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© 2006. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés Rev Epidemiol Sante Publique, 2006, 54 : 497-505 Évaluation de la prescription rationnelle et de la dispensation des médicaments au Mali Evaluation of rational prescribing and dispensing of medicines in Mali D. MAIGA, A. DIAWARA, M.D. MAIGA Direction de la Pharmacie et du Médicament (DPM), Ministère de la Santé, BP E-5202, Bamako, Mali. Email : [email protected] ; [email protected] (Tirés à part : D. Maiga, Candidat PhD Santé Publique, Dépar- tement d’administration de la Santé, Université de Montréal, 3290, Goyer, Appart. 24, Montréal, Québec H3S1J1, Canada.) Pharmaceutical policy in Mali is based on the concept of essential medicines and procurement of generic medicines. Unfortunately, increasing availability of generic medicines via different promotio- nal programs can often be accompanied by their irrational use. This survey was thus designed to eva- luate rational prescribing and dispensing of medicines in Mali. A cross-sectional survey was conducted from 1998 to 2005 in 30 primary health centers and 30 private dispensaries; in Bamako and in 6 of the 8 other regions of the country. In each of the visited facilities, 20 prescriptions dispensed at the time of the survey were collected. The average number of medicines per prescription was 3.2±1.3 and 2.8±1.2 respectively in the public and private sectors. Medicines were prescribed under generic name in 88.2% of the public sector prescriptions and in 30.9% of the private sector ones. Antibiotics were prescribed in 70.4% of the public sector prescriptions and in 50.0% of the private sector prescriptions. In the public sector 33.2% of the prescriptions had injections compared with 14.3% in the private sector (p < 0.001). The median price per prescription was lower in the public sector (1575.0 CFA F, or 2.4 Euros, of which 91.3% were actually purchased by the patient) than in the private sector (5317.5 CFA F, or 8.1 Euros, of which 84.6% were purchased). Generic medicines are being used in the public sector but less frequently than in private practice. As therapeutic guidelines are already available, it would be useful to institute interactive information for practitioners through intensive visits by more experienced supervisors. The quality of the prescrip- tions could thus be optimized. Prescription. Dispensing. Quality. Essential medicines. Mali. La politique pharmaceutique du Mali repose sur le concept des médicaments essentiels génériques. L’adoption des médicaments génériques dans un programme s’accompagne souvent d’un usage irra- tionnel de ces médicaments, à cause même de la disponibilité de ces médicaments. C’est ainsi que cette étude a été initiée pour évaluer la qualité de la prescription et de la dispensation des médicaments au Mali. Il s’agit d’une étude transversale descriptive qui a été conduite de 1998 à 2005. L’enquête a été faite dans 30 centres de santé primaires et 30 pharmacies privées de Bamako et de six des huit autres régions du pays. Dans chacune de ces structures, 20 ordonnances exécutées au moment de l’enquête ont été collectées. Texte reçu le 22 novembre 2005. Acceptation définitive le 23 mai 2006.

Évaluation de la prescription rationnelle et de la dispensation des médicaments au Mali

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Page 1: Évaluation de la prescription rationnelle et de la dispensation des médicaments au Mali

© 2006. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Rev Epidemiol Sante Publique, 2006, 54 : 497-505

Évaluation de la prescription rationnelle et de la dispensation des médicaments au Mali

Evaluation of rational prescribing and dispensing of medicines in Mali

D. MAIGA, A. DIAWARA, M.D. MAIGA

Direction de la Pharmacie et du Médicament (DPM), Ministère de la Santé, BP E-5202, Bamako, Mali.Email : [email protected] ; [email protected] (

Tirés à part :

D. Maiga, Candidat PhD Santé Publique, Dépar-tement d’administration de la Santé, Université de Montréal, 3290, Goyer, Appart. 24, Montréal, Québec H3S1J1, Canada.)

