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4 Maurice Galdi LA SAISON DES TEMPÊTES

La saison des tempêtes

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Maurice Galdi

LA SAISON DES TEMPÊTES

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Introduction :

Allons, soyons sérieux ! Ceux qui cultivent la haine sur cette terre, auraient l’outrecuidante prétention, de récolter l’amour comme récompense à leurs efforts ? Ils n’ont que ce qu’ils méritent, trépignant d’une certaine impatience dans l’angoisse, car ils tremblent de multiples peurs, nous condamnant à une paix précaire… Et devenons pragmatiques, il est temps. Laquelle des innombrables guerres qui marquèrent ce monde, dans sa chair et dans son sang, serait à qualifier de… « victorieuse », au regard des conséquences qui en générèrent d’autres ? Devrait-on inculquer les mathématiques aux fœtus, pour qu’à l’instant de leurs avènements, ils soient à même, de savamment comptabiliser les erreurs humaines ? That is the question…

M. GALDI

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A la mémoire de Viviane. RIP.

8 février 1972, 13: 23.

Je n’ai jamais autant fumé, qu’à bord de ce bateau. Dans mon dos, alors que j’étais accoudé au bastingage bâbord, avec mon mégot me brulant presque les doigts, j’entendais les Rowling Stones chanter à tue-tête « Paint is Black ». Toute la bande de joyeux drilles, s’amusaient bien dans le mess du « desk A1 ». Mais moi, la tête pleine de pensées moroses, je n’avais pas trop envie de faire la bringue. Il pleuvinait depuis des heures. C’était une sorte de nappe brumeuse et glaciale, qui me faisait penser à un nuage ayant perdu de l’altitude, que le navire venait pourfendre. Je me trouvais à l’abri précaire de la casquette en acier trempé, qui recouvrait la

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travée extérieure. « Eh bien ! C’est parti », ai-je pensé. Un coup d’œil en poupe m’apprit que j’étais veinard. Bernard accompagné de son adjoint et de trois marins, débâchait le Seehund, classe 127/45. Son gadget, son petit joué favoris, depuis que nous l’avions embarqué à Djibouti. Un autre coup d’œil en proue, me fit frissonner. Je ne voyais plus la mer d’Oman. Mais étions-nous encore en mer d’Oman ? Le ciel était noir comme s’il faisait nuit, alors qu’au cadran de ma montre, il n’était que treize heures et vingt-six minutes. Je vis que Bernard, s’empressait de vérifier les câblages, qui maintenaient solidement amarré le petit submersible, sur cette rampe, qui en un temps jadis, servait à remonter à bord les pauvres cétacés, que de nombreuses mains dépeçaient immédiatement. Les

morceaux sanguinolents étaient au plus vite expédiés dans ces cales encore puantes de ce parfum écœurant, pour y être cuits et transformés en huile riche, que se disputaient de nombreuses nations. Car  ce navire était un ancien baleinier, ça je pense que vous l’aurez compris.

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- Sale temps, hein Max ?

La voix dans mon dos, me fit sursauter.

- Oh ! Pardon, s’excusa le second Commandant. Où étiez-vous ?

- Ma foi ! Un peu partout, et nulle part, à vrai dire.

L’on se permit court instant de silence contemplatif, que l’on partagea les yeux perdus dans le vague. Le Second fumait sa pipe, le regard rivé sur le submersible. Une lueur d’inquiétude brillait dans ses yeux bleus. Il se lissa la moustache et émit un petit grognement. C’était un homme avoisinant la cinquantaine, pas très grand, rondelet, mais très nerveux, ce qui nécessitait qu’il soit en mouvement constant. Un vrai Stromboli ! Quand il vous adressait la parole, vous pouviez être certain qu’au terme de la conversation, vous aurez à souffrir d’un torticolis, ou de vertiges, car pour le suivre, la tête aurait dû être prévue, pour tourner à 360°.

- Bernard, saurait-il ce que j’ignore ? Je le vois s’affairer sur le pont de poupe.

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- Vous aurez vos ordres, ne vous impatientez pas ! répondit-il, marchant de long en large dans mon dos.

- Pour sûr ! Si je comprends bien, nous allons droit vers une tempête ? Tout ce remue-ménage à bord, l’indique clairement.

- Bille en tête mon cher Max, bille en tête. Et ici, sur l’océan indien, une tempête peut très vite dégénérer en ouragan. Nous allons devoir croiser au large de Ceylan.

- Pour quelle destination ?

- Vous êtes impatient, Max. Un briefing est prévu.

« De dieu ! Pourquoi tous ces secrets », pensais-je encore. « A quoi jouent-ils là-haut » ?

Il marqua encore un temps de silence, en se penchant par-dessus le bastingage, crachant dans la mer verdâtre.

- Bof ! Ce « silence radio » est idiot, reprit-il. Dès que nous avons quittés Djibouti, le téléphone Arabe aura fonctionné à merveille. Nous traçons en direction du

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détroit de la Sonde. Après ? Bien malin, qui pourrait prédire.

Il médita un instant.

-Les Américains, imposent que rien ne filtre, ajouta-t-il, ses petites lèvres m’offrant une moue de désapprobation, que je partageais en tous points. Mais j’éludais cette bonne excuse.

- Oui, bien malin ! C’est rassurant ! C’est quoi, le détroit de la Sonde ?

- Un passage entre Java et Sumatra. Un autre nid de pirates, si vous voulez tout savoir. Nous venons de laisser derrière nous, la corne de l’Afrique, sans encombre. C’est bizarre non ?

- Je ne sais pas, Capitaine ! Si vous le dites ?

- Bah ! Retournez donc à vos rêves, Max. Vous en saurez plus, demain au plus tard, au cours du briefing prévu par le Commandant, si cette tempête ne nous secoue pas trop. Cette coquille de noix en vit d’autres, n’ayez crainte. Vous n’avez pas le mal de mer, c’est déjà bien.

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Oui ! Retournez à vos rêves, venait-il de me conseiller, avant de disparaitre dans la coursive qui traversait le château central, de bâbord à tribord. C’était bien ce que je redoutais le plus. Le Commandant Pierre LANGE, nous avait convaincu qu’il connaissait bien son affaire. Quant aux trois Américains à bord, ils ne me disaient rien qui vaille. Ils s’enfermaient dans leur poste situé sur le pont où émergeait l’unique cheminée du navire, ce qui leur permettait d’accéder directement sur la passerelle de commandement. Ils se faisaient livrer leurs repas, depuis qu’ils avaient embarqués à Djibouti. « Ah ! Ces Américains ! Je croyais que De Gaulle ne les aimant pas beaucoup lui non plus, ses successeurs, suivraient ses aspirations ». Bah, la politique ! Ce n’était pas ma tasse de thé. J’allumais une autre cigarette, lorsque la pluie se mit à crépiter sur l’acier, avec une violence et une soudaineté surprenante. Mon ami d’enfance et ses hommes, coururent à l’abri. Bernard m’adressa un geste de dépit de la main, signifiant toute son impuissance. De la main également, je lui fis signe, « allons boire un coup ». Debout sous la pluie il se mit à rire, écartant les

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bras, l’air de dire : « Il n’y a que ça à faire ».

De nouveau seul ! Enfin ! Si l’on peut le dire ainsi, car les autres fous continuaient leur petite fête dans le réfectoire de l’équipage. « Ils fêtent quoi au juste » ? pensais-je. L’un des hommes d’équipage frappa sur la vitre épaisse du poste, me faisant signe de venir les rejoindre. Avec un sourire navré et un hochement de la tête, je déclinais son offre. Il leva les bras, m’adressant un sourire pincé, signifiant « dommage ». Je replongeais alors, dans mes sombres pensées. J’en oubliais Bernard. C’est inimaginable la vitesse à laquelle, fuse la mémoire. La recherche devrait essayer de découvrir, si elle ne surpasse pas celle de la lumière. Je triturais ma casquette d’officier de Marine, entre mes doigts nerveux et je me mis alors, hors de l’espace et du temps, à voyager dans un passé récent.

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11 décembre 1969.

Un autre lieu, un tout autre monde ! La neige tombait à profusion sur Nîmes, depuis plus de deux heures. Oui ! Il faisait vraiment froid, en cette ville trépidante du Gard. La brasserie de l’Arène était bondée de cette jeunesse, qui expressive, ne l’était pas moins. Je n’avais trouvé place qu’au comptoir, sur un tabouret haut, où j’étais très mal assis. Mais depuis juillet, je fêtais mes vingt ans. Bringue tous les soirs ! Un coup d’œil circulaire dans la première salle, m’apprit que celle que je cherchais du regard, était fidèle à ce lieu. Je me mordis la lèvre inférieure, l’observant de loin en fronçant les sourcils, car visiblement, elle avait d’excellentes raisons de fulminer. Deux énergumènes en capotes militaires de l’Armée de l’air, l’avaient visiblement et volontairement encadrés sur la banquette de couleur pourpre, alors que miracle, une chaise vide, draguait vainement toutes les paires de fesses libres du bar, qui horreur pour l’esseulée, l’ignoraient royalement. La pauvrette était positionnée face à la jeune femme, qui se débattait pour éviter que le

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comique à sa gauche, ne parvienne pas à poser sa tête sur son épaule. Je vis qu’il s’adressait à la rébarbative, qui l’invectiva, avant de le repousser sans violence, contre le dossier de la banquette. J’imaginais qu’elle lui demanda de la laisser tranquille, ce qui énerva encore plus le soldat passablement ivre. Son copain quant à lui, semblait ailleurs. Mais il n’était visiblement pas moins saoul. La jeune femme avec dépit, détourna son visage en faisant s’ébrouer sa longue chevelure brune ondulante, dont les pointes tombaient sur son corsage. Ses yeux coralliens rencontrèrent les miens, alors que je glissais lentement du tabouret haut, avec la ferme intention d’aller occuper cette chaise orpheline. Un imperceptible sourire de ma part, et ses lèvres dessinées vraisemblablement par un artiste peintre, parvenu à reproduire la perfection sur terre, m’offrirent une moue agacée. Nul doute que c’était là, un appel au secours silencieux, mais vibrant. Ses yeux le dirent ! Lentement mais surement, ma chope de bière dans la main droite, je pris le chemin encombré de monde, qui me conduisit à la petite table aux pieds de fers forgés de couleur verte, sur lesquels

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reposait une plaque de marbre. J’y fis claquer le cul de ma chope, avant de tirer la pauvre chaise, et d’y poser mon fessier. Elle trépida de bonheur. Heu ! La chaise, suivez bien !

