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Al-Qaïda au Maghreb islamique : Une organisation changeante entre survivance et pragmatisme Adib Benchérif Essai de maîtrise en Études internationales Sous la direction du Professeure Aurélie Campana Institut Québécois des Hautes Études Internationales Université Laval Septembre 2012

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Al-Qaïda au Maghreb islamique :Une organisation changeante entre survivance et pragmatisme

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  • Al-Qada au Maghreb islamique : Une organisation changeante entre

    survivance et pragmatisme

    Adib Benchrif

    Essai de matrise en tudes internationales Sous la direction du Professeure Aurlie Campana

    Institut Qubcois des Hautes tudes Internationales Universit Laval Septembre 2012

  • ii

    Table des matires

    Liste des abrviations et acronymes ................................................................................... iii

    Introduction .......................................................................................................................... 4

    1. Le GSPC, entre hritages et recherche de lgitimit ................................................... 10

    1.1 Le retour des Afghans algriens dans un paysage politique clat .................... 10

    1.2 La radicalisation du GIA ou son isolement progressif .............................................. 12

    1.3 Lchec dun combat national ou lvolution oblige ................................................ 17

    1.4 Le long rapprochement avec Al-Qada centrale ........................................................ 21

    2. Du GSPC AQMI, une volution entre ruptures et continuits................................ 25

    2.1 Changements idologiques et modifications du discours .......................................... 25

    2.1.1 Lalignement apparent du systme de croyances et de valeurs ............................. 25

    2.1.2 Des concessions de surface pour une ralit volue mais singulire ................... 27

    2.2. Transformations structurelles et cooptations ........................................................... 30

    2.3. Le modus operandi, entre invariants et modifications ............................................. 32

    3. AQMI au Sahel, recentrage ou projection ? ................................................................ 37

    3.1 Lespace sahlo saharien : espace dopportunits et zone grise pour les tats ...... 37

    3.1.1 Les caractristiques dun espace mal dfini et mal matris ................................. 37

    3.1.2 Lintgration des ralits sociales par AQMI ......................................................... 41

    3.2 Le financement entre stratgie du groupe et agendas politiques. ............................ 45

    3.2.1 Rivalits et visions diffrentes au Sahel ................................................................... 46

    3.2.2 Le retour permis ou ncessaire du combat en Algrie ? ........................................ 49

    3.2.3 Le Nord du Mali et le jeu brouill dAQMI ............................................................ 51

    Conclusion ........................................................................................................................... 55

    Bibliographie ....................................................................................................................... 59

    Annexes ................................................................................................................................ 69

  • iii

    Liste des abrviations et acronymes

    AIS

    AQI

    AQMI

    DRS

    FLN

    FIS

    GIA

    GICL

    GICM

    GICT

    GSPC

    MIA

    MUJAO

    Arme islamique du salut

    Al-Qada en Irak

    Al-Qada au Maghreb islamique

    Dpartement du renseignement et de la scurit (algrien)

    Front de libration nationale

    Front islamique du salut

    Groupe islamique arm

    Groupe islamique des combattants libyens

    Groupe islamique combattant marocain

    Groupe islamique combattant tunisien

    Groupe salafiste pour la prdication et le combat

    Mouvement islamique arm

    Mouvement pour lunicit et le jihad en Afrique de lOuest

  • Introduction

    Al-Qada au Maghreb islamique (AQMI) a acquis au cours des dernires annes une visibilit

    mdiatique sans prcdent, de par la multiplication denlvements et de prise dotages

    dOccidentaux1 dans la rgion sahlo-saharienne. Les ressortissants franais semblent tre la

    principale cible des enlvements, plus particulirement depuis 2009.2 Cependant, les pays de

    la rgion sahlo-saharienne sont aussi directement touchs. AQMI affronte aussi les forces de

    lordre et perptre des attentats suicides au Niger, au Nord du Mali, et plus particulirement

    en Mauritanie.3 Les analystes considrent que le Nord du Mali joue de plus en plus pour le

    groupe le rle dune base arrire.4 Cependant, il convient de se rappeler que le thtre

    doprations originel du groupe est le Maghreb - do le nom de lorganisation dailleurs - et

    plus prcisment lAlgrie.

    AQMI rsulte en effet de lvolution et de la transformation dun groupe terroriste algrien, le

    Groupe salafiste pour la prdication et le combat (GSPC). Le GSPC est cr en 1998 par

    danciens membres du Groupe islamique arm (GIA).5 Hritiers dune guerre civile, ils

    cherchent se distinguer de la prcdente organisation discrdite par ses mthodes

    extrmement violentes. Suite aux attentats du 11 septembre 2001 et la guerre en Irak lance

    par George W. Bush, le GSPC saffranchit de plus en plus de son combat contre le pouvoir

    algrien pour sinscrire davantage dans le jihad global contre lennemi occidental, dont Al-

    Qada incarne le fer de lance. Les mirs successifs du GSPC, particulirement Nabil Sahraoui

    et Abdelmalek Droukdal, oprent un rapprochement avec Al-Qada centrale jusqu parvenir

    au ralliement et lintgration du GSPC lorganisation Al-Qada en septembre 2006. Pour

    ce faire, le GSPC opre un certain nombre de changements structurels, idologiques, spatiaux

    1 Ces otages pousent une varit de profils. AQMI kidnappe des diplomates, des travailleurs, des humanitaires

    aussi bien que des touristes. 2 Les Franais sont une cible facile dans la rgion car ils sont de loin les Occidentaux les plus nombreux dans la

    rgion. De plus, la France a t expressment dsigne comme ennemi dans les communications dAQMI. Nous reviendrons sur ces lments au cours de notre dveloppement. 3 Armelle CHOPLIN, La Mauritanie lpreuve de lislamisme et des menaces terroristes , EchoGo Sur le

    vif 2008, 29 avril 2008, [En ligne], consult le 01 mars 2012, http://echogeo.revues.org/4363, AFP,

    Mauritanie: deux membres prsums d'Aqmi en fuite vers le Sngal , 3 fvrier 2011, [En ligne], consult le

    1er

    mars 2012,

    http://www.google.com/hostednews/afp/article/ALeqM5guxKhs8aoByDUrsIGelCTuaHqA_Q?docId=CNG.d7aa

    3d589745001f56a4f44063569d05.471. 4 Jacques ROUSSELLIER, Terrorism in North Africa and the Sahel: Al-Qaidas Franchise or Freelance?,

    Middle East Institute, Policy Brief, n34, aot 2011,

    http://www.humansecuritygateway.com/documents/MEI_TerrorisminNorthAfricaandtheSahel_AlQaidasFranchi

    seorFreelance.pdf. 5 Le GIA est une organisation terroriste algrienne, ayant svi dans les annes 90 au cours de la guerre civile

    algrienne. Islamisme et terrorisme sont devenus ainsi des termes intimement lis dans limaginaire collectif en Algrie, la population ayant t traumatise par les mthodes utilises par les groupes islamistes radicaux.

  • 5

    et tactiques. Le 24 janvier 2007, le groupe annonce son changement dappellation et devient :

    Al-Qada au Maghreb Islamique .

    Apparaissant dlaisser le Maghreb, le groupe semble, prsent, se focaliser sur la rgion

    sahlo-saharienne. Le coup dclat faisant comprendre le danger que reprsentait un tel

    groupe dans cette rgion fut lenlvement de six groupes de touristes entre le 22 fvrier et le

    23 mars 2003 dans le dsert, prs dIllizi, en Algrie.6 Les enlvements de ressortissants

    occidentaux nont depuis cess daugmenter, au point que certains auteurs qualifient lactivit

    dAQMI au Sahel dindustrie de lenlvement .7 Au cours des dernires annes,

    lorganisation est apparue verser davantage dans lactivit criminelle et tre motive par

    lappt du gain. 8

    Les dynamiques ainsi observes entranent la question de recherche suivante : Comment

    expliquer les changements successifs et lvolution constante dAQMI ?

    Au sein de la littrature traitant dAQMI, de nombreux auteurs se sont ainsi penchs sur

    lvolution de lex-GSPC et sur les diffrentes transformations subies par le groupe pour

    parvenir intgrer lorganisation terroriste Al-Qada. Le GSPC a d revisiter son idologie, sa

    stratgie mais aussi sa structure et son modus operandi. Mathieu Guidre et Luis Martinez

    entre autres prsentent ces transformations.9 AQMI, par ses profonds changements et par sa

    promotion du jihad global, parait pouser les ralits dcrites par le concept de nouveau

    terrorisme .10

    Cependant, Jean-Luc Marret souligne que lorganisation conserve sa ralit

    rgionale et des particularits historiques, sociales et culturelles qui obligent lapprhender

    sous le concept de glocalisation .11

    Dans une tude particulirement rigoureuse, Anneli

    6 32 touristes, dont 16 allemands et 10 autrichiens furent ainsi enlevs par un groupe command par lex-second

    du GSPC Abderrazak El Para, surnomm par la presse le Ben Laden du Sahara . Salima MELLAH et Jean-

    Baptiste RIVOIRE, Enqute sur ltrange Ben Laden du Sahara , Le Monde diplomatique, fvrier 2005. 7 Serge DANIEL, AQMI. Lindustrie de lenlvement, Paris, Fayard, 2012, 302p.

    8 Depuis la fin de la Guerre Froide, les organisations terroristes se confondent de plus en en plus avec les

    organisations criminelles. La ncessit de financement pour le fonctionnement du groupe oblige le groupe

    sallier aux organisations criminelles ou dvelopper leurs propres capacits pour la ralisation dactivits criminelles. Ce nest pas le propre dAQMI mais une constante observable dans la plupart des groupes terroristes des deux dernires dcennies. Tamara MAKARENKO, The Crime-Terror Continuum: Tracing the Interplay between Transnational Organised Crime and Terrorism, Global Crime, vol.6, n1, 2004, pp.129-145. 9 Mathieu GUIDERE, La tentation internationale dAl-Qada au Maghreb , Ifri, Centre des tudes de scurit,

    Focus stratgique n12, dcembre 2008, 57p ; Luis MARTINEZ, Maghreb : vaincre la peur de la dmocratie ,

    Cahier de Chaillot, Institut dtudes de scurit de lUnion europenne, n115, avril 2009, 71p ; Luis MARTINEZ, El Qada au Maghreb Islamique , Scurit mondiale, Programme Paix et scurit

    internationales, n33, mars-avril 2008, Universit Laval, institut qubcois des hautes tudes internationales, 4p. 10

    Isabelle DUYVESTYEN, How new Is the New Terrorism? Studies in Conflict and Terrorism, vol. 27, n 5,

    2004, pp.439454. 11

    Glocalisation serait la fusion du global et du local . Ce concept reflte la dualit existante dans

    lorganisation AQMI qui conserve sa ralit locale tout en sinscrivant dans un contexte de globalisation et

  • 6

    Botha revient nouveau sur les transformations dun terrorisme lorigine purement national.

