Upload
michael
View
213
Download
0
Embed Size (px)
Citation preview
This article was downloaded by: [University of Tennessee, Knoxville]On: 21 December 2014, At: 00:04Publisher: RoutledgeInforma Ltd Registered in England and Wales Registered Number: 1072954Registered office: Mortimer House, 37-41 Mortimer Street, London W1T 3JH,UK
Loisir et Société / Society andLeisurePublication details, including instructions forauthors and subscription information:http://www.tandfonline.com/loi/rles20
Être à la fois public et non-public. Quand le public dessalles de cinéma Art et Essaiest non-public des films Art etEssaiMichaël Bourgattea
a Université d’AvignonPublished online: 03 Jul 2013.
To cite this article: Michaël Bourgatte (2009) Être à la fois public et non-public. Quand le public des salles de cinéma Art et Essai est non-public desfilms Art et Essai, Loisir et Société / Society and Leisure, 32:1, 147-171, DOI:10.1080/07053436.2009.10707787
To link to this article: http://dx.doi.org/10.1080/07053436.2009.10707787
PLEASE SCROLL DOWN FOR ARTICLE
Taylor & Francis makes every effort to ensure the accuracy of all theinformation (the “Content”) contained in the publications on our platform.However, Taylor & Francis, our agents, and our licensors make norepresentations or warranties whatsoever as to the accuracy, completeness,or suitability for any purpose of the Content. Any opinions and viewsexpressed in this publication are the opinions and views of the authors, andare not the views of or endorsed by Taylor & Francis. The accuracy of theContent should not be relied upon and should be independently verified withprimary sources of information. Taylor and Francis shall not be liable for anylosses, actions, claims, proceedings, demands, costs, expenses, damages,and other liabilities whatsoever or howsoever caused arising directly or
indirectly in connection with, in relation to or arising out of the use of theContent.
This article may be used for research, teaching, and private study purposes.Any substantial or systematic reproduction, redistribution, reselling, loan,sub-licensing, systematic supply, or distribution in any form to anyone isexpressly forbidden. Terms & Conditions of access and use can be found athttp://www.tandfonline.com/page/terms-and-conditions
Dow
nloa
ded
by [
Uni
vers
ity o
f T
enne
ssee
, Kno
xvill
e] a
t 00:
04 2
1 D
ecem
ber
2014
être à la fOIs publIc et nOn-publIc.quand le publIc des salles de cInéma
art et essai est nOn-publIc des fIlms art et essai
Michaël bourgaTTe
Université d’Avignon
Toute société jusqu’à nos jours reposait […] sur l’opposition
entre classes d’oppresseurs et classes opprimées. Mais pour pouvoir
opprimer une classe, il faut lui assurer des conditions au sein desquelles
elle puisse au moins subvenir à son existence asservie.
Karl Marx et Friedrich Engels1
Introduction
Le cinéma est sans doute l’un des objets culturels qui interroge le mieux la notion de non-public et sonde le plus en profondeur la ligne de démarcation entre le champ du loisir et le champ de l’expérience artistique. Cela provient du fait que le cinéma est très largement répandu dans la société, du moins, dans la société occidentale, et qu’il renvoie confusément à deux choses : il est à la fois un lieu et une création. Or, nous ne savons jamais vraiment très bien à quoi renvoie la notion de non-public : s’agit-il d’une assemblée absente des lieux de culture ou d’un groupe d’individus qui n’est jamais confronté à certaines créations ? Pour analyser la portée de cette ambiguïté, nous ne prê-terons donc pas attention aux pratiques privatives du film qui soulèveraient, à n’en pas douter, de nombreuses questions et nous nous concentrerons sur l’étude de la pratique cinématographique en salle2.
Dow
nloa
ded
by [
Uni
vers
ity o
f T
enne
ssee
, Kno
xvill
e] a
t 00:
04 2
1 D
ecem
ber
2014
148 Michaël bourgaTTe
La notion de non-public apparaît en France au printemps 1968, en pleine tempête politique et idéologique. Elle est censée entériner un constat : certaines personnes n’auraient pas accès à la culture. Mais en même temps qu’elle s’énonce, cette notion surdétermine ce qu’elle désigne par un effet de dramatisation (les acteurs culturels de l’époque se demandent en effet comment il est possible que tout un pan de la population n’ait pas accès aux lieux et objets culturels). Ainsi, la notion de non-public introduit d’emblée une fracture réductrice entre un ensemble d’individus qui n’accéderait pas au « phénomène culturel »3 et les publics réels ou potentiels. Cet exercice de catégorisation permet de mettre le doigt sur un déséquilibre quant aux possibilités d’accès à la culture. Pour autant, il n’offre guère de nuances. En effet, cette conception est profondément holistique et ne prend pas en compte certaines caractéristiques individuelles qui invitent à plus de prudence, ce que soulignent deux publications de référence parues en 2004 à la suite d’un colloque organisé autour de cette notion4.
Cette approche soixante-huitarde repose sur la montée d’un « phéno-mène théorique » mis en forme et révélé par Pierre Bourdieu dans L’amour de l’art5. Dans ce livre, l’auteur démontre que l’accès (ou le non-accès) à la culture est de nature symbolique et non pas matériel6. Autrement dit, il y aurait un déterminisme social qui influerait sur les pratiques culturelles, conception qui sera entérinée par l’Enquête sur les pratiques culturelles des français conduite à la même période7. La fulgurance de cette approche peine à être contestée, tant la production de données chiffrées, toujours en ordre de bataille, appuie cette théorie. Pourtant, la notion d’habitus proposée par Pierre Bourdieu a ses limites. En effet, le rapport des individus à la culture est noué de façon plus complexe, dépassant largement leur appartenance sociale (être de CSP+ ou de CSP–) ou territoriale (vivre en ville ou à la campagne). Le sociologue et journaliste allemand Siegfried Kracauer soulignait déjà cela à la fin des années 1920 dans une étude sur la classe moyenne émergente des employés de bureau8. Ces hommes et ces femmes, n’appartenant ni totale-ment aux CSP+ ni totalement aux CSP–, sont dominants d’un point de vue numérique au sein de la société et forment la grande partie des publics des salles de cinémas.
Comment, dès lors, interroger la notion de non-public ? À quoi renvoie- t-elle ? Sert-elle à désigner des individus qui ne fréquentent pas certains lieux culturels ou des individus qui ne se confrontent pas à certains objets culturels ? Le traitement de ces questions devrait nous éclairer quant aux ambiguïtés que véhicule cette notion de non-public, d’autant plus qu’elle induit une confusion entre non-réception et réception déviante (du point de vue du spectateur, on pourrait dire : non-pratique et pratique déviante). Ces ambivalences, qui sont au cœur même de la notion, soulèvent ainsi la question de sa pertinence et de son usage.
Dow
nloa
ded
by [
Uni
vers
ity o
f T
enne
ssee
, Kno
xvill
e] a
t 00:
04 2
1 D
ecem
ber
2014
149Être à la fois public et non-public
Nous nous proposons d’étudier le rapport qu’entretiennent les notions de public et de non-public à partir de résultats issus de deux études conduites auprès d’individus fréquentant des salles Art et Essai de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA), dans le sud-est de la France. Ces établissements cinématographiques se consacrent à la diffusion de films de « niche » auxquels le gouvernement et les instances du cinéma attribuent une valeur culturelle par un exercice de labellisation Art et Essai. De ce fait, ils sont officielle-ment distingués et reconnus comme des acteurs culturels de premier ordre dans le paysage culturel français. Mais ces salles diffusent aussi des films dits commerciaux, qui ne bénéficient pas du label Art et Essai et qui attirent massivement les spectateurs9. L’existence de cette norme institutionnelle de la valeur soulève dès lors une interrogation : n’y a-t-il pas un public des salles Art et Essai qui soit en même temps non-public des films Art et Essai ?
Pour répondre à cela, nous nous proposons, dans une première partie, de mettre la notion de non-public à l’épreuve du lieu de la pratique cinéma-tographique et nous nous demanderons s’il n’est pas plutôt nécessaire de s’interroger sur la dichotomie lieu / non-lieu. Dans un second temps, et par symétrie, nous nous demanderons s’il ne faut pas concentrer notre attention sur la partition entre films Art et Essai et films commerciaux – et, d’un point de vue conceptuel, entre art et non-art – pour penser la notion de non-public. Enfin, dans une troisième et dernière partie, nous renverrons le débat sur la notion de public elle-même, sa portée notionnelle et son utilisation. En effet, le non-public n’est-il pas simplement une partie du public dès lors qu’on parle du public au pluriel ?
1. Le non-public à l’épreuve de la notion de non-lieu
1.1. L’attachement aux salles Art et Essai
Dans la sortie au cinéma, l’acte de sortir est plus important que le visionne-ment du film. Cela est vrai parce que le cinéma est avant tout une expérience de sociabilité10. Cette assertion, valable aux origines, l’est d’autant plus aujourd’hui avec le développement exponentiel des moyens de visionnement des films (Internet, VOD, lecteurs portatifs, etc.). La sortie en salle permet d’exposer publiquement ses goûts. Elle permet surtout au spectateur de parler, au plus vite, des films récents puisque la salle garde l’exclusivité de la diffusion des nouveautés cinématographiques.