- Eh bien ! Avec tout ce monde, j’ai bien faillis ne pas vous voir, ma chère Nelly, dis-je, lui offrant un sourire soulagé. Heureusement que je suis pugnace.

Elle me regarda intensément dans les yeux, et je lus son immense stupeur. Puis ses yeux devinrent plus tendres, sans toutefois se dérober des miens.

- Je… je ne vous avais pas vu non plus, balbutia-t-elle, alors que ses sourcils froncés et un léger mouvement de tête, me disaient qu’elle abominait le mensonge.

- Navré de m’être fait attendre, j’ai eu un travail imprévu qui m’est tombé sur le dos, juste avant de partir.

- J’te connais te ? s’interposa le soldat assis à gauche de la jeune femme, avec un fort accent ch’timi, avançant le torse pour mieux m’examiner. T’es une ruine1 de la base aérienne, non ?

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Je jetais un regard furtif sur son collègue, qui ne réagissait toujours pas.

- Voyons mon gars ? Tu ne viens pas de me traiter de ruine, j’espère ? J’ai dû, très certainement mal entendre ! Rassure-moi, veux-tu ?

J’avais posé mon coude droit sur la table de marbre, et de l’index, je me frottais distraitement le menton, en le regardant droit dans les yeux.

- Pour sûr, que je viens de te traiter de ruine, l’engagé ! Et si t’es pas content, tu sors avec moi, je vais te faire bouffer le bonhomme de neige, qui se les pèles sur la place.

- Ferme ton clapet à merde Dures, intervint enfin son copain. Tu vas nous attirer de graves emmerdes, car tu causes à un officier du bataillon « B » compagnie II. C’est bien ça, mon Lieutenant ?

- Tu viens de te démontrer prudent mon gars. En effet, c’est bien ça !

- Bon ! Tu lèves tes steaks flasques de cette banquette, et on fait comme l’artilleur, on se tire ailleurs, dit fermement celui qui

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dormait jusque-là. Je suis à quinze jours de la quille ! Je ne tiens pas à faire du rab, pour tes conneries Dures. Alors, remue-toi !

- Houai ! maugréa l’autre, qui avait très envie d’en découdre. T’as de la chance Lieutenant ! me lança-t-il rageusement, se penchant à mon oreille.

- C’est possible, soldat ! murmurais-je à la sienne. Je n’aurai pas le regret de t’expédier au service des urgences, du pavillon militaire de l’hôpital de Nîmes. Mais demain matin, je te rendrais une petite visite de courtoisie, au garage où tu bosses hein ? Nous aurons le temps de reparler de tout ça, lorsque tu auras bien dégrisé. Car moi aussi, j’te connais te…

Son copain le saisit par le bras, l’entrainant vers le comptoir, où ils réglèrent leurs consommations. Le ch’timi, me lança un dernier regard méchant, mais se laissa conduire hors de l’établissement par son compagnon, qui l’invectiva devant la porte. Je crus qu’ils allaient se frictionner. Ce fut Nelly qui détourna mon attention.

- Je me dois de vous remercier, Lieutenant.

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- Un plaisantin, m’a attribué le sobriquet, Max, répondis-je spontanément, ignorant si la jeune femme avait déjà connaissance, de cette infime partie des particularités de ma personnalité. Euh ! Quelque chose me disait que oui, en y réfléchissant bien.

- Soumaya… est une amie que nous avons en commun, n’est-ce pas ? me convainquit-elle, sur le sujet pour lequel, je m’interrogeais. Je sais à qui je dois, que vous connaissiez mon prénom, euh ? Max ?

- En effet ! approuvais-je. C’est Soumaya la coupable, ou devrais-je dire, l’entremetteuse ?

- Intermédiaire, serait le mot plus exact, non ? dit-elle en riant. Ainsi, vous-vous intéressez à ma frêle personne ? J’en suis… ravie, ce soir.

- Hum ! Voulez-vous une cigarette ? répondis-je, lui tendant une Marlboro.

- Très élégante façon de vous dérober. Oui, pourquoi pas ? Cela me changera des Chesterfield. Je ne fume que très rarement s’excusa-t-elle, l’allumant avec mon briquet. Effectivement, je me rendis très vite à l’évidence, que Nelly, n’était pas une

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adepte forcenée du tabac. Elle tenait cette dernière du bout de l’index et du pouce, tirant de toutes petites goulées, qu’elle rejetait immédiatement, en émettant un petit pff, du bout des lèvres.

- Qu’avez-vous à sourire ainsi ? dit-elle en me regardant sans façon dans les yeux. Son visage était grave, mais il

1 Ruines : Appellation peu élogieuse, désignant les engagés

volontaires, par les soldats du contingent.

reflétait une beauté naturelle. J’avais remarqué, qu’elle ne se maquillait jamais outrageusement, comme ces filles nouvellement émancipées par la révolution soixante-huitarde. Révolution ? Bof ! Il y aurait des quantités de pages à écrire sur le sujet. Je n’ai jamais vu autant de gens cavaler, les uns derrière les autres, qu’ils soient en civil ou en uniformes, que durant cette période, dite mémorable pour la France. Dommage que nous venions juste de sortir des jeux olympiques d’hiver, car ces guignols-là, auraient très bien pu remporter un grand nombre de médailles athlétiques à la France, et surtout, dans les disciplines de la courses à pieds, si nous avions reçus les jeux Olympiques d’été.

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Mais nous n’avons rien perdu ! Je dirais même, que nous avons gagné la jupe Japonaise. Quoi ? Elle a un nom Japonais non ? « ARASDUCULYAQUATATER » ! Ce n’est pas du Japonais ça ? Elle était vêtue d’une robe noire à jabot en dentelle au décolleté. Etait-elle en deuil ? En fait, je ne savais pas grand-chose de cette splendide jeune femme. « Sacrée Soumaya », pensais-je. « Ou bien elle en dit trop, ou bien, pas assez »…

- Vous n’avez pas répondu, Max.

- Ah oui ! C’est vrai ! Pourquoi est-ce que je souris en vous regardant ? Parce que, je suis… heureux de vous voir là, ce soir. En fait, je suis venu seul, avec le vif espoir, que vous soyez là.

- Une aubaine pour moi, répondit-elle, en faisant tomber la cendre de sa cigarette dans le cendrier, le regard rivé à ce dernier. Mais je la vis rougir. Je sais me défendre, toutefois, ajouta-t-elle précipitamment, levant les yeux vers moi. Ses lèvres tremblotaient. Bon Dieu, qu’elle était émouvante.

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- Passons sur cet épisode, voulez-vous ? Ces jeunes gens…

- Ces jeunes gens ? m’interrompit-elle, avec un sourire perplexe. Vous me donnez le sentiment, de vous sentir plus vieux qu’eux. C’est le poids des responsabilités, qui vous vieillit à ce point ?

- Je… Je n’avais pas songé à cela. Peut-être en effet. Soumaya m’a dit…

- Soumaya m’a dit aussi. Et si, nous-nous disions, ce que nous avons à nous dire, sans… intermédiaire ?

- Bien ! Vous ouvrez le bal ? Je danse avec vous, Nelly. Classiquement et presque maladroitement, car ce serait maladroit, je pourrais dire, que vous me plaisez beaucoup.

- Mais vous ne le direz pas ?

- Je viens de le laisser entendre, non ?

- Je ne vous voyais pas ainsi. Seriez-vous timide, Max ? Vous le dite au conditionnel ?

- Moi timide ? Ma foi ! Je crois, que vous m’intimidez. C’est étrange, voyez-vous. D’ordinaire, je suis…très entreprenant.

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- C’est ce qui se dit, vous concernant.

Un silence de cathédrale s’imposa. Ses yeux coralliens vinrent épouser les miens, avec une intensité qui faillit me faire perdre contenance. Je ne savais plus que faire de mes mains, qui devinrent moites. Il fallait que j’agisse.

- Je vous disais, que j’espérais vous voir là, car effectivement, nous jouons le jeu du chat et de la souris depuis… ces deux dernières semaines. C’est long, deux semaines. L’autre jour, Soumaya vous a invitée à rejoindre notre table ici, et vous avez refusée. Pourquoi ?

- Certains de vos collègues, me mettent très mal à l’aise. J’en connais quelques-uns, qui rôdent autour de l’hôpital, en quête de… proies faciles ?

Je me mis à rire doucement.

- Faut bien, que jeunesse se fasse, non ?

- Vous approuvez, Max ?