    Elle explique quAQMI a fdr, avec plus ou moins de russites, les organisations terroristes

    de la rgion du Maghreb autour de la structure de lex-GSPC. AQMI sest ainsi constitu

    comme une menace transnationale.12

    Lakhdar Benchiba reste toutefois sceptique quant la

    promotion de jihad global par AQMI. Elle serait pour lui probablement une tactique servant

    dissimuler une stratgie conserve, celle de renverser le rgime algrien et dy imposer la

    charia.13

    Cette ide demeure au cur des questionnements et des incertitudes de la littrature

    existante sur le sujet. Les agendas politiques de Droukdal, chef dAQMI, ou encore

    dhommes influents tels que Belmokhtar restent lobjet de zones dombre.

    Suite lintensification des activits du groupe et laugmentation du nombre denlvements

    dans la rgion sahlo-saharienne, la littrature sest interroge dans un second temps sur les

    raisons de limportance croissante du front Sud de lorganisation, indices dune possible

    nouvelle volution du groupe. Les auteurs, tels quAnnette Lohmann et Jean-Pierre Filiu

    mettent en avant quAQMI semble voluer dorganisation terroriste organisation criminelle,

    sinon au moins sassocier troitement aux rseaux criminels oprant dans la rgion.14 Certains

    analystes considrent mme que lorganisation perd de sa ralit spatiale originelle et devrait

    se renommer Al-Qada au Sahel.15

    Ces conclusions ne prennent alors pas en compte les

    divisions internes du groupe pouvant notamment expliquer la dualit entre criminalit

    organise et terrorisme au sein de lorganisation. Peter Pham se penche sur cette dualit et met

    en avant le pragmatisme de lorganisation et surtout de ses dcideurs dans la rgion.16 Enfin,

    Olivier Walther et Denis Retaille prsentent une tude sur la ralit de lespace sahlo-

    dans la promotion dun jihad global. Jean-Luc MARRET, Al-Qaeda in Islamic Maghreb: A Glocal Organization , Studies in Conflict and Terrorism, vol.31, n6, 2008, pp.541-552. 12

    Anneli BOTHA, Terrorism in the Maghreb: The Transformation of Domestic Terrorism , Institute for

    Security Studies, n144, juin 2008. 13

    Lakhdar BENCHIBA, Les mutations du terrorisme algrien , Politique trangre, IFRI, vol.2, t 2009,

    pp.345-352. 14

    Jean-Pierre FILIU, Could Al-Qaeda Turn African in the Sahel? , CARNEGIE papers, Carnegie endowment

    for international peace, n112, juin 2010, 11p ; Annette LOHMANN, Who Owns the Sahara? Old Conflicts,

    New Menaces: Mali and the Central Sahara between the Tuareg, Al Quaida and Organized Crime , FES Peace

    and Security Series, Friedrich Ebert Stiftung, n5, juin 2011, 24p. 15

    Modibo GOTA, Nouvelle menace terroriste en Afrique de lOuest: Contrecarrer la stratgie dAQMI au Sahel , BULLETIN DE LA SCURIT AFRICAINE, n11, fvrier 2011, [en ligne], consult le 1

    er mars 2012,

    http//africacenter.org/wp-content/uploads/2011/06/AfricaBrief_11_French.pdf. 16

    J. Peter PHAM, The Dangerous Pragmatism of Al-Qaeda in the Islamic Maghreb , The Journal of the Middle East and Africa, vol.2, n1, 27 mai 2011, pp.15-29.

  • 7

    saharien et sur lhritage nomade qui permettent de mieux apprhender les dynamiques

    rgissant lorganisation terroriste.17

    Lhypothse que nous avanons est quune grande stratgie, une mta-stratgie, domine la

    prise de dcision et conditionne les transformations subsquentes du groupe. La mta-

    stratgie est, ainsi, cette interdpendance entre la finalit du groupe, soit lobjectif inchang et

    partag par tous les dcideurs du groupe,18

    et les moyens mis sa ralisation.19

    La finalit du

    groupe est suppose tre la survie. Les moyens se rsument, quant eux, en la ractualisation

    constante des stratgies de lorganisation, au prix parfois dune cohrence illusoire. En

    fonction des contraintes et des opportunits exerces par lenvironnement extrieur sur le

    groupe, les dcideurs de lorganisation ou sous-groupes constitus confrontent leurs

    interprtations de lapplication de cette mta-stratgie. Les stratgies en dcoulant, et sans

    cesse ractualises, sont alors le rsultat dun exercice de ngociation et dun rapport de force

    lintrieur du groupe. Dfinies gnralement dans une confrontation des agendas politiques

    des diffrents dcideurs, elles peuvent tre lexpression de la position du dcideur ou celle du

    sous-groupe dominant. Elles peuvent galement rsulter de la coexistence de visions

    antagonistes non dpartages.20

    Les stratgies sont alors comprises comme tant des chanes

    interdpendantes de moyens et dobjectifs permettant la ralisation in fine de la mta-

    stratgie. Elles peuvent tre considres comme sectorielles, dans le cadre de ce groupe,

    travers le volet de la lutte arme et celui du financement.

    Pour tenter de rpondre notre question de recherche et vrifier notre hypothse, nous

    mnerons une tude qualitative en ayant une approche chronologique des vnements pour

    pouvoir apprhender au mieux les changements oprs par lorganisation. Pour ce faire, nous

    aurons recours la littrature existante sur AQMI, compose principalement de rapports

    officiels, darticles scientifiques et de monographies. Nous complterons ces sources de

    seconde main par une activit de veille et de collecte de donnes. Les dpches de lAgence

    France-Presse, les articles de la revue Jeune Afrique et ceux des quotidiens algriens, plus

    particulirement ceux dEl Watan, seront les plus utiliss. Les journaux franais Le Monde et

    17

    Olivier WALTHER et Denis RETAILLE, Sahara or Sahel? The fuzzy geography of terrorism in West

    Africa , CEPS/INSTEAD Working Papers, CEPS INSTEAD, n2010-35, novembre 2010, 17p ; Olivier

    WALTHER et Denis RETAILLE, Guerre au Sahara-Sahel: la reconversion des savoirs nomades, Linformation gographique, vol.75, n3, 2011, pp.51-68. 18

    Les dcideurs du groupe sont dabord lmir national mais aussi les mirs locaux et les cadres du groupe. 19

    Cette dfinition sinspire de celle prsente par Thodore George Tsakiris. Thodore George TSAKIRIS, Thucydides and Strategy: Formations of Grand Strategy in the History of the Second Peloponnesian War (431404 B.C.), Comparative Strategy, vol.25, n3, 2006, pp.174-178. 20

    Un schma modlisant notre hypothse et la prise de dcision au sein du groupe est mis en annexe (annexe 1).

  • 8

    amricain The New York Times, ainsi que le site dinformations Magharebia, seront aussi

    consults. Nous nous rfrerons galement de manire ponctuelle quelques autres mdias

    maghrbins, algriens, franais et amricains. Nous avons conscience des limites de notre

    tude par labsence de sources de premire main, lexception de quelques dclarations faites

    dans la presse par Droukdal21

    et Belmokhtar.22

    Nous sommes aussi soumis aux biais

    invitables des diffrentes tudes ralises sur le sujet qui construisent des histoires

    diffrentes du groupe selon les informations dtenues et les intrts dfendus. De plus, les

    rares dclarations et tmoignages de membres du groupe peuvent avoir t raliss pour

    dguiser les relles motivations du groupe et les agendas politiques personnels. Des doutes

    demeurent ainsi constamment quant aux informations dtenues sur le groupe et aux propos

    rapports.23

    Nous considrons toutefois que par un exercice de recoupement des sources et

    une vigilance constante, un certain nombre dindices pourra tre dgag permettant de vrifier

    au moins partiellement notre hypothse.

    Dans un premier temps, il sagira de traiter de lhritage pluriel du GSPC et de ses

    contradictions originelles. Par la suite, nous aborderons les tentatives et mthodes employes

    par le GSPC pour se rapprocher et tablir un contact avec Al-Qada centrale. Il sagira

    dtudier les transformations idologiques, structurelles et tactiques ncessaires la stratgie

    dinternationalisation du groupe et opres sous Droukdal. Nous mettrons alors en exergue les

    challenges et difficults du GSPC pour devenir AQMI. Il sera en effet ncessaire de se

    montrer critique en mettant en avant les contradictions existantes au sein du groupe.

    Nous aborderons dans un dernier temps lextension du thtre doprations du groupe la

    rgion sahlo-saharienne. Rappelant son chec dans son implantation au Maghreb, nous

    mettrons lemphase sur les opportunits offertes par lespace sahlo-saharien, objet de

    rivalits rgionales, de conflits irrsolus et ainsi terreau fertile au dveloppement dAQMI.

    Nous tenterons dexpliquer la ralit sociale attache cet espace et les rflexes nomades

    quAQMI semble avoir parfaitement intgr. Nous soulignerons dans le mme temps les liens

    existants entre AQMI et la criminalit organise. Enfin, nous mettrons en avant lexistence de

    21

    NYT, An interview with Abdelmalek Droukdal , The New York Times, 1er juillet 2008, [en ligne], consult

    le 26 juillet 2012, http://www.nytimes.com/2008/07/01/world/africa/01transcript-droukdal.html?_r=1. 22

    ANI, Entretien exclusif avec Khaled Abou Al-Abass, alias Belaouar : Larme de Ould Abdel Aziz au Mali na jamais t un obstacle devant nous pour arriver nos objectifs en Mauritanie , Agence Nouakchott dInformation, 9 novembre 2011, [en ligne], consult le 26 juillet 2012, http://www.ani.mr/?menuLink=9bf31c7ff062936a96d3c8bd1f8f2ff3&idNews=15829. 23

    Les non-dits figurant dans linterview de Droukdal sont parfois plus clairants que ses rponses elles-mme.

  • 9

    tensions et de rivalits au sein dAQMI participant aux transformations du groupe que nous

    illustrerons par les rcents dveloppements au Nord du Mali.

  • 1. Le GSPC, entre hritages et recherche de lgitimit

    Suite la guerre civile des annes 90 en Algrie, le GIA - organisation terroriste algrienne

    particulirement violente - saline les diffrents acteurs de la socit civile algrienne, en

    plus de la sphre jihadiste. Des membres de cette organisation vont alors faire dfection et

    crer le GSPC. Ces derniers tentent de retrouver le soutien des populations et dacqurir une

    nouvelle lgitimit aux yeux des jihadistes travers le monde, plus particulirement aux yeux

    des dirigeants dAl-Qada. Le GSPC, se rapproche donc progressivement de lorganisation

    Al-Qada, tout en tentant de dpasser lhritage duel du groupe constitu de linfluence

    salafiste jihadiste apporte par les Afghans algriens et dune guerre civile se finissant aux

    enjeux in fine strictement nationaux. Ce double hritage constitue la principale tension dans

    lhistoire du groupe et rvle le pragmatisme des leaders lorsquils dcident, motivs par la

    survie du groupe, de faire voluer les objectifs du GSPC dun jihad national un jihad affich

    comme global.