Les salles Art et Essai permettent, plus que les salles généralistes, de prendre acte de cet effet car elles programment un éventail plus vaste de films, ce qui permet d’identifier avec précision différents groupes de spectateurs. C’est pour cette raison que nous avons porté notre attention sur ce type d’établissements. Apparues dans les années 1920, les premières
Dow
nloa
ded
by [
Uni
vers
ity o
f T
enne
ssee
, Kno
xvill
e] a
t 00:
04 2
1 D
ecem
ber
2014
150 Michaël bourgaTTe
salles Art et Essai françaises sont des salles consacrées à la diffusion de films d’avant-garde. C’est à partir de 1955 qu’elles commencent à être aidées pour leur travail de recherche et de diffusion des films de « niche » : les films d’art et les films d’essai (intitulé qui se réfère aux films les plus expérimentaux ou d’avant-garde). Puis très rapidement, l’orthodoxie du mouvement est remplacée par une volonté de développement, ce qui conduit de nombreuses salles partageant leur programmation entre des films Art et Essai et des films commerciaux à bénéficier du label Art et Essai et des aides qui en découlent.
Aujourd’hui, la France compte plus d’un millier d’établissements Art et Essai. S’ils se distinguent par une programmation plus culturelle, ils con-servent néanmoins une fonction de salle de proximité, permettant aux per-sonnes captives (notamment les jeunes et les seniors) d’avoir accès aux films. Ils répondent aussi aux attentes de la population lors des grandes sorties nationales (sur)médiatisées, parfois attendues de longue date. La projection de ces films commerciaux leur assure leur rentabilité parce qu’ils attirent massivement les jeunes (comme les comédies américaines) ou les familles (comme les Walt Disney). C’est souvent en marge que les salles Art et Essai continuent d’assurer un travail de découverte des films les plus difficiles et les plus exigeants. Ce bilan contredit donc quelque peu une représentation schématique selon laquelle il s’agirait de lieux fermés, voués à des pratiques marginales et fréquentés par une élite.
Dans le questionnaire diffusé en région PACA (n = 984), il était demandé aux répondants d’indiquer le titre du film vu au moment de la passation. Les réponses obtenues ont permis de distinguer deux groupes de spectateurs : l’un réservant ses sorties aux films Art et Essai, l’autre se rendant en salle pour voir des films commerciaux. Une première différence est visible au niveau de la fréquentation des salles (voir tableau 1).
Les spectateurs qui préfèrent les films Art et Essai se rendent plus sou-vent au cinéma que les spectateurs des films commerciaux. Par ailleurs, l’en-quête a montré que les spectateurs des films Art et Essai sont statistiquement plus âgés, comme si l’adaptation aux films Art et Essai était progressive. Cela est sans nul doute lié à la complexité de leurs intrigues, autant d’un point de vue narratif que visuel, qui nécessitent un apprentissage et des confrontations répétées avant d’être appréciées (ce qui serait incontestablement facilité pour les retraités qui, non seulement, fréquentent les salles de cinéma depuis plus longtemps, mais surtout disposent de plus de temps libre) (voir tableau 2).
Dow
nloa
ded
by [
Uni
vers
ity o
f T
enne
ssee
, Kno
xvill
e] a
t 00:
04 2
1 D
ecem
ber
2014
151Être à la fois public et non-public
ta
bl
ea
u 1
Tau
x de
fré
quen
tati
on d
es s
alle
s A
rt e
t E
ssai
par
le p
ublic
des
fil
ms
Art
et
Ess
ai
et p
ar le
pub
lic d
es f
ilm
s co
mm
erci
aux
1x /
an2
ou 3
x / a
n1x
tous
les
2
ou 3
moi
sA
u m
oins
1x
/ m
ois
Plu
sieu
rs
x / m
ois
Au
moi
ns
1x /
sem
aine
Plu
sieu
rs
x / s
emai
neTo
tal
Pub
lic d
es fi
lms
Art
et E
ssai
0,8
%3,
9 %
10,4
%21
,4 %
33,8
%19
,1 %
10,6
%10
0 %
Pub
lic d
es fi
lms
com
mer
ciau
x0,
8 %
7,1
%23
,5 %
21,3
%31
,1 %
9,3
%6,
8 %
100
%
Tota
l0,
8 %
5,3
%16
,0 %
21,4
%32
,7 %
14,9
%9,
0 %
100
%So
urce
: Mic
haël
Bou
rgat
te –
Enq
uête
Pub
lics
en P
AC
A, 2
007
(n =
984
).
ta
bl
ea
u 2
Tau
x de
pén
étra
tion
(pa
r cl
asse
d’â
ges)
des
sal
les
Art
et
Ess
ai p
ar le
pub
lic d
es f
ilms
Art
et
Ess
ai
et p
ar le
pub
lic d
es f
ilms
com
mer
ciau
x–
de 1
5 an
s15
-17
ans
18-2
4 an
s25
-34
ans
35-4
9 an
s50
-64
ans
65 a
ns e
t +To
tal
Pub
lic d
es fi
lms
Art
et E
ssai
0,4
%1,
8 %
3,3
%5,
5 %
25,9
%43
,3 %
19,8
%10
0 %
Pub
lic d
es fi
lms
com
mer
ciau
x2,
3 %
3,2
%11
,6 %
11,0
%30
,9 %
25,4
%15
,6 %
100
%
Tota
l1,
1 %
2,4
%6,
9 %
7,9
%28
,1 %
35,6
%18
,0 %
100
%So
urce
: Mic
haël
Bou
rgat
te –
Enq
uête
Pub
lics
en P
AC
A, 2
007
(I =
984
).
Dow
nloa
ded
by [
Uni
vers
ity o
f T
enne
ssee
, Kno
xvill
e] a
t 00:
04 2
1 D
ecem
ber
2014
152 Michaël bourgaTTe
En effet, on constate qu’il y a un croisement, pour ne pas dire un renversement statistique, qui s’opère entre les deux types de publics sur la classe d’âge des 35-49 ans, période charnière qui correspond à celle du public cible de l’Art et Essai. Les 50 ans et plus sont surreprésentés chez ceux qui préfèrent les films Art et Essai. Le public des autres films est, quant à lui, composé majoritairement par des spectateurs moins âgés, ce qui confirme l’hypothèse d’une adaptation progressive aux films Art et Essai. Cette piste est entérinée par un résultat obtenu lors d’une autre enquête menée en 2006 auprès de lycéens participant à une opération d’éducation à l’image dans des salles Art et Essai de la région PACA (n = 250)11. Pour ces jeunes, la sortie en salle est davantage événementielle et relève d’une volonté d’assimiler les connaissances minimales qu’il faut avoir en se rendant au cinéma à l’occa-sion des quelques grandes sorties événementielles de l’année : l’adaptation cinématographique du roman à succès Twilight, la nouvelle production des studios Pixar ou le dernier opus de la saga Harry Potter.
tableau 3
Taux de fréquentation des salles de cinéma par les lycéens
Occasionnels
Aucune 10,4 %
66,8 %1 seule fois 14,0 %
2 ou 3 fois 29,2 %
1 fois tous les 2 ou 3 mois 23,6 %
RéguliersAu moins 1 fois par mois 10,8 %
18 %Plusieurs fois par mois 7,2 %
AssidusAu moins 1 fois par semaine 3,2 %
4,8 %Plusieurs fois par semaine 1,6 %
Total / réponses 100,0 % 100,0 %Source : Michaël Bourgatte – Enquête Lycéens et Apprentis au cinéma, 2006 (n = 250).
On constate que les taux de fréquentation des salles par les lycéens restent modérés : les deux tiers d’entre eux (66,8 %) déclarent s’y rendre entre une et six fois par an ce qui, peu ou prou, correspond à la moyenne nationale de la fréquentation qui oscille autour de trois sorties par an et par personne12. Par contre, leur taux de consommation filmique à domicile est excessivement important (près des deux tiers de notre échantillon disent voir deux ou trois films, parfois plus, par semaine), ce qui leur permet de façonner leurs connaissances cinématographiques par le biais de la télévision, des vidéocassettes, des DVD ou tout autre format de diffusion numérique (webdiffusion, vidéo à la demande). Les modalités de rencontre avec les films sont, quant à elles, diverses : achats, enregistrements ou téléchargements.
Dow
nloa
ded
by [
Uni
vers
ity o
f T
enne
ssee
, Kno
xvill
e] a
t 00:
04 2
1 D
ecem
ber
2014
153Être à la fois public et non-public
Pour autant, ces jeunes, comme l’ensemble des publics des films com-merciaux, montrent un réel attachement à la salle dans laquelle ils ont été interrogés, et ce, même si leur taux de fréquentation de la salle est faible. L’enquête menée dans les salles Art et Essai de la région PACA le confirme : 75,3 % des personnes interrogées déclarent venir exclusivement ou princi-palement dans ces établissements.
