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Évaluer la biodiversité et les services rendus par les écosystèmes : pourquoi, comment ? Elodie Brahic CEMAGREF, Bordeaux, France Formation des enseignants, « Éducation au développement durable » Seaquarium du Grau du Roi, 5 avril 2011

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Évaluer la biodiversité et les services rendus par les écosystèmes :

pourquoi, comment ?

Elodie BrahicCEMAGREF, Bordeaux, France

Formation des enseignants, « Éducation au développement durable »

Seaquarium du Grau du Roi, 5 avril 2011

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Qu’est-ce que la biodiversité ?

• Un néologisme (1985) issu de la contraction de "diversité biologique"

• "Variabilité des organismes vivants de toute origine y compris, entre autres, les écosystèmes terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques et les complexes écologiques dont ils font partie : cela comprend la diversité au sein des espèces et entre espèces ainsi que celle des écosystèmes". Convention de Rio (1992)

→ Trois niveaux fonctionnels :

– Diversité génétique

– Diversité spécifique

– Diversité écosystémique

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Qu'est-ce que la biodiversité ? (suite)

• Diversité biologique Ressource biologique

– Ressource biologique = un exemple de gène, d’espèce, d’écosystème

– Diversité biologique = la variabilité des ressources biologiques

→ La biodiversité est la variété de la vie, les ressources biologiques sont des composantes de cette variété.

→ Biodiversité = affaire d’interactions à l’intérieur de chaque espèce, entre espèces, entre espèces et milieux.

• L’inaccessible Grand Inventaire

– Actuellement, environ 1,8 millions d’espèces décrites

– Un nombre total difficile à estimer 10, 100 millions…

– Les espèces décrites ne sont sans doute pas représentatives de la diversité à découvrir

Conséquence : il faudra décrire la biodiversité et ses évolutions à partir d’une perception non seulement très partielle mais également très biaisée de sa réalité

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Sauver la biodiversité : un sujet à la mode ?

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Les crises de la biodiversité

• La vie semble être apparue sur une Terre jeune il y a 4 milliards d’années

• Un très grand nombre de genres et d’espèces ont donc disparu et les espèces actuelles représentent sans doute moins de 1% de l’ensemble de celles qui ont existé

• Les paléontologues ont en outre identifié 5 grandes crises d’extinction

• Ces crises sont liées à des « catastrophes » (volcanisme géant des « trappes », météorites)

• Les pressions liées aux activités humaines pourraient provoquer une « sixième extinction »

• Le temps de récupération des crises passées se mesure en millions d’années

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Une érosion difficile à percevoir, mais en accélération...

• Des approches modélisées difficiles à valider

La réduction des habitats conduit inéluctablement à une réduction de la biodiversité globale au sein de ces habitats, selon une loi exponentielle dite « Loi d’Arrhénius »

Nb espèces = c.Az Avec :

A = surface de l’écosystème

c = constante (type d’écosystème)

z = réel ]0, 1[

C’est sur de tels modèles que sont basées les analyses annonçant des valeurs d’érosion 1000 à 10 000 fois supérieures à celles des rythmes naturels

Des données historiques partielles montrent des taux d’extinction récents 100 à 1000 fois supérieur aux données paléontologique et le rythme pourrait s’accélérer dans le futur

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Une érosion difficile à percevoir, mais en accélération... (suite)

Un mammifère sur 4, un oiseau sur 8, un tiers des amphibiens et 70% des plantes sont en péril (UICN, 2007)

• La première évaluation de l’état de conservation des espèces et des habitats d’intérêt communautaire montre que 76% des habitats concernés présents en France sont dans un état de conservation défavorable dont 41% mauvais.

• Pour les espèces, la situation est un peu meilleure avec 50% en état de conservation défavorable dont 31% mauvais.

