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EXAMEN DE JURISPRUDENCE (1966 à 1969) LES BIENS PAR CLAUDE RENARD PROFESSEUR A L'UNIVERSITÉ DE LIÈGE ET JACQUES HANSENNE PROFESSEUR A L'UNIVERSITÉ DE LIÈGE 1. Distinction des biens. 1. IMMEUBLES PAR NATURE.- BATIMENTS ET CONSTRUCTIONS. - Parmi les immeubles par nature, le Code civil range les bâtiments (art. 518). D'une façon générale, on entend par là, essentiellement, les constructions incorporées au sol (AUBRY et RAu, Cours, 5e éd., t. II, § 164; GALOPIN, Les biens, la propriété et les servitudes, 1932, 21; DE PAGE et DEKKERS, Traité élémentaire, t. V, 638). Cette définition générale l'est-elle à ce point qu'elle puisse être utilisée aux fins de préciser le sens de toutes les lois spéciales qui, sans autres entendent soumettre à un régime spécifique les<< bâtiments>>, les<< construc- tions >> ou les << propriétés bâties >> Plusieurs décisions récentes invitent l'interprète à s'interroger sur la portée exacte du con- cept traditionnellement reçu en droit civil : a) Faut-il y faire référence pour définir ce qu'il convient d'entendre par << immeubles bâtis >>, au sens des articles 364 et suivants du Code des impôts sur les revenus, relatifs à la déter- mination du revenu cadastral des propriétés Oui, répond la cour d'appel de Gand (17 mai 1966, R.G.E.N., 1967, 403; Rev. fisc., 1967, 322 et note DE LONGUEVILLE). Et d'en tirer

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EXAMEN DE JURISPRUDENCE (1966 à 1969)

LES BIENS PAR

CLAUDE RENARD PROFESSEUR A L'UNIVERSITÉ DE LIÈGE

ET

JACQUES HANSENNE PROFESSEUR A L'UNIVERSITÉ DE LIÈGE

1. Distinction des biens.

1. IMMEUBLES PAR NATURE.- BATIMENTS ET CONSTRUCTIONS. - Parmi les immeubles par nature, le Code civil range les bâtiments (art. 518). D'une façon générale, on entend par là, essentiellement, les constructions incorporées au sol (AUBRY et RAu, Cours, 5e éd., t. II, § 164; GALOPIN, Les biens, la propriété et les servitudes, 1932, n° 21; DE PAGE et DEKKERS, Traité élémentaire, t. V, n° 638). Cette définition générale l'est-elle à ce point qu'elle puisse être utilisée aux fins de préciser le sens de toutes les lois spéciales qui, sans autres indicatio~s, entendent soumettre à un régime spécifique les<< bâtiments>>, les<< construc­tions >> ou les << propriétés bâties >> ~ Plusieurs décisions récentes invitent l'interprète à s'interroger sur la portée exacte du con­cept traditionnellement reçu en droit civil :

a) Faut-il y faire référence pour définir ce qu'il convient d'entendre par << immeubles bâtis >>, au sens des articles 364 et suivants du Code des impôts sur les revenus, relatifs à la déter­mination du revenu cadastral des propriétés foncières~ Oui, répond la cour d'appel de Gand (17 mai 1966, R.G.E.N., 1967, 403; Rev. fisc., 1967, 322 et note DE LONGUEVILLE). Et d'en tirer

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la conséquence qu'on ne peut considérer comme propriété bâtie celle qui supporte un petit chalet de camping, non fixé par fonda­tions ou canalisations et déplaçable sans démontage, sans dommage ni reconstruction. C'est que, pour la cour, l'article 518 implique une fixation au sol, de telle sorte qu'on ne puisse enlever ou déplacer la construction sans dommages. L'affirmation est quelque peu excessive : si l'incorporation est certes habi­tuellement considérée comme la condition nécessaire et suffisante de l'immobilisation par nature, on sait qu'il ne s'agit là que d'un principe, auquel doctrine et jurisprudence acceptent parfois de déroger dès lors que l'ouvrage présente une adhérence pondé­reuse et durable avec le sol (PLANIOL et RIPERT, Traité pratique, 2e éd., t. III, Les biens, par PICARD, no 73, comp. cass. fr., 29 juillet 1902, Dalloz, 1902, I, 492). En l'espèc~ la décision n'en reste pas moins justifiable car l'installation ressemblait plus à une roulotte sans roues qu'à un bâtiment sans fondations et ne se caractérisait guère, semble-t-il, par cette adhérence postulée par l'exception : sa légèreté et sa mobilité potentielle ne pou­vaient donc que conduire à la solution retenue.

b) C'est un autre chalet préfabriqué qui est l'occasion de notre seconde interrogation quant au champ d'application de l'article 518 du Code civil. Est-ce pareillement à lui, en effet, qu'il faut faire appel pour déterminer le sens de l'article 61-1 du Code des taxes assimilées au timbre, assujettissant à une taxe de facture tout contrat ayant pour objet un travail immobilier, <<tel que la construction, l'achèvement, la transformation, l'aménagement, la réparation, la démolition de tout ou partie d'un immeuble par nature >> 1 Affirmative est la réponse du tribunal civil de Bruxelles (10 juin 1964, R.G.E.N., 1965, no 20823), qui décide en consé­quence de considérer comme immeuble une petite construction en bois faite d'éléments assemblés. Le défendeur argua en vain de l'absence totale de fondations et d'assise ferme sur le sol, l'ouvrage reposant sur des blocs de cendrée et de béton simple­ment posés sur le sol en vue d'assurer l'isolement; pas davantage le juge ne retint que la << construction >> était démontable et que son enlèvement n'occasionnerait aucun dommage aux éléments la composant. On aurait tort, en comparant les deux décisions ci-dessus, de conclure à de profondes divergences jurispruden­tielles : il y a .chalet et chalet, adhérence et adhérence. En

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l'espèce, cette dernière pouvait passer pour certaine, le démon­tage et le déplacement - encore que théoriquement possibles -apparaissant comme d'anormales et hypothétiques perspectives (voy. PLANIOL, Traité élémentaire, 10e éd., t. Jer, no 2201, note 1, mais comp., quant à l'exigence du caractère durable de la fixité au sol, CoLIN et CAPITANT, Traité, par JuLLIOT DE LA MüRANDIÈRE, 1957, t. Jer, no 647; MARTY et RAYNAUD, Droit civil, t. Jer, no 314; H., L. et J. MAZEAUD, Leçons, t. Jer, no 188).

c) En revanche, la cour de cassation ne s'appuie en aucune façon sur le droit civil pour préciser le sens de l'article 44 de la loi du 29 mars 1962, organique de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme, en tant que ce texte oblige celui qui entend << construire >> à solliciter un permis de bâtir.

Pour la cour suprême, le terme employé par le législateur de 1962 <<désigne l'action d'élever un ouvrage destiné à rester en place et dont l'appui sur le sol assure la stabilité>>. En consé­quence, l'absence d'ancrage d'un bungalow posé sur des blocs de béton ne suffit pas à soustraire le propriétaire au champ d'application de la loi (cass., 24 janvier 1966, J. T., 1966, 324; voy. aussi Bruxelles 16 décembre 1964, R. W., 1964-1965, col. 2129). La définition de la construction donnée par la cour de cassation est certes de nature à englober plus d'hypothèses que le concept << civil >> d'immeuble par nature, dans la mesure où, pour la théorie classique, la<< précarité du moyen d'attache et, a fortiori, l'absence de tout moyen d'attache proprement dit, demeurent des éléments déterminants dans le refus d'attribu­tion du caractère immobilier>> (CL. RENARD, Les biens, la pro­priété et les droits réels principaux, polyc., Les Presses Universi­taires de Liège, n° 17. Comp. B. GLANSDORFF, Les droits réels, 1965-1966, J.T., 1966, 1, n° 2). Compte tenu des objectifs pour­suivis par la réglementation sur l'aménagement du territoire (voy. article 1, alinéa 2, de la loi du 29 mars 1962), une telle conception nous paraît devoir être approuvée. Dans un arrêt·.du 16 mai 1969 (J.T., 1969, 407), la cour de Liège l'a fait sienne à juste titre, en ordonnant la démolition d'un chalet établi sans permis et auquel son propriétaire avait adjoint des roues et un timon, afin de le faire passer pour · caravane, au demeurant d'un singulier gabarit ! (Sur tous ces points voy. R. DERINE, Overzicht van rechtspraak [1965-1968], Zakenrecht, Tijdschrijt voor privaatrecht, 1969, 681 et suiv., no 1).

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2. IMMOBILISATION PAR DESTINATION ÉCONOMIQUE.- PERSIS­TANCE DE L'IMMOBILISATION. - Quelque acception, large OU

étroite, que l'on donne au concept d'immobilisation par destina­tion économique (voy. cette Revue; 1962, p. 237, et 1966, p. 312}, il est hors de doute que doit revêtir cette qualité le matériel affecté à l'exploitation d'un café et d'une salle de cinéma, dans un bâtiment aménagé à ces fins. Il n'est pas douteux non plus que le caractère immobilier dudit matériel subsiste, en cas d'aliénation, dès lors qu'il apparaît que, simultanément, une seconde convention a pour objet l'aliénation de l'immeuble par nature au même acquéreur (GALOPIN, op. cit., n° 32, p. 43, note 2; MARTY et RAYNAUD, op. cit., t. Ier, n° 317, note 2). C'est ce qu'a soutenu avec raison - et avec succès - l'administration de l'Enregistrement et des Domaines devant le tribunal de première instance de Charleroi (17 octobre 1967, R.G.E.N., 1968, 21133; voy. aussi civ. Bruges, 12 novembre 1913, Pas., 1914, III, 270}. Importe peu, bien entendu, l'<< erreur >> des parties qui auraient considéré que le matériel n'est pas immeuble par destination lorsqu'il n'est pas fixé à perpétuelle demeure ( comp. cette Revue, 1966, p. 313, no 57).

Il n'y a pas davantage cessation de l'immobilisation par desti­nation économique, du moins dans la mesure où celle-ci profite au créancier hypothécaire d'un immeuble par nature, dans l'hypo­thèse où, après déclaration de faillite, le curateur vend succes­sivement le bâtiment et les objets affectés au service du fonds exploité (comm. Anvers, 7 février 1968, R. W., 1967-1968, col. 2011 ). Réalisée avant la déclaration de faillite, par le débiteur, une telle opération eût dû être considérée comme illicite (DE PAGE et DEKKERS, op. cit., t. VII, no 585 in fine); le relais pris par le curateur ne modifie en principe ni les données du problème ni sa solution.

3. MOBILISATION PAR ANTICIPATION. - CONDITIONS ET LIMITES.- La vente d'une coupe de bois sur pied est une vente de meubles par anticipation. Le tribunal de commerce de Tournai l'a rappelé récemment à deux reprises (comm. Tournai, 24 mars 1966, Rev. prat. not., 1966, p. 214 avec obs. J.B., et J.T., 1966, p. 376; comm. Tournai, 27 décembre 1968, J.O.B., 1968, I, 673}, en soulignant qu'il ne peut en être autrement dès lors que le vendeur n'entend transporter à l'acheteur aucun droit sur l'im-

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meuble auquel les arbres sont incorporés et que l'acheteur n'entend acquérir que le droit de les détacher du sol et d'en disposer après les avoir enlevés.

La vente d'un bâtiment destiné à être démoli peut pareillement être co:r;tsidérée comme une vente mobilière, lorsque les éléments qui composent la construction sont envisagés par les parties dans l'état futur qui résultera de leur séparation d'avec le sol. Cette solution, qui trouve son fondement dans le respect de la volonté des contractants, ne peut cependant conduire à couvrir une fraude, par exemple au détriment des impératifs de nos lois fiscales. Une telle volonté d'échapper à l'impôt est évidente lorsque l'on découvre l'existence de deux conventions de même date, l'une ayant pour objet la cession du sol, l'autre l'aliénation au même acquéreur de bâtiments décrits par la convention comme <<immeuble à démolir>>. Ainsi en décide le tribunal de première instance de Charleroi (24 novembre 1967, R.G.E.N., 1968, n° 21134 et obs.), en notant que<< seule la vente isolée de semblables immeubles à un acquéreur distinct de l'acquéreur du terrain et avec obligation de démolir, peut par une fiction juri­dique être considérée comme vente mobilière>> ... Argumentant des articles 74 et 75 du Code des droits d'enregistrement, le tribunal ajoute que l'acquéreur du fonds et des constructions à démolir doit acquitter pour le tout le droit fixé pour les ventes d'immeubles, même si l'opération est effectuée en deux fois, <<sauf au cas où, dans cette hypothèse, les bâtiments seraient déjà complètement démolis lorsque leur acquéreur fait l'acqui­sition du fonds>>. Compte tenu de la précision des dispositions fiscales susvisées, la s?lution nous paraît digne d'être en tout point approuvée (voy. aussi, a propos d'une hypothèse- fort semblable- relative à la vente d'un<< terril>>, la décision admi­nistrative du 12 janvier 1967, N° E. E. 79/937, Rev. prat. not., 1968, p. 401 ).

II. La propriété en général.

A. - Preuve. - Revendication. - Bornage.

4. PREUVE DE LA PROPRIÉTÉ IMMOBILIÈRE, TITRE ET USUCA.:.

PION.- Une longue et âpre bataille pour neuf ares· de terrain a obligé le tribunal civil et la cour d'appel de Bruxelles (civ.

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Bruxelles, 3 mars 1964, Pas., 1966, III, 126; Bruxelles, 23novem­bre 1965, Pas., 1966, II, 281, et 29 juin 1966, Pas., 1967, II, 118) à recourir à tout l'arsenal des principes, générauxmaiscomplexes, relatifs à la preuve de la propriété immobilière. Se prétendant propriétaire d'une parcelle, le demandeur assigne- semble-t-il­tout à la fois en revendication et en annulation de l'acte d'achat au moyen duquel le défendeur aurait prétendument acquis le bien. C'est trop, estime à juste titre le tribunal, l'action en nullité pour vente de la chose d'autrui, prévue par l'article 1599 du Code civil, devant être réservée au seul acheteur (cass., 30 janvier 1941, Pas., 1941, I, 24). Seule est recevable une rei vindicatio, laquelle suppose que l'on fasse la preuve de son droit de propriété.

A cette fin, le demandeur invoque d'abord son propre acte d'acquisition, en alléguant que la transcription a rendu opposable aux tiers, dont le défendeur, le droit de propriété que cette convention entendait transférer. V aine prétention, répond le tribunal, approuvé sur ce point par la cour d'appel : la tran­scription des actes translatifs de propriété a pour seul effet de rendre l'acte lui-même opposable aux tiers, mais non le droit réel qui en est l'objet; en d'autres termes, la transcription ne purge. pas l'acte de ses vices et, sur ce point, la maxime nemo plus juris ad alium transferre potest reste d'application. Le titre de propriété ne peut donc, précise la cour, avoir que la valeur de présomption humaine, neutralisée in casu par l'égale force pro­bante du titre d'acquisition du défendeur (Bruxelles, 23 novem­bre 1965, précité).

N'est pas davantage déterminante, ajoute le jugement, la pro­duction des titres en vertu desquels les auteurs du demandeur auraient successivement exercé un droit de propriété sur le fonds litigieux : <<ces titres ne comportent, en effet, que des actes d'achat et une délivrance de legs, c'est-à-dire des modes dérivés d'acquisition>>. D'où la conclusion que,<< comme tels, ils ne ren­dent, pas plus que l'acte d'acquisition du demandeur lui-même, opposable aux tiers le droit réel qu'ils ont pour objet >>. La position adoptée par le premier juge n'est pas pleinement justifiée, car s'il est vrai que<< comme tels>> ces actes ne font point preuve déci­sive, ils pourraient du moins aider à faire la preuve d'une jonction de possessions utiles pour prescrire par trente ans (art. 2235 C.e.).

Le demandeur ne paraît pas avoir vu tout le parti qu'il pouvait tirer de cette collection d'actes. Il a préféré invoquer le méca-

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nisme de l'usucapion abrégée prévue par les articles 2265 et suivants, en arguant de l'existence dans son chef d'un juste titre translatif et d'une bonne foi que personne d'ailleurs ne songeait à contester. Sur le plan de l'efficacité, la tactique n'était pas moins bonne : qu'elle exige trente, vingt ou dix ans, la prescrip­tion est· un mode originaire d'acquérir, de nature à établir erga omnes la propriété du possesseur pro suo.

5. PREUVE DE LA PROPRIÉTÉ IMMOBILIÈRE. - TITRE ET POSSESSION. -- Le seul moyen décisif de faire la preuve de sa pro­priété est d'établir l'existence à son profit d'une mode originaire d'acquérir (usucapion, comme dans l'hypothèse précédente, accession, invention, occupation ... ). Il conviendra, pour arriver à ce résultat, d'établir par toutes voies de droit l'existence des faits matériels qui ont pu faire jouer le mécanisme allégué. En revanche, celui qui ne peut invoquer qu'une mode dérivé d'acquérir voit son sort subordonné à l'efficacité des présomptions de propriété que le juge voudra bien prendre en considération. C'est ce que rappelle fort justement la cour d'appel de Bruxelles (Bruxelles, 11 janvier 1967, Tijd. not., 1968, p. 210; Pas., 1967, II, 192), à propos d'un conflit dans lequel chacune des parties, soucieuse d'échapper aux charges pesant sur la propriété d'une cave, prétendait n'être point propriétaire du bien litigieux. La cour précise à juste titre que le demandeur ne peut être tenu de fournir une preuve écrite du droit de propriété du défendeur, puisque notre droit civil n'a établi aucun moyen de se réserver - in tempore non suspecta - une preuve absolue de la propriété.

En soi, la production par un plaideur de son titre d'acquisition constitue une présomption de titularité (voy. par exemple RIPERT et BouLANGER, Traité, t. II, 1957, n° 2341 in fine). La possession effective du bien renforcera ce premier élément de preuve et sera généralement décisive dans l'hypothèse où les parties au litige produisent chacune un titre, la contradiction des actes d'acquisition devant, sauf circonstances spéciales, se résoudre par application de la règle in pari causa, melior est causa possidentis {AUBRY et RAu, op cit., t. II, § 219, texte et note 9; voy. aussi, dans le même paragraphe, la note 6. Comp. PLANIOL et RIPERT, op. cit., t. III, n°8 359 et 363 in fine). Encore faut-il, bien entendu, que l'on, se trouve en présence d'une véritable possession, dont les éléments constitutifs soient in con-

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testables. La cour suprême le souligne opportunément dans tin arrêt du 25 mars 1966 (Pas., 1966, I, 967, R. W., 1966-1967, col. 886). En l'espèce, le propriétaire d'un immeuble entend se soustraire à une action en cession de mitoyenneté (art. 661 du Code civil) au motif que le passage séparant son habitation de celle du voisin est sa propriété et que, partant, le fonds de son adversaire ne joint pas immédiatement le mur de sa bâtisse. Pour établir sa propriété sur la bande de terre litigieuse, il invoque, outre un acte d'acquisition contredit par l'acte d'acqui­sition du voisin, sa possession, laquelle résulterait du fait qu'une conduite d'eau, fixée au mur de son bâtiment, ainsi qu'une gouttière, surplombent le passage. Ce n'est pas suffisant, estime avec raison la cour de cassation, car si ces circonstances établis­sent la possession du mur auquel sont fixées la gouttière et la conduite (ce qui n'est nullement contesté par le voisin, puisqu'il assigne en cession de mitoyenneté), il n'est pas permis d'en dé­duire la détention matérielle ou la jouissance du passage même.

La possession joue le même rôle précieux en matière mobilière. Dans l'affaire tranchée par la cour d'appel de Liège le 5 avril 1965 (J.L., 1964-1965, 289) le ·créancier d'une dame entend saisir des meubles que son concubin prétend lui appartenir en propre mais sis dans l'appartmnent qu'ils occupent en commun. Pour soustraire ses biens à la saisie, le concubin· produit divers documents tendant à prouver qu'il est propriétaire du mobilier et démontre que le bail de l'appartement était à son seul nom, qu'il liquidait seul la prime d'assurance du mobilier, de même que les redevances d'eau, de gaz et d'électricité. La cour le présume propriétaire des meubles et déboute en conséquence le créancier, faute pour lui de rapporter la preuve d'une vice de possession ou d'une fraude. Cette décision, au démeurant justifiée quant à sa solution, appelle deux remarques. D'abord, il semble bien que le seul vice qu'eût pu démontrer le créancier était l'équivoque portant sur le <<corpus>> de la possession (sur cette notion, voy. CL. RENARD, op. cit., n° 99 et n° 361, et les notes 1 et 2); mais il semble bien aussi que - compte tenu des circonstances de fait - cette preuve eût été bien malaisée. Ensuite, l'arrêt fait de la possession une présomption de propriété en arguant de l'article 2279; or il est clair qu'on se trouve ici en dehors des conditions techniques permettant l'application de cette règle (voy. infra, nos 12 et 13). La cour eût été mieux

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inspirée si elle s'était bornée à invoquer l'article 2230 du Code civil.

6. DÉTERMINATION DE LA PROPRIÉTÉ IMMOBILIÈRE. - BOR­NAGE ET REVENDICATION. - Ün a déjà eu l'occasion, dans cet examen, de rappeler la différence qui existe entre l'action en bornage et l'action en revendication (voy. cette Revue, 1957, p. 147, no 52; 1962, p. 239, no 103, et 1966, p. 314, no 59). Par la première, on entend exclusivement déterminer les limites de deux propriétés contiguës et matérialiser ces limites, sur le terrain, au moyen de signes appropriés. C'est devant la seconde que l'on se trouve lorsque le demandeur entend se faire recon­naître la propriété exclusive d'une parcelle ou d'une bande de terrain déterminée (vpy. R. DEKKERS, <<Bornage et revendi­cation>>, R.O.J.B., 1960, p. 31, sous cass., 29 mai 1959). La distinction revêt plus d'un intérêt, à commencer par celui que révèlent les règles de compétence judiciaire ( J. de P. Andenne, 19 mai 1967, J.L., 1968-1969, 95) : l'action en bornage doit être portée devant le juge de paix (art. 591, 3° C.J.) alors que, en prin­cipe, le tribunal de première instance est seul habilité à connaître des revendications (voy. toutefois art. 590 et 593 C.J.). La ten­tation peut donc être grande - fût-ce pour cette seule raison -de parer une rei vindicatio des oripeaux de l'action en bornage mais la jurisprudence est et reste sévère, ainsi qu'en témoigne encore une décision du juge de paix de Fexhe-Slins (8 décembre 1965, J.L., 1965-1966, 199), dès lors que se décèle cette prétention à une portion déterminée de terrain qui constitue le criterium de la distinction.

7. DÉTERMINATION DE LA PROPRIÉTÉ IMMOBILIÈRE.- ACTION EN BORNAGE. -CONDITIONS REQUISES ET EFFETS. -PREUVE DU BORNAGE. - Qui peut, cela dit, demander le bornage 1 Le propriétaire,. ditl'article .646 du Code civil; le propriétaire exclu­sivement, précisent certains auteurs (GALOPIN, op. cit., n° 311 et note; MARTY et RAYNAUD, t. II, 2, n° 257 et note 1). Plus nuan;.. cés, PLANIOL et RIPERT (t. III, par PICARD, no 434) affirment que si seul le propriétaire a qualité pour figurer dans les opérations de bornage, l'usufruitier et l'emphytéote ont néanmoins le droit de demander le bornage. Telle est aussi l'opinion de la majorité de la doctrine, qui accorde l'action à toute personne qui possède

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le fonds à titre de titulaire d'un droit réel (AuBRY et RAu, op. cit., t. II, § 199, texte et notes 10 à 13; L. JossERAND, Cours, 2e éd., t. Ier, n° 1437bis; LAURENT, t. VII, no 424; BAUDRY­LACANTINERIE, Précis, 6e éd., t. Ier, no 1461). Une décision du juge de paix d'Andenne (15 janvier 1965, J.L., 1964-1965, p. 272) reconnaît également ce droit au créancier hypothécaire. Une rai­son de douter peut être tirée du fait que le créancier hypothécaire n'a pas du fonds une possession effective. La raison d'approuver doit être déduite de ce que le créancier hypothécaire est titulaire d'un droit réel, et que cette prérogative doit entraîner << le droit de faire délimiter exactement son objet>> (DE PAGE et DEKKERS; op. cit., t. V, n° 958).

L'action en bornage sera évidemment irrecevable s'il apparaît que les fonds sont déjà bornés (cass., 11 janvier 1968, Pas., 1969, I, 605). Encore faut-il apporter la preuve de ce premier abor­nement; l'existence de marques quelconques sur le sol ne suffit pas : il importe que l'on se trouve devant des bornes au sens légal du terme, c'est-à-dire- précise le juge de paix de Jumet (17 février 1965, R.J.l., 1968, no 4535; J.J.P., 1966, 147) -des marques posées à la suite d'un acte contradictoire, convention ou jugement. En l'absence d'un tel acte contradictoire de bor­nage, les bornes prétendues ne constituent que des marques anciennes créant un élément d'appréciation n'ayant même pas la valeur d'une présomption de l'homme, ajoute la décision en invoquant l'opinion de DE PAGE et DEKKERS (t. V, n° 960). Ces auteurs notent cependant que de tels signes constituent du moins un élément de nature à former la conviction du juge. Il en est d'autres, sur lesquels le juge peut se fonder pour conclure, même tacitement, à l'existence d'un précédent bornage et déclarer irrecevable une nouvelle demande. Ainsi décidé par la cour de cassation dans l'arrêt précité du 11 janvier 1968 : le juge du fond peut constater implicitement que les parties ou leurs auteurs ont reconnu de commun accord le caractère de bornes à des fossés, en se fondant sur l'existence de faits matériels, tels l'état des parcelles, de leur exploitation, de leur affectation, ainsi que l'orientation donnée auxdits fossés.

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B. - Modes originaires d'acquérir la propriété.

8. MODES ORIGINAIRES D'ACQUÉRIR LA PROPRIÉTÉ. - 0CCU­p A TI ON. - Si la prise de possession d'une res nullius en fait acquérir la propriété, il reste que l'occupant n'est pas à l'abri de toute surprise lorsque la<< chose>> sur laquelle il exerce sa main­mise se révèle être une poule faisane. En l'espèce, le conducteur d'un véhicule automobile avait involontairement occis le gibier d'un triple coup de calandre, de capot et de pare-brise, en un temps où la chasse n'était pas permise. Maladroit mais néan­moins doué d'esprit pratique, il<< arrêta son véhicule, chargea la poule faisane dans son coffre et reprit sa route>>, ... pour ren­contrer ultérieurement deux représentants de la loi qui sollici­tèrent la visite du véhicule, découvrirent l'oiseau et verbali­sèrent en conséquence. Nul doute, observe le tribunal correction­nel de Dinant (21 décembre 1967, J.L., 1967-1968, 179) que le prévenu- qui n'a d'ailleurs accompli aucun fait de chasse pro­prement dit- soit devenu propriétaire par occupation (voy. par exemple A. BRAAS, Législation de la chasse en Belgique, 1954, n° 21; GALOPIN, op. cit., n° 76; DE PAGE et DEKKERS, op.cit., t. V, n° 12). Il n'en reste pas moins punissable, sur le pied de l'article 10 de la loi du 28 février 1882 sur la chasse, pour avoir transporté ce gibier hors de la période permise.