1.2. La part tangible et la part symbolique des salles Art et Essai
De manière générale, si l’on repère un certain nombre de différences entre les deux groupes de spectateurs, on enregistre aussi des régularités lorsqu’on leur demande d’exprimer leur niveau de satisfaction de la salle dans laquelle ils ont été interrogés. À partir d’une série de neuf critères (la programmation, le programme, les tarifs, l’accueil, l’organisation des horaires et des séances, la qualité des projections, le confort des salles, l’accessibilité du cinéma et, enfin, son engagement dans des actions militantes), nous avons constaté que le niveau moyen de satisfaction exprimé sur chacun d’entre eux était de 93 %.
Ces données indiquent deux choses. Premièrement, il n’y a pas, à pro-prement parler, de non-public des salles Art et Essai. Tout un chacun peut être amené à fréquenter ce type d’établissement dès lors qu’il désire voir un film, qu’il soit Art et Essai ou commercial. Pour autant, il reste tout à fait possible de considérer comme non-public la part des spectateurs fréquentant ce type d’établissement sans prêter attention aux films Art et Essai. Reste que l’ensemble des personnes interrogées témoignent un réel attachement à ces salles ; c’est la deuxième information que les données nous fournissent. En effet, malgré un attrait pour des catégories différentes de films, les deux ensembles spectatoriels que nous avons identifiés ont une relation intime avec leur salle.
Dès lors, il paraît intéressant de déplacer nos interrogations sur la notion de lieu – et par extension, celle de non-lieu – desquelles dépend la pertinence de la notion de non-public. Michel de Certeau identifie le lieu comme un espace à venir au sein duquel « des éléments sont distribués dans des rapports de coexistence »13. Lorsque ces éléments deviennent signifiants pour les individus et qu’ils se mettent à entretenir des relations entre eux, on parle alors d’espace. « L’espace serait au lieu ce que devient le mot quand il est parlé […] En somme, l’espace est un lieu pratiqué »14. De là découle une représentation possible du non-lieu dans lequel des éléments seraient distri-bués, mais pour lesquels les pratiquants ne seraient pas toujours en mesure de fabriquer des rapports de coexistence. Comme, d’une part, le lieu est un espace à venir constitué d’éléments à la fois tangibles et symboliques et que, d’autre part, ce sont les éléments tangibles qui permettent le plus trivialement de construire le statut de pratiquant, alors on dira que c’est dans la capacité
Dow
nloa
ded
by [
Uni
vers
ity o
f T
enne
ssee
, Kno
xvill
e] a
t 00:
04 2
1 D
ecem
ber
2014
154 Michaël b
du pratiquant à saisir la part symbolique du lieu que réside la possibilité de penser un lieu comme un non-lieu. Lorsque le pratiquant ne s’approprie pas la part symbolique proposée par l’institution, alors on parlera de non-lieu15.
Pour en revenir au terrain de cette étude, nous dirons que les salles de cinéma Art et Essai ont à la fois une fonction tangible de diffusion des films et une fonction symbolique d’engagement sur les films (engagement qui s’étend même, dans certains cas, à des causes politiques et sociales). Les spectateurs, en payant un ticket et en entrant dans une salle Art et Essai pour voir un film, activent la part tangible de la salle. Toutefois, ils peuvent, dans certains cas, n’avoir qu’une relation pratique avec elle, c’est-à-dire venir voir des films et ne porter aucune attention à la place spécifique qu’elle occupe dans l’espace social. En effet, ces salles portent un discours d’ordre symbolique sur le film (et la société) par la diffusion et le soutien à des ciné-matographies de « niche ». Ce discours se matérialise par la simple opération de programmation de films labellisés Art et Essai qui constitue un propos d’ordre symbolique en soi. Mais souvent, ces salles mettent aussi en place des stratégies de communication (édition d’un programme, organisation d’animations, de rencontres, etc.). L’absence d’attention ou d’intérêt pour cette part symbolique nous conduit à considérer que certains spectateurs pratiquent ces salles de cinéma, ces lieux de la (sur)modernité, comme des non-lieux. En somme, ils ne s’engagent pas aux côtés de ces lieux culturel-lement et socialement engagés.
Tout lieu serait ainsi un non-lieu possible : une université dans laquelle des étudiants vont suivre des cours sans se soucier du positionnement intel-lectuel de l’enseignant, la télévision quand le téléspectateur ne saisit pas les intentions idéologiques qui sont celles du journaliste ou encore un cinéma que des spectateurs côtoieraient sans s’interroger sur la portée symbolique de la programmation. Mais qu’en est-il du propos lui-même ? de l’objet qui est au centre de l’existence de ces lieux ? Pour en revenir à notre proposi-tion, nous nous demanderons, dans une deuxième partie, quel rapport les publics entretiennent avec les films, indépendamment de la relation qu’ils entretiennent avec la salle.
2. Le non-public à l’épreuve de la notion de non-art
2.1. La culture cinématographique des publics des salles Art et Essai
En France, tous les films diffusés en salles font l’objet d’un passage devant une commission d’experts regroupant des personnalités du monde des arts et de la culture. C’est elle qui statue, après visionnement, sur l’attribution
ourgaTTe
Dow
nloa
ded
by [
Uni
vers
ity o
f T
enne
ssee
, Kno
xvill
e] a
t 00:
04 2
1 D
ecem
ber
2014
155Être à la fois public et non-public
du label Art et Essai. Cet exercice a pour fonction de juger de la qualité fil-mique, d’organiser le champ des productions en deux ensembles (d’un côté, les films labellisés et, de l’autre, ceux qui ne le sont pas) et ainsi d’apporter un soutien financier aux salles se consacrant à la diffusion des productions culturelles et novatrices qui attirent le moins les spectateurs. Cela permet aussi d’encourager la diffusion de films participant – selon les instances du cinéma – au renouvellement des formes cinématographiques.
On se demandera dès lors si les critères de labellisation employés par les experts sont pertinents dans la mesure où ils sont flous. En effet, c’est la problématique de la marginalité qui marque de son empreinte les produc-tions Art et Essai : la qualité filmique est jugée au regard de la provenance géographique des films ; elle dépend également d’un prétendu geste artistique permettant de reconnaître la figure du réalisateur.
Un film provenant d’un pays faible exportateur de cinéma ne définit en rien une quelconque qualité. Toutefois, ce critère se montre acceptable dans la mesure où des films issus d’aires géographiques mal connues ne peuvent que favoriser la découverte d’autres cultures. C’est donc la question de la force créatrice d’un réalisateur capable d’introduire des ruptures esthétiques et discursives dans le champ de la production cinématographique qui retient l’attention. En effet, il n’existe aucune modalité d’identification de l’inno-vation, de l’expérimentation et du traitement de questions de société dans les films. L’exercice de labellisation Art et Essai fait très largement appel à la sensibilité et à la subjectivité des experts. Reste qu’un consensus, plus ou moins mou, existe autour de la qualité ou de l’absence de qualité d’une production cinématographique et donc des compétences ou non d’un réali-sateur qui pourra éventuellement être porté au rang d’auteur.
On voit donc qu’il existe une valeur cinématographique institutionnelle qui est indépendante de la réception du film par le public. Doit-on cepen-dant en conclure que les films ne bénéficiant pas de la labellisation Art et Essai, et attirant le plus massivement les publics, sont dénués de valeur ? Évidemment non. Quand le film Art et Essai a une fonction culturelle et éducative pour des spectateurs qui perçoivent le cinéma comme un objet de savoir et de connaissances, les films commerciaux attirent un public qui cherche davantage à se changer les idées. Ces derniers accordent ainsi une valeur de loisir au cinéma (voir tableau 4).
De là, se pose la question de la programmation qui est au cœur d’une relation triangulaire unissant le spectateur au film qu’il vient voir, dans un contexte particulier (voir tableau 5).
Dow
nloa
ded
by [
Uni
vers
ity o
f T
enne
ssee
, Kno
xvill
e] a
t 00:
04 2
1 D
ecem
ber
2014
156 Michaël bourgaTTe 157Être à la fois public et non-publict
ab
le
au
4
Con
sidé
rati
on a
ccor
dée
aux
film
s pa
r le
pub
lic d
es f
ilm
s A
rt e
t E
ssai
et p
ar le
pub
lic d
es f
ilm
s co
mm
erci
aux
Le
ciné
ma
est u
n bo
n m
oyen
de
se
chan
ger
les
idée
s.L
e ci
ném
a es
t un
bon
moy
en d
’éla
rgir
son
cha
mp
de c
onna
issa
nces
.
Le
ciné
ma
es
t un
bon
dive
rtis
sem
ent.
Le
ciné
ma
est
une
pass
ion.