• Les incertitudes sur le statut de 30% des espèces laissent toutefois penser que la situation pourrait être plus critique que ce que montre l’évaluation (CE, 2009)

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... sous l’effet de pressions croissantes

• La destruction et la dégradation des habitats, générées par :

– l’agriculture (intensification agricole, abandon des terres, drainage, irrigation),

– la sylviculture (exploitation intensive, reboisements monospécifiques),

– la pêche industrielle et l’aquaculture,

– la construction d’infrastructures et l’urbanisation conduisant à une fragmentation des habitats, les aménagements touristiques, industriels et l’exploitation minière…

• La pollution : eutrophisation des milieux aquatiques, dépôts d’oxyde d’azote atmosphérique sur la végétation, acidification des sols, pesticides, métaux lourds

• Les changements climatiques : une hausse de 1°C de la température déplace vers les pôles les limites des espèces terrestres de 125 km en moyenne, et de 150 m vers le haut en montagne. Ceci devrait entraîner des modifications de la structure et du fonctionnement des écosystèmes et mettre en péril certaines espèces. Le réchauffement des eaux marines représente aussi un risque pour de nombreuses espèces (extension des blanchissements de coraux observés)  

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Des pressions anthropiques croissantes (suite)

• Surexploitation des ressources biologiques sauvages : chasse, pêche, cueillette, exploitation du bois conduisent à des rythmes de prélèvement incompatible avec leur renouvellement

• Espèces envahissantes dont le risque s’accroît du fait de la forte augmentation des introductions, volontaires ou accidentelles, d’espèces étrangères à leur milieu d’origine, notamment du fait de la multiplication des voies de communication (routières, ferroviaires, aériennes, maritimes) et de l’intensification des échanges

Les causes sous-jacentes de l’érosion de la biodiversité sont ainsi largement de nature socio-économique

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La mesure de la biodiversité

• La biodiversité est une notion multidimensionnelle : – Nombre d’entités, pondération des entités, dissemblance des entités– Abondances absolues, répartition dans l’espace, niveaux d’organisation…

• La richesse spécifique : le plus fruste

• Les indices basés sur l’abondance relative

• Les mesures basées sur la dissimilitude conjointe

• Les indices sont pertinents pour la comparaison de sites homogènes

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La mesure de la biodiversité (suite)

1- La richesse spécifique (taxonomique) : à nombre égal d’individus, plus il y a de taxons présents, plus la diversité est grande.

Mais l’assimilation au nombre d’espèces oublie :

- La notion d’espèces ‘clé de voute’ : la disparition d’une espèce peut induire la disparition d’un écosystème

- La notion d’abondance relative

- La prise en compte des dissimilitudes

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La mesure de la biodiversité (suite)

Les indices basés sur l’abondance relative

indice de Simpson = 1 - i2

indice de Shannon ou d’entropie = - i logi

2- La répartition de l’abondance : à nombre égal d’individus et à nombre égal de taxons, plus un taxon domine les autres (en abondance), moins la diversité est grande. La diversité est maximale lorsque l’abondance est répartie de manière uniforme entre eux.

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La mesure de la biodiversité (suite)

Les mesures basées sur la dissimilitude conjointe

- L’indice doit augmenter uniquement lorsque la dissimilitude augmente

- Indice récursif de Weitzman = Dw(S) = max (Dw(S – si) + d(si, S – si))

3- La notion de composition : la diversité est d’autant plus grande que les taxons présents sont différents les uns des autres, selon des critères écologiques ou phylogénétiques.

Échantillon 1

Échantillon 2

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Des indicateurs de biodiversité

• Un indicateur unique serait illusoire, mais une batterie d’indicateurs pertinents permet de juger l’évolution de la biodiversité en un lieu donné.

• Premiers indicateurs établis en 2004 : évaluer les efforts réalisés par les pays dans le cadre des engagements pris lors de la conférence de Johannesburg (2002) qui consistent à réduire de manière significative le taux d'érosion de la biodiversité d'ici 2010.

• En 2006-2007 : indicateurs complétés → parvenir à un nombre relativement restreint d'indicateurs de synthèse permettant d'illustrer des enjeux majeurs de façon claire.

• Ces indicateurs n'ont pas vocation à tout couvrir, ni à être des outils de pilotage précis. Ils doivent en priorité s'appuyer sur des données et réseaux de collecte déjà existants.

