions qu'il englobe, doit, pour exister juridiquement, être recon- nue par lui : il existe donc une réglementation reconnue spécifique, propre à certaines institutions, et qui se définit dès lors en fonction des membres du groupe intéressé, c'est-à-dire personnellement. Et Maryvonne Théron ne se contente pas de présenter cette thèse de manière théorique : en des pages où elle manifeste une grande ri- gueur juridique, elle analyse, en s'appuyant sur les données les plus incontestables du droit positif, les conditions d'existence de ces deux types de réglementation, ainsi que les finalités dont elles

sont les manifestations. Particulièrement intéressantes sont les pa- ges consacrées à la réglementation reconnue dont bénéficient les collectivités territoriales, et les ordres professionnels, ainsi que cer- tains groupements de nature juridiquement privée. L'auteur montre notamment de manière très convaincante comment, dans la juris- prudence du Conseil d'Etat, la référence à la notion de service public est la voie par laquelle le pouvoir réglementaire spontané mais juridiquement non consacré de certains organismes privés, se trouve révélé et réintégré dans l'ordre étatique : la célèbre déci- sion « Barbier », interprétée dans cette optique, prend un nouveau et singulier relief, et traduit bien cette ambiguïté dans la logique de l'Etat unitaire, de l'impossible négation du pluralisme institu- tionnel.

C'est une autre équivoque qu'affronte Maryvonne Théron lors- qu'elle s'attache à démontrer que la réglementation est aujourd'hui plus que jamais le procédé privilégié de l'intervention publique. L'analyse est ici à contre-courant de tout un mouvement doctri- nal qui s'est fait depuis quelques décennies le coryphée de l'essor du concept contractuel dans l'intervention publique, et le complice d'un Etat qui affirme n'être plus l'expression hautaine d'une puis- sance souveraine mais celle d'un « pouvoir tutélaire et doux » que Hobbes avait si bien prophétisé. Avec sa rigueur habituelle, l'auteur démonte tous les mécanismes juridiques des actes incita- tifs, quasi-contrats et autres procédés prétendument contractuels. Et derrière l'imprécision ou l'improvisation des formes, elle fait apparaître, sans contestation possible dans le contenu, la nence de l'acte unilatéral à portée générale et impersonnelle.

A vrai dire, sur ce plan, l'heure n'est plus tout à fait au contrac- tualisme triomphant : les redressements aujourd'hui acquis de la jurisprudence, la juste persistance de certaines analyses doctri- nales attachées à la puissance comme fondement de l'action et du droit administratif, mais aussi les malheurs de la conjoncture en- traînent fort heureusement à des positions plus nuancées et plus exactes juridiquement et politiquement. L'apport spécifique de Maryvonne Théron est cependant de montrer qu'en réalité le pro- cédé de la réglementation est suffisamment riche en potentialités, suffisamment souple (malgré les apparences) pour convenir parfai- tement aux exigences de l'interventionnisme moderne, particuliè- rement dans les domaines économique et social. L'examen attentif et original qu'elle fait de la sphère des relations privées la conforte du reste dans cette affirmation. Cette sphère est loin, en effet, de livrer sa géométrie avec le seul principe contractuel et consensua- liste, et l'on peut, sans grande peine, faire ressortir l'essor de

l'intervention réglementaire dans la technique conventionnelle. Mais surtout l'auteur montre parfaitement comment le procédé ré- glementaire permet aux destinataires, à des stades importants de l'élaboration de l'acte, de faire valoir leur volonté, voire leurs exi- gences, et au total d'influencer ou même d'infléchir une décision administrative qui, en la forme, reste unilatéralement édictée.

Peut-être pouvait-on insister davantage sur les garanties d'éga- lité et de rationalité que permet à l'administration l'utilisation de la technique réglementaire, alors que la pratique conventionnelle au coup par coup l'entraînerait vers les terres dangereuses de l'ar- bitraire. Peut-être fallait-il, allant plus loin encore, s'interroger à l'inverse sur le caractère formel de l'unilatéralité et de la puissance dès lors qu'elles ne sont que l'expression d'une décision infléchie par les pressions des destinataires, parfois même d'une décision obte- nue par les exigences des intérêts privés. C'est toute l'idéologie d'une administration neutre et au service de tous, drapée dans le mythe du service public, qu'une telle interrogation risquerait en fait de dévoiler.