Pharmaceutical policy in Mali is based on the concept of essential medicines and procurement ofgeneric medicines. Unfortunately, increasing availability of generic medicines via different promotio-nal programs can often be accompanied by their irrational use. This survey was thus designed to eva-luate rational prescribing and dispensing of medicines in Mali.

A cross-sectional survey was conducted from 1998 to 2005 in 30 primary health centers and 30private dispensaries; in Bamako and in 6 of the 8 other regions of the country. In each of the visitedfacilities, 20 prescriptions dispensed at the time of the survey were collected.

The average number of medicines per prescription was 3.2

±

1.3 and 2.8

±

1.2 respectively in thepublic and private sectors. Medicines were prescribed under generic name in 88.2% of the publicsector prescriptions and in 30.9% of the private sector ones. Antibiotics were prescribed in 70.4% ofthe public sector prescriptions and in 50.0% of the private sector prescriptions. In the public sector33.2% of the prescriptions had injections compared with 14.3% in the private sector (p < 0.001). Themedian price per prescription was lower in the public sector (1575.0 CFA F, or 2.4 Euros, of which91.3% were actually purchased by the patient) than in the private sector (5317.5 CFA F, or 8.1 Euros,of which 84.6% were purchased).

Generic medicines are being used in the public sector but less frequently than in private practice.As therapeutic guidelines are already available, it would be useful to institute interactive informationfor practitioners through intensive visits by more experienced supervisors. The quality of the prescrip-tions could thus be optimized.

Prescription. Dispensing. Quality. Essential medicines. Mali.

La politique pharmaceutique du Mali repose sur le concept des médicaments essentiels génériques.L’adoption des médicaments génériques dans un programme s’accompagne souvent d’un usage irra-tionnel de ces médicaments, à cause même de la disponibilité de ces médicaments. C’est ainsi que cetteétude a été initiée pour évaluer la qualité de la prescription et de la dispensation des médicaments auMali.

Il s’agit d’une étude transversale descriptive qui a été conduite de 1998 à 2005. L’enquête a été faitedans 30 centres de santé primaires et 30 pharmacies privées de Bamako et de six des huit autresrégions du pays. Dans chacune de ces structures, 20 ordonnances exécutées au moment de l’enquêteont été collectées.

Texte reçu le 22 novembre 2005. Acceptation définitive le 23 mai 2006.

Page 2: Évaluation de la prescription rationnelle et de la dispensation des médicaments au Mali

498

D. MAIGA ET COLLABORATEURS

Le nombre moyen de médicaments par ordonnance était de 3,2

±

1,3 et 2,8

±

1,2 respectivementdans les secteurs public et privé. La prescription des médicaments sous dénomination commune inter-nationale était de 88,2 % dans le secteur public et 30,9 % dans le secteur privé. La prescription d’anti-biotiques était de 70,4 % dans le public et 50,0 % dans le privé. Le secteur public prescrivait 33,2 %d’injectables contre 14,3 % dans le privé (p < 0,001). Le coût médian de l’ordonnance prescrite étaitplus bas dans le secteur public (1575,0 FCFA, soit 2,4 euros, dont 91,3 % achetés) que dans le secteurprivé (5317,5 FCFA, soit 8,1 euros, dont 84,6 % achetés par le malade).

Les médicaments génériques sont couramment utilisés dans le public mais beaucoup moins dans leprivé. Les guides thérapeutiques étant déjà disponibles, il conviendrait d’instaurer une informationinteractive des praticiens, par le biais de visites et supervisions intensives par des cadres plus expéri-mentés de la hiérarchie, cela serait de nature à optimiser la qualité des prescriptions des praticiens.

Prescription. Dispensation. Qualité. Médicaments essentiels. Mali.

INTRODUCTION

Le Mali est un vaste pays enclavé d’Afrique del’Ouest dont la population est estimée à 11, 7 mil-lions d’habitants [1]. Le taux de croissance estd’environ 2,2 % [1]. L’espérance de vie à la nais-sance est de 61,6 ans [2]. La population ayantaccès au paquet minimum d’activités dans unrayon de cinq kilomètres à la ronde est de 44 %[3]. Les populations ne sont pas couvertes par uneassurance maladie.