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Exemples d’indicateurs

Indicateurs de biodiversité, sélectionnés par enjeux, proposés pour la métropole dans le cadre de la SNB (Source: MEEDDAT/DNP/Cellule biodiversité, 2007)

→ Indice trophique marin :permet d’évaluer l’état des chaînes trophique marines dans les diverses grandes régions océaniques, à partir des prises déclarées des pêcheurs, enregistrées au niveau national. Il intègre le niveau trophique des espèces.

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Pourquoi la biodiversité est-elle si importante pour la société ?

• La biodiversité et les écosystèmes qui l’expriment, fournissent un grand nombre des biens et services qui soutiennent la vie humaine :

– la fourniture des aliments, les combustibles et les matériaux de construction – la purification de l’air et de l’eau – la stabilisation et la modération du climat de la planète – la modération des inondations, des sécheresses, des températures extrêmes et

des forces éoliennes – la génération et le renouvellement de la fertilité des sols – le maintien des ressources génétiques qui contribuent à la variété des cultures

et à la sélection des animaux, des médicaments et autres produits – et des avantages culturels, récréatifs et esthétiques

• La biodiversité, une assurance-vie pour notre monde en changement  A l’échelle globale, la biodiversité doit être considérée dans ses rapports avec les enjeux majeurs que sont par exemple la réduction de la pauvreté, la sécurité alimentaire et l’approvisionnement en eau potable, la croissance économique, les conflits liés à l’utilisation et à l’appropriation des ressources, la santé humaine, animale et végétale, l’énergie et l’évolution du climat (ONU)

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La biodiversité, un support à des services écosystémiques

• Les services écosystémiques résultent des interactions entre organismes qui façonnent les milieux et le fonctionnement des écosystèmes. La purification de l’air ou de l’eau, le stockage du carbone, la fertilité des sols sont autant de services résultant non d’organismes, mais d’interactions

• La principale difficulté, pour apprécier les enjeux socioéconomiques de la biodiversité, est d’abord d’identifier toute l’étendue de sa présence dans la vie quotidienne des humains : elle est partout, de l’alimentation à la digestion, de la préservation de la peau à l’industrie chimique

• Le Millenium Ecosystem Assessment a proposé de classer les services écosystémiques en 4 grands groupes

→ « Les services d’un écosystème sont les bénéfices que retirent les individus à partir de cet écosystème » (MEA, 2005).

Fonctions de base Fonctions de base (entretien de la fonctionnalit(entretien de la fonctionnalitéé))- Cycles des nutriments (carbone, azote, phosphore, etc.)- Formation des sols- Production primaire

Fonctions de base Fonctions de base (entretien de la fonctionnalit(entretien de la fonctionnalitéé))- Cycles des nutriments (carbone, azote, phosphore, etc.)- Formation des sols- Production primaire

Services Services dd’’approvisionnementapprovisionnement- Alimentation-Eau douce- Bois et fibres- Bioénergies, etc.

Services Services dd’’approvisionnementapprovisionnement- Alimentation-Eau douce- Bois et fibres- Bioénergies, etc.

Services culturelsServices culturels- esthétiques- spirituels- éducatifs et pédagogiques- récréatifs, etc.

Services culturelsServices culturels- esthétiques- spirituels- éducatifs et pédagogiques- récréatifs, etc.

Services de rServices de réégulationgulation- climat- hydrologie (étiages, inondations)- épuration des eaux- maladies (homme, plantes, animaux)- etc.

Services de rServices de réégulationgulation- climat- hydrologie (étiages, inondations)- épuration des eaux- maladies (homme, plantes, animaux)- etc.

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Trois exemples actuels

• Coûts de l’effondrement des pêcheries maritimes

Pour plus d’un milliard d’être humains, le poisson représente l’unique ou la principale source de protéine animale, notamment dans les PED

• Importance de la biodiversité pour la pollinisation Un service estimé à 150 milliards d’€ pour 2005 encore largement rendu par des

pollinisateurs sauvages

• Risques sanitaires liés aux perturbations des écosystèmes Des expériences convergentes (Brésil, États-Unis) montrent que la biodiversité est un

facteur important d’inhibition de nombreuses maladies (leishmaniose, maladie de Lyme, etc.)