9. MoDES ORIGINAIRES n'ACQUÉRIR LA PROPRIÉTÉ.- AccEs­SION.- CHAMP D'APPLICATION DE L'ARTICLE 555 DU CODE CIVIL. - SORT DES CONSTRUCTIONS ACCOMPLIES PAR LE LOCATAIRE. -Le régime applicable aux constructions édifiées par le locataire sur le fonds qui fait l'objet du bail est complexe. Il convient en effet d'envisager une multiplicité d'hypothèses distinctes : les travaux accomplis par le preneur sont-ils ou non susceptibles d'enlèvement~ Ont-ils ou non été expressément autorisés par le bailleur ~ Permettent-ils ou non une remise aisée des lieux en état, à l'expiration du contrat~ Autant de questions, autant de solutions au demeurant controversées. Dans un arrêt du 23 avril 1965 (Pas., 1965, I, 883; R. W., 1965-1966, col. 1158; R.J.I., 1966, p. 169; R.O.J.B., 1966, p. 51 et obs. RoBERT KRUITHOF), la oour de cassation donne à l'interprète quelques indications de nature à nourrir sa réflexion. On ne peut songer, dans le cadre de cet examen, à reprendre l'ensemble du problème. A cet égard, on

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doit se borner à renvoyer aux traités classiques, ainsi qu'à quelques remarquables notes critiques récentes (Pour la France, voy. J.P. DELMAS-SAINT-HILAIRE, <<De l'application de l'article 555 du Code civil dans les rapports des personnes qu'unit un lien d'obligation>>, Rev. trim., 1959, p. 411 et suiv.; R. SAINT-ALARY, << Les constructions, plantations et ouvrages faits par le preneur sur les lieux loués>>, Rev. trim., 1947, p. 266 et suiv. Pour la Belgique, voy. les obs. de M. A. DE BERSAQUES, sous comm. Liège, 6 janvier 1950, R.O.J.B., 1951, p. 268 et suiv., et la note de M. R. KRUITHOF, <<Le régime juridique des travaux réalisés par le preneur sur le fonds loué>>, sous l'arrêt ici recensé, R.O.J.B., 1966, p. 55 et suiv. Voy. aussi P. LEVIE, Traité théorique et pra­tique des constructions élevées sur le terrain d'autrui, Louvain 1951). Contentons-nous donc d'indiquer la portée de cette déci­sion de la cour suprême, fort prudente mais néanmoins digne de grand intérêt.

ln casu, le propriétaire d'un immeuble l'avait loué, en autori­sant le locataire à accomplir un certain nombre de transforma­tions et constructions. Ultérieurement, ille vend en spécifiant que le bien est occupé << sans titre ni convention de bail >> ! En consé­quence, l'acquéreur assigne en expulsion du locataire dont l'acte n'a pas. date certaine. Si ce dernier admet rapidement le bien fondé de la demande d'expulsion, il n'entend pas laisser au nouveau propriétaire tout le bénéfice des transformations : il forme dès lors une demande reconventionnelle en payement d'une indemnité représentant la totalité de ses débours. Le juge de paix l'en déboute; en degré d'appel, le tribunal de Bruxelles réforme la décision en accordant du moins au locataire- sur base de l'article 555 du Code civil -une indemnité égale à la plus-value donnée à l'immeuble et en condamnant le vendeur de l'immeuble, solidairement, à garantir l'acheteur. Sur pourvoi du vendeur- chef-d'œuvre d'adresse et de finesse dont on doit renoncer à décrire les séductions - la cour de cassation est amenée à énoncer une triple proposition :

a) Il est vain d'invoquer l'absence de date certaine et, partant, les articles 1743 et 1750 du Code civil, pour contester l'obligation d'indemniser de l'acquéreur du bien loué : ces textes ne règlent la situation du preneur qu'en ce qui concerne le maintien du bail; <<ils ne règlent point le sort des plantations, constructions et travaux faits par le pFeneur >>. En cas de vente du bien loué, et

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même si l'acte de vente ne contient aucune stipulation au profit du preneur, l'acquéreur est en tout cas tenu de l'indemnité du chef des plantations, constructions et travaux, s'il désire les conserver, parce que<< tant le droit d'accession réglé par l'article 555 du Code civil que l'action fondée sur l'enrichissement sans cause ne peuvent être exercés qu'à l'expiration du bail et que c'est l'acquéreur qui est à ce moment aux droits du bailleur originaire >>.

b) Cette obligation d'indemniser ne fait en toute hypothèse aucun doute, car même si l'on admet qu'à l'expiration du contrat de bail, leur sort est réglé non par l'article 555 du Code civil mais par les dispositions légales relatives au bail, et spécialement par les articles 1730 et 1731, <<la seule conséquence en est que, si le bailleur préfère conserver les plantations et les constructions, il est tenu, en vertu du principe de l'enrichissement sans cause, de payer une somme égale à la plus-value donnée à l'immeuble et non de rembourser la valeur des matériaux et le prix de la main­d'œuvre>>.

c) Le vendeur est cependant tenu de garantir l'acheteur s'il ne lui a pas révélé, au moment de l'aliénation, que les plantations et constructions n'étaient pas sa propriété et si, dans cette igno­rance, l'acquéreur n'a pas usé des droits que lui confèrent la loi ou le bail.

La cour rejette en conséquence le pourvoi car le moyen qui reprochait au jugement d'avoir accordé au preneur une indemnité équivalant à la plus-value conférée au fonds, en se fondant sur l'article 555 et non sur les dispositions légales relatives à la relation contractuelle de bail, n'est pas recevable faute d'intérêt, la décision du juge d'appel demeurant en tout cas justifiée.

On retiendra de cet intéressant arrêt deux enseignements essentiels. D'abord, la cour confirme que l'accession est en prin­cipe un mode d'acquisition volontaire et différé : dans toutes les hypothèses où existe une relation contractuelle ou légale (bail, usufruit, etc.) entre le propriétaire du fonds et le construc­teur, c'est seulement à l'issue de cette relation que le premier peut valablement manifester le désir de conserver, moyennant indemnité, les ouvrages érigés par le second. Jusqu'à ce moment, le constructeur reste propriétaire de ce qu'il a établi (voy.

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R. KRUITHOF, note précitée, R.O.J.B., 1966, p. 62, no 11 et réf. citées à la note 29; adde cass., 9 février 1956, Pas., 1956, I, 599, R.G.E.N., 1960, 20203, et les obs. de M. E. VIEUJEAN, dans cette Revue, 1966, n° 61, p. 315). Ensuite, bien que la cour ne tranche pas la question s'il convient d'asseoir le droit à indemnisation du preneur sur l'article 555 ou sur les dispositions du Code civil relatives au bail, elle décide du moins que, dans l'hypothèse où l'on inclinerait pour la seconde solution, il devrait être alloué au constructeur une somme égale à la plus-value donnée à l'im­meuble, en vertu du principe de l'enrichissement sans cause. La cour semble bien ainsi vouloir écarter, encore que de façon tout indirecte, les autres modes d'indemnisation parfois pro­posés par la doctrine et mis en œuvre par la jurisprudence, telle système du<< droit commun de la propriété>> (sur cette théorie, voy. DE PAGE et DEKKERS, Traité élém., t. VI, nos 62, 69 et suiv~). Elle renforce ainsi une tendance contemporaine déjà bien affirmée (voy. spécialement la note précitée de M. A. DE BER­SAQUES, cette Revue, 1951, 268 et suiv.).

10. MODES ORIGINAIRES ])'ACQUÉRIR LA PROPRIÉTÉ. - AcCES­SION. - CHAMP ])'APPLICATION DE L'ARTICLE 555 DU CODE CIVIL. - NOTION DE TIERS. - L'une des plus grandes difficultés de la matière vient, on le sait, du fait de l'indétermination rela­tive du champ d'application, quant aux personnes, de l'article 555 du Code civil. Ce texte prévoit un double régime : l'un au profit du possesseur de bonne foi; l'autre, applicable aux<< tiers>> autres que le bénéficiaire de ce régime spécial. Mais qu'entendre ici par tiers ~ La question est controversée et l'on vient de voir qu'à propos du locataire, la cour suprême s'est refusée à trancher (cf. supra, n° 9). A plusieurs reprises cet examen a permis de mettre l'accent sur l'ampleur de la difficulté (cette Revue, 1962, p. 240, no 105, et p. 243, no 106; 1966, p. 314, n° 61. Sur la diver­sité des thèses en présence, voy. J.P. DELMAS-SAINT-HILAIRE, op. cit., Rev. trim., 1959, p. 411 et suiv. et spécialement nos 38 à 40; R. KRUITHOF, op. cit., R.O.J.B., 1966, p. 66, n° 17). Quelques décisions récentes posent à nouveau le problème, à propos d'hypothèses particulières auxquelles il est d'ailleurs donné des solutions peu contestables.

Sont des tiers par rapport à la commune, les propriétaires riverains d'un chemin vicinal, propriété de la commune, qui ont

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établi sous l'assiette une canalisation pour se rattacher à la distribution d'eau. Il en résulte qu'en ne s'opposant pas à ces travaux et en faisant usage de la canalisation pour rattacher d'autres immeubles à la distribution, la commune a manifesté à suffisance la volonté d'acquérir la propriété de l'ouvrage : elle est en conséquence tenue de rembourser aux riverains la valeur des matériaux et du prix de la main-d'œuvre, conformément à l'article 555 du Code civil. On approuvera cette décision de la cour d'appel de Bruxelles du 21 décembre 1966 (Pas., 1967, II, 184), de même qu'un autre arrêt de la même cour, du 22 juin 1966 (R. W., 1966-1967, col. 1430), décidant à l'inverse que ne peut être considéré comme un tiers, au sens de l'article 555 du Code civil, celui qui a été autorisé à construire sur un fonds par le propriétaire de celui-ci. Une telle situation doit donner naissance, au profit du constructeur, à un droit de superficie et se régler en conséquence par application de la loi du 10 janvier 1824 (comp. cass., 24 juin 1965, Pas., 1965, I, 1165 et nos obs., infra, n° 58).

N'est pas davantage un tiers, celui qui a édifié des construc­tions pour le compte du propriétaire du sol. La solution de prin­cipe n'est pas douteuse (DE PAGE et DEKKERS, Traité élém., t. VI, n° 70 et réf. citées). La cour d'appel de Liège l'applique à l'occasion d'un litige entre un concubin et son ancienne maî­tresse (Liège, 28 avril1966, J.T., 1966, 424). Dans l'impossibilité de prouver qu'il est en réalité copropriétaire du terrain acheté en titre par sa compagne seule, le demandeur réclame à titre sub­sidiaire le remboursement des sommes qui auraient permis la construction d'une maison sur le terrain acquis, en prétendant qu'il s'agissait là d'avances récupérables au cas où il viendrait à <<perdre l'avantage de pouvoir habiter la maison édifiée>>. De­mande non recevable, dit la cour, car les payements allégués ont été exécutés par l'appelant pour l'érection de l'abri de son union irrégulière :la cause de l'obligation de restitution est donc illicite et le remboursen1ent ne peut en conséquence être ordonné par justice. Peut-on, à défaut, invoquer le mécanisme de l'article 555 ~ Non, poursuit la cour, car ou bien il y eut convention entre parties relativement aux avances d'argent et l'accord allégué constitue la cause (illicite) de la prétention de l'appelant, ou bien l'accord n'a pas existé : c'est dire alors que l'appelant a construit pour le compte de sa concubine, et qu'il ne peut invo­quer l'article 555. Refusant l'octroi d'une indemnité au construc-

Revue Critique, 1971, 1 - 8

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teur sur cette base, l'arrêt considère que ni la théorie des impen­ses, ni le jeu de la répétition de l'indu, ni le principe de l'enrichis­sement sans cause ne peuvent davantage justifier un quelconque droit à indemnisation, compte tenu du caractère illicite du mobile du constructeur, ce qui<< enlève toute protection à l'intérêt qu'il prétend faire valoir >>. Solution admissible au regard d'une morale stricte. Mais peut-être la<< morale juridique>> n'y trouve­t-elle pas tout à fait son compte (Voy. R. DERINE, op. cit., Tijd. 'l)oor Priv., 1969, p. 715, n° 40; Voy. aussi nos obs., à propos d'une application de l'article 2279, dans cette Revue, 1953, p. 240, no 55).

11. MODES ORIGINAIRES D'ACQUÉRIR LA PROPRIÉTÉ. - ACCES­SION.- PossESSEUR DE BONNE FOI.- Si le champ d'application du régime général de l'article 555 inÜio suscite des controverses, la portée du régime prévu par l'article 555 in fine ne crée aucune difficulté. C'est du moins ce que l'on a coutume d'affirmer (cf. supra, n° 10). La lecture d'une récente décision du juge de paix de Fexhe-Slins incitera peut-être désormais la doctrine à plus de prudence (1er juillet 1966, J.L., 1966-1967, p. 55). En l'espèce, le propriétaire d'une maison, d'un jardin et d'un garage, vend cet ensemble à un tiers mais concède néanmoins, après la cession, un bail sur le garage. Ultérieurement le vendeur prétend, mais en vain, être resté propriétaire de ce bien. Il est en consé­quence débouté. Reste à régler le sort du locataire. Qu'il doive être expulsé ne fait aucun doute, puisqu'il occupe le bien sans titre ni droit. Mais peut-il réclamer au propriétaire une indemnité pour les transformations qu'il a apportées au garage~ Oui, répond en substance le juge de paix, en le soumettant au régime de l'article 555 in fine. La solution est, sur le plan des principes, choquante, car ledit régime ne peut s'appliquer, aux dires des auteurs, qu'au possesseur évincé qui n'àurait pas été condamné à la restitution des fruits attendu sa bonne foi (DE PAGE et DEK­KERS, op. cit., t. VI, n° 63; AUBRY et RAU, Gours, se éd., t. II, § 204; GALOPIN, op. cit., n° 121; PLANIOL et RIPERT, op. cit., t. III, par PICARD, nos 267 et 275). ,Elle.ne peut se justifier ici qu'à la condition d'interpréter l'article 555 in fine en exigeant seulement du constructeur qu'il soit de bonne foi, c'est-à-dire qu'il ait cru dans la légitimité de sa situation, quelle qu'eût pu être l'origine de celle-ci (comp. civ. Nivelles, 31 mai 1961, Ann.

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not. et enreg., 1963, 49, et les obs. de M. E. VIEUJEAN, dans cette Revue, 1966, n° 61, p. 315, ainsi que MARTY et RAYNAUD, op. cit., t. II, 2, nos 131 et 132). Mais peut-être les tenants d'un certain <<droit pur>> trouveront-ils le moyen d'expliquer autrement la solution adoptée, en faisant observer que le <<locataire>> était manifestement possesseur de bonne foi. .. de sa qualité de déten­teur.

La décision réserve à l'analyste d'autres sujets de réflexion. Avec M. B. GLANSDORFF (Chronique de jurisprudence, Les droits réels, 1965-1966, J.T., 1968, p. 1, n° 9) on peut s'étonner quele juge autorise l'occupant du garage à le retenir jusqu'au payement de la somme à laquelle il a droit du chef des transformations, contrairement au principe << pas de droit de rétention sans texte qui l'établisse>> (voy. GALOPIN, op. cit., n° 121; LAURENT, op. cit., t. XXIX, no 298; AUBRY et RAu, 5e éd., t. III, § 256bis et note 13; DE PAGE et DEKKERS,.op. cit., t. V, n° 67). On sait cependant que l'autorité de cette règle non écrite est contestée (voy. par exem­ple PLANIOL et RIPERT, op. cit., t. III, par PICARD, n° 271 et ref.); On peut pareillement trouver excessive la condamnation de l'expulsé à une indemnité, calculée pour la période écoulée depuis le moment où son droit à user du garage a été pour la première fois contesté par l'acquéreur : l'entrée en scène de ce dernier a sans doute pu suffire à susciter le doute dans l'esprit du locataire et, peut-être, à le priver de sa bonne foi, mais cela suffit-il à justifier la solution 1 Bornons-nous à constater qu'il est pour le moins curieux de condamner, pour le passé, le con­structeur à une indemnité pour occupation sans droit et de lui donner en même temps, pour l'avenir, un droit de rétention jusqu'à réglement définitif des sommes qui lui sont dues. ·

?1'017 ·~) 1 (9. MODES ORIGINAIRES D'ACQUÉRIR. - ARTICLES 2279 ET

2280. - RÈGLES DE FOND. -ATTRIBUTION DE LA PROPRIÉTÉ AU POSSESSEUR DE BONNE FOI. - Envisagé en tant que règle de fond, attributive de propriété, l'article 2279 permet au possesseur de bonne foi d'une chose corporelle mobilière d'acquérir la pro­priété du bien par sa seule prise de possession. La revendication du propriétaire véritable est toutefois maintenue pendant un délai de trois ans si la chose acquise a été perdue ou volée. Encore convient-il que le revendicant rembourse au possesseur

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les frais de l'acquisition, lorsque celle-ci a eu lieu d'un<< marchand vendant des choses pareilles>> (art. 2279, al. 2, et 2280). La cour de Bruxelles nous paraît faire à tort application de cette dernière règle dans l'hypothèse suivante, que nous ramenons à ses données essentielles (Bruxelles, 23 septembre 1967, Pas., 1968, II, 59). Le voleur de titres au porteur les remet à un premier agent de change, en vue de leur négociation, et reçoit de ce dernier une certaine somme à-titre d'avance. Le premier agent de change vend pour 200.000 francs les titres à un second agent de ebange, d'égale bonne foi; apprenant toutefois deux jours plus tard qu'il s'agit de titres volés, il les rachète à l'acquéreur pour la même somme, et ce- semble-t-il- en vue de lui éviter des difficultés. Assigné par le véritable propriétaire, il accepte certes de restituer les titres mais entend recouvrer les 200.000 francs per­dus dans l'aventure. Toutes ces opérations ayant eu lieu avant l'insertion, dans le Bulletin des oppositions, de l'avis prévu par la loi du 24 juillet 1921 relative à la dépossession involontaire des titres au porteur, nul doute que le litige doive être tranché grâce au seul secours des règles de droit commun du Code civil. Nul doute en conséquence qu'il faille appliquer à l'espèce l'article 2279, alinéa 2, du Code et faire droit à la revendication du verus dominus. Faut-il également, comme le pense la cour de Bruxelles, faire jouer l'article 2280 et, sur cette base, obliger celui-ci à payer 200.000 francs à l'actuel possesseur, sous prétexte qu'il a racheté les titres auprès d'un marchand de choses pareilles~ Juridiquement, la solution est beaucoup plus douteuse. Certes, l'article 2280 eût dû recevoir application si n'avait eu lieu ce 1nalencontreux rachat et si le propriétaire avait dû assigner le second agent de change, lequel a incontestablement acquis de bonne foi d'un marchand de choses pareilles. En faire bénéficier le premier, c'est au contraire utiliser le texte à des fins autres que celles pour iesquelles il a été prévu, puisqu'au moment de sa réacquisition il connaissait l'existence du vol et ne pouvait donc plus être considéré comme étant de bonne foi, au sens de nos articles. Ce n'est pas à dire, à notre avis, qu'il ne convienne pas d'indemniser celui qui n'a agi que pour éviter à son cocontractant des ennuis et- comme le souligne la cour- pour faciliter les recherches; nous croyons cependant que l'arrêt eût été mieux inspiré en donnant satisfaction au défendeur non sur le pied de l'article 2280 mais sur la base de la gestion d'affaires ou de

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l'enrichissement sans cause, comme il se bornait d'ailleurs à le demander lui-même !

13. ARTICLE 2279 : RÈGLE DE PREUVE.- L'article 2279 n'at­tribue définitivement la propriété au possesseur de bonne foi et ne joue donc le rôle de règle de fond que dans l'hypothèse où le conflit se meut entre celui qui se prétend véritable propriétaire et l'acquéreur a non domino. Dans l'hypothèse où le litige met en présence le possesseur actuel et le possesseur immédiatement précédent (ou les héritiers de celui-ci), l'article 2279 ne peut intervenir qu'à titre de règle de preuve. La maxime s'énonce alors : << en fait de meubles, possession vaut présomption de titre de propriété >> (voy. cette Revue, 1953, n° 55 in fine, spéc. p. 243; RIPERT et BouLANGER, op. cit., t. II, n°8 2859 à 2867). A défaut d'être décisive, la règle n'en reste pas moins, en ce cas, d'un grand secours pour le possesseur puisqu'elle lui donne la qualité avantageuse de défendeur : à l'autre de faire la preuve que le titre présumé n'existe pas ou est assorti d'une obligation de restitution (sur ce dernier cas, voy. Bruxelles, Il février 1964, Pa8., 1965, II, 74; Rev. prat. not., 1965, 333). Encore convient-il que la situation du possesseur révèle l'existence des conditions requises par la loi et, spécialement, que sa possession soit exempte de vices.

Plusieurs décisions récentes illustrent la portée de ces exi­gences, d'une façon parfois peu claire et peu orthodoxe,il est vrai. Assigné en restitution d'une somme, le possesseur entend se prévaloir de l'article 2279 : il prétend avoir reçu le numéraire à titre de don manuel, sous la condition de créditer le demandeur, de son vivant, de la moitié des intérêts bancaires. La cour d'appel de Liège (ler juin 1965, J.L., 1965-1966, 139) refuse de suivre le possesseur, en invoquant deux arguments distincts, semble­t-il : il serait, d'abord, en défaut d'établir le don manuel qu'il invoque; sa possession, ensuite, serait équivoque (sur l'équivoque, voy. cette Revue, 1953, n° 46, p. 234, et n° 55, p. 241; 1966, no 74, p. 340). La première raison est à coup sur inadmissible : le défendeur n'avait pas à faire la preuve de son titre puisque, précisément, il invoquait l'article 2279, lequel présume ce titre. La seconde raison est au contraire admissible car, nous l'avons dit, la maxime ne peut plus être invoquée dès lors que la posses­sion _Jest viciée. Mais de quelles circonstances la cour déduit-

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elle pour sa partl'équivoque, dès lors qu'elle reproche au premier juge d'avoir conclu à l'existence de ce vice du fait que le posses­seur avait à payer des intérêts sur la moitié de la somme liti­gieuse~ En l'espèce, la possession étant peut-être équivoque; l'arrêt, lui, l'est sûrement.

Dans l'hypothèse qui précède, le possesseur invoquait l' exis­tence d'un titre précis. Le jeu de la maxime l'autorise à en faire moins : il peut se borner à invoquer sa possession, sans autres précisions, puisqu'elle suffit à faire présunwr l'existence d'un titre translatif valable. Les héritiers de l'auteur du possesseur l'ont appris à leurs dépens, dans l'affaire jugée par le tribunal civil de Liège le 26 février 1965 (J.L., 1964-1965, 251). Ayant vainement tenté d'établir la clandestinité ou l'équivoque de la possession du défendeur, ils entendent démontrer qu'un don manuel valable n'a pu être réalisé, faute de tradition au sens légal du terme. Prétention déplacée, répond en substance le tribunal: vous êtes bien les seuls à placer le débat sur ce terrain, dans lequel le défendeur ne vous suit pas; avec raison, il se borne à invoquer sa possession et se garde bien d'invoquer quoi que ce soit d'autre pour justifier sa prétention. Il doit dès lors être préféré, dès lors qu'aucun vice de possession n'est établi. Décision impeccable qui - outre qu'elle rappelle à juste titre la valeur du principe selon lequel le silenèe est d'or - prend soin de préciser opportunément qu'à défaut pour le demandeur de rencontrer victorieusement son adversaire dans la lice choisie par lui, <<la présomption de propriété établie au profit du possesseur devient dès lors absolue>> ...

L'examen des recueils le prouve : le moyen habituel de retirer au possesseur le bénéfice de la présomption de titre et, partant, de l'obliger à en faire la preuve, est d'établir que sa possession est viciée par équivoque. c'est-à-dire qu'il y a doute quant à la question si elle est exercée à titre de propriétaire ou bien à titre précaire (voy. JosSERAND, op. cit., t. Ier, no 1418). Il y aura habituellement équivoque dans l'hypothèse où le possesseur et celui de qui il détient la chose habitent· ou ont habité ensemble (en ce sens, Bruxelles, 28 juill 1967, J.T., 1968, p. 154; d'une façon générale, on notera toutefois qu'il convient de distinguer le cas où deux personnes habitent en commun et le cas où une personne habite chez une autre. CL. RENARD, op. cit., n° 361 et note 1). Il y aura pareillement équivoque dans l'hypothèse où le

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possesseur a fait successivement des déclarations contradictoires, soutenant d'abord avoir acheté les meubles litigieux puis les avoir reçus à titre de dation en payement en raison de services rendus (voy. les moyens du pourvoi, in cass., 26 avril1968, J.T., 1968, p. 363; R. W., 1968-1969, col. 591 : peut-être s'agit-il là, d'ailleurs, moins d'une possession techniquement équivoque que d'une possession suspecte, privée en conséquence de toute élé­mentaire bonne foi). En revanche, il n'y aura pas équivoque lorsque la possession s'exerce sur des titres au porteur· déposés dans un coffre dont le possesseur était titulaire et dont il payait exclusivement le loyer, placés ultérieurement par lui en un compte bloqué à son seul nom et à propos desquels il réalise seul, à un moment donné, un acte de disposition (Bruxelles, 22 janvier 1963, Rev. prat. soc., 1965, p. 84).

La possession <<par l'intermédiaire>> d'un coffre ne se révèle pas toujours aussi évidente et, selon les circonstances, le revendi­cant peut être amené à démontrer aisément non seulement que la possession est équivoque, mais encore que l'on ne se trouve pas devant une possession véritable, ce qui - bien entendu - con­stitue un moyen plus radical encore de priver le possesseur de la présomption de titre. Il en ira ainsi dans le cas où le locataire du contenant ignore la consistance du contenu, de même que le secret du coffre loué, duquel il ne possède même pas la clé (civ. Bruxelles, 6 décembre 1966, J.T., 1967, p. 169).

Reste à savoir comment résoudre le litige lorsque le possesseur ne peut - pour équivoque ou pour quelque autre motif -bénéficier de la présomption de titre de propriété. En· principe, raison doit être donnée au demandeur, à l'encontre du possesseur actuel, dont· la situation ne peut s'expliquer a priori que par l'existence d'une sorte d'usurpation (sur ce point capital, voy. RIPERT et BouLANGER, op. cit., t. II, n°8 2861 et 2866; MARTY et RAYNAUD, op. cit., t. II, 2, no 400). Encore faut-il, toutefois, que le demandeur établisse son droit de propriété. C'est ce que précise avec raison la cour suprême (cass., 26 avril1968, J.T;, 1968, p. 363, R. W., 1968-1969, col. 591) en soulignant : <<des circonstances que le possesseur d'une chose ne peut bénéficier de l'article 2279 du Code civil et qu'il ne peut être ajouté foi à ses dires, on ne peut déduire l'existence ni du droit de propriété dé celui qui demande la restitution de la chose ni de la cause qui est attribuée à la demande en restitution, en l'espèce le prêt à usage>>.

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Décision rigoureuse mais aussi rigoureusement justifiée : in casu, le demandeur a eu manifestement tort de vouloir démontrer la précarité de la possession de son adversaire en invoquant l'exis­tence d'un prêt qu'il n'était pas à même de prouver valablement : puisque, compte tenu du caractère équivoque de sa possession (voy. supra}, l'actuel possesseur ne pouvait bénéficier de la règle prévue par l'article 2279, il aurait suffi au demandeur, pour triompher, de se borner à invoquer et à prouver sa possession antérieure. A vouloir trop prouver, le demandeur a déplacé le centre du débat et causé sa propre perte ... (sur le rôle de la possession antérieure, dans le chef du revendicant, voy., outre les réf. citées ci-dessus, PLANIOL et RIPERT, op. cit., t. III, par PICARD, n° 378; CARBONNIER, Droit civil, t. II, 1959, n° 77, II, p. 259; DE PAGE et DEKKERS, op. cit., t. V, n° 1070}.

14. PROTECTION POSSESSOIRE. - CONDITIONS. - Le possesseur d'un immeuble bénéficie, mutatis mutandis, d'avantages sembla­bles à ceux du possesseur d'un meuble corporel : troublé dans sa possession, il peut même passer à l'offensive en intentant une action possessoire qui lui donnera - lorsque l'on abordera le fond du problème - la même qualité de beatus possidens que celle du possesseur à qui s'applique la règle<< en fait de meubles, possession vaut préson;tption de titre>>. Ceci à la condition que se trouvent réunies toutes les conditions requises par les articles 1370 et 1371 du Code judiciaire, qui reprennent la teneur des articles 4 et 5 de la loi du 25 mars 1876 sur la compétence. Ainsi faut-il que l'action- réintégrande ou complainte, peu importe - soit intentée dans l'année du trouble, comme le rappelle le tribunal civil d'Arlon dans une décision du 11 octobre 1966 (J.L., 1966-1967, 213 et note M.H.; R.J.l., 1967, p. 265 et obs.) dont on regrettera qu'elle qualifie l'action de possessoire au motif principal qu'elle est intentée non contre des propriétaires mais contre des locataires ! Il est évident en effet que ce n'est point la qualité du défendeur qui peut permettre de trancher laques­tion si telle action est une action possessoire ou une action pétitoire : tout dépend, au contraire, de la qualité du demandeur et du plan sur lequel il entend se placer, compte tenu de la nature de la prétention de celui qui s'oppose à l'exercice de son droit.

C'est pareillement une question de délai qui forme le centre du litige tranché par une très belle décision du juge de paix de

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Louveigné du 11 avril1968 (J.T., 1968, 333; J.L., 1967-1968, 311; R.J.I., 1968, p. 401), rendue à propos de l'exploitation des célè­bres grottes de Remouchamps. La commune de Sougné­Remouchamps assigne au possessoire, moins d'un an après l'encombrement de l'entrée des grottes par des barques et du matériel. Demande irrecevable, rétorquent en substance les défendeurs, car plus d'un an s'est écoulé depuis le premier trouble, apporté par nous à votre possession; et d'invoquer, pré­cédant le trouble de fait ci-avant décrit, l'existence d'un trouble de droit résultant d'une correspondance par laquelle ils auraient fait connaître clairement à la demanderesse leur prétention à la propriété d'une partie des grottes. Avec raison, le juge de paix refuse de suivre le raisonnement des défendeurs, car l'envoi d'un écrit contenant prétention sur la propriété d'un bien appartenant à autrui ne peut avoir pour conséquence d'obliger le propriétaire ou le possesseur dudit bien à sauvegarder ses droits. Pour qu'il y ait trouble· de droit, et, partant, pour que le délai préfix d'un an se mette à courir, il faut, ajoute la décision, qu'il y ait atteinte par acte juridique à la possession de l'immeuble ou du droit réel immobilier; une prétention à la propriété, contenue dans une lettre, sans aucune atteinte à la possession, ne peut assurément suffire (aux références citées dans le jugement : Rép. prat. dr. belge, vo Possession, n08 179 et suiv., ainsi que Pandectes belges, v 0 Action possessoire, nos 77 et suiv., on ajoutera, sur la notion de trouble de droit, CoLIN et ÜAPITANT, op. cit., t. Ier, 36 éd., p. 1001; H., L. et J. MAZEAUD, Leçons de droit civil, 36 éd., t. II, no 1463; MARTY et RAYNAUD, op. cit., t. II, 2, n° 214. On notera pour le surplus qu'il n'est pas sûr que la prétention manifestée par lettre -eût-elle pu être analysée comme un véritable trouble de droit - aurait nécessairement constitué le point de départ inéluctable du délai d'un an; voy. sur ce point AuBRY et RAu, op. cit., t. II, § 186 et note 13; comp. PLANIOL et RIPERT, op. cit., t. III, par PICARD, no 188 et note 7).

Relativement à une autre condition de l'article 1370 du Code judiciaire, cette décision ajoute que s'il est vrai que le demandeur en complainte doit justifier d'une possession annale (art. 1370, 2°}, celle-ci peut être rapportée par des faits antérieurs à l'année, et même par des faits de possession ancienne remontant à plusieurs années, qui feront présumer la possession pendant

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l'année du trouble (réf. à Pandectes belges, v 0 Action possessoire, no 174).