    1.1 Le retour des Afghans algriens dans un paysage politique clat

    Les vnements doctobre 1988 sont considrs comme un tournant dans lhistoire de

    lAlgrie. Des manifestations au cours de ce mois touchent les grandes villes et secouent le

    pays. En consquence de quoi, le prsident Chadli ralise un certain nombre de rformes

    politiques, dont linstauration du multipartisme. Le Front islamique du Salut (FIS), parti

    islamiste, est alors fond en 1989. Ce parti nouvellement cr remporte, ds avril 1990, les

    lections municipales et est donn favori pour les lections lgislatives suivantes.

    De manire concomitante, les Afghans algriens ,24

    conforts par la victoire en

    Afghanistan laquelle ils avaient particip ,25

    reviennent en Algrie avec la volont dy

    instaurer un tat islamique. Dans le paysage politique algrien, ces derniers ne vont cependant

    24

    Nom donn aux algriens rentrs au pays la fin des annes 80 aprs avoir men le jihad en Afghanistan et qui

    avaient pous lidologie salafiste mais aussi les us et coutumes afghanes. La mme logique sapplique aux ressortissants des autres pays arabes. 25

    Les volontaires arabes ne seront que trs peu associs au jihad et la lutte arme contre les forces sovitiques

    et se contenteront, cantonns dans les camps dentranement de Peshawar au Pakistan, de cultiver pour la plupart leur idologie, ds lors prcise et inscrite sous la mouvance et ltiquette du salafisme jihadiste . Le salafisme jihadiste est le fruit de la rencontre entre les salafistes saoudiens et des Frres musulmans venus

    Peshawar. La prdication du salafisme littraliste focalise sur les valeurs et la moralit va tre complte par le

    langage guerrier des Frres musulmans. Pour une dfinition de salafisme assez synthtique, voir Stephen

    HARMON, From GSPC to AQIM: The evolution of an Algerian islamist terrorist group into an Al-Qaida Affiliate and its implications for the Sahara-Sahel region, Concerned African Scholars, bulletin n85, printemps 2010, p.12. Pour une distinction entre les diffrents courants, voir Anneli BOTHA, op. cit., pp.11-17 ; Jean-

    Pierre FILIU, Dfinir Al-Qada , Critique internationale, n47, avril-juin 2010, pp.111-122.

  • 11

    pas tous pouser la mme ligne de conduite. Les plus modrs vont rejoindre le FIS,

    souhaitant parvenir au pouvoir par la voie des urnes. Les plus radicaux, dont Qari Sad26

    ,

    opposs sinscrire dans le jeu politique dun rgime qualifi d apostat 27, prchent

    lacquisition du pouvoir par la force. Certains rejoignent ds lors le Mouvement islamique

    arm (MIA)28, qui avait dj t en confrontation avec le pouvoir par le pass. Dautres se

    constituent ou rejoignent diffrents groupes arms et se dveloppent en toute discrtion, se

    prparant au jihad.

    En novembre 1991, un groupe dislamistes arms attaque un poste frontalier proche de la

    frontire tunisienne. Cet incident montre que des groupes sarment et se prparent la

    confrontation.29

    La dcision de larme dinterrompre en janvier 1992 les lections

    lgislatives, donnant gagnantes le parti du FIS sur le parti au pouvoir, le Front de libration

    nationale (FLN), fait basculer le pays dans une guerre civile o les jihadistes algriens, parmi

    lesquels se trouvent des Afghans algriens, prennent les armes contre larme et les

    reprsentants de ltat, multipliant les attentats terroristes et les tactiques dharclements

    propres la gurilla.

    Les jihadistes des diffrents groupes et groupuscules vont alors se confdrer dans le GIA en

    octobre 1992. Le GIA devient le groupe dominant dans les mouvances islamistes en Algrie.

    Le FIS plus modr, cherchant linstauration dun tat islamique par un jihad politique non

    violent, est touff et cart dans cette guerre civile montant en puissance. Le GIA demeure

    toutefois un groupe la structure extrmement lche. Malgr lexistence dun mir national,

    de certaines bauches dorganes et dune division en aires rgionales, le GIA apparat

    davantage comme un nom fdrateur, une nbuleuse aux attributs dorganisation, que comme

    une relle organisation. Cette observation lendroit du GIA, dont le GSPC et AQMI vont

    driver, nous montre limportance accorde dj originellement au nom, limage de marque

    de lorganisation, par les jihadistes algriens.30 Malgr cette volont de se dfinir en tant que

    groupe, voire organisation, le GIA nest quune coalition de groupes htrognes et lmir

    national na au final quun pouvoir nominal sur les mirs locaux.31 Le label est ds lors un

    lment capital pour la visibilit du groupe et sa lgitimation en tant quentit cohrente aux

    26

    Est mise en annexe (annexe 2) une liste des personnes cls dans lhistoire dAQMI et des organisations layant prcd. Sy reporter pour plus de dtails sur Qari Sad. 27

    Dviant aux valeurs de lIslam et nappliquant pas la Charia. 28

    Organisation militaire islamique arme algrienne. 29

    Anneli BOTHA, op.cit., p.32. 30

    Stephen HARMON, op.cit., p.14; Anneli BOTHA, op.cit., p.35. 31

    Jean Pierre FILIU, The local and global jihad of al-Qaida in the Islamic Maghrib , Middle East Journal, volume 63, n2, printemps 2009, p.217.

  • 12

    yeux des observateurs extrieurs. Il natteste pas par contre de la ralit du GIA qui nest pas

    celle dtre un groupe structur. Lhtrognit du groupe est dailleurs une des raisons qui

    conduit la disparition du GIA.

    En effet, au cours de la dcennie 90, le GIA amplifie la violence contre le rgime mais aussi

    contre les islamistes et la population jusqu atteindre un point de non retour. Le GIA est aussi

    travers par des massacres linterne. Les membres du GIA se voient alors dconnects de la

    sphre jihadiste internationale, et par consquent de lorganisation Al-Qada, malgr les

    efforts de certains anciens Afghans algriens.

    1.2 La radicalisation du GIA ou son isolement progressif

    Lexistence du GIA peut se rsumer en deux principales phases. La premire correspond

    une priode o le GIA sinscrit dans le salafisme jihadiste. La seconde constitue une priode

    de radicalisation exponentielle du groupe et sa dconnection de la communaut jihadiste

    mondiale, accompagne aussi dune perte de soutien linterne.

    Dans la premire phase du groupe, le GIA est encore connect et entretient des relations avec

    les autres groupes jihadistes de par le monde grce Qari Sad qui, passant par les rseaux de

    diffusion de la capitale britannique appele alors Londonistan 32, soccupe de la

    communication du groupe. LAfghan algrien - lorigine de la devise jusquau-boutiste du

    GIA, no dialogue, no reconciliation, no truce , qui refuse tout compromis avec le

    gouvernement33

    - a directement accs Ben Laden et Al-Zawahiri. Il garde au cours des

    premires annes dexistence du GIA contact avec eux alors quils sont exils au Soudan.

    Pourtant, rien nindique que Ben Laden soutienne le GIA dans cette premire phase. Il est

    toutefois prouv que les connections afghanes de Sad constituent un atout indniable pour

    tablir le rseau international du groupe.34

    Cest ainsi que lun des contacts de Sad, un

    Afghan syrien nomm Abou Mussab Al-Suri35

    , lui apporte son aide dans llaboration de la

    propagande jihadiste du GIA.36

    32

    Londres tait appele ainsi car tait connue pour tolrer sur son territoire un nombre important dactivistes islamistes. 33

    Jean Pierre FILIU, op.cit., p.217. 34

    Ibid., p.218. Certaines sources font rfrence un financement du GIA par Al-Qada. Ce financement peut

    avoir eu lieu dans les premires annes du groupe mais tait probablement sporadique. Voir Djallil LOUNNAS,

    AQMI, filiale dAl-Qada ou organisation algrienne? , Maghreb-Machrek, n208, t 2011, pp.42-43. 35

    Voir annexe 2. 36

    Grce son aide, la newsletter du GIA est lance Londres ds juillet 1993 sous le nom d Al-Ansar (le Partisan).

  • 13

    Sous les leaders Murad Si Ahmad, alias Jafar al Afghani37, et Sharif al-Qawasmi, alias Abou

    Abdallah Ahmad38

    , les infidles - soit les trangers - taient pris pour cibles sur le sol

    algrien et somms de quitter lAlgrie.39 Ces attaques contre lennemi tranger, confortent la

    place du GIA dans le jihad global. Elles sont rapportes et diffuses dans le nud de rseaux

    que constitue la capitale britannique.40

    Nanmoins, Al-Qawasmi est bientt confront une contradiction, contradiction que vivront

    leur tour les leaders du GSPC et dAQMI. La rhtorique globale est ds lors nuance. En

    effet, pour intgrer de puissantes composantes algrianistes au sein du groupe et de tenter

    dunifier davantage le GIA, il est oblig de cder au pragmatisme et de rappeler que lobjectif

    du jihad du GIA est en Algrie.41

    Il sagit pour le groupe de vaincre le rgime algrien. La

    structuration du conflit arm se fait alors sur une problmatique nationale clairement

    explicite.

    Malgr la rhtorique globale, le combat est du reste ds le dpart minemment national.

    Lidal utopiste dun califat musulman tendu tout lespace arabo-musulman, bien que

    prsent dans limaginaire collectif des leaders du groupe jusque l, ne constitue pas la

    stratgie premire du GIA. Les meurtres des infidles sur le territoire algrien, le rseau et

    les communications maintenus avec la sphre jihadiste, nous obligent toutefois ne pas

    occulter que lidologie a guid certaines des actions du groupe et quelle a constitu lune

    des motivations principales dans sa cration.

    Par contre, limpratif stratgique de consolidation du groupe pour lutter contre le pouvoir et

    mener le combat, obligent dj dans les premires annes les leaders du groupe, tels quAl-

    Qawasmi, avouer un pragmatisme dans la prise de dcision. La tension entre un jihad

    sinscrivant dans un contexte global et un jihad livr dans les faits lchelle nationale est

    ainsi dj prsente au sein du GIA. Essayant de concilier ces deux ralits , Al-Qawasmi a

    choisi de revendiquer un jihad national pour renforcer son groupe, cdant la dominance de

    laile algrianiste . Le groupe sorientant trs nettement sur un combat national, cette

    focalisation est le rsultat de la volont dAl-Qawasmi dunir le groupe et de le renforcer,

    conjugue une ralit du pouvoir au sein du GIA o laile algrianiste semble dominer.

    37

    Voir annexe 2. 38

    Voir annexe 2. 39

    Sous le rgne du premier, 26 trangers furent excuts au cours des quatre derniers mois de 1993. Ils taient

    pour la plupart ressortissants de pays dEurope de lEst. Jean Pierre FILIU, op.cit., p.218. 40

    Loc.cit. 41

    Loc.cit.