Les médicaments ont une place stratégiquedans les services de santé, pour au moins deuxraisons. D’une part, ils sont utilisés comme élé-ment catalyseur de la fréquentation des structuresde santé dans un pays où les populations n’ontpas comme première option de se rendre dans uncentre de santé en cas de maladie. D’autre part,ils sont souvent le support du financement dessoins de santé primaires avec le système derecouvrement des coûts.

Ainsi en 1998, le Mali a élaboré et adopté sapolitique pharmaceutique nationale (PPN). CettePPN intègre la notion de médicaments essentielsgénériques, mais aussi celle de la rationalité de laprescription et de la dispensation.

Dans ce contexte, il importe de vérifier quel’augmentation de la prescription de médicamentsessentiels génériques correspond aussi à un bonusage du médicament. Au Nigeria, l’évaluationde l’Initiative de Bamako (IB) qui introduit lanotion d’utilisation des médicaments essentielsgénériques, montrait que les centres de santéayant adopté l’IB prescrivaient un nombre demédicaments significativement plus élevé que lescentres n’utilisant pas encore l’IB [4].

L’évaluation de la prescription et de la dispen-sation des médicaments est une activité annuellede suivi qui a été réalisée en 1998, 1999, 2000 et2001 (Direction de la Pharmacie et du Médicament.Qualité de la prescription et de la dispensationdes médicaments au Mali. Rapports d’enquête1998, 1999, 2000, 2001).

Les objectifs de l’étude étaient 1– d’évaluer laqualité de la prescription et de la dispensation desmédicaments au Mali, 2– d’analyser l’évolutionde la prescription et de la dispensation des médi-caments de 1998 à 2005.

MÉTHODOLOGIE

Il s’agissait d’une étude transversale. Au Mali, le systèmede santé est organisé en deux secteurs. Le secteur public estorganisé en niveaux. La population d’étude était constituéedes centres de santé communautaires (1

er

niveau), des centresde santé de cercle et de communes du district de Bamako(2

e

niveau), des pharmacies privées et des ordonnances. Leshôpitaux régionaux représentent le 3

e

niveau de la pyramide,et les hôpitaux nationaux le 4

e

et dernier niveau. Pour chaqueniveau, une liste limitative de médicaments est autorisée à êtreprescrite et dispensée. Au niveau des structures publiques, ilexiste un dépôt de vente pour la dispensation des médica-ments prescrits dans ces établissements.

Le secteur privé est constitué de cabinets médicaux deconsultations, de cabinets de soins infirmiers, de cliniques pri-vées, de la médecine traditionnelle, d’établissements de soinsconfessionnels, de pharmacies privées et de dépôts pharma-ceutiques privés. La dispensation des médicaments prescritspar le secteur privé est assurée par les pharmacies privées, etle cas échéant par les dépôts pharmaceutiques privés.

Dans le cadre de cette étude, le secteur public correspondaux centres de santé primaires et le secteur privé concerne lespharmacies privées.

L’enquête consistait en un sondage à trois degrés : 1– larégion d’enquête, 2– la structure d’enquête (publique ou

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PRESCRIPTION DES MÉDICAMENTS AU MALI

499

privée), 3– les ordonnances présentées au point de vente de lastructure d’enquête.