- Je comprends les choses de la vie. Il ne faut pas importuner les filles, ça c’est

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certain. Je ne crois pas, que l’on s’attire de la sympathie en insistant lourdement.

- C’est la raison pour laquelle, vous avez attiré mon attention, dit-elle rosissant. Et puis… je me suis demandée, ce que vous me disiez avec les yeux.

- Ah ! Encore quelque chose d’étrange, car je me suis posé la même question. Dites-moi une chose, voulez-vous ?

- J’écoute ?

- Pour quelle raison une fille aussi… aussi jolie, repousse gentiment, mais fermement, les hommes qui l’abordent ?

- Question indiscrète ! Soumaya ne s’est pas laissée allé, à vous conter les péripéties de mon si court parcours de vie ?

- Soumaya sait se démontrer indiscrète, lorsqu’elle poursuit un but. Elle est orientale ! Elle sait ce qu’elle fait, et pourquoi elle le fait. Mais pas au point, de trahir la confiance d’une amie.

- Je sais !

- Vous ne répondrez pas à la question ?

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- Peut-être ? répliqua énigmatiquement la jeune femme. Elle entrouvrit ses lèvres humides et brillantes, peintes au naturel, pour absorber un peu plus d’oxygène. Sa respiration s’était subitement accentuée.

- Alors ? me sortit-elle de cette contemplation, accompagnant cette question, d’un hochement du menton. Et quel menton ! Il venait parfaire un visage ovale, au teint agréablement hâlé. Un petit nez légèrement retroussé, lui conférait un aspect un peu hautain. Mais je savais maintenant, que cette fille était tout, sauf pétrie d’orgueil. Pour compléter le tout, j’ai déjà dépeint ses yeux et ses lèvres. Mais je ne vous ai pas encore parlé de ses pommettes hautes et rosées par le froid. Le patron de cette brasserie était radin et le chauffage central, devait être entartré. Alors, nous pelions ! D’ailleurs, Nelly s’empressa de revêtir son long manteau… noir.

- Alors ? Vous attendez la suite Nelly ? Voyons ! Vous avez dit à mon amie, que j’étais d’aspect, assez froid.

- Non ! J’ai dit… distant. Ce n’est pas pareil. C’est Soumaya, qui affirme que vous soyez

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quelqu’un de froid. Pas avec elle, s’est-elle empressée de souligner. Mais en forme générale, ce serait vôtre tempérament. Je ne crois pas, moi, voyez-vous ? Je crois…

Elle marqua un court instant de silence. Son expression m’indiqua qu’elle réfléchissait à ce qu’elle allait dire.

- Je crois que vous avez au fond du cœur, un lourd secret. Souvent, des images passent devant vos yeux et absorbent vos pensées. A ce moment-là, vous-vous écartez du reste du monde. J’ai… J’ai lue ça, dans vos yeux, Max.

- Vous avez eue peur ?

- Peur ? Mon Dieu, pourquoi ? Non ! J’ai été… bouleversée. Je comprends ces choses-là, voyez-vous ?

- Il me semble, que je commence à comprendre la raison, qui vous fait voir, ces… choses-là. Disons, que je la ressente très fort, sans avoir entièrement connaissance, de ce qui vous peine. Ce n’est guère étonnant, que nous ressentions, comment dire ? Des affinités ? Je me devais, de faire le premier pas ce soir, ajoutais-je

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précipitamment, espérant presque, qu’elle n’entende pas. Mais cet espoir fut vain.

- Vous ne l’auriez pas fait, c’est moi qui me serais décidée de le faire. J’ai souvent parlée, avec vôtre amie savez-vous ? Mais… Elle ne m’a dit que l’essentiel. Les journées sont épuisantes à l’hôpital. Mais nous avons la chance, de pouvoir partager quelques instants de repos, durant lesquels, nous cherchons à nous évader de ce contexte de souffrances. Soumaya est une femme exceptionnelle, qui sait nous faire rire avec sa bonne humeur, et ses mots, issus de sa culture orientale, qu’elle utilise en exagérant à dessin, pour nous dérider. C’est une boute en train. Heureusement que nous l’avons, dans le service. Et puis, c’est aussi une infirmière talentueuse, patiente, passionnée. Les malades ne veulent qu’elle. Cela crée des jalousies !

- Belle revanche sur l’existence, pour cette fille. Elle a donné une bonne leçon aux cons.

- Oui ! Nous ne lui arrivons pas à la cheville. Quand j’entends de sombres imbéciles dire, « l’Arabe », parlant d’elle, j’ai envie de cogner.

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- Drôle d’époque, n’est-ce pas, Nelly ? J’ai l’impression parfois, que nous-nous nourrissons d’ambiguïtés. Elles s’imprègnent dans les cellules de notre sang, et infectent notre cerveau. C’est loin, d’être seulement que de l’ambiguïté.

- Pourquoi avez-vous choisi l’armée, Max ?

- Ah ! La question, que je n’ai même pas eu le temps de me poser. Voyons ? Je viens de vous dire, que nous vivions une bien étrange époque. Je suis né, dans une famille de résistants. L’oncle de ma mère, côté maternel, a été fusillé à Compiègne, Camp Royal, au cours d’une tentative collective d’évasion. Mon grand-père, est compagnon de la libération. Il tutoie le Ministre de la guerre. Vous voyez le topo ? En plus, il est le patron du S.A.C, (Service d’Action Civique) pour les Bouches du Rhône, ex officier de la Marine Marchande, passé en Angleterre, parmi les premiers. C’est vous dire la place que prend la volonté de défendre la Nation, au sein de ma famille. Ma mère âgée de seize ans, faisait partie du maquis du Plan D’Aups. J’ai vécu toute mon enfance, dans ce creusé patriotique. Gaullistes et Catholiques,

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inconditionnels et sans réfléchir. Après le B.A.C, Bernard et moi, nous-nous sommes dit, que la troisième guerre mondiale, est conditionnée par un tout petit pas de plus, en direction de l’Ouest, des troupes du pacte de Varsovie. Un insignifiant petit pas de trop et… ce monde s’embrasera…

- Vous… Vous rêvez d’en être ?

- Oh mon Dieu, non ! Mais en être, pour en être, autant anticiper sur les évènements. Je me suis engagé, pour devenir officier, en priant tous les jours, qu’une telle chose ne se produise jamais. Mais si la guerre éclate, je suis préparé intellectuellement et physiquement, à accomplir mon devoir.

- Quel est le devoir d’un officier, Max ? Pouvez-vous le définir ?

- Bah ! En dehors des grandes lignes de l’école de guerre, qui définissent comme priorité absolue, l’application stricte des stratégies élaborées par des cerveaux, conçus pour la destruction massive de l’homme par l’homme ? Je pense, que mon devoir serait de ne surtout pas m’habituer à perdre mes hommes. Surtout pas, Nelly ! Je crois, que c’est la pire des choses, qui

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puisse arriver à un officier. Se blaser de la mort.

- Vous savez pertinemment, que c’est impossible, Max. En temps de guerre, la mort ne choisit pas. Elle cueille les âmes, se servant d’une multitude d’auxiliaires, qui les fauchent au hasard. La destinée elle-même, n’a plus le sens, que nous lui attribuons volontiers. La mitraille ne lui laisse pas accomplir son œuvre. Il est insensé de vouloir slalomer au travers des gouttes de pluie, en songeant qu’à l’arrivée, on sera sec.

- C’est bien imagé ! Mais je dois me tenir à cette illusion. Le cas échéant, je m’y accrocherai avec la conviction du désespoir.

- Alors, j’aurai peur pour vous, Max.

- En sommes-nous là ?

- Non ! Nous venons de nous égarer dans un futur incertain. Prions, pour qu’il demeure longtemps incertain. Ces émotions me donnent faim. J’ai l’estomac noué.

- Vous avez faim ? Je vous invite chez Toni ?

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- La pizzeria de la maison carrée ? Pourquoi pas ! C’est votre second Q.G, je me suis laissé dire ?

- C’est ça ! Vous-vous l’êtes « laissé » dire !

Elle pouffa de rire, en voyant ma moue dubitative.

- Oh ? Je ne suis pas crédible ? C’est bien dommage, dit-elle, en se levant, me passant devant, me regardant droit dans les yeux. Elle ébroua sa longue crinière, les pointes, venant fouetter délicatement mon visage, diffusant trop brièvement le parfum de ses cheveux. Je croyais être le digne représentant du félin dans cette histoire, mais je me rendis vite compte, que j’étais la souris. « Ah ! Ce que femme veut, Dieu le veut », pensais-je. Nous sommes moins adroits dans nos approches, nous les hommes. Nous allons droit au but ! Les femmes elles, demeurent en retrait, ne dévoilant leurs émotions, qu’en jouant de leurs atours et, plus particulièrement de leurs yeux, dans la grande majorité. Comment nommer cela ? Expression oculaire ? C’est redoutable ! Mais dans l’heure, si j’avais encore douté que cette jeune femme, éprouvait autre chose qu’un

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profond sentiment pour moi, j’aurais été bien stupide.

La neige avait cessé de tomber, mais un léger blizzard se levait.

- Je n’ai jamais vue ça ! dit-elle, me prenant le bras, sans plus de chichi. Quel hiver ! Mais c’est beau, non ?

Je ne sortais jamais en uniforme. Le bas de mon jeans était trempé. Je sentais l’eau glacée s’infiltrer dans mes souliers. Mes pieds gelaient ! Mais lorsque son épaule prit appuie contre la mienne, une formidable bouffée de chaleur, me fit oublier tous ces désagréments.