  • 14

    La focalisation sur le combat national traduit donc la mta-stratgie quest le souci de survie

    du groupe filtre par le rsultat des rapports de forces des groupuscules et des individus

    aux agendas politiques diffrents.

    Le FIS, en raction ce jihad national, cre en juillet 1994 sa branche arme, lArme

    Islamique du Salut (AIS), qui a pour objectif de lutter contre le GIA et ses drives. Le FIS

    considre alors comme un devoir obligatoire (farida) de rentrer en confrontation avec le GIA

    car le jihad nest quun des moyens (wasila) pour tablir un tat islamique en Algrie. Le FIS

    continue de reprocher au GIA davoir cart toute rsolution du conflit par la ngociation.

    Aprs la mort dAl-Qawasmi, lAIS et le GIA se livrent une vritable guerre.42 Jamal

    Zaytouni, nouvel mir national, concentre le combat contre lAIS ds octobre 1994, faisant

    entrer le pays dans une nouvelle guerre civile.43

    LAlgrie est alors le thtre dune double

    guerre civile, voyant saffronter principalement dune part le GIA et les forces de scurit

    algriennes et dautre part le GIA et lAIS.44

    Les rgnes de Jamal Zaytouni, puis de son successeur la tte du GIA, Antar Zouabri,

    constituent ainsi la seconde phase vcue par le groupe. Elle est considre par Jean-Pierre

    Filiu comme la fin de la priode afghane du groupe.45

    Le GIA, sous Zaytouni et Zouabri,

    sattaque en effet aussi bien aux forces de scurit, aux reprsentants du gouvernement,

    quaux islamistes de tout bord ou mme la socit civile. Se confrontant simultanment aux

    forces de scurit algrienne et lAIS, la violence du groupe va redoubler en raction un

    environnement qui lui apparat de plus en plus hostile. La violence indiscrimine du GIA

    pourrait donc sexpliquer par la thorie de ladversit46, de la perception de son

    environnement gnral comme une menace. Cette perception pousse le groupe se

    radicaliser et livrer une guerre contre tous.

    Par ailleurs, la drive du groupe est marque essentiellement par lapplication du principe de

    lexcommunication et de lexil (takfir wa hijra).47 Lapplication de ce principe permet de

    42

    Un schma est mis en annexe (annexe 3) pour dresser un portrait simplifi des interactions et des volutions

    des principaux groupes islamistes dans le paysage politique algrien. 43

    Stephen HARMON, op.cit., pp.12-14. 44

    Le GIA compte alors entre 2000 et 3000 combattants mobiliss et lAIS 4000. Jean Pierre FILIU, op.cit., p.219. 45

    Loc.cit. 46

    Une prsentation synthtique de cette thorie utilise en criminologie est disponible sur le site de lEquipe de recherche sur le terrorisme et lanti-terrorisme (ERTA) : http://www.erta-tcrg.org/cri6224/2004-2006/theories3.htm. 47

    David H. GRAY et Erik STOCKHAM, Al-Qaeda in the Islamic Maghreb: the evolution from Algerian

    Islamism to transnational terror , African Journal of Political Science and International Relations, vol.2, n4,

    dcembre 2008, p.92.

  • 15

    considrer les musulmans non allis au GIA comme des infidles et autorise les tuer.

    Linterprtation est de plus trs large car tout Algrien ne soutenant pas le GIA est vu comme

    un alli du rgime et donc comme un ennemi du groupe. 48

    Paralllement cela, les trangers,

    plus particulirement les Franais, sont victimes dune campagne terroriste du GIA, ayant

    pour objectif affich daffaiblir le soutien du gouvernement franais au pouvoir algrien.49

    Les positions extrmes de Jamel Zaytouni conduisent son excution le 6 juillet 1996, dans

    des circonstances qui restent encore assez mal connues.50

    Toutefois, son successeur, Zouabri,

    affiche des convictions encore plus extrmes et perptre de nombreux massacres collectifs au

    sein de la population civile.51

    Zouabri va jusqu mettre une fatwa, intitule la Grande

    Dmarcation , qui qualifie lentire population algrienne de mcrante (kufr) pour ne pas

    avoir support la campagne du GIA contre le pouvoir.52

    De manire concomitante, le groupe est aussi travers par des conflits et des massacres

    linterne.53 Les groupuscules et individus ne semblent pas partager de visions communes et

    pouvoir parvenir des compromis au sein du GIA. Les massacres redoublant linterne, aussi

    bien lexterne, pourraient constituer pour Zaytouni puis Zouabri une manire dasseoir leur

    suprmatie sur les autres groupuscules au sein du GIA mais aussi sur lensemble des

    islamistes et de la population, pour mieux lutter contre le gouvernement algrien.

    En consquence de quoi, Jamal Zaytouni et Antar Zouabri, dans un souci probablement de

    contrle du groupe, refusent toute interfrence non algrienne dans lorganisation et refusent

    aux jihadistes non algriens de participer leur combat. Cette dcision sapplique aussi

    Abou Moussab Al-Suri qui soccupe de la propagande du groupe.54 Cela donne lieu aux

    48

    Anneli BOTHA, op. cit., p.36. 49

    Parmi les attaques perptres lencontre de la France, nous pouvons citer la prise en otage dun vol Air France en 1994, les attentats la bombe Paris en 1995 et lassassinat des moines franais du monastre de Tibrine le 21 mai 1996. Pour cette dernire affaire, la sphre jihadiste marqua sa dsapprobation. AFRICAN

    CENTER FOR THE STUDY AND RESEARCH ON TERRORISM, African Journal for the Prevention and

    Combating of Terrorism, Alger, CAERT, juin 2010, p.40. 50

    Lhypothse la plus souvent avance est que Zaytouni a t extermin par ses fidles dans la rgion de Mda, notamment par Hassan Hattab et Abderrazak el Para, futurs leaders du GSPC. Ces derniers auraient eu peur de

    se faire excuts par Zaytouni et auraient prfr prendre les devants. AFRICAN CENTER FOR THE STUDY

    AND RESEARCH ON TERRORISM, African Journal for the Prevention and Combating of Terrorism, Alger,

    CAERT, juin 2010, p.40. 51

    Jean Pierre FILIU, op. cit., p.220 ; AFRICAN CENTER FOR THE STUDY AND RESEARCH ON

    TERRORISM, African Journal for the Prevention and Combating of Terrorism, Alger, CAERT, juin 2010,

    pp.40-41. 52

    Stephen HARMON, op. cit., p.14. 53

    A. BENCHEBANE, Aux origines dune nbuleuse , El Watan, 4 janvier 2005, [en ligne], consult le 17 juillet 2012, http://www.elwatan.com/archives/article.php?id=11055 54

    Celui-ci arrtera le 31 mai 1996 la publication d Al-Ansar et la promotion du GIA. Il pouvait justifier la recrudescence des violences commises lencontre des infidles, y compris sur leurs territoires, mais ne pouvait

  • 16

    premires tensions avec Ben Laden Khartoum et une mfiance grandissante du dirigeant

    dAl-Qada lgard du GIA.55 Les liquidations de plus en plus aveugles perptres par les

    membres du GIA au sein de la population et jusque dans leur propre rang conduisent les

    groupes jihadistes retirer leur soutien au GIA, lexemple du Groupe islamique des

    combattants libyens (GICL) en 1996.56

    Al-Qada se distancie aussi du GIA et marque son

    dsaccord notamment lors dune dclaration dAl-Zawahiri en juillet 1996.57

    Le choix du maintien en vie du groupe et de la recherche de son contrle et de sa cohsion en

    usant dune violence indiscrimine et totale dmontre un mauvais calcul stratgique. Une

    violence exerce contre tous, y compris contre la population et les autres islamistes, ne peut

    mener qu un isolement du groupe. De plus, les massacres linterne nont conduit qu faire

    entrer le groupe dans une crise de lgitimit au sein de ses membres, mais aussi au sein de la

    sphre jihadiste. Zaytouni et Zouabri, en voulant lutter contre lisolement du groupe, ont

    renforc cette tendance. Il est intressant de noter que Zaytouni et Zouabri avaient un niveau

    scolaire trs faible et ne semblaient donc pas tre les dirigeants du groupe les plus outills

    pour concevoir des stratgies.58

    Cette radicalisation et cette violence extrme ont dailleurs constitu llment cl de la

    disparition de ce groupe. Ce basculement dans une violence aveugle a en effet fait perdre au

    groupe toute lgitimit au sein de la population, mme celle qui tait sensibilise lorigine

    aux discours islamistes.59

    Le GIA a perdu aussi simultanment tout soutien lexterne.

    Cette drive dans lhistoire du groupe constitue probablement une exprience traumatisante

    pour tous les membres du GIA qui vont par la suite faire partie du GSPC et dAQMI. Ils en

    retiendront les leons. En effet, au sein des deux groupes suivants, ne sera pas observ de

    appuyer les massacres dont la population algrienne tait victime, ni les massacres dans les rangs des islamistes.

    Jean Pierre FILIU, op.cit., pp.219-220. 55

    Jean Pierre FILIU, op.cit., p.219. 56

    Stephen HARMON, op.cit., p.14. 57

    Jean-Pierre FILIU, La campagne anti-franaise dAl-Qada au Sahel , Politique internationale, n131, printemps 2011. 58

    Voir annexe 2. 59

    Certaines thories du complot sintressant la dcennie 90 en Algrie, mettent en avant lide que larme, plus prcisment la DRS ou le renseignement algrien, aurait cr et contrl le GIA pour dcrdibiliser les

    islamistes auprs de la population algrienne. Ces thories ntant pas supportes par suffisamment dlments empiriques pour tre vrifies, ne seront pas abordes dans la prsente tude. Pour un aperu de ces thories, voir

    Franois GEZE et Salima MELLAH, Al-Qada au Maghreb, ou la trs trange histoire du GSPC algrien ,

    Algeria-Watch, 22 septembre 2007, 72p.

  • 17

    massacres linterne. De plus, le GSPC et AQMI auront pour souci dans leurs dclarations de

    ne pas sen prendre aux populations, ni les considrer comme ennemies.60

    Ainsi, au dbut de lanne 1997, le GIA est min par les dissidences. Dautres groupes

    islamistes commencent prendre le devant de la scne parmi les groupes terroristes algriens.

    Le GIA nest plus rassembleur car lassociation ce nom dcrdibilise. Les mirs locaux

    revendiquent tour tour leur indpendance pour ne pas se retrouver accuss des massacres

    perptrs dans le cadre du GIA. Cest le cas notamment du groupe de la zone 261 de Hassan

    Hattab, alias Abou Hamza,62

    ce dernier devenant bientt le nouveau cadre fdrateur. En effet

    Hattab va tre lorigine en septembre 1998 de la cration du GSPC avec les membres

    dissidents du GIA. Il nest alors pas difficile de concevoir que, paralllement, Ben Laden et

    Al-Zawahiri voient comme un soulagement la cration de cette organisation et la fin du GIA.