15. PROTECTION POSSESSOIRE. - RÈGLE DU NON-CUMUL DU POSSESSOIRE ET DU PÉTITOIRE. - La décision du juge de paix de Louveigné rappelle au souvenir de l'interprète l'importance de la distinction entre le possessoire et le pétitoire. On sait que l'article 1371 du Code judiciaire (anciennement article 5 de la loi du 25 mars 1876) interdit le cumul de ces deux phases judiciaires. Un arrêt récent de la cour de cassation apporte une utile précision relativement à ce problème difficile : le juge qui statue, en ordre principal, au pétitoire et, en ordre subsidiaire, au possessoire, ne cumule pas le possessoire et le pétitoire; il statue successivement et distinctement sur le fond du droit et sur sa possession. Au demeurant, l'interdiction édictée par l'ancien article 5 de la loi sur la compétence constitue une règle propre aux actions posses­soires; elle reste tout à fait étrangère aux actionspétitoires(cass., 29 novembre 1967, Pas., 1968, I, 430 et réf. citées en notes 1 et 2; voy. encore sur ce problème cass., 6 décembre 1968, Pas., 1969, I, 333).

16. PROTECTION POSSESSOIRE. - APPLICATION AU CAS DES SERVICES FONCIERS. - C'est dans le domaine des servitudes que . les actions possessoires sont, semble-t-il, le plus usitées. Compte tenu des difficultés propres à cette matière, il nous a paru bon de différer en conséquence l'examen des décisions qui se rappor­tent à la, protection possessoire des services fonciers. (voy. infra n° 51).

17. MODES ORIGINAIRES D'ACQUÉRIR : POSSESSION ET USU­CAPION EN MATIÈRE IMMOBILIÈRE. - Ainsi qu'on l'a rappelé (voy. supra, no 5), l'usucapion est, en matière immobilière, l'un des rares moyens décisifs de faire la preuve de son droit de propriété. Mode originaire d'acquérir par excellence, la prescrip­tion acquisitive requiert toutefois pour jouer son rôle la présence d'un certain nombre de conditions. Quelques décisions mettent ainsi l'accent sur l'importance du respect de certains principes, au demeurant habituellement reconnus par la jurisprudence. Faut-il rappeler, d'abord, qu'usucapion requiert possession et que celle-ci postule à son tour animus et corpus, c'est-à-dire

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volonté d'agir en maître sur la chose et exercice d'un pouvoir de fait sur celle-ci 1 C'est dire que les actes juridiques sont impuis­sants à constituer le corpus, sauf à respecter le principe que l'on peut posseder animo suo et corpore alieno. La cour d'appel de Bruxelles le souligne une fois de plus (Bruxelles, 29 juin 1966, Pas., 1967, II, 118) en notant que si le bail ne peut constituer comme tel un élément du corpus possessionis (référence à DE PAGE et DEKKERS, t. V, n° 842, B), <<la mise en œuvre de cet acte a pour effet de donner lieu à la manifestation matérielle de la possession, exercée corpore alieno par le détenteur qui use de la chose suivant les fins convenues et accomplit pour le posses­seur les actes du corpus, par exemple en entretenant et en culti­vant la terre qu'il tient de lui>> (revoy., sur ce point, cette Revue, 1966, no 73, p. 339).

D'une très curieuse décision d'un juge de paix qui semble avoir confondu jugement et répertoire pratique ( J. de P. Andenne, 19 mai 1967, J.L., 1968-1969, p. 95, déjà cité supra, no 6), retenons aussi que l'acquéreur d'une propriété qui invoque contre un tiers la prescription, peut, <<pour compléter la possession de 10 à 20 ans>>, joindre à la sienne celle de son vendeur. Encore faut-il préciser, ce que le jugement ne fait pas, qu'une telle jonction n'est possible qu'à la condition que la possession de l'auteur du pOssesseur actuel, lequel est en situation de béné­ficier des articles 2265 et suivants du Code civil, ait eu, lui aussi, une possession utile pour prescrire par dix à vingt ans, donc­entre autres -juste titre et bonne foi (PLANIOL et RIPERT, t. III, par PICARD, n° 720; MARTY et RAYNAUD, t. II, 2, n° 203). On ose croire que c'est pour la raison que la possession de l'auteur ne revêtait pas ces qualités specifiques que le juge de paix décide en fin de compte que le possesseur actuel est recevable à invoquer la jonction des possessions afin d'arriver ... à la prescription trentenaire.

D'un arrêt de la cour de cassation du 24 décembre 1964 (Pas., 1965, I, 423), on retiendra enfin la confirmation du prin­cipe qu'il est possible de renoncer expressément ou tacitement au bénéfice de la prescription acquise. La solution, implicitement exprimée par l'arrêt, est en revanche formellement inscrite dans les articles 2220 et 2221 du Code civil.

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C. - Abus de droit et troubles de voisinage.

18. ABUS DE DROIT. - CONDITIONS. - APPLICATIONS. - La théorie de l'abus de droit continue à être utilisée par la juris­prudence en vue de procéder à l'élimination des arêtes trop vives d'un· droit des biens considéré souvent par elle comme indivi­dualiste à l'excès (voy. cette Revue, 1962, n° 108, p. 246).

Ainsi, nonobstant les caractères fondamentaux du droit de propriété, peut constituer un abus de droit le fait de s'opposer à ce que le voisin appuie une échelle contre le pignon de son im­meuble (J. de P. Renaix, 13 juillet 1965, R. W., 1965-1966, col. 967). Considérée comme une <<excroissance>> de la théorie classique de la responsabilité civile, la théorie de l'abus de droit suppose au moins la réunion des mêmes conditions. Ainsi en est-il du dommage, qui doit être actuel et certain, un simple dommage éventuel ne pouvant suffire à justifier l'action de la <<victime>>~ Le juge de paix de Liège fait application de cette règle dans une hypothèse classique (J. de P. Liège, 13 mai 1965, J.L., 1965-1966, 7) : le demandeur se plaint que des arbres de haute tige, plantés à distance légale (art. 35 Code rural), ne l'ont été que pour le priver d'une belle vue sur la vallée de la Meuse. Il est débouté au motif que le juge ne peut accueillir une action ad futurum : d'une part, les arbres plantés n'ont encore que la taille d'arbrisseaux et ne gênent présentement personne; d'autre part, le défendeur affirme qu'il taillera périodiquement les têtes de façon à les empêcher de dépasser une hauteur raison­nable et à épaissir le feuillage à la base, ce qui- selon les spécia­listes- est techniquement possible. On ne voit guère que répon­dre à cette application judiciaire de la politique de<< wait and see >>.

D'une très savante décision du juge de paix de Seraing (12 mai 1965, J.L., 1965-1966, 87) retenons enfin l'application de la théorie de l'abus de droit dans le domaine des jours et vues. Telle ouverture a-t-elle été illégalement percée 1 Le propriétaire voisin ne pourra cependant en demander la suppression, sur base des articles 678 et 679 du Code civil, lorsqu'il apparaît que l'action a << manifestement pour but d'obtenir le redressement d'irré­gularités qui ne lèsent en rien le propriétaire du fonds servant et qui ne limitent en rien l'exercice futur de son droit de propriété>>. A l'appui de sa décision, le juge de paix invoque plusieurs précé­dents. Il est certes exact que la portée des articles 678 et 679 a plus d'une fois été tempérée par la jurisprudence (voy. cette

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Revue, 1953, p. 251, et 1957, p. 160); jamais toutefois un juge n'avait jusqu'ici songé à appliquer la théorie de l'abus de droit dans une hypothèse où, comme en l'espèce, l'illégalité objective de l'ouverture pratiquée est au surplus constatée dans une con­vention donnant au voisin la possibilité de la faire supprimer << pour réaliser une construction à cet endroit, ou pour tout autre motif>> ...

19. TROUBLES DE VOISINAGE. - CONDITIONS GÉNÉRALES n'APPLICATION DE LA THÉORIE.- Dix ans se sont écoulés depuis que la cour de cassation, revenant sur sa jurisprudence anté­rieure, a établi les bases d'une conception nouvelle, propre à résoudre les conflits de droit ou troubles de voisinage ( cass., 6 avril1960- deux arrêts-, Pas., 1960, I, 915, et nos obs. dans cette Revue, 1962, p. 249). Incontestablement, la théorie a fait fortune : pour la période sous rubrique, pas moins d'une tren­taine de décisions - publiées - l'invoquent ou la mettent en œuvre. A-t-elle ramené pour autant la paix judiciaire, comme on pouvait l'espérer 1 C'est plus douteux. En fait, la multiplicité des jugements et arrêts et l'examen de leur contenu font craindre à l'interprète que la théorie des troubles de voisinage sera trop fréquemment, pour le propriétaire victime de quelque désagré­ment, une sorte d'occasion à saisir ou de <<coup à tenter>>. En droit, il est clair que le principe adopté fait naître plus d'interrogations qu'il ne tranche de problèmes. De 1965 à 1969, on recense trois arrêts de la cour suprême, corrigeant, complétant ou précisant les conséquences de l'application de la règle de principe. De nombreuses autres difficultés continuent à diviser les juridictions de fond et l'on peut prévoir sans risque que la cour de cassation sera amenée à intervenir encore plus d'une fois. En bref, une théorie jurisprudentielle complète des conflits de droit de propriété reste à faire, dont- à ce jour- quelques éléments seulement .apparaissent comme sûrs ... C'est la raison principale pour laquelle nous ne croyons pas utile de nous servir du cadre de cet examen pour tenter déjà une sorte de synthèse approfon­die: nous sommes à peine au terme d'une étape dans l'évolution de la pensée juridique relative à ce problème vaste. On se bornera en conséquence à indiquer les jalons principaux du cheminement déjà accompli, en décrivant brièvement les ob~ stacles qu'il conviendra encore de franchir. Il ne manque pas,

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au surplus, d'entreprises à juste titre plus ambitieuses, auxquelles le .lecteur pourra se référer s'il entend en connaître davantage (citons par ,exemple, en langue néerlandaise, trois remarquables approches de M. R. DERINE, Preadvies betreffende hinder, Vereni­ging voor de vergelijkende studie van het recht in België en Nederland, Zwolle, 1964, p. 1 et suiv.; << Preadvies over hinder bij nabuurschap >>, R. W., 1967-1968, col. 1695 et suiv.; Overzicht van rechtspraak (1965-1968), Zakenrecht, Tijd. voor priv., 1969, p. 696 et suiv.);

Une chose est claire, en tout cas; le principe de base déposé dans les arrêts du 6 avril1960 est unanimement adopté et même fréquemment littéralement reproduit : les propriétaires voisins ayant un droit égal à la jouissance de leur propriété, il en résulte qu'une fois fixés les rapports entre leurs propriétés, compte tenu des charges normales résultant du voisinage, un équilibre s' éta­blit entre les droits respectifs des propriétaires. En conséquence, le propriétaire d'un immeuble qui, par un fait non fautif, rompt cet équilibre, en imposant à un autre propriétaire un trouble excédant la mesure des inconvénients ordinaires du voisinage, doit au propriétaire lésé une juste et adéquate compensation rétablissant l'équilibre rompu (cass., 28 janvier 1965, J.T., 1965, 259 et obs. FLAMME; R.G.A.R., 1965, 7420 et 7424 et deux notes R.O. DALcQ; Pas., 1965, I, 521; R.W., 1964-1965, col. 2117; R.P.N., 1965, 85 et obs. F.L.; pour s'en tenir aux cours d'appel, citons : Gand, 9 mars 1965, R. W., 1964-1965, col. 2132; Bruxel­les, 13 mars 1967, Pas., 1967, II, 240, et R.G.A.R., 1969, 8154, décision citée avec la date du 19 mars 1967 in J.T., 1967, 369; Bruxelles, 2 mai 1967, Pas., 1967, II, 275, décision citée avec la date du 22 mai 1967 in R.J.I., 1967, n° 4454; Liège, 9 janvier 1968, J.L., 1967-1968, 257; Liège, 30 octobre 1968, J.L., 1969-1970, 33; Bruxelles, 26 avril1969, J.T., 1969, 440). Ce n'est pas à dire, toutefois, que cette règle (que l'onassiedmaintenantouver­tement sur l'article 544 du code plutôt que sur la << tradition >> et le<< principe général consacré notamment par l'article 11 de la Constitution>>, comme le faisaient les deux arrêts de 1960) soit exclusive de l'application de toute autre règle et que, plus préci­sément, l'hypothèse d'un conflit de droits ne puisse être tranchée que par le moyen de sa mise en œuvre. Avant d'être, pour les juristes, une << théorie >>, le trouble de voisinage est, économique­ment et socialement, un fait litigieux qu'il convient de trancher,

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d'une façon ou d'une autre. Au regard de cette exigence, il est de peu d'importance que la solution soit puisée dans telle con­struction jurisprudentielle ou telle disposition expresse de nos lois. De cette considération se déduit une conséquence digne d'intérêt : la victime du trouble peut, après s'être bornée à invoquer l'article 1382 du Code civil devant le premier juge, argumenter pour la première fois en degré d'appel de l'article 544; ce n'est là ni<< sortir des limites du contrat judiciaire>>, ni modi­fier la cause de la demande, mais seulement invoquer un moyen nouveau à l'appui d'une action qui reste<< fondée sur les troubles de voisinage, qu'ils soient fautifs ou non>> (cass., 28 janvier 1965, précité). Il en ira de même si, à l'inverse, une demande primitive­ment fondée sur l'article 544 est assise, en degré d'appel, sur l'article 1382 (Bruxelles, 3 avril 1968, J.T., 1969, 10). Solution peut-être contestable eu égard aux règles du droit commun (voy. les obs. DALCQ sous cass., 28 janvier 1965, R.G.A.R., 1965, 7420) mais à coup sûr dans la ligne d'une << politique >> jurisprudentielle dont le présent examen nous permettra de mieux cerner les contours. Solution théoriquement intéressante, au surplus, dans la mesure où elle incite à poser plus généralement le problème des rapports entre le droit commun de la responsabilité délic­tuelle ou quasi délictuelle (articles 1382 et 1383 Code civil) et la théorie spécifique des<< troubles de voisinage>>, sensu stricto, fon­dée sur l'article 544.

20. TROUBLES DE VOISINAGE. - ARTICLES 1382 ET 544 DU CoDE CIVIL. -RAPPORTS.- Un dommage excédant la limite des inconvénients normaux du voisinage est causé par le propriétaire d'un fonds, dans l'exercice de son droit, au propriétaire du fonds voisin. Selon que, telle faute ayant été commise par lui, le com­portement du propriétaire est sanctionné sur la base de l'article 1382 du Code civil ou que, à défaut d'avoir découvert une faute, l'article 544 est seul mis en œuvre, des conséquences fort diffé­rentes en découleront, notamment sur le plan de l'étendue de la réparation à accorder à la victime du trouble. Comme l'a souligné M. Dabin, dans une formule très nette sur les conséquences de laquelle on reviendra, l'action en rétablissement d'équilibre ne permet l'indemnisation que pour l'excès de dommage, par le moyen d'une compensation, tandis que l'action fondée sur l'article 1382 donne droit à réparation pour le moindre dommage

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(J. DABIN, note sous cass., 14 juin 1968, R.C.J.B., 1968, p. 396; sur ce point précis, voy. encore R.O. DALCQ, obs. sous cass., 28 janvier 1965, R.G.A.R., 1965, 7420; civ. Bruxelles 9 mars 1965, J.T;; 1966, 27, et: R.G.A.R., 1966, 7618 et obs. DALCQ; civ. Bruxelles, 11 octobre 1965,R.J.J., 1965, n° 4210). Si, sur ce point, une action fondée sur les règles du droit commun de la respon­sabilité délictuelle peut apparaître plus séduisante à la victime du trouble, il reste que, sur le plan de la preuve, l'autre filière est à coup sûr semée de moins d'embûches : point de faute à démon­trer, en effet, mais seulement l'existence objective d'un dommage excédant la limite des inconvénients normaux nécessairement suscités par la contiguïté des immeubles. Les avantages et les désavantages de chaque voie judiciaire, ainsi mis en balance, conduisent à poser l'une des interrogations fondamentales de la matière : la victime du trouble a-t-elle ou non le choix des moyens 1 Plus précisément, peut-elle assigner le propriétaire de l'immeuble<< auteur du trouble>>, sans avoir à se préoccuper de la question si ce trouble a ou non une faute pour origine~ Envisagé du côté du propriétaire de cet immeuble, le problème prend d'autres proportions encore. A supposer même qu'il puisse être assigné indifféremment sur base de l'article 1382 ou de l'article 544 du Code civil, au gré de la victime, lorsque le dommage exces­sif résulte de ses seuls agissements, qu'en sera-t-il s'il apparaît que le trouble de voisinage résulte en réalité, fût-ce pour partie, du comportement fautif d'un tiers - architecte ou entrepreneur -choisi par lui pour la conception ou l'exécution des travaux entrepris sur son fonds 1 Ne convient-il pas, en pareil cas, de n'autoriser la victime à invoquer la théorie qu'à défaut de pouvoir invoquer un comportement illicite et - partant ...,­d'absoudre le propriétaire assigné dès lors que (et éventuelle­ment dans la mesure où) la faute du tiers est établie 1

En faveur d'une telle << subsidiarité >> de l'action fondée sur l'article 544 du Code civil, nombre d'arguments pertinents peuvent être et ont été présentés. A commencer par cette idée que << là où un dommage procède d'une faute, même minime, la réparation ou l'indemnisation incombe en priorité à l'auteur de la faute>>, pour des raisons d'élémentaire équité (J. DABIN, obs. sous cass., 14 juin 1968, R.C.J.B., 1968, p. 395); à suivre par cette considération que<< le dommage lié à une faute commise par un entrepreneur ou par un architecte n'est pas une conséquence

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d'un acte attribuable au propriétaire constructeur. Ce dernier n'agit pas de façon à rompre l'équilibre entre les droits respectifs)) (Y. HANNEQUART, note à la R.G.A.R., 1967, 7831). Il y aurait donc absence de causalité entre le dommage et le fait du maître de l'ouvrage.

Défendue ici même par M. VIEUJEAN (cette Revue, 1966, no 64, p. 34) et soutenue par plusieurs décisions récentes (Gand, 10 juin 1964, cité par M. Y. HANNEQUART, dans sa note précitée; Gand 26 mai 1966, R. W., 1965-1966, col. 1271; voy. aussi. civ. Bruxel­les, 9 mars 1965, J.T., 1966, p. 27, et R.G.A.R., 1966, no 7618 avec note R.O. DALcQ; civ. Anvers, 27 décembre 1968, J. T., 1969, 223), cette conception a été rejetée par une autre partie de la jurisprudence des juridictions de fond (Bruxelles, 11 juin 1965, cité par Y. HANNEQUART, note précitée; Gand, 7 mars 1967, R. W., 1967-1968, col. 348) avant de l'être par la cour de cassa­tion elle-même, dans un arrê~ fort explicite mais aussi très discuté (cass., 14 juin 1968, rejetant un pourvoi dirigé contre Gand, 7 mars 1967, précité, Pas., 1968, I, 1177; R.O.J.B., 1968, p. 387 et obs. DABIN; J.T., 1968, 472; R. W., 1968-1969, col. 405; R.J.I., 1968, 413; R.G.A.R., 1969, 8177 et note DALCQ) : << l'entrepre­neur qui commet une faute personnelle ou une négligence dans la construction du bâtiment est responsable, en vertu des articles 1382 et suivants du Code civil, du dommage qu'il cause ainsi au propriétaire bâtisseur qui, ensuite de ladite faute personnelle, devient à l'égard du propriétaire voisin débiteur d'indemnité compensatoire ou d'une indemnité compensatoire plus lourde )), Ainsi donc, <<la circonstance que le propriétaire bâtisseur est tenu à indemnité compensatoire à l'égard du propriétaire voisin, par application de l'article 544 du Code civil, n'exclut pas qu'un tiers, en l'espèce l'entrepreneur, soit tenu au profit du propriétaire bâtisseur à indemniser le dommage à lui causé par la faute personnelle de ce tiers, faute qui, ou bien donne naissance à l'indemnité compensatoire due par application de l'article 544 du Code civil ou bien contribue à rendre cette indemnité plus lourde)). Qu'en déduire, sinon une condamnation de la théorie de la subsidiarité, d'autant plus nette que la cour suprême, en réponse au premier moyen du pourvoi, prend soin de préciser que l'arrêt critiqué <<d'une part à pu décider, sans relever de faute dans le chef des demandeurs assignés en leur seule qualité de propriétaires bâtisseurs, que ceux-ci doivent, sur la base de

Revue Critique, 1971, 1 - 9

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l'article 544 du Code civil, une indemnité compensatoire au pro'­priétaire voisin et, d'autre part, a pu admettre que cette indem­nité compensatoire est résultée, à tout le moins pour partie, de la faute personnelle commise par l'entrepreneur>> ... Plus précise encore, la cour d'appel de Bruxelles souligne de son côté (Bru..: xelles, 26 avril1969, J.T., 1969, 440) que le maître de l'ouvrage ne peut ((paralyser>) l'action du voisin lésé en invoquant la faute de l'entrepreneur ou de l'architecte : elle semble ainsi vouloir attribuer à la théorie adverse un caractère fondamentalement dilatoire, ce que la cour de cassation, au demeurant fort prétorien­ne en l'occurrence, s'est bien gardée d'alléguer pour sa part.

21. TROUBLES DE VOISINAGE.· - SITUATION JURIDIQUE DE

L'ENTREPRENEUR. -.,--L'arrêt de la cour de cassation du 14 juin 1968, évoqué au numéro précédent, fournit à l'analyste l'occasion d'une brève synthèse quant à la situation exacte de l' entrepre­neur (aisément transposable d'ailleurs· au cas de l'architecte), relativement aux dommages causés aux propriétés voisines. D'une jurisprudence somme toute relativement homogène, trois règles complémentaires peuvent être dégagées avec certitude.

La première exprime l'idée qu'en a:ucun ·cas l'entrepreneur ne peut être tenu - fût-ce pour .partie - de participer au rétablis­sement de l'égalité rompue, dès lors que l'action de la victime est fondée sur l'article 544 du Code civil : J'équilibre que cette action tend à restaurer suppose en effet nécessairement l'existence de biens voisins et l'entrepreneur qui effectue des travaux pour compte d'autrui est étranger aux liens de droit qui naissent de ce voisinage. Cette formule tirée de l'arrêt de la cour de cassation du 28 janvier 1965, précité (voy. supra, n° 19), est, sinon repro­duite, du moins admise par les juridictions de fond (civ. Bruxelles, 9 mars 1965,.R.G.A.R., 1966, 7618 et obs. DALCQ; J.T., 1966, 27; Gand, 9 mars 1965, R. W., 1964-1965, col. 2132; civ. Bruxelles, 11 octobre 1965 et 22 février 1966,R.J.I., 1966, nos 4210 et 4211; civ. Liège, 7 juin 1966, R.G.A.R., 1967, 7913; comm. Anvers, 5 octobre 1966, R. W., 1966-1967, col. 898; Bruxelles, 2 .mai 1967, Pas., 1967, II, 275, cité avec la date du 27 niai in R.J.I.; 1968, no 4454; Bruxelles, 8 mars 1968, R.J.l., 1968, n° 4444, et J.T., 1968, 401; Bruxelles, 3 avril1968, J.T., 1969, 10). La cour de cassation a, dans un arrêt du 5 mai 1967 (Pas.,. 1967, I, 1049'; R.G.A.R., 1969, 8153}, confirmé cette :règle en reprochant à une

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cour d'appel d'avoir condamné un entrepreneur au seul motif que celui-ci aurait dû et aurait pu normalement prévoir que ses travaux contribueraient à une atteinte au droit de propriété du voisin (sur cette manière de voir, voy. spécialement PIRET,

<<Les troubles de voisinage et l'arrêt de cassation du 7 avril 1949 >>, R.G.A.R., 1949, 4432).

Seconde règle : l'entrepreneur est en revanche tenu de réparer le dommage causé aux propriétés limitrophes dès lors que ce dom.: mage a pour origine une faute commise par lui. La faculté qu'a la victime du trouble d'agir contre son voisin, sur le pied de l'article 544, n'exclut donc pas qu'elle puisse demander, si elle l'entend, réparation immédiate à l'entrepreneur fautif, conformément au droit commun de la responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle (civ. Bruxelles, 9 mars 1965, précité; Gand, 9 mars 1965, R. W~, 1964-1965, col. 2132; civ. Bruxelles, 20février1967,R.J.I., 1967, 269; Gand, 13 juin 1967, R.J.I .. 1967, 349; Anvers, 27 décembre 1968, J.T., 1969, 223). Et s'il apparaissait que le dommage résulte en réalité d'une faute commune à l'entrepreneur et au maître de l'ouvrage, la victime peut, en invoquant l'article 1382, assigner en même temps les deux responsables et réclamer leur condamnation in solidum (civ. Bruxelles, 9 mars 1965, précité; Bruxelles, 19 novembre 1965, R. W., 1965-1966, col. 950; Gand, 9 mai 1968, Pas., 1969, II, 219), toujours en application du droit commun (voy. cette Revue, 1966, n° 64, p. 323).

Troisième principe : assigné par la victime du trouble - la­quelle, on le sait (voy. supra, n° 20), est désormais habilitée à se contenter d'invoquer l'article 544 pour obtenir du moins le réta­blissement de l'équilibre rompu sans avoir à prouver autre chose que le dommage ·excessif - le propriétaire, débiteur << en pre­mière ligne>>, peut se retourner contre l'entrepreneur à qui une faute pourrait être reprochée, et même l'appeler en garantie sans plus attendre. Ainsi en décide l'arrêt de la cour de cassation du 14 juin 1968, déjà plusieurs fois cité.

Le propriétaire assigné pourra pareillement s'en prendre à son entrepreneur lorsque, même en l'absence de faute dans le chef de ce dernier, une clause contractuelle du oahier des charges con­sacre l'exonération complète du maître de l'ouvrage et impose au professionnel l'obligation générale de réparer ou de compenser, quelle que soit l'origine du dommage causé. Sur ce point, toute-

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fois, il. convient de souligner que la jurisprudence ne s'accorde point encore quant à l'interprétation qu'il convient de donner aux clauses habituellement insérées dans les contrats d'entre­prise. Dans son arrêt du 28 janvier 1965, précité, la cour de cas­sation se refuse à prendre parti, quant au fond, encore que l'on puisse déceler une certaine circonspection de sa part vis-à-vis de la clause qui se bornerait à stipuler de façon générale que l'entre­preneur est seul responsable des dégâts éventuels causés aux tiers. L'arrêt du 5 mai 1967 (Pas., 1967, I, 1049; R.G.A.R., 1969, 8153; R. W., 1967-1968, col 79) se montre de son côté fort favorable au maître de l'ouvrage en présence d'une clause plus explicite, il est vrai, stipulant que l'entrepreneur prend à sa charge toute la responsabilité et tous les risques de l'entreprise et est personnellement responsable de tout dommage éventuel) direct et indirect, prévisible ou non, causé par lui, ses préposés ou de toute autre manière, au maître de l'ouvrage ou à des tiers. Mais, l'arrêt du 24 juin 1968 paraît beaucoup plus réservé. Tout se résumerait-il, en l'espèce, à une question de fait et à un pur problème d'interprétation? Dans l'attente, plus que probable, d'un nouvel arrêt sur ce point, les parties veilleront en pratique à préciser de la manière la plus nette leur volonté (voy. obs. R.O. DALCQ, R.G.A.R., 1965, 7424). La lecture de plusieurs décisions récentes, rendues par les juridictions de fond, ne peut que les y inciter (civ. Bruxelles, 22 février 1966, R.J.I., 1966, p. 62; comm. Bruxelles, 14 octobre 1965, J.O.B., 1967, p. 193; civ. Liège, 7 juin 1966, R. G.A.R., 1967, 7913; Gand, 7 mars 1967, R. W., 1967-1968, col. 348; Bruxelles, 2 (ou 22) mai 1967, Pas., 1967, II, 275, et R.J.I., 1968, p. 195; Bruxelles, 8 mars 1968, R.J.l., 1968, p. 171; Liège, 30 octobre 1968, J.L., 1969-1970, 33).

22. TROUBLES DE VOISINAGE.- CHAMP D'APPLICATION DE LA THÉORIE QUANT AUX PERSONNES : TITULAIRES DE DROITS RÉELS, COPROPRIÉTAIRES, LOCATAIRES.- Ainsi qu'on vient de le voir, l'entrepreneur ne peut, sauf clause contractuelle expresse, être tenu de compenser le déséquilibre né, sans faute, du trouble excessif. Mais est-ce à dire que la théorie spécifique des troubles de voisinage ne puisse jamais trouver à s'appliquer que lorsque le litige se meut ~ntre deux propriétaires1 Le titulaire d'un droit d'usufruit, le locataire, ne pourraient-ils invoquer à leur profit l'article 544 pour réclamer réparation au propriétaire de l'im-

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meuble voisin? Et que décider, à l'inverse, lorsque le trouble excessif provient du comportement non fautif du titulaire d'un droit réel démembré de la propriété, voire d'un simple droit. de créance relatif à l'immeuble? La question, délicate, divise la doctrine; quant à la jurisprudence, elle n'y a apporté, à ce jour, qu'une réponse à la fois prudente et fragmentaire. Que déduire en effet de l'arrêt du 28 janvier 1965 lequel, pour justifier l'absolution de l'entrepreneur, affirme que l'équilibre dont la théorie entend assurer le respect suppose << nécessairement l'existence de biens voisins>> et, semble-t-il, l'existence de<< liens de droit>> nés de ce voisinage (voy. supra, n° 21)? Peu de chose, en vérité, car la formule est bien vague.