- Vous avez froid ? Vous tremblez Nelly ! Ma voiture n’est pas loin et…

- Ce n’est pas le froid, m’interrompit-elle, non sans avoir tournée la tête vers moi et plongée son regard dans le mien. Je suis bien, voilà tout, ajouta-t-elle simplement. Et puis, la pizzeria n’est pas loin. Allons-y à pieds. Ce froid revigore le sang. Je me sens brûlante, maintenant. Pas vous ?

- Je… Je ne sais plus. Peut-être, dis-je, comprenant que j’étais impuissant à

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dévoiler ce que je ressentais. Avec le blizzard, mes joues brûlaient certes ! Le bout de mon nez aussi, d’ailleurs. Nous marchions vite tout en faisant très attention de ne pas glisser, et nos pas crissaient dans la neige fraiche, qui commençait à geler. Elle avait encore rit, en percevant ma gêne palpable. Mais, elle se serrait contre moi, marchant, les yeux mi-clos, comme si elle se laissait guider.

Je pris un plaisir qui demeure inoubliable, alors que nous venions d’entrer dans la salle presque vide de la pizzeria, en voyant ses joues s’empourprer à cause de la chaleur soudaine, qui vous envahit aussi brutalement que le froid, qui sévit à l’extérieur. Elle arrangea ses cheveux, chassant de ses longues tiges brunes, très légèrement frisotantes, les perles d’eau glacées qui s’y étaient fixées, leur conférant un semblant féérique. La jolie Tahitienne, née à Montpelliers voici vingt ans, renouait avec ses origines, grâce à une couronne de fleurs d’hiver improvisée, par la fantaisie de l’intempérie. Ce fut une vision, que les mots ne définiraient pas parfaitement. Il faut la vivre. Bon Dieu ! J’étais amoureux ! Moi ! Qui aurait pu prédire ça.

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- Avec vos cheveux coupés en brosse, vous allez prendre froid, me dit-elle, s’empressant de frictionner ma tête, de ses doigts chauds. Par malheur, Toni, qui était devenu un ami à la longue, se précipita pour nous accueillir avec sa bonhommie habituelle, et son accent Italien, qu’il entretenait à dessin.

- Eh, mon petit ! Tu veux ta place près du four ? Ce soir, il n’y aura pas foule. Quel temps de chien, poutan de la Madonna !

Il me serra la main vigoureusement, son regard noir, s’attardant longuement sur ma compagne.

- Eh bien mon vieux ! Il secoua ses mains à s’en faire péter les articulations, pour signifier son sentiment, avant de finir sa pensée verbalement. Tu n’auras pas longtemps froid !

Il prit le bras de Nelly mimant la fierté, qui se laissa entrainer vers la table la plus proche du four à bois. Ce dernier, diffusait dans toute la salle, une agréable chaleur. Je libérais un frisson d’aise. Ma parka prenait l’eau, tant elle était vieillotte. Je ne possédais pas une vaste garde-robe, de

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vêtements civils. D’ailleurs, je me demande bien où j’aurais pu ranger ces frusques, tant ma chambre du mess hôtel était petite. Quant au placard qui me servait d’armoire, « exigu », était le mot. Quelques-uns de mes uniformes, dormaient dans la malle militaire, qui me servait de table de chevet. Officier, mais pas très riche ! Je craquais tout à des frivolités, ou en ces lieux chauds, que j’affectionnais. C’était de la faute de ma mère, je pense. Depuis ma plus tendre enfance, je trainais dans les bars qu’elle tenait, qu’elle faisait prospérer et revendait, pour raviver ailleurs, cette passion qu’elle avait du commerce. Eh oui ! Une passion, il faut la réanimer de temps à autre, sans quoi, elle se meurt en silence, ne vous laissant que des regrets, de ne pas l’avoir surveillée comme le lait sur le feu. Nelly retira son manteau, que le pizzaiolo, petit, sec comme un bout de bois, s’empressa de lui prendre des mains, pour le pendre au porte manteau fixé à l’entrée de la salle unique, décorée à la Napolitaine. Vous en vouliez de la quincaillerie rutilante, des casseroles en cuivre, pelles à pizza en bois et j’en passe ? Les murs en étaient saturés. Mais de loin, chez Toni, l’on mangeait la meilleure pizza de la région. Et

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puis, quand on le connaissait bien, il perdait de sa verve strictement commerciale qu’il réservait aux passagers, pour se démontrer naturellement aimable et serviable. Il était connu comme le loup blanc à Nîmes et cela, ouvrait souvent des portes.

- Ah ! T’as bien fait de venir ce soir, se ravisa-t-il, revenant à notre table avec le manteau de Nelly entre ses bras. J’ai une bonne nouvelle, pour l’appartement. Le frère de mon ami, accepte de te le louer, pour 250 francs mensuel. Si tu veux, demain soir, nous irons le visiter. Vers dix-huit heures ? Ce n’est pas loin ! Bobonne tiendra la boutique durant mon absence. Tu l’as vue, comme elle a grossie ? Mama mia, qu’est-ce qu’elle bouffe ! Des spaghettis en veux-tu, en voilà ! Des Calzonnes, elle s’en goinfre ! Elle va me bouffer la baraque, tu vas voir !

- Elle compense ! dis-je sans rire.

- Ah bon, tu crois ? Elle compense de quoi ?

- La ménopause mon pauvre Toni, la ménopause, hélas.

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- Va, va ! Va fan culo, va ! dit-il, faisant mine de s’emporter, nous tournant le dos en riant.

- Vous êtes chez-vous ici. dit Nelly, en me regardant dans les yeux. Un sourire malicieux faisait scintiller les siens. Ou bien, était-ce les lueurs du feu de bois ? Peut-être les deux.

- Je campe à la Base Aérienne 726, depuis juillet 68, que je suis revenu de Paris, après avoir maté la révolte estudiantine, lui répondis-je. Alors, je recherche la douce chaleur familiale. Je l’ai trouvée ici.

- Que vous êtes prétentieux là ! A vous seul, vous avez maté les contestataires de Mai 68 ? Cohn Bendit, ne serait pas de cet avis, ni encore moins, Alain Krivine.

- Gauchiste ! Je pourrais vous retourner votre question. Pourquoi vous intéressez-vous à un fasciste militariste ?

- Parce que je sais, que vous ne l’êtes pas.

- Je vois ! Vos sources de renseignements ne se bornent pas, à presser Soumaya de questions, sur ma personne. Je fis mine de réfléchir. Bon Dieu ! Vous profitez de votre

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position sociale ? Nom d’un chien ! C’est effarant ! De quel aphorisme usez-vous, pour faire du chantage ?

- Chantage ? Ai-je besoin de faire du chantage ?

- Vous menacez bien les jeunes soldats de ma compagnie, de les faire atrocement souffrir en leur pratiquant la prise de sang obligatoire, s’ils ne balancent pas des renseignements sur leur officier ?

- Non ! Je questionne, en faisant les yeux doux et… croyez le bien, ça marche.

Je me souviens d’avoir ris aux éclats, en entendant cet aveu spontané. Vraiment, cette fille méritait toute mon attention. Ce qui me changeait radicalement des gourgandines de la région, qui ne visaient qu’à se faire épouser par des bidasses, avec l’idée obsessionnelle, de quitter ce coin du Gard, où elles pensaient n’avoir aucun avenir. La liberté a un prix. Mais je pressentais que des filles comme Nelly et Soumaya, n’étaient pas de celles, qui acceptaient de le payer ce prix, à fonds perdus d’avance. Car il était navrant de constater qu’hélas, celles qui fomentaient

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des plans sur la comète, échouaient sur tous les points, de la stratégie mise en place. L’intelligence ne suffit pas. Seul l’amour, détermine les choses.

- Que pensez-vous faire, lorsque vous aurez votre diplôme d’infirmière ?

- Je suis sous contrat études, dans l’Armée. Je vais donc me spécialiser. Je pense à la chirurgie. Infirmière de bloc opératoire, ou assistante réanimation. Je ne resterai pas, en médecine B…

- Je vois, que vous savez parfaitement ce que vous voulez.

- Mais vous ne savez pas encore, ce que je ne veux pas. Non ! Ce que je ne veux surtout pas !

- Je crois que je comprends ! D’ailleurs… Je suis partisan de l’émancipation des femmes. Il était temps, que nous prenions conscience, que nous avions franchis le cap du dix-neuvième siècle.

- Avez-vous lu « L’assommoir » d’Emile Zola ? Il traita d’un sujet brûlant. L’alcoolisme d’une femme. Pour son époque, c’était osé.

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- Oui ! Pauvre Gervaise…

- Oh ! Vous l’avez lu ? Je suis surprise. Enfin ! Je veux dire, étonnée, car c’est plutôt une lecture, appréciée des femmes.

- Bah ! Ma prof de français, s’appelait Madame Weiss. Elle adorait Zola ! Ma grand-mère, elle, c’était Jules Verne. Je dus copier deux étés de suite, les tomes complets de ses ouvrages. Je ne vous dis pas, les vacances que j’ai passé. J’avais des ampoules aux doigts.

J’eus droit à un autre sourire émerveillant. Ses doigts, vinrent effleurer le dos de ma main, posée nonchalamment sur la table. Toni se pointa avec son sourire de mafioso napolitain, se lissant la fine moustache, qui ornait le dessous de son nez de fouine.

- Je vous sers un apéro ou bien, vous voulez la carte en direct ?

