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Courrier de l'environnement de l'INRA n°41, octobre 2000 57 Expertise collective sur les tempêtes, la sensibilité des forêts et sur leur reconstitution Introduction Les tempêtes de la fin 1999 ont frappé profondément et assez durablement le secteur forestier et certaines de ses composantes : les écosystèmes eux-mêmes, les propriétaires et gestionnaires, certains acteurs de l'exploitation forestière et de l'industrie. Face à cette catastrophe sans précédent dans l'histoire de la forêt française, l'INRA et le Centre national du machinisme agricole, du génie rural et des eaux et forêts (CEMAGREF) ont souhaité apporter leur contribution, pour éclairer les décisions publiques, et notamment les mesures incitatives, visant non seulement à reconstituer les forêts endommagées ou détruites, mais encore à conférer par la sylviculture une meilleure stabilité aux forêts non touchées ou en devenir. L'INRA et le CEMAGREF ont pris l'initiative, en concertation avec la Direction de l'espace rural et de la forêt (DERF) du ministère de l'Agriculture et de la Pêche, de mettre sur pied un Cette synthèse rend compte d'un rapport d'expertise , établi fin juin 2000, dont on trouvera le texte in extenso dans le Dossier de l'environnement de l'INRA n°20. Ce rapport résulte des travaux d'un groupe d'expertise scientifique constitué à l'initiative de l'INRA et du CEMAGREF, en concertation avec la Direction de l'espace rural et de la forêt et avec l'appui du Groupement d'intérêt public de recherche sur les écosystèmes forestiers (GIP ECOFOR). groupe d'expertise scientifique avec un triple objectif : (1) produire en quatre mois une expertise collective sur l'aléa tempête et la sensibilité de la forêt, et proposer des orientations pour la reconstitution des forêts endommagées - ce sera l'objet du présent document ; (2) affiner, dans un deuxième temps, les conclusions de ce rapport après interprétation des premières évaluations des dégâts par l'Inventaire forestier national sur quelques zones tests ; (3) encadrer des projets de recherche à court terme et élaborer sur le moyen terme de nouveaux programmes de recherche. L'originalité de ce travail a été la construction d'une expertise véritablement collective associant scientifiques et praticiens. Les délais courts fixés à la production de ce rapport ont permis de mobiliser l'« existant », c'est-à-dire les connaissances propres de chacun (le « dire d'expert ») ainsi que d'abondantes données bibliographiques françaises et étrangères. Le groupe d'expertise a réuni une large palette de scientifiques issus de disciplines variées et appartenant à des organismes très divers (Muséum, CNRS, ENGREF, universités françaises, suisses et allemandes, Météo France, CEMAGREF et INRA) et de spécialistes du développement ou de gestionnaires forestiers (Institut pour le développement forestier - IDF, Inventaire forestier national - IFN, Office national des forêts - ONF, propriétaires privés, experts forestiers). Ce groupe d'expertise composé d'une trentaine de personnes

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Courrier de l'environnement de l'INRA n°41, octobre 2000 57

Expertise collective sur les tempêtes,la sensibilité des forêtset sur leur reconstitution

Introduction

Les tempêtes de la fin 1999 ont frappéprofondément et assez durablement le secteurforestier et certaines de ses composantes : lesécosystèmes eux-mêmes, les propriétaires etgestionnaires, certains acteurs de l'exploitationforestière et de l'industrie. Face à cette catastrophesans précédent dans l'histoire de la forêt française,l'INRA et le Centre national du machinismeagricole, du génie rural et des eaux et forêts(CEMAGREF) ont souhaité apporter leurcontribution, pour éclairer les décisions publiques,et notamment les mesures incitatives, visant nonseulement à reconstituer les forêts endommagéesou détruites, mais encore à conférer par lasylviculture une meilleure stabilité aux forêts nontouchées ou en devenir.

L'INRA et le CEMAGREF ont prisl'initiative, en concertation avec la Direction del'espace rural et de la forêt (DERF) du ministère del'Agriculture et de la Pêche, de mettre sur pied un

Cette synthèse rend compte d'un rapport d'expertise ,établi fin juin 2000, dont on trouvera le texte in extensodans le Dossier de l'environnement de l'INRA n°20. Cerapport résulte des travaux d'un groupe d'expertisescientifique constitué à l'initiative de l'INRA et duCEMAGREF, en concertation avec la Direction del'espace rural et de la forêt et avec l'appui du Groupementd'intérêt public de recherche sur les écosystèmesforestiers (GIP ECOFOR).

groupe d'expertise scientifique avec un tripleobjectif : (1) produire en quatre mois une expertisecollective sur l'aléa tempête et la sensibilité de laforêt, et proposer des orientations pour lareconstitution des forêts endommagées - ce seral'objet du présent document ; (2) affiner, dans undeuxième temps, les conclusions de ce rapportaprès interprétation des premières évaluations desdégâts par l'Inventaire forestier national surquelques zones tests ; (3) encadrer des projets derecherche à court terme et élaborer sur le moyenterme de nouveaux programmes de recherche.

L'originalité de ce travail a été laconstruction d'une expertise véritablementcollective associant scientifiques et praticiens. Lesdélais courts fixés à la production de ce rapport ontpermis de mobiliser l'« existant », c'est-à-dire lesconnaissances propres de chacun (le « dired'expert ») ainsi que d'abondantes donnéesbibliographiques françaises et étrangères. Legroupe d'expertise a réuni une large palette descientifiques issus de disciplines variées etappartenant à des organismes très divers(Muséum, CNRS, ENGREF, universités françaises,suisses et allemandes, Météo France, CEMAGREFet INRA) et de spécialistes du développement ou degestionnaires forestiers (Institut pour ledéveloppement forestier - IDF, Inventaire forestiernational - IFN, Office national des forêts - ONF,propriétaires privés, experts forestiers). Ce grouped'expertise composé d'une trentaine de personnes

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s'est appuyé sur un « deuxième cercle » d'unecinquantaine d'experts choisis en fonction de leurscompétences. Le Groupement d'intérêt public derecherche sur les écosystèmes forestiers, GIPECOFOR, a apporté une contribution majeure augroupe d'expertise en assurant son secrétariattechnique et en réalisant la synthèse de sestravaux.

Le rapport d'expertise est structuré en deuxparties. La première traite de l'aléa climatiquetempête et des facteurs qui influent sur la sensibilitédes arbres et des forêts au vent. De cet état desconnaissances, on peut tirer bien sûr desenseignements pour la reconstitution et pour unemeilleure prise en compte du risque lié au ventdans la gestion des forêts non ou moins touchées.La deuxième partie présente des recommandationssur le pourquoi et le comment de la reconstitution.

Nous espérons que cette expertisescientifique collective, qui se situe bien dans lesmissions des organismes publics de recherche,contribue au fondement des décisions publiques quivont intervenir très prochainement pour aider à lareconstitution de la forêt française. Nous souhaitonsici remercier tous ceux qui y ont participé, ensoulignant que ce rapport doit beaucoup à lacompétence des experts, à leur capacité d'écouteet de dialogue, et à leur engagement pour que cetravail soit utile à la collectivité.

Bertrand Hervieuprésident de l'INRA

Jean-François Carrezprésident du conseild'administration duCEMAGREF

1. L'aléa climatique tempêteet les facteurs de sensibilité ou de résistance des forêts

Vent, climat et forêt française

Les tempêtes de fin 1999 :exceptionnelles en intensité et enétendue

Les deux événements de décembre 1999ont eu une intensité et une étendue très rares. Leszones touchées par des vents exceptionnels ontreprésenté une part importante du territoirenational. Ainsi, à l'intérieur d'un périmètreStrasbourg - Colmar - Mulhouse - Orléans - Rouen -Reims - Nancy - Strasbourg, au pied des Pyrénéeset le long de la côte Atlantique, depuis Biscarossejusqu'à la Vendée, la vitesse de vent moyenobservé lors des deux tempêtes correspond à unedurée de retour du phénomène supérieure ausiècle. S'ajoutait à cela une forte pluviométrie aucours du mois de décembre 1999 qui, à l'exceptiondu quart sud-est du pays, avait conduit à unesaturation en eau des sols.

Les quinze dernières années n'ont pas étéavares en « coups de vent » qui ont marqué lesesprits ; cependant, si une augmentation de lafréquence des tempêtes a pu être constatée pourles 30 dernières années par rapport aux décenniesprécédentes, il n'est pas possible d'observer une

tendance au niveau du siècle : l'activitétempétueuse est simplement revenue à un niveausimilaire à celui de la fin du XIXe siècle. Cette fortevariabilité interdécennale et la limitation des sériesstatistiques ne permettent pas de conclure à uneaugmentation du phénomène et encore moins de larelier à une transformation du climat.

L'augmentation de la teneur en gaz à effetde serre de l'atmosphère fait prévoir unréchauffement du climat. En l'absence de résultatstranchés issus de l'observation, c'est naturellementvers la simulation que l'on se tourne pour essayerd'en évaluer les conséquences sur la violence et lafréquence des tempêtes, mais on se heurte alors àla mauvaise restitution des phénomènes extrêmespar les modèles numériques. On les aborde defaçon indirecte par l'étude de critèresstatistiquement reliés à l'apparition de phénomènesextrêmes, mais les résultats obtenus par plusieurséquipes de recherche sont contradictoires. On peutnéanmoins en retenir que l'augmentation dephénomènes extrêmes n'est pas invraisemblabledans l'hypothèse d'un réchauffement global plusmarqué que maintenant.

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La forêt française :plus vaste et plus sensible

Si les caractéristiques de l'aléa vent nesemblent pas s'être profondément modifiées aucours du siècle, l'augmentation incontestable desdégâts forestiers est à relier de façon plus certaineà l'évolution de la forêt française. Cette évolution,depuis le milieu du XIXe siècle, a deux dimensionsprincipales : d'une part, l'accroissement dessurfaces forestières et, d'autre part, l'évolution desmodes de gestion vers les régimes de futaie audétriment des taillis et taillis sous futaie. Lapremière, qui revient à exposer plus de surfaceforestière au vent, est un facteur directd'augmentation des dégâts. L'évolution des modesde gestion, de son côté, a conduit à un changementdans la structure et la composition despeuplements, à la fois dans le sens d'unaccroissement de l'enjeu - volume sur pied àl'hectare plus élevé et plus forte valeur des bois - etd'une augmentation de la sensibilité- principalement une hauteur dominante accrue.