A l’opposé, la destruction des milieux est un facteur favorisant de propagation de ces maladies

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Les bénéfices tirés des écosystèmes et leurs liens avec le bien-être de l’homme

(Source : Millenium Ecosystem Assessment, 2005)

La liberté de choisir suppose l’existence d’alternatives, notamment techniques, mais aussi politiques, économiques, culturelles…

C’est aussi une façon d’approcher la question de la valeur

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Lien entre la biodiversité et la production des services par les écosystèmes

Source : Commission européenne, 2008

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Le coût de l’inaction

Établissement d’un scénario d’analyse du coût de la perte de biodiversité

Source : The Cost of Policy Inaction (COPI interim report, 2008)

Des pertes estimées à 12 T€/an en 2050 relativement à 2010

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Evaluer économiquement la biodiversité ?

Est ce…

Techniquement irrealiste ?

évalue la biodiversité

Une question naïve ?Ethiquement inacceptable?

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Pourquoi une évaluation économique de la biodiversité ?

→ La biodiversité ne s’échange pas sur un marché, elle n’a donc pas de prix.

→ Par assimilation abusive, les individus tendent à agir comme si elle n’avait pas de valeur, même si le coût de la détérioration de la biodiversité devient de plus en plus apparent.

La biodiversité est un bien public : Non Exclusif : personne ne peut être empêchée d’utiliser le bien Non Rival : l’usage par une personne ne diminue pas celui d’une autre

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Pourquoi une évaluation économique de la biodiversité ? (suite)

→ Non-prise en compte de la biodiversité dans les calculs des agents économiques

→ Risque d’une mauvaise allocation des ressources (et donc d’érosion de la biodiversité)

→ Solution : Estimer la valeur de la biodiversité afin que les agents la prennent en compte

Apporter des éléments d’information (quantitatifs) les plus objectifs possibles sur lesquels pourront s’appuyer les décisions publiques et privées

→ L’intégration des coûts et des bénéfices environnementaux est essentielle pour permettre aux décideurs d’effectuer des choix d’investissements ou de projets de manière rationnelle.

→ Nécessité de mieux cerner la valeur de la biodiversité pour la comparer au coût d’opportunité de conservation : arbitrage conservation / développement économique.

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L'évaluation économique de la biodiversité : un exercice difficile

Besoin de définir pour mesurer, or :

Pas de définition claire de la biodiversité Chaque définition induit une mesure particulière Difficulté d’évaluer le rôle de stabilité et de résilience de la

biodiversité

En outre, la biodiversité est une affaire d’interactions : interactions à l’intérieur de chaque espèce, entre espèces, et entre espèces et milieu :

Par exemple, il ne s’agit pas d’évaluer une espèce mais d’estimer la valeur de cette espèce comme composant d’un ensemble plus vaste (Biodiversité # Ressources biologiques)

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Quelques concepts d'économie

Distinction : valeur, prix et coût

- Valeur = repose sur le concept d’utilité, de préférence, de bien-être

- Prix = équivalent monétaire de la valeur sur un marché

- Coût = meilleure opportunité à laquelle on renonce pour acquérir un bien

Pas de relation d’ordre générale :

Yves Klein, Monochrome bleu (IKB3), 1957Ours en peluche, ~1957

V(i) < C < P < V (j) P < C < V

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Évaluer la biodiversité dans une perspective économique

• La conception économique de la valeur :

– Anthropocentrée : basée sur le bonheur des (seuls ?) humains

– Utilitariste (conséquentialiste) : maximiser le bien-être

– Subjective : chacun est le meilleur juge de ses préférences

– Marginaliste (on ne mesure pas vraiment, on compare)

Construire des indicateurs ayant la dimension de prix

L’évaluation économique consiste à mesurer la variation de bien-être engendrée par l’évolution de la qualité et de la disponibilité d’un bien ou d’un service.