- Je veux bien un Martini blanc, sans citron ni glaçon, dit Nelly, assez impatiente d’entendre ce que j’avais à dire.

- Et moi, comme d’habitude.

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- Un Kir, préparé avec un vin mousseux italien, prosecco, et du baume de pêche de vigne, le tout servi bien frais, ce qui vous fait vibrer les papilles, se crut-il obligé de préciser.

- Ah ? Eh bien alors, va pour deux, rectifia Nelly, qui inconsciemment du bout de son index, effectuait des cercles sur le dos de ma main. Toni ne demanda pas son reste et s’en retourna vers ses clients. Ce soir, seulement trois tables d’occupées, ce n’était pas l’habitude de la maison. Rica Zaraï, chantait : « C’est l’hiver qui frappe à notre porte, c’est l’hiver, que le diable l’emporte ». Catastrophe !

- Eh bien ? Dites-moi tout ? reprit Nelly, me surprenant encore en train de rêver.

- Que désirez-vous savoir ?

- Vous m’avez parlé de votre famille. Vous avez des frères et sœurs ?

- Eh bien, j’appris âgé de dix-sept ans en demi, alors que j’entrais en prépa militaire, que mon père, avait sept autres enfants.

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- Euh ! Vous n’êtes pas du genre, à faire des blagues Marseillaises, dit-elle avec une expression songeuse.

- Merci. D’autant plus, que c’est vrai. Mes parents, me laissèrent entendre, que mon père était mort, en 1953 en Indochine. Lorsque je suis entré à l’école militaire, la signature du père et de la mère, étaient obligatoire. A défaut, le certificat de décès de l'un des parents. Ma mère fut bien embêtée.

- Je comprends oui ! Mon Dieu, qu’elle histoire ? Je ne veux pas critiquer, mais… Dire une chose pareille à un enfant ? Il faut avoir une bonne raison. Votre père était un criminel ?

- Absolument pas ! répondis-je sans m’offusquer. Je crois, qu’il n’avait pas le sens des responsabilités. De ce que je réussis à savoir, il buvait et jouait beaucoup. Je crois que la guerre l’avait miné à un point de non-retour.

- S’il a eu sept autres enfants après, il s’est vite repris non ?

- Je n’en sais pas plus, Nelly. Il a essayé de se justifier, lorsqu’il est venu à l’école,

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m’accompagner, pour signer l’engagement. Il m’a dit que l’Oncle de ma mère, le frère de celui qui est mort pendant la guerre, l’aurait tué, s’il avait insisté pour me voir. J’ai répondu que pour son fils, on peut risquer la mort. Je crois qu’il comprit, que le courant ne passerait pas entre nous. Si une telle chose m’arrivait ? Si une femme, m’enlevait mon enfant ? Je crois que rien ni personne, ne pourrait venir obstruer ma route. Malheur à l’inconscient, qui se mettrait devant…

- Je vous crois ! Je viens de voir dans vos yeux, les flammes de l’enfer. Vous avez… de très beaux yeux, nostalgiques. Ils deviennent presque noirs, en colère. Haïssez-vous à ce point, votre père ?

- Le haïr ? Non ! En fait voyez-vous, je lui dois ce que je suis.

- C’est-à-dire ?

- Eh bien, je dus me battre plus que les autres, et seul. J’ai très souvent tremblé de peur. Mais j’appris à maitriser ce qui m’effrayait. J’ai jugulé bien des angoisses, en affrontant les réalités bien en face, depuis l’âge de sept ans. J’ai appris à rire

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des mythes, des fables horribles que racontent les vieilles femmes, pour faire peur aux enfants, car je voyais la vie, telle qu’elle était. Si un jour, j’ai des enfants, très jeunes, je leur apprendrais à distinguer nettement les couleurs et leurs nuances. C’est la première phase de l’éducation, je pense. Que nul, ne leur fasse avaler des sornettes.

- Je ne puis qu’abonder en ce sens. Je comprends mieux maintenant, Max.

- Parce que, vous savez écouter. Je ne fis que parler de moi. Je ne sais encore rien de vous.

Ses doigts, réussirent à entrelacer les miens. Elle se mordilla la lèvre inférieure et nos yeux, s’étaient profondément liés.

Toni déposa les deux verres, m’adressant un clin d’œil complice, avant de s’empresser de disparaitre.

- A votre santé, soldat ! dit-elle, dressant son verre à la hauteur de son menton.

- A votre somptueuse beauté, Nelly. Qu’elle ne prenne jamais une seule ride. A vous voir, je puis prophétiser, que vous

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deviendrez la plus jolie des grands-mères. C’est la première fois, que je vois de pareils yeux.

- Oh ! Vous sortez les divisions de réserve ? L’attaque est foudroyante, dit-elle, avec un sourire gêné. Mes yeux… Ah ! Ils me viennent de ma mère, qui était une authentique Polynésienne. Elle était grande, mince et belle comme le jour. Mon père en est tombé amoureux en une seule petite heure. Il est médecin et ma mère, était assistante de direction de l’hôpital de Papeete.

- Elle était ?

- J’ai perdu ma mère, voici trois ans, hélas. Un cancer généralisé, nous l’a enlevé en trois mois. Je ressens un immense vide dans mon cœur. Elle était… le pilier central de notre famille. J’avais également un frère plus jeune. Il s’appelait Grégory.

Je compris enfin la raison pour laquelle, cette ravissante jeune femme, était toujours vêtue de noir.

- Vous l’avez également perdu, n’est-ce pas ?

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Ses yeux se détournèrent un court instant des miens, avant de les investir à nouveau. Mais ils étaient embrumés de larmes.

- Il s’est tué dans un accident de voiture, quelques jours après avoir réussi l’examen de son permis de conduire. Deux de ses copains aussi, sont morts. Deux autres, sont encore dans un état grave.

- Oh oui ! L’accident survenu sur la route d’Avignon. Je venais de rentrer de Paris. Je me souviens à présent. Vraiment navré, Nelly. Je comprends votre tristesse et…

- Vous n’y pouvez rien, dit-elle, serrant ma main entre ses doigts. Je n’aie pas pour habitude, de faire partager mes peines.

- Ce n’est pas la chose à faire, Nelly. Ce partage, n’est pas un fardeau que l’on impose de porter à l’autre. Je crois… que très naturellement, un ami un…

- Vous hésitez, Lieutenant ? Un amant ?

- Un petit copain ! rectifiais-je, sachant bien, qu’elle me testait encore. Ce dernier, se doit de prendre sa part.

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Elle demeura un instant silencieuse, sans pour autant détourner son regard. Je me sentais mal à l’aise, de ne pas savoir lui apporter le réconfort dont elle avait besoin.

- Vous êtes… quelqu’un de bon, Max. Cela se voit ! Non ! Mieux encore, c’est quelque chose qui se ressent, à fleur de peau. Vous avez… de la maturité. Bien trop même, par rapport aux jeunes gens de votre âge. Et surtout, par rapport à Bernard !

- Ne vous fiez surtout pas aux apparences. Bernard n’est pas mauvais, répondis-je rougissant, histoire de dévier la conversation, axée sur ma personne. Il vit tout simplement dans un rêve. Oui ! C’est un rêveur !

- Oui ! Un rêveur très dangereux pour lui-même, ce qui le rend tout autant dangereux, pour les autres. Honneur et Patrie, plaies, bosses et gloire garantie dans le contrat. Le grand rêve des hommes ! Et nous autres les femmes, nous restons à la maison. Nous pleurons la mort de nos pères, de nos frères, de nos maris et pire encore, de nos enfants, avec autant de courage et d’abnégation de nous-mêmes, depuis que ce monde est monde. Et vous

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savez quoi ? Pour toutes ces souffrances endurées, nous ne recevons jamais de médailles. Nous n’en voudrions même pas, de leurs médailles !

- C’est certain, vous n’avez pas le meilleur rôle. Beaucoup s’imaginent que la guerre, est un dérivatif à la monotonie de leurs jours. Comment dire ? Un besoin de surpasser ses propres limites ! Foutaises ! J’ai pleinement conscience de mes limites.

- Oui ! C’est je le crois, ce qui vous différentie de votre ami. Lui, il espèce que cette paix précaire ne durera pas. Soumaya, en est pleinement consciente. Elle vit dans cette angoisse permanente. Savez-vous, qu’elle est la dernière trouvaille de Bernard ?

- Trouvaille ? Nous n’avons aucun secret l’un pour l’autre.

- Croyez-vous ? dit-elle, faisant trainer les mots. Alors vous n’ignorez pas, qu’il ait demandé son affectation, pour les services de renseignements de l’Armée ?

Je restais muet de stupeur.

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- Il est formé au décryptage, à cet outil nouveau, nommé informatique et il vient d’entreprendre un stage de perfectionnement, avec la Marine Nationale, grâce aux nouveaux contrats interarmées, parvins-je enfin à marmonner. Mais soudainement, mon estomac se contracta. « C’était donc ça », pensais-je. J’avais observé depuis quelques jours, qu’il prenait de la distance avec le groupe d’amis, que nous avions constitué. Maintenant, j’en comprenais la raison. Je me promis d’avoir le cœur net, au sujet de à cette décision d’affectation. Il ne perdait rien pour attendre, l’oiseau rare !

De nouveau, Toni vint interrompre notre conversation. L’on se décida pour des pizzas.