La comparaison des deux derniers cyclescomplets de l'IFN de dates moyennes 1980 et 1992et des données du cycle en cours pour certainsdépartements confirment que ces tendances sonttoujours à l'œuvre et permettent de les détailler unpeu mieux :- la surface forestière est en extension : 80 000 hade plus par an pour la période 1991-1998 (sourceTERUTI) ;- le volume moyen sur pied est en augmentation :129 m3/ha en 1980 à 149 m3/ha en 1992 ;- les taillis et les mélanges futaies feuillues-taillisrégressent (respectivement -310 000 ha et-220 000 ha sur la période 80-92) alors que lesfutaies progressent (+800 000 ha sur la période80-92) ;- la surface occupée par les peuplements dehauteur dominante élevée augmente ;- dans le cas particulier des peuplements résineux

et en utilisant les classes de stabilité définies parl'IDF (cf ci-dessous), le douglas, le sapin pectine etl'épicéa accusent une nette augmentation de laproportion des peuplements dans les catégories« fragilisé » et « instable ».

L'influence sur ces chiffres des plantationsrésineuses installées avec l'aide du Fonds forestiernational et l'évolution des taillis sous futaie en futaie(par conversion ou vieillissement) est nette. Lasylviculture peut être clairement mise encausedans le cas des peuplements résineux mentionnés.Néanmoins la situation ne peut être entièrementmaîtrisée ni expliquée par la gestion pratiquée (ycompris l'absence d'intervention), qui n'est pasindépendante des objectifs généraux fixés à la forêtet de révolution du paysage rural et du marché dubois (par exemple, l'absence de débouchés pourles petits-bois résineux). Enfin, il faut ajouterl'augmentation de la productivité des forêts que l'onobserve sur les dernières décennies (elleproviendrait en partie de l'élévation du taux de CO2atmosphérique, de la pollution atmosphériqueazotée et du réchauffement du climat), et qui estliée à un accroissement de la hauteur dominantedes peuplements.

Le vent : les zones exposées

La façade atlantique, à l'ouest d'une ligneBordeaux-Rouen, le sillon rhodanien et leLanguedoc-Roussillon, ainsi que l'est de la Corse,sont les régions les plus exposées (durée de retourinférieure à cinq ans pour une vitesse de ventmaximal de 120 km/h). L'évaluation de l'aléa estplus complexe aux facteurs d'échelles inférieures :localement, la combinaison de la topographie et dela direction du vent a un rôle décisif. Enfin, à uneéchelle encore inférieure, c'est le peuplement lui-même qui influence la nature du vent, et notammentson profil, sa vitesse et son caractère turbulent(cf. ci-dessous).

Stabilité des arbres et des peuplements

Le développement ci-après présente demanière dissociée les différents facteurs pouvantinfluer sur la stabilité des arbres et despeuplements. Cette approche a l'avantage d'uneplus grande simplicité et d'une meilleure clarté, ets'avère souvent suffisante pour mettre en relationune instabilité constatée avec une, voire deuxcauses évidentes (par exemple, des chablisconcentrés sur des chênes dont le systèmeracinaire est fortement attaqué par la collybie). Ellene permet pas en revanche d'appréhender les

éventuelles compensations (par exemple, unemauvaise stabilité individuelle des arbres peut êtrecompensée dans une certaine mesure par l'« effetbloc » au niveau du peuplement) ou les synergiesentre les différents facteurs. Plus encore, elle ne faitpas ressortir les interactions entre ces facteurs. Parexemple, le comportement très variable desessences, d'une station et d'une sylviculture àl'autre complique l'analyse de la sensibilité desespèces. Ainsi, le douglas, dans des conditions desol favorables, présente une assez bonne qualité

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d'ancrage du fait de son système racinaire « encœur ». En revanche, très sensible à l'humidité dusol, il adopte un comportement traçant dans dessols même faiblement hydromorphes et devientalors un excellent candidat aux chablis. Pour cesraisons, l'analyse de la stabilité des peuplementsréclame une expertise capable de regrouper desfacteurs en quelques « variables synthétiques »pertinentes, essentiellement dendrométrie despeuplements, propriétés mécaniques des arbres etqualité de l'ancrage au sol (ce dernier paramètreintégrant tout à la fois les caractéristiquesstationnelles, sanitaires et spécifiques) pour aboutirà un diagnostic global de la stabilité.

L'arbre

Le vent entraîne une oscillation des arbressuivant un modèle mécanique simple. Les rafalesprésentant elles-mêmes un caractère pulsatoire(courtes rafales de quelques secondes), desphénomènes de résonance sont possibles. Chaquecompartiment de l'arbre : houppier, tige et complexesol + racine, joue un rôle sur la réponse de l'arbre àla sollicitation du vent et contribue à ses propriétésde résistance.

C'est essentiellement sur le houppier ques'exerce l'action du vent. Un houppier largeprésente une prise au vent importante, surtoutlorsque l'arbre est en feuilles, mais a contrario laprésence des branches basses abaisse les centresde gravité et de pression, les rapprochant du pointd'ancrage (le sol) et réduisant de ce fait le coupledes forces en jeu (vent et poids dès que l'arbren'est plus parfaitement vertical). De plus, lebattement des branches contribue de façonimportante à l'amortissement de l'oscillation (cettecontribution a été évaluée à 40% dans le cas d'unpeuplement d'épicéas de Sitka).

La tige transmet l'effortjusqu'au sol et n'est que trèspeu responsable del'amortissement des oscillations.Sa structure complexe luiconfère des propriétésparticulières de résistance, maiscet organe présente deshétérogénéités et casse defaçon privilégiée au niveau dedéfauts structuraux. L'arbredéveloppe naturellement detelles zones de fragilité au coursde sa croissance (nœuds,cernes larges pour certainesespèces), mais celles-ci peuventaussi résulter d'un agentextérieur, notamment un

pathogène ou un insecte. Les attaques de Fusariumsur les peupliers, de la Pyrale du tronc Dioryctriasylvestrella (Lép. Pyralidae) sur pin maritime, leschancres à Nectria sur hêtre, à Cryphonectria surchâtaignier, sont ainsi des points privilégiés derupture.

La forme générale de la partie aérienneinfluence la fragilité. À hauteur égale, la stabilitéindividuelle des arbres est renforcée par un faibleélancement (rapport h/d130)1 et, à élancementéquivalent, la hauteur augmente l'instabilité. Enrésumé, les arbres petits et trapus présentent lesformes les plus favorables. Il a été montré parailleurs de manière théorique que la multiplicationdes réitérations pouvait jouer un rôle, du fait depossibles phénomène de résonance entre l'arbre etdes branches principales, multipliant les risques dedégât, et notamment de rupture au niveau desfourches.

Le système racinaire fixe une importantequantité de terre, essentiellement du fait desracines fines. Le poids de ce complexe sol-racinesatteint 6 à 8 fois celui des parties aériennes del'arbre et est responsable en premier lieu del'ancrage au sol. La qualité d'ancrage est doncindissociable des caractéristiques du sol et s'avèred'autant meilleure que le volume prospecté estimportant et que le matériau est cohérent (tout enrestant « prospectable »). L'architecture racinairejoue à deux niveaux. Tout d'abord, la qualité del'ancrage fait intervenir le type de système racinairedéveloppé par l'espèce dans la mesure où celui-cipeut croître de façon non contrainte. Le systèmeracinaire « en cœur » est reconnu comme le plusperformant, suivi du système racinaire pivotant et,enfin, du système racinaire traçant. Par ailleurs,pour une direction de vent donné, ce sont les

1 NDLR : rapport de la hauteur du sujet à son diamètre à « hauteurde poitrine de forestier », soit 1,3 m.

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racines situées dans l'axe du vent qui sontsollicitées, en tension et en compression, et unsystème racinaire symétrique ne présente de cepoint de vue pas de faiblesses.

Enfin, on a montré, pour certains couplespourridié racinaire-essence, une relation forte entreniveau d'infection et sensibilité au vent (sur chêneet douglas, notamment). Les données manquent,mais il est probable qu'une telle influence intéressede nombreux autres couples que ceux déjà étudiés.

Dans la réaction de l'arbre à la sollicitationdu vent, le battement des racines agit comme unamortisseur. Là encore, les caractéristiques du soljouent un rôle et, en particulier, son état au momentde la sollicitation. L'énergie de battement peut danscertains cas, sur sols argileux et détrempés,entraîner un passage à l'état plastique voire liquide.Dans le cas des tempêtes de fin 1999, la saturationen eau quasi-généralisée des sols a largementfacilité les déracinements. À l'inverse, un sol secassure un meilleur maintien, mais perd alors unepartie de ses propriétés d'amortisseur : les volis[cime de l'arbre cassée] sont alors favorisés parrapport aux autres types de dégâts.

Les dimensions relatives des différentscompartiments de l'arbre ont un rôle évident sur lastabilité. Un appareil aérien surdimensionné parrapport au système racinaire est un facteur majeurde déséquilibre (cas des hêtres sur plateau calcaireà sols superficiels, influence de la fertilisationazotée).

Pour terminer, l'arbre est une structuredynamique qui met en jeu des mécanismesbiologiques en réaction aux sollicitations, dont leplus étudié est la mise en place de bois de réactiondont on sait qu'ils permettent à l'arbre de conserversa verticalité. Le rôle de tels mécanismes dans larésistance au vent est moins connu. On constatenéanmoins :- une meilleure résistance des lisières observéedans de très nombreux cas y compris pour despeuplements perméables au vent comme lespeupleraies : bien souvent, seules les lisièresrestent debout ;- un effet souvent très dévastateur des tempêtessoufflant dans une direction inhabituelle.

Ces constatations suggèrent queP« éducation » des arbres au vent, fréquemmentévoquée, pourrait elle aussi mettre en jeu desmécanismes biologiques d'adaptation. Certains deces mécanismes commencent à être identifiés,notamment au niveau racinaire, comme desdissymétries dans la mise en place de tissusracinaires (apparition de bois de compression côtésous le vent exclusivement, assurant une meilleurerésistance à la compression sur pin maritime) ouune croissance adaptative des racines (parexemple, croissance plus rapide de la face

supérieure des racines sous le vent s'opposant à lacompression due au vent sur épicéa de Sitka).

Le type de station

Un paramètre-clef de la stabilité des arbreset, par extension, des peuplements, est laprofondeur physiquement prospectable par lesracines. Lorsque la partie aérienne des arbres sedéveloppe normalement, un blocage des racines àune faible profondeur conduit irrémédiablement àun déséquilibre entre parties aériennes et partiessouterraines. L'origine de telles barrières peut êtrestationnelle, comme dans le cas des stations à solsuperficiel. Les plateaux calcaires de Lorraine et lesstations à sol superficiels sur grès dans les Vosgessont deux exemples malheureusement fort« pédagogiques » de situations sensibles durementaffectées par les tempêtes de fin 1999. La présenced'horizons indurés (alios dans les Landes) ou denappes d'eau permanentes à proximité de lasurface (pélosols pseudogley) présentent lesmêmes contraintes de limitation du volumeprospectable par les racines et renforcent pour lesmêmes raisons l'instabilité des peuplements. Uneautre origine possible de barrières de blocage peutêtre la mécanisation des travaux sylvicoles :l'apparition de tassements, sur sols limoneux oulimono-argileux, est un phénomène courant en casde travaux forestiers mal menés.