A tout le moins n'interdit-elle pas d'appliquer la théorie des conflits de voisinage de façon générale entre titulaires de droits réels, quels qu'ils soient (voy. déjà les obs. de M. VIEUJEAN, dans cette Revue, 1966, n° 64, p. 324 et suiv. Comp. toutefois, à propos d'un litige entre un propriétaire et une société de distri­bution d'énergie électrique invoquant la servitude d'utilité publique établie par la loi du 10 mars 1925, civ. Liège, 10 janvier 1966, Rev. comm., 1967, 173). Mais qu'en est-il lorsque l'un des protagonistes est un simple locataire ? Il doit en aller de même, décident le tribunal civil de Bruxelles, dans une hypothèse où le titulaire d'un bail commercial se prétend personnellement victime d'un trouble excessif (civ. Bruxelles, 9 mars 1965, J.T., 1966, 27; R.G.A.R., 1966, 7618), et la cour du même lieu, dans un litige analogue (Bruxelles, 3 avril 1968, J.T., 1969, 10). Les rai­sons alléguées- lorsqu'il en est- ne sont pas toujours perti­nentes et l'on s'étonnera par exemple, avec M. DALCQ (obs. sous civ. Bruxelles, 9 mars 1965, R.G.A.R., 1966, 7618), de voir invoqué en l'espèce l'enseignement pourtant bien différent de :MM:. DE PAGE et DEKKERS (op. cit., t. V, n° 940). Le moins con­testable des arguments ne se découvrirait-il pas à l'examen des arrêts de notre cour suprême, lesquels- depuis 1960- exigent seulement dans le chef de chacun des protagonistes l'existence d'un droit égal à la jouissance de la propriété (comp. B. GLANS­DORFF, op. cit., J.T., 1968, p. 2, no 13)? Une telle explication aurait au surplus l'avantage de justifier non seulement le droit pour le locataire d'invoquer la théorie contre le propriétaire voisin mais encore l'obligation pour lui d'en subir les conséquen-

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ces, si d'aventure il cause à une propriété limitrophe un trouble excessif.

Quand même il serait difficile d'admettre ces conséquences ultimes du principe adopté par la cour de cassation, force sera bien, en tout cas, de considérer qu'il peut être, le cas échéant, invoqué par ou contre les copropriétaires d'un immeuble à appartements multiples, dès lors que le éonfl.it a trait, d'une manière ou d'une autre, aux parties communes du bâtiment. Telle est l'opinion, à notre sens tout a fait justifiée, de la cour d'appel de Bruxelles (25 juin 1965, J.T., 1966, 26) et de la cour d'appel de Gand (7 mars 1967, R. W., 1967-1968, col. 348) à propos de troubles de voisinage nés de la construction de << buil­dings>>. On approuvera pareillement la première d'avoir décidé que la victime peut se borner à n'assigner qu'un copropriétaire, encore que la totalité de la réparation ne puisse lui être réclamée, et la seconde d'avoir souligné que, dans l'hypothèse où tous les copropriétaires ont été mis en cause, il ne peut être question, sur la base de l'article 544 du Code civil, de condamner ceux -ci solidairement. Tout ceci est conforme à la fois au droit commun de la propriété par appartements (voy. infra, n°8 28 et 29) et de la responsabilité spécifique pour troubles de voisinage (voy. J. DABIN, obs. sous cass., 14 juin 1968, R.O.J.B., 1968, p. 399 et note 28).

23. TROUBLES DE VOISINAGE.- NOTION DE TROUBLE EXCESSIF ET MODALITÉS DE LA COMPENSATION. - Restent à préciser les conditions matérielles et les conséquences de l'application de la théorie, à lalumière des décisions récentes. La tâche n'est guèr~ plus aisée, car nombre d'hésitations se perçoivent encore. On se bornera donc, une fois de plus, à dresser le plus clairement pos­sible l'état de la question. Deux difficultés dominent le débat. D'abord, quand un trouble peut-il être considéré comme excé­dant la mesure des inconvénients du voisinage 1 Ensuite, com­ment rétablir l'équilibre rompu et de quels éléments tenir compte pour fixer la mesure de la << juste et adéquate compensa­tion>>~

A elle seule, la première mériterait de longs commentaires, car la part du normal et de l'anormal n'est guère plus aisée à déter­miner en droit qu'en médecine .. Et de quels types de troubles, au surplus, convient-il de tenir compte 1 Sur ce double thè1ne, le

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tribunal civil de Bruxelles nous livre quelques considérations propres à susciter la réflexion (ci v. Bruxelles, 9 mars 1965, pré­cité) : l'appréciation du caractère normal ou anormal pourrait être différente selon que les travaux exécutés par le voisin ont entraîné des dégradations matérielles à l'immeuble ou seUlement, au préjudice du commerce exercé dans cet immeuble, une perte de clientèle; elle pourrait pareillement différer selon que la propriété voisine est privée ou publique, cette dernière circon­stance étant du moins de nature à rendre prévisible nombre de dommages. Au surplus, ajoute le tribunal, <<il n'est pas impos­sible que certains dommages, même importants, soient exclus de la compensation dans certains cas et même en fait dans la majo­rité des cas, à raison de leur objet>>. Et de citer la privation ou la diminution de l'agrément d'une vue, affirmation sans nuance dont on a déjà fait bonne justice dans cette Revue (obs. de M. VIEUJEAN, R.O.J.B., 1966, n° 64, p. 326 et 327). La cour de Bruxelles, de son côté, s'essaye à établir une limite ferme en soulignant que la rupture d'équilibre suppose soit une atteinte à la sécurité ou à la solidité de l'immeuble, soit une réduction permanente de sa jouissance, à l'exclusion des désagréments passagers (Bruxelles, 13 mars 1967, Pas., 1967, II, 240). Mais la conception paraît trop étroite au tribunal civil de Liège, qui accueille la demande de la victime << en dépit des considérations émises par les défendeurs touchant le caractère temporaire des troubles litigieux et les compensations que les préjudiciés peuvent trouver actuellement et à l'avenir dans les aménage­ments apportés à leur immeuble et dans la construction d'une voie d'accès plus aisée>> (civ. Liège, 7 juin 1966, R.G.A.R., 1967, 7913). En revanche, le même tribunal entend tenir compte de la situation géographique concrète, en soulignant que le carac­tère résidentiel et calme d'un quartier est de nature à réduire le champ· des désagréments normaux inhérents au voisinage. A défaut d'une <<préoccupation individuelle>>, unanimement con­damnée et rejetée encore dans la décision elle-même, le juge admet du moins ainsi, comme le proposent· MM. DE PAGE et DEKKERS (t. V, n°8 927 et 928),le concept de <<préoccupation col­lective>> (comp., pour un cas de responsabilité fondée sur la faute, Gand, 25 novembre 1968, R.G.A.R., 1969, 83"40, et revoy. les obs. de M. VIEUJEAN, cette Revue, 1966, n° 64, p. 328 et ·329). ·

Il n'est pas étonnant, .en présence de principes aussi lâches,

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que la jurisprudence présente quelque diversité et, surtout, qu'elle puisse à l'occasion se montrer fort large quant aux types de dommages susceptibles d'être pris en considération. Fissures, lézardes, effondrements, certes, mais aussi poussières, bruits, odeurs, trépidations (civ. Liège, 7 juin 1966, précité), préjudice commercial (civ. Bruxelles, 9 mars 1965, précité), l'origine du dommage serait-elle, selon le juge de paix de Nivelles (13 mai 1965, Rec. Niv., 1964-1966, 60), l'ébranlement général de l'air dû à un << bang >> supersonique. Pourquoi devrait-il en aller autrement, explique en substance le juge de paix, en demeurant sur le plan des principes, puisque l'Etat, assigné en l'espèce en la personne du Ministre de la défense nationale, a souveraineté complète et exclusive sur l'espace atmosphérique au dessus de son territoire, en vertu de l'article 1er de la convention de Chicago approuvée par la loi du 30 avril 1947 ~ Plus classique est à coup sûr le cas de l'étouffement du tirage d'une cheminée par la construction, sur le terrain jouxtant, d'un immeuble de grande hauteur. On se rappelle que telle fut l'occasion de l'un· des deux arrêts du 6 avril1960 (cette Revue, 1962, no 109, p. 249), Deux décisions de justice de paix reprennent à leur compte la solution naguère adoptée, en y apportant d'intéressantes préci­sions. Ayant, pour ériger son immeuble, exhaussé le mur du voisin et spontanément exhaussé les deux cheminées qui s'y trouvaient incorporées, le constructeur entend toutefois que lui soit payée la mitoyenneté de la partie du pignon ayant servi à l'exhaussement desdites cheminées. La position du juge de paix de Liège est nette (J. de P. Liège, 11 septembre 1964, J.L., 1964-1965,- p. 198) : une telle 'demande n'est pas fondée, le voisin n'ayant dû subir cette nécessité d'élévation que par le fait du constructeur : il a donc le droit<< de jouir sans entraves et gra­tuitement de ces cheminées pour Je service de son bâtiment tel qu'il existait au moment de la construction voisine>>. Confor­mément, selon nous, au droit commun de la mitoyenneté, le juge conclut qu'un payement ne pourra lui être réclamé que le jour ou il élèvera à son tour son bâtiment en utilisant l' exhaus­sement (article 660duCode civil). Reste que ce jour peut ne point venir et que, le temps ayant fait son œuvre, les cheminées peu­vent se dégrader. Le constructeur, qui les a exhaussées à ses frais, est-il aussi tenu de les réparer? La question mériterait plus de développements que ne lui en accorde le juge de paix de

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Namur (1er avril 1966, J.L., 1965-1966, 254) en partageant quelque peu hâtivement les responsabilités.

L'hypothèse de l'étouffement des cheminées a le mérite supplémentaire de mettre en évidence un élément de la réponse qu'appelle la seconde de nos interrogations initiales :. le réta­blissement de l'équilibre rompu et, partant, la compensation, peuvent se réaliser en nature (voy. encore comm. Anvers, 5 octo­bre 1966, R. W., 1966-1967, col. 898). On prendra soin de se souvenir, d'autre part, qu'il ne convient de <<réparer)) que l'excès de dommage (voy. supra, n° 20). Cela étant, il semble que la nécessité de déterminer l'étendue précise d'une compen­sation qui, comme on l'a rappelé, doit être à la fois juste et adé­quate, impose au juge l'obligation de tenir compte de nombreux facteurs, Pour en réduire le montant, par rapport aux éléments objectifs déduits de l'expertise des dégâts, on prendra en considé­ration le profit retiré en fin de compte par la victime des aména­gements accomplis par l'auteur du trouble excessif (Bruxelles, 13 mars 1967, précité), la vétusté de l'immeuble atteint (Bruxelles, 8 mars 1968, R.J.I., 1968, no 4455, p. 199) ainsi que les vices de construction de ce dernier, ce qui pourrait - le cas échéant -conduire à réduire à néant le prix de la compensation (voy. les obs. de M. VIEUJEAN, cette Revue, 1966, n° 64, p. 326; adde Bruxelles, 2 mai 1967, Pas., 1967, II, 275, cité 22 mai in R.J.I., 1968, n° 4454; Bruxelles, 11 octobre 1965 et 22 février 1966, R.J.I., 1966, n°8 4210 et 4211; voy. encore concl. MAHAUX, pré­cédant cass., 6 avril 1960, R.O.J.B., 1960, p. 271, et réf. citées par M. Y. HANNEQUART, note à la R.G.A.R., 1967, 7831, fol. 2).

24. TROUBLES DE VOISINAGE. - ÛBLIGATION DE COMPENSER. -OBLIGATION RÉELLE OU PERSONNELLE 1 -Un bien est dégradé, par un fait non fautif, lors de la construction d'un immeuble sur le fonds voisin. L'édification achevée, le constructeur revend son immeuble. A qui la victime du trouble doit-elle s'adresser pour obtenir la compensation que la théorie lui permet de réclamer : à l'<< auteur )) du dommage excessif ou au propriétaire actuel1 L'obligation de rétablir l'équilibre est-elle, en d'autres termes, personnelle ou réelle 1 Sur ce point, la jurisprudence belge nous paraît se réduire présentement à deux décisions, d'inégal intérêt quant aux raisons avancées (Bruxelles, 25 juin 1965, J.T., 1966, 26; comm. Anvers, 5 octobre 1966, R. W., 1966-1967, col. 898).

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L'une et l'autre penchent pour la première solution. Retenons spécialement l'argument défendu par la cour .de Bruxelles, savoir que -le droit à la réparation et l'obligation corrélative de réparer incombant au propriétaire qui a rompu l'équilibre naissant, comme en matière aquilienne, dès que le fait générateur du déséquilibre a été rompu- le droit et l'obligation, toujours comme en matière aquilienne, doivent être considérés comme personnels, tant au propriétaire lésé qu'à celui dont le fait non fautif a causé la lésion. Cette position, approuvée par M. DERINE (Tijd. voor Priv., 1969, no 33, p. 712), procède plus par affirmation que par démonstration : on peut, à ce compte, préférer légitime­ment l'opinion inverse, défendue par M. GLANSDORFF, dans son bref commentaire de la décision sous rubrique (J.T., 1968, p. 2, no 15). Bornons-nous sagement à noter que le problème ici invoqué n'est pas original : il se pose à l'égard de toutes les obligations de dare ou de jacere que les relations nées d'un droit réel peuvent susciter (rapports entre copropriétaires mitoyens, entre nu-propriétaire et usufruitier, entre propriétaire du fonds dominant et propriétaire du fonds servant, etc.). Est-il excessif de reconnaître que la théorie de ces obligations que l'on. pour­rait qualifier de << satellites >> (dans la mesure où, en effet, elles gravitent à titre d'accessoires autour d'une relation principale dont la nature et le contenu ne font aucun doute) reste à faire? Sont-elles réelles, personnelles? La question, avouons-le; n'a pas fait l'objet, en Belgique, de développements complets et cohé­rents. Il faudra bien pourtant que, quelque jour, on s'attache à la trancher (Pour une première approche de ce problème difficile voy. H. ABERKANE, Essai d'une théorie générale de l'obli­gation propter rem en droit français, Paris, 1967).

III. Copropriété ordinaire et copropriété forcée.

25. COPROPRIÉTÉ ORDINAIRE.·- POUVOIRS DES INDIVISAIRES. -'---'- Le copropiétaire d'un immeuble ne peut, seul, le donner en bail. Il ne peut davantage introduire seul une action en résiliation de bail : une telle action n'est recevable que si elle est mue à la requête de tous les copropriétaires, précise le tribunal civil d'Ypres .(8 février 1967, R. W., 1966-1967, col. 1730). La solution doit être approuvée,. du moins pour le cas où un copropriétaire entend mettre fin à un bail consenti par l'ensemble des indivi-

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saires (voy. cette Revue, 1953, p. 236, n° 49, et 1962, p. 250 et suiv., n° 110, c et d).

Pareillement, un copropriétaire ne peut, seul, grever la chose indivise d'un droit réel : il s'agit là d'un acte de disposition, lequel n'est valable que moyennant le concours de tous les copro­priétaires (art. 577bis, § 6). Mais que décider lorsque l'un des copropriétaires meurt après avoir concédé une servitude sur le bien indivis et que les autres - ses héritiers - acceptent la succession? La servitude n'en reste pas moins inopposable aux copropriétaires survivants, décide la cour de cassation dans un arrêt du 20 novembre 1964 (Pas., 1965, I, 284; J.T., 1965, p. 138; R. W., 1964-1965, col. 1979; R.J.l., 1965, p. 191; Rec. gén. enreg. not., 1965, n° 20982 et obs.); quand même, postérieure­ment à la cbncession de servitude, les autres copropriétaires sont devenus héritiers du constituant, il ne s'ensuit pas nécessaire­ment que, par application de l'article 1122 du Code civil, tous les actes du défunt leur soient opposables. En effet, continue la cour, les ayants cause universels ne sont pas liés par les actes de leur auteur, lorsqu'ils peuvent invoquer contre cet acte ·un droit propre que leur confère la loi et auquel l'acte de cet auteur porte atteinte; tel est le cas en l'espèce, conclut-elle, puisque l'article 577bis, § 6, du Code civil accordait aux autres coproprié­taires le droit d'ignorer la servitude établie sans leur concours. Arrêt bref; arrêt dangereux. La Cour suprême entend y dire le droit, mais ne s'explique guère. Avec le commentateur anonyme du Recueil Général de l'Enregistrement et du Notariat (loc. cit.), on regrettera la concision exprême des attendus : que faut-il entendre précisément par droit propre ? A supposer que ce terme revête effectivement une acception juridique précise, les droits conférés aux indivisaires par l'article 577bis du Code civil sont-ils bien des <<droits propres>>? Plus. généralement, suffit-il qu'une prérogative soit accordée par un texte exprès pour qu'elle puisse être qualifiée de cette manière? Si la réponse a cette dernière question devait être affirmative, convenons alors que l'intérêt et l'importance de l'article 1122 du Code civil s'en trouveraient désormais singulièrement réduits (comp. cass., 30 janvier 1941, Pas., 1941, I, 24).

26. CoPROPRIÉTÉ FORcÉE.- NoTION.- CARAcTÈRE AccEs­SOIRE. - CoNSÉQUENCES. - Par partage, deux maisons échoient

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à .deux copartageants différents. Entre les immeubles, une bande de terre (à destination de cour ou de voie d'exploitation) que l'acte de partage affecte aux deux lots à titre de<< mitoyenneté)). Ultérieurement, chacun de ceux-ci est revendu, mais aucun acte de vente ne fait allusion à la bande de terre. Serait-ce à dire que le lopin ainsi ignoré dans les actes postérieurs au partage ne peut être revendiqué par aucun des deux ayants cause, du moins à titre de copropriétaire ? Non, répond le tribunal civil d'Arlon (27 janvier 1967, J.L., 1966-1967, p. 269) qui voit à juste titre dans l'acte de partage la genèse d'une copropriété forcée, sans toutefois invoquer expressément l'article 577bis, § 9, du Code civil. Il en résulte que<< si dans la suite chacun des copartageants a aliéné les biens à lui attribués, sans mentionner la copropriété indivise du terrain litigieux, il a implicitement mais certaine­ment voulu aussi transmettre cette copropriété accessoire des­dits bièns )). C'est trop peu dire : la copropriété est, en l'espèce, non seulement forcée mais aussi accessoire, comme le souligne d'ailleurs la décision elle-même. Cela signifie au premier chef que l'aliénation du fonds divis ne peut en aucun cas s'effectu~r sans qu'automatiquement soit transférée la part de copropriété sur le bien affecté à son usage (CL. RENARD, op. cit., no 380). Que le vendeur du fonds principal veuille ou ne veuille pas transmettre aussi la copropriété ne change rien à l'affaire (sic: B. GLANSDORFF, J.T., 1968, p. 2, n° 20). Cela dit, chacun peut exercer sur la chose commune tous les droits inhérents à la qualité de propriétaire, à la condition de ne pas en changer la destination et de ne pas nuire au droit de ses consorts (voy. art. 577bis, § 10). Peuvent en conséquence être considérés comme licites l'établissement d'une fenêtre donnant sur la cour commune et l'aménagement d'une canalisation sous son assiette (même décision).

27. COPROPRIÉTÉ FORCÉE. - ORIGINE. - PARTAGE D'UN IMMEUBLE EN APPARTEMENTS. -Un immeuble appartient en copropriété à plusieurs personnes. Saisi d'une action en partage, le juge peut-il décider d'attribuer à chaque indivisaire un étage ou une partie d'étage et prétendre ainsi procéder au partage en nature d'un immeuble commodément partageable? En faveur d'une réponse négative, de nombreux arguments peuvent être invoqués, notamment le fait qu'une telle opération ne met pas complètement fin à l'indivision puisqu'elle laisse subsister - par

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la force des choses- un certain nombre de parties communes : elle ne pourrait donc être retenue sans l'accord de tous les indivi­saires, puisque chacun d'entre eux possède le droit absolu de sortir définitivement et totalement d'indivision. C'est l'idée essentielle qui sert de fondement au pourvoi dirigé contre un arrêt de la cour d'appel de Bruxelles du 30 mai 1967 (Pas., 1967, II, 287) : le régime visé par l'article 577bis, § 11, n'a été prévu par le législateur qu'en cas de division volontaire d'étages ou de parties d'étages, y lit-on; le juge ne pourrait légalement imposer un morcellement impliquant le maintien d'une indi­vision, même accessoire, à ceux qui précisément demandent à en sortir. La cour de cassation rejette l'argument en mettant l'accent sur la spécificité de la copropriété accessoire et forcée; un partage de ce type, dit-elle dans son arrêt du 5 décembre 1968 (J.T., 1969, 136), loin de laisser subsister l'indivision précaire et inorganisée que vise l'article 815 du Code civil, a pour effet d'y mettre un terme : <<cet article est étranger à l'indivision, néces­saire et accessoire, des parties de l'immeuble affectées à l'usage commun des appartements appartenant à des propriétaires différents ... >>. Et d'ajouter qu'on ne heurte point le droit de sortir d'indivision, en ordonnant le partage de l'immeuble en appartements, puisque la copropriété qui résultera du partage ne se confond pas avec l'indivision<< précaire, provisoire et inorga­nisée>>, seule visée par l'article 815 du Code civil. La précision des attendus de l'arrêt permet de croire que la cour a entendu étouffer dans l'œuf une controverse qui prit naguère en France des proportions considérables (voy. par ex. R. DECOQ, <<La division des immeubles par appartements dans les partages>>, Rev. trim., 1960, 569 et suiv.; RosENFELD et LIDSKY, <<Indivision, copropriété et partage successoral>>, Dalloz, 1955, Chronique, 33). Tous arguments pesés, nous inclinons à penser qu'il valait mieux qu'il en fût ainsi. Par hypothèse, une décision de la· cour suprême est sage : en l'espèce, justesse et sagesse s'allient; en faut-il davantage pour combler l'interprète? (Voy. par exemple, quant à l'ampleur de la discussion en France, MARTY et RAYNAUD, op. cit., t. II, 2, n° 241 et les nombreuses références citées; comp. AEBY, La propriété des appartements, 1960, n° 72).

28. COPROPRIÉTÉ FORCÉE. - PROPRIÉTÉ PAR ÉTAGES. DROIT DES COPROPRIÉTAIRES D'AGIR EN JUSTICE. -:- ACTION

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EN RESPONSABILITÉ CONTRE UN TIERS RELATIVEMENT. AUX

PARTIES COMMUNES, - Les parties communes d'un immeuble à appartements multiples présentent quelque défectuosité de nature à donner ouverture à l'action en responsabilité décennale contre l'entrepreneur ou l'architecte: un ou plusieurs coproprié­taires peuvent-ils agir en justice sans que soit rapporté le con­sentement de tous les communistes~ La jurisprudence répond par l'affirmative, avec quelque hésitation pourtant. On perçoit, à la lecture des décisions, l.ine gêne certaine : les arguments de fait, d'équité et de bon sens l'emportent sur les raisons propre­ment • juridiques et ces dernières ne sont pas toutes également admissibles. Pour justifier la recevabilité de l'action, les tribunaux reprennent volontiers à leur compte un raisonnement déjà tenu voici longtemps par la cour de cassation (cass., 4 décembre 1941, Pas., 1941, I, 443; voy. nos obs. dans cette Revue, 1950, p. 262, n° 75), à savoir que l'article ,577bis, § 6, qui décide que les actes d'administration et de disposition ne sont valables que moyen­nant le concours de tous les copropriétaires, est étranger aux rapports entre ceux-ci et les tiers, lesquels demeurent régis par le droit commun (en ce sens, voy. Bruxelles, 26 novembre 1965, Pas., 1966, II, 29; réf. civ. Liège 23 février 1968, J.L., 1968-1969, 68). La solution est à coup sûr admissible mais peut-être est-elle --,--- ainsi exposée - quelque peu trop laconique. Resterait en effet à préciser de façon positive ce qui - en fonction du droit commun- permet de·justifier l'action d'un ou de quelques copropriétaires. Sur ce point précis; qui a fait l'objet en France de discussions vives (voy. J. HANSENNE, La servitude collective, Liège, 1969, p. 488 et suiv. et références citées), la réponse la plus simple et la plus évidente qui se puisse donner trouve sa source dans le fait que, en matière de propriété par étages, chaque copropriétaire est titulaire exclusif d'une part dans les biens communs : il est en conséquence normal qu'il soit déclaré recevable à agir en justice, relativement à tout ce qui touche les parties indivises, du moins dans la limite des prérogatives qui sont siennes. C'est dire que chacun ne peut en principe réclamer réparation qu'en proportion de sa part; il pourrait cependant en aller autrement dans l'hypothèse où le vice affectant les parties communes cause un dommage spécifique à un ou plusieurs communistes, à l'exclusion des autres (voy. en ce sens Bruxelles, 26 novembre 1965, précité, et Bruxelles, 15 janvier 1965, J.T.,

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1965, 523; Ann. not. enreg., 1965, 81; Rev. prat. not., 1966, 38). Comme le souligne cette dernière décision, en précisant en quelque sorte la ligne de conduite à suivre, << il est évident que les troubles de jouissance résultant pour les différents propriétai­res des vices dont sont infectées les parties communes peuvent être très différents et en tout cas sans aucune relation avec le nombre de millièmes possédés par chacun d'eux dans lesdites parties communes>>.

A fortiori, l'action d'un copropriétaire contre l'entrepreneur ou l'architecte devra-t-elle être déclarée recevable lorsqu'il apparaît que le vice affectant telle partie commune entraîne des dégradations relativement aux parts privatives du demandeur (voy. civ. Liège, 16 février 1967, J.L., 1967-1968, 20, R.J.I., 1967, p. ·403, dont certains motifs peuvent être discutés, en fonction des observations qui précèdent).

Pourrait-on autrement justifier la demande du copropriétaire agissant seul ou avec l'accord de quelques-uns seulement des communistes, en argumentant par "exemple de l'article ~77[Ji~, § §, et en prétendant que l'action intentée contre l'architecte ou l'entrepreneur est un acte d'administration provisoire~ La cour d'appel de Bruxelles dans son arrêt du 15 janvier 1965 (précité) répond par l'affirmative au motif qu'il s'agirait là d'un de ces actes<< qui ne nuisent guère aux autres copropriétaires, soit sous forme d'engagement, soit sous forme d'appauvrissement>>, et qui constituent, aux dires de MM. DE PAGE et DEKKERS (t. V, no 1160), la catégorie des actes d'administration provisoire. Ce n'est pas le lieu de réexaminer le difficile problème de la distinc­tion entre actes d'administration courante et actes d'adminis­tration provisoire (voy. par exemple Pandectes belges, v 0 Actes d'administration). Bornons-nous à dire que si la définition don­née par MM. DE PAGE et DEKKERS peut, encore qu'elle soit fort sommaire, servir de guide aux tribunaux, il nous paraît exclu qu'une action en justice ayant pour origine la responsabi­lité de l'architecte ou de l'entrepreneur qui a réalisé les parties communes puisse être regardée comme autre chose qu'un acte de disposition. Aussi bien est-ce pour cette raison que chaque copro­priétaire ne peut en principe l'intenter que pour sa part. L'argu­mentation de la cour de Bruxelles, condamnable en tant que règle générale, ne peut trouver en l'espèce sa justification que parce que le principe de la mise en œuvre de l'action avait été

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au préalable admis par l'assemblée générale des copropriétaires. Ce n'est pas à dire, notons-le, qu'aucune action en justice ne

puisse être déclarée recevable au motif qu'elle constitue un acte d'administration provisoire, voire un acte conservatoire. Il en irait ainsi par exemple d'une action en référé, par laquelle quelques copropriétaires solliciteraient la désignation d'un expert chargé de faire un constat des lieux (réf. civil Liège, 28 février 1968, J.L., 1968-1969, 68; J.T., 1968, 275; R.J.l., 1968, p. 283).

29. COPROPRIÉTÉ FORCÉE. - PROPRIÉTÉ PAR ÉTAGES. -ACTION EN RESPONSABILITÉ D'UN TIERS CONTRE UN COPROPRIÉ­TAIRE. - TROUBLES DE VOISINAGE. - CARACTÈRE RÉEL OU PERSONNEL DES DROITS ET DES OBLIGATIONS. - A l'inverse de l'hypothèse examinée au numéro précédent, le tiers vi()time

'L d'un dommage trouvant son origine dans la copropriété peut-il n'attraire en justice qu'un seul des communistes~ Oui, répond la cour d'appel de Bruxelles (25 juin 1965, J.T., 1966, 26) à propos d'une action en responsabilité intentée par un propriétaire voisin, victime d'un trouble de voisinage causé par la construc­tion des parties communes de l'immeuble à appartements. Sans doute l'obligation des copropriétaires de ne point rompre l'équi­libre entre fonds voisins était-elle, à l'origine, indivisible, mais l'obligation de somme qui s'y substitue en cas d'inexécution est;' elle, divisible (réf. à LAURENT, op. cit., t. XVII, n° 401; DE PAGE et DEKKERS, t .. III, no 295, B, 2o; cass., 1er juillet 1880, Pas., 1880, I, 259). Sans doute encore la victime ne peut-elle réclamer réparation de la totalité du dommage au seul copropriétaire assigné, mais ceci ne suffit pas pour conclure à l'irrecevabilité de l'action car <<le créancier de plusieurs débiteurs conjoints n'est pas tenu, même s'il devait exister une étroite connexité entre les actions qu'il pourrait intenter contre chacun d'eux, de s'adresser simultanément à tous>> (même décision).

C'est pour une tout autre raison que la cour a en définitive déclaré irrecevable l'action, intentée in casu par quelqu'un qui n'était plus propriétaire du fonds endommagé au moment de l'introduction de la demande, contre quelqu'un qui n'était pas encore copropriétaire au moment de la naissance du trouble ! L'argument invoqué par l'arrêt est le caractère strictement personnel des droits et des obligations fondés sur la théorie des

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troubles de voisinage, argument curieux et contestable dont on a traité ci-avant (voy. supra, n° 24).

