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ÉTUDE DE CAS SUR LA PRODUCTIVITÉ DES CULTURES DE MAÏS ET DE SOYA FACE À LA VARIABILITÉ CLIMATIQUE Élizabeth Pattey , Ph. D. Chercheure scientifique Agriculture et Agroalimentaire Canada (AAC), Ottawa [email protected] Collaborateur : Ian Strachan, Université McGill, Montréal M me Élizabeth Pattey est chercheure scientifique à la Direction générale de la recherche du Centre de recherche de l’Est sur les céréales et les oléagineux d’Agriculture et Agroalimentaire Canada. À ce titre, elle travaille à quantifier la réponse des végétaux aux conditions météorologiques et édaphiques ainsi que les émissions agricoles de gaz à effet de serre à l’échelle du champ.

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ÉTUDE DE CAS SUR LA PRODUCTIVITÉ DESCULTURES DE MAÏS ET DE SOYA FACE ÀLA VARIABILITÉ CLIMATIQUE

Élizabeth Pattey, Ph. D.Chercheure scientifiqueAgriculture et Agroalimentaire Canada (AAC), [email protected]

Collaborateur : Ian Strachan, Université McGill, Montréal

Mme Élizabeth Pattey est chercheure scientifique à la Direction générale de larecherche du Centre de recherche de l’Est sur les céréales et les oléagineuxd’Agriculture et Agroalimentaire Canada. À ce titre, elle travaille à quantifier laréponse des végétaux aux conditions météorologiques et édaphiques ainsi que lesémissions agricoles de gaz à effet de serre à l’échelle du champ.

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ÉTUDE DE CAS SUR LA PRODUCTIVITÉ DES CULTURES DE MAÏS ET DE SOYAFACE À LA VARIABILITÉ CLIMATIQUE

INTRODUCTION

Les variations saisonnières du climat influencent fortement les conditions de croissance des

cultures et les rendements obtenus. La variabilité devrait s’accentuer avec le réchauffement de

l’atmosphère causé notamment par l’augmentation des gaz à effet de serre. Il est important de

comprendre comment les cultures réagissent aux conditions saisonnières contrastées afin

d’adapter, tant faire se peut, la gestion des cultures en fonction du déroulement de la saison de

croissance ou de voir à l’implantation de pratiques culturales inusitées dans certaines régions, à

la suite de l’étude des tendances saisonnières récentes.

Avec le développement de l’agriculture de précision et l’apport de la télédétection, de nouveaux

outils sont mis à la disposition des agronomes et des producteurs agricoles pour caractériser

l’impact des stress environnementaux sur les cultures et identifier les sous-unités homogènes

quant à leur potentiel de production des surfaces cultivées par une entreprise agricole donnée.

La productivité des cultures face à la variabilité climatique sera illustrée par l’influence de

périodes de déficits hydriques durant la croissance du maïs-grain et du soya.

MATÉRIEL ET MÉTHODES

Le site d’observation était un champ de 30 ha situé sur une ferme de la ceinture de verdure de

la région d’Ottawa. Les résultats obtenus durant les saisons de croissance avec périodes de

sécheresse sont présentés ici pour une culture de maïs-grain de type physiologique C4 et une

culture de soya de type C3. En 1998, le champ de maïs a été divisé en deux sections : l’une

recevant la dose recommandée d’azote et l’autre limitée à 63 % de la recommandation (Pattey

et autres, 2001). Le soya a été semé dans ce même champ en 1999 sans amendement azoté.

Durant toute la saison de croissance, les flux nets de CO2 et de vapeur d’eau ont été mesurés

aux demi-heures par la technique de covariance turbulente. Ces mesures ont été agrégées

pour obtenir des mesures journalières ou décadaires. Un suivi de l’état hydrique, de la

température, de la respiration du sol et des conditions météorologiques a aussi été effectué. De

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plus, des mesures de biomasse, d’indice de surface foliaire et de réflectance hyperspectrale ont

été prises. À la récolte, une carte de rendement étalonnée a été acquise.

RÉSULTATS

Maïs-grain

La saison de croissance a été caractérisée par des périodes de sécheresse. Dans le cas du

maïs, les déficits hydriques ont eu lieu pendant la croissance active et à l’apparition des soies

(Figure 1).

Figure 1 : Indice de surface foliaire, évapotranspiration et précipitation décadaire d’une culturede maïs en condition optimale (155 kg N/ha) et sous-optimale (99 kg N/ha) defertilisation azotée, observées en 1998 à Ottawa.

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L’évapotranspiration décadaire était supérieure à la précipitation. Ces déficits ont entraîné une

réduction de l’accroissement de la surface foliaire plus importante chez le maïs ayant reçu la

dose d’azote recommandée que chez celui ayant eu une moindre fertilisation. Au stade des

soies, l’évapotranspiration a été fortement réduite, passant de 2,5 – 3,0 mm/jour à 1,7 mm/jour.

Au cours de la saison de croissance, l’évapotranspiration était de 210 mm pour le maïs ayant

reçu une dose réduite d’azote et 230 mm avec une fertilisation adéquate.

L’accumulation de biomasse décadaire a aussi connu un recul plus important chez le maïs

ayant reçu la dose d’azote recommandée que chez celui ayant eu une moindre fertilisation

(Figure 2).

Figure 2 : Indice de surface foliaire et biomasse accumulée par période de 10 jours d’une culturede maïs en condition optimale (155 kg N/ha) et sous-optimale (99 kg N/ha) defertilisation azotée observées en 1998 à Ottawa.