Le rôle de la cohérence des sols sur laqualité de l'ancrage a déjà été évoqué. Les sols trèspierreux ou sableux sont des cas particuliers desubstrats peu cohérents et mauvais en termes destabilité des peuplements de façon permanente.Dans la plupart des cas, la cohérence du soldépend de son état hydrique et diminue avecl'augmentation de son taux d'humidité, ce quiexplique l'instabilité sur les sols saturés en eau.

La richesse chimique peut avoir uneinfluence. En particulier, une forte disponibilité enazote, d'origine naturelle ou issue de fertilisation,favorise la partie aérienne (en particulier la massefoliaire) au détriment du système racinaire, ce quigénère un déséquilibre. De surcroît, l'élément N[azote], mobile, est présent à proximité de lasurface, par où s'effectuent les apports, alors qu'ilne fait que percoler par les horizons inférieurs. Ledéveloppement des racines fines se trouve orientévers les horizons superficiels, ce qui affaiblit leurcontribution à l'ancrage de l'arbre.

Le peuplement

La position du peuplement d'un point devue topographique l'expose plus ou moins auxeffets du vent, du fait du relief local et du fait de ladirection privilégiée des tempêtes (en grande

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majorité de secteur ouest en France, à l'exceptiondu littoral méditerranéen). Il en résulte une certaineéducation des arbres et un « écrémage » dessituations les plus sensibles à ces sollicitationsmajoritaires. Par contrecoup, des tempêtessoufflant dans une direction inhabituelle ont souventdes effets étonnamment dévastateurs (cas de latempête de 1982 en Auvergne).

Les caractéristiques aérodynamiques dupeuplement ont une grande importance. Les lisièresopaques provoquent des surpressions sur le frontdu peuplement qui génèrent des turbulences àl'arrière. Cet effet de masque peut être corrigé parun étagement progressif de la lisière, jouant le rôlede déflecteur, et par une plus grande perméabilitéobtenue, tout du moins en hiver, par la présence defeuillus en mélange (rôle du houppier défeuillé desfeuillus). Les Anglo-saxons privilégient la premièreméthode (toutefois consommatrice de surface),jugeant que l'effet bénéfique dans le cas de lisièresperméables est atténué par la pénétration du vent,même freiné, dans le peuplement. Il paraîtnéanmoins possible d'associer ces deux modes degestion des lisières. Les ruptures dans la continuitédes peuplements génèrent elles aussi desphénomènes turbulents à l'origine de dégâtsimportants. On notera, dès lors que de tellesruptures de continuité apparaissent alors que lepeuplement est déjà en place, que les lisièrescorrespondantes, souvent qualifiées de fausseslisières, sont constituées d'arbres brutalementexposés sans avoir été « éduqués » au vent et sontdonc très vulnérables.

L'effet conjugué de la hauteur et del'élancement des peuplements a été largementétudié pour plusieurs essences résineuses et il estcorrectement résumé par les graphiques hauteurdominante/diamètre moyen faisant apparaître leszones de stabilité des peuplements. On relève :- qu'une hauteur dominante croissante augmentel'instabilité des peuplements à élancement égal etqu'elle finit par générer une instabilité forte quel quesoit l'élancement. A contrario, les peuplements defaible hauteur dominante sont toujours très stables ;- que les élancements réduits assurent une plusgrande stabilité des peuplements à hauteurdominante égale.

Les propriétés de stabilité des peuplementsne résultent pas seulement de la somme desstabilités individuelles des arbres qui lescomposent, mais font également intervenir, à desdegrés divers en fonction notamment de la structuredu peuplement, un « effet bloc » dont l'effet positifsur la stabilité est confirmé par l'expérimentation.L'effet bloc met en jeu le soutien mutuel des arbresd'une même strate par contact des houppiers, et quidépendra donc de la densité des peuplements.L'existence d'un sous-étage semble être un facteur

favorable à la stabilité, mais cette observationmériterait d'être confirmée.

Il est difficile de conclure à l'effet de lastructure du couvert sur la stabilité despeuplements. Régulier, le peuplement présente uneplus faible résistance au vent et les arbresbénéficient de l'effet bloc, mais en général, auniveau individuel, les arbres sont plus élancés doncmoins stables. Irrégulier, il présente une rugositéplus forte au vent, mais les arbres sont en généralmoins élancés et ainsi plus stablesindividuellement.

Aspects sylvicoles

La stabilité des peuplements résulteégalement de l'action humaine, notamment de leurgestion, mais aussi de leur installation. Le travail dusol a vocation, en général, d'une manière ou d'uneautre, à améliorer la prospection racinaire dans unsol présentant une contrainte à l'enracinement, soiten améliorant sa structure et sa pénétrabilité, soiten modifiant son humidité. Si les répercussionssont, dans un premier temps, discutables du pointde vue de la stabilité (meilleur système racinaire,mais gain de croissance en hauteur des arbres), leseffets positifs semblent plus clairs par la suite : lesgains en hauteur se gomment, mais l'architecturefavorable du système racinaire est acquise. Lesélancements des arbres sont meilleurs, ce quipermet d'améliorer leur stabilité individuelle etd'anticiper la récolte (et donc de « devancer » lesfortes instabilités des peuplements). Les travaux dusol peuvent donc améliorer la stabilité souscertaines modalités d'exécution et sous réserve queles sols en question présentent de réels obstacles àla pénétration des racines, en partie levés par letravail du sol. Les effets positifs précédemmentévoqués ne sont en effet avérés que dans les solsoù la prospection racinaire est d'une manière oud'une autre limitée (sols à horizon indurés, gleys ànappe superficielle et sols tourbeux...). Ledrainage, en particulier, est efficace sur solmouilleux. Il faut en revanche éviter les travauxprovoquant des asymétries du système racinaires(type billons, labour en lignes), dont lesconséquences en terme d'instabilité sont avéréespour plusieurs types de travaux et plusieursessences (pin contorta, pin sylvestre, épicéa deSitka).

En cas de plantation, les conditions danslesquelles cette opération s'effectue et la qualitédes plants utilisés ont un effet direct sur la qualitédu futur système racinaire. Le système racinaireinitial des plants est fortement influencé par lesconditions de culture. En particulier, les exemplessont nombreux de peuplements instables issus deplants élevés dans des conteneurs inadaptés (pin

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maritime, notamment). Notons néanmoins quecertaines essences, notamment l'épicéa et ledouglas, mais pas les pins, sont capables dedévelopper un système racinaire adventice pouvantpallier la déficience du système racinaire initial.L'influence des déformations racinaires sur lastabilité des arbres résulte soit de la perturbation dudéveloppement du système racinaire ou des flux desève, soit d'un affaiblissement mécanique. Ellesn'ont, en revanche, généralement pas deconséquences visibles au niveau des partiesaériennes.

Les éclaircies sont un point crucial enmatière de sylviculture en rapport avec la stabilitédes peuplements, sur laquelle elles ont deux effetsantagonistes. La conséquence immédiate est unedéstabilisation liée à l'ouverture brutale dupeuplement qui casse P« effet bloc ». Cetteinstabilité est temporaire et se prolonge jusqu'àcicatrisation du couvert (3 à 5 ans). Elle est d'autantplus marquée que les peuplements sont hauts.L'effet différé des éclaircies est, au contraire,d'augmenter le diamètre des arbres - et donc lecoefficient d'élancement - qui leur procure une plusgrande stabilité, du moins lorsque les interventionssont réalisées suffisamment tôt. Dans le cas despeuplements résineux équiennes, des zones destabilité ont pu être définies par le biais d'ungraphique hauteur dominante/diamètre moyen, cequi est très utiles pour adapter le régime d'éclairciesà la situation du peuplement. Globalement, pouravoir des peuplements plus stables, il faudra choisirentre la stratégie « effet bloc » avec un minimumd'intervention, une récolte précoce et des produitsde faible dimension (sylviculture « atlantique » desBritanniques) et la stratégie « sylviculturedynamique » privilégiant le développement d'unebonne stabilité individuelle des arbres, par desinterventions maintenant le peuplement dans lazone « stable ».

Les modes de traitement

Le taillis simple à courte rotation est unexemple typique de sylviculture adaptée au vent.Les risques sont minimisés par une faible sensibilitédes peuplements liés à une hauteur faible, tandisque les risques économiques sont réduits par une

courte rotation (faiblesse des enjeux). Bien sûr, lechoix du mode de traitement n'est pas déterminépar la seule analyse des risques liés au vent etl'objectif de production est généralement undéterminant primordial...

Les constats effectués après plusieurstempêtes montrent dans plusieurs cas unesensibilité particulière des taillis sous futaie au vent.Cela ne semble pas être le cas au niveau nationalpour les tempêtes de fin 1999, néanmoins ceconstat n'est pas vrai au niveau régional. L'extrêmevariabilité des structures de peuplement querecouvre le taillis sous futaie est probablementresponsable des contradictions qui peuvent existerentre les différentes observations. On peut direnéanmoins que les « vieux » taillis sous futaie (nousentendons par là, par rapport au mode detraitement normal : pas de récolte des réserves, pasde balivage, retard dans la coupe du taillis)présentent des facteurs d'instabilité importants. Laréserve est ancienne (l'âge est un facteurd'instabilité chez les feuillus) et les individus qui lacomposent subissent une modification deshouppiers due à la fermeture du couvert, voire à laconcurrence du taillis (mortalité des branchesbasses, densification des parties hautes), tendantvers une plus grande instabilité. De plus, il estdémontré dans le cas du chêne que les arbresissus du taillis présentent des taux d'infection parles pourridiés racinaires supérieurs à ceux qui sontobservés pour les arbres de franc pied. Latendance est à une nette augmentation de ce typede peuplements : en 12 ans, la surface où le taillis aplus de 40 ans a augmenté de 600 000 ha, soit+72 %.

Les régimes de futaie produisent desarbres plus hauts (sensibilité au vent) et desvolumes plus élevés de bois de valeur (risqueéconomique plus fort).

Les données sont objectivementinsuffisantes pour comparer l'efficacité dessystèmes réguliers et irréguliers et se prononcer surla supériorité d'une sylviculture par rapport à l'autre.Les systèmes irréguliers, en particulier, recouvrenten fait des situations très diverses, de surcroîttoutes peu représentées en France, comme dansles pays voisins. On peut tout au plus dresser unbilan des avantages et inconvénients des deux

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modes de traitement (tableau ci-dessous).Pour cet exercice, il a été choisi de considérer lafutaie jardinée pied à pied et la futaie régulière, afinde se limiter à des cas simples et tranchés :

Notons que la comparaison, pour unpropriétaire, dépendra de la surface de la propriétéet de la part de la forêt dans son patrimoine.