30. COPROPRIÉTÉ FORCÉE. - PROPRIÉTÉ PAR ÉTAGES. ACTION D'UN COPROPRIÉTAIRE CONTRE UN AUTRE RELATIVEMENT AUX PARTIES COMMUNES. - COMPÉTENCE. - Troisième volet du problème : un copropriétaire peut-il agir seul contre l'un de 3 ses consorts qui viole une disposition du règlement de copropriété ou qui contrevient à l'article 577bis, § 10, et modifie la chose commune en en changeant la destination ou en nuisant aux droits de ses consorts 1 Mettant une fois de plus l'accent sur la réalité des droits propres de chaque communiste (voy. supra, n° 25), la cour de cassation répond par l'affirmative, à propos d'un litige ayant trait à la seconde branche de notre interrogation (cass., 7 janvier 1966, Pas., 1966, I, 593; R. W., 1965-1966, col. 1849) : si un copropriétaire apporte à la chose commune, sans le consentement de ses consorts, des modifications_quLen_chan-gent la destinatiQn_ou qui sont de nature à nuire aux droits de -~ ~------~

ceux-ci, tout copropriétaire qu! subit un préjudice-personnel en raison-de cet acte peut agir seul, en vertu de son droit propre, aux fins d'obtenir la suppression de ces modifications. La solution, qui nous paraît dans la ligne des enseignements déduits des déci­sions précédemment examinées, nous semble aussi digne d'être approuvée et généralisée à toutes les hypothèses où. un copro­priétaire, sans modifier nécessairement la chose commune, viole le règlement de copropriété et cause pareillement un préju­dice personnel à un ou plusieurs de ses consorts.

Est-ce à dire que toutes les actions ainsi fondées sur la vio­lation de la <<charte>> sont de la compétence du juge de paix, au motif que l'article 3, 2°, de la loi de compétence du 25 mars 1876 (devenu art. 591, 2°, du Code judiciaire) attribue à ce dernier le pouvoir de trancher, quel que· soit le montant de la demande, les<< contestations ayant pour objet l'usage, la jouissance, l'entre­tien, la conservation ou l'administration du bien commun en cas de copropriété>>? Le juge .de paix de Saint-Josse-ten-Noode (Il mars 1966, J.J.P., 1967, 65) semble le croire et vouloir le proclamer à propos d'une affaire originale. L'un des coproprié­taires avait loué son appartement et autorisé le locataire à y installer un institut de yoga, au mépris d'une << clause d'habita­tion bourgeoise >> inscrite dans le règlement de copropriété ; les

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défendeurs opposent un déclinatoire de compétence fondé sur cette considération- évidente- qu~il ne s'agit pas d'un litige à propos de l'usage de la chose commune. Peu importe, répond en substance le· juge de paix, car le texte invoqué << vise en son ensemble l'immeuble érigé en commun par tous les propriétaires>>. Pareille thèse nous paraît fort laxiste mais il ne sied guère d'en discuter car la querelle n'offrirait plus guère d'intérêt autre qu'historique. Depuis la mise en vigueur du Code judiciaire, la compétence du juge. de paix relativement à ce type de litige ne fait désormais aucun doute : l'article 591, 3°, de ce code décide en effet que le juge de paix connaît <<des contestations ayant pour objet les servitudes>>. Or il est clair que la clause d'habi­tation bourgeoise - serait-elle insérée dans un règlement d'ordre intérieur - est génératrice d'un véritable service foncier, c'est'" à-dire d'une charge grevant chaque part divise au profit de chacune des autres. A cet égard, le fait que la servitude soit réci­proque et collective ne change rien à l'affaire (voy. J. HANSENNE, La servitude collective, 1969, n°8 186 et 188; comp., pour l'hypo­thèse analogue des clauses d'habitation bourgeoise dans les lotissements, le n° 84).

IV. Mitoyenneté.

31. ARTICLE 661 DU CODE CIVIL. -CESSION VOLONTAIRE ET CESSION FORCÉE DE LA MITOYENNETÉ. - NATURE ET CONSÉ­QUENCES.- Aux termes de l'article 661 du Code civil, tout pro­priétaire joignant un mur à la faculté de le rendre mitoyen. C'est dire, précise la cour d'appel de Bruxelles, qu'il s'agit là d'une pré­rogative inconditionnelle que le demandeur n'est en rien tenu de justifier (Bruxelles, 30 octobre 1964, Pas., 1965, II, 232). Il est vain, en conséquence, de prétendre que son action aurait pour seule origine une intention purement malicieuse, par exemple la suppression d'une ouverture pratiquée dans le mur séparatif. La solution est classique (LAURENT, t. VII, n° 505; AUBRY et RAu, t. II, § 622; DE PAGE et DEKKERS, t. V, no 1194; comp. GALOPIN, op. cit., n° 326 et réf.). Le restera-t-elle encore long­temps, face aux progrès de la théorie de l'abus de droit 1

Qu'elle soit volontaire ou forcée, la cession de mitoyenneté con­sécutive à la requête du propriétaire voisin s'analyse comme une vente (voy. cette Revue, 1957, no 56, et 1962, no 112}. Pour être opposable aux tiers protégés par notre Loi hypothécaire, elle

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doit donc être transcrite. Le tribunal de Bruxelles fait appli- . cation de cette règle dans l'hypothèse - elle aussi classique - où le propriétaire qui construit en prenant appui sur le mur latéral de l'immeuble voisin prétend en avoir acquis antérieurement la mitoyenneté avec l'accord de l'auteur du propriétaire actuel de cet immeuble (civ. Bruxelles, 8 mai 1968, J.T., 1968, 386; R.G.E.N., 1968, 439; R.JJ., 1968, 28; voy. aussi civ. Nivelles, 24 novembre 1966, Rec. Niv., 1968, 35). On approuvera pareille­ment sans discussion cette conséquence imposée par les principes généraux (DE PAGE et DEKKERS, t. V, no 1200; BELTJENS, Encyclopédie, Gode civil, sous· art. 661, n° 25 et réf.).

L'objet de l'opération est en toute hypothèse le mur séparatij. On sait toutefois que celui-ci ne constitue point une entité monolithique telle qu'aucune acquisition partielle ne puisse se concevoir. De tout temps, la jurisprudence a admis que l'acqui­sition pouvait porter seulement sur une partie de la longueur ou sur une partie de la hauteur du mur, encore que certaines diffi­cultés puissent surgir à propos de la profondeur des fondations (voy. cette Revue, 1957, n° 54, p. 148, et 1962, no 113, p. 258). Les tribunaux sont en revanche beaucoup plus réticents lorsqu'ils ont à trancher la question si le propriétaire joignant la clôture peut n'acquérir la mitoyenneté du mur séparatif que pour une partie de son épaisseur. La réponse est néanmoins couramment affirmative,lorsque le mur litigieux a une épaisseur anormale ou exceptionnelle (BELTJENS, Encyclopédie, Gode civil, sous art. 661, n° 21; DE PAGE et DEKKERS, t. V, no 1197 et note; comp. HILBERT, Traité de la mitoyenneté, 1955, nos 30 et suiv. ainsi que n° 169). Une décision du juge de paix de Kontich (19 décembre 1967, J.J.P., 1968, 214 et obs. R.J.) confirme cette tendance que le tribunal d'Anvers paraît de son côté enclin à étendre (civ. Anvers, 6 décembre 1965, R: W., 196.5-1966, col. 1447).

Qu'en est-il, d'ailleurs, lorsque le mur est une dépendance du domaine public? La question a fait l'objet en doctrine et en jurisprudence de nombreuses discussions (voy. par exemple obs; WAHL sous Paris, 11 novembre 1897, Sirey, 1900, II, 105; obs. DE LOYNES sous civ., 14 février 1900, Dalloz, 1900, I, 593; PLANIOL et RIPERT, t. III par PICARD, no 313; DE PAGE et DEKKERS, t. V, n° 809, J. DEMBOUR, Droit administratif, 1970, n° 274). Conformément à l'opinion largement dominante, la cour d'appel de Bruxelles (27 juin 1966, Pas., 1967, II, 115; Rev. adm.,

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1968, 256) souligne que la cession de la mitoyenneté d'un tel mur violerait le principe de l'inaliénabilité du domaine public. Seule peut se concevoir, ajoute-t-elle, la concession de l'usage de la mitoyenneté. C'est ce qu'avait fait en l'espèce l'Etat, par le moyen d'une clause autorisant un particulier à user du mur comme clôture et appui pour constructions. Ainsi analysée comme génératrice d'une sorte de droit d'usage sui generis, la convention doit être validée car << elle ne confère point à son béné­ficiaire un droit privatif pouvant faire obstacle à l'usage public normal dudit mur ou qui porterait atteinte au droit de l'adminis­tration de régler ou de modifier cet usage d'après les besoins et l'intérêt de la généralité des citoyens>> (cf. cass., 6 décembre 1957, Pas., 1958, I, 366; voy. aussi, pour une servitude, infra, no 40 in fine).

Reste à déterminer la situation des copropriétaires, une fois la mitoyenneté établie. On connaît le principe : l'acquisition a pour effet de placer les deux voisins sur un pied de parfaite égalité quant à la propriété du mur. Sauf à l'acquéreur à respecter les servitudes grevant la clôture et établies soit au profit de son vis-à-vis, soit au profit d'un tiers, comme le rappelle la cour de Bruxelles à juste titre (30 octobre 1964, Pas., 1965, II, 232). Mais c'est avec moins de bonheur que la cour croit pouvoir découvrir la preuve de l'existence du service foncier (une vue, in casu) dans un aveu tacite déduit de l'exécution donnée à un écrit sans valeur (voy. sur ce point les observations de M. E. VIEUJEAN, qui a critiqué cette décision au titre des Servitudes, dans le précédent examen : cette Revue, 1966, n° 86, p. 352).

Les ouvertures pratiquées dans le mur sont ainsi de nature à imposer à l'acquéreur de la mitoyenneté une charge réelle rompant l'égalité de principe. La même situation peut résulter de l'existence d'une cheminée pratiquée dans l'entière épaisseur du mur. On sait que cette situation suscite nombre de difficultés (voy. cette Revue, 1953, n° 53, p. 238; 1966, no 70, p. 336). Retenons du moins qu'il n'est pas impossible qu'une cheminée de ce type puisse appartenir en totalité à l'un des deux coproprié­taires mitoyens. C'était - semble-t-il - le cas dans l'affaire tranchée par le juge de paix de Nivelles le 22 novembre 1967 (Rec. Niv., 1968, 100; R.J.l., 1968, 295). En pareille hypothèse, il est clair que le conduit doit être_ entretenu et réparé unique­ment par le propriétaire du fonds qui en profite (même décision).

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32. MITOYENNETÉ. ~ USURPATION D'UN MUR PRIVATIF ET ACQUISITION FORCÉE DE LA MI'l'OYENNETÉ. - Négligeant les subtilités de raisonnement qu'impose pourtant le droit commun de la mitoyenneté (voy. cette Revue, 1953, n° 50, p. 237; 1957, no 53, p. 148; 1962, n° 11, p. 256, et 1966, no 67, p. 332), les tribunaux continuent volontiers à estimer que la prise de posses­sion d'un mur privatif implique la volonté d'acheter la mitoyen­neté. Ils reçoivent en conséquence l'action en payement intentée par le propriétaire du mur usurpé et tendent ainsi à la consécra­tion d'un principe nouveau : celui de l'<< acquisition forcée>> de la mitoyenneté (civ. Bruxelles, 19 mars 1963, R.J.I., 1966, 89; civ. Bruxelles, 30 mai 1969, R;J.l., 1969, 251). Encore la prise de possession doit-elle être caractérisée, de façon telle qu'on puisse en inférer une volonté non équivoque, bien que tacite, d'acquérir la mitoyenneté. Est-ce le cas lorsqu'un propriétaire construit un mur en l'accolant au mur du voisin~ Eh principe, une telle juxtaposition est insuffisante (J. de P. Beringen, 12 janvier 1968, R. W., 1967-1968, col. 1934; voy. aussi cette Revue, 1966, no 67, p. 334) mais les circonstances de fait pourraient conduire le juge à en décider autrement. Ainsi dans l'hypothèse où le mur accolé n'a que l'épaisseur d'une demi-brique et où il est manifeste que c'est la présence du mur du voisin qui procure isolation et insonorisation (civ. Bruxelles, 19 mars 1963, précité). Même opinion dans la décision du tribunal civil de Bruxelles du 30 mai 1969 (R.J.I., 1969, 251) qui donne à l'expert mission de dire si le mur juxtaposé <<présente une isolation thermique et phonique normale>> et précise sa tâche en ajoutant : <<dans la négative, après mesurage, évaluer le prix de la mitoyenneté>>. A propos de la détermination de celui-ci, retenons enfin d'une décision du juge de paix d'Anderlecht deux points intéressants (J. de P. Anderlecht, 22 avril1968~ R.J.I., 1968, 277). D'abord, l'indemnité de mitoyenneté doit s'apprécier au jour de l'intentement de la procédure (voy. encore cette Revue, 1953, n° 50); ensuite, le fait de prendre possession du mur ne peut signifier une renonciation à tenir compte de la dévaluation du mur par suite de l'existence des vices, même apparents.

33. CLAUSES DE << RÉSERVE >> DE MITOYENNETÉ. - A plusieurs --~ses déjà, cet examen a permis d'aborder le problème de la.

validité et de l'efficacité des clauses de<< réserve de mitoyenneté>>,

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fréquemment insérées dans les ventes immobilières (cette Revue, 1953, no 54, p. 239; 1962, no 114, p. 259; 1966, no 68, p. 334). On constatera avec satisfaction que les décisions récentes rela­tives à cette question délicate continuent à la trancher dans le seul sens qu'autorisent les principes, encore que la motivation des jugements ne soit pas toujours à l'abri des critiques. Rappe­lons donc succinctement les principales lignes directrices aux­quelles il convient de se tenir. La clause d'un acte d'aliénation d'immeuble par laquelle on entend se réserver tous droits sur un mur séparatif est assurément valable si son bénéficiaire est et reste propriétaire de l'un des deux fonds contigus. Ce n'est d'ail­leurs qu'improprement que l'on parlerait, en pareil cas, de réserve de mitoyenneté : c'est en réalité la pleine propriété de la clôture qui est ainsi<< réservée>> au bénéficiaire (voy. J. de P. Bruxelles, 27 juillet 1967, R.J.l., 1967, 247; comp. DE PAGE et DEKKERS, t. V, n° 1191 in fine; HILBERT, Traité de la mitoyenneté, 1955, n° 241; cette Revue, 1962, n° 114, p. 260, voy. aussi civ. Bruxelles, 22 juin 1964, Pas., 1964, III, 39). Si, en revanche, le vendeur stipulant ne reste propriétaire d'aucun des deux fonds, la clause est impuissante à réserv~r effectivement le droit réel de mitoyen­neté à son profit, car il est inconcevable qu'une chose en état de copropriété forcée et accessoire appartienne pour moitié à une personne qui n'est propriétaire d'aucun des fonds principaux. Ce n'est pas à dire que la clause soit nulle mais, comme le rappelle une belle décision du tribunal civil de Bruges (10 octobre 1964, R.G.E.N., 1965, p. 145; R.J.l., 1965,· 187), elle ne peut être validée qu'à la condition d'y voir la source d'un droit de créance personnel, permettant de recevoir et d'exiger le prix de la mitoyenneté en cas de construction contre le mur visé par la stipulation. C'est rappeler en d'autres termes que celle-ci ne peut juridiquement s'analyser, si l'on entend lui donner quelque effet, qu'en une cession de créance future. Pour lui donner ce même effet, le tribunal civil de Bruxelles utilise, dans une décision du 30 mai 1969 (R.J.l., 1969, 251), une motivation différente. Répondant à l'objection des défendeurs, selon lesquels les clauses de ce type sont contraires aux dispositions impératives de l'article 577bis, § 9, du Code civil, le jugement concède tout à la fois que ce texte est impératif mais . que << la mitoyenneté exté­rieure ( n d'un mur n'est toutefois ·pas un accessoire .au sens de cet article>>. La motivation est à notre sens doublement contes-

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table (voir sur ce point, cette Revue, 1962, n° 114, p. 259 et 260) et le tribunal de Bruxelles est d'autant moins excusable d'avoir ainsi placé le débat sur le plan des droits réels que le demandeur lui-même entendait bien, semble-t-il, analyser la clause comme génératrice d'un simple droit << de toucher à son profit toutes les sommes qui seraient dues éventuellement par un ou des proprié­taires voisins du chef de rachat>> de la mitoyenneté des murs visés !

Reste à déterminer l'étendue de l'efficacité de la clause de <<réserve de mitoyenneté>>, ainsi ramenée à sa seule portée admis­sible au regard du droit positif. Le tribunal de Bruges, dans son jugement précité, a eu l'occasion de répondre du moins à une partie du problème. En l'espèce, le vendeur d'un immeuble s'était, comme on l'a vu ci-avant, réservé le droit de percevoir le prix de la mitoyenneté au cas où le voisin en solliciterait la cession. L'immeuble fait ensuite l'objet de mutations succes­sives et, à l'époque où le voisin entreprend une construction en prenant appui sur le mur de i'immeuble, il apparaît que cet immeuble appartient à un ayant cause dont l'acte d'acquisition ne reproduit pas la clause initiale. Celui-ci assigne évidemment en payement du prix de la mitoyenneté et le perçoit, au dam du bénéficiaire de la clause qui entend recouvrer la somme. Le tri­bunal de Bruges le déboute à juste titre. La prétendue réserve ne pouvant s'analyser qu'en une cession de créance future, il s'en déduit que la propriété, du mur a toujours appartenu en totalité aux acheteurs successifs de la maison. Les droits du propriétaire actuel n'étant donc limités dans aucun de leurs attri­buts et lui même n'étant en rien tenu par les termes d'une clause à laquelle il n'a pas souscrit, il a donc pu exercer valablement une action en payement du prix de la mitoyenneté contre le construc­teur voisin. A l'inverse, celui-ci s'est valablement libéré entre les mains du demandeur. Décision claire, décision juste, témoi­gnant une fois de plus des faiblesses du droit de . créance sur le plan de l'opposabilité. On notera toutefois que le sort du béné­ficiaire de la clause, dont la seule possibilité était en l'espèce de se retourner contre l'ayant cause qui avait omis de faire repro­duire la stipulation dans l'acte d'achat du propriétaire actuel, eût été plus avantageux s'il avait pris la précaution de signifier sans retard la<< réserve>> au voisin, conformément à l'article 1690 du Code civil. Mais ici encore, il convient de souligner la fragilité

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des mécanismes faisant fond sur le concept de droit personnel. A supposer même qu'une telle signification soit faite, le bénéfi­ciaire de la clause ne serait certes pas à l'abri de toutes surprises : pour les voir surgir, il suffit d'imaginer que le voisin vende son fonds sans sou:ffier mot de la signification qui lui a été faite ...

34. ARTICLE 663. - CLÔTURE FORCÉE. - CoNSTRUCTION SANS ACCORD PRÉALABLE DU VOISIN. -Dans les villes et fau­bourgs, tout comme à la campagne, la construction d'un mur <<à cheval>> sur la limite séparative de deux propriétés, par l'un des deux voisins agissant motu proprio, devrait normalement être sanctionnée, à la demande du voisin, par la démolition de l'ouvrage édifié sans son accord. Sage et pratique, la jurisprudence se refuse généralement à accéder à cette exigence qu'impose un raisonnement trop rigide. Ainsi qu'on l'a dit déjà, il serait absurde, lorsque les conditions matérielles de l'article 663 du Code civil sont réunies, de donner au voisin le droit de demander la suppression du mur puisque, tout aussitôt après, sa recon­struction pourrait être entreprise en vertu du titre légal que confère ce texte (cette Revue, 1957, n(} 68, p. 155). C'est dans ce sens que statue encore le tribunal civil de Gand, dans un juge­ment du 21 octobre 1966 (R. W., 1967-1968, col. 1498). La solution a toutefois ses limites; elle connaît tempéraments et nuances (cette Revue, 1967, no 68, p. 155 et 156; 1962, n° 127, p. 277). L'une de celles-ci est très clairement mise en évidence par la cour de· Bruxelles : <<lorsqu'il empiète sur le terrain du voisin pour établir un mur séparatif, le constructeur admet, par le fait de cet empiétement, la destination de ce mur à devenir mitoyen, avec toutes les possibilités prévues en faveur du propriétaire voi­sin par les dispositions du Code civil relatives à la mitoyenneté>>. Il a en conséquence l'obligation de prend.J;~ les précautions nécessaires pour permettre au voisin l'exercice normal de ces possibilités : << à défaut de ce faire, il commet une faute lésant les droits qui naissent du voisinage et engage sa responsabilité sur la base des articles 1382 et 1383 du Code civil>> (Bruxelles, 23 novembre 1966, R.J.I., 1968, 379 et 9 septembre 1969, R.J.l., 1969, 377). C'est une opinion analogue qu'émet à juste titre le tribunal civil de Bruxelles dans un jugement du 28 avril 1965 (R.J.I., 1967, 53;voy. etcomp. cette Revue,l957,n° 68, p.156, c).

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35. ABANDON DE MITOYENNETÉ. -APPLICATION AU CAS PRÉVU

PAR L'ARTICLE 663 DU CoDE CIVIL. - La faculté d'abandon, prévue par l'article 656 du Code civil, peut-elle être exercée dans les villes et faubourgs, alors que l'article 663 décide de son côté que, dans ces lieux, chacun peut contraindre son voisin à contribuer aux constructions et réparations de la clôture sépara­tive 1 Plus précisément encore, le propriétaire sollicité de parti­ciper à la construction peut-il réaliser un abandon anticipé et échapper à toute obligation ultérieure en offrant au voisin la moitié de la bande de terrain nécessaire à la construction du mur 1 La question - l'une des plus controversées du droit des biens- a déjà été étudiée longuement dans ces examens (voy. cette Revue, 1962, no 128, p. 277, et 1966, n° 91, p. 358). A notre sens, l'article 656 s'applique aux fonds dont la clôture est libre; l'article 663 régit ceux dont la clôture est forcée. On connaît les raisons qui nous poussent à adopter cette position, la moindre n'étant pas cette idée que toute autre interprétation rendrait illusoire le régime de la clôture forcée et inutile l'artiCle 663. Faudra-t-il s'incliner devant la thèse adverse et considérer désormais la controverse comme close par l'arrêt de la cour suprême du 8 février 1968 (Pas., 1969, I, 704) 1 Rien n'est moins sûr, en vérité, et l'on peut supputer en tout cas que cette décision ne rétablira pas à elle seule une paix judiciaire troublée en l'es­pèce depuis l'aube du Code civil. Il ne nous paraît pas possible de faire du présent ex;amen l'occasion d'une nouvelle étude critique des différents arguments, successivement exposés avec beaucoup de sûreté par le juge de paix de Liège (9 septembre 1965, J.J.P., 1966, 109; R.J.I., 1966, 199), le tribunal civil de Liège (29 sep­tembre 1966, J.L., 1966-1967, 35; Rev. prat. not., 1967, 98; J.T., 1967, 62; Pas., 1969, III, 113) et M. le procureur général HAYOIT

DE TERMICOURT dans ses conclusions reproduites à la Pasicrisie (1969, I, 704), a propos d'un litige ayant mis aux prises deux particuliers et l'Evêché de Liège. Contentons-nous ici de souligner les motifs déterminants de chacune des décisions intervenues. In casu, l'Evêché de Liège entend construire une école et clô­turer le terrain, jusqu'ici délimité par une haie, au moyen d'un mur élevé à frais communs, conformément à l'article 663. Les voisins argumentent de leur côté de l'article 656 et offrent d'abandonner une bande de terrain de quinze centimètres sur toute la longueur du mur projeté. Proposition non satisfactoire,

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dit le juge de paix en soulignant principalement que l'article 663 a un caractère impératif <<.indépendamment de tout recours à la notion d'ordre public>> : statuer autre!fient équivaudrait à <<effacer>> l'article 663 (LAURENT, t. VI, no 502). Tout au· plus, compte tenu du fait que l'édification constituerait une charge assez lourde pour les voisins, eu égard à la longueur du mur projeté, le juge de paix admet-il qu'il conviendrait de rechercher la solution la plus efficace et la moins onéreuse pour chacune des parties : par exemple la construction en matériaux modernes. La décision, abondamment motivée elle aussi, du tribunal civil de Liège réforme celle du juge de paix en s'attachant spéciale­ment à dégager les fondements sociologiques de l'article 663. Ceux-ci seraient doubles : d'une part, la nécessité de garantir les personnes et les propriétés contre les inconvénients résultant du voisinage et l'intrusion des tiers; d'autre part, une présomption d'intérêt commun aux deux voisins. Mais l'un et l'autre de ces éléments justificatifs de notre texte peuvent venir à manquer. D'abord,<< l'évolution sociale et technique actuelle ôte manifeste­ment à ce texte toute utilité en matière de sécurité publique, celle-ci étant assurée de façon .plus efficace et par des moyens plus modernes qu'au siècle dernier>>. Ensuite, <<dans la mesure où l'article 663 reste fondé sur l'épanouissement harmonieux des intérêts privés entre voisins, il est naturel de permettre à l'un de ceux-ci de s'affranchir d'une charge qu'il peut juger excessive. et irritante, en ·contradiction profonde même avec cet intérêt que l'on a voulu sauvegarder>>. C'est dans le même sens que statue la cour de cassation, en se fondant sur un argument emprunté à FRÉJAVILLE (Dalloz. H., 1934, Chron., p. 77 et suiv.) et à BEu­DANT (Gours, t. IV, p. 404) et développé dans les conclusions de M. le procureur général HAYOIT DE TERMICOURT. Pour le minis­tère public, l'obligation de contribuer à la construction d'un mur séparatif, établie par l'article 663, serait une obligation de voisi­nage fondée sur une présomption juris tantum d'utilité commune; il serait donc possible de la renverser en abandonnant une bande de terrain correspondant à la moitié de la largeur néces.:. saire à la construction du mur, ce délaissement projeté,révélant à lui seul que, pour son auteur, la construction du mur est sans utilité. Un tel abandon permettrait au surplus de déjouer le calcul du propriétaire qui, tout en voulant construire un mur en vue d'un usage personnel, prétend faire supporter par autrui une

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partie des frais de cette construction. Il y aurait beaucoup à dire de cette thèse qui contient en réalité deux propositions par­tiellement contradictoires. Est-ce à dire en effet que l'abandon pourrait se réaliser chaque fois que le mur ne présente aucun intérêt pour le voisin sollicité - ce qui serait établi par la seule manifestation de la volonté de délaisser - ou, plutôt, qu'il ne serait autorisé que lorsque sa construction en présente­rait trop pour le demandeur ? Mais laissons là cette dispute théorique, pour nous en tenir à l'arrêt de la cour suprême, laquelle ne fait expressément sienne qu'une partie des conclu­sions du ministère public. Pour l'un comme pour l'autre, en tout cas, il ne fait pas de doute que l'article 663 donne naissance à une obligation de voisinage fondée sur une présomption juris tantum d'utilité commune du mur à construire. Et ·la cour d'admettre en conséquence que l'arrêt a quo a fait une exacte application de l'article 663 en autorisant l'abandon après avoir expressément constaté cette absence d'intérêt commun, déduite ici du fait que l'Evêché n'envisageait pas la construction du mur dans le seul but de clôturer, mais aussi et principalement pour des motifs personnels qui le laisseraient seul bénéficiaire de l'opération. Le lieu, nous l'avons dit, n'est pas propice aux lon­gues digressions. Risquons cependant deux brèves réflexions, l'une propre à l'espèce, l'autre de portée plus générale. On eût aimé, d'abord, connaître ces<< motifs personnels>> que le juge d'ap­pel - et la cour après lui - évoquent sans les préciser. Du moins le juge de paix avait-il pris soin d'autrement justifier sa décision, en soulignant qu'il serait difficile de concevoir qu'une haie de ligustrum, caduque par endroits, puisse constituer un obstacle suffisant pour une jeunesse turbulente qui aurait tôt fait d'incommoder les voisins. Constatons ensuite que la solution adoptée fait du juge du fond l'arbitre souverain de ces problèmes difficiles, en subordonnant pour tout dire chaque décision à la résolution d'une<< question de fait>> :l'existence ou l'absence d'un intérêt commun à l'érection d'un mur de clôture. Est-il téméraire, en conséquence, d'augurer une augmentation prochaine de la fréquence des procès de cette nature ?

36. PREUVE DE LA MITOYENNETÉ. - Deux immeubles contigus avaient jadis été construits dans le même alignement. Au début du siècle, l'un d'eux. a été démoli et reconstruit en retrait. La

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partie du mur séparatif désormais découverte est-elle ou non mitoyenne~ En tout cas, décide la cour de Bruxelles (Bruxelles, 28 novembre 1968, R.J.I., 1969, 255), aucune présomption de mitoyenneté ne peut être invoquée en l'espèce. La solution est conforme aux enseignements de la cour de cassation, laquelle décidé qu'il faut se placer, pour appliquer lesdites présomptions, au moment du litige (cass., 21 mars 1946, Pas., 1946, I, 113, Rev. prat. not., 1946; 371; voy. nos obs. dans cette Revue, 1950, no 79, p. 263, et dans Rev. trim., 1949, 133) : le mur entier pouvait certes être présumé mitoyen lorsqu'il servait de séparation entre les deux bâtiments (article 653 du Code civil); la partie du mur qui ne remplit plus cet office ne peut continuer à bénéficier de la présomption. La solution est pareillement conforme à l'opinion de MM. DE PAGE et DEKKERS (t. V, no 1212 et références) dont l'arrêt fait implicitement siennes les propositions en soulignant que la preuve de la mitoyenneté doit en conséquence être rap­portée, dans les termes du droit commun, par celui qui prétend que tel continue à être le régime de la partie du mur litigieuse. Entreprise difficile, à vrai dire, car une <<présomption simple>> (du fait de l'homme, dirions-nous plutôt) permet de croire qu'au moment de la reconstruction le propriétaire s'est désintéressé de la portion qui n'offrait plus pour lui d'utilité et en a fait abandon. Pour la renverser, il conviendrait pour ce propriétaire, ajoute la cour de Bruxelles, d'établir qu'il a accompli des actes révélant son intention de continuer à se considérer comme copropriétaire du mur, notamment en contribuant aux frais d'entretien, de réparation ou de reconstruction.