Durant tout le repas, elle eut la décence de diriger la conversation sur des banalités bien féminines. Toutefois, je conservais en mémoire, qu’elle s’était évertuée à me mettre en garde, contre les idées extravagantes de mon ami d’enfance. Je comprenais parfaitement sa démarche. Elle ne voulait plus souffrir, pour ce qui la concernait très personnellement, mais elle

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attendait de moi, que j’évite ces quantités de peines, à son amie. Après le café, elle fuma une cigarette en silence, posant sur moi un regard, qui me fit songer qu’elle envisageait que sa vie dépendait de son intensité. Oui ! J’avais déjà vécu ça. C’était encore présent et douloureux dans ma mémoire. Nelly, me parlait avec ses yeux, qui tantôt pétillaient de joie, tantôt devenaient ténébreux.

- Vous m’avez demandé, pour quelle raison, je ne me laisse jamais aborder facilement, n’est-ce pas, Max ? Honnêtement, à présent je vous dois une réponse. J’ai été fiancée. Pas avec un militaire, s’empressa-t-elle de souligner, en faisant tomber la cendre de sa cigarette, dans le cendrier. Un ami d’enfance, qui le resta jusqu’à ce qu’il aille en faculté de médecine à Montpelliers. Nous avons fait un bout de chemin ensemble, de l’âge de quatorze ans, jusqu’à ce qu’il découvre les immenses avantages et plaisirs de la liberté. J’avais perdu ma mère et mon père, ne s’en relevait pas. Je suis devenue, comment dire ? Beaucoup moins présente et attrayante. Nous ne nous sommes plus jamais revus. J’avais murie d’un coup, voyez-vous ? Je m’occupais de

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mon père et de Greg. Ce n’est pas compatible, avec une vie sentimentale.

Elle écrasa sa cigarette dans le cendrier, prenant tout son temps, de ne laisser vie à aucune braise.

- Ce fut mon premier chagrin d’amour, reprit-elle, avec un sourire triste. Depuis lors, c’est le souvenir de cette souffrance, qui me motive à demeurer seule. Je ne voudrais plus revivre une telle chose. Alors, j’évite les garçons, comme s’ils incarnaient le bacille de la peste bubonique.

- Je mettais cela sur le dos de vos deuils successifs, exclusivement, depuis un long moment. Mais à présent je perçois mieux… le… ce qui vous guide, je veux dire.

- Non ! Vous vouliez dire, je comprends mieux… le message.

- Si vous voulez, en effet !

- Bien alors ! Je vous permets de m’accompagner, jusque devant le porche de mon immeuble. Dois-je vous indiquer l’adresse ou bien, êtes-vous également informé ? Je n’habite pas très loin d’ici, sur la place de l’arène.

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- Hum ! Je vous ai suivie des yeux et vous arriviez toujours à pieds, en traversant cette grande place. C’était trop facile. Nul besoin de me renseigner.

- Bien observé, Lieutenant ! Bernard a confié à Soumaya, qu’il entreprendrait tout ce qui sera de son possible, pour vous convaincre de le suivre dans sa nouvelle formation. Il affirme que vous aussi, vous êtes fait pour ça, mais que vous n’en avez aucunement conscience. Je vous avoue, bien à regret, qu’il n’a pas tout à fait tort. Bien à regret, répéta-t-elle, alors que debout, nous attendions son manteau, que Toni s’empressa de lui apporter.

- Vous avez appréciés la pizza ? demanda-t-il, ses petits yeux noirs de souris stressée, nous jaugeant attentivement.

- T’inquiète, répondis-je. Le jour que je te dirais, que ce n’est pas bon, tu pourras te trouver un autre job. Que ferais-tu, le cas échéant ?

- Prends le bras de ta belle et va affronter le froid, ça te rafraichira les idées, strounzo. Et n’oublie pas, demain soir, dix-huit heures.

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Nous avons marché en silence, dépassant ma voiture qui était garée sur ce boulevard conduisant à la maison carrée. Puis en diagonale et d’un pas pressé, nous avons traversé la place de l’Arène. Elle habitait effectivement, un immeuble cossu du dix-neuvième siècle, au porche vouté, orné d’une tête perruquée, représentant très certainement, le propriétaire de cet ancien hôtel particulier.

- Eh bien, voilà. Nous y sommes, dit-elle, tout en se triturant les doigts. Etais-dû au froid ? Je me souviens d’avoir souri discrètement, car je savais très bien que non.

L’horloge nous indiqua, qu’il était, vingt-deux heures et trente-cinq minutes.

- Le temps est vite passé, n’est-ce pas ? fit-elle observer tristement, croisant les bras contre sa poitrine, pour se protéger du froid... J’aurai voulue qu’il s’éternise, le temps. Demain, j’aurai une rude journée. Je dois effectuer un stage en chirurgie. Le test de la mort subite, dit-elle, en s’efforçant de rire.

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- Le temps, est le pire ennemi des hommes. Le test de la mort subite ? C’est quoi au juste ?

- Bah ! Si je tourne de l’œil, en voyant comment est fait l’intérieur d’un corps humain, je suis virée de la liste des prétendantes à la chirurgie. Je deviendrais une bonne infirmière en gériatrie ? Jusque-là, je n’ai reniflée que quelques vilaines petites odeurs, de pansements et de blessures purulentes, mais pas encore, de celles issues de véritables plaies béantes, pratiquées par un bistouri. Il faut un début à tout, Max.

- Vous ne vous évanouirez pas !

- Ah bon ! Vous m’accordez beaucoup de maitrise de moi-même. Qu’est-ce qui vous convainc à ce point ?

- Je ne sais pas. Je vous vois et… Quelque chose me le dit ! Il émane une force prodigieuse de vous.

Nous étions plantés là, devant son porche, sans une seule âme qui vive autour de nous. Ce silence ! Mes oreilles en bourdonnaient ! Elle émit un profond soupir et yeux baissés, elle s’approcha un

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peu trop dangereusement de moi. Elle ne releva pas complètement la tête, mais seulement ses yeux expressifs, remplis d’un immense trouble.

- Nous y voilà ! redit-elle, avec une intonation dans la voix, qui me transmit son émotion profonde. Je n’eus pas le temps de me laisser emporter par cet étrange sentiment qui m’envahissait. Ce fut foudroyant ! Ses bras entourèrent ma nuque, et ses lèvres douces, chaudes malgré le froid, épousèrent les miennes, avec une force inouïe. Je sentis en ce premier baisé que nous échangions, qu’elle l’offrait comme si véritablement, sa vie en dépendait. Il dura une éternité. Le monde autour de nous, aurait bien pu s’effondrer, sans que pour autant, nous en éprouvions le plus infime regret, ni même une parcelle de terreur. L’univers dans toute sa splendeur, ses zones les plus retirées, les plus mystérieuses pour la connaissance humaine, s’ouvraient à nous. Peut nous importait cette terre misérable, sur laquelle nos pieds étaient physiquement posés, alors que nos âmes elles, venaient de s’envoler à la découverte d’un monde meilleur.

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8 février 1972, 14 :02.

- Je pouvais t’attendre au mess. Oh fada, s’exclama-t-il ! Tu vas attraper la mort, si tu restes penché au-dessus de ce bastingage. Tu ne vois donc pas, qu’il tombe des cordes d’hallebarde et que tu es trempé jusqu’aux os ?

- Hein ? Oh ! Bernard !

- Non ! Le Pape ! Nous ne devions pas nous retrouver au mess, pour s’en envoyer un ou deux, avant que ce ciel nous tombe sur la tête ?

- Euh ! Oui ! Nous devions ! J’ai totalement oublié, excuse-moi.

- Oui, ça j’ai vu ! Je te signale qu’il est presque quatorze heures trente, et qu’à quinze-heures, tu dois te rendre auprès de ton unité, dans l’entrepont C1.

- Oui ! Mais je n’ai pas grand-chose à leur dire. Les Américains, ne veulent pas dévoiler le secret d’état, avant demain, au cours d’un briefing.

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- Je sais, je sais ! Mais tu fais fausse « rut » déjà ! Ce ne sont pas les Ricains, qui imposent le black-out ! Tu en sauras plus, à temps voulu. C’est ainsi, ma poule ! Prends le temps de vivre, et de faire le job, pour lequel tu es grassement payé.

- Toi mon gars, tu me pompes l’air, avec tes secrets, et ta morale à deux balles.

Ce micmac, m’énervait prodigieusement à présent. J’étais impatient de passer à l’action.

- Que t’arrive-t-il bon Dieu ? Tu me fais cette tête d’enterrement, depuis que nous avons embarqué à bord de ce navire, reprit-il après un court silence.

- Oui ! Tête d’enterrement ! A Djibouti, tous les jours, j’assistais à l’arrivage de ravitaillements, d’armements, destinés à une campagne en mer, de plusieurs semaines. Tu t’es payé la mienne, de tête, à Bulawayo, non ?

Il s’adossa contre la paroi du château central, s’allumant nonchalamment une cigarette.

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- Tu en veux une ? me dit-il, m’offrant le paquet.

- Non merci, répondis-je, le regardant de travers, avant de m’accroupir à ses côtés. Et puis, j’ai vu arriver ce submersible, repris-je le fil de ma pensé.

- Bon, bon ! Tu te souviens de ce que t’a dit le Général Desliens ?

- De ne pas poser de questions, et de suivre le mouvement. Mais tu m’en as trop dit ou pas assez, à Bulawayo. Bon ! Maintenant, tu ne me ferais plus avaler, que cette expédition, a été montée, pour une banale opération commandos, visant à arraisonner un navire, transportant des armes.