Les essences

En plus des interactions déjà évoquéesentre l'espèce et d'autres facteurs (dont station etsylviculture), chaque essence est généralementutilisée préférentiellement dans un contexte donnéet avec une sylviculture donnée, ce qui rend alorsles comparaisons entre essences pour le moinshardies (est-il possible de comparer des épicéas deSitka écossais gérés avec une sylviculture« atlantique », avec des peupliers à fortespacement ?). L'analyse de la sensibilité desespèces nécessite donc une extrême prudence,mais il est possible néanmoins de livrer quelqueséléments objectifs :- dans les conditions où le système racinaire peutse développer en croissance libre, les espècestendant à développer un système racinaire en cœurpossèdent un meilleur ancrage au sol et sont moinssensibles au déracinement (cf supra). Sur solmouilleux, les essences à système racinaire traçantprésentent de grands risques de déracinement (parexemple, l'épicéa) ;- du fait d'une plus grande perméabilité duhouppier, les feuillus, défeuillés en automne-hiver,sont moins sensibles que les résineux (sauf lemélèze) pendant cette période (qui correspond à latrès grande majorité des tempêtes) ;- sur sol profond (systèmes racinaires biendéveloppés) et pour des arbres de hauteurs égales,des essais de traction ont mis en évidence une trèsbonne résistance du hêtre, puis du chêne, unerésistance moyenne du douglas, et une résistancemédiocre de l'épicéa. Les dégâts se répartissaientainsi : cassure au niveau du tronc pour le hêtre et le

chêne, ruptures au niveau du collet pour le douglas,déracinement pour l'épicéa.

Il convient de nuancer l'intérêt del'adaptation des essences à la station du point devue de la stabilité des peuplements, qui n'est pasnécessairement positive et peut présenter deseffets pervers. Par exemple :- un puissant ancrage au sol permet, certes, delutter efficacement contre les risques de chablis,mais, en cas de vent très violent, ce sont alors desvolis qui risquent de se produire. Or, ce dernier typede dégât entraîne une perte économique bien plusconséquente (bois cassé totalement ou trèsfortement déprécié) et une plus grande difficulté àreboiser en cas de travaux mécanisés du fait de laprésence de chandelles ;- dans certains cas, une très bonne adaptation à lastation, au sens où les arbres trouvent desconditions de croissance et de développement trèsfavorables, peut entraîner une grande instabilité(exemple : tendance du hêtre à atteindre deshauteurs importantes sur stations mésotrophes àeutrophes).

Si l'augmentation de l'âge se traduit parune plus forte instabilité dans le cas des feuillus, ilest possible que les choses ne soient pas aussilinéaires chez les résineux. La phase de plusgrande sensibilité semble correspondre à la tranched'âge 20-60 ans pour le pin sylvestre, et80-120 ans pour l'épicéa.

Il n'a pas pu être mis en évidence d'effet dumélange sur la stabilité des peuplements. L'étudedes dégâts par type des peuplements, menée enBavière en 1990 et dans le cas d'un mélange dansla strate dominante, semble montrer que lasensibilité des mélanges résulte plus dessensibilités des essences en présence que ducaractère pur-mélangé.

Une conséquence fréquente des tempêtesdans les peuplements mélangés, y compris dans lamême strate, est la perte du caractère mélangé parécrémage d'une essence (plus sensible ou dont lesindividus sont un peu plus hauts).

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2. Pourquoi et comment reconstituerun patrimoine forestier endommagé ?

Objectifs, politiques forestières et aménagement du territoire

Les recommandations que l'on peutémettre sur l'intégration du « risque tempête » pourla reconstitution des peuplements sontindissociables des objectifs donnés à la forêt. Enpremière partie de ce rapport, nous avons montréqu'il n'y avait pas un modèle unique de sylviculturegarantissant les peuplements contre les ventsviolents et que la vulnérabilité accrue de la forêtfrançaise aux tempêtes venait en partie derévolution des objectifs qui lui étaient fixés. Ladéfinition des objectifs incombe naturellement aupropriétaire. Les décisions de celui-ci sontnéanmoins encadrées par la politique nationaledéclinée en orientations régionales forestières.D'une façon générale, la politique définie à traversla stratégie forestière nationale et le projet de loid'orientation forestière visent la prise en comptedes différentes fonctions de la forêt (au niveau d'unterritoire pertinent pour cela) et à mieux intégrer lagestion forestière dans le territoire.

En premier lieu, il faut souligner que lesdifférentes fonctions ou services rendus par la forêtn'ont pas la même vulnérabilité à l'égard du risquetempête. La fonction de production estincontestablement la plus vulnérable. À l'égard dela biodiversité, la tempête doit être considéréecomme une perturbation, au sens écologique duterme (dont l'impact n'est pas forcément négatif).Certains experts considèrent que l'impact desperturbations sur la biodiversité est fonction de lafréquence et de l'intensité des perturbations selonune courbe d'abord croissante, puis décroissante.Les tempêtes de décembre 1999 constituent unphénomène d'occurrence rare ; néanmoins, leurcaractère exceptionnel est plus lié à l'ampleur dessurfaces concernées qu'au niveau des dommagesmesurés localement (il existe des parcelles dans unétat voisin après n'importe quelle tempête de forteintensité). Par ailleurs, il faut considérer qu'entermes de niveau local de la perturbation, lestempêtes ne constituent pas, d'une façon généraleune catastrophe écologique. Les fonctions sociales(promenades, contemplation...) sont égalementtouchées, mais généralement de façon légère outemporaire, en dehors de la valeur d'existenceaccordée à des peuplements ou des arbresremarquables. Le problème a d'ailleurs souventconsisté à interdire l'accès dans les parcellescomportant un risque pour les usagers. Par ailleurs,

des usages comme la chasse peuvent, danscertaines conditions, subir une gêne temporaire,mais être favorisés par la suite (augmentation de lacapacité d'accueil des cervidés).

En second lieu, la tempête a un impactsocial à deux niveaux. D'une part, elle a un impactdirect sur les motivations et les attitudes despropriétaires et des gestionnaires. Cet impact ne selimite d'ailleurs pas aux seules personnessinistrées. Comme après chaque cataclysme, onnote un découragement (volonté de vendre,d'arrêter tout investissement...) et un appel à lasolidarité nationale pour l'indemnisation et l'aide àla reconstitution. L'étude de l'évolution descomportements face au risque montreclassiquement que ces sentiments s'estompentavec le temps. Ces résultats sont confirmés parl'observation des comportements suite à la tempêtede 1987 en Bretagne : moins de 15% des forêtssinistrées ont de fait été laissées à l'abandon.

D'autre part, la tempête fonctionne commeune crise et constitue alors une opportunité pourrelancer le débat social. Ce débat porte, d'une part,sur la durabilité de la gestion sylvicole et lesitinéraires techniques adaptés et, d'autre part, sur laplace de la forêt dans les territoires. Sur ce secondplan, il faut tout particulièrement souligner lesinterrogations soulevées par divers élus surl'opportunité de reconstituer la forêt partout où ellea été détruite. Ceci s'applique plus particulièrementà des secteurs géographiques où le taux deboisement est perçu comme excessif par lespopulations locales. Cela s'applique également àdes espaces considérés comme prioritaires auregard d'autres politiques.

La meilleure intégration de la forêt dans lesterritoires, souhaitée par le projet de loi d'orientationforestière, voudrait que ces demandes puissent êtreprises en considération avant de mettre en œuvredes projets de reconstitution. Toutefois, le décalagede temps entre l'urgence des reconstitutions et ledélai du débat social rendra très difficile lagénéralisation de cette démarche. La réussite d'untel projet est subordonnée à trois facteurs :- l'existence d'une structure de concertation entreacteurs permettant d'élaborer un projet collectif deterritoire (et non un seul projet forestier collectif) ;- l'existence d'une animation locale susceptible de

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faire avancer la négociation ;- l'adhésion des propriétaires concernés.

Dans la pratique, ces conditions peuventêtre réunies dans les parcs naturels régionaux. Lareconstitution devrait effectivement s'étaler sur unedizaine d'années, il serait donc opportun deréfléchir aux moyens de promouvoir des structuresadéquates pour permettre, ailleurs, une approcheterritoriale.

Par ailleurs, l'aboutissement de tels projetsest conditionné par l'adoption de mesuresdérogatoires qui lèvent les obstacles administratifsà tout changement de mode d'occupation du sol(taxe et autorisation de défrichement,

remboursement d'éventuelles aides publiques ouréductions d'impôts...).

Enfin, la tempête pourrait être considéréecomme une opportunité pour réviser les schémasde localisation de certains enjeux dont la pertinences'apprécie à l'échelle nationale (réseau Natura2000, schéma de service collectif des espacesnaturels et ruraux...). Cette possibilité doitincontestablement être saisie pour la propriété destatut public, domaniale en particulier, notammentpour la constitution d'un réseau de forêts nongérées. Il ne paraît, par contre, pas opportun, saufcompensation contractualisée, d'ajouter cettehypothèque aux soucis actuels de la forêt privée.

Diagnostic et stratégies de reconstitution

Le diagnostic et les stratégies dereconstitution, dans l'esprit de ce qui précède, neconcernent pas seulement l'échelle de la parcelleou de la propriété forestière. Certains aspectstouchent à des enjeux nationaux et régionaux, ou àdes enjeux locaux. Ces derniers peuvent se situersoit au niveau de l'aménagement du territoire, soitau niveau de la délimitation des propriétés au seindu massif forestier :- la région administrative est le niveau pertinentpour identifier la perspective d'une action au niveaudu territoire pour les programmes de reconstitution,et décider des moyens correspondants à mettre enœuvre ;- il importe de favoriser les synergies entre lesdécisions prises à des échelles différentes, auniveau d'unités territoriales imbriquées ousuperposées, et des propriétés forestières, afin dedonner une cohérence globale à la reconstitution ;- à l'échelle de la parcelle ou de l'unité de gestion,le diagnostic préalable est une phase clé pour laprise de décision en matière de reconstitution etpour la réussite des projets.

Établissement et prise en comptedes bilans environnementaux

Les fonctions environnementales de la forêtpeuvent être affectées par les dégâts liés auxtempêtes. Les impacts indirects liés à la qualité destravaux de reconstitution seront abordés ci-dessousdans les techniques sylvicoles.