Aut
reTo
tal
Pub
lic d
es fi
lms
Art
et E
ssai
22,0
%38
,0 %
17,4
%17
,9 %
4,7
%10
0 %
Pub
lic d
es fi
lms
com
mer
ciau
x 35
,6 %
28,5
%19
,9 %
10,4
%5,
5 %
100
%
Tota
l28
,1 %
33,8
%18
,5 %
14,6
%5,
1 %
100
%So
urce
: Mic
haël
Bou
rgat
te –
Enq
uête
Pub
lics
en P
AC
A, 2
007
(n =
984
).
ta
bl
ea
u 5
Niv
eau
de s
atis
fact
ion
de la
pro
gram
mat
ion
des
salle
s A
rt e
t E
ssai
exp
rim
é pa
r le
pub
lic d
es f
ilm
s A
rt e
t E
ssai
et
par
le p
ublic
des
fil
ms
com
mer
ciau
x
Très
sat
isfa
it d
e
la p
rogr
amm
atio
nP
lutô
t sat
isfa
it d
e
la p
rogr
amm
atio
nP
lutô
t ins
atis
fait
de
la
pro
gram
mat
ion
Pas
sat
isfa
it d
u to
ut d
e la
pro
gram
mat
ion
Tota
l
Pub
lic d
es fi
lms
Art
et E
ssai
51
,7 %
46,7
%1,
5 %
0 %
100
%
Pub
lic d
es fi
lms
com
mer
ciau
x38
,5 %
59,2
%2,
3 %
0 %
100
%
Tota
l46
,0 %
52,2
%1,
8 %
0 %
100
%So
urce
: Mic
haël
Bou
rgat
te –
Enq
uête
Pub
lics
en P
AC
A, 2
007
(n =
984
).
Dow
nloa
ded
by [
Uni
vers
ity o
f T
enne
ssee
, Kno
xvill
e] a
t 00:
04 2
1 D
ecem
ber
2014
156 Michaël bourgaTTe 157Être à la fois public et non-public
ta
bl
ea
u 6
Réa
lisa
teur
le p
lus
appr
opri
é po
ur to
urne
r un
fil
m s
ur la
vie
du
/ de
la m
eille
ur(e
) am
i(e)
des
per
sonn
es e
nquê
tées
au
sei
n du
pub
lic d
es f
ilm
s A
rt e
t E
ssai
et d
u pu
blic
des
fil
ms
com
mer
ciau
xW
oody
A
llen
Luc
Bes
son
Ped
ro
Alm
odov
arJe
an-L
uc
God
ard
Stev
en
Spie
lber
gW
on
Kar
-wai
Vou
s-m
ême
Aut
reTo
tal
Pub
lic d
es fi
lms
Art
et E
ssai
21,4
%4,
7 %
31,0
%6,
1 %
5,7
%9,
3 %
9,6
%12
,3 %
100
%
Pub
lic d
es fi
lms
com
mer
ciau
x18
,9 %
14,2
%25
,1 %
5,9
%13
,3 %
3,4
%12
,7 %
6,5
%10
0 %
Tota
l20
,3 %
8,9
%28
,4 %
6,0
%9,
0 %
6,7
%11
,0 %
9,7
%10
0 %
Sour
ce : M
icha
ël B
ourg
atte
– E
nquê
te P
ublic
s en
PA
CA
, 200
7 (n
= 9
84).
ta
bl
ea
u 7
Avi
s su
r la
dif
fusi
on d
es f
ilm
s en
VO
ST d
ans
les
salle
s A
rt e
t E
ssai
exp
rim
é pa
r le
pub
lic d
es f
ilm
s A
rt e
t E
ssai
et
par
le p
ublic
des
fil
ms
com
mer
ciau
xD
écla
re ê
tre
favo
rabl
e à
100
% à
la d
iffu
sion
de
film
s en
VO
ST.
Déc
lare
ne
pas
prêt
er
d’im
port
ance
à la
dif
fusi
on
de fi
lms
en V
OST
.
Déc
lare
alle
r vo
ir d
es
film
s en
VO
ST, m
ais
préf
ère
les
voir
en
VF.
Déc
lare
n’a
ller
voir
qu
e de
s fi
lms
en V
F.To
tal
Pub
lic d
es fi
lms
Art
et E
ssai
69,2
%10
,5 %
14,1
%6,
1 %
100,
0 %
Pub
lic d
es fi
lms
com
mer
ciau
x39
,1 %
13,3
%21
,5 %
26,1
%10
0,0
%
Tota
l56
,1 %
11,8
%17
,3 %
14,8
%10
0,0
%So
urce
: Mic
haël
Bou
rgat
te –
Enq
uête
Pub
lics
en P
AC
A, 2
007
(n =
984
).
Dow
nloa
ded
by [
Uni
vers
ity o
f T
enne
ssee
, Kno
xvill
e] a
t 00:
04 2
1 D
ecem
ber
2014
158
Très logiquement, le public des films Art et Essai est très satisfait de la programmation des salles dans lesquelles il a été interrogé car elles lui offrent un choix d’envergure répondant à la plupart de ses attentes. Le public des films commerciaux a, quant à lui, un avis plus modéré qui témoigne de sa plus faible intégration. Pour mieux comprendre ces variations, nous focaliserons notre attention sur deux indicateurs. Il y a d’abord celui de la place et de la fonction que ces publics attribuent à la notion d’auteur – étroitement corrélée à la notion d’Art et Essai, nous l’avons vu. Il y a ensuite celui de l’attention portée à la projection des films en version originale. Ces deux indicateurs ont été choisis, pour le premier, en fonction de sa capacité à interroger la dimension artistique du cinéma, et pour le second, en fonction de sa capacité à témoigner de logiques relatives au fonctionnement du secteur Art et Essai.
Dans l’enquête, une question spécifique avait été posée : elle proposait à l’enquêté d’imaginer un instant qu’il faille contacter un réalisateur célèbre pour tourner un film sur la vie de son / sa meilleur(e) ami(e). Les résultats obtenus au regard de la bipartition du public entre le public des films Art et Essai et le public des autres films sont tout à fait significatifs (voir tableau 6).
Le public des films culturels cite des noms d’auteurs consacrés dans le champ de l’Art et Essai : ici, Pedro Almodovar et Won Kar-wai. Ils diver-sifient aussi beaucoup plus leurs réponses ; ils sont, en effet, deux fois plus nombreux que le public des autres films (12,3 % contre 6,5 %) à avoir cité le nom d’un réalisateur. De son côté, le public des films commerciaux montre un attachement plus fort à de grands réalisateurs populaires : Luc Besson et Steven Spielberg, souvent décriés dans le milieu de l’Art et Essai16.
La diffusion des films en version originale sous-titrée (VOST), qui est une des particularités des salles Art et Essai, permet également d’appréhender au plus près le rapport entretenu par les spectateurs avec les films (voir tableau 7).
Le rejet de la VOST, assez caractéristique de la fraction du public la plus jeune est, en fait, largement répandu au sein du public des films com-merciaux. Ils sont deux fois moins nombreux que le public des films Art et Essai à exprimer leur intérêt pour la version originale. Et si une fraction de ces spectateurs participe, un peu à contrecœur, à des projections en VOST, plus du quart d’entre eux déclarent précisément n’aller voir que des films projetés en version française (VF).
2.2. La cohabitation des films artistiques et des films commerciaux dans les salles Art et Essai
Les réflexions conduites autour de la notion d’auteur puis sur la place accordée à la diffusion de films en VOST nous montrent qu’il existe bien deux groupes de spectateurs qui entretiennent une relation distincte avec
Michaël bourgaTTe
Dow
nloa
ded
by [
Uni
vers
ity o
f T
enne
ssee
, Kno
xvill
e] a
t 00:
04 2
1 D
ecem
ber
2014
159Être à la fois public et non-public
deux ensembles de films. D’un côté, nous avons des spectateurs attachés à la programmation de films labellisés Art et Essai ainsi qu’à son univers réfé-rentiel et, de l’autre, des spectateurs concentrant leur attention sur des films pourvus de logiques de production et d’exploitation commerciales. Comme ce second groupe de spectateurs manque d’attention pour les films culturels, il pourrait être considéré comme un non-public. Or, ce groupe d’individus fréquente des salles de cinéma et va voir des films – objets culturels s’il en est.
La notion de non-public a donc quelque chose à voir avec la bipar-tition du champ des productions cinématographiques et la légitimation institutionnelle d’une part d’entre elles (les films Art et Essai) au détriment d’autres films qui sont alors qualifiés de commerciaux. Ce rapprochement par couple avec, d’un côté, « public et films légitimes » et, de l’autre, « non-public et films illégitimes » permet un dépassement de la notion de non-public comme simple public absent et laisse entrevoir un public qui, avant tout, ne se confronte pas à des objets issus de la culture dite légitime (ou reconnue comme telle) et, donc, à l’art cinématographique. En somme, la notion de non-public renvoie au public qui n’est pas le public attendu, idéal ou imaginé par le gouvernement, les acteurs culturels ou les professionnels du cinéma.