Ont été inclus les centres de santé primaires, les ordonnan-ces pour adultes et enfants. Ont été exclus les dépôts pharma-ceutiques privés (puisqu’il s’agit de structures détenant uneliste restreinte de médicaments et tenues par des non pharma-ciens, dans des zones non couvertes par les pharmacies pri-vées), les centres de santé de très faible activité (ont été ainsiexclues deux régions du Nord du pays qui présentaient unniveau d’activités sanitaires bas c’est-à-dire avec un nombremensuel de consultations de 10 à 20 patients, une dispersiondes quelques formations sanitaires existantes et de fortescontraintes d’accessibilité géographique), les hôpitaux (le butétait de se limiter à la médecine générale ambulatoire, pour nepas multiplier les situations trop différentes qui ne permet-traient aucune conclusion), les ordonnances provenant desservices hospitaliers spécialisés sauf celles issues de la pédia-trie et de la médecine interne, les médicaments demandés sansordonnance par le client ou proposés par le dispensateur, lesecteur parallèle.

Sur la base de la méthodologie OMS [5] pour l’étude del’usage des médicaments, nous avons retenu 30 centres desanté, 30 pharmacies privées et 20 ordonnances par structuredans la capitale et les régions du pays.

Choix des 30 pharmacies privées. —

Pour l’ensemble desrégions d’enquête, nous en avions dénombré 271 dont larépartition montrait leur concentration dans la capitale, ce quinous a amené à constituer deux strates, l’une avec toutes lespharmacies de Bamako et l’autre comportant celles des autresrégions d’étude. Un tirage aléatoire simple proportionnel à lataille des deux strates a été effectué pour la constitution del’échantillon des 30 pharmacies privées.

Choix des 30 centres de santé. —

Contrairement aux phar-macies, il n’y avait pas de concentration des centres de santédans la capitale. Pour les localités concernées par l’enquête,647 centres de santé ont été identifiés. Il a été ainsi effectuéun tirage aléatoire proportionnel à la taille des effectifs decentres de santé des régions.

Sélection des ordonnances. —

Dans chaque structure, les20 premières ordonnances qui répondent aux critères d’inclu-sion sont enregistrées. L’étude a porté sur la période de jan-vier à avril 2005.

Les variables suivantes ont été recueillies : 1– Indicateursde qualité de la prescription : nombre moyen de médicamentspar ordonnance, proportion de médicaments prescrits endénomination commune internationale (DCI), proportion demédicaments prescrits figurant sur la liste nationale des médi-caments essentiels (LNME), proportion de médicaments pres-crits en DCI et figurant sur la LNME, proportion desordonnances avec injectable, proportion des ordonnancesavec antibiotique, coûts moyen et médian de l’ordonnanceprescrite ; 2– Indicateurs de qualité de la dispensation : pour-centage de substitution par le dispensateur, pourcentaged’ordonnances délivrées par un pharmacien ; 3– Indicateursliés au comportement du consommateur : coût moyen del’ordonnance achetée, proportion de l’ordonnance achetée envaleur, proportion des ordonnances servies partiellement pourraison financière.

Le mode de recueil des données a été standardisé grâce a) àune formation approfondie des enquêteurs qui ont fait unepré-enquête et b) à une supervision des enquêtes. Les enquê-teurs étaient deux médecins, quatre pharmaciens et une sage-femme ayant une bonne expérience des enquêtes sur lesmédicaments. La saisie des données a été faite par un seul etmême opérateur de saisie sur le logiciel Epi-info et contrôléepar le coordinateur.

La distribution était asymétrique pour les variables « coûtde l’ordonnance prescrite » et « coût de l’ordonnance ache-tée ». Pour celles-ci, nous avons utilisé comme paramètre detendance centrale la médiane,

a contrario

pour les variablessuivant une distribution normale, c’est la moyenne que nousavons présentée.

Comme mesure d’association, nous avons utilisé le rapportde cotes (RC) accompagné de son intervalle de confiance à95 % (IC 95 %). Les tests statistiques utilisés étaient : 1– letest de Student pour la comparaison des moyennes pour lesvariables quantitatives à distribution normale, notamment« nombre de médicaments par ordonnance », 2– le test deMann-Whitney pour la comparaison des médianes pour lesvariables quantitatives à distribution asymétrique, 3– le testdu

χ

2

de Pearson pour la comparaison des proportions si tousles effectifs attendus étaient

5.