Une première conséquence de la tempêtedevrait être un fort déstockage de carbone lié àl'abondance en forêt des chablis, ainsi qu'à la miseà nu et au travail du sol. L'enjeu est ici d'ampleur aumoins nationale. Même si les autres facteurs

influençant les choix en matière de nettoiement etde travail du sol priment, il n'est pas impossiblequ'ils soient en accord avec l'affichage d'uneréduction du déstockage de carbone. Par exemple,éviter le brûlage des rémanents et limiter lesperturbations sur les sols vont dans le sens de lapréservation du stock de carbone en forêt.Certaines actions de reboisement peuventégalement être favorables à la fixation du carbone,comme la plantation d'essences à croissancerapide, mais, à moyen terme, ces mesures doiventdonner suite à l'exploitation et l'utilisation du boisdans des produits « durables ».

L'analyse des conséquences desmodifications du couvert végétal sur l'hydrosystèmes'effectue au niveau du bassin versant. Il fautenvisager de forts taux de déforestation (de l'ordrede 30%) pour enregistrer des répercussionsnotables ; les hydrosystèmes devraient donc êtrepeu affectés de manière directe par la tempête,hormis localement. Les impacts sur lefonctionnement des bassins versants sont fonctiondu pourcentage de surface affectée et du taux decouverture du sol, et s'avèrent donc indissociablesde l'exploitation après chablis, mais ceux-ci ne sontsignificatifs que pour des surfaces totalement misesà nu de l'ordre de 20% du bassin versant, et 50%dans le cas de chablis épars. En l'absenced'intervention, les impacts sur l'hydrosystèmeseront perceptibles mais de courte durée (dans les3 ans à venir). Localement, les zones de forte pentesusceptibles d'être soumises à l'érosion devrontêtre identifiées. En plaine, les conséquencesportent plutôt sur la qualité des eaux et, enparticulier, sur sa turbidité. Il convient donc, pourune part, d'éviter la mise à nu de surfacesimportantes au niveau des bassins versants

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pendant un temps important, une précaution peucontraignante. La reconstitution devrait égalementprendre en compte les problèmes d'acidification deseaux induites par le reboisement en certainesessences lorsque les surfaces concernées sontimportantes et le substrat acide (par exemple,boisement d'épicéas dans certains fonds de vallonsdes Vosges).

Du point de vue de la biodiversité, latempête peut avoir eu un impact sur les stratégiesde conservation adoptées ou en cours de mise enplace, et il convient alors de les réévaluer.

La diversification d'habitats que la tempêtea parfois introduite pourrait être utilisé dans laconstitution d'un réseau français de conservation dela biodiversité intégré au Réseau écologiquepaneuropéen du Conseil de l'Europe. L'efficacitéd'une structure de type réseau de ce type,optimisant la dispersion des espèces entredifférents « noyaux » pour en favoriser le brassage,dépend fortement de la diversité des habitats auniveau des « noyaux » (les nœuds du réseau), afinque ceux-ci puissent permettre à de nombreusesespèces de transiter et de s'y abriter, et qu'ilspossèdent une richesse spécifique suffisante pourêtre eux-mêmes source de dispersion. La tempêtedoit donc conduire, d'une part, à repenser lastructure du réseau, en intégrant si possible denouveaux nœuds et, d'autre part, éventuellement, àrestaurer un certain nombre de corridors (structureslinéaires de type haies, souvent couchées enNormandie, par exemple).

La logique est sensiblement différente dansle cas de peuplements présentant un intérêt depréservation particulier et touchés par la tempête(par exemple, dans le cas des réseaux de réservesnaturelles ou des réseaux de conservation desressources génétiques forestières in situ). Dans cecas, les efforts porteront sur un inventaire desdégâts et la restauration autant que possible despeuplements. Là encore, il conviendraéventuellement de repenser les dispositifsnationaux : identification de « nouveaux » candidatspour remplacer des peuplements endommagés etadaptation du dispositif pour limiter la remise encause des enjeux.

En fait, chacun des aspects caractérisant lavaleur patrimoniale des peuplements (culturelle,esthétique...) est de la même manière susceptiblede faire l'objet d'un inventaire et d'une évaluationdes situations post-tempête permettant la mise enplace de mesures de reconstitution, au niveau deterritoire pertinent.

Risques d'incendieset stratégies de prévention

II ne fait pas de doute que le risqued'incendies sera accru l'été prochain, y comprisdans des régions où il est habituellement marginal,du fait de la présence au sol d'un matériau propiceà sa propagation. Dans les parcelles touchées parles chablis, la quantité de combustible au niveaudes strates basses de végétation va en effet passerde quelques tonnes par hectare à quelquesdizaines de tonnes. Ce risque sera amplifié en casde sécheresse estivale et sera, dans les secteursconcernés, probablement plus élevé que le risquehabituel en région méditerranéenne.

Le cloisonnement des zones de chablis parla réouverture des pistes existantes, combinée avecun déblaiement des matières combustibles de partet d'autre des pistes, représente une mesureefficace contre les incendies généralisés enfacilitant l'accès des moyens de lutte.

Le brûlage dirigé a pour objectifs attendusde réduire les quantités de combustible au sol et denettoyer les parcelles. En fait, la combustion desbois de diamètre supérieur à 1 cm s'opérant defaçon incomplète, le nettoiement des parcelles nepeut pas être réalisé par cette méthode, hormis encas d'andainage préalable. Par ailleurs, le brûlagedirigé présente un double inconvénient :l'exportation d'éléments minéraux et organiques,particulièrement sensible sur sols pauvres, et lamaîtrise de la combustion. Les fenêtresmétéorologiques permettant de brûler sont réduiteset le danger d'incendie est toujours présent. Il fautdonc :- privilégier le cloisonnement des zones en chablispour éviter la propagation des incendies ;- limiter le recours au brûlage dirigé aux seulessituations où il n'est pas possible de réduire laquantité de combustible au sol par d'autresmoyens, et aux conditions météorologiquesadéquates ; il faut néanmoins la proscrire sur solspauvres ;- localement, dans les régions à risque, il faudrarenforcer le dispositif d'incitation au nettoyage desparcelles.

Une nécessaire maîtrisedes populations d'ongulés

La modification de la dynamique despopulations d'ongulés suite aux tempêtes résulte :- d'une mortalité directe marginale ;- d'une natalité parfois perturbée l'année suivante :mortalité intra-utérine, pertes néo-natales... ;- d'une réduction possible de la pression de chasseliée à des difficultés, voire à une interdiction d'accèsà la forêt (c'est le cas pour les tempêtes de 1999) ;

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- de l'apparition de conditions d'alimentationgénéralement beaucoup plus favorables, du fait dela mise à disposition de matériel habituellement nonmobilisable (bourgeons, jeunes pousses...) et del'apparition dans les trouées d'une végétationsouvent appétente.

On peut donc s'attendre à uneaugmentation notable des populations dans lesannées à venir. Les niveaux de population serontéventuellement très contraignants pour la réussitede la régénération et la tenue des jeunespeuplements. Leurs effets se feront égalementsentir sur la dynamique de la végétation, avecrisques de disparition d'espèces. Enfin, lesconséquences hors forêt porteront notamment surl'agriculture, voire sur la sécurité routière (en forêtpéri-urbaine notamment).

La première série de mesures nécessairesvise à se donner les moyens de réguler de façonadéquate les populations d'ongulés. La régulationdu grand gibier en forêt fait traditionnellementintervenir les chasseurs, qui doivent se conformercontractuellement à des plans de chasses négociésau niveau départemental. Les niveaux deprélèvement en France sont faibles par rapport à cequi s'opère, par exemple, en Allemagne, mais celaest à mettre en relation avec des niveaux depopulation également plus faibles. Partout où undiagnostic fera apparaître la nécessité d'augmenterces prélèvements, il conviendra en premier lieu derenégocier les plans de chasse en concertationavec les chasseurs. Il est possible, par ailleurs, quela mise en œuvre de techniques de chasse peuusités et efficaces dans les forêts encombrées,comme la chasse à l'affût, facilitent un meilleurniveau de réalisation tout en étant« psychologiquement » facilement acceptable.

'expérience montre cependant quel'acceptation et la réalisation de plans de chasse enaugmentation sont souvent problématiques et lamobilisation des chasseurs, quoique nécessaire,risque donc dans certains cas d'être insuffisante.Dans la mesure où l'augmentation des populationsde grand gibier porterait les effectifs à des niveauxdangereux pour certaines fonctions de la forêt et oùle seul recours aux chasseurs n'aboutirait pas à unemaîtrise suffisante, il conviendrait alors de mettreen œuvre d'autres dispositions réglementaires derégulation des populations. Ceci ne peut pass'envisager sans une concertation avec toutes lesparties concernées et, notamment, les chasseurs.

De manière complémentaire, il seranécessaire de prendre en compte les problèmesd'ongulés en adaptant les choix de reconstitution àune augmentation de la pression de gibier sansdoute inéluctable.

Les plus petites trouées ne s'apparententqu'à une éclaircie anormalement forte et devraient

constituer des zones de gagnage prisées par legrand gibier. Dès lors, il semble raisonnable demiser sur les capacités de cicatrisation naturellesdu peuplement. Dans le cas de trouées plusimportantes, il convient de garder à l'esprit que lesrégénérations naturelles sont moins menacées engénéral par le grand gibier que les plantations etpeuvent donc être privilégiées lorsque cela estpossible (le hêtre, notamment, a eu une faînéeimportante en 1999 et il est peu appétent). On peutimaginer intervenir de façon ciblée en complémentaprès quelques années, avec des moyens adaptésde protection des plants.

Dans tous les cas, il faudra autant quepossible tirer parti de la végétation associée, quipourra constituer un substitut alimentaire auxessences-objectifs.

Évaluation et contrôle des principauxravageurs et maladiesassociés aux chablis

Les problèmes phytosanitaires liés à latempête peuvent être de deux ordres : desmenaces sur les peuplements sur pied et sur lesuccès des régénérations liées à un développementdes agents pathogènes et des ravageurs ou à unemodification brutale des conditions de milieu (parexemple, brûlure de l'écorce des hêtres) et ladégradation des bois sur parc affectant leur valeurmarchande, voire leur qualité technologique. Cesecond aspect, n'étant pas strictement relié auxproblématiques de reconstitution, ne sera pasabordé ici.

Les insectes sous-corticaux, capables dedynamique de population « explosive », constituentune menace immédiate et souvent très sérieuse surles peuplements en place. Le plus grand sujetd'inquiétude concerne le Typographe, Ipstypographus (Col. Scolytidaé) sur épicéa, dont on

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connaît la rapide capacité de pullulation etl'agressivité à des niveaux de population élevés.

Un état physiologique des arbres déficientet, au niveau local, une concentration particulièrede chablis constituent autant de facteursaggravants. En revanche, des conditionsdéfavorables aux insectes (climatiques, parexemple) peuvent freiner le développement despopulations.