En s’interrogeant ainsi sur la notion d’art – et par extension, sur celle de non-art –, nous nous interrogeons sur la pertinence de la notion de non-public. L’objet artistique est, ici, entendu comme un objet reconnu par le gouvernement et les instances cinématographiques comme ayant de la valeur. Les films Art et Essai peuvent ainsi être considérés comme des œuvres d’art. Pour autant, le non-art ne renvoie pas à des productions qui sont dépourvues de valeur. C’est une notion faisant référence à l’ensemble des objets auxquels les institutions n’apportent pas leur concours. En somme, le non-art est un produit culturel qui n’est pas identifié comme artistique par les institutions, mais qui peut parfaitement l’être du point de vue des spectateurs.
Dans les définitions retenues, le non-art renvoie à tout ce que l’on ne peut pas classer et qui va contre l’ordre existant. C’est le choc esthétique qui conduit à l’étonnement, le désordre qui s’introduit dans les imaginaires, le scandale qui divise les publics. L’objet non artistique serait, en somme, une création non conventionnelle que seul le temps élève au rang d’œuvre d’art17. Notre apport s’inscrit en porte-à-faux avec cette définition en vigueur selon laquelle il s’agirait de créations allant contre un art « déjà constitué »18. Le non-art, en matière de cinéma, serait davantage ce que l’administration, la critique et une partie des publics ne reconnaissent pas comme relevant de l’art cinématographique. Ce sont tous les films qui font usage de codes scénaristiques classiques, qui ont des objectifs mercantiles élevés et qui fonctionnent autour d’éléments reconnaissables par les spectateurs : un genre bien identifié – comédie, drame, western, etc. –, la présence d’une star dans le film ou encore, l’adaptation à l’écran d’un best-seller.
Dow
nloa
ded
by [
Uni
vers
ity o
f T
enne
ssee
, Kno
xvill
e] a
t 00:
04 2
1 D
ecem
ber
2014
160
Ainsi, on constate que les notions de public, de non-public, d’art et de non-art sont intimement liées et qu’en définitive, c’est bien la notion de public elle-même qui stigmatise les tensions existantes autour de la notion de non-public. En effet, ce sont les publics des salles Art et Essai (c’est-à-dire le public des films Art et Essai et le public des films commerciaux) qui permettent, tous ensemble, à cette notion de non-art d’être introduite dans le débat autour de la notion de non-public. Par conséquent, nous interrogerons dans une troisième et dernière partie la portée de la notion de public et son éventuelle révocation.
3. Le non-public à l’épreuve de la notion de public
3.1. Le public, les films et les salles
Le public désigne un ensemble d’individus réunis de manière éphémère dans un lieu donné, face à un objet donné. L’usage du pluriel, pour désigner les publics, permet d’introduire des particularités et de penser des assemblées hétérogènes de pratiquants. Le passage du singulier au pluriel est l’un des principaux apports de la recherche en sciences sociales ces dernières années. L’étude du milieu du cinéma d’Art et Essai en témoigne : les premières études faisaient circuler l’image d’un public homogène constitué d’individus diplô-més, issus des CSP+ ou encore gros consommateurs de cinéma. Récemment, le gouvernement et les institutions cinématographiques ont pris la mesure d’une donnée importante : les salles Art et Essai programment des films labellisés mais aussi des films commerciaux19. Un certain nombre de nuances ont donc été introduites dans nos enquêtes pour rendre compte du rapport entretenu avec les films et les salles.
Les deux groupes de spectateurs qui ont été isolés ont permis de constater qu’il y a effectivement des jugements distincts sur les films, mais guère de différences dans l’affection portée aux salles, celles-ci agissant comme des lieux de rassemblement. Pourtant, interroger la notion de public nécessite d’interroger conjointement la relation au film et la relation au lieu. Cela a été rendu possible en portant notre attention sur la programmation qui identifie, à la fois, un groupe de films spécifiques et un geste de mise en programme de la part de l’établissement. Nous l’avons mise à l’épreuve d’une série de variables dont deux d’entre elles – qui se sont montrées, par la suite, intimement liées – ont permis d’entériner l’idée selon laquelle on devient progressivement amateur de films Art et Essai après avoir été longtemps adepte des films commerciaux. Ces deux variables sont l’âge et le taux de fréquentation (voir tableau 8).
Michaël bourgaTTe
Dow
nloa
ded
by [
Uni
vers
ity o
f T
enne
ssee
, Kno
xvill
e] a
t 00:
04 2
1 D
ecem
ber
2014
161Être à la fois public et non-public
ta
bl
ea
u 8
Niv
eau
de s
atis
fact
ion
de la
pro
gram
mat
ion
en fo
ncti
on d
e l’â
ge15
-17
ans
18-2
4 an
s25
-34
ans
35-4
9 an
s50
-64
ans
65 a
ns e
t plu
sTo
tal
Très
sat
isfa
it29
,2 %
32,8
%36
,6 %
50,8
%47
,6 %
45,8
%45
,8 %
Plu
tôt s
atis
fait
70,8
%65
,5 %
59,2
%46
,9 %
51,5
%50
,6 %
52,0
%
Plu
tôt i
nsat
isfa
it0
%1,
7 %
4,2
%2,
4 %
0,9
%3,
6 %
2,1
%
Pas
sat
isfa
it d
u to
ut0
%0
%0
%0
%0
%0
%0
%
Tota
l10
0,0
%10
0,0
%10
0,0
%10
0,0
%10
0,0
%10
0,0
%10
0,0
%So
urce
: Mic
haël
Bou
rgat
te –
Enq
uête
Pub
lics
en P
AC
A, 2
007
(n =
925
).
ta
bl
ea
u 9
Niv
eau
de s
atis
fact
ion
de la
pro
gram
mat
ion
en
fonc
tion
du
taux
de
fréq
uent
atio
n1x
/ an
2 ou
3x
/ an
1x to
us le
s 2
ou 3
moi
sA
u m
oins
1x
/ m
ois
Plu
sieu
rs
x / m
ois
Au
moi
ns
1x /
sem
aine
Plu
sieu
rs
x / s
emai
neTo
tal
Très
sat
isfa
it14
,3 %
34,0
%38
,7 %
36,7
%48
,2 %
52,5
%64
,1 %
45,4
%
Plu
tôt s
atis
fait
85,7
%64
,0 %
59,3
%59
,5 %
50,3
%45
,3 %
35,9
%52
,6 %
Plu
tôt i
nsat
isfa
it0
%2,
0 %
2,0
%3,
8 %
1,5
%2,
2 %
0 %
2,0
%
Pas
sat
isfa
it d
u to
ut0
%0
%0
%0
%0
%0
%0
%0
%
Tota
l10
0,0
%10
0,0
%10
0,0
%10
0,0
%10
0,0
%10
0,0
%10
0,0
%10
0,0
%So
urce
: Mic
haël
Bou
rgat
te –
Enq
uête
Pub
lics
en P
AC
A, 2
007
(n =
984
).
Dow
nloa
ded
by [
Uni
vers
ity o
f T
enne
ssee
, Kno
xvill
e] a
t 00:
04 2
1 D
ecem
ber
2014
162 Michaël b
Après avoir évacué les moins de 15 ans, tant leur participation à l’en-quête est marginale, on constate que les taux de satisfaction croissent au fur et à mesure que l’âge avance. Ils sont modérés chez les plus jeunes et se stabilisent à l’âge adulte, sur la classe d’âge des 35-49 ans. Ces résultats sont à mettre en relation avec les taux de fréquentation (voir tableau 9).
Ces chiffres nous révèlent que plus on se rend dans un cinéma, plus l’affection portée aux films qui y sont programmés croît. À moins qu’il s’agisse d’un intérêt toujours plus grand pour les films qui conduit à accroître la fréquentation ? Sans que l’on puisse apporter une réponse satisfaisante à ce dilemme, ces résultats nous montrent qu’il y a une réelle corrélation entre l’affection portée aux salles et celle portée aux films dans le secteur de l’Art et Essai. Pour avancer sur cette réflexion, nous avons, en second lieu, mis en discussion la notion de fidélité qui questionne, à sa manière, la relation entre-tenue par les spectateurs avec les salles et les films. On constate, là encore, que la fidélité augmente avec l’âge et l’intensité de la fréquentation, bien que les spectateurs des salles Art et Essai dans leur ensemble se montrent attachés à leur salle de cinéma.
tableau 10
Fidélité accordée à la salle de cinéma participant à l’enquête en fonction de l’âge
ÂgeFréquentation Moins de 24 ans 25-64 ans 65 ans et plus Total
Exclusivement 8,6 % 16,3 % 21,6 % 16,6 %
Principalement 53,1 % 57,4 % 56,1 % 56,8 %
Occasionnellement 38,3 % 26,2 % 22,2 % 26,6 %
Total 100,0 % 100,0 % 100,0 % 100,0 %Source : Michaël Bourgatte – Enquête Publics en PACA, 2007 (n = 984).
On voit ici que l’exclusivisme (c’est-à-dire le fait de fréquenter un seul et même établissement) est un phénomène qui croît avec l’âge. L’étude conjointe du « degré de fidélité à la salle où s’est déroulée l’enquête » et du « nombre de sorties effectuées annuellement » confirme cet attachement20.