→ Notion de (variation de) surplus

!!! La valeur économique totale ne reflète pas la véritable "valeur de la nature"

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Les composantes de la valeur économique totale

• Des valeurs d’usage réel ou effectif

– Usages directs : productifs, récréatifs, esthétiques, santé

• usages de consommation directe (alimentation, énergie, plantes médicinales..)

• usages productifs = ressources industrielle (pharmaceutique, énergie, matériaux...)

• usages n’impliquant pas la consommation, comme les usages récréatifs ou esthétiques, le tourisme, les science et l’éducation.

– Usages indirects : valoriser les fonctions et services écologiques

avantages liés à la demande dérivée pour le maintien d’écosystèmes qui fournissent des services contribuant au bien-être sans impliquer d’interaction directe (services contribuant à la productivité des agro-systèmes ; régulation des climats ; entretien de la fertilité des sols ; contrôle du ruissellement et des flux hydriques ; épuration des eaux ou de l’atmosphère... )

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Les composantes de la valeur économique totale (suite)

• Des valeurs d’usage potentiel

– Valeur d’option statique (assurance face à incertitude sur les usages futurs)

– Valeur d’option dynamique (meilleurs choix si amélioration de l’information)

• Des valeurs de non-usage ou d’usage passif parmi lesquelles la littérature distingue trois formes d’altruisme ou de sujets sur lesquels il s’exerce :

– l’altruisme envers nos contemporains qui fait que nous valorisons la préservation d’écosystèmes au motifs que d’autres en tirent un bénéfice ; c’est la notion de valeur d’usage par procuration (« vicarious use value »)

– l’altruisme envers nos descendants ou, plus généralement, les générations futures à qui nous souhaitons léguer, laisser en héritage des écosystèmes fonctionnels et utilisables (« bequest value »)

– l’altruisme envers les espèces non humaines auxquelles nous pouvons reconnaître une certaine forme de droit moral à exister (« existence value »)

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Les composantes de la valeur économique totale : synthèse

Source : CAS, 2008

Valeurs non-anthropocentrique

Valeurs instru-

mentales

Valeurs intrin-

sèques

• Intérêt des entitéspour elles-mêmes et pour les ensembles dans les-quels elles s’insèrent

• Valeur inhérente, indépen-damment de tout évaluateur

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Les méthodes d’évaluation des actifs non marchands

• Plusieurs approches selon la nature de l’actif à évaluer et le type d’informations accessibles

• Toutes très imparfaites : il s’agit d’approximations raisonnables

• Sont-elles meilleures que l’absence d’évaluation ? – Ce point a longuement été discuté (Diamond & Hausman, JEP, 1994) – Un nombre plus ou moins aléatoire peut créer l’illusion de la certitude

(par exemple, l’évaluation du service de pollinisation en 2005 à 153G€)

• Que se passe-t-il en l’absence d’évaluation ? – On suit les goûts du Prince ou les intérêts des lobbies les mieux défendus ? – On se conforme à une idéologie, à la mode du moment ? – On fait confiance aux élites (mieux formées, mieux informées) qui savent,

mieux que les populations, quel est leur intérêt ?

• A quoi ça sert ? – Ex post : fournir une référence pour le calcul d’indemnisations – Ex ante : intégrer l’environnement à parité avec d’autres enjeux dans

l’évaluation des projets (aménagement, investissement, transport)

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Évaluations économiques et choix collectifs

Les évaluations économiques visent a priori à éclairer les choix collectifs. Mais il existe différents niveaux de décisions publiques

1. Rationaliser la stratégie de conservation ? Approche coût-efficacité : on réalise toutes les actions de conservation

qui ont un « coût unitaire » inférieur à un certain montant

2. Rationaliser l’effort de conservation ? Approche coûts-avantages : on vise la maximisation du « bien-être »

Les actions de conservation sont mises en balance avec d’autres sources de bien-être dans la société

3. Prendre en compte les pertes de valeur sociale liées à la dégradation de la biodiversité et des écosystèmes dans l’évaluation des projets (autoroute, LGV, lotissement, politique agricole…)

On cherche des indicateurs de ces pertes, commensurables aux autres aspects du projet (équivalent-prix)