- En te disant cela, je transgressais déjà l’ordre que je reçus, de ne rien dévoiler, et à quiconque ce soit, de l’originalité de la mission qui m’était confiée.

- Bon ! Je te remercie pour ta confiance. Maintenant, j’ai besoin de savoir.

- Oui ? Comme je viens de te le dire, tu sauras tout, très bientôt. Patiente jusqu’à demain, mon pote.

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- Tu ne me comprends pas, Bernard !

- Oh que oui ! Tu es frustré, dit-il, me regardant de biais.

Je faillis m’étouffer de colère, me levant tel un ressort qui se détend.

- Je… Je crois que les deux années que tu as passé au S.R, t’on rendus jobard ! Je suis frustré ? De quoi ?

- Tu es frustré, Max ! Tu ne t’attendais pas, à m’avoir en qualité de responsable de mission. Tu éprouves le sentiment qu’en haut lieu, ils se sont foutus de toi, et cela, depuis longtemps.

- C’est un peu le cas, non ? Vous êtes affecté à l’état-major à Paris, me dit-on. Je me retrouve incorporé contre ma volonté, au S.R. Et j’apprends, que je te dois cette… promotion ! Tu sais, ce qu’elle m’a coûté, cette promotion ?

- Deux galons jaunes, et un avenir bien plus passionnant, que celui de commander une compagnie d’appelés sous les drapeaux, tête de pioche. Ou de finir Capitaine instructeur dans les forces spéciales, car tu ne serais pas monté plus haut. Je t’ai fait

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grimper dans un ascenseur, qui te mènera au sommet. Tu n’es pas heureux ?

- Que fais-tu de Nelly ?

Il me regarda de travers, haussant les épaules.

- Tu es frustré ! dit-il de nouveau. Considère, que tu n’as suivi que cinq semaines de stage, et que je dus insister lourdement, pour que l’on te confie cette mission.

- Alors disons, que je suis en prolongement de stage ?

- Absolument pas, tête molle ! Tu as donné le meilleur de toi-même, comme je m’y attendais, à Bulawayo. Franck, a été pleinement satisfait, de tes programmes d’entrainement, que tu as élaboré pour ses hommes.

- Tu parles d’un entrainement ! Faire grimper ces pauvres bougres, sur un mur de béton lisse, haut de huit mètres, au chronomètre, jusqu’en ce qu’ils en pissent le sang des mains, avec une cordelette munie d’un grappin. Je me suis demandé, si nous allions faire une représentation au

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cirque Pinder, en tournée en Rhodésie, pour fêter l’avènement de sa jeune République. Et pourquoi avoir fait le choix de ce pays, pour leur faire subir ce martyre ? C’est un peu loin de la mer, Bulawayo, non ? Bon ! Franck est un notable du pays. Il y possède cette immense propriété qui nous accueillit, et nous mit à l’abri des regards indiscrets. Quoi que… Une centaine de mercenaires, dans une contrée d’Afrique, au bord d’une guerre civile, rien de plus normal.

- Tu viens de très pertinemment donner, les deux principales raisons de ce choix, Max. Mais il en existe une autre. Justement, les Communistes, n’auraient jamais devinés, que nous préparions une opération en mer.

- Les Communistes ? Ah ! Ce navire chargé d’armes, c’était du vent, n’est-ce pas ?

- Ton impatience te perdra, Max. Et si je reçus l’ordre de préserver le secret absolu, ce n’est pas seulement dû à l’opération tactique, par elle-même. Mais, même si tu me torturais, je ne t’en dirais pas plus.

- C’est si… si grave que ça ?

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- Je ne répondrai même pas, à ta question. Tu es… satisfait ?

- Je n’ai rien entendu, dis-je, ressentant un tremblement me parcourir le corps. C’est à cause de ce bouquant, que font les marins avec leur musique.

- Ils ne dérogent pas à la tradition, dit mon ami en riant. Ils fêtent l’appareillage, pour conjurer le mauvais sort, lorsqu’une tempête est annoncée. Le Commandant, leur a payé une double ration de bourbon, avec pour ordre, de s’en foutre plein la lampe, avant que cela devienne critique.

- Etrange façon de responsabiliser l’équipage. Nos vies vont dépendre d’une bande d’ivrognes ? C’est la totale !

- Eh bien ! Tu n’iras pas rejoindre tes hommes non plus, dit-il, l’air maussade.

- Pour leur dire quoi ? Ils me pressent de question, et j’ai l’air d’un con, assis sur le goulot d’une bouteille de Perier ! Ce n’est pas très confortable, comme position. Tu as une idée ? Je leur dit, que nous suivons les bancs de thon, pour établir un comptage, au profit d’une organisation d’études océanographiques ?

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Il émit un soupir de lassitude, retirant sa casquette, pour s’éponger le front avec le dos de la main.

- Bon ! Revenons-en, à ce que je t’ai dit à Bulawayo, pour me faire pardonner, de taire le reste. Nous sommes engagés, pour petit « a », retrouver des marins disparus, suite à une attaque de pirates. Ces actes répétés, deviennent un véritable problème, qui perturbe dangereusement le trafic maritime, ainsi que bien entendu, les échanges commerciaux, inutile de te faire un dessin. Et petit « b », ceci n’étant pas officiel, ces pirates qui s’en prennent aux navires marchands, traficoteraient également dans de l’armement lourd, qui irait droit aux Viêt-Cong.

J’en restais bouche bée ! Il avait bu un verre de trop ?

- Tu charries, non ? En quoi, cette connerie de guerre du Viêt-Nam, concerne la France ? Je me suis laissé dire, que nos politiciens, voyaient d’un très mauvais œil, l’intervention militaire des Américains, au Viêt-Nam ?

Il ricana sarcastiquement.

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- Mon pauvre Max ! Ce que tu peux te montrer fleur bleue, parfois. Tu as vu flotter un pavillon français, sur la hampe de proue de cette coquille de noix ?

- Nous venons d’un port français, sur la mer d’Oman, non ?

- Nous venons de nulle part, car ce navire, n’a aucune existence réelle. Il ne s’appelle pas, « l’Hirondelle des mers », ou bien, « Swallow of the seas », mais le… « Seko » ! Il est sorti des chantiers navals du Japon, en 1942, pour fournir de l’huile à la population nippone, ainsi qu’à son effort de guerre. Puis il a fait la guerre de Corée, avant de finir comme bateau de pêche, quelque part aux Philippines. Les Ricains l’ont récupéré dans un état lamentable, alors qu’il était voué à la casse. Il a été remis à neuf, à Portsmouth U.S.A, en seulement six mois.

- Lorsque nous avons débuté, l’entrainement intensif de nos gars. Eh bien ? Je commence à voir un peu plus clair. Je comprends mieux aussi, la présence des américains à bord.

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- Pourquoi manifestes-tu une telle insistance à tout savoir ? Ai-je commis une erreur d’appréciation, en présumant que tu étais fait pour le S.R ? Je ne crois pas, poursuivit-il, remettant sa casquette.

- Tu me connais depuis trop longtemps, Bernard. Tu aurais dû te souvenir, que je suis un inquiet, doublé d’un pragmatique. Je vais devoir conduire des hommes au combat ?

- C’est assez probable en effet, consentit-il à avouer.

- Sans rien savoir du terrain où se livrera la bataille, et pire encore, sans pouvoir reconnaitre l’ennemi ? Tu veux ma place ?

- Non ! répondit-il, me lançant un regard venimeux. Tu dis avoir tout compris ? Fais mine de ne rien comprendre demain, au cours du briefing, sinon j’aurai de sacrés ennuis.

- Je vais m’appliquer en ce sens ! répondis-je, en usant de tout le sarcasme, que je pus mettre dans l’intonation de ma voix. Je lus dans ses yeux bleus, qu’il était convaincu, que je pouvais mettre à exécution cette menace, à peine voilée.

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- Euh ! Je ne suis pas médium, mais en te voyant tout à l’heure, tu dormais ou bien tu pensais ? Cette fille, ne te sort pas de la tête hein ? Fais-toi violence pour l’oublier ! Ce qui t’attends Max, ne supporte pas un quelconque relâchement de la concentration. Je peux t’assurer, que si tu aimes encore le sport, tu vas être comblé.

- Je te fais confiance. Avec toi, comment mourir d’ennuie ?

Il haussa ses lourdes épaules, et prit le parti de s’en aller, abandonnant l’idée de chercher à me convaincre, de me rendre dans les entreponts. Je n’avais aucunement besoin de ses conseils. Ils m’avaient coûtés assez cher, dans un passé récent.

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9 février 1972, 08 : 30.