Les champignons pourraient égalementaffecter les peuplements en place. En particulier,les blessures des systèmes racinaires des arbressecoués par le vent constituent des portes d'entréepour les pourridiés racinaires et une dégradationsanitaire des peuplements concernés estenvisageable. Dans le cas du Fomes, les souchesconstituent une porte d'entrée pour le champignon,lequel peut se développer dans la souche puis sepropager aux arbres vivants par contact racinaire,mettant en question la reconstitution elle-même.

Les principes régissant les méthodes delutte contre les insectes diffèrent peu quel que soitl'insecte considéré, c'est le caractère d'urgence desmesures à mettre en œuvre qui varie en fonction durisque. Il s'agit d'une exploitation rapide des arbresen forêt, assortie éventuellement d'un nettoyage duterrain dans les zones à risque (le broyage derémanents est très efficace), d'un traitement adaptédes arbres abattus - par aspersion (cas du chêne),par écorçage (très efficace contre les scolytes sous-corticaux des sapins et épicéas, voire des pins),voire par des traitement insecticidesrigoureusement contrôlés -, d'un stockage des boisréalisé si possible dans des lieux ne permettant pasla colonisation (à plus de 10 km des forêts) et d'unecapacité à limiter ces stocks, ce qui suppose unfonctionnement de la filière-bois se rapprochant duflux tendu. Le piégeage aux phéromones donne desinformations utiles bien que partielles pour le suivides populations, mais ne permet pas de régulerefficacement les populations en cas d'infestationgénéralisée. Enfin, les mesures préconisées ci-dessus ne sont pas réalistes dans le cas de dégâtsgénéralisés sur de vastes surfaces. Il faudra doncs'attacher en priorité à traiter les peuplementsmités, nécessitant moins de travaux et présentantencore une valeur d'avenir importante.

Pour les peuplements résineux (épicéas etpins, principalement), un traitement des souches enprévention du Fomes peut être envisagé. Lorsquele champignon était déjà très présent dans lepeuplement d'origine, il pourra être indiqué deprocéder à une substitution d'essences.

Le diagnostic au niveau de la forêtet des parcelles

Sur le terrain, le diagnostic porte sur lanature des dégâts : leur intensité et leur répartition,et l'encombrement de la parcelle. Ce diagnostic vade pair avec une évaluation du peuplement restant :sa valeur économique, bien sûr, mais aussi sacapacité à assurer, par la suite et au besoin, unerégénération naturelle (la présence de semenciersdans les parcelles voisines et l'existence d'unebanque de semences dans le sol devront aussi êtreprises en compte) et les risques associés à saprésence (chute d'arbres ou de branches, risquessanitaires) ou à son absence (remontée de pland'eau, mise en lumière du sol).

En futaie régulière, c'est dans les situationsintermédiaires, entre des taux de dégâts portant sur30 à 70% des tiges d'avenir (ou 1/3 à 2/3 de lasurface terrière2), qu'un diagnostic approfondi estnécessaire. En dessous, les travaux se limitent àl'exploitation des chablis et au déblaiement sinécessaire et, au-dessus, il s'avère indispensablede reconstituer.

Dans l'hypothèse de travaux d'exploitationdes chablis et/ou de reconstitution, notammentmécanisés, les contraintes extérieures à la parcelledevront également être passées en revue. Lesproblèmes d'accès, en particulier, n'auront peut-êtrepas été réglés avant la tempête. Par ailleurs,l'importance du chantier au niveau national, avecdes « pointes » au niveau local, pose déjà desproblèmes de disponibilité des matériels, deshommes et des entreprises, qui devront être pris enconsidération.

Dans bien des cas, les dégâts liés à latempête sont d'une ampleur suffisante pourremettre en question la pertinence des objectifs degestion. Un diagnostic, suivi d'une redéfinition deces objectifs, traduite par une mise à jour desdocuments de gestion (aménagement ou PSG3),est alors nécessaire ; une aide à la mise à jour deces documents devrait être envisagée.

À l'échelle de la forêt...

En futaie régulière, l'évaluation des dégâtsconduira, pour simplifier, à ré-établir les priorités enmatière de régénération. Globalement, celle-cipourra être anticipée, y compris pour des parcelles

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du groupe d'amélioration, en cas de dégâtsmajeurs, ou différée, pour certaines parcelles dugroupe de régénération non ouvertes et peutouchées, ceci pour conserver l'équilibre du groupede régénération. Cette évaluation peut utiliser lescartes de dégâts obtenues par photo-interprétation,qui suffisent à la discrimination des cas tranchés(peuplements ruinés ou intacts), complétées sinécessaire par un inventaire de terrain, utile pour laquantification des dégâts dans les peuplementspartiellement endommagés. L'accès à ces cartes,notamment par les gestionnaires de la forêt privée,serait une mesure simple d'aide au diagnostic.

En futaie irrégulière, seule une destructionquasi-totale du peuplement remetfondamentalement en cause les objectifs au niveauparcelle (la régularisation de la parcelle aprèsreconstitution est alors inévitable). Il est possible deréaliser, lorsque les accès sont suffisants, une cartedes types de peuplements après tempête pourré-affiner les objectifs.

L'estimation des volumes restantss'effectue sur la base d'inventaires. Il eststatistiquement efficace de réaliser un inventairestratifié sur la base des types de dégâts, demanière à constituer des échantillons homogènes,de faible variabilité interne, et de réduire le nombrede placettes nécessaires à la description des typesde peuplement associés. Cette stratification peuts'appuyer sur la photo-interprétation des

peuplements ou sur une exploration systématiquepréalable du terrain relevant des variables simplesdescriptives de l'intensité des dégâts.

Potentiel de régénération naturelle :quel devenir en l'absence d'interventions ?

Certaines parcelles n'ont pas fait l'objet detravaux de reconstitution suite aux tempêtes desannées passées. Deux cas sont possibles : uneexploitation-extraction préalable des bois en placeou l'abandon total des parcelles. On constate, danscertains cas, que le peuplement ne s'installe pasrapidement (il n'est pas encore en place après 10-15 ans) et que ces phases sont souvent associéesà une colonisation par des espèces sociales(fougère-aigle, molinie). Néanmoins, il est trop tôtpar rapport aux études en cours pour êtrecatégorique quant au déterminisme qui préside àl'installation de tels « blocages » et pour conclure àune situation définitive (il est même probable que,sur plusieurs décennies, la forêt finira par reprendreses droits). Apparemment, dans la plupart des cas,les semences forestières sont présentes et il existedonc des situations dans lesquelles ce potentiel derégénération ne peut pas s'exprimer.

La mécanisation a, sous certainesconditions, un impact marqué sur les sols(cf techniques sylvicoles). Il n'est guère surprenantque, dans les dispositifs en cours d'étude, les

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travaux d'extraction des bois à l'aide d'enginslourds semblent avoir joué un rôle dans certainscas, d'autant que ce type de travaux peutégalement mettre en cause les semences elles-mêmes (décapage des horizons superficiels) etinduire une mise en lumière favorisantl'envahissement par des espèces héliophilessociales (ronce, genêt, fougère-aigle...).

Il faut enfin ajouter que la durée dedécomposition des bois non démembrés et nonplaqués au sol peut, selon l'essence et le diamètre,dépasser allègrement la décennie et constitue unréel obstacle à l'accès et à la circulation dans laparcelle.

Élaboration des stratégies dereconstitution des peuplements

Quelles options de régénération ?

Le choix entre régénération naturelle etplantation est, pour partie, indépendant de latempête, mais il n'est pas inutile d'évoquer ici lesfondements de ce choix, d'abord à titre de rappel,mais aussi parce que le contexte post-tempête n'estpas sans influence sur les avantages et lesinconvénients de ces deux méthodes (voir tableauci-dessus).

Le contexte de l'après-tempête va influersur l'organisation et les méthodes mises en oeuvrepour la régénération des parcelles :- l'organisation et le financement des travaux, ainsique la disponibilité en matériel végétal adapté (dupoint de vue génétique, en relation avec la station,ne présentant pas de défaut) et en matériel, vontconduire à un nécessaire étalement des travaux deplantation ;- par rapport à une situation normale, l'ampleur duchantier va conduire à privilégier les méthodes lesplus économiques dans un premier temps et, donc,à essayer de tirer parti autant que possible de larégénération naturelle, y compris dans descontextes où la plantation en plein était de rigueur.La gamme des densités de plantation est alorsvaste, du simple enrichissement au complément derégénération naturelle par plantation, et dépend enparticulier de la qualité de la régénération naturelleet du choix et du tempérament de(s) l'essence(s)-objectif(s). Il convient néanmoins de noter quel'obtention d'une régénération naturelle sera sansdoute plus difficile à obtenir pour toutes lesessences pour lesquelles les techniques derégénération naturelle par coupes progressives sontle mieux adaptées (c'est le cas du chêne et duhêtre mais pour ce dernier, la bonne faînée de 1999laisse espérer une régénération naturelle peuproblématique). Enfin, pour d'autres essences (typeépicéa, douglas ou pins), la régénération naturelle

peut s'avérer difficile à obtenir ou peu souhaitable(pour des questions de qualité de peuplements,principalement).

Le choix entre les méthodes dereconstitution par plantation, régénération naturelleou méthodes mixtes dépend de l'objectif fixé de laforêt, des essences présentes (la situation est à cetégard très différente entre une chênaie et uneancienne plantation de Douglas ou de pinsylvestre), de la compétence du gestionnaire et dudiagnostic réalisé sur la parcelle, ces deux dernierspoints devant permettre de limiter le risque d'échecassocié à la reconstitution.

Économie comparéedes scénarios sylvicoles

Le choix des objectifs assignés à la forêt etle diagnostic des peuplements en place ont permisde dégager les principales options de reconstitution.Les scénarios sylvicoles correspondants peuventêtre testés pour en comparer l'efficacitééconomique. L'analyse économique des scénariosde reconstitution fait en général appel aux théoriesde l'actualisation. Cette analyse doit, pour êtrepertinente, tenir compte du facteur risque à laproduction, ce qui est rarement le cas jusqu'àprésent (cf infra). Les observations antérieures ontpermis d'établir nombre de seuils d'instabilité despeuplements (pour les résineux surtout). Il est doncpossible d'intégrer ce paramètre dans les calculséconomiques associés aux modèles decroissance4, ce qui pourrait donner les premierséléments d'aide à la gestion. Ce travail n'estcependant pas engagé et reste à faire. Il prendra encompte les mesures incitatives associées à la

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reconstitution, qui peuvent évoluer au cours dutemps.