Cela donne une information qui peut être comparée, par exemple, aux « coûts d’opportunité » des actions de conservation

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Des techniques d’évaluation… très discutées

1. Les méthodes basées sur les coûts : Coûts de remplacement (ou de restauration) Effets sur la productivité

2. Les méthodes basées sur les préférences révélées : Coûts de prévention ou de protection Coûts de déplacement Prix hédonistes

3. Les méthodes basées sur les préférences déclarées : Évaluations contingentes Analyses conjointes

4. Les transferts de valeur

Plutôt une fonction qu’une valeur moyenne

Des bases de données (EVRI, Envalue, ESD…)

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Les méthodes basées sur les coûts

... coûts observables, directement ou indirectement par des effets de productivité.

Coûts de remplacement (ou de restauration) : consiste à assimiler la valeur d'un bien ou d'un service environnemental aux dépenses qu'il faudrait engager pour remplacer ses fonctions.

Exemple : dégradation de l'eau potable d'un bassin versant

- Alternative au BV : construction d'une usine de traitement de l'eau, investissement estimé à 6-8 milliards $, plus 300-500 millions $/an pour l'entretien

- Programme de restauration/protection du BV : coût = 1,5 milliard $

Effets sur la productivité : consiste à assimiler la valeur d'un bien ou service environnemental à la perte de production qui résulterait de sa disparition

Cas de B&S liés à des activités marchandes

Exemple : contribution des insectes pollinisateurs à la production agricole mondiale estimée à 153 milliards d'€ (= valeur éco des pertes de production qui résulteraient de la disparition de ces insectes)

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Les méthodes basées sur les préférences révélées

... révélées par les comportements effectifs observés sur les marchés

Coûts de prévention ou de protection : consiste à évaluer les dépenses réalisées par les individus pour éviter des impacts négatifs (externalités négatives)

Exemples : achat d'eau en bouteille pour se prémunir des polluants de l'eau ; achat de fenêtres à double vitrage pour atténuer la nuisance sonore extérieure

Coûts de déplacement : à l'origine de la méthode, l'idée que « pour bénéficier des aménités récréatives procurées par un site naturel, le visiteur doit se déplacer jusqu'à ce site et subir des coûts (notamment de transport). Ces coûts constituent des prix implicites et permettent d'estimer la valeur d'usage récréative du site »

Exemple : valeur d'usage récréatif des Flamants rose de Camargue

coût protection vs valeur récréative → justification action protect° si coût < valeur

Prix hédonistes : idée que le prix d'un bien immobilier (ou autre bien marchand) dépend de ses différentes caractéristiques, parmi lesquelles la qualité de l'environnement

Différences de prix → prix implicite du bien ou service environnemental

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Les méthodes basées sur les préférences déclarées

... déclarations recueillies dans le cadre d'enquêtes par questionnaire

Évaluation contingente : permet d'obtenir directement le consentement à payer des individus sur des marchés hypothétiques

Exemple : Combien seriez-vous prêt à payer pour la protection des flamants rose de Camargue ?

Analyse conjointe : même principe que l'évaluation contingente mais s'applique à des problèmes multidimensionnels

Exemple : Un plan de gestion qui vise plusieurs objectifs (préservation d'une espèce particulière, d'un service particulier) → identification de plusieurs scénarios possibles, chacun affecté d'un coût

Choix d'un scénario par l'individu → révélation (indirecte) de la valeur qu'il accorde à chaque objectif

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Toutes ces approches rencontrent des limites fortes

• Des limites informationnelles : • Les méthodes basées sur des coûts doivent être contraintes par des

valeurs (si la restauration d’un écosystème vaut 10 fois ce que les agents sont prêts à dépenser pour restaurer, que fait-on ?)