Dans un arrêt du 24 octobre 1964 (Pas., 1965, II, 221), la même cour de Bruxelles rappelle par ailleurs que les présomptions de mitoyenneté prévues par l'article 653 peuvent être renversées par un titre contraire. La décision souligne également que l'on ne peut prétendre à la propriété exclusive d'un mur primitivement mitoyen en invoquant l'extinction du droit du voisin par non usage trentenaire, conformément à l'article 706 du Code civil : <<la mitoyenneté n'est pas une véritable servitude mais bien une copropriété>>, laquelle ne se perd pas par non-usage, souligne l'arrêt. Il en résulte qu'une prétention à la propriété exclusive ne peut s'appuyer que sur une possession non équivoque, contre­disant la possession ancienne du droit de copropriétaire dans le chef du voisin et de ses auteurs et prolongée pendant le temps

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requis pour usucaper. La cour de Bruxelles affirme peut-être un peu hâtivement l'incompatibilité des notions de servitude et de mitoyenneté; quoi qu'il en. soit, elle a raison d'exclure en l'espèce l'application de l'article 706 du Code civil (voy. sur ces points, J. HANSENNE, La servitude collective, nos 169 et suiv.; no 179 et n° 180, notes 1 et 3).

37. HAIE MITOYENNE.- Un arrêt de la cour de cassation du 22 octobre 1964 (Pas., 1965, I, 189; R. W., 1965-1966, col. 1917) tranche un délicat problème de circonstance relatif à rappli­cation de l'article 34, alinéa 3, du Code rural. Il nous paraît suffisant de reproduire ici la synthèse très claire que constitue le sommaire de la Pasicrisie : <<un jugement coulé en force de chose jugée, condamnant un propriétaire à démolir le mur qu'il avait construit à cheval sur la limite séparative de sa propriété et de celle du voisin et à rétablir la haie mitoyenne préexistante, ne fait pas obstacle à ce que, après démolition du mur illégalement établi, ce propriétaire se prévale du droit que lui reconnaît l'article 34 , alinéa 3, du Code rural, et sur lequel il n'avait pas été statué, pour construire un autre mur sur son propre fonds jusqu'à la limite des deux propriétés, sous réserve du rétablis­sement de la partie de la haie se trouvant sur le fonds voisin >>.

V. Usufruit.

38. NUE-PROPRIÉTÉ, USUFRUIT ET DROIT PERSONNEL DE JOUIS­

SANCE. - INTERPRÉTATION DES CONVENTIONS. - Toute acte qui attribue ou qui réserve à une personne un droit de jouissance et d'usage sur un bien ne donne pas nécessairement naissance à un droit réel d'usufruit. Ici comme ailleurs, le juge doit dégager l'intention réelle des parties. Et s'il est vrai qu'il n'est jamais tenu par les termes et les qualifications juridiques dont il a été fait,usage danscl'instrumentum, il reste que, la plupart du temps, c'est l'examen attentif de ce dernier qui arrêtera sa conviction intime. La lecture d'une décision du tribunal civil de Bruxelles du 16 juin 1964 (J.T., 1965, 9) nous ramène à cette vérité élémen­taire. Comment conclure à la naissance d'un usufruit, comme le prétendait ici la demanderesse, en présence d'une clause précisant notamment que l'acquéreur aura la pleine propriété du bien vendu, même s'il doit être entendu que l'une des venderesses

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((se réserve pour elle-même ou pour toute autre personne qu'il lui plaira sa vie durant, et en cas de son prédécès avec réversion sur la tête de sa sœur, la jouissance gratuite des parties qu'elle occupe actuellement ... avec le droit d'usage gratuit également du grenier ... >> 1 Que l'acte dispense la bénéficiaire de fournir caution et de dresser état des lieux ne change rien à l'affaire, observe à juste titre le tribunal : la convention accorde à l'ache­teur la pleine propriété; pour le reste, (( la réversibilité du droit, la dispense de fournir caution et la dispense de dresser un état des lieux sont compatibles tant avec l'existence d'un droit réel d'usufruit qu'avec celle d'un simple droit personnel de jouis­sance>>. D'autres considérations conduisent d'ailleurs le tribunal à trancher dans ce dernier sens : ainsi, lefait qu'ait été expres­sément stipulé le droit pour la bénéficiaire de louer les éléments dont on lui accordait la jouissance, ce qu'il n'eût pas été néces­saire de préciser explicitement s'il se fût agi d'un usufruit véri­table.

C'est à l'existence d'un simple droit personnel que semble pareillement conclure le juge de paix d'Andenne dans le litige tranché le 18 juin 1965 (J.L., 1965-1966, 238). Le jugement en déduit que, quand même le propriétaire aurait l'obliga­tion générale de s'abstenir de tout fait qui mettrait obstacle à la libre jouissance du bénéficiaire, celui-ci ne peut pour autant l'empêcher de prendre, à ses frais, l'initiative d'effectuer les travaux nécessaires à la conservation et, de façon plus générale, les travaux d'entretien normal du bien. Il nous paraît que, s'il s'était agi en l'espèce d'un usufruit véritable, la solution eût dû être plus restrictive et les prérogatives du propriétaire limitées aux travaux de conservation proprement dits(PLANIOLetRIPERT, t. III, par PICARD, n° 856; AUBRY et RAu, t. II, § 233; MARTY et RAYNAUD, t. II, 2, no 79; comp. LAURENT, t. VII, n° 39; DE PAGE et DEKKERS, t. VI, no 393; R. DERINE, Overzicht, Tijds. voor priv., 1969, no 53, p. 721; B. GLANSDÇ>RFF, J.T., 1968, p. 4, n° 24). C'est en effet là la seule faculté que peut prétendre con­server, sur ce plan, le nu-propriétaire, s'il entend respecter à la fois les exigences de l'article 599, alinéa 1er, et celles de l'article 605, alinéa 2. Le droit de celui-ci, rappelle de son côté l'arrêt de la cour de Bruxelles du 26 juin 1968 (Pas., 1968, II, 275)-, n'est pas une ((partie>> de la propriété mais le droit de propriété lui­même, temporairement grevé d'un droit réel. Il en résulte, par

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exemple, que· lorsque, par une . disposition testamentaire, une même chose a été primitivement léguée pour l'usufruit à une personne et pour la nue-propriété à une autre personne, 1a révocation du legs d'usufruit doit, à défaut de toute précision de la part du testateur, profiter au légataire de la nue-propriété et non à l'héritier ou au légataire universel (LAURENT, t. XIV, n° 296; GALOPIN, op. cit., n° 311; voy. déjà Bruxelles, 14 juin 1905, Pas., 1906, II, 53).

39. DROITS ET OBLIGATIONS DE L'USUFRUITIER.

a) Sanction du défaut d'inventaire.

L'absence de l'inventaire prévu par l'article 600 du Code civil ne prive pas l'usufruitier de son droit : les fruits sont acquis à l'usufruitier dès la naissance de son droit et le nu-propriétaire lui en doit compte. Seul l'exercice du droit est paralysé par l'absence d'inventaire, en ce sens que, jusqu'à son établissement, l'usufruitier peut se voir refuser la délivrance du bien. Ainsi décidé par la cour de Bruxelles (22 mai 1967, Pas., 1967, II, 290), conformément à une doctrine imposante (voy. cette Revue, 1962, nos 118 et 119, ainsi que 1966, n° 76; voy. aussi les réf. citées par DE PAGE et DEKKERS, t. IV, nos 248 et 249; R. DERINE, Tijds. voor priv., 1969, n° 52, p. 720).

b) Baux consentis par l'usufruitier.

A l'expiration de l'usufruit, nombre de contestations peuvent naître entre l'usufruitier et le nu-propriétaire qui retrouve l'usage et la jouissance de son bien. Les problèmes se compli­queront même singulièrement si un tiers se trouve impliqué dans ces règlements. Ainsi en ira-t-il par exemple lorsque, au moment de l'extinction du droit de l'usufruitier, le bien est occupé par un locataire ou un fermier. L'usufruitier a certes le droit de donner le bien en location mais on sait que le bail ne sera oppo­sable au propriétaire que dans certaines limites (articles 595, 1429 et 1430 du Code civil, combinés). Vainement, précise la cour de Bruxelles dans un arrêt du 29 septembre 1965 (Pas., 1966, II, 225; Tijds. not., 1967, 171), le preneur invoquerait-il les dispo­sitions légales réglant la durée des baux à ferme : ces dispositions règlent les rapports entr~ le bailleur et son locataire; elles sont étrangères aux rapports entre le nu-propriétaire et le locataire

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de l'usufruitier. La solution est conforme au droit commun : pour la doctrine classique, le nu-propriétaire doit être considéré comme un tiers vis-à-vis de l'usufruitier; comment concevoir qu'il puis'se tëvêtir une autre qualité vis-à-vis d'un simple loca­taire et même d'un fermier de celui-ci?

Ce sont les mêmes conceptions que reflète la décision du juge de paix d'Ath du 2 décembre 1968 (J.T., 1969, 107). En l'espèce, un usufruitier avait concédé un bail en mettant expressément à la charge du preneur les réparations locatives. Il faut nécessaire­ment en déduire, décide le juge de paix, que l'usufruitier s'est réservé toutes les autres réparations, conformément d'ailleurs au droit commun de l'article 1720 du Code civil. Aussi ne peut-il invoquer sa qualité d'usufruitier et s'appuyer sur l'article 605 pour se soustraire à l'obligation d'effectuer les grosses réparations dont la nécessité est invoquée par le locataire. Selon la décision commentée, il faudrait en trouver la raison dans le fait que << les rapports qui lient l'usufruitier au nu-propriétaire sont indiffé­rents au preneur et ne peuvent lui nuire>>. La formule est certes excessive puisque, comme on l'a rappelé à propos de l'examen de la décision de la cour de Bruxelles du 29 septembre 1965, il ne fait pas de doute par exemple que les règles relatives à la durée des baux consentis par l'usufruitier s'imposent au locataire. Cela étant, la solution retenue en l'espèce n'en reste pas moins admissible car on ne voit point comment des dispositions appe­lées à régir les rapports entre le nu-propriétaire et l'usufruitier pourraient être invoquées par ce dernier en vue d'échapper à des obligations qu'il a personnellement contractées en une autre qualité.

c) Grosses réparations et réparations d'entretien. - Sanction.

Dans l'affaire que nous venons d'évoquer, le juge de paix d'Ath hésite d'autant moins à condamner le bailleur-usufruitier à l'accomplissement des réparations autres que locatives qu'il voit, à la suite des Novelles (Droit civil, t. III, no 395 in fine), le moyen pour lui de récupérer ce qu'il aurait dû débourser. Rien ne s'op­poserait, à l'en croire, à ce que l'usufruitier puisse réclamer au nu-propriétaire, sur la base de l'article 605 du Code civil, <<l'in­demnité des frais qu'il a avancés pour effectuer les grosses répa­rations>>. Rien n'est moins sûr, en vérité, car la solution avancée par le juge à titre d'éventualité se heurte à un fort courant

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doctrinal et jurisprudentiel (voy. cette Revue, 1962, no 120, p. 267, et 1966, n° 80, p. 346; voy. aussi nos obs. in Rev. trim., 1962, n° 14, p. 228) : nonobstant les propositions séduisantes de :MM:. DE PAGE et DEKKERS (t. VI, n° 348), l'idée est et reste que l'usufruitier n'a aucune action pour contraindre le nu-proprié­taire à effectuer les grosses réparations. Ainsi en décide encore le tribunal civil d'Anvers dans une décision du 2 avril 1968 (R. W., 1968-1969, col. 227). Tout au plus pourrait-on dès lors admettre, avec certains, que l'usufruitier qui a effectivement accompli les grosses réparations puisse, sur la base de la théorie de l'enri­chissement sans cause, réclamer à la fin de l'usufruit une indem­nité correspondant à la plus-value subsistant à ce moment (voy. CL. RENARD, Les biens, la propriété et les droits réels principaux, fasc. 3, n° 491 in fine et réf.; comp. H., L. etJ. MAZEAUD, Leçons, 1966, t. II, nos 1668 et 1683 in fine, ainsi que les Lectures, p. 1361).

Quand même le nu-propriétaire ne pourrait être assigné par l'usufruitier, ce n'est pas à dire qu'il soit à l'abri, durant le cours de l'usufruit, de toute action en justice qui aurait pour cause la dégradation des biens qui en font l'objet. En témoigne l'arrêt de la cour de Liège du 17 mai 1967 (J. L., 1967-1968, 65).Enl'espèce, l'usufruitier d'un immeuble avait invité un électricien à effectuer divers travaux dans un fenil au plancher vermoulu. Ce qui devait arriver arriva : l'artisan passa au travers du plancher, se blessa grièvement et, soucieux d'obtenir réparation intégrale, assigna tous les <<intéressés>> : les nus-propriétaires sur base de l'article 1386 du Code civil, en raison de la ruine du bâtiment, et sur base des articles 1382 et 1383, en raison du défaut d'entretien de ce bâtiment, mais aussi l'usufruitier, sur base de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil, en raison du vice de la chose dont il avait la garde, et sur base des articles 1382 et 1383, en raison de la faute qu'il aurait commise en amenant le demandeur sur les lieux et en omettant de le prévenir de leur état. De leur côté, les nu-propriétaires assignent l'usufruitier en garantie du paye­ment de toutes sommes qu'ils pourraient être amenés à payer au demandeur. La cour admet d'abord le bien-fondé de la demande dirigée contre les nus-propriétaires, en ce qu'elle est fondée sur l'article 1386 du Code civil : l'effondrement d'un élément aussi essentiel qu'un plancher constitue bien, en effet, une ruine par­tielle, et le fait que les défendeurs à l'action soient seulement nus-propriétaires ne change rien à l'affaire. Rien là que considé-

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rations conformes à une· opinion jusqu'ici unanime. Cela étant, la cour retient simultanément l'existence d'une faute dans le chef de l'usufruitier : · sans doute la responsabilité édictée par l'article 1386 du Code civil est-elle <<exclusive d'une autre responsabilité présumée>>, comme celle que prévoit l'article 1384 alinéa 1er, mais ayant reçu l'usage des lieux et usant en fait de ceux-ci, l'usufruitier est coupable, sur base de l'article 1382, d'avoir conduit l'électricien dans un endroit <<qu'il savait ou devait savoir dangereux et ce sans l'avertir en aucune manière du danger existant>>. Statuant ensuite sur l'action en garantie intentée par les nus-propriétaires et, peut-on croire, sur le pro­blème de la contribution à la dette de réparation, la cour de Liège considère que le comportement de l'usufruitier doit être considéré comme ayant causé le dommage à concurrence de moitié. Mais, chose curieuse, elle s'appuie, pour ce faire, sur la considération que l'usufruitier, qui devait assumer l'entretien des biens, a en l'espèce manqué à cette obligation. Sur ce point, l'arrêt laisse perplexe l'analyste; du moins manque-t-il singu­lièrement de précision, eu égard aux règles strictes dont le droit des biens impose le respect. Sans doute l'état du plancher pou­vait-il être considéré commè appelant une <<grosse réparation>> au sens de l'article 606, mais il n'eût même pas été suffisant de le constater pour laisser une part de responsabilité à la charge du nu-propriétaire et justifier ainsi totalement la solution adoptée. De deux choses l'une, en effet : ou bien l'état du plancher n'avait en rien pour origine le comportement de l'usufruitier, et alors la solution du partage des responsabilités pouvait -mais à cette seule condition - être admise, compte tenu de la faute personnelle commise par lui en taisant la situation; ou bien l'état du plancher était dû à un défaut de réparation d'entretien dans son chef (article 605, alinéa 2}, et alors l'action en garantie du nu-propriétaire devait être déclarée recevable pour le tout, eu égard au comportement doublement fautif de l'usufruitier. On ne voit pas, en effet, ce qui peut encore être reproché au nu­propriétaire lorsque l'usufruitier a, d'une part, provoqué la ruine du plancher par un défaut de réparation d'entretien et; d'autre part, négligé d'avertir la victime d'une situation qu'il était effectivement seul à même de connaître.

Cela dit, et comme on vient de le rappeler, les grosses répa­rations sont à la charge de l'usufruitier lorsqu'elles sont dues

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à une absence d'entretien (article 605, alinéa 2). Faut-il en conclure qu'à défaut pour lui de les effectuer, il devra être nécessairement déchu de son droit, conformément à l'article 168, alinéa 1er~ Non, répond à juste titre la cour d'appel de Bruxel­les dans un arrêt du 6 mai 1967 (J.T., 1967, 510; Rev. prat. not., 1968, 1 07) : les circonstances de la cause - grand âge, dénuement de l'usufruitier, désinvolture et désintérêt du nu­propriétaire- peuvent conduire à décider que le défaut d'entre­tien ne constitue pas une faute suffisamment grave pour justifier la déchéance et, partant, le déguerpissement. Tel est bien l'en­seignement qui se dégage de l'article 618, alinea 3.

VI. Servitudes.

A. - Principes généraux.

40, CHARGES SUSCEPTIBLES D'ÊTRE ÉTABLIES A TITRE DE SER­VITUDE. - CONDITIONS REQUISES POUR LA CRÉATION D'UN SERVICE FONCIER. - La servitude ne peut consister qu'en une charge établie pour l'usage et l'utilité d'un héritage, dit l'ar­ticle 637 du Code civil; elle doit. être établie pour un fonds, ren­chérit l'article 686. Reste que, comme le rappelle sans détours le tribunal civil de Liège (15 octobre 1965, J.L., 1965-1966, p. 130), << le service foncier, tout comn1e le droit personnel, profite toujours en fin de compte à des personnes>>. Constatation d'évi­dence; raison suffisante, au surplus, pour admettre la validité des servitudes établies pour l'agrément ou la commodité de l'usage du fonds dominant (civ. Liège, précité; Bruxelles, 29 mai 1964, Rev. prat. not., 1965, 230; revoy. cass., 16 mai 1952, Pas., 1952, I, 597 et note R. H.; cette Revue, 1966, n° 83, p. 350; DERINE, op. cit., Tijds. voor Priv., 1969, p. 736, n° 76). Encore faut-il toute­fois que la charge soit en rapport direct et immédiat avec l'usage ou l'exploitation d'un fonds. Impossible en conséquence de voir un service foncier dans la charge qui serait établie au profit d'une communauté, par exemple une commune et ses habitants. Ainsi tranché, du moins, par la cour de cassation, le 16 septembre 1966 (J.T., 1967, 59; Pas., 1967, I, 63). En l'espèce, le proprié­taire d'un parc sis à Coxyde avait vendu à une société un terrain voisin, en vue de la construction d'un casino. Simultanément, il

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lui avait concédé un droit de jouissance gratuit sur le parc, de durée indéterminée, dans le but<< avant tout de coopérer au bien de la plage de Coxyde >>. La cour de cassation approuve le juge du fond d'avoir déduit de cette circonstance que le droit devait être considéré comme accordé non seulement à la société qui faisait l'acquisition du terrain voisin mais encore à la commune et aux habitants voisins du parc. Il apparaît ainsi, conclut-elle, que le droit, créé en faveur non d'un fonds mais d'une commu­nauté, comporte une charge d'intérêt public, de caractère pure­ment personnel. La décision est critiquable : le concept de servitude pouvait à notre sens qualifier la charge de façon à la fois plus judicieuse et plus conforme à la volonté des parties. C'est ce que nous avons naguère tenté de montrer en mettant l'accent sur le fait que la qualité de fonds dominant pouvait être reconnue en l'espèce à l'ensemble des fonds sis dans le péri­mètre de la commune (J. HANSENNE, <<La limitation du nombre des droits réels et le champ d'application du service foncier>>, obs. sous cass., 16 septembre 1966, cette Revue, 1968, p. 121 et suiv.; comp. cette Revue, 1953, n° 64, p. 248).

En toute hypothèse, il est clair qu'une servitude peut être établie pour le profit de plusieurs fonds, également appelés à en bénéficier. Rien n'empêche, au surplus, que ceux-ci puissent apparaître simultanément comme <<débiteurs>> et <<créanciers>> d'une même charge. On se trouve alors devant une servitude réciproque, technique qui reçoit son application la plus courante dans la matière des lotissements (voy. E. VIEUJEAN et consorts, Rapport, in <<La croissance des villes et son influence sur le régime juridique de la propriété immobilière >>, Journées Oapitant 1965, Liège, p. 355). Gardons-nous cependant de croire que toute charge imposée par le promoteur aux divers acquéreurs de lots doive nécessairement s'analyser en un service foncier : selon les circonstances, une même stipulation d'un contrat de vente ou d'un cahier des charges peut revêtir le caractère d'une charge réelle (comme dans l'hypothèse tranchée par Bruxelles, 29 mai 1964, précité) ou d'une simple obligation personnelle (voy. cette Revue, 1953, n° 64, p. 248; 1962, no 122, b, p. 270, et 1966, no 85, p. 352). C'est d'ailleurs dans ce dernier sens qu'a statué la même cour de Bruxelles, à propos d'une interdiction de construire ou de laisser construire des établissements dangereux, insalubres et incommodes, doublée d'une interdiction d'exercer une industrie

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ou un commerce<< de nature à déprécier les propriétés avoisinan­tes>> (Bruxelles, 2 mars 1965, Pas., 1966, II, 62; R.G.E.N., 1967, no 21050). Tous les arguments invoqués en l'espèce pour en déci­der ainsi n'étaient pas également pertinents. Du moins la circon­stance que l'obligation n'était pas stipulée en termes identiques dans chacun des actes de vente des différents lots était-elle insuffisante, contrairement à ce que semble croire la cour, pour rejeter l'idée de servitude : tout au plus cette situation pouvait­elle avoir une incidence sur la détermination exacte des fonds grevés et des fonds bénéficiaires (cette Revue, 1962, n° 122, b, p. 270). On n'approuvera pas moins la cour d'avoir conclu à l'existence d'une simple obligation personnelle en faveur du vendeur, non tant pour cette autre raison invoquée par l'arrêt que - la charge étant établie pour l'avantage des <<propriétés avoisinantes>> - l'identification des fonds dominants aptes à bénéficier du service prétendu était impossible, mais bien plutôt parce que, en vue de la faire respecter, l'acte stipulait que l'acqué­reur serait tenu de faire approuver par le vendeur les plans de constructions à élever. N'était-ce pas indiquer à suffisance que l'obligation ne pouvait avoir pour créancier que la personne du vendeur, et non les fonds cédés par lui 1 Dans l'affaire tranchée par le tribunal de commerce de Bruxelles le 21 septembre 1961 (R.J.I., 1965, p. 303), le promoteur avait pareillement imposé un certain style de construction et obligé les divers acquéreurs des lots à lui soumettre les plans de leurs projets. Mais ce n'est point la nature juridique, tle la clause qui fut ici discutée. Outré de constater que ses voisins construisaient au mépris des normes primitivement établies dans le cahier des charges, le propriétaire d'une villa<< agréée>> assigna purement et simplement le vendeur en résolution de la vente du terrain et en un payement de dom­mages et intérêts destinés à couvrir le coût de la construction de ladite villa. Vainement, le défendeur allégua que si les acquéreurs étaient tenus à son égard, il n'avait de son côté assumé aucune obligation vis-à-vis d'eux : les circonstances de la cause démon­traient à suffisance le contraire et étaient en conséquence de nature à faire considérer la demande comme entièrement fondée.

La problème de la mise en œuvre de la notion de servitude dans les lotissements tend à devenir classique. L'est en revanche devenue depuis longtemps la question si l'on peut voir un service foncier dans la clause d'exonération de responsabilité

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pour les dégâts causés aux propriétés sises en surface par l'ex­ploitant d'une mine. · Classique, certes, mais surtout contro­versée (voy .. J. HANSENNE, La servitude collective, no 10 et réf., ainsi que n° 34, note 1; voy. aussi cette Revue, 1966, no 83, p. 350). Dans une décision du 10 janvier 1967 (J.L., 1966-1967, 218} le tribunal civil de Liège paraît considérer que la clause par laquelle le propriétaire superficiaire s'interdit de réclamer réparation en cas d'affaissements ou lézardes doit s'analyser en une simple dette personnelle, intransmissible à l'ayant cause à titre parti­culier du promettant. On invoquera cette décision avec prudence car la clarté et la précision ne sont point ses principaux mérites : ne laisse-t-elle pas sous-entendre que le droit de créance corré­latif à l'obligation personnelle pourrait se transformer en un droit réel de servitude par le moyen d'une transcription? On n'ose croire que telle a bien été la véritable pensée du tribunal,· qui aurait alors ajouté l'hérésie à l'hermétisme.

Tout aussi controversée est la question si une servitude peut grever un bien du domaine public (voy. par ex. Novelles, Droit civil, t. III, nos 1186 et suiv.; BUTTGENBACH, Manuel de droit administratif, 1966, t. Ier, nos 390 et 391 et notes; J. DEMBOUR, Droit administratif, 1970, nos 273 et 274 et réf.). Dans son arrêt du 11 septembre 1964 (J.T., 1965, 213; Rev. prat. not., 1968, 422; Mouv. comm., 1965, 270; R.J.I., 1965, p. 193}, la cour suprême statue dans le seul sens qu'autorise, nous paraît-il, le principe de l'inaliénabilité des biens du domaine public : << une servitude peut être établie sur un bien appartenant au domaine public, à condition qu'elle ne soit pas incompatible avec la destination publique de ce domaine et ne fasse pas obstacle à son usage public et ne porte pas atteinte au droit de l'administration de régler ou de modifier cet usage d'après ·les besoins et l'intérêt de la collectivité)). Reste à savoir si une prérogative ainsi énervée 1nérite encore le nom de servitude ! (voy. J. DEMBOUR, loc. cit.).

41. SERVITUDE ÉTABLIE PAR TITRE.- PREUVE.- AVEU JUDI­CIAIRE ET A YEU EXTRAJUDICIAIRE. -La servitude discontinue ne peut s'établir que par titre, dit clairement l'article 691 du Code civil. Il incombe donc à celui qui s'en prévaut de faire la preuve de ce titre, que la cour de cassation définit fort improprement comme étant << le fait juridique donnant naissance à la servitude )) (cass., 17 janvier 1969, J.T., 1969, p. 334). Soucieux de conserver

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aux mots leur sens exact, on préférera réaffirmer qu'une servitude discontinue doit en principe trouver son origine dans un acte juridique ou- si l'on préfère- dans un negotium, au sens strict du terme. Reste, il est vrai, à apporter la preuve de son existence. A défaut d'acte instrumentaire, la servitude pourra certes être établie par une r~connaissance émanant du propriétaire du fonds assujetti, et plus précisément par un aveu judiciaire, pourvu du moins que les règles relatives à l'indivisibilité de l'aveu aient été respectées (cass., 25 novembre 1966, Pas., 1967, I, 392). Pourrait-elle pareillement être prouvée par le moyen d'un aveu extrajudiciaire 1 La chose est possible, mais on con­tinue en tout cas à douter qu'il soit licite de déduire l'existence d'un aveu extrajudiciaire tacite de l'exécution donnée à une convention ou un accord prétendus. Conformément à une doctrine et à une jurisprudence imposantes, le juge de paix de Virton (J. de P. Virton, 13 février 1966, J.J.P., 1966, 261) affirme cependant que l'accord initial peut se prouver par un aveu déduit de l'exécution non équiv-oque de l'acte qu'il s'agit d'établir ! A notre sens, ce système est contraire aux principes fondamentaux qui régissent la matière des servitudes; notam­ment, il met en péril jusqu'à l'existence même des articles 690 et 691 du Code civil (voy. cette Revue, 1966, no 86, p. 352). Ce n'est pas, notons-le, que la thèse soit dénuée de séduction : elle n'a pour seul désavantage que d'être difficilement défendable de lege lata. On approuvera sans réserve, en revanche, les décisions qui se fondent sur la manière dont le droit a été effectivement exercé pour déterminer l'étendue précise et les modalités d'une servitude fondée sur un titre dont l'instrumentum - obscur, ambigu ou -elliptique -est rapporté. C'est qu'il ne s'agit plus, en pareil cas, que d'interpréter la volonté des parties, dont l'existence ne fait alors aucun doute (cass., 18 février 1966, Pas., 1966, I, 799; cass., 17 janvier 1969, J.T., 1969, 334). En d'autres termes, la possession pourra être invoquée pour suppléer au silence des parties - qu'elle ait duré ou non plus de trente ans -et éclairer le juge quant à la portée exacte du titre qui lui est présenté (voy. CL. RENARD, Les biens, la propriété et les droits réels principaux, n° 545; voy. aussi noteR. H. sous cass., 13 décembre 1967, Pas., 1968, I, 401; AuBRY et RAu, op. cit., 6e éd., t. III, § 253, texte et note 24, BAUDRY-LACANTINERIE et CHAUVEAU, Traité, ge éd., t. VI, no 1105; PLANIOL et RIPERT,

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op. cit., t. III, par PicARD, no 975, A); MARTY et RAYNAUD, op. cit., t. II, 2, n° 158; cette Revue, 1962, no 138, p. 297).