Cette trop longue préface à laquelle, en violation des règles habi- tuelles du style allusif et exclusivement laudateur convenant à ce type d'exercice, nous nous sommes « laissé aller », traduit en tous cas le plaisir sans entrave que nous avons encore aujourd'hui à par- ler du texte de Maryvonne Théron. Juridiquement d'une très grande rigueur, il est aussi, on s'en rendra compte, singulièrement stimu- lant par l'ouverture d'esprit qu'il témoigne et le refus des confor- mismes qu'il bouscule. L'entreprise était risquée, on l'a dit en commençant : elle est, selon nous, parfaitement réussie. Sans doute, on ne partagera pas toujours les vues de l'auteur qui soulèveront peut-être des controverses. Nous nous en réjouirons, quant à nous, car nous croyons encore que les débats juridiques et politiques ne sont pas morts sous les prétendues évidences des analyses dites techniques. Mais l'on ne pourra aussi, soyons en sûr, que s'incliner devant le caractère toujours rigoureux des approches et des dé- monstrations. Non, grise n'est point la théorie qui donne à ce tra- vail toute sa valeur scientifique, quelque stricte qu'elle soit, lors- qu'elle est aussi vigoureusement imprégnée de « l'arbre vert de la vie ».

Jean-Arnaud MAZÈRES, Professeur à l'Université des Sciences Sociales de Toulouse.

A JEAN-PIERRE,

A MES PARENTS.

A MONSIEUR LE PROFESSEUR

J. A. MAZÈRES,

EN TÉMOIGNAGE DE RECONNAISSANCE.

ABRÉVIATIONS PRINCIPALES

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T.C. Tribunal des Conflits.

T.G.I. Tribunal de Grande Instance.

INTRODUCTION GÉNÉRALE

La réglementation est sans doute l'une des notions les plus anciennes et l'un des domaines les mieux explorés du droit public. Dès l'abord, le juriste est facilement enclin à penser que nul aspect la concernant, nul problème s'y rattachant n'a pu échapper aux recherches doctrinales.

Remarquable instrument de la puissance publique, elle exprime l'autorité légitime de l'Etat libéral. C'est par référence à ce cadre traditionnel et bien connu qu'est généralement étudiée la réglemen- tation. Elle est alors analysée comme un procédé impératif et rigide, destiné à encadrer l'activité privée. Que les missions de l'Etat se transforment, que les pouvoirs publics recherchent en premier lieu à orienter et à influencer le monde économique et social, qu'ils « interviennent », alors la réglementation semble sinon remise en cause, tout au moins délaissée au profit d'outils mieux adaptés et plus respectueux en apparence de l'autonomie des volontés qu'il s'agit d'influencer. Erodée par le temps la réglementation se ver- rait préférer diverses techniques d'un nouveau type, alliant l'action unilatérale et l'action conventionnelle. Paradoxalement, à l'heure même où le règlement s'affranchit pour une large part de sa subor- dination historique à loi, au moment où il devient constitutionnelle- ment le procédé normal d'élaboration de la règle de droit, la régle- mentation déclinerait ou plus simplement survivrait. S'en tenir à un tel constat c'est peut être adopter une attitude superficielle, c'est en tous cas n'étudier que partiellement la réalité. L'observation peut en effet, à l'inverse, montrer que la réglementation imprègne l'en- semble du droit administratif et au-delà des frontières du droit public empiète sur les domaines réservés au contrat, au point que

le phénomène réglementaire serait omniprésent. Cette constatation n'est ni plus exacte ni plus abusive que la précédente, fruit d'une démarche empirique elle n'explique pas davanage le phénomène réglementaire.

Toutefois, la contrariété de ces opinions met en lumière l'un des éléments caractéristiques de la réglementation, son aspect évolu- tif. Aussi bien s'avère-t-il nécessaire de mener une étude qui sans dépasser les faits, soit susceptible de fournir l'explication synthé- tique d'une notion a priori trop variable pour se soumettre aisément à la rigueur de l'analyse juridique.

La première difficulté consiste certainement à délimiter le sujet, à préciser en quoi la réglementation diffère du pouvoir réglementaire. La réglementation englobe et dépasse le pouvoir réglementaire. Ces derniers termes évoquent en effet tout à la fois l'organe compétent et la fonction exercée. Mais ils se rapportent toujours à une phase bien précise de la réglementation sur laquelle les auteurs ont concen- tré leurs études : l'édiction d'un acte unilatéral général et imperson- nel, le règlement, ou cet acte lui-même.