En revanche, il faut reconnaîtrequ'aujourd'hui, nous ne disposons pas des modèlesd'endommagement (courbe des niveaux de dégâtsen fonction de la fréquence de l'aléa)indispensables pour une évaluation économiquerigoureuse du risque. Il y a là un champd'investigation important. Signalons l'approchemenée par un grand propriétaire et gestionnaire deforêts. Pour des scénarios syivicoies choisis, il meten relation les dégâts observés dans ses forêtsavec la durée de retour de « fortes tempêtes ». Lemodèle qui en résulte est très simple et empirique,mais peut constituer une première étape. Encohérence avec la sylviculture « atlantique » desAnglo-saxons, ce modèle conduit à privilégier desrésineux à forte productivité et courte révolution àdes feuillus à révolution plus longue, même si lespremiers présentent une plus forte sensibilité.

Sur le plan immédiat de la reconstitution, ilfaut souligner que les décisions d'investissementdes propriétaires sont très généralement dictéespar la contrainte de liquidité plus que par unraisonnement sur la rentabilité économique del'investissement. Cela explique la sensibilité forte deleur décision aux aides à la plantation. Dans le casprésent, la sensibilité est encore augmentée pardeux facteurs. D'une part, cette contrainte deliquidité est à un niveau critique en raison de lafaiblesse des revenus liée aux dégâts physiques età l'effondrement du marché du bois, et del'augmentation du coût des reboisements. D'autrepart, le contexte psychologique est, comme nousl'avons vu précédemment, à la démotivation. Ledispositif d'aide publique à la reconstitution seradonc tout à fait déterminant à la fois sur le principemême d'une reconstitution et sur le niveaud'investissement.

Optimiser les techniques syivicoies

Le présent chapitre n'a pas vocation à sesubstituer aux manuels de reboisement. Il nes'intéresse en effet qu'à la manière de traiter lesproblèmes spécifiques à l'après-tempête, liés plusparticulièrement à l'importance de bois au sol, auxdonnées écologiques originales (gibier, risquepathogène) et à l'économie de la reconstitution. Ilfaudrait bien sûr ajouter que les techniquesfavorables à la stabilité devraient être privilégiées etles techniques défavorables évitées, mais ladescription des situations aggravantes en premièrepartie de document informe suffisamment à cesujet.

Travaux spécifiques de restauration etde préparation à la reconstitution

L'exploitation des chablis est unepréoccupation légitime après la tempête, maismême lorsque les produits de la tempête ont perdutoute valeur commerciale, un déblaiement au moinspartiel est nécessaire dans les parcelles largementtouchées afin de pouvoir y accéder et s'y déplacer.Les tempêtes précédentes montrent que lesdifficultés de déplacement générées par laprésence de matériel au sol portent sur des duréesimportantes (certaines parcelles présentent toujoursde telles difficultés depuis la tempête de 1982 enAuvergne). Il semble indispensable desubventionner un déblaiement minimum desparcelles. Il s'agit d'un minimum modulable

régionalement, parfois assez bas lorsqu'il s'agitjuste de permettre un accès aux parcelles et undéplacement à l'intérieur de celles-ci, parfois plusélevé, par exemple en cas de risque d'incendie.Cette opération conditionne la plupart du temps lagestion forestière et, selon les cas, limite les risquesphytosanitaires et d'incendie.

La présence en abondance de rémanentscomplique ou rend impossible les travaux forestierset elle est associée à des risques phytosanitaires etd'incendie déjà évoqués. Leur broyage en pleinpermet le maintien et la disponibilité rapide deséléments organiques et minéraux. Cependant, ilpeut laisser place à un « mulch » (accumulation ausol de matière organique) parfois épais, pouvantêtre responsable du pourrissement des semis etd'une toxicité passagère. Cette méthode n'est doncadaptée que lorsque la quantité de rémanents n'estpas excessive.

La méthode la plus classique pourrésoudre le problème est l'andainage. Toutefoiscette opération concentre dans les andains deséléments organiques et minéraux qui, une foislibérés dans le sol, ne sont disponibles que pourune faible part du peuplement (surtout si lesandains sont très espacés). Le brûlage des andainstransforme ce stockage théoriquement temporaireen exportation brute, sans compter les risquesd'incendie auxquels une telle opération peut êtreassociée : il est donc à proscrire autant quepossible. L'andainage favorise également la

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prolifération de certains ravageurs et de rongeurs.Enfin, les techniques d'andainage font souventappel à des engins (« bull » notamment) décapant àla fois rémanent... et humus. Cette opérationdevrait donc être évitée autant que possible et, enpratique, il est parfois suffisant de démembrer leshouppiers et de n'extraire que les plus grossesbranches (les seules à gêner réellement lestravaux) en dispersant les rémanents de faiblediamètre qui pourrissent en quelques années aucontact du sol. Une autre utilisation possible desrémanents consiste à les utiliser sur lescloisonnements, après broyage, afin de limiterl'impact du passage des engins sur les sols.Lorsque seul l'andainage s'avère faisable, il doitêtre réalisé avec des engins adéquats, comme lapelle mécanique sur chenille qui ne décape pas leshumus, permet la réalisation d'andains rapprochés,moins perturbants pour la chimie du sol, et possèdeune faible pression au sol.

Dans bien des cas, les parcelles sontparsemées de souches de hauteur inhabituelle,gênantes pour les travaux, notamment en cas dereboisement, et nécessitant un traitementlorsqu'elles sont localisées sur les zones dedéplacement des machines (principalementcloisonnements). Dans certains cas, la présence deces souches constitue un risque pathogène majeur(cf plus haut). L'idéal est de pouvoir déchiqueter lasouche sur place, avec du matériel type pelle munied'une dent Becker. Lorsque les chablis sontabondants, il devient nécessaire de niveler le terrainet de remettre en place les galettes de chablis.Enfin, la chute et la vidange des arbres ou lepassage des engins peuvent être à l'origine d'untassement du sol de grande ampleur, rendantindispensable sa remise en état avantreconstitution, par labour notamment.

Les enjeux de la mécanisationdans le contexte post-tempête

Les effets de la mécanisation sur les solsprennent un relief particulier dû à l'ampleur duchantier et à la quantité de bois à terre,responsables d'une activité tout à faitexceptionnelle dans les forêts. Les sols peuventêtre soumis à des dégradations chimiques liés audécapage des humus. Ce danger sera d'autant plusprésent que les sols seront filtrants, acides et àfaible réserve minérale. Les sols sont égalementmenacés par les tassements et par l'orniérage,d'autant plus que la teneur en limon sera élevée,l'hydromorphie proche de la surface, la quantité decailloux faible et que l'humidité du sol seraimportante. Les autres facteurs aggravants sontune forte pente, l'absence de végétation au sol etun climat « agressif ».

Quelques grands principes se dégagentalors en matière de conduite de travaux qui portentsur:- la mise en place de cloisonnements d'exploitationqui permet de concentrer les impacts des matérielssur le sol sur une surface limitée et non plantée parla suite ;- le choix de la période d'intervention (éviter detravailler sur sol humide !) ;- la protection des cloisonnements par épandage detout ou partie des rémanents ;- la mise en andain qui doit être évitée autant quepossible (concentration des éléments organiques etminéraux) ;- la mise à nu du sol qui ne doit pas être maintenuesur une trop longue période afin de limiter l'érosionphysique et les modifications chimiques (diminutionde la capacité d'échange cationique par migrationdes éléments fins, drainage des nitrates...) ;- le choix d'engins adaptés (pneus basse pression,chenilles).

La mise en place de cloisonnementsrépond aussi aux évolutions prévisibles de lasylviculture, qui fera de plus en plus appel à lamécanisation. Elle permet d'emblée de faire ensorte que les opérations futures dans lespeuplements mis en place suite à la tempêtes'effectuent dans les meilleures conditions.

En tout état de cause, les méthodes lesplus performantes pour limiter les impacts fontappel à des engins dont le parc, en France, estnotoirement limité au moins pour certains modèles(gros broyeurs). Si de telles méthodes doivent êtrecertes encouragées, il faut surtout proscrire lesméthodes inadaptées et veiller au bon état dumatériel utilisé.

Mesures environnementalesassociées à l'exploitation

Les tempêtes ont grandement modifié lanature et la distribution des micro-habitats sur lesparcelles affectées. En particulier, il s'en est créé denouveaux qu'il est possible de conserver à moindrecoût et à moindre effort, lorsque cela n'a pas deconséquences sur les travaux ultérieurs ni en termede risque pathogène (cas des bois morts). Lenivellement, envisagé plus haut, n'exclut pas delaisser quelques galettes de chablis, et il en est demême pour les chandelles, les volis et les chablis).Les bois morts abandonnés seront choisis parmiceux ne présentant plus d'intérêt économique (dufait de la nature du dégât, de sa qualité ou del'essence) et autant que possible dans une autreessence que l'essence-objectif du peuplement futurpour réduire le risque pathogène. Il est possibled'ébrancher le bois au sol abandonné en guised'habitat pour limiter son encombrement.

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Reconstitution par plantation :choix du matériel végétal

La tempête va entraîner un accroissementdes besoins en matériel végétal au cours desprochaines années. Cela laisse présager desproblèmes de fourniture de matériel végétal,lesquels peuvent se situer au niveau des quantitésdisponibles, de l'origine, de la qualité génétique oude la qualité extérieure.

Après un effondrement des besoins en2000 dû à l'impossibilité de préparer les chantiersen temps utile, les besoins devraient croîtrefortement en 2001 et se situer pour plusieursannées au-dessus de la moyenne annuelle de lapériode précédente. La filière graines-plantsprésente néanmoins une capacité de productionsous-exploitée. Compte tenu de la durée deproduction des plants, l'adaptation de l'outil deproduction est surtout conditionnée par la possibilitéde faire des prévisions fiables sur l'évolution desbesoins. Certains experts pensent qu'unegénéralisation de la contractualisation (par contratsde culture) est souhaitable pour améliorer cettelisibilité. Ceci dépend à la fois du système d'aidepublique qui sera mis en place et des choix quiseront faits pour encourager plus ou moinsfortement la régénération par rapport à lareplantation.

Au plan de la qualité, la tempête peutessentiellement provoquer des pénuries plus oumoins prolongées de certaines essences ouprovenances. Pour la plupart des résineux, lesstocks de graines sont largement suffisants. Lacapacité de production des vergers de l'État n'estpas remise en cause, même si les vergers de pinsmaritimes ont subi des dégâts importants. Pour lesfeuillus, notamment à grosse graine, les possibilitésde conservation sont parfois plus limitées. Lesdifficultés devraient essentiellement concerner lemerisier, d'autant que la pénurie était déjàrécurrente. La situation pourrait également êtrecritique pour le hêtre en fonction de l'ampleurdonnée aux programmes de reboisement. Unerévision générale du portefeuille des peuplementsclassés sera en tout état de cause nécessaire avecprobablement une urgence plus forte pour certainesprovenances de chêne sessile. Il ne devrait doncpas être indispensable de recourir massivement àl'importation ou à des récoltes en dérogation. Seulsles rares cas cités ci-dessus devront faire l'objetd'un examen particulier. La multiplication végétativeen vrac de lots de semis (« bulk ») peut égalementconstituer une méthode valable dans le cas depénurie pour certaines provenances.