    Ils conservent toutefois une certaine mfiance lgard de ce nouveau groupe.63 La naissance

    du GSPC apparat donc dans un contexte de crise idologico-politique et dimpasse sur le plan

    militaire pour les membres hritiers du GIA. Elle sinscrit ainsi dans une recherche de survie

    pour les nouveaux dcideurs dans un environnement qui leur est particulirement hostile.

    1.3 Lchec dun combat national ou lvolution oblige

    Dans le premier communiqu du groupe, paru en septembre 1998, qui annonce sa cration et

    qui est intitul communiqu de lunification , Hattab insiste sur la ncessit de coaliser

    tous les groupes et groupuscules salafistes algriens.64

    Le nom mme de lorganisation

    Groupe salafiste de prdication et du combat recouvre la volont de rigueur morale et le

    souci de mener le jihad, ports par le salafisme jihadiste qui avait t prn au

    commencement de la guerre civile par les Afghans algriens.65

    Parmi les signataires de ce

    60

    Malgr une nette diminution de la violence en gnral cause par le GSPC puis AQMI, dans les faits le

    nombre de victimes civiles restent proportionnellement lev compar celui dans les rangs des forces de

    scurit. Anneli BOTHA, op.cit., pp.60-61. 61

    Couvrant les rgions de Boumerdes, Tizi Ouzou, Bouira, Bejaia, Bordj Bou Arreridj et Msila. 62

    Voir annexe 2. 63Les sources ne saccordent toutefois pas pour dire si Hattab a rellement bnfici dun soutien de Ben Laden et dAl Zawahiri. Il est probable cependant quil y ait eu un soutien passif dAl-Qada, au moins dencouragement, linitiative prise par Hattab de crer un nouveau groupe idologiquement proche. Jean Pierre FILIU, The local and global jihad of al-Qaida in the Islamic Maghrib, Middle East Journal, volume 63, n2, printemps 2009, p.220 ; Djalil LOUNNAS, op.cit., p.44. AFRICAN CENTER FOR THE STUDY AND

    RESEARCH ON TERRORISM, African Journal for the Prevention and Combating of Terrorism, Alger,

    CAERT, juin 2010, p.50. 64

    AFRICAN CENTER FOR THE STUDY AND RESEARCH ON TERRORISM, African Journal for the

    Prevention and Combating of Terrorism, Alger, CAERT, juin 2010, p.48. 65

    Le 1er

    article de la Charte du GSPC, figurant dans ce mme communiqu, stipule que Le GSPC est un

    groupe ayant une doctrine salafiste et une conduite conforme aux salafs, qui vise linstauration de la charia et le

  • 18

    communiqu,66

    et donc parmi les membres fondateurs, outre Hattab, lon retrouve Nabil

    Sahrawi, mir de la zone 5 du GIA.67

    Abdelmalek Droukdal,68

    actuel mir dAQMI, ny

    figure pas toutefois.69

    Les organes constituant le GSPC sont aussi donns dans le communiqu. Par la suite, la

    structure dAQMI sera calque sur celle du GSPC, les variantes tant essentiellement dans la

    chane de commandement pour les rgions sahlo-sahariennes.70

    Les principaux organes du

    GSPC sont : le Conseil des chefs, sorte de conseil suprme o se prennent les dcisions

    politiques, le conseil consultatif, le comit juridique, le comit militaire et le comit de

    linformation.71 Le chef de chaque comit sige au sein du Conseil des chefs et lmir national

    est aussi chef du Conseil. Au sein du Conseil des chefs, sigent les mirs des katibas

    (compagnies) et les mirs des seryas (escouades).72

    Il y a une volont de se constituer en

    relle organisation. Cependant, malgr le souci de centraliser le pouvoir au sein de

    lorganisation, les mirs des katibas, restent assez libres de leurs actes. Le caractre nbuleux

    du GSPC, conserv par la difficult de centraliser le pouvoir, est inhrent la nature mme de

    lorganisation. Le groupe stend sur un territoire extrmement large et est oblig de lutter

    simultanment contre les interventions de larme algrienne. Cette ralit du terrain contraint

    les mirs nationaux du GSPC voir se dvelopper une autonomisation progressive des

    katibas. Ce phnomne samplifiera davantage avec AQMI.73

    Par ailleurs, les objectifs doctrinaux explicits dans la Charte peuvent se rsumer en la lutte

    contre le rgime algrien ayant renonc la charia, en la volont de redynamiser le jihad au

    combat du rgime rengat en Algrie . AFRICAN CENTER FOR THE STUDY AND RESEARCH ON

    TERRORISM, African Journal for the Prevention and Combating of Terrorism, Alger, CAERT, juin 2010,

    p.49. 66

    La liste complte des signataires est mise en annexe (annexe 4). AFRICAN CENTER FOR THE STUDY

    AND RESEARCH ON TERRORISM, African Journal for the Prevention and Combating of Terrorism, Alger,

    CAERT, juin 2010, pp.41-42. 67

    Voir annexe 2. 68

    Voir annexe 2. 69

    Droukdal rejoindra le groupe par la suite. En effet, il se faisait au commencement assez mfiant vis--vis de

    Hattab, layant dj accus au sein du GIA de navoir pas assez de faits darmes son actif et dtre frileux engager le combat. Jean Pierre FILIU, op.cit., p.221. 70

    Les variations dans la chane de commandement dAQMI pour la rgion sahlo-saharienne seront lobjet de dveloppements dans la troisime partie de notre tude. 71

    Pour les dtails sur les diffrents organes, AFRICAN CENTER FOR THE STUDY AND RESEARCH ON

    TERRORISM, African Journal for the Prevention and Combating of Terrorism, Alger, CAERT, juin 2010,

    pp.42-43. Une reprsentation dtaille de la structure du groupe est mis en annexe (annexe 5). 72

    Les seryas constituent des units plus petites que les katibas. Il sagit souvent dune unit dlite intgre dans une katiba. Une serya est compose dune ou de quelques dizaines dhommes alors quune katiba compte au moins une centaine dhommes en son sein. 73

    Ce phnomne de dcentralisation du pouvoir sera lobjet de dveloppement dans la troisime partie de notre tude.

  • 19

    sein des membres de la oumma (communaut musulmane) et dans le combat des dogmes et

    des ides provenant de ltranger.74 Il napparat nulle part dans la Charte le devoir de mener

    une lutte contre les puissances occidentales ou un quelconque ennemi tranger.75

    Le GSPC est

    alors, dans lesprit de ses fondateurs, focalis sur des enjeux nationaux.

    Le groupe est cependant en crise et cherche survivre. Les campagnes de larme la fin des

    annes 90, conjugues la loi sur la Concorde civile76

    , ont affaibli le groupe.77

    Le GSPC est

    alors travers de dissensions internes sur la manire de mener le combat contre le rgime. Les

    redditions de certains de ses membres ne cessent damplifier le climat de doutes au sein du

    groupe.78

    Hassan Hattab cherche toutefois lgitimer le GSPC auprs de la population et

    donner une seconde vie au salafisme jihadiste en Algrie. Il sengage pargner les civils et

    concentrer le combat contre les forces de scurit et larme.79 Le mode opratoire de

    lorganisation terroriste est alors partag entre les tactiques de gurilla sur les routes, dans la

    rgion kabyle essentiellement,80

    faites dembuscades et dattaques soudaines contre les

    militaires suivies de retraites rapides81

    , et les attentats la bombe contre des barrages

    militaires et des casernes.82

    Paralllement cela, Hattab obtient le ralliement de Belmokhtar83

    au GSPC ds juillet 2000, bnficiant ds lors du rseau de contrebande sahlo-saharien de ce

    dernier, pour financer le groupe.

    74

    AFRICAN CENTER FOR THE STUDY AND RESEARCH ON TERRORISM, African Journal for the

    Prevention and Combating of Terrorism, Alger, CAERT, juin 2010, p. 43. 75

    Loc.cit. 76

    Mesure damnistie propose par le prsident algrien Abdelaziz Bouteflika en septembre 1999 aux rebelles islamistes se rendant avant le mois de janvier de lan 2000. 77

    Cette mesure est une russite puisquelle voit plus de 5000 islamistes arms se rendre, principalement des membres de lAIS. 78

    CENTER FOR THE STUDY AND RESEARCH ON TERRORISM, African Journal for the Prevention and

    Combating of Terrorism, Alger, CAERT, juin 2010, pp. 47-48. 79

    Jean-Pierre FILIU, La campagne anti-franaise dAl-Qada au Sahel , Politique internationale, n131, printemps 2011. 80

    La Kabylie tant une rgion montagneuse, ce terrain est propice aux tactiques de gurilla. 81

    Qualifies avec efficacit en anglais de tactique du hit and run . 82

    La littrature voque aussi comme troisime point, pouvant permettre au GSPC de lutter contre le pouvoir, la

    possession de missiles sol-air pour abattre des avions au cas o le groupe serait menac. Jusqu prsent, aucun missile sol-air na t utilis, mme suite au dferlement darmes de Libye et lacquisition suppose de tels missiles par AQMI. Voir Gregory A. SMITH, Al-Qaeda in the Lands of the Islamic Maghreb , Journal of

    Strategic Studies, vol.2, n2, 2009, p.66 ; Marianne MEUNIER, Libye la foire aux armes , Jeune Afrique, 20

    avril 2011, [en ligne], consult le 1er

    mars 2012, http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAJA2622p052-

    053.xml0/algerie-soudan-tchad-nigerlibye-la-foire-aux-armes.html 83

    Voir annexe 2.

  • 20

    Les attentats du 11 septembre 2001 vont redonner un nouveau souffle au GSPC. De nombreux

    groupes sy joignent et les restes du GIA fusionnent en son sein.84 Simultanment, un dbat a

    lieu linterne sur les objectifs du groupe. Le GSPC se retrouve divis en deux factions aux

    visions stratgiques diffrentes : les algrianistes et les internationalistes . Les

    premiers, pousant la posture de Hattab, souhaitent se focaliser exclusivement sur le combat

    national. Ils se limitent pour linternational une rhtorique globale, recyclant celle de la

    propagande islamiste sopposant farouchement au rgime apostat , aux croiss franais ,

    ainsi quaux juifs. A contrario, les internationalistes sopposent cette vision. Les

    commandants militaires Sahrawi et Droukdal sillustrent comme fervents dfenseurs dun

    jihad plus global.85

    La guerre en Irak, mene par le prsident George W. Bush en 2003, va

    alors constituer le catalyseur du rapprochement du GSPC avec Al-Qada. Elle conduit

    lviction de Hattab et la dsignation en septembre 2003 de Nabil Sahrawi comme nouvel

    mir national.