Cent trente-huit hommes, attendaient sur les ponts du navire, sous une pluie battante. Sur le pont de proue, l’équipage, qui n’était pas de service. Trente gars, en tenue bleue de chine, têtes nues. Sur le pont de poupe, quatre-vingt-dix hommes, en tenues de combat bariolées des troupes d’assauts, têtes coiffées d’un béret rouge. La compagnie « A » divisée en trois sections, la plus proche du château central, était celle du Lieutenant Yan Kowalski. Ses hommes personnifiaient l’unité de choc. Sans trop savoir ce qui nous attendait, nous devinions aisément qu’en cas de coup dur, ce serait Yan, qui serait en première ligne. Venait juste derrière, la compagnie « B », du Lieutenant Jean-Luc De Langlade, un Réunionnais bon teint et bon vivant. Les deux officiers n’avaient guère de points communs, et cela sur tous les plans. Yan, était un ex officier de la Légion Etrangère,

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renvoyé pour son caractère impulsif, disons-le même hyper violent, peu conforme avec l’esprit de ce corps composé d’élites. Ce quinquagénaire irascible, avait fait la Corée et l’Indochine. Nous prenions garde, de ne pas trop le frictionner à rebrousse poils. Il pouvait vous briser le pharynx, en l’enserrant entre deux doigts. Une bête humaine, ce polonais. De Langlade et ses hommes, composaient donc la compagnie « B », dite… de réserve. Jean-Luc quant à lui, était un homme jovial, mais borné comme une mule Corse. Il m’en fit voir, le bougre, durant l’instruction. Tellement, que je dus prendre ses hommes en mains, car en bon réunionnais qu’il était, il remettait toujours à demain, ce qui devait se voir accomplis de suite. Mais Mahersen affirmait, qu’il ne connaissait pas meilleur combattant. Nous allions bien voir ? Sur la plage arrière, ma section, la « C », qui elle, avait été désignée, venais-je à peine, d’en être informé, comme compagnie de sécurité bord. Notre mission consisterait à défendre le navire. C’est ce qui était écrit au rapport préliminaire, que je tenais en mains, fixé sur la plaquette protégée d’un plastique, qui m’avait été remise avant le rassemblement. Enfin, j’avais une raison

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d’être ! D’autres ordres suivaient. En rouge souligné, une annotation du Commandant, me désignait en qualité… « d’officier de sécurité », ainsi que de « conseil ». Yeux écarquillés j’avais lu ça, en me retenant de rire. Quel conseil, aurais-je bien pu dispenser ? Je présumais que j’allais servir d’avocat, pour le règlement de conflits internes, dans le cadre de la discipline générale. J’étais loin de songer, à ce qui m’attendait. A tribord, je vis enfin le staff technique, se composant de huit spécialistes, commandés par mon cher et tendre ami, Bernard. Nous étions tous là, sauf le Colonel Mahersen. « C’est étrange », pensais-je. Mais je ne pris pas le temps, de m’attarder sur le sujet. Les hauts parleurs, diffusèrent la voix posée du Commandant LANGE.

- Je ne vous imposerai pas longtemps ce supplice du rapport matinal, dit-il. Surtout par ce temps, qui semble vouloir nous priver du plaisir de cette croisière. Comme vous avez très certainement pus le remarquer, pour les plus observateurs d’entre vous, durant la nuit, mon équipage à repeint sur la coque, le nom du navire. Nous lui avons rendu son nom de baptême

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original, « le Seko » ! Certaines structures amovibles ont été retirées, ce qui confère au navire, une toute autre apparence. Vous n’avez pas manqués d’observer également que des ordres stricts, concernant l’usage de la communication extérieure, ont été distribués aux officiers radio. Pour les plus durs de la feuille, vous comprenez mieux à présent, la raison pour laquelle, plus aucun appel extérieur n’est permis. J’espère que vous avez dit adieu à vos proches, avant l’appareillage de Djibouti. Vos officiers et sous-officiers hauts gradés, sont conviés à un briefing à 14 :00 précise, dans la salle prévue à cet effet, située dans l’entrepont « C1 ». Un balisage, permettra à ceux qui ne se sont pas encore familiarisés avec ce bâtiment, de ne pas se perdre. Je vous remémore que le Seko, mesure tout de même 130 mètres, et qu’historiquement, il fut conçu durant la dernière guerre mondiale, par les Japs. Il était armé de six canons de 155 millimètres balistiques, car il s’aventurait à aller pêcher la baleine dans le Pacifique, sans aucune escorte pour le protéger des destroyers Américains. Ses hommes d’équipage en avaient où je pense, et j’entends que les miens, n’en soient pas dépourvus. Je ne tolèrerais aucun

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manquement à la discipline. Dès que nous aurons atteint le large des côtes de Ceylan, considérez-vous en état d’alerte permanente ou autrement dit : « En état de guerre »… Les officiers, se poseront très certainement d’innombrables questions. Nous ne sommes pas là, pour y répondre. Nous donnons les ordres, vous obéissez ! Si je donne l’ordre de vous balancer à l’eau ? Vous sautez sans réfléchir. Je veux que vous répondiez d’une seule et même voix. J’ai été clair ?

Une seule et même voix s’éleva sous ce ciel bas.

- Oui, Commandant !

- Eh bien ! Alors, nous allons faire de l’excellent travail, tous ensembles, conclut-il.

« Indiscutablement », pensais-je. « Ce sera une véritable partie de plaisir. Pourvu que cette mission ne nous conduise pas en antarctique ? Combien obéiraient, sans aucune discussion préalable, à cet ordre, de sauter à la baille ? Ça promet. Mais quel discours ! Pas un traitre mot, sur ce qui nous attend. J’en frémis dans mon slip » !

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- Envoyez les couleurs, ordonna le second Capitaine, de qui je reconnu l’accent Catalan.

Un bien étrange drapeau, fut monté au mat central. Celui du Panama ! Je m’attendais sincèrement à un drap noir, orné d’une tête de mort, avec en arrière-plan, deux tibias se croisant en diagonale.

- Vous avez vu ça Lieutenant, marmonna l’Adjudant-chef Paul Declercq, mon adjoint, depuis la Rhodésie.

- Non ! Je suis aveugle ! Ça s’explique ! Tout s’explique, Paul. Faites donc travailler vos méninges.

- Houai ! Je vais leur faire faire de la gym, Lieutenant. Depuis quelques minutes, elles se noient sous cette pluie, mes méninges.

- Mettez une bâche, car l’intempérie ne fait que commencer. Vous avez déjà vu de près, un ouragan ?

- Dieu m’en garde ! Vous plaisantez, Lieutenant ? Il n’est pas facile de m’effrayer, savez-vous ?

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- J’ai une tête à plaisanter, Adjudant-chef Declercq ?

- Non Lieutenant.

- Rompez les rangs, hurla le second Capitaine, dans son micro.

- Eh bien ! Accrochez vos trippes avec des pinces à linge ou des épingles à nourrice, et d’esprit, préparez-vous au pire, mon cher Paul. Vous mettez vos hommes au travail. Cette plaquette que je tiens dans ma main, et surtout les quelques feuilles qu’elle enserre entre cette pince, m’indiquent clairement et sans aucune ambiguïté possible, des ordres, que vous allez faire appliquer. Dans les entreponts d’hébergements troupes, tout se doit d’être fixé solidement, et rangés dans les placards le cas échéant, qu’ils ne soient pas remplis à bloc de cochonneries. Absolument rien ne doit trainer dans les coursives, et empêcher la libre circulation ou, provoquer le moindre danger. Ce sera le premier travail de la matinée. Je lis aussi que l’ensemble des compagnies, devront se rendre en Cales I et II, afin d’aider les marins, aux manœuvres d’arrimages de divers

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matériaux. Vous êtes bien pâle d’un coup, Adjudant-chef ? Seriez-vous effrayé ?

- Euh ! Non Lieutenant, menti-t-il sans vergogne.

- Oh je vois !

- Vous voyez, Lieutenant ?

- Oui, je vois votre nez s’allonger. Exécution !

- A vos ordres, Lieutenant.

« Oui ! C’est ça » pensais-je. « A mes ordres. Tu parles ! Je viens d’en prendre connaissance, sur cette plaquette de bois, rubrique « informations services ». Je ne commande rien, je répète tel un perroquet bien dressé. Ils m’ont assigné à la protection du navire ! P… la promotion ! Je vais monter la garde. Ah oui, j’oubliais mon Dieu ! Je suis le policier du bâtiment. Policier et avocat. Il y en a un de trop, j’élimine lequel ? Mais qu’est-ce que je fais, dans cette galère, P… de mouise » ! Je ne le savais que trop bien ! « Vous prendrez vos ordres en Afrique, où vous allez rejoindre un officier S.R, qui vous briefera sur l’essentiel. Vous ne poserez aucune

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question. La mission que je vous confie, est d’une importance capitale, pour les intérêts de la France. C’est tout ce qui est bon de savoir  », m’avait dit le Général Desliens, chef du groupement renseignements, de l’état-major central des armées. « Jusque-là, considérez-vous détaché de nos services, placé en réserve pour une durée indéterminée », avait-il simplement ajouté, après m’avoir donné brièvement quelques renseignements importants, concernant le Colonel Mahersen, et avant de me laisser sur place, comme un rond de flan. J’étais loin de me douter, que l’officier S.R, dont venait de me parler le Général, n’était autre que Bernard, en effet, comme mon ami, me le reprocha. J’avais suivi, cinq semaines de stage, d’un niveau très élevé, certes, et l’on m’expédiait déjà en mission ? J’étais béni des Dieux ? Je venais d’apprendre, que j’avais été demandé à corps et à cris, par mon ami d’enfance, qui avait dû insister lourdement, pour que l’état-major, m’accorde le privilège, de me tourner les pouces, sur le sol instable de ce navire. Ainsi, je repartais en Afrique, pensais-je alors. Eh bien ! Engagez-vous disaient-ils, vous verrez du pays. Que faisaient-ils de ma séquelle de malaria ?

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Car le continent Africain, ne m’était pas du tout inconnue. J’en eus un très mauvais souvenir, de février à avril 68 ! Je faillis bien rater la révolution française, qui pour le vingtième siècle, fera référence dans les livres scolaires. « Vous avez signé pour être élève officier Monsieur l’Aspi ? C’est pour en chier », m’avait dit l’Adjudant-chef instructeur, en m’informant