Ce sont 72,9 % des personnes interrogées qui déclarent venir exclu-sivement ou principalement dans ces salles de cinéma. Les spectateurs qui s’y rendent occasionnellement ont un faible niveau de fréquentation global : 41 % d’entre eux disent aller au cinéma moins de 12 fois par an. Ceux qui affirment avoir un fort taux de fréquentation du cinéma se définissent comme des habitués ou des exclusivistes de la salle dans laquelle l’enquête a été menée : ils sont en moyenne 76,5 % à fréquenter en priorité cet établis-
ourgaTTe
Dow
nloa
ded
by [
Uni
vers
ity o
f T
enne
ssee
, Kno
xvill
e] a
t 00:
04 2
1 D
ecem
ber
2014
163Être à la fois public et non-public
sement21. Les spectateurs des cinémas Art et Essai en région PACA peuvent donc être qualifiés de fidèles, ce qui signifie que les taux de fréquentation enregistrés dans les salles où l’enquête s’est déroulée s’organisent autour d’un faible nombre de spectateurs ayant une pratique intensive de ces salles. Dès lors, on peut se poser un certain nombre de questions sur l’efficience des méthodes de recueil de données en sciences sociales ainsi que sur la pertinence de la notion de public.
tableau 11
Mise en relation du niveau de fidélité accordée à la salle de cinéma participant à l’enquête et du niveau de fréquentation globale
des salles de cinémaEnsemble des enquêtés
Ensemble des spectateurs se rendant au cinéma moins de 12× / an
Ensemble des spectateurs se rendant au cinéma au moins 1× / mois
Ensemble des spectateurs se rendant au cinéma au moins 1× / semaine
… déclarant fréquenter le cinéma participant à l’enquête :
16,8 %} 72,9 %
14,2 %} 59,0 %
17,3 %} 76,8 %
17,9 %} 76,2 %
Exclusivement
56,1 % 44,8 % 59,5 % 58,3 % Principalement
27,2 % 27,2 % 41,0 % 23,2 % 23,8 % OccasionnellementSource : Michaël Bourgatte – Enquête Publics en PACA, 2007 (n = 984).
En effet, réaliser une enquête par questionnaire auto-administré son-dant la relation aux salles de cinéma soulève deux types d’interrogations, les premières relatives à la méthodologie et les secondes à l’utilisation de la notion de public pour désigner la population enquêtée. À la question « qu’est-ce qu’un échantillon représentatif ? », on répondra : « l’échantillon spontané, c’est-à-dire celui composé par des personnes désireuses de partici-per à l’enquête »22. Car s’adonner à un tel exercice nécessite, pour un enquêté, d’y consacrer un temps long, et ce sont les personnes les plus investies qui consentent à le faire23. Les individus répondant à un questionnaire d’enquête sont donc tous volontaires et fidèles au lieu. Du moins, ils considèrent entre-tenir une relation privilégiée avec la salle dans laquelle ils ont répondu au questionnaire. Ainsi, cet échantillon n’est pas pleinement représentatif car il y a tout un pan du public qui se soustrait à cet exercice de production de connaissances, par ignorance, par déni ou par discrétion.
3.2. De la notion de public à celle de communauté spectatorielle
On considérera donc que ce n’est pas de public dont il est question dans cette recherche, mais plutôt de communauté spectatorielle. En effet, les individus ayant participé à cette enquête se positionnent tous dans une même ligne
Dow
nloa
ded
by [
Uni
vers
ity o
f T
enne
ssee
, Kno
xvill
e] a
t 00:
04 2
1 D
ecem
ber
2014
164 Michaël
stratégique selon laquelle la sortie au cinéma, comme la participation à l’enquête, relèvent d’un acte performatif qui repose sur une volonté de com-muniquer quelque chose de soi parmi les autres24. L’utilisation du concept de communauté s’impose donc par la présence récurrente de deux invariants dans chacune des définitions qui en est donnée : la présence de caractéris-tiques ou d’intérêts commun (e)s chez les individus de la communauté ou leur réunion dans un lieu donné (cette réunion pouvant être permanente ou épisodique). La communauté est, pour le dire autrement, un espace symbolique de collaboration25.
Pour toutes ces raisons, le syntagme « communauté spectatorielle » se révèle approprié pour désigner le groupe des personnes interrogées dans le cadre de cette enquête. Toutefois, il serait chimérique d’imaginer qu’une communauté soit un tout uniforme sans l’existence de la moindre tension. Il s’agit davantage d’un regroupement au sein duquel des ajustements perma-nents s’opèrent, qu’ils soient épisodiques ou permanents. Une communauté spectatorielle repose, par conséquent, sur la coexistence de parcours, d’expé-riences et d’aspirations individuelles. Elle est marquée par des agencements d’antagonismes dont le principal est, dans cette étude, l’intérêt qu’une partie de la communauté porte aux films Art et Essai tandis que l’autre partie de la communauté les rejette, leur préférant des films commerciaux.
L’enquête menée dans des salles Art et Essai de la région PACA a mis au jour une communauté composée de spectateurs ayant un statut de pres-cripteurs et de spectateurs ayant un statut de prescrits. Les premiers, plus âgés et qui vont souvent dans les salles de cinéma, maîtrisent les codes des films labellisés Art et Essai et entretiennent un rapport intelligible avec leur salle (notamment lorsqu’elle se positionne dans les champs du politique ou du social). Les seconds, plus jeunes et fréquentant les salles dans une moindre mesure, œuvrent davantage au dessein de leur carrière de spectateurs : ils souhaitent accéder à une compréhension de l’Art et Essai, soit pour intégrer le premier groupe, soit pour se positionner hors de son champ.
En définitive, une communauté spectatorielle est une formation sociale – autrement entendue comme une configuration favorisant la mise en réseau d’interrelations – qui résulte de l’agencement de volontés conjointes de socia-lisation et de distinction de la part des spectateurs. Son existence dépend de l’équilibre que ses membres parviennent à instaurer entre eux. Cet équilibre se caractérise par des jeux d’ajustements qui participent à l’émergence de la communauté ainsi qu’à ses évolutions. Comme l’écrit Norbert Elias « la question de savoir de quelle manière et pour quelles raisons les hommes se lient entre eux et forment ensemble des groupes dynamiques spécifiques est un des problèmes les plus importants, pour ne pas dire le plus important [des sciences sociales] »26.
bourgaTTe
Dow
nloa
ded
by [
Uni
vers
ity o
f T
enne
ssee
, Kno
xvill
e] a
t 00:
04 2
1 D
ecem
ber
2014
165Être à la fois public et non-public
Cette problématique de l’ajustement dans les interactions est fonda-mentale pour saisir ce qu’est une formation communautaire, contrairement aux interdépendances tribales ou sociales qui figurent des ensembles d’in-dividus ayant besoin les uns des autres pour continuer à exister (on pensera au système du troc ou au fonctionnement productiviste). Il n’y a pas, à proprement parler, de besoin interindividuel au sein d’une communauté spectatorielle. C’est davantage un rassemblement conjoncturel passant par une entre-acceptation de ses membres. D’un point de vue méthodologique, ce positionnement favorise ainsi la réconciliation entre les approches holiste et individualiste. Il témoigne, autrement, de la grande malléabilité du concept de communauté : les interactions y sont plus ou moins longues, plus ou moins nombreuses mais toujours liées au contexte et à l’objet de la réunion, ce qui n’est pas toujours le cas lorsque l’on fait usage de la notion de public(s).
Conclusion
La notion de non-public, formée par opposition à la notion de public, désigne tantôt un ensemble homogène d’individus absents ou non attendus, tantôt un ensemble hétérogène d’individus qui ne forment pas une unité de sens. Le cas du cinéma permet d’en débattre en profondeur tant il s’agit d’une pratique pénétrant l’ensemble des couches de la population (l’enquête sur la culture cinématographique des Français révèle que 97 % des Français se sont rendus dans une salle de cinéma au moins une fois dans leur vie)27. Il paraît donc difficile d’envisager l’existence d’un public absent, bien que dans les études conduites sur le cinéma d’Art et Essai, ce non-public ait été décrit, jusqu’à l’enquête nationale conduite en 2006, comme étant dépourvu de capital culturel, économique, social et symbolique28.
Cette approche est, bien évidemment, réductrice et c’est précisément pour cette raison que nous avons décidé de nous en détourner. En effet, le public de l’Art et Essai est beaucoup plus hétérogène qu’il n’y paraît, à l’image du public du cinéma dans son ensemble. Avec un taux de spectateurs occa-sionnels toujours plus important (c’est le point sur lequel s’attarde le plus un récent bilan publié en 2008 qui est révélateur de la très forte pénétration de ce média dans la société29), il paraît difficile d’identifier un non-public du cinéma. En effet, toutes les salles du territoire français, dont les salles Art et Essai, sont marquées par le caractère composite de leurs publics.
On peut donc se demander si, dans le cas du cinéma d’Art et Essai, le non-public n’est pas davantage un public non attendu ou, plutôt un public non imaginé, puisqu’il ne correspond pas à l’image du public de l’Art et Essai telle qu’elle circule dans le monde des observateurs du cinéma. Cette façon de considérer la notion de non-public conduit alors à discuter les notions de
Dow
nloa
ded
by [
Uni
vers
ity o
f T
enne
ssee
, Kno
xvill
e] a
t 00:
04 2
1 D
ecem
ber
2014
166
non-lieu et de non-art dans le champ de l’Art et Essai qui est porteur d’un pouvoir connotatif fort dans la mesure où il véhicule l’image de lieux et de productions cinématographiques de valeur, du moins, institutionnellement valorisés. Par analogie avec cette image de lieux culturels consacrés à la diffusion des chefs-d’œuvre du septième art, il semblait utile de se demander, premièrement, si l’on peut aussi identifier les salles de cinéma Art et Essai comme des non-lieux et, deuxièmement, si tout ou partie des films diffusés par ces salles peuvent être désignés comme étant du non-art. À ces deux interrogations, nous avons répondu par la positive.
On peut, tout d’abord, parler de non-lieux à condition d’envisager qu’un lieu et un non-lieu ne sont pas deux entités distinctes mais plutôt deux notions interchangeables servant à désigner un même espace selon qu’il soit pratiqué en se conformant aux modalités d’ordre symbolique édictées par ce lieu ou selon qu’il soit pratiqué sans que l’on en saisisse la part « identi-taire, relationnel[le] et historique »30. Les salles Art et Essai sont donc à la fois des lieux et des non-lieux en fonction du rapport que les spectateurs entretiennent avec leur part symbolique. On peut, ensuite, parler de non-art à condition de ne pas porter de jugement de valeur sur le contenu des productions étudiées et de laisser parler les instances cinématographiques : le non-art, c’est tout ce que les instances rejettent par manque de créativité présumée (sachant que la conception du classicisme cinématographique est variable dans le temps, ce qui conduit à reconsidérer régulièrement le statut d’un certain nombre de productions).
Toutefois, si l’Art et Essai est marqué par des dissensions, il a aussi un pouvoir de rassemblement. En effet, c’est le regard que portent les specta-teurs, tous ensemble, sur cette notion d’Art et Essai qui la fait exister. Ce regard prend forme en fonction de ce qu’ils considèrent comme ayant de la valeur ou non, mais aussi en fonction de la relation qu’ils entretiennent avec les discours qui circulent dans l’espace social. Ainsi, parler de communauté spectatorielle pour désigner les publics de l’Art et Essai permet de réinté-grer l’ensemble des pratiquants au sein de logiques communicationnelles en tenant compte du fait qu’il y aura toujours, dans quelque sociation que ce soit, des prescripteurs et des prescrits, des avertis et des exclus, des établis et des marginaux. En définitive, s’il semble complexe d’apporter une réponse concernant l’opérativité de la notion de non-public dans le champ des études de réception, on peut en questionner la pertinence en mettant en débat trois champs d’investigation au moins auxquels cette notion renvoie : le lieu de la pratique, l’objet artistique ou culturel pratiqué et la notion de public, sans laquelle le non-public n’aurait bien évidemment pas d’existence.
Michaël bourgaTTe
Dow
nloa
ded
by [
Uni
vers
ity o
f T
enne
ssee
, Kno
xvill
e] a
t 00:
04 2
1 D
ecem
ber
2014
167Être à la fois public et non-public
nOtes
1. K. Marx et F. Engels (1998 [1847]). Manifeste du parti communiste. Paris : Flammarion, 88.
2. Nous appelons ici « pratiques privatives » les pratiques cinématographiques domestiques excercées devant sa télévision ou son ordinateur, ainsi que les pra-tiques cinématographiques que permettent aujourd’hui les appareils numériques, baladeurs et autres lecteurs de DVD mobiles.
3. F. Jeanson (1973). Déclaration de Villeurbanne. Dans L’action culturelle dans la cité (p. 119-120). Paris : Le Seuil.
4. P. Ancel et A. Pessin (2004). Les non-publics : les arts en réception. Paris : L’Harmattan (2 tomes).
5. Nous soulignons, entre guillemets, cette formule de « phénomène théorique » que nous posons ici en contrepoint du « phénomène culturel » employée par Francis Jeanson.
6. P. Bourdieu et A. Darbel (2003 [1969]). L’amour de l’art. Paris : Minuit. 7. Secrétariat d’État à la Culture. Service des études et de la recherche (1974).
Pratiques culturelles des Français. Paris : Secrétariat d’État à la Culture (2 tomes). 8. S. Kracauer (2004 [1930]). Les employés. Aperçu de l’Allemagne nouvelle, 1929.
Paris : Maison des Sciences de l’Homme. 9. Un établissement cinématographique est classé Art et Essai et obtient une aide
lorsqu’il diffuse suffisamment de films labellisés Art et Essai. Le taux de program-mation de films Art et Essai nécessaire pour l’obtention du classement dépend notamment du nombre de salles réunies au sein de l’établissement, de la qualité des animations ou encore de l’emplacement géographique du cinéma. Les films diffusés dans ces salles qui ne bénéficient pas du label Art et Essai seront identi-fiés, dans la présente étude, par l’appellation de « film commercial ». Le lecteur ne devra pas voir de jugement de valeur dans ce choix qui a pour seul objectif de faciliter la lisibilité et la compréhension du texte. On peut cependant remarquer que ces terminologies renvoient à des univers de représentations culturellement connotés. Quoi qu’il en soit, nous considérerons qu’ils sont opératoires dans la mesure où ils circulent très largement.
10. M. Bourgatte (2008). Ce que fait la pratique au spectateur. Enquêtes dans des salles de cinéma Art et Essai de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Thèse de Doctorat.
11. « Lycéens et apprentis au cinéma » est une des opérations d’éducation à l’image initiées par les instances gouvernementales et cinématographiques françaises. Ce dispositif a pour objectif central le visionnement de films dans son lieu privilégié de diffusion, le cinéma, et dans le temps scolaire. Les séances sont accompagnées de débats et suivies de travaux en classe.
12. Ministère de la Culture et de la Communication, Centre national de la cinéma-tographie (2009). « Le public du cinéma ». CNC Info : Bilan 2008, 310, 51-59.
13. M. Certeau (de) (2005 [1980]). L’invention du quotidien. 1. Arts de faire. Paris : Gallimard, 173.
14. Ibid. 173. 15. M. Auge (1992). Non-lieux. Introduction à une anthropologie de la surmodernité.
Paris : Le Seuil, 100-101.
Dow
nloa
ded
by [
Uni
vers
ity o
f T
enne
ssee
, Kno
xvill
e] a
t 00:
04 2
1 D
ecem
ber
2014
168
16. L’équilibre des réponses sur les cas Woody Allen et Jean-Luc Godard montre que ce sont des réalisateurs au statut flou. Leurs noms sont extrêmement popu-laires et, en même temps, renvoient très précisément à la notion d’auteur. Ce qui explique pourquoi le public le moins averti des deux groupes paraît les retenir.
17. Voir sur ce point J. E. Muller. (1970). L’art et le non-art. Paris : Ed. Aimery Somogy ; D. Vallier (1986 [1969]). Art, anti-art et non-art. Caen : L’Échoppe.
18. N. Heinich (1998). Le triple jeu de l’art contemporain. Paris : Minuit. 19. CNC (2006). Le public du cinéma Art et Essai. Rapport d’étude. 20. Nous avons ici divisé notre échantillon en trois sous-ensembles. Un groupe de
spectateurs ayant déclaré se rendre au cinéma moins de 12 fois par an qui repré-sente 21,4 % de l’échantillon global (n = 984). Un autre groupe de spectateurs ayant déclaré se rendre au cinéma au moins une fois par mois qui représente 55,3 % de l’échantillon. Enfin, un groupe de spectateurs ayant déclaré se rendre au cinéma au moins une fois par semaine qui représente 23,3 % de l’échantillon.
21. Cette moyenne est réalisée sur la somme des individus déclarant aller 12 fois et plus au cinéma par an et venir « exclusivement » ou « principalement » dans le cinéma dans lequel s’est déroulée l’enquête [76,8 %+76,2 % / 2].
22. Voir J.-M. Guy (2000). La culture cinématographique des Français. Paris : La Documentation française. La quatrième de couverture de l’ouvrage précise que l’on a cherché à estimer « l’étendue et la structure du capital de références cinématographiques […] au moyen d’une enquête par sondage, conduite auprès d’un échantillon a priori représentatif ». Cet « a priori » (souligné en italique dans le texte) est révélateur des doutes que l’on est en droit d’avoir à l’égard de la représentativité de l’échantillon sur la structure globale des publics du cinéma.
23. Avec 40 questions et 69 informations à fournir, ce questionnaire nécessite, dans tous les cas de figure, plusieurs minutes pour être renseigné.
24. U. Eco (1989). Lector in fabula. Paris : LGF. 25. F. Tönnies (1977 [1887]). Communauté et société. Paris : Retz. 26. N. Elias (1985 [1969]). La société de cour. Paris : Flammarion, 232. Nous subs-
tituons ici le mot de « sociologie » employé par l’auteur par la terminologie de « Sciences Sociales » car cette assertion s’applique incontestablement aux autres disciplines appartenant aux humanités.
27. J. M. Guy (2000). La culture cinématographique des Français. op. cit., 40. 28. CNC (2006). Le public du cinéma Art et Essai. Rapport d’étude. 29. Ministère de la Culture et de la Communication, Centre national de la cinéma-
tographie (2009). « Le public du cinéma ». CNC Info : Bilan 2008, 310, 53. 30. M. Auge (1992). Non-lieux. Introduction à une anthropologie de la surmodernité.
op. cit., 100.
références
Auge, M. (1992). Non-lieux. Introduction à une anthropologie de la surmodernité. Paris : Le Seuil.
Bourdieu, P., et Darbel, A. (2003 [1969]). L’amour de l’art. Paris : Minuit.
Michaël bourgaTTe
Dow
nloa
ded
by [
Uni
vers
ity o
f T
enne
ssee
, Kno
xvill
e] a
t 00:
04 2
1 D
ecem
ber
2014
169Être à la fois public et non-public
Bourgatte, M. (2009). De l’institutionnalisation des formes à leur appropriation : Le cinéma d’Art et Essai mis à l’épreuve de la pratique spectatorielle. Dans O. Moeschler et O. Thevenin, Les territoires de la démocratisation culturelle (p. 73-79). Paris : L’Harmattan.
Bourgatte, M. (2008). Ce que fait la pratique au spectateur. Enquêtes dans des salles de cinéma Art et Essai de la région PACA. Thèse de doctorat.
Bourgatte, M. (2007). Des rites festivaliers aux pratiques coutumières ritualisées : Une possible catégorisation des publics cinéphiles. Dans S. Fournier et al. (sous la direction de), Tauromachies, sport, culture. Regards croisés sur les publics (p. 191-205). Paris : L’Harmattan.
Certeau, M. (de) (2005 [1980]). L’invention du quotidien. 1. Arts de faire. Paris : Gallimard.
CNC (2006). Le public du cinéma Art et Essai. Rapport d’étude.Eco, U. (1989). Lector in Fabula. Paris : LGF.Elias, N. (1985 [1969]). La société de cour. Paris : Flammarion.Esquenzai, J-P. (2004). Structure du champ de la réception : Publics et non-publics.
Dans P. Ancel, A. Pessin (sous la direction de), Les non-publics : Les arts en réception, Tome I. (p. 83-99). Paris : L’Harmattan.
Gans, H. (1999). Popular Culture and High Culture. New York : Basic books.Guy, J-M. (2000). La culture cinématographique des Français. Paris : La Documen-
tation française.Heinich, N. (1998). Le triple jeu de l’art contemporain. Paris : Minuit.INSEE (2006). Données économiques et sociales. PACA. Avec la collaboration de
la CRCI PACA, 2006.Kracauer, S. (2004 [1930]). Les employés. Aperçus de l’Allemagne nouvelle, 1929.
Paris : Maison des Sciences de l’Homme.Leveratto, J. M. (2003). Histoire du cinéma et expertise culturelle. Politix, 61. Paris :
Hermès, 17-50.Michaud, Y. (1999). Critères esthétiques et jugement de goût. Nîmes : Jacqueline
Chambon.Ministère de la Culture et de la Communication, Centre national de la cinématogra-
phie (2009). Le public du cinéma. CNC Info : Bilan 2008, 310, 51-59).Morley, D. (2008 [1980]). Analyse comparée des décodages différentiels selon les
groupes. Dans H. Glevarec et al. (sous la direction de), Cultural Studies. Antho-logie (p. 138-170). Paris : Armand Colin.
Muller, J.-E. (1970). L’art et le non-art. Paris : Ed. Aimery Somogy.Pequignot, B. (2004). Ça, c’est du Picasso…. Dans P. Ancel, et A. Pessin (sous la
direction de), Les non-publics : Les arts en réception, Tome I (p. 11-36). Paris : L’Harmattan.
Tönnies, F. (1977 [1887]). Communauté et société. Paris : Retz.Vallier, D. (1986 [1969]). Art, anti-art et non-art. Caen : L’Echoppe.
Dow
nloa
ded
by [
Uni
vers
ity o
f T
enne
ssee
, Kno
xvill
e] a
t 00:
04 2
1 D
ecem
ber
2014
170
Michaël bourgaTTe
Être à la fois public et non-public. Quand le public des salles de cinéma « Art et Essai » est non-public des films « Art et Essai »
résumé
Il y a, en France, des films et des salles de cinéma soutenus par le gouverne-ment et les instances cinématographiques qui sont désignés par l’appellation de « cinéma d’Art et Essai ». Ce soutien passe par la labellisation d’une partie des films sortant chaque semaine sur les écrans (environ les trois-cinquièmes des sorties) auxquels on reconnaît une valeur filmique. Ce soutien prend ensuite la forme d’aides attribuées aux salles qui consacrent une partie au moins de leur programmation à la projection de ces films labellisés Art et Essai. Mais les salles Art et Essai ne projetant pas uniquement ce type de films, une question mérite d’être soulevée : n’y a-t-il pas un public des salles Art et Essai qui soit en même temps non-public des films Art et Essai ?
À partir de résultats issus de deux enquêtes par questionnaire (n = 984 et n = 250) réalisées dans une série de salles de cinéma Art et Essai, nous montrerons que certains individus peuvent, en effet, être public de ces salles tout étant non-public des films qui permettent précisément à ces salles d’obtenir une reconnaissance institutionnelle. En définitive, nous montre-rons que la catégorie du non-public est une construction sociodiscursive qui sert à désigner indistinctement un ensemble d’individus qui ne fréquente pas certains lieux et qui ne se confronte pas à certains objets artistiques ou culturels, alors même que ces deux activités – la pratique des lieux et la délectation artistique – sont à dissocier.
Michaël bourgaTTe
Being Both Public and Non-public. When the Public of Art Houses is a Non-public of Art Movies
abstract
In France, we can find films and movie theatres that are subsidized by government and film authorities that are designated with the Art label. This support entails the labelling of some of the films that come out every week – approximately 3 out of 5 of all new films. Said films are recognized for their filmic value. It materialises as assistance given to movie theatres which devote at least some of their programming to Art Films or experimental films. However, Art movie theatres do not only showcase this type of film,
Michaël bourgaTTe
Dow
nloa
ded
by [
Uni
vers
ity o
f T
enne
ssee
, Kno
xvill
e] a
t 00:
04 2
1 D
ecem
ber
2014
171Être à la fois public et non-public
thus the question arises : is there not a public of Art houses that can also be considered as a non-public of Art movies ?
Based on the results we gathered from two surveys (n = 984 and n = 250) conducted in a number of Art houses, we will demonstrate that certain individuals can, in fact, be a public in said theatres, all the while being a non-public for the films that allow these theatres to obtain an institutional recog-nition. We will point out how the non-public category is a socio-discursive construction used to indistinctively label a group of individuals who does not go to certain venues and does not expose itself to certain artistic or cultural objects, while both these activities – the use of a venue and the artistic delec-tation – are to be dissociated.
Michaël bourgaTTe
Ser al mismo tiempo público y no público. Cuando el público de las salas de cine de Arte es no público de las películas de Arte
resumen
Existe en Francia películas y salas de cine sostenidas por el gobierno y las instancias cinematográficas que son designadas por la denominación de “cine de Arte”. Este apoyo pasa por la certificación de una parte de las películas que salen cada semana sobre las pantallas (alrededor los 3 / 5 de las salidas) a las que se les reconoce un valor fílmico. Este sostén toma luego la forma de ayudas atribuidas a las salas que consagran una parte, al menos, de su programación a la proyección de estas películas certificadas de Arte. Pero las salas de Arte no proyectan únicamente este tipo de películas, una interrogante merece de ser planteada : ¿No existe un público de las salas de Arte que sea al mismo tiempo no público de las películas de Arte ?
A partir de resultados procedentes de dos encuestas por cuestionarios (n= 948 y n= 250) realizadas en una serie de salas de cine de Arte, demos-traremos que ciertos individuos pueden, en efecto, ser público de estas salas siendo al mismo tiempo no público de las películas que permiten precisa-mente a estas salas de obtener un reconocimiento institucional. En definitiva, demostraremos que la categoría del no público es una construcción sociodis-cursiva que sirve a designar indistintamente un conjunto de individuos que no frecuenta ciertos lugares y que no se confronta a ciertos objetos artísticos o culturales, aún cuando estas dos actividades – la frecuentación de los lugares y el deleite artístico – se deben disociar.
Dow
nloa
ded
by [
Uni
vers
ity o
f T
enne
ssee
, Kno
xvill
e] a
t 00:
04 2
1 D
ecem
ber
2014