    En effet, alors que Hattab prne lide dun soutien passif et donc uniquement dclaratoire

    aux frres irakiens, le Conseil des chefs vote en aot 2003 un soutien actif et prfre

    envoyer des membres de lorganisation mener le jihad en Irak.86 De nombreux spcialistes

    interprtent cette dcision comme une sorte de reconnaissance de lchec dun jihad national

    et dune volont de prner un jihad global pour relancer lorganisation.87 La divergence nest

    pas tant idologique que dans la recherche de la stratgie la plus pertinente pour le maintien

    en vie du groupe et ventuellement son dveloppement. Le coup dclat ralis un peu plus tt

    au cours de la mme anne par Abderrazak el Para,88

    qui enlve 32 touristes occidentaux dans

    le dsert, prs dIllizy en Algrie, et pour lequel Hattab na pas donn son accord nen ayant

    pas t inform lavance89, confirme lexistence de tensions pour dterminer lavenir du

    groupe et choisir entre mener un jihad national et un jihad global. La nouvelle gnration de

    jeunes recrues, sensibilise dans le contexte de la guerre en Irak de 2003 un discours anti-

    amricain et antioccidental, conduit finalement les internationalistes remporter le dbat.

    84

    Le prsident Bouteflika ordonne alors en septembre 2002, la plus grande campagne contre-terroriste de

    larme. Le groupe, considrablement affaibli, ne rplique la plupart du temps quen menant des oprations en Kabylie, car bnficiant des maquis des montagnes berbres comme sanctuaire. 85

    Djallil LOUNNAS, op.cit., p.44. 86

    AFRICAN CENTER FOR THE STUDY AND RESEARCH ON TERRORISM, African Journal for the

    Prevention and Combating of Terrorism, Alger, CAERT, juin 2010, p. 49. 87

    La rupture entre le jihad national et la volont de jihad global nest pas aussi nette et nous le constaterons dans la seconde partie de notre tude. 88

    Voir annexe 2. 89

    Salima MELLAH et Jean-Baptiste RIVOIRE, Enqute sur ltrange Ben Laden du Sahara , Le Monde diplomatique, fvrier 2005.

  • 21

    La nouvelle stratgie esquisse travers le jihad global est la fois le fruit dune dcision

    pragmatique du groupe prise pour sa survie et le rsultat dun nouveau rapport de forces se

    dessinant en faveur cette fois-ci des internationalistes du groupe.

    Amorc avec Sahrawi, cest nanmoins avec Droukdal que le rapprochement avec Al-Qada

    centrale se ralise jusqu aboutir lintgration du groupe cette organisation et

    lautorisation duser du mme coup de son label.

    1.4 Le long rapprochement avec Al-Qada centrale

    Ben Laden et Al-Zawahiri ctoient trs peu les volontaires algriens Peshawar lors de la

    guerre en Afghanistan.90

    Lorsque Ben Laden et Al-Zawahiri fondent lorganisation Al-

    Qada91

    en aot 1988, les Algriens ne seront pas associs et intgrs celle-ci, ou sinon

    quelques rares exceptions prs. Abdallah Anas,92

    et surtout Qari Sad, sans en tre membres,

    sont parmi les rares Algriens pouvoir avoir accs Ben Laden et Al-Zawahiri dans la

    dcade 90.93

    Il ny a donc pas, proprement parler, de liens organiques entre les Afghans

    algriens 94

    rentrs en Algrie aprs le retrait sovitique et lorganisation Al-Qada. Ainsi,

    suite la prise de distance des dirigeants dAl-Qada aprs les violences perptres par le

    GIA, lintgration du GSPC au sein de cette organisation est le rsultat dimportants efforts

    dploys par Nabil Sahrawi, et plus particulirement sa suite par Droukdal. Ce dernier

    redoubla dingniosit pour rtablir des connexions interpersonnelles et rapprocher les deux

    organisations.

    Le communiqu du 11 septembre 2003, publi alors que Nabil Sahrawi est encore mir,

    dnonce les positions prises par Hattab, ce dernier ayant jug les attentats du 11 septembre

    2001 non conformes aux valeurs de lIslam.95 Le GSPC annonce ainsi le retrait du

    communiqu n16 , dat du 19 septembre 2001, o Hattab avait considr non lgitime les

    attentats sur New York et Washington. Le retrait dun communiqu constitue une exception

    dans lhistoire du groupe. Elle reflte le changement voulu par les internationalistes au

    sein du GSPC de sinscrire dans un jihad global et de la volont de rapprochement avec Al-

    90Jean Pierre FILIU, The local and global jihad of al-Qaida in the Islamic Maghrib, Middle East Journal, volume 63, n2, printemps 2009, p. 215. 91

    Littralement la base en arabe. 92

    Voir annexe 2. 93

    Jean-Pierre FILIU, La campagne anti-franaise dAl-Qada au Sahel , Politique internationale, n131, printemps 2011. 94

    Nom donn aux algriens rentrs du jihad en Afghanistan et qui avaient pous lidologie salafiste mais aussi les us et coutumes afghanes. La mme logique sapplique aux ressortissants des autres pays arabes. 95

    Francois GEZE et Salima MELLAH, op.cit., p.67.

  • 22

    Qada.96

    Cependant, la rhtorique nest pas suivie par les actes car Nabil Sahrawi fait, par la

    suite, des dclarations accordant la primaut au combat national. Il se montre frileux

    envoyer des membres du GSPC en Irak.97

    Lintensification des oprations contre-terroristes

    de larme algrienne depuis 2002 et le peu deffectifs dont bnficie lorganisation sont les

    lments amenant Sahrawi prfrer un soutien passif et non actif aux frres irakiens

    court terme. Sahrawi est alors proccup par la survie du groupe.98

    Cest sa mort en juin 2004, suite un affrontement avec les forces de lordre, que le GSPC,

    dirig alors par Droukdal, connat un rel rapprochement avec Al-Qada. Droukdal, va faire se

    rallier les derniers groupuscules dans les maquis en Kabylie sous la bannire du GSPC, faire

    une campagne de recrutements dans les universits et tenter de se rapprocher des autres

    groupes maghrbins pour compenser les pertes deffectifs dues aux envois des membres en

    Irak, mais aussi aux dfections subies suite la politique de rconciliation nationale mene

    par le gouvernement algrien.99

    Le groupe est alors compos dun noyau de jihadistes

    trentenaires sensibiliss au jihad global et de larrive massive dune nouvelle gnration de

    recrues souhaitant aller mener le jihad en Irak.100

    Pour se rapprocher dAl-Qada centrale, Droukdal use de deux canaux. Le premier canal

    consiste passer par les intermdiaires quincarnent les Afghans algriens en Tchtchnie.101

    Le second canal, dans les faits le plus dterminant, cherche se servir de la coopration

    rgulire tablie entre le GSPC et la branche dAl-Qada en Irak (AQI), dirige par le jihadiste

    jordanien Abou Moussab Zarkawi102

    . Droukdal lui envoie ainsi de nombreux combattants

    pour le jihad en Irak.103

    Zarkawi, en tmoignage de sa reconnaissance, enlve et excute deux

    diplomates algriens Bagdad en juillet 2005. Ce geste de solidarit atteste de la bonne

    96

    Loc. cit. Les auteurs du communiqu vont encore plus loin en dclarant affirmer loyaut : tout musulman

    qui fait profession de foi, tout combattant qui brandit ltendard du jihad en Palestine, en Afghanistan sous lmirat de Mulla Omar, en Tchtchnie, aux Philippines, et lorganisation Al-Qada sous lmirat dOussama Ben Laden, et tout dtenu dans les prisons des tyrans; [le GSPC] appelle tous les moudjahidines chacun sa place lunion dans la parole et serrer les rangs . 97

    Gwendal DURAND, Lorganisation dAl-Qada au Maghreb islamique. Ralit ou manipulations ?, Paris, LHarmattan, 2011, p.23. 98

    Gwendal DURAND, op.cit., p.23. 99

    Gwendal DURAND, op.cit., pp.23-24. 100

    Loc.cit. 101

    Mathieu GUIDERE, op.cit., pp.19-21. 102

    Voir annexe 2 103

    Ce ne sont pas uniquement des membres du GSPC mais aussi des membres des autres organisations

    maghrbines qui vont sentraner dans les camps du GSPC avant daller en Irak. Des rapports saoudiens et amricains indiquent que 20% des jihadistes trangers en Irak taient des ressortissants algriens. Mathieu

    GUIDERE, op.cit., pp. 23-30. Jean Pierre FILIU, The local and global jihad of al-Qaida in the Islamic Maghrib, Middle East Journal, volume 63, n2, printemps 2009, p.222.

  • 23

    entente entre les deux groupes, et plus particulirement entre les deux leaders. Zarkawi

    recommande ainsi, ds septembre 2005, le rattachement du GSPC Al-Qada.104

    De manire concomitante, Droukdal multiplie les loges et les signes de soumission en

    direction de Ben Laden et Al-Zawahiri.105

    Le groupe ayant suivi de nombreuses dissensions

    depuis sa cration, Droukdal cherche acclrer lintgration du GSPC Al-Qada pour

    rassembler de nouveau ses membres.106

    Nanmoins, malgr la bonne volont de Droukdal,

    Zawahiri, qui mne le dialogue pour Al-Qada dans la ngociation de lentre du GSPC

    lorganisation, se fait trs prudent. En effet, il souhaite mnager trois organisations terroristes

    maghrbines partenaires et plus lis Al-Qada. Il sagit du Groupe islamique des

    combattants libyens (GICL)107

    , du Groupe islamique combattant marocain (GICM) et du

    Groupe islamique combattant tunisien (GICT). Le pragmatisme va toutefois lemporter car le

    GSPC bnficie datouts non ngligeables. Il dtient des sanctuaires jihadistes dans les

    massifs montagneux en Kabylie et un nombre de membres plus important que les trois

    organisations runies, surtout aprs lafflux de recrues pour le jihad en Irak.108 La question du

    rattachement est alors examine, mais aprs une priode de probation dun an de septembre

    2005 septembre 2006. Au cours de cette anne, Droukdal sefforce de transformer le GSPC

    pour rpondre aux critres demands par Al-Zawahiri. Il va chercher prouver sa volont

    dintgrer Al-Qada en refusant notamment la rconciliation nationale, en ciblant les intrts

    trangers et non plus uniquement le pouvoir algrien et en oprant au-del des frontires

    algriennes.109

    Zawahiri clbre donc le cinquime anniversaire des attentats du 11 septembre 2001, en

    annonant le 11 septembre 2006 lintgration du GSPC Al-Qada. Ce processus est confirm

    pleinement, le 24 janvier 2007, avec le changement dappellation, le GSPC devenant Al-

    Qada au pays du Maghreb islamique (AQMI).110

    Les changements oprs par le GSPC

    104

    Gwendal DURAND, op.cit., p.31. Zarkaoui constitue un modle en soit pour Droukdal, car il est le premier

    avoir russi intgrer son organisation Al-Qada en en ayant pris linitiative. 105

    Loc.cit. Cette inscription dans un jihad global du GSPC peut expliquer lchec relatif de la Charte pour la paix et la rconciliation nationale datant de septembre 2005, et fruit dune initiative du prsident Bouteflika. Proposant une amnistie tout islamiste qui se rendait, la nouvelle gnration de recrues sinscrivant dans un jihad global ne pouvait se reconnatre dans une amnistie nationale. 106

    CENTER FOR THE STUDY AND RESEARCH ON TERRORISM, African Journal for the Prevention and

    Combating of Terrorism, Alger, CAERT, juin 2010, p.51. 107

    Le GICL avait des cadres dans lorganisation Al-Qada. Jean Pierre FILIU, op.cit., pp. 222-223. 108

    Jean-Pierre FILIU, La campagne anti-franaise dAl-Qada au Sahel , Politique internationale, n131, printemps 2011. 109

    Jean Pierre FILIU, The local and global jihad of al-Qaida in the Islamic Maghrib, Middle East Journal, volume 63, n2, printemps 2009, p. 223. 110

    Mathieu GUIDERE, op.cit., p.28.