Une recherche sur la réglementation se situe dans une autre pers- pective. Non seulement la réglementation ne saurait être comprise comme le résultat du pouvoir réglementaire et se réduire à l'ensem- ble des actes réglementaires mais surtout sa création compte diffé- rentes phases dont l'édiction de l'acte réglementaire n'est qu'une étape, pour importante qu'elle soit. La réglementation recouvre le pouvoir réglementaire mais elle le précède et le prolonge, d'où la richesse d'une notion peut être plus méconnue qu'il ne paraît au prime abord.

Si la réglementation prête à des interprétations doctrinales diver- gentes c'est qu'elle englobe des situations diverses et qu'elle revêt des formes variées. Cependant, par-delà la diversité de ses expres- sions, la réglementation est une notion homogène.

Démontrer sa cohérence conduit tout d'abord à dégager ses traits essentiels et permanents, à rechercher les principes qui la gouver- nent, à tenter en un mot de la définir. Cette première démarche doit faire apparaître l'unité de la notion dont le caractère unilatéral et normateur sert de commun dénominateur aux formes variées qu'elle emprunte.

Mais il ne suffit pas de constater l'unicité de la notion en droit positif pour rendre compte de sa cohérence. Au-delà de sa définition, il convient d'en rechercher le fondement seul susceptible de révéler sa véritable signification. La réglementation, notion homogène est d'essence institutionnelle. Elle émane de l'institution et se développe en elle, c'est elle qui donne à la notion son originalité. Encore con-

viendra-t-il d'adopter une acception suffisamment précise de l'insti- tution pour apprécier convenablement la portée de l'analyse. Ses aspects différents ne sont alors que l'expression d'un même phéno- mène, l'autonomie institutionnelle, maîtrisée par la puissance publi- que.

La logique de cette recherche appellerait l'inclusion de la loi dans la notion générale de réglementation (1) Une telle démarche élargi- rait cependant à l'extrême l'étude volontairement limitée au domaine du droit administratif.

La notion une fois comprise, il devient possible d'aborder ses manifestations, leur régime juridique et leur portée respective. Or, la réglementation semble correspondre à deux dimensions essen- tielles. Elle est soit octroyée par l'Etat selon des procédés juridiques de transfert que l'on peut recenser, soit reconnue par lui. Dans le premier cas elle émane de l'Etat, elle est simplement conférée ou dévolue et correspond à un aménagement rationnel des tâches publi- ques. Dans le second elle révèle la diversité des sources du droit et pose le problème de leur réintégration dans l'ordre étatique. Si le juge administratif se montre prudent et restrictif à l'égard d'une telle reconnaissance, c'est qu'il en mesure les dangers réels. A terme en effet, le pluralisme juridique remettrait en cause l'ensemble du système administratif lui-même. L'analyse doit donc s'appliquer à éviter toute systématisation trop hardie sous peine de s'éloigner du droit positif. Par contre, elle doit montrer que réglementation conférée et reconnue ne sont pas antinomiques, que pour être régies par des règles différentes elles correspondent à un phénomène uni- que.

Se limiter à la description et à la compréhension d'une telle notion, rechercher la clé qui permette d'expliquer la signification de ses différentes expressions conduirait cependant à laisser dans l'ombre un aspect du phénomène et non des moindres, la place réelle qu'occupe la réglementation au sein des procédés d'action de la puissance publique. L'étude se doit donc en dernier lieu d'appré- cier ce qui parmi les techniques nouvelles utilisées, en droit éco- nomique particulièrement, ressort de la réglementation ou non. L'erreur trop souvent commise est sans doute de lier la réglemen- tation à la forme autoritaire et rigide qu'elle avait sous l'Etat libéral. La diversité des modalités nouvelles ne doit pas cacher la

(1) Duguit, en particulier, souligne avec force l'identité de la loi au sens matériel et du règlement : « ... Au point de vue juridique interne, le règlement et la loi matérielle sont identiques. J'ai beau chercher, je ne puis arriver à trou- ver entre eux une différence quelconque ». Traité de droit constitutionnel, 3 édit., 1928, t. II, p. 209 et s.

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