Compte tenu de l'ampleur desreconstitutions, il sera par ailleurs nécessaire d'êtreparticulièrement vigilant sur le respect des

préconisations en termes de choix de provenanceet de catégorie du matériel végétal. Sauf exceptionscitées ci-dessus, la tempête ne présente pas decaractère justifiant une dérogation à ces règles. Ilserait néanmoins judicieux de saisir cette occasionpour renouveler l'effort de vulgarisation en termesde qualité génétique et extérieure du matérielvégétal forestier.

Dans le cas particulier des résineux, il peutêtre opportun d'utiliser des plants traités contrel'Hylobe, Hylobius abietis (Col. Curculionidae) pourdes plantations réalisées après chablis surd'anciens peuplements résineux sur lesquels unepullulation a été observée.

Méthodes utilisant la dynamique naturelle

L'étendue des surfaces concernées parune reconstitution partielle ou totale vanécessairement induire un recours à des méthodespeu intensives, y compris dans des contextes où lerecours à la plantation en plein était habituel. Uneméthode intéressante à plusieurs points de vue,lorsqu'elle est possible, est de déclencher unerégénération naturelle, complétée par unenrichissement si nécessaire. Cette méthode estplus économique dans un premier temps,puisqu'elle limite les travaux de plantation (au sensstrict). Par ailleurs, la régénération naturelle estgénéralement moins vulnérable à la dent du gibier,lequel peut de surcroît concentrer ses attaques surla végétation associée. Les plants utilisés encomplément, étant donné leur faible nombre,peuvent d'ailleurs être plus hauts et mieux protégéscontre le gibier.

Un dernier avantage de ce système estqu'il permet un rajeunissement de l'écosystème

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forestier, les stades initiaux des séries végétalesétant parfois sous-représentés ou « court-circuités »(en cas de plantation) au niveau des massifs. Lescatalogues de stations sont un outil indispensablede description des successions végétalesprévisibles et des peuplements climaciques.

Il est néanmoins faux de croire que larégénération naturelle résout tous les problèmes et,en particulier, qu'elle ne représente aucun coût. Ledéblaiement préalable des parcelles reste engénéral indispensable et un certain nombre detravaux ultérieurs seront plus onéreux. Par ailleurs,en cas de plantation en enrichissement différéecomme de régénération naturelle, il est conseillé deprévoir, dès la première année, des cloisonnementsculturaux pour permettre par la suite ledéplacement à l'intérieur de la parcelle et plusparticulièrement l'accès aux plants ou aux tigesd'avenir. Le développement d'essences pionnières(saule marsault, bouleau, sorbier des oiseleurs...)peut être mis à profit pour la reconstitution d'uneambiance forestière, la maîtrise de la végétationconcurrente basse et l'éducation des plants. Les

pays voisins (Suisse et Allemagne) n'hésitent pas àinstaller de telles essences d'accompagnement.Toutefois, celles-ci nécessitent d'être maîtrisées, cequi suppose un suivi assez fin.

Le taillis semble rejeter facilement desouche, y compris après travaux d'exploitationintensifs. S'il correspond à l'essence-objectif, il estalors possible d'utiliser les rejets et de procéder àdes opérations de balivage. Sinon, il peut êtreutilisé en accompagnement, de même que lavégétation pionnière spontanée.

Rappelons pour terminer que le recours àces méthodes passe par un diagnostic et que, si ledevenir des parcelles en l'absence de plantation estencore mal élucidé, il convient de minimiser lesdégâts occasionnés au sol au cours de l'exploitationet de s'assurer de la présence préalable et sipossible actuelle de semenciers en nombresuffisant. Le risque d'échec n'est en tout cas pasnégligeable, notamment faute de soins culturauxappropriés, et doit bien être pris en compte danstoute éventuelle politique d'aides publiques.

Se préparer à la prochaine tempête

Adapter l'appareil institutionnelà un suivi et à une réaction à l'événementplus efficaces

Le manque de données apparaît commeun facteur limitant, dans bien des cas, la possibilitéde tirer des conclusions claires, qu'il s'agisse descirconstances favorables ou aggravantes, ou del'efficacité des mesures à mettre en œuvre.L'impossibilité de conclure sur la stabilité comparéedes futaies régulières et irrégulières est un bonexemple. Il serait bon, dans un premier temps, defaire l'inventaire des besoins réels d'informationaprès la tempête, en dissociant court et moyenterme. Par la suite, la mise en place d'unobservatoire réalisant une évaluation des dégâts,examinant les conditions d'apparition et organisantle suivi des mesures pourrait pallier ce manque. Larareté du phénomène et l'intérêt de couvrir unmaximum de situations font penser que cetobservatoire pourrait être européen. Cela susciteraitun effort utile, sinon d'harmonisation des mesureset des protocoles, du moins d'extrapolation à partirde ces mesures, afin de permettre lescomparaisons et leur incorporation dans un mêmeéchantillon.

Par ailleurs, une procédure préétablie pourla mise en œuvre des mesures d'urgence en cas de

dégâts de tempêtes importants et le maintien d'unminimum d'infrastructures (par exemple, de zonesde stockages, de capacités de transport par rail)spécifiques à l'exploitation de chablis de grandeenvergure doivent être envisagés sérieusementpour se prémunir en partie des conséquences desprochaines tempêtes.

Améliorer la prise en compte du risque

La démarche de la prise en compte durisque ne peut pas s'examiner indépendamment dela définition des objectifs, à laquelle elle estgénéralement subordonnée. Il ne faut pas oublier icique la définition d'objectifs, y compris économiques,peut conduire à ne pas rechercher la sensibilitéminimale (cf économie comparée des scénariossylvicoles). Par ailleurs, il faut souligner que ce quiest en cause, c'est principalement un risqueéconomique et non, pour l'essentiel, un problèmede sécurité publique. La légitimité de l'action del'État doit bien prendre en compte cette distinction.

Prendre en compte le risque de tempêtedans l'aménagement et la gestion forestière conduità examiner trois niveaux de questions :- la localisation des enjeux sur le territoire ;- la prévention au niveau de l'unité de gestion ;- la couverture du risque économique.

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La tempête n'est cependant qu'un desmultiples aléas qui peuvent causer des dommagesen forêt. Prendre en compte le risque, c'estanalyser tous les facteurs naturels (gel, sécheresse,gradations de ravageurs...) ou anthropiques(pollutions, effondrement du marché...) qui peuventaltérer la valeur de la production.

La localisation des enjeux

II est possible d'imaginer une cartographiede l'aléa permettant, par exemple, de conditionnerles aides publiques. On se heurte cependant à unproblème d'échelle, la nature du vent étantlocalement influente notamment par la topographieet l'exposition. Disons que ce paramètre peut êtreexaminé au niveau de quelques régionsparticulièrement exposées (par exemple par lescentres régionaux de la propriété forestière- CRPF - consultés pour la validation des PSG),mais que la conditionnante ne peut s'exercer qu'auniveau de la parcelle, par exemple sur le choix desessences et des techniques de plantation. Parailleurs, il faut souligner que des facteursprépondérants de vulnérabilité comme la durée desrévolutions ou l'âge des éclaircies échappent auprocessus d'attribution des aides publiquesL'ensemble de ces facteurs conduit à déconseillerla mise en place d'une cartographie du risquetempête, intégrant par définition aléa, sensibilité etenjeux.

Malgré cela, il paraît raisonnable derechercher une meilleure répartition spatiale desrisques. Cette démarche est une mesured'aménagement conduisant à structurer l'espace demanière à obtenir une répartition acceptable deszones à faible et à forte vulnérabilité.

La préventionau niveau de l'unité de gestion

Cet aspect est majeur. Il renvoie à troisquestions développées par ailleurs dans cerapport : le choix d'un objectif adapté au degréd'exposition de la station ; l'adoption de techniquessylvicoles peu vulnérables (cf partie 1) ; unraisonnement économique de l'investissementintégrant tous les risques.

La couverture du risque économique

Classiquement, la couverture est assurée,soit par l'individu lui-même, soit par la solidariténationale, soit par mutualisation entre lespersonnes exposées au même risque (régime desassurances).

Il existe en Europe des différencesculturelles importantes entre pays à l'égard du

partage des risques imputables aux catastrophesnaturelles. Dans des pays comme la Norvège oul'Allemagne, cette couverture est intégralement duressort du secteur privé. Par ailleurs, pour certainsrisques, l'assurance peut être obligatoire :subsidence en Grande-Bretagne. La France est undes pays où l'État intervient assez fortement,parfois en termes d'indemnisation, plus souvent entermes d'aide à la reconstitution (cas de la forêt).

En France, peu de forêts sont assurées(environ 5%) et encore cette assurance n'est-ellequ'une extension de la garantie incendie. Cettesituation est imputable à une multitude de raisonsparmi lesquelles il faut citer une méconnaissancede ce risque, une habitude culturelle de recours àl'État face aux catastrophes naturelles, le fait que laforêt soit rarement un élément prépondérant durevenu des ménages, le manque d'intérêt descompagnies d'assurance pour ce risque, des effetsen chaîne (peu d'assurés, donc tarifs élevés, donceffet dissuasif)...

Par ailleurs, il faut souligner que lesassurances connaissent toujours leurs limites faceaux phénomènes extrêmes (système deplafonnement des remboursements) et qu'il fautalors un système de garantie d'ordre supérieur(réassurance, fonds de garantie...).

Pour que le régime des assurances sedéveloppe, il faut probablement d'abord ouvrir ledébat sur les limites de l'intervention de l'État et latempête ne peut certainement pas être isoléed'autres catastrophes naturelles. Il serait égalementenvisageable de rendre l'assurance obligatoire, cequi ne paraît pas souhaitable car la forêt estrarement un enjeu vital pour les ménages. Les deuxvoies à privilégier seraient ensuite une analyseapprofondie de la question avec le secteur desassurances et une action forte d'information et devulgarisation qui accompagne notammentl'attribution des aides publiques.

Enfin, certains experts considèrent que,même si la politique nationale privilégie lamultifonctionnalité, le risque ne peut pas êtremutualisé entre tous les acteurs concernés par ledevenir de la forêt. La tempête constitue avant toutun risque économique pour les investisseurs et lamutualisation ne peut s'envisager qu'entre ceux-ci.Pour d'autres experts, la multifonctionnalité doits'accompagner d'un partage des risques avec lesbénéficiaires. En tout état de cause, un partage pluslarge du risque avec les collectivités publiquesdevrait pouvoir être recherché pour les forêts quireprésentent des enjeux majeurs (notamment auplan sociétal et environnemental) par le jeu demécanismes contractuels .