  • 24

    pour devenir AQMI sont pour autant observer avec circonspection. Des contradictions

    diffrents niveaux sont en effet introduites au sein de ce groupe la nature ambige. Elles

    sont engendres par le pragmatisme des dcisions prises par Droukdal et les leaders du groupe

    pour intgrer Al-Qada, dans une dynamique de recherche de survie. Laccomplissement de

    cette mta-stratgie sest fait au prix de la cohrence identitaire du groupe, prise en tau entre

    enjeux nationaux et internationaux. Si la tension entre jihad national et jihad international

    existait dj dans lhistoire du GIA et dans les premires annes du GSPC, elle se manifestait

    essentiellement dans les dclarations car le combat dans les faits restait national. Les

    transformations du GSPC en AQMI, puis AQMI, semblent avoir renforc cette tension mais

    cette fois-ci diffrents niveaux.

  • 2. Du GSPC AQMI, une volution entre ruptures et continuits

    Le GSPC volue et change sur les plans idologique et structurel, ainsi que dans le mode

    opratoire, salignant sur Al-Qada centrale pour pouvoir lintgrer. Des contradictions sont

    toutefois observables, dont une algrianit du groupe conserve, qui conduisent remettre

    en question la profondeur de la transformation. Laffiliation Al-Qada napparat avoir t

    ralise que dans lobjectif de modifier limage du groupe. Le label obtenu et les changements

    apparents dguisent le pragmatisme des dcideurs de lorganisation. Les changements et

    transformations de lorganisation rpondent donc limpratif de survie. La mta-stratgie,

    ou cette interdpendance entre finalit la survie et prennisation du groupe - et moyens la

    ractualisation constante des stratgies de lorganisation est ce qui a dtermin laffiliation

    du groupe Al-Qada. Cette mta-stratgie permet dentrevoir les dynamiques du groupe

    comme inscrites dans une continuit.

    De plus, par del les ruptures constates entre le discours et la pratique, relevables dj

    divers moments dans lhistoire du groupe, AQMI est probablement prsent une organisation

    conjuguant une double ralit, une ralit glocale ,111

    la fois globale et locale.

    Organisation sui generis, AQMI semble se dfinir par de constantes volutions, la fois dans

    le discours et dans la pratique, sous fond de crises et en rponse son environnement.

    2.1 Changements idologiques et modifications du discours

    Les changements dans le discours, et les changements idologiques supposs dAQMI, ne

    paraissent tre que partiels. Rvlant le pragmatisme de Droukdal et des dcideurs au sein de

    lorganisation, la rhtorique dAQMI est propre au groupe, et sarticule autour de lhistoire du

    groupe et dune ralit rgionale.

    2.1.1 Lalignement apparent du systme de croyances et de valeurs

    La cration du GSPC apparat dj comme un premier ralignement dans le giron du jihad

    global car le groupe prne le salafisme jihadiste. Malgr une priorisation affiche du combat

    national jusqu larrive de Droukdal la tte de lorganisation, le GSPC fait un premier pas

    dans la matrice idologique dAl-Qada et se rconcilie avec la communaut jihadiste.112

    111

    Jean-Luc MARRET, Al-Qaeda in Islamic Maghreb: A Glocal Organization , Studies in Conflict and Terrorism, vol.31, n6, 2008, pp.541-552. 112

    Djallil LOUNNAS, op.cit., p.44.

  • 26

    Cependant, lagenda de Droukdal tant lintgration, le souci de saligner sur Al-Qada

    centrale dans le discours devient primordial. Il va donc progressivement remplacer les

    rfrences employes dans les communiqus du groupe.113

    Ainsi, le rgime apostat et

    tyran laisse progressivement place aux coalitions judo-chrtiennes et coalition du

    mal .114

    Il sagit dsormais dune guerre contre les croiss . Salignant sur la doctrine

    prne par Al-Zawahiri, lennemi prioritaire est dsormais l ennemi lointain , les

    puissances occidentales, et non plus l ennemi proche , le rgime algrien.115

    LOccident est considr comme responsable des divisions au sein de la communaut

    musulmane. Il sagit de mener une guerre sainte contre lui pour restaurer loumma

    (communaut musulmane). Dans la rhtorique dAQMI, cet Occident est par contre

    essentiellement incarn par la France et les tats-Unis.116

    Si lvocation de la France dans les

    communiqus du groupe nest pas chose nouvelle, les menaces se font particulirement

    frquentes depuis 2007,117

    anne charnire dans lhistoire du groupe puisque premire

    depuis le changement dappellation. La victoire lectorale du prsident Sarkozy en 2007 est

    suivie dun communiqu particulirement violent et menaant, o le groupe montre son

    intention de mener des oprations sur le sol franais.118

    La position pro-amricaine de lex-

    prsident franais, notamment dans la participation active de larme franaise en

    Afghanistan,119

    a aid justifier les menaces du groupe lendroit de la France et des tats-

    Unis dans une perspective de jihad global.

    Malgr la communication formalisant lallgeance de Droukdal et dAQMI lorganisation

    centrale dans un style imitant lorganisation mre,120 les ruptures dans le discours dAQMI

    par rapport aux annes prcdentes sont nuancer. Demeurent certaines continuits et les

    changements dans le discours obissent une ralit plus pragmatique, celle dtre le rsultat

    dinteractions linterne et dinteractions avec lenvironnement externe.

    113

    Imitant scrupuleusement les mthodes de communication dAQI et dAl-Qada centrale, Droukdal lancera aussi une revue en ligne, al-Djamaa. Djallil LOUNNAS, op.cit., p.45. 114

    Mathieu GUIDERE, op.cit., p.25 ; Djallil LOUNNAS, op.cit., p.45. 115

    AFRICAN CENTER FOR THE STUDY AND RESEARCH ON TERRORISM, African Journal for the

    Prevention and Combating of Terrorism, Alger, CAERT, juin 2010, p.52. 116

    Mathieu GUIDERE, op.cit., pp.38-41. 117

    Mathieu GUIDERE, op.cit., pp.37-43. 118

    Maintenant que vous avez choisi Sarkozy, le crois et le sioniste assoiff du sang des enfants, des femmes et

    des vieillards musulmans (...), nous vous avertissons que les prochains jours verront une campagne jihadiste

    sanglante et une guerre sans merci dans la capitale de Sarkozy. Ce communiqu, mis en ligne le 15 mai 2007,

    annonce clairement une volont de mener des attentats sur le sol franais. Mathieu GUIDERE, op.cit., p.41. 119

    Mathieu GUIDERE, op.cit., p.38. 120

    Djallil LOUNNAS, op.cit., p.45.

  • 27

    2.1.2 Des concessions de surface pour une ralit volue mais singulire

    Si Droukdal est parvenu faire rallier le groupe Al-Qada, cela ne sest pas fait sans

    compromis ni sans sacrifice. En effet, lallgeance Al-Qada a pos problme au sein du

    groupe o de longs dbats eurent lieu linterne. Certains membres, dont des mirs locaux, en

    dsaccord avec cette nouvelle stratgie, souhaitaient continuer la mission dfinie dans les

    statuts du GSPC : la lutte contre le rgime algrien.121

    Droukdal aurait alors promis aux

    dirigeants du GSPC, pour pouvoir obtenir leurs accords, de continuer prioriser le jihad en

    Algrie, avant de ltendre au niveau rgional et international.122 Malgr les tentatives de

    conciliation de Droukdal, le groupe a souffert de dfections, dont celle dAbou Daoud

    Mossab, ex-mir de la zone 9, et de Touati Athmne, ex- muphti du GSPC.123

    Ce dernier

    rvle que Droukdal et ses proches124

    auraient forc le reste du groupe adopter cette dcision

    et nauraient pas cherch avaliser la dcision par le conseil consultatif.125 Ce putsch du

    groupe de Droukdal est renforc par le tmoignage Abou Daoud Mossab qui raconte que

    Droukdal se serait constitu mir du groupe par un coup de force en cartant notamment

    Belmokhtar.126

    Les changements dans le discours du groupe attestent donc du coup de force

    de Droukdal et de ses fidles au sein de lorganisation. Ils ont su imposer leur vision

    stratgique internationaliste pour la survie et le dveloppement du groupe sur les autres

    membres tout en essayant de mnager la branche algrianiste .

    Au vue de lhistoire du groupe et dune dominante algrienne, certains rfrents dAQMI

    dmontrent une impossible conformation absolue Al-Qada centrale dans le discours. Le

    groupe fait rfrence de nombreuses reprises dans ses communiqus la guerre de libration

    algrienne et la prsence de la France en Algrie.127

    Ces rfrences remontent au GIA et

    bien avant encore. A linstar des autres groupes affilis Al-Qada, tels AQI et Al-Qada dans

    la pninsule arabique (AQPA), AQMI ne peut se dpartir de son histoire.

    121

    Loc.cit ; Salima TLEMCANI, Rvlations de lex-mir de la zone 9 , El Watan, 15 aot 2007, [en ligne], consult le 26 juillet 2012, http://www.elwatan.com/archives/article.php?id=74464 ; Mounir ABI,

    L allgeance du GSPC Al-Qada devant la Cour dAlger , Le temps dAlgrie, 23 juin 2012, [en ligne], consult le 23 juin 2012, http://www.letempsdz.com/content/view/76603/1/. 122

    Mathieu GUIDERE, op.cit., pp. 26-27. 123

    Salima TLEMCANI, Rvlations de lex-mir de la zone 9 , El Watan, 15 aot 2007, [en ligne], consult le 26 juillet 2012, http://www.elwatan.com/archives/article.php?id=74464 ; Mounir ABI, L allgeance du GSPC Al-Qada devant la Cour dAlger , Le temps dAlgrie, 23 juin 2012, [en ligne], consult le 23 juin 2012, http://www.letempsdz.com/content/view/76603/1/. 124

    Ce noyau dur de fidles de Droukdal est appel le Bordj Menael . 125

    Mounir ABI, L allgeance du GSPC Al-Qada devant la Cour dAlger , Le temps dAlgrie, 23 juin 2012, [en ligne], consult le 23 juin 2012, http://www.letempsdz.com/content/view/76603/1/. 126

    Salima TLEMCANI, Rvlations de lex-mir de la zone 9 , El Watan, 15 aot 2007, [en ligne], consult le 26 juillet 2012, http://www.elwatan.com/archives/article.php?id=74464 127

    Djallil LOUNNAS, op.cit., p.43.