Des ajustements ont été effectués sur la qualification duprescripteur et le lieu de l’enquête (capitale

versus

régions dupays). Dans ce cas, le RC ajusté de Mantel-Haenszel, a étépris en compte et son IC 95 %.

RÉSULTATS

Les caractéristiques des patients (âge, sexe)étaient identiques entre le secteur public et le sec-teur privé (p = 0,77), les adultes constituaient lamajorité des patients. Par contre dans les pharma-cies privées la proportion d’ordonnances prescri-tes par les médecins était plus élevée que celledes pharmacies publiques, soit respectivement de47,5 % et 30,6 % avec p < 0,001. Les ordonnan-ces du secteur public étaient essentiellement col-lectées dans les régions du pays, contrairementaux ordonnances du secteur privé qui émanaientpour la plupart du district de Bamako (p < 0,001).On note également une impossibilité d’identifierla qualification du prescripteur pour 37,7 % desordonnances qui arrivent à l’officine ; un des cri-tères élémentaires d’une bonne prescription n’estainsi pas suivi.

Dans le secteur privé, la prescription en DCI neconcernait que 30,9 % des ordonnances et 46,4 %des médicaments faisaient partie de la LNME.Tandis que dans le secteur public, ces deux indi-cateurs étaient respectivement de 88,2 % et de90,4 %

(fig. 1)

.

Page 4: Évaluation de la prescription rationnelle et de la dispensation des médicaments au Mali

500

D. MAIGA ET COLLABORATEURS

La prescription des injectables a concerné14,3 % des ordonnances dans le secteur privécontre 33,2 % dans le secteur public. Le recoursaux antibiotiques était respectivement de 50 % etde 70,4 % dans le privé et le public

(fig. 2)

.

La présence des pharmaciens à l’officine pourl’exécution des prescriptions était de 43,1 %. Lasubstitution (remplacement de spécialités prescri-tes par leurs correspondants DCI par le dispensa-teur) a évolué de 0,7 % à 3,3 % entre 1998 et 2005.

Le niveau de performance des deux secteurs étaitvariable d’un indicateur à l’autre

(tableaux I et

II)

.Pour beaucoup de variables, les résultats du secteurpublic et du secteur privé n’étaient pas dans les nor-mes de l’OMS

(tableau III)

.

La qualification du prescripteur n’a pas d’effetconfondant sur l’association « secteur public —prescription élevée d’antibiotiques ».

Pour les injectables, la conclusion est diffé-rente de celle des antibiotiques. Le RC ajustéest plus faible, et la différence relative entre leRC brut et le RC ajusté vaut 25 %. Nousconcluons donc que la qualification du pres-cripteur a un effet confondant sur l’association« secteur public — prescription élevée d’injec-tables ». La prescription plus élevée d’injecta-bles dans le public s’explique par la moindrequalification des prescripteurs, un nombre demédecins prescripteurs proportionnellement plusbas

(tableau IV)

.

FIG. 1. — Évolution des prescriptions en DCI et de la LNME dans les secteurs public et privé au Mali de 1998 à 2005. DCI :dénomination commune internationale. LNME : liste nationale des médicaments essentiels.

0

10

20

30

40

50

60

70

80

90

100

1998 1999 2000 2001 2005

%

DCI public LNME public DCI+LNME public

DCI privé LNME privé DCI+LNME privé

Secteur public

Secteur privé

Page 5: Évaluation de la prescription rationnelle et de la dispensation des médicaments au Mali

PRESCRIPTION DES MÉDICAMENTS AU MALI

501

DISCUSSION

L

IMITES

DE

L

ÉTUDE

L’étude ne prend pas en compte la pertinencedes prescriptions, qui sont supposées valables ;

elle ne concerne que les utilisateurs du systèmeet ne considère pas ceux qui n’achètent aucundes médicaments prescrits. Aussi le nombre de600 ordonnances attendues par secteur n’a paspu être obtenu au terme de l’enquête de terrain,

FIG. 2. — Évolution des prescriptions d’antibiotiques et d’injectables dans les secteurs public et privé, au Mali, de 1998 à 2005.