42. ÜPPOSABILITÉ AU TIERS DE L'ACTE CONSTITUTIF. SERVITUDE APPARENTE. - Conformément à une doctrine et à une jurisprudence unanimes, semble-t-il, le juge de paix de Virton décide que l'acheteur d'un fonds grevé d'une servitude apparente constituée par titre ne peut invoquer l'absence de transcription de celui-ci pour se soustraire à la charge (J. de P. Virton, 13 février 1966, précité). S'agissant d'une servitude apparente, l'acquéreur est censé l'avoir<< connue ou vue lors de son acquisition, de telle sorte que le défaut de transcription devient indifférent>> (sic : DE PAGE et DEKKERS, op. cit., t. VII, n° 1081; GENIN, Traité des hypothèques et de la transcription, 1935, nos 98 et suiv.; LAURENT, t. XXVII, no 78; R.P.D.B., vo Hypo­thèques, n° 98 et réf.).

43. DESTINATION DU PÈRE DE FAMILLE. - Fidèle aux ensei­gnements de la doctrine et de la jurisprudence belges, le juge de paix de Lokeren (4 novembre 1966, J.J.P., 1968, 288) décide que l'article 694 du Code civil ne vise pas l'établissement mais seule­ment le rétablissement, par destination du père de famille, d'une servitude qui aurait existé avant la réunion du fonds dominant et du fonds servant dans la même main et qui aurait momenta­nément cessé du fait de cette réunion (aux références citées dans la décision, adde : cette Revue, 1950, p. 268, n° 87; 1966, p. 355, n° 87). Encore faut-il, pour que ce texte trouve à s'appliquer, que soit apportée la preuve de l'existence d'une servitude avant la réunion des deux fonds (même décision). Encore faut-il aussi que le lien entre les deux parties du fonds remembré se soit au moins traduit par un signe apparent (J. de P .. _Beringen, 21 janvier 1966. R. W., 1966-1967, col. 1000). Moins orthodoxe est à coup sûr une décision du tribunal civil de Hasselt du 17 janvier 1966 (R. W., 1966-1967, col. 860). Pour admettre l'exercice d'une servitude de vue née de la destination du père de famille, le juge se fonde en l'espèce sur l'article 694, au motif qu'il n'est pas démontré que le lien de service aurait été établi par le propriétaire unique des deux fonds aujourd'hui séparés : il n'est pas exclu, précise-t-il, que la vue ait existé avant la réunion des deux fonds dans la même main. Attitude condamnable, si l'on s'en tient aux thèses ha bi-

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tuellement admises en Belgique, en ce que la. décision recourt à l'article 694 sans que soit établie avec certitude l'existence d'une servitude véritable avant la confusion temporaire. Le tribunal eût été mieux inspiré en se bornant, pour reconnaître en l'espèce l'existence d'une servitude de vue, à invoquer les articles 692 et 693 du Code civil : lorsque le lien de service présente, comme ici, les caractères d'une servitude à la fois apparente et continue, peu importe qu'il ait été établi par le propriétaire unique ou que, préexistant à la réunion des deux fonds, il ait seulement été conservé par ce dernier : il faut, mais il suffit, qu'il ait été maintenu par le père de famille jusqu'à l'époque de la séparation (voy. DE PAGE et DEKKERS, t. VI, n° 631 in fine et réf.; voy. aussi B. GLANSDORFF, op. cit., J.T. 1968, p. 4, n° 31}.

44. DROITS ET OBLIGATIONS DU PROPRIETAIRE DU FONDS SERVANT.- Quelques décisions rendues durant la période recen­sée trouvent à appliquer les règles établies par l'article 701 du Code civil. Leur intérêt spécifique n'apparaît qu'une fois connues toutes les circonstances de fait qui les ont motivées. On ne peut songer à les relater en détail. Bornons-nous donc à signaler que trois jugements font une application stricte du ~principe selon lequel le propriétaire du fonds servant ne peut rien faire qui tende à diminuer l'usage de la servitude ou à la rendre plus incommode. Dans les deux premières hypothèses, le propriétaire du fonds débiteur d'une servitude de passage entendait clôturer son héritage (J. dè P. Beringen, 22 octobre 1965, J.L., 1965-1966, 175; civ. Hasselt, 26 juin 1967, J.L., 1967-1968, 6); dans la troisième, le placement d'un treillis était de nature, sans modi­fier l'étendue de l'assiette d'un passage, à gêner les manœuvres d'un véhicule (J. de P. Marchienne, 21 décembre 1967, J.T., 1968, 45; Rev. prat. not., 1968, 315). Tous ces Comportements ont été également considérés comme répréhensibles, ce qui ne laisse pas d'être quelque peu discutable en fait (voy. et comp. B. GLANSDORFF, op. cit., J.T., 1968, p. 4, n° 29; R. DERINE, Overzicht, Tijds. voor Priv., 1969, p. 744 et 745, n°8 89 et 91; DE PAGE et DEKKERS, op cit., t. VI, n° 641). De même, l'article 701, alinéa 3, qui permet au propriétaire du fonds servant d'of­frir un nouvel endroit, d'égale commodité, pour l'exercice des facultés conférées par le titre, est mis en œuvre à propos de deux litiges qu'il nous suffira pareillement de mentionner (J. de P.

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Nandrin, 28 juin 1966, somm., J.L., 1966-1967, 47; cass., 18 fé­vrier 1966, Pas., 1966, I, 799).

45. DROITS ET OBLIGATIONS DU PROPRIÉTAffiE DU FONDS DOMINANT.- L'article 702 du Code civil impose au propriétaire du fonds dominant deux exigences distinctes : d'abord, user de la servitude suivant son titre; ensuite, n'effectuer aucun change­ment qui aggrave la condition du fonds servant. Il résulte de la combinaison de ces deux règles que le bénéficiaire du droit ne peut excéder les limites établies par son titre lors même que, ce faisant, il n'aggraverait pas la condition du fonds débiteur de la charge. A l'inverse, il ne peut, durant le cours de l'exercice de son droit, aggraver la situation du fonds servant, quand bien même, ce faisant, il resterait dans les limites primitivement établies par le titre constitutif. Force est bien de constater qu'avec le premier principe, la jurisprudence prend quelque liberté. Ainsi, à propos d'un titre permettant le passage en toute saison<< à pied: et avec brouette>>, la cour de cassation approuve le tribunal de Dinant d'avoir admis le passage <<d'un piéton poussant à la main une motocyclette, moteur arrêté, ou tout autre objet insonore, dont le volume n'excède pas celui d'une brouette chargée>>, dès lors que ce mode apparaît comme non susceptible d'aggraver la condition du fonds servant (cass. 7 décembre 1967, Pas., 1968, I, 471; cette Revue, 1970, 185 et obs. J. HANSENNE). Une telle décision ne témoigne pas seule­ment du souci de bannir les interprétations littérales et phari­saïques; elle ne traduit pas seulement une volonté, somme toute compréhensible, de procéder à une sorte de <<ravalement>> des clauses contractuelles vétustes et à l'adaptation des titres anciens aux exigences de la vie contemporaine. Elle paraît plus fondamentalen1ent participer d'un courant jurisprudentiel de plus en plus fo~ dont la caractéristique est r admission de toutes les modifications et transformations qui ne sont pas de nature à créer un préjudice effectif. En l'espèce, la chose est d'autant plus per­ceptible que l'utilisation de l'engin motorisé avait pour cause la transformation volontaire du fonds dominant, primitivement aménagé en terre de culture, par la construction d'un bâtiment. La même conception générale se dégage ·à la lecture d'une décision du tribunal civil de Hasselt du 26 juin 1967 (J.L., 1967-1968, 6) : est admise, dès lors qu'elle ne constitue pas une

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aggravation effective, la modernisation d'une exploitation et l'extension de son activité, par exemple par l'adjonction d'un élevage, entraînant même le commerce de bestiaux, à une petite exploitation agricole. Est pareillement considérée comme licite, par la même décision, l'adaptation de l'assiette d'un passage aux moyens de transport modernes. Le tribunal de Hasselt se montre toutefois beaucoup plus réticent à l'endroit des innovations qui modifi~raient la destination primitive du fonds dominant, comme par exemple la transformation d'un verger en plaine de jeu ou terrain de camping, et même tout à fait hostile aux modi­fications qui conduiraient à transformer la nature même de la ser­vitude primitive. Tel serait le cas si une servitude discontinue de passage était transformée en servitude continue d'aqueduc (comp. cette Revue, 1962, n° 135, p. 290, et 1966, n° 96, p. 364). Mais le changement de destination du fonds dominant embarrasse moins le tribunal civil de Bruxelles, dans une hypothèse où - il est vrai -le titre constitutif du droit était libellé en termes très généraux (civ. Bruxelles, 4 janvier 1969, R.J.I., 1969, 305). Ici encore, c'est l'aggravation effective, génératrice d'un préjudice

~ concret qui est seule retenue comme criterium de l'application de l'article 702 du Code civil (voy. encore civ. Turnhout, 16 novem­bre 1966, Turnh. Rechts., 1966, p. 437). La signification exacte de toutes ces décisions ne peut être pleinement perçue que si on les analyse à la lumière de l'examen de l'ensemble de la jurispru­dence contemporaine relative à la mise en œuvre de l'article 702, en veillant à distinguer soigneusement les cas où le titre consti­tutif du service est précis et les cas où ce titre est libellé en termes larges et généraux. C'est ce que l'on a tenté naguère de faire, en faisant percevoir du même coup la tendance généralisée des tri­bunaux à admettre dépassements, modifications, innovations et transformations qui ne causent pas de véritable dommage, quitte à énerver totalement la portée du titre primitif (voy. J; _ HANSENNE, obs. sous cass., 7 décembre 1967, cette Revue, 1970, p. 188 et suiv.).

46. CAUSES D'EXTINCTION DES SERVITUDES. - a) Les servi­tudes s'éteignent par trente ans de non-usage. Lorsqu'il s'agit d'une servitude qui n'a jamais été exercée, le délai de trente ans commence à courir dès le jour où le titre qui a donné naissance à la servitude est entré en vigueur. Ainsi rappelé par la cour d'appel

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de Bruxelles, dans un arrêt du 29 mai 1964 (Rev. prat. not., 1965, 230). Le principe est clair et incontesté : sa mise en œuvre est cependant de nature à conduire parfois à des difficultés (voy. infra, à propos d'une servitude de passage établie au profit d'un terrain à bâtir, no 52, a).

b) Contrairement à l'usufruit, la servitude ne peut s'éteindre par déchéance : le comportement abusif du propriétaire du fonds dominant peut certes donner ouverture à sanction (infra, n° 47) mais- en tant que tel, du moins- ne peut conduire à l'extinction du droit. Dans l'espèce tranchée par le tribunal civil de Bruxelles le 4 janvier 1969 (R.J.l., 1969, 305), le deman­deur prétendait que le titulaire du fonds dominant, en construi­sant un bâtiment, avait transformé une servitude rurale en une servitude urbaine et que ce << déclassement >> devait entraîner la disparition du service foncier. La prétention était excessive et le tribunal l'a repoussée avec d'autant moins de scrupules que la transformation accomplie n'était pas de nature à causer au pro"' priétaire du fonds servant un préjudice réel (comp. supra, no 45).

c) Ne constitue évidemment pas une renonciation au droit de passage, dans le chef du propriétaire du fonds dominant, le fait de clôturer son héritage par un mur dans lequel il laisse une ouverture ou aménage une porte (civ. Turnhout, 16 novembre 1966, précité).

d) Le problème de l'extinction des servitudes prend une acuité particulière dans la matière des servitudes légales et con­ventionnelles de passage. Nous lui consacrerons ultérieurement quelques développements particuliers (voy. infra, no 52).

47. VIOLATION D'UNE SERVITUDE. - SANOTION. -Dans la mesure où elle apparaît comme condamnable (voy. supra, n°·45), l'atteinte à la situation résultant de l'existence d'une servitude doit être sanctionnée par un retour au statu quo ante. La remise des lieux dans leur pristin état est la sanction normale de l'at­teinte portée à un droit réel; rien de plus logique, en conséquence, que la condamnation soit du propriétaire du fonds servant qui a diminué l'usage du droit, soit du titulaire du fonds dominant qui a excédé les limites de sa prérogative ou modifié les conditions de son exercice et aggravé la condition de fonds servant, à suppri­mer radicalement la cause du fait répréhensible. Il existe certes

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une tendance nette de la jurisprudence contemporaine à enté­riner le fait accompli et à n'octroyer au propriétaire, victime du comportement illégal, qu'une indemnisation en espèces, spécia­lement lorsque la servitude invoquée est désuète ou que le demandeur peut apparaître comme abusant de son droit (voy. par ex. E. VIEUJEAN et consorts, Rapport, in<< La croissance des villes et son influence sur le régime juridique de la propriété immobilière>>, Journées Oapitant, Liège, 1965, p. 331; voy. aussi les obs. nuancées de M. E. VIEUJEAN, Rev. trim., 1966, no 22, p. 418; E. SALLE DE LA MARNIERRE, <<De la construction édifiée en violation d'une servitude>>, Dalloz, 1963, Doctr., p. 251; J. HANSENNE, La servitude collective, n° 236 et note 4, p. 457). Cela étant, la réparation en nature, c'est-à-dire la suppression de la cause même de l'excès répréhensible, demeure une sanction dont la jurisprudence belge, en tout cas, ne se fait pas faute d'user. Ainsi, plusieurs décisions récentes ordonnent encore à juste titre la démolition de la construction ou de l'ouvrage illé­galement érigés, soit en violation d'une servitude non aedificandi, (Liège, 12 octobre 1964, J.L., 1964-1965, 130), soit en violation d'une servitude de passage (J. de P. Péruwelz, 4 juin 1965, J.J.P., 1966, 223; civ. Liège, 15 octobre 1965, J.L., 1965-1966, 130; J. de P. Marchienne-au-Pont, 21 décembre 1967, J.T., 1968, 45), soit même en violation d'une clause établissant la charge de ne construire que des immeubles d'un style déterminé. Telle fut bien en effet la conclusion (du moins sur le plan purement judi­ciaire) de la célèbre affaire Etrimo (cass., 6 octobre 1966, Pas., 1967, 1, 147 et concl. Av. gén. CoLARD; J.T., 1967, 185; Ann. not. enreg., 1966, 261; Rev. comm., 1966, 261; R.G.E.N., 1968, 97; Mouv. comm., 1967, 252; R. W., 1966-1967, col. 1993; R.J.I., 1967, 71). Il est vrai qu'en l'espèce, ce n'est point sans avoir évoqué implicitement le concept d'abus de droit que la cour de cassation tranche en faveur de la démolition, en confirmant l'arrêt a quo. Peut-être cela permet-il de croire qu'elle est disposée à préférer bientôt à la thèse rigoureuse évoquée ci-avant la solution à coup sûr plus conforme aux orientations contem­poraines de la jurisprudence, naguère défendue par .M. VIEU­JEAN, dans un commentaire précisément consacré à la décision attaquée (Rev. trim., 1966, n° 22, p. 418).

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48. EFFICACITÉ ET SORT D'UNE SERVITUDE CONVENTIONNELLE DOUBLÉE D'UNE SERVITUDE LÉGALE.- DROIT CIVIL ET AMÉNA­GEMENT DU TERRITOIRE. - Dans l'importante affaire tranchée par l'arrêt du 6 octobre 1966, précité, un entrepreneur avait érigé deux immeubles à appartements multiples sur un fonds appelé à ne recevoir que des villas. Telle était en effet l'exigence qu'imposaient ·en l'espèce non seulement une clause génératrice d'une servitude conventionnelle, analogue aux servitudes réci­proques de lotissement évoquées ci-avant (voy. supra, n° 40), mais encore le texte d'une loi domaniale, libellée en termes identiques, génératrice d'une servitude légale d'utilité publique. Prévenu de l'existence de cette contrainte, le promoteur con­struisit néanmoins ... pour s'entendre en fin de compte condam­ner à ~émolir par la cour de Bruxelles, à la demande de. proprié­taires voisins (Bruxelles, 10 juin 1965, J.T., 1965, 421; Pas., 1966, II, 159; Ann. not. enreg., 1965, 169 et obs.; Mouv. comm., 1965, 443; Rev. prat. not., '1965, 382 et obs. F. L.; R.G.E.N., 1965, p. 470, et obs. E. VIEUJEAN à la Rev. trim., 1966, no 22, p. 418). La cour de cassation confirme en tous points la décision de la cour de Bruxelles, dans un arrêt remarquable dont on ne peut songer à analyser longuement le contenu. Nombre de problèmes qu'il aborde relèvent d'ailleurs du droit administratif et, plus spécialement, du domaine de la loi du 29 mars 1962 organique de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme. Rendons du moins attentif le civiliste à quelques précisions fondamentales que révèle la lectur.e de la décision et des considérables conclusions de M. l'avocat général CoLARD. La moindre n'est pas cette idée que n'est pas contraire à l'ordre public la coexistence d'une servitude légale d'utilité publique et d'une servitude de nature civile qui ne ferait que confirmer la première sans y déroger. Pareille situation, ajoute la cour, <<ne saurait porter atteinte au droit du pouvoir compétent de modifier la servitude d'utilité publique qu'il a établie>>. Reste à savoir quelle incidence pourrait avoir cette modification sur le sort des droits réels civils nés dans le chef de particuliers. Sur ce point, l'arrêt, moins précis que les conclusions du ministère public, suscite bien des questions, que l'on peut légitimement hésiter à trancher de façon définitive, faute - nous semble-t-il - d'une théorie générale bien assise quant à l'incidence des prescriptions d'urbanisme sur les droits réels appartenant aux particuliers (sur ce point, voy. J. HAN-

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SENNE, La servitude collective, n°8 242 à 246 et sp. note 245 (2); voy. aussi n°8 235 à 237. Comp. R. DERINE, Overzicht, Tijds. voor priv., 1969, p. 748, n° 98; voy. aussi B. GLANSDORFF, op. cit., J.T., 1968, p. 4, no 30).

B. - Droits de passage.

49. SERVITUDE DE PASSAGE OU COPROPRIÉTÉ 1- Il est parfois difficile de déterminer si l'usager d'une voie d'accès exerce cette prérogative à titre de titulaire d'une servitude de passage ou à titre de copropriétaire de l'assiette utilisée. Lorsqu'aucun titre ne peut être invoqué par l'utilisateur, la tentation peut être grande d'alléguer sans détours l'usucapion trentenaire d'un droit de copropriété indivise : c'est là une manière d'échapper aux exigences rigides des articles 690 et 691 du Code civil, que les tribunaux acceptent d'ailleurs d'entériner parfois bien hâtive­ment (CL. RENARD, Les biens, la propriété et les droits réels prin­cipaux, no 540; voy. aussi cette Revue, 1962, no 138, a, p. 293). Mais du moins échappent-ils à tout reproche lorsque le passage litigieux présente les caractères d'un chemin d'exploitation. Une jurisprudence bien établie, dont un jugement du tribunal civil de Marche-en-Famenne du 21 septembre 1968 (J.L., 1968-1969, 28) rappelle la portée, conduit à voir justement dans ces issues établies pour la desserte des diverses exploitations qu'elles mettent en communication avec les voies publiques autant d'applications de la notion de copropriété accessoire et forcée, au sens de l'article 577bis, § 9, du Code civil (voy. Pandectes belges, vo Chemin privé, no 37; cass., 25 février 1841, Pas., 1841, I, 131; 13 juillet 1855, Pas., 1855, I, 354; 6 juillet 1883, Pas., 1883, I, 294; 2 novembre 1944, Pas., 1945, I, 21; 9 octobre 1953, J.T., 1953, 680; Il janvier 1957, Pas., 1959, I, 594; voy. aussi J. HANSENNE, La servitude collective, n° 177 et note 2, ainsi que cette Revue, 1966, n° 97, p. 367). Encore cet état d'indivision ne peut-il être reconnu ou plutôt présumé qu'à certaines conditions et, qui plus est, ne peut-il bénéficier qu'à certaines personnes seulement. Ainsi, la présomption de copropriété qui s'applique aux chemins d'exploitation n'existe qu'en faveur des fonds qu'ils longent et auxquels ils aboutissent; elle ne peut être invoquée par les propriétaires des fonds qui n'y confinent pas. Telle est l'idée principale que l'on retiendra du jugement précité, lequel se

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présente au demeurant comme une brève mais claire synthèse des principales données de cette délicate question.

La détermination exacte de la nature du droit de l'usager d'un passage peut poser autant de difficultés lorsque ce droit repose sur un titre. C'est que le juge est toujours amené à con­cilier deux impératifs apparemment contradictoires : d'une part, la règle foi est due au titre; d'autre part, l'idée que le magis­trat n'est pas tenu par les qualifications juridiques dont l'acte fait usage, dès lors qu'elles sont contredites par les circonstances de fait et par la volonté des parties déduite soit de certaines clauses particulières, soit de l'exécution matérielle qui a été donnée au titre litigieux. La mise en œuvre de la seconde règle est incontestablement plus dangereuse que l'application de la première et l'on ne blâmera pas la cour de cassation d'avoir préféré celle-ci à celle-là, en cassant une décision du tribunal de Huy qui avait cru pouvoir conclure à l'existence d'un droit de copropriété sur l'assiette d'un passage, alors que le titre consti­tutif stipulait expressément la création d'une servitude. En l'espèce, les motifs invoqués par le juge du fond étaient minces; insuffisants en tout cas, aux yeux de la cour de cassation, pour

' établir que, dans l'intention des parties, le terme << servitude >>

aurait été employé avec une signification autre que son sens juridique normal (cass., 7 janvier 1965, Pas., 1965, I, 436).

50. SERVITUDE LÉGALE DE PASSAGE EN OAS D'ENOLAVE. CoNDITIONS D'EXISTENOE ET MODALITÉS D'EXEROIOE. -Le pro­priétaire dont le fonds n'a aucune issue sur la voie publique peut réclamer un passage sur le fonds voisin, afin d'assurer l'exploitation de son héritage. Le laconisme de ce principe, inscrit dans l'article 682 du Code civil, a conduit la jurisprudence à formuler nombre de précisions : plusieurs décisions récentes s'y attachent encore, en statuant d'ailleurs conformément aux opinions traditionnellement reçues. Ainsi, il n'y a pas absence d'issue lorsque le fonds prétendument enclavé jouxte immédia­tement d'autres héritages appartenant au même propriétaire et possédant un accès à la voie publique (J. de P. Andenne, 20 mai 1968, J.L., 1966-1967, 72). En revanche, il convient d'assimiler à l'absence d'issue, d'une part l'issue qui ne pourrait être amé­nagée que moyennant transformations coûteuses, disproportion­nées compte tenu de la destination du fonds (civ. Marche-en-

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Famenne, 23 décembre 1967, J.L., 1967-1968, _1, p. 263) et, d'autre part, l'issue insuffisante pour les besoins de l'exploitation du fonds (cass., 21 octobre 1965, Pas., 1966, I, 236 et concl. P. MAHAux; R.J.l., 1966, 101, confirmant une jurisprudence bien établie; voy. cette Revue, 1957, n° 73, a, p. 160; 1962, n° 133, a, p. 288; adde : J. de P. Kontich, 19 septembre 1967, R. W., 1967-1968, col. 458). Le même arrêt décide qu'il convient d'entendre dans un sens large le concept d'exploitation, utilisé par l'article 682; le législateur a entendu assurer l'accès à la voie publique <<qui s'avère indispensable à la mise en valeur du fonds enclavé, c'est-à-dire à son utilisation normale d'après sa destination>>. Au surplus, les servitudes sont des charges établies pour l'utilité d'héritages, termes qui <<visent aussi bien les bâtiments et fonds à usage d'habitation que ceux à usage agri­cole, industriel ou commercial>>. II en résulte que le juge ne peut refuser au fonds enclavé, celui-ci eût-il la destination d'habitation privée, le droit de passage que reconnaît l'article 682 du Code civil, s'il ne constate que l'accès réclamé n'est pas indispensable à l'utilisation normale de ce bien. Ainsi jugé encore par le tribunal civil de Liège (16 février 1967, J.L., 1967-1968, 27 et obs. M. H., sur renvoi) et par le juge de paix d'Andenne (16 décembre 1966, J.L., 1968-1969, 23) qui, reprenant à son compte une observa­tion faite par M. l'avocat général MAHAux, dans ses conclusions précédant l'arrêt du 21 octobre 1965, précise que le droit d'exiger un passage adapté à I'<< exploitation>> d'une maison d'habitation privée ne peut être invoqué lorsqu'il n'a d'autre fondement que' l'arbitraire, le bon plaisir ou la fantaisie du propriétaire.

Les deux règles contenues dans l'arrêt de la cour suprême du 21 o,ctobre 1965 sont, ainsi qu'on l'a dit, habituellement admises par la doctrine et la jurisprudence des juridictions de fond (LAURENT, Principes, t. VIII, n° 76; GALOPIN, op. cit., no 373; DE PAGE et DEKKERS, t. VI, nos 590 à 597; HILBERT, Traité géné­ral des servitudes foncières, 1948, nos 790 et suiv. et 802; Novelles, Droit civil, t. III, h 0 s 1194 et suiv.; Rép. prat. du droit belge, v 0 Servitudes, nos 102 et suiv.). On ne s'arrêtera donc pas davan­tage à l'arrêt qui les formule, sinon pour souligner qu'en l'espèce, ce n'était pas l'issue du fonds sur la voie publique qui était insuffisante : c'était la voie publique elle-même. En autorisant le demandeur à passer sur le fonds du voisin, afin de pouvoir accéder à une section de la voirie offrant les avantages requis

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par l'exploitation de son fonds, la cour de cassation confirme ainsi une solution récemment mise en doute par le tribunal de Marche-en-Famenne (19 mars 1964, J.L., 1964-1964, 238) mais dont l'opportunité et la justesse ne peuvent être sérieusement contestées (voy. les obs. de M. VIEUJEAN, dans cette Revue, 1966, no 94, p. 362, et revoy. cass., 20 juin 1929, Pas., 1929, I, 250).

Suffisante à l'origine, l'issue peut devenir ultérieurement insuf­fisante, par exemple à la suite d'un changement dans l'exploi­tation du fonds dominant. La logique commande d'appliquer également à pareille hypothèse le principe de l'article 682. Ainsi en décide aussi le juge de paix de Nivelles (26 novembre 1964, J.J.P., 1965, 265) en notant que l'article 702 du Code civil, qui interdit tout changement de nature à aggraver la condition du fonds grevé, n'est pas applicable à la servitude légale de passage : le mode d'exercice du passage légal doit être en tout temps adapté aux nécessités de l'exploitation du fonds dominant, lequel doit en conséquence être<< à tout instant pourvu d'un droit actuel au passage correspondant aux nécessités de son exploitation ... )). D'accord avec le principe, on n'approuvera pourtant pas toutes les conséquences que le juge de paix en déduit. En l'espèce, l'enclave primitive avait donné naissance à une convention autorisant le passage gratuit, sur une largeur de trois mètres, de chevaux et chariots. Constatant que l'exploitation du fonds dominant exige désormais l'emploi d'un matériel moderne d'exploitation agricole, le juge s'appuie sur la convention initiale pour autoriser le propriétaire de ce fonds à en faire usage gratui­tement. Solution à coup sûr contestable : ayant admis qu'il s'agissait bien en l'espèce d'une servitude légale d'enclave, le juge ne pouvait évidemment plus invoquer l'acte qui en avait primitivement fixé les modalités, après l'avoir écarté pour reconnaître que de nouvelles modalités devaient être établies. Les nécessités contemporaines de l'exploitation créaient en quel­que sorte un <<supplément d'enclave)) et, dans cette mesure, la fixation d'une indemnité s'imposait (sur ce problème, voy. J. HANSENNE, <<Le droit de passage en cas d'enclave. Nature et conséquences)), Ann. Fac. droit de Liège, 1963, n° 13 et note 1, page 404, avec réf.).

Les positions résolument libérales de la jurisprudence belge conduisent-elles à admettre que l'article 682 peut justifier l'éta­blissement sur ou sous le fonds voisin de canalisations destinées

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à assurer le transport d'énergie ou de fluides dont le point de départ (gaz, électricité, ... ) ou d'arrivée (égouts) est la voirie publique ~ Oui, répond le tribunal civil de Nivelles (Il juin 1968, Rec. Niv., 1969, 199), à la condition que le placement des conduites, des câbles ou des canalisations soit effectué sous l'assiette d'un passage au sens habituel du terme, reconnu devoir être établi pour cause d'enclave effective; se référant à plusieurs décisions récentes, le tribunal considère que si les canalisations souterraines nécessaires à l'équipement de ces fonds peuvent être établies sous le couvert de l'article 682, il n'en résulte pas que ces canalisations puissent, à elles seules, indépendamment de tout passage à la surface, constituer l'objet du droit consacré par cet article. Le caractère abrupt de la propo­sition la rend contestable. Refusera-t-on par exemple au pro­priétaire d'un fonds sis en contrebas de la voie publique le droit de raccorder ses conduits d'évacuation à un point inférieur, en passant par tel fonds voisin, sous prétexte que l'accès à la route longeant son héritage est possible tant à pied qu'au moyen de véhicules ? La cour de cassation de France n'est pas disposée à l'admettre (voy. les arrêts cités par MARTY et RAYNAUD, t. II, 2, n° 291 et notes 4 à 7, p. 301) et M. l'avocat général MAHAUX semble bien vouloir en approuver les enseignements ( concl. précédant cass. 21 octobre 1965, précité). Nous partageons ce sentiment que dicte le bon sens; aussi bien, si la décision du tribunal de Nivelles doit être approuvée, c'est uniquement pour cette autre raison, d'ailleurs expressément soulignée par le juge, qu'en l'espèce il n'était nullement démontré que l'évacua­tion des eaux usées n'aurait pu être assurée, moyennant aména­gement peu coûteux, sans passer par la propriété du défendeur.