  • 28

    La volont dintroduire par exemple la notion de chahid (martyr) et de sacrifice, souvent

    glorifis par Al-Qada centrale,128

    conduisent apporter des confusions dans limaginaire des

    membres du groupe. Le chahid, dans limaginaire algrien, est le mort au combat, le

    combattant mort les armes la main .129

    Cest une image guerrire. Cependant, la

    rfrence au martyr dans les communiqus du groupe cherche aussi qualifier les kamikazes

    perptrant les attentats suicides. Ce double sens entretient ds lors une ambigut dans le

    terme de chahid. Il dmontre une contradiction vhicule par les communiqus : la

    coexistence de deux imaginaires. Cette ambigit non leve conforte lhypothse dun

    pragmatisme des dcideurs au sein du groupe, utilisant lidologie pour justifier leurs

    dcisions linterne, auprs de leurs membres, et lexterne, auprs de la communaut

    jihadiste.130

    Serge Daniel qualifie cela de vernis idologique .131

    Le pragmatisme de Droukdal est dcelable dans linterview quil accorda au New York Times

    et parue le 1er

    juillet 2008. A la question lui demandant la plus grande russite du groupe

    selon lui, Droukdal rpond :

    We believe that our greatest achievement is that the jihad is still continuing in the Islamic Maghreb for 16 years. And today it is developing and climbing. By the

    generosity of God we were able to transfer our jihad from the country to regional, and

    we were able to expand our activity to the Maghreb states and the African coast, and

    we could participate in the regional awakening jihad. 132

    En considrant la plus grande russite du groupe comme tant sa longvit, Droukdal dvoile

    le souci permanent de la survie et de la prennisation de lorganisation. Il parle dune russite

    dans lvolution du local au rgional mais nuse daucun argument idologique pour

    connecter ces deux combats et expliquer cette transition. Son agenda nest pas la cohrence

    stratgique mais bien le souci du maintien en vie de lorganisation dans un environnement

    hostile avec une stratgie sans cesse rajuste au vue des opportunits et contraintes. Il ajoute

    en effet dans le mme entretien:

    (..) we do modify our strategy according to each stage. And we have an advice council and senate that convene each time to put down the plans and the

    128

    Djallil LOUNNAS, op.cit., p.48. 129

    Djallil LOUNNAS, op.cit., p.49. 130

    Une seconde hypothse consisterait dire que ces contradictions dans le discours pourraient aussi relever

    dune utilisation dun rfrentiel non matris par certains dirigeants du groupe. 131

    Serge DANIEL, AQMI. Lindustrie de lenlvement, Paris, Fayard, 2012, p.11. 132

    NYT, An interview with Abdelmalek Droukdal , The New York Times, 1er juillet 2008, [en ligne],

    consult le 26 juillet 2012, http://www.nytimes.com/2008/07/01/world/africa/01transcript-droukdal.html?_r=1.

  • 29

    strategies for the phase. It also assesses the previous phases and remedies the

    deficiencies and takes into account the development on the jihad ground.133

    Droukdal un peu plus tt, rpondant une question linterrogeant sur lintgration du groupe

    Al-Qada, retourne la question suivante aux journalistes :

    The same way they fight us in military allies and economic and political mass-groupings. Why shouldnt we join our brothers while almost all these nations got united against the Muslims and separated them ()134

    Sous la logique implacable de cette dclaration, lalliance avec Al-Qada est clairement

    exprime comme une alliance de circonstance en raction un ennemi unifi. Ainsi,

    lvolution dans le discours observable entre le GSPC, la priode charnire de transition

    GSPC-AQMI 135

    et AQMI nest pas une consquence de lintgration Al-Qada mais

    davantage le rsultat dune adaptation continue et permanente du groupe son

    environnement.

    Manuel R. Torres Soriano arrive aux mmes conclusions dans une tude ralise sur 199

    communications du groupe entre 1998 et 2009 o il tudie et compare la frquence des

    rfrences des communiqus du GSPC (1998-2006) avec ceux dAQMI (2007-2009). 136 Il

    observe une augmentation de lvocation de la France et des tats-Unis dans le discours du

    groupe entre la priode du GSPC (1998-2006) et celle dAQMI (2007-2009).137 Cependant,

    laugmentation est de 17,7% pour la France alors que pour les tats-Unis elle nest que de

    5%.138

    Lennemi le plus rcurrent est de trs loin la France. Le groupe obit donc une

    ralit rgionale et une ralit qui lui est propre dans sa dsignation de lennemi. Parmi les

    pays musulmans, les rfrences la Mauritanie, la Somalie et la Tunisie ont considrablement

    augment sous AQMI, denviron 10% pour chacun. Ils dmontrent les proccupations

    rgionales du groupe, ou dans le cas somalien, la dmarche de renforcer des alliances avec des

    groupes mergents.139

    Les personnages historiques musulmans, essentiellement maghrbins

    sont davantage cits dans les communiqus, suite au changement dappellation, alors qua

    133

    Loc.cit. 134

    Loc.cit. 135

    Voir Lakhdar BENCHIBA, Les mutations du terrorisme algrien , Politique trangre, IFRI, vol.2, t

    2009, pp.346-352. Cette expression revient souvent dans la littrature des deux premires annes du groupe. Elle

    correspond un certain scepticisme quant la relle volution du groupe et au dlaissement du combat national.

    Elle a tendance prsent disparatre dans les tudes menes. Cependant, elle recouvre une ralit du groupe

    dj nonce au cours de notre tude, celle du double hritage dun combat national et du salafisme jihadiste. 136

    Manuel R. Torres SORIANO, Estamos esperando tus ordenes?: el tibio compromiso global de al-Qaeda en el Magreb Islmico, Real Instituto Elcano, ARI, p.2. 137

    Loc.cit. 138

    Manuel R. Tores SORIANO, op.cit., p. 3. 139

    Manuel R. Tores SORIANO, op.cit., p.4.

  • 30

    contrario les rfrences Oussama Ben Laden diminuent.140

    Le groupe cre donc ses propres

    hros et mythes. Droukdal, ayant acquis le label dAl-Qada, ne cherche plus faire la

    cour aux dirigeants dAl-Qada centrale et se focalise sur son environnement rgional. Il

    essaye de renforcer AQMI en cooptant ou en salliant aux diffrents groupes et groupuscules

    de la rgion.

    2.2. Transformations structurelles et cooptations

    Pour pouvoir intgrer Al-Qada, et passer dune focale nationale une perspective rgionale

    couvrant le Maghreb dans son ensemble, le GSPC se devait de rallier les diffrents groupes de

    la rgion autour de lui. Lobjectif est alors de faire du GSPC le noyau dur du nouveau groupe

    constitu tout en intgrant la structure et chane de commandement les organisations

    terroristes marocaine, tunisienne et libyenne, respectivement le GICM, le GICT et le GICL.141

    AQMI, malgr un afflux relatif de ressortissants de pays maghrbins et dAfrique de lOuest,

    demeure domin en nombre et dans la chane de commandement par les Algriens au

    Maghreb.142

    Ainsi, il y a une coopration et des relations observables entre le GICM et le GSPC pour

    scuriser des voies de passage pour les trafics illgaux dans la rgion une des principales

    sources de financement de ces groupes et pour participer au rseau international du GSPC en

    Europe.143

    Le GICM participe aussi activement au recrutement de nouveaux membres pour

    AQMI,144

    mais le GICM ne sest pas fondue dans la structure du groupe,145 mme si certains

    des membres du GICM ont reu un entranement dans les camps du GSPC.146

    Il sagit de liens

    logistiques et dchanges de services mais non pas dune fusion. Le mme constat est

    140

    Manuel R. Tores SORIANO, op.cit., pp.5-6. 141

    Mathieu GUIDERE, op.cit., pp.13-15 ; Camille TAWIL, The Al Qaeda organization in the Islamic

    Maghreb: Expansion in the Sahel and Challenges from within Jihadist circles, The Jamestown Foundation, avril

    2010, pp.18-23. 142

    Selon la plupart des analystes, lorganisation se composerait dun noyau dur de 500 membres. Isabelle MANDRAUD et Jean-Philippe REMY, AQMI, la nouvelle donne , Le Monde, Go et politique, lundi 12

    mars 2012, p.4. 143

    Anneli BOTHA, op.cit., p.103. 144

    Loc.cit ; Jean Luc MARRET, Al-Qaeda in Islamic Maghreb: A Glocal Organization , Studies in Conflict and Terrorism, vol.31, n6, 2008, pp.542-543. 145

    Jean Luc MARRET, op.cit., p.543 ; Michel MASSON, Les groupes islamistes se rclamant d'Al-Qada au

    Maghreb et au Nord de l'Afrique , Confluences Mditerrane, LHarmattan, n 76, hiver 2010-2011, pp.159-160. De nombreux auteurs attestent de connections et de relations entre AQMI et les autres groupes au Maghreb

    mais ne vont pas jusqu avancer une fusion ou une intgration de ces groupes au sein dAQMI. Seuls quelques auteurs, tel que Mathieu Guidre, ont avanc lide dune intgration des diffrents groupes. Dans une de ses dernires tudes, il nuance sa position pour le GICL. Voir Mathieu GUIDERE, Al-Qada au Maghreb

    islamique : le tournant des rvolutions arabes , Maghreb-Machrek, n208, t 2011, pp.59-73. 146

    Anneli BOTHA, op.cit., p.105.

  • 31

    observer dans le cas du GICT, groupe tunisien, la diffrence prs que les organisations

    apparaissent cooprer davantage et que les ressortissants tunisiens ont paru plus sensibles au

    label Al-Qada lors du changement de nom.147

    En effet, les services de scurit tunisiens

    ont arrt plusieurs reprises en 2007 de jeunes Tunisiens ayant des liens avec lorganisation

    ou souhaitant intgrer AQMI.148

    Quant au GICL, les cadres du groupe se sont dabord faits

    rticents un ralliement malgr lavis favorable dAbou Layth al-Liby, un des principaux

    chefs libyens dAl-Qada.149 Le 11 novembre 2007, Al-Zawahiri annonce dans une

    dclaration, qui est une injonction dans les faits, lintgration du GICL dans AQMI.150 Malgr

    cela, le groupe est rest relativement distant par rapport AQMI,151

    mme si lon observe des

    ressortissants libyens au sein dAQMI. Dans le cas des trois groupes, une fusion ne sest pas

    faite avec AQMI. Les Libyens, Marocains et Tunisiens que lon retrouve au sein dAQMI

    semblent davantage tre l sur une base volontaire et non organisationnelle, le recrutement

    pour le jihad en Irak ayant t lun des lments-cls de cette cooptation partielle.152

    La ralit du groupe reste ainsi trs focalise sur le territoire algrien, essentiellement dans les

    rgions lEst dAlger en Kabylie. Il sagit des zones dfinies par le groupe comme tant les

    zones 2 et 5.153