0

10

20

30

40

50

60

70

80

1998 1999 2000 2001 2005

%

Antibiotique public Injectable publicAntibiotique privé Injectable privé

TABLEAU I. — Comparaison des pratiques de prescription et de dispensation entre le secteur public et le secteur privé au Mali en 2005.

Secteur public Secteur privé

nMoyenne ± ET

ou médiane (min, max)

nMoyenne ± ET

ou médiane (min, max)

p

Nombre de médicaments par ordonnance 1 497 3,2 ± 1,3 1 600 2,8 ± 1,2 < 0,001

Ordonnances achetées en valeur 466 91,3 ± 31,5 568 84,7 ± 42,1 < 0,05

Coût de l’ordonnance prescrite en FCFA 466 1 575,0 (40,0-8 325,0) 568 5 317,5 (410,0-48 055,0) < 0,001

ET: écart-type ; Médiane : minimum, maximum; FCFA : franc CFA (1 euro = 655, 957 FCFA).

Page 6: Évaluation de la prescription rationnelle et de la dispensation des médicaments au Mali

502

D. MAIGA ET COLLABORATEURS

toutefois la puissance n’est pas pour autant affec-tée. En effet, avec 400 ordonnances pour chaquesecteur, les indicateurs pourront être donnés avecune précision de

±

5 à 7 % (si on prend commehypothèse un effet de grappe de 2).

I

NDICATEURS

DE

QUALITÉ

DE

LA

PRESCRIPTION

ET

IMPLICATIONS

ÉCONOMIQUES

POUR

LE

PATIENT

Le nombre moyen de médicaments par ordon-nance respectivement de 3,2 et de 2,8 dans lespharmacies publiques et privées, était élevé. Les

résultats sont variables d’une étude à l’autre ;ainsi une étude dans les centres de santé primai-res en Iran, a trouvé 3,4 médicaments par pres-cription [6] ; au Niger, 3 médicaments [7] ; enArabie Saoudite, une moyenne de 2,10

±

1,05 [8].En Ouganda, on trouve 1,66 médicament parprescription [9]. Une étude du Burkina montre2,3 médicaments par prescription [10]. Au regardde la valeur de référence de l’OMS fixée à 2, ladifférence est statistiquement significative dansles deux secteurs (p < 0,001). Aussi, l’indicateur

TABLEAU II. — Comparaison des pratiques de prescription et de dispensation entre le secteur public et le secteur privé au Mali en 2005.

Secteur public Secteur privé

nProportion

en %n

Proportion en %

p

Médicaments dispensés par rapport aux prescrits 1 497 91,4 1 600 79,7

Prescription d’injectable 467 33,2 568 14,3 < 0,001

Prescription d’antibiotique 466 70,4 568 50,0 < 0,001

Ordonnances servies partiellement pour raison financière 466 2,4 568 16,9 < 0,001

Ordonnances servies partiellement pour raison d’absence du médicament en stock

466 14,0 568 6,2 < 0,001

Prescription de médicaments sous dénomination commune internationale

1 497 88,2 1 600 30,9 < 0,001

Prescription de médicaments prescrits de la liste nationale de médicaments essentiels

1 497 90,4 1 600 46,4 < 0,001

TABLEAU III. — Comparaison aux normes OMS des pratiques de prescription du secteur public et du secteur privé du Mali en 2005.

n % p

Prescription d’injectable

Norme OMS 10,0

Secteur public 467 33,2 < 0,001

Secteur privé 568 14,3 < 0,050

Prescription d’antibiotique

Norme OMS 30,0

Secteur public 466 70,4 < 0,001

Secteur privé 568 50,0 < 0,001

Proportion de médicaments prescrits de la LNME 1 497

Norme OMS 90,0

Secteur public 1 497 90,4 0,697

Secteur privé 1 600 46,4 < 0,001

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PRESCRIPTION DES MÉDICAMENTS AU MALI

503

ne s’est-il pas amélioré au cours des sept derniè-res années. Il est à un niveau similaire aux valeursobtenues dans d’autres pays [9, 11-14].