• Les méthodes basées sur des préférences révélées ne capturent généralement qu’une partie de la valeur

• Des biais systématiques : • Les méthodes basées sur des préférences révélées ne portent que sur

certaines valeurs d’usage réel (récréatif, aménités esthétiques…) • Les méthodes basées sur des préférences déclarées peuvent aboutir à des

mesures déformées (biais hypothétique, stratégique, d’inclusion…)

• L’évaluateur est confronté à un dilemme, choisir entre • des méthodes robustes (il y a des observations : coûts, comportements) sur

un spectre limité (aux valeurs d’usage réel) • des approches à spectre plus large (potentiellement toutes les valeurs sont

identifiables) ; mais peu robustes (basées sur de simples déclarations)

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Biodiversité : que peut-on évaluer ?

• Quel est l’objet de l’évaluation ?• La diversité de la biodiversité • Des gènes• Des espèces • Des milieux, écosystèmes, habitats • Des fonctions : plutôt des services liés

aux écosystèmes

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Incertitudes et controverses

• On peut évaluer des services écosystémiques menacés… mais difficilement des services irremplaçables

• Les évaluations ne peuvent évidemment pas porter sur la fonction globale de support de la vie

• Malgré des tentatives audacieuses (Costanza et al., 1997 ; Pimentel et al., 1997), on ne sait pas vraiment mesurer la valeur de l’ensemble des écosystèmes

• L’initiative TEEB (The Economics of the Ecosystems and Biodiversity, P. Sukhdev, 2008-2011) vise à mesurer des variations à grande échelle à partir de scénarios (Impact pathway)

• On peut, en revanche, assez bien mesurer les services perdus du fait de la destruction d’une unité de forêt ou de zone humide.

• Hectare après hectare, le monde change irréversiblement et on ne sait pas où est le seuil d’une irréversibilité vraiment coûteuse

• Les valeurs peuvent donc être logiquement faibles (résilience des écosystèmes), aussi longtemps qu’on est loin d’un effondrement

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Vers des valeurs de référence pour le calcul économique public

Conclusions et perspectives (CAS)

1) Confirmation de l’importance des services non-marchands (notamment de régulation) et conséquences possibles sur la hiérarchie des choix publics

2) Les valeurs de références ne sont que des… références :

• Qui devront être « spatialisées » (paramétrées en fonction de variables localisées)

• Qui doivent être situées dans une perspective temporelle (ce type d’écosystème ou de service est il menacé de raréfaction, de disparition…)

3) Importance de procédures permanentes, transparentes et légitimes pour fixer ces valeurs et réguler leur utilisation

Services Valeur proposée

Services de prélèvement

- bois - autres produits forestiers (hors gibier)

75 € (75 à 160 €)

10 à 15 €

Services de régulation

- fixation carbone

- stockage carbone

- autres gaz atmosphériques

115 €

414 € (207 à 414 €)

Non évaluée

- eau (quantité annuelle)

- eau (régulation des débits)

- eau (qualité)

- protection (érosion, crues)

- biodiversité

- autres services de régulation (santé, etc.)

0 €

Non évaluée

90 €

Non évaluée

Non évaluée directement

Non évaluée

Services culturels

- promenades (hors cueillette et chasse)

- chasse

- autres services culturels

200 € (0 à 1 000 €)

55-69 €

Non évaluée

TOTAL (min.-max.)**

env. 970 € 500 à plus de

2 000 €

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Pour conclure

La science ne nous dit pas ce que nous avons à faire

Évaluer la biodiversité est une voie d’acquisition et d’organisation de l’information en vue de prendre de meilleures décisions

Évaluer la biodiversité et les services liés aux écosystèmes est un choix stratégique qui repose sur un a priori : nous vivons dans un monde de rareté croissante (plus nombreux, plus riches) qui implique(ra) des choix

L’évaluation de la biodiversité n’implique pas que la biodiversité devienne un bien marchand et les « valeurs » n’ont pas vocation à devenir les prix de permis de détruire.

La gestion de la biodiversité « ordinaire » est une priorité que la réflexion sur les services écosystémiques contribuera à réaliser de façon plus efficace, peut être plus juste, en tous cas plus consciente et, si possible, objet de délibérations collectives.

Évaluer la biodiversité et les services liés aux écosystèmes est sans doute une chose trop grave pour être confiée aux (seuls) économistes.

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Merci de votre attention