51. PASSAGE DU FAIT DE L'HOMME ET PASSAGE LÉGAL. -USUCAPION ET PROTECTION POSSESSOIRE.- Deux juges de paix affirment, en termes presque identiques, que le droit de passage est, tout au moins quant à son assiette et à son mode d'exercice, susceptible d'être acquis par usucapion ( J. de P. Dalhem, 16 avril 1962, J.J.P., 1965, 224; J. de P. Messancy, 5 octobre 1966, J.L., 1967-1968, 287; R.J.l., 1968, 405). L'un et l'autre ajoutent que la solution est généralement admise par la doctrine et la jurisprudence. Affirmation excessive, dont il convient de faire justice. Il est vrai que la plupart des auteurs et nombre de

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décisions, parmi lesquelles il faut ranger plusieurs arrêts de la cour de cassation de Belgique, considèrent que peuvent être acquis par usucapion trentenaire l'assiette et le mode d'exercice d'une servitude légale de passage du chef d'enclave (voy. encore cass., 14 février 1969, J.T., 1969, 280). Il est moins sûr qu'un aussi large consensus se dégage, lorsque le problème est posé à propos d'une servitude du passage du fait de l'homme (voy. cette Revue, 1962, n° 138, b, p. 293, 1966, n° 98, p. 368, gt no 99, p. 368; J. HANSENNE, <<Le droit de passage en cas d'en­clave, Nature et conséquences>>, Annales Fac. droit de Liège, 1963, p. 387 et suiv. et sp. nos 3 et suiv. Adde: civ. Marche-en­Famenne, 23 décembre 1967, J.L., 1967-1968, 263; R.J.I., 1968, 293). Dira-t-on du moins que l'opinion de nos juges de paix est conforme à la jurisprudence de la cour suprême~ Peut-être, si l'on s'en tient à l'arrêt du 1er mars 1962 (Pas., 1962, I, 737 et concl. HAYOIT DE TERMICOURT; voy. aussi cette Revue, 1965, 308 et note HEURTERRE). Mais est-il certain que la cour de cassation ait entendu, en 1962, condamner définitivement et sans nuance la thèse adverse, défendue par elle à plusieurs reprises et- à nos yeux- autrement étayée (voy. spécialement cass., 11 juillet 1929, B.J., 1929, 540, et 13 décembre 1957, Pas., 1958, I, 401 et noteR. H.; voy aussi les obs. de M. VIEU­

JEAN dans cette Revue, 1966, n° 99, p. 368) ~ Il est certes permis d'en douter. On peut craindre en conséquence qu'à défaut d'un nouvel arrêt, cette fois complet et précis, la confusion continuera longtemps à régner au niveau des juridictions de fond. Dans l'attente, refusons-nous à leur jeter la pierre. Si la chose ne devait, d'une façon ou d'une autre, porter préjudice aux plai­deurs, privés d'une directive sûre, on se prendrait volontiers à souhaiter que la controverse gagne davantage encore en am­pleur : c'est là, nous semble-t-il, le seul moyen d'obtenir à bref délai son tarissement définitif. Une seule chose reste sûre, nonobstant ces errements : les modalités d'une servitude de passage établie en titre peuvent, indépendamment de tout recours à la prescription, être déterminées par la manière dont les parties ont exécuté le contrat générateur du service foncier, c'est-à-dire par la façon dont le droit a été effectivement possédé. On en trouvera confirmation à la lecture de l'arrêt de la cour de cassation du 17 janvier 1969 (J.T., 1969, p. 334, voy. aussi cass. 18 février 1966, Pas., 1966, I, 799; voy. cette Revue, 1962,

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no 138, b, p. 297, et 1966, no 99, p. 370; voy. aussi supra, no 41). Lorsque les tribunaux proclament le principe du libre jeu de

l'usucapion en matière de servitudes de passage, c'est la plupart du temps pour justifier la recevabilité en la matière des actions possessoires, lesquelles, on le sait, ne peuvent être invoquées que par les possesseurs de droits réels susceptibles d'être acquis par usucapion (art. 1370 du Code judiciaire). C'est à cette fin expresse d'ailleurs que le jugement précité du juge de paix de Messancy statue dans le sens décrit ci-avant. Appliqué sans réserves aux servitudes de passage du fait de l'homme, ce corollaire du prin­cipe nous paraît aussi contestable que le principe lui-même : serait-on d'accord avec les propositions contenues dans l'arrêt de la cour de cassation du 1er mars 1962 qu'il conviendrait encore de limiter la recevabilité des actions possessoires au cas des services fonciers établis par un titre (voy. et comp. cette Revue, 1962, no 137, p. 291, et no 138, b, p. 293; 1966, no 99, p. 368; en ce sens, voy. encore civ. Nivelles, 25 novembre 1964, Rec. Niv., 1965-1966, 94. Comp. J. de P. Bree, 8 octobre 1964, R. W., 1964-1965, col. 1179).

Peut-être pourrait-on d'ailleurs, si besoin en était, trouver une confirmation implicite de cette proposition dans un arrêt de la cour de cassation du 6 décembre 1968 (Pas., 1968, I, 333). La prudence s'impose toutefois car l'objet précis du pourvoi n'avait point directement trait au problème qui nous occupe. Toujours est-il que la cour suprême ne s'étonne nullement que le titulaire d'une servitude de passage fondée sur un titre conventionnel ait prétendu agir au possessoire, en vue de faire cesser une voie de fait. Elle approuve seulement le juge du fond d'avoir décidé, compte tenu des circonstances propres à la cause, que l'action intentée n'était pas exclusivement fondée sur un trouble posses­soire mais sur un droit dont le demandeur entendait faire recon­naître l'existence et l'étendue. La cour ajoute << qu'il ne ressort pas du jugement que le juge du fond a considéré que la demande était une action pétitoire parce qu'elle se fondait sur un titre>>. Il n'est pas excessif de déduire de tout cela que l'action en réinte­grande ou en complainte est recevable lorsqu'elle a strictement pour objet la protection de la possession d'une servitude née d'un titre conventionnel. Il le serait ·de conclure à pareille recevabilité en toute hypothèse et spécialement en cas d'absence de convention constitutive.

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52~ EXTINCTION DES SERVITUDES DE PASSAGE. - CAUSES.

a) Servitude de passage du fait de l'homme.- Non-usage total.

La servitude de passage du fait de l'homme s'éteint par le non­usage pendant trente ans (art. 706 du Code civil; J. de P. Wol­vertem, 28 janvier 1965, J.J.P., 1965, 293). La servitude de passage étant discontinue, le point de départ du délai est en conséquence, ainsi que le précise l'article 707, <<le jour où l'on a cessé d'en jouir>>. Il en résulte normalement que, dans l'hypo­thèse où un passage concédé par convention n'a jamais été exercé, le délai de prescription extinctive court à partir de la date du titre constitutif. A cette règle, le juge de paix de Nieuport entend apporter un tempérament : la prescription ne courrait qu'à partir du moment où le titre constitutif peut recevoir sa pleine exécution, c'est-à-dire à partir du moment où la servitude peut être réellement et adéquatement utilisée (J. de P. Nieuport, 30 mars 1966, R. W., 1967-1968, col. 2070). Ainsi, en cas de lotissement de terrains à bâtir, les titres relatifs aux chemins de desserte des divers lots ne peuvent connaître leur plein effet qu'au moment de la construction; c'est à partir de ce moment que pourrait courir le délai de prescription extinctive. Une telle opinion paraît contraire à la majorité de la doctrine (voy. DE PAGE et DEKKERS, t. VI, no 662, 3o; LAURENT, t. VIII, n° 313; HILBERT, Traité général des servitudes foncières, n° 1016; comp. PLANIOL et RIPERT, t. III, par PICARD, n° 993, texte et note 5; voy. aussi Bruxelles, 29 mai 1964, cité supra, n° 46). Sa généralité nous conduit pareillement à la critiquer : il nous paraît:que la solution du juge de paix de Nieuport n'eût pu être considérée comme pleinement justifiée que si les parties avaient expressé­ment entendu faire de la construction sur les parcelles litigieuses un terme suspensif ou une condition suspensive de la naissance du droit de servitude. Que nous sachions, en effet, l'accès à une parcelle à bâtir n'est, tant qu'une construction n'y est pas érigée, ni vain ni utile! (Comp. DEMOLOMBE, Traité des servitudes, t. II, nos 992 et 993).

b) Servitude de passage du fait de l'homme.- Non-usage partiel.

Aux termes de l'article 708 du Code civil, le mode de la servi­tude peut se prescrire comme la servitude elle-même. On sait toutefois que la doctrine et la jurisprudence dominantes consi-

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dèrent que le non-usage partiel ne peut être pris en considération, en matière de servitudes discontinues et singulièrement en cas de servitude de passage, lorsqu'il apparaît que la situation n'a d'autre origine que la libre volonté du propriétaire du fonds dominant de n'user de son droit que pour partie (voy. cette Revue, 1966, n° 96, p. 367; DERINE, op. cit., Tijds. voor Priv., 1969, n° 96, p. 748). Ainsi jugé encore par le juge de paix d'Ekeren dans une décision du 15 juin 1967 (R. W., 1967-1968, col. 506).

c) Disparition de l'enclave.

Sur ce point précis, la jurisprudence belge paraît bien fixée : la servitude légale d'enclave s'éteint lorsque disparaît l'état d'enclave qui avait justifié sa naissance. En revanche, un droit de passage conventionnel ne disparaît pas du seul fait de la disparition de l'état d'enclave qui l'avait suscité : <<il participe de l'irrévocabilité des effets des conventions et, partant, sauf stipulations expresses, ( ... ) il subsiste même lorsqu'un état d'enclave antérieur a cessé>> (voy. cass., 15 janvier 1960, Pas., 1960, I, 546 et obs. VIEUJEAN, cette Revue, 1966, n° 96, p. 366 et 367; voy. aussi cass., 14 décembre 1962, Pas., 1963, I, 461). Deux juges de paix ont récemment encore mis en œuvre cette idée qui nous paraît la seule admissible (J. de P. Péruwelz, 4 juin 1965, J.J.P., 1966, 223; J. de P. Virton, 13 février 1966, J.J.P., 1966, 261; voy. J. HANSENNE, <<Le droit de passage en cas d'en­clave, Nature et conséquences>>, Annales Fac. droit Liège, 1963, p. 387 et suiv. et sp. n°8 9 à 12). Si le principe est à la fois clair et juste, il n'est pas sûr, toutefois, que sa mise en œuvre soit toujours aisé~] implique en effet que l'on distingue soigneusement le titre générateur d'une authentique servitude du fait de l'homme, eût-

, elle pour origine un état d'enclave, et la convention réglant seulement les modalités (assiette et mode d'exercice) de la servi­tude légale d'enclave, puisque seul le premier est de nature à justifier le maintien du service foncier, quels que soient ultérieu­rement les avatars du fonds dominant. La lecture des décisions ne convainc pas que les juridictions de ·fond soient toujours attentives à cette distinction fondamentale.

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C. - Régime des eaux.

53. EcoULEMENT NATUREL DES EAUX. - L'article 640 du Code civil impose au propriétaire du fonds supérieur de ne rien faire qui aggrave la servitude du fonds inférieur (voy. cass., 19 décembre 1963, Pas., 1964, I, 418, et cette Revue, 1966, n° 90, p. 357; comm. Bruxelles, 17 décembre 1965, J.C.B., 1966, 198). On admet cependant qu'il conserve au moins le droit de mettre en culture son fonds selon les procédés courants, lors même que cette exploitation modifierait quelque peu la pente naturelle des eaux ou leur mode d'écoulement (voy. par exemple GALOPIN, op. cit., no 302; LAURENT, t. VII, 370; DE PAGE et DEKKERS, t. VI, no 534, B et réf.). C'est ce qu'admet aussi le juge de paix de Grivegnée (20 janvier 1965, J.L., 1964-1965, 175 et obs. M. H.) en déboutant le propriétaire du fonds inférieur d'une action en dommages-intérêts, après avoir constaté que l'exploitant du fonds supérieur l'avait utilisé <<modérément et correctement, pour un usage agricole normal>>.

D. - Jours et vues.

54. CHAMP D'APPLICATION DES ARTICLES 675 A 680. -Tout ouvrage pratiqué à proximité du fonds voisin et permettant au propriétaire du bien dans lequel il est établi soit de prendre l'air et la lumière (ou l'un de ces éléments), soit même de porter le regard chez autrui n'est pas nécessairement une vue ou un jour, au sens des articles 67 5 et suivants du Code civil. De plus, ces dispositions ne s'appliquent pas à toutesles ouvertures répondant aux définitions légales du jour ou de la vue. Ainsi donc, la déter­mination du champ d'application exact des articles 675 à 680 pose quelques problèmes délicats, dont la solution dépend d'ailleurs fréquemment d'un examen attentif des circonstances de fait. Un point pourtant ne semble guère faire de discussion : la sup­pression d'une ouverture établie en dehors des distances légales ne peut être demandée, dès lors que cette vue donne sur un mur plein (voy. cette Revue, 1957, n° 72, p. 160; voy. aussi cette Revue 1953, n° 67, p. 251). Ainsi jugé encore par 1e juge de paix de Jumet le 17 février 1965 (J.J.P., 1966, 147). Reprenant à son compte l'opinion générale synthétisée par MM. DE PAGE et DEKKERS (t. VI, n° 571) la décision observe que<< discuter de la

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régularité de tels ouvrages, que le voisin ne voit même pas, con­stituerait, dans son chef, un abus de droit>>. L'affaire tranchée par le juge de paix de Saint-Josse-ten-Noode le 2 mars 1966 (J.J.P., 1966, 328) posait, en revanche, plus de difficultés. En l'espèce, deux constructions sont séparées par une ruelle de desserte privée, de 2 m. 50, établie à cheval sur la limite des deux héritages, vraisemblablement par le moyen d'un double droit de passage réciproque. Dans la façade de l'un des deux bâtiments existe une double porte dont l'un des battants comporte lui­même un petit judas fermé à l'extérieur par un grillage et, à l'intérieur, par une petite porte. Par cette ouverture, à coup sûr établie à moins de 1 m. 90 de la limite séparative des héritages, l'observateur découvre successivement la ruelle <<commune>>, le pignon latéral du voisin <<dans lequel se trouve une petite porte ordinaire>>, puis un mur de jardin et une double porte en fer. Cette multiplicité de portes avait de quoi troubler le juge de paix le plus serein. Faut-il faire grief à celui de Saint-Josse d'avoir considéré qu'il n'y avait pas lieu de faire droit à la demande en suppression du judas ? Nous ne le pensons pas, encore que tous les arguments invoqués par la décision ne soient pas également satisfaisants. Après avoir noté avec raison que les articles 678 à 680 du Code civil ne visent pas les portes ordinaires (voy. DE PAGE et DEKKERS, t. VI, no 57; LAURENT, t. VIII, no 43; GALOPIN, op. cit., no 361, PLANIOL et RIPERT, t. III, par PICARD, no 921), le jugement ajoute : certes le judas n'est pas une porte proprement dite mais << puisque la défenderesse peut avoir une porte, qui donne une vue de deux mètres de haut environ sur une largeur semblable, le demandeur reste en défaut de prouver que le judas constituerait une vue semblable à une fenêtre, une vue impliquant la possibilité permanente de voir alors que, comme une porte, il n'est ouvert que par intermit­tence>>. La déduction est contestable et contestée. Si l'on prend soin de faire référence aux raisons qui justifient les articles 675 à 680, on ne peut considérer un judas établi à distance illégale que comme une vue condamnable. La circonstance que le judas peut être ouvert ou fermé ne change rien à l'affaire. Raisonner autrement reviendrait à faire échapper à la réglementation légale les fenêtres assorties de volets ! (Voy. PLANIOL et RIPERT, t. III, par PICARD, no 921; DE PAGE et DEKKERS, op. cit., t. VI, no 571; AuBRY et RAu, op. cit., 5e éd., t. II,§ 196, texte et note 28;

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JossERANn, Cours, 2e éd., t. Ier, no 1493, Jo; MARTY et RAYNAUD, t. Il, 2, n° 279 et note 5; BELTJENS, Encyclopédie, Droit civil, t. Ier, commentaire des articles 678 à 680, n° 5; Rép. prat. droit belge, v 0 Servitude, n° 208). C'est avec plus de raisons que le juge tire argument, pour débouter le demandeur, du fait que le regard porte sur une <<ruelle commune>> : <<vu l'existence de cette ruelle, la défenderesse, les siens et même les tiers peuvent se promener dans la ruelle et y porter sur le bien du demandeur les regards que celui-ci redoute>>. Il ref?te d'ailleurs en défaut de démontrer << que la défenderesse ne pourrait pas faire derrière sa porte ce qu'elle peut faire devant celle-ci>>. En argumentant ainsi, le juge étend d'une façon qui nous paraît raisonnable une solution habituellement adoptée dans le cas où les fonds sont séparés par une voie publique de faible largeur ou un passage dont les deux antagonistes sont copropriétaires (voy. GALOPIN, op. cit., n° 361; PLANIOL et RIPERT, t. III, par PICARD, nos 920 et 921; DE PAGE et DEKKERS, op. cit., t. VI, no 569, 2°; BAUDRY­LACANTINERIE, Précis, t. Ier, no 1538; comp. BELTJENS, Ency­clopédie, Droit civil, t. Jer, commentaire des art. 678 à 680, nos 32 et suiv.; AUBRY et RAU, op. cit., se éd., t .. II, § 196, texte et note 30). Pour renforcer son argumentation, le magistrat note encore, en rejoignant ainsi l'opinion précitée du juge de paix de Jumet, que l'ouverture ne donnait en l'espèce que sur des murs de clôture et une porte blindée. A elle seule, cette constatation eût .sans doute pu suffire à justifier la solution.

55. ACQUISITION n'UNE SERVITUI)E I)E VUE PAR USUCAPION.­On a déjà eu l'occasion, à plusieurs reprises, de faire dans cette Revue la synthèse de la jurisprudence relative au problème très complexe que pose le maintien pendant trente ans d'une vue irrégulière (voy. cette Revue, 1950, no 89, p. 270, et 1962, no 132, p. 285). Il nous aurait suffi, en conséquence, de signaler la con­formité aux thèses généralement admises de la solution adoptée par le tribunal de Huy dans une décision du 15 janvier 1969 (J.L., 1968-1969, 156), si les motifs invoqués avaient été en tout point orthodoxes. Quod non. En l'espèce, le propriétaire d'un fonds construit un mur à la limite de son fonds; il juxtapose ainsi une clôture au pignon du voisin, dans lequel existe depuis plus de trente ans une fenêtre. A juste titre, le tribunal décide que ce délai a certes permis au propriétaire du mur dans lequel

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la vue est percée de la conserver mais n'a pu priver son vis-à-vis de la faculté de construire ou de planter et d'obstruer ainsi l'ouverture. Pour statuer en ce sens, la décision se fonde sur cette idée que, par trente ans, le propriétaire de la fenêtre aurait acquis par usucapion le droit de conserver l'ouverture, sans acquérir du même coup une servitude active de vue qui lui eût permis d'exiger le respect par le voisin de la prise d'air et de lumière. Le tribunal a raison de considérer qu'aucune servitude de vue du fait de l'homme n'a pu être acquise par trente ans, solution qui s'impose chaque fois que l'ouvrage illégal n'empiète par sur le fonds du voisin; il a tort de considérer que, du moins, les trente années ont suffi à lui faire acquérir par prescription le droit de maintenir la vue litigieuse. Si cette conséquence s'impose, c'est parce que l'écoulement du délai a libéré son fonds de la charge dont il était grevé au profit de l'immeuble voisin. C'est, en d'autres termes, de prescription extinctive ou libératoire, et non d'usucapion, qu'il eût fallu parler pour justifier, au regard des exigences de la jurï"sprudence dominante, la solution retenue (voy. réf. citées dans cette Revue, 1963, n° 132, p. 285; adde: N. JEANMART, <<Les effets de la possession trentenaire d'une vue non conforme à la loi>>, Ann. Louvain, 1969, p. 19 et suiv.). Mais les reproches que l'on pourrait adresser au tribunal civil de Huy sont minces, face à ceux que mérite une décision rendue le 21 février 1969 par le juge de paix d'Andenne (R.J.I., 1969, p. 307; J.L., 1968-1969, 230). Il semble en effet qu'en l'espèce ait été reconnue la possibilité pour le voisin de faire supprimer· des ouvertures illégalement percées depuis plus de trente ans. La défense d'une telle solution exigerait d'autres arguments que les motifs obscurs et ambigus de la décision critiquée !

56. EFFETS D'UNE SERVITUDE ACTIVE DE VUE ACQUISE PAR

USUCAPION OU PAR DESTINATION DU PÈRE DE FAMILLE. -

Quelle est la portée exacte d'une servitude positive de vue acquise par usucapion ou par destination du père de famille ? Dans quelle mesure empêche-t-elle le propriétaire du fonds grevé de bâtir, de planter, bref d'user de sa propriété ? La question est tout aussi controversée que celle qu'évoque le numéro précédent. On en trouve des échos dans une décision du tribunal civil de Bruges du 4 décembre 1965 (R.J.I., 1966, 103). Pour certains, il y aurait

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lieu de transposer à l'espèce les exigences des articles 678 et 679 du Code civil et d'interdire au propriétaire de construire ou de planter à moins de dix-neuf ou de six décimètres de l'ouverture, suivant que la vue acquise est droite ou oblique. Telle est bien la position habituellement retenue par la jurisprudence française, à la suite de quelques auteurs (voy. par ex. PLANIOL et RIPERT, t. III, par PICARD, n°. 923; CoLIN et CAPITANT, t. Jer, p. 752; BAUDRY-LACANTINERIE, Précis, 10e éd., t. Jer, no 1770). Confor­mément à la majorité de la jurisprudence et de la doctrine belges (voy. CL. RENARD, Les biens, la propriété et les droits réels principaux, n° 601 et références), le tribunal civil de Bruges rejette cette manière de voir : c'est en considération des circon­stances de fait, propres à chaque espèce, que doit se résoudre le problème de l'étendue du droit acquis, le texte à prendre en con­sidération étant non point celui de l'article 678 ou celui de l'article 679 (dispositions destinées à régler une situation toute différente) mais celui de l'article 701, lequel interdit tous agisse­ments de nature à gêner in concreto l'exercice d'une servitude (voy. cette Revue, 1962, n° 132 in fine, p. 288, et 1966, n° 93, p. 360). Cela dit, il est possible que, compte tenu des éléments de la cause, la distance de 1,90 m. se révèle suffisante pour assurer le respect intégral de la prise d'air et de lumière. C'est ce qu'a admis ici le tribunal civil de Bruges en approuvant le premier juge d'avoir fixé de cette façon l'étendue de la charge imposée au voisin.

VII. Autres droits réels.

57. EMPHYTÉOSE.- Sauf stipulation expresse, le transfert de propriété des constructions érigées par l'emphytéote ne se réalise qu'à la fin du bail. Ainsi jugé avec raison par la commission d'appel des dommages de guerre de la province du Brabant, dans une décision du 28 avril 1965 (Rev. prat. not., 1965, 419). Il en est ainsi même quand l'emphytéote a accepté l'obligation d'ériger des constructions dans un délai déterminé. La renon­ciation des emphytéotes ou de leurs héritiers à l'indemnisation des dommages subis du fait de guerre ne comporte pas par elle-même cession de ce droit aux dommages de guerre au pro..: priétaire du sol. Celui-ci ne peut donc réclamer en lieu et place des emphytéotes renonçants indemnisation pour les dégâts causés à des constructions qui ne lui appartiennent pas.

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58. SuPERFICIE. - La nouvelle jouvence du droit de superficie ne va pas sans poser au juriste de nombreux problèmes. L'arrêt de la cour suprême du 24 juin 1965 en révèle quelques-uns dont l'importance théorique et pratique est indéniable (Pas., 1965, I, 1165). In casu, les propriétaires d'un fonds déclarent renoncer, au profit d'une société, et ce pour une durée de deux ans, au droit d'accession prévu par les articles 546 à 551 du Code civil. A l'expiration du délai, les parties décident de régler le sort des constructions, << sur le pied de l'article 555 du code civil >>; elles arrêtent un règlement fixant à 2.500.000 F le montant de la plus-value conférée par les constructions et due en conséquence par les propriétaires du sol, mais considérée tout aussitôt par les parties comme payée, par le moyen d'une compensation dont l'arrêt ne nous révèle pas les éléments constitutifs précis. Las! la société tombe en faillite quelque temps après. Le curateur invoque les articles 445 et suivants de la loi sur les faillites et, partant, la nullité du règlement intervenu durant la << période suspecte>>. Il demande en conséquence la condamnation des propriétaires du sol au payement effectif, sur le fondement de l'article 555 du Code civil, d'une indemnité calculée en raison de la plus-value procurée par les constructions. Le premier juge lui donne gain de cause et ordonne une expertise pour déterminer le montant e.xact de la plus-value. Devant la cour d'appel, les propriétaires du sol invoquent pour la première fois que leurs rapports avec la société doivent se régler non sur la base de l'ar­ticle 555 du Code civil, mais selon les dispositions de la loi du 10 janvier 1824 sur le droit de superficie et, plus spécialement, en vertu de l'article 7 de ladite loi, lequel décide que << si le droit de superficie a été établi sur un fonds sur lequel se trouvaient déjà des bâtiments, ouvrages ou plantations dont la valeur n'a pas été payée par l'acquéreur, le propriétaire du fonds reprendra le tout à l'expiration du droit, sans être tenu à aucune indemnité pour- ces bâtiments, ouvrages ou plantations >>. En toute hypo­thèse, ce dernier argument ne pouvait évidemment être retenu, puisque - en l'espèce - les constructions a v aient été érigées après la conclusion de la convention. Mais la cour d'appel ne se borne pas à exclure l'application de l'article 7 de la loi concernant · le droit de superficie. Confirmant l'analyse du premier juge, elle nie jusqu'à l'existence de ce droit : la convention, à ses dires, n'aurâit donné naissance qu'à<< une renonciation toute provisoire,

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corrélative à une autorisation de bâtir strictement personnelle>>. En conséquence, elle admet à son tour que les droits relatifs aux bâtiments élevés doivent être régis par l'article 555 du Code civil et que le constructeur est en droit de réclamer le payement de la plus-value résultant de l'érection. C'est à cette qualification juridique du lien unissant les parties que s'attaque le pourvoi, en développant quatre moyens judicieux auxquels la cotir de cassation n'entreprend pas de répondre. Statuant sur une fin de non-recevoir opposée par les propriétaires du terrain, la cour observe que si la cour d'appel, pour confir.mer le jugement rendu en première instance et condamner le propriétaire du sol au payement de la plus-value, se fonde en ordre principal sur l'inexistence d'un droit de superficie, elle n'en décide pas moins que, même s'il y avait constitution d'un droit de superficie, l'article 6 de la loi du 10 janvier 1824 eût de toute façon obligé le propriétaire du fonds à rembourser au constructeur ce qu'il récla­mait, savoir la valeur actuelle des constructions. En conséquence, la cour suprême rejette le pourvoi, en observant que les moyens développés, <<qui se bornent à attaquer les motifs sur lesquels l'arrêt se fonde pour déclarer non établi de droit de superficie>>, sont non recevables à défaut d'intérêt. L'arrêt mériterait plus que les brefs commentaires que nous pouvons lui consacrer dans le cadre de cette chronique. Deux ordres de réflexions critiques s'imposent néanmoins. D'abord, on notera que, nonobstant l'annulation de la convention qui faisait référence à ce régime d'indemnisation, les juridictions appelées à statuer en l'espèce ont admis qu'à défaut de la loi du 10 janvier 1824, c'est l'article 555 et- plus spécialement -l'article 555 in fine du Code civil qui devait régler les rapports entre les parties litigantes. La solution n'est pas à l'abri des critiques. Le payement de la plus­value procurée par les constructions est une possibilité donnée par l'article 555 au propriétaire du sol qui se trouve en présence d'un constructeur possesseur de bonne foi. C'est étendre singuliè­rement les limites du texte que de prétendre l'appliquer tel quel à notre espèce (voy. supra, no 11). On observera ensuite que la cour de cassation admet implicitement, m~is néanmoins fort clairement, que la renonciation à l'accession peut donner nais­sance à un droit autre que la superficie (comp. Bruxelles, 22 juin 1966, R. W., 1966-1967, col. 1430, examiné supra, n° 10). Mais quel droit~ Un droit de créance~ C'est ce que paraît penser la cour

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d'appel, qui analyse la convention primitive comme génératrice d'une <<renonciation toute provisoire, corrélative à une autori­sation de bâtir strictement personnelle>>. Si telle est bien l'opinion de la cour, convenons que son arrêt contient alors une contra­diction de taille : dire que la convention n'a conféré au construc­teur qu'un droit de créance, c'est dire qu'il n'a été à aucun moment propriétaire des constructions élevées par lui; et dire qu'il n'a jamais été propriétaire des bâtiments, c'est dire que la prétendue << renonciation à l'accession >> n'en était pas une ! A la vérité, si ·l'on entend laisser aux mots leur sens habituel, une véritable renonciation à l'accession, c'est-à-dire au droit de devenir propriétaire des constructions incorporées au sol, ne peut évidemment conduire qu'à la naissance, au profit de son béné­ficiaire, d'un droit réel de propriété. Faut-il donc déduire de la solution adoptée par l'arrêt a quo et - semble-t-il - admise

. sans réserves par la cour de cassation, que la renonciation à l'accession peut conférer au constructeur un droit réel de proprié­té sur les bâtiments qui serait différent de la superficie~ Nombre de praticiens de la construction, qui voient dans l'article 4 de la loi du 10 janvier 1824, limitant à 50 ans la durée de la superficie, un obstacle à leurs projets, seraient sans doute heureux qu'on puisse les assurer de la validité d'un droit de propriété sur le <<sur-sol>> qui échapperait aux dispositions de ladite loi ! On hésitera cependant à certifier que notre arrêt, dont l'ambiguïté est patente, est de nature à leur donner désormais cette assurance.

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