Le recours aux médicaments sous DCI et de laLNME connaît une petite baisse dans le secteurprivé. En rapport avec la norme OMS de 90 % etl’objectif national de couverture de 80 % par lesmédicaments essentiels génériques de la LNME,la prescription en DCI et de la LNME est à unniveau satisfaisant mais ces indicateurs restentstationnaires.

Une prescription abusive de médicaments injectables et d’antibiotiques

Dans le secteur public, la prescription d’anti-biotiques augmente régulièrement depuis 1998.Comparés aux références OMS, les prescripteurs

maliens proposent presque deux fois plus d’anti-biotiques dans le secteur privé (p < 0,001) et plusde deux fois dans le secteur public avec p < 0,001

(tableau III)

. L’étude réalisée dans trois pays endéveloppement de la sous-région (Sénégal, Nigeret Mauritanie) montre que 27,3 % des patients destrois pays confondus recevaient un antibiotique(OMS. Prescription des antibiotiques dans troispays d’Afrique de l’Ouest : Mauritanie, Niger etSénégal, 1993). L’exposition des patients auxantibiotiques était de 60 % en Éthiopie [15]. EnOuganda, elle était de 57,3 % dans les centres desanté primaires. Cette étude suppose qu’unemoyenne de 15 à 20 % d’antibiotiques sembleraitappropriée au regard du profil de morbidité [9].Dans un contexte de décalage croissant entre laprogression de la résistance bactérienne et la

TABLEAU IV. — Prescription d’antibiotiques et d’injectables en fonction du secteur public ou privé, dans chaque catégorie de prescripteur au Mali en 2005.

n % RC (IC 95 %) p

ANTIBIOTIQUES

Médecin

Ordonnances provenant du Secteur privé 270 45,9 Réf

Ordonnances provenant du Secteur public 143 65,7 2,3 (1,4 ; 3,5)

Non médecin

Secteur privé 84 54,8 Réf

Ordonnances provenant du Secteur public 296 71,3 2,0 (1,2 ; 3,5)

RC brut = 2,5 0,77

RCMH ajusté = 2,2

χ2 interaction = 0,08

INJECTABLES

Médecin

Secteur privé 270 12,6 Réf

Ordonnances provenant du Secteur public 143 18,9 1,6 (0,9 ; 2,3)

Non médecin

Ordonnances provenant du Secteur privé 84 15,5 Réf

Ordonnances provenant du Secteur public 296 39,9 3,6 (1,8 ; 7,2)

RC brut= 3,2 0,06

RCMH ajusté = 2,4

χ2 interaction = 3,53

RC : rapport de cotes (Odds ratio) ; IC : intervalle de confiance ; RCMH : rapport de cotes ajusté de Mantel-Haenszel ; Réf : référence.

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504

D. MAIGA ET COLLABORATEURS

perspective de découverte de nouvelles classesd’antibiotiques, cette résistance est devenue unepréoccupation sanitaire majeure, et il devientessentiel d’optimiser leur usage. Un grand nom-bre des infections pourraient être évitées par unemeilleure alimentation, la vaccination systéma-tique, un meilleur système d’assainissement etun accès plus facile à de l’eau de boisson saine[16, 17].

La prescription des injectables dans le secteurprivé (14,3 %) a baissé comparativement auxévaluations réalisées les années précédentes maisa augmenté dans le secteur public (33,2 %). Cesprescriptions sont en dehors des normes propo-sées par l’OMS avec des différences significati-ves, soit respectivement p < 0,05 et p < 0,001.

Après ajustement, la proportion relative demédecins plus basse dans le secteur public quedans le secteur privé n’explique pas la différencede prescription élevée d’antibiotiques observéepar rapport au privé. Par contre la prescriptionplus élevée des injectables dans le secteur publics’explique partiellement par cette différence dequalification des prescripteurs.

Des prescriptions médicamenteuses très coûteuses dans le secteur privé, quoique accessibles pour ceux qui achètent

Le coût moyen de l’ordonnance prescrite estplus élevé dans le secteur privé (soit de 6 418FCFA) que dans le secteur public (1 881 FCFA).La valeur de l’indicateur s’est détériorée. La pro-portion de l’ordonnance achetée en valeur dans lesecteur privé est relativement élevée, soit de84,6 %. Dans le secteur public elle est de 91,3 %.Les coûts nous semblent très élevés dans le sec-teur privé et justifient la proportion non négligea-ble d’ordonnances servies partiellement pourraison financière, elle était de 16,9 % contre2,4 % dans le secteur public. Inversement les rup-tures de stocks, causes de non exécution desordonnances étaient plus fréquentes dans lepublic que dans le privé, soit respectivement de14,0 % et 6,2 %.

Pour les problèmes de qualité des prescriptionsdes praticiens, des supervisions formatives inte-ractives permettront d’optimiser ces prescriptions[11, 18, 19].

Indicateurs de qualité de la dispensation

Les médicaments prescrits ont été exécutés àhauteur de 91,4 % dans le secteur public et79,7 % dans le secteur privé. Si l’on prenait encompte les achats partiels dus au manqued’argent et autres motifs que l’absence des médi-caments en stock, on peut dire que ces indicateurssont à des niveaux satisfaisants.

La substitution demeure toujours très faibledans le secteur privé. Il convient de rappeler quela réglementation au Mali accorde le droit desubstitution aux pharmaciens.

Dans le secteur privé, la proportion d’ordon-nances exécutées par un pharmacien est faible.L’indicateur montre l’absence d’un pharmacienplus d’une fois sur deux actes de dispensation etrévèle la délégation de leur fonction à d’autresagents.

CONCLUSION

L’orientation nationale préconisant la couverturede 80 % des besoins par la liste nationale desmédicaments essentiels, est demeurée atteinte dansles pharmacies publiques de 1998 à 2005. Parcontre les prescriptions de ces médicaments sontpeu élevées dans le secteur privé. La qualité de ladispensation progresse dans les deux secteurs.

Pour quatre indicateurs de prescription, descomparaisons ont été faites avec les valeurs deréférences de l’OMS. Ces comparaisons mettenten évidence un usage irrationnel des médica-ments dans les deux secteurs.

Le mauvais niveau de qualité de beaucoupd’indicateurs de prescription révèle un manqued’observance des guides nationaux et la nécessitépour l’ensemble de la profession médicale des’approprier les recommandations des bonnespratiques de prescription énoncées dans cesdocuments validés et diffusés, notamment leFormulaire Thérapeutique National, le GuideThérapeutique National et la Prise en charge inté-grée des maladies de l’enfant.

Nous recommandons 1– de multiplier les super-visions formatives interactives par des cadres plusexpérimentés de la hiérarchie pour permettrel’appropriation des guides par les prescripteurs etles dispensateurs, 2– d’élaborer et de diffuser des

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PRESCRIPTION DES MÉDICAMENTS AU MALI

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recommandations nationales de bonnes pratiquesde prescription des antibiotiques et des injectables,3– de sensibiliser les prescripteurs sur les coûts dessoins de santé et en particulier des prescriptionsmédicamenteuses.

R

EMERCIEMENTS

: Au terme de ce travail, nous remercionsl’Organisation Mondiale de la Santé, Genève (Suisse), pourson appui financier sans lequel cette étude n’aurait pas étéréalisée.

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