Une forte diminution dans l’accumulation de la biomasse est observée lors de l’apparition des

soies et de la deuxième période de déficit hydrique. La biomasse totale accumulée au cours de

la saison était semblable pour les deux doses de fertilisation avec 2,2 kg de matière sèche

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(MS/m2) telle qu’évaluée par la covariance turbulente et les chambres de respiration du sol. Le

rendement sec récolté, tel que mesuré par le capteur de rendement étalonné était le même

pour les deux doses d’azote soit d’environ 0,84 kg/m2, avec une variabilité spatiale moins

grande pour la dose d’azote plus élevée.

Cette différence de susceptibilité au déficit de précipitation entre les niveaux de fertilisation a pu

être détectée par l’indice de la bande d’eau, extrait de la réflectance hyperspectrale observée

au nadir au-dessus du couvert végétal de maïs (Figure 3). En effet, il existe une bande

d’absorption de l’eau, dont le maximum se situe entre 930 et 980 nm, qui peut être exprimée en

amplitude relative en la comparant à la réflectance à 900 nm, insensible à l’eau (Peñuelas et

autres, 1993 et 1997; Shibayama et autres, 1993). La position de la réflectance minimum (ou

absorption maximum) change aussi avec le stress hydrique et le stade phénologique, comme le

montre la figure 3.

Figure 3 : Évolution saisonnière de l’indice de la bande d’eau et de la position du minimum deréflectance observée au nadir au-dessus d’une culture de maïs en condition optimale(155 kg N/ha) et sous-optimale (99 kg N/ha) de fertilisation azotée observées, en 1998 àOttawa (adapté de Strachan et autres, 2002).

Fait à noter, l’efficacité d’utilisation de l’eau était plus grande pour le maïs fertilisé en dessous

de la dose optimale (Figure 4). L’efficience de l’eau était de 20,4 g CO2/mm pour le maïs sous-

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fertilisé et de 18,8 g CO2/mm pour celui fertilisé adéquatement. Ceci s’explique par un retard

dans le développement foliaire qui a permis une plus grande déperdition d’eau (Figure 1).

Figure 4 : Flux journalier de CO2 en fonction de l’évapotranspiration d’une culture de maïs en conditionoptimale (155 kg N/ha) et sous-optimale (99 kg N/ha) de fertilisation azotée observées, en 1998 àOttawa. Les pentes de la relation représentent l’efficience de l’eau (adapté de Pattey et autres,2001).

Soya

La saison de croissance a été caractérisée par des périodes de sécheresse. Dans le cas du

soya le déficit hydrique a eu lieu en début et en fin de croissance active puis lors de la phase

reproductive, hâtant ainsi la sénescence et la déhiscence foliaire (Figure 5). À la suite du

second déficit hydrique, l’évapotranspiration a été fortement réduite, passant de 3,3 à

2,1 mm/jour puis est restée inférieure à ce seuil par la suite, bien que l’indice de surface foliaire

ait continué d’augmenter. Les déficits hydriques suivant le second ont eu lieu pendant la phase

sensible floraison-fructification du soya et ont contribué à réduire le rendement. Les taux

d’évapotranspiration décadaires étaient comparables pour le maïs et le soya alors que l’indice

de surface foliaire du soya était bien plus élevé (x 1,35) que celui du maïs.

L’accumulation décadaire de biomasse du soya (Figure 6) a certainement subi l’impact des

déficits hydriques successifs (Figure 5).

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Figure 5 : Indice de surface foliaire, évapotranspiration et précipitation décadaires d’une culturede soya, observée en 1999 à Ottawa.

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Figure 6 : Indice de surface foliaire et biomasse accumulée par période de 10 jours d’une culturede soya, observée en 1999 à Ottawa.

L’accumulation de matière sèche du soya était environ la moitié moindre que celle du maïs. La

période d’accumulation de biomasse était aussi plus courte d’environ un mois (10 jours en

début de saison et 20 jours en fin de saison). L’efficience de l’eau est , de ce fait, très réduite

chez le soya (Figure 7) par rapport au maïs (Figure 4). Le soya accumule en moyenne

5,75 g CO2/mm , soit moins du tiers de la valeur du maïs. L’accumulation totale de matière

sèche au cours de la saison de croissance était de 829 g/m2 pour un cumul de 200 mm

d’évapotranspiration. Le rendement sec du soya en 1999, tel que mesuré par le capteur de

rendement calibré, était d’environ 230 g/m2.

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Figure 7 : Flux journaliers de CO2 en fonction de l’évapotranspiration d’une culture de soya,observée en 1999 à Ottawa. Les pentes de la relation représentent l’efficience de l’eau.

CONCLUSION

Ø Le soya est très sensible à la sécheresse et a une efficience de l’eau très inférieure à celle

du maïs. Les déficits hydriques ont hâté la sénescence.

Ø L’accumulation de biomasse chez le soya est inférieure à la moitié de l’accumulation de

biomasse du maïs.

Ø Le maïs ayant reçu la dose d’azote recommandée s’est montré plus susceptible au déficit

de précipitation pendant la période de croissance active de 1998 que le maïs ayant reçu

une dose inférieure.

Ø La dose recommandée n’a pas généré une augmentation de rendement significative au

niveau économique, à cause du déficit hydrique en juillet et en août 1998.

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Ø Les résultats du maïs montrent que les outils pour assister les producteurs et les conseillers

agricoles dans leur prise de décision de préconisation azotée devraient inclure une

composante climatique. De tels outils permettraient d’améliorer la viabilité de

l’environnement agricole par une meilleure gestion de l’azote.

RÉFÉRENCES

PATTEY, E. et autres. 2001. Effects of nitrogen application rate and weather on cornusingmicrometeorological and hyperpectral reflectance measurements. Agric. For. Meteorol.108, 85-99.

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SHIBAYAMA, M. et autres. 1993. Canopy water deficit detection in paddy rice using a highresolution field spectroradiometer. Rem. Sens. Env. 45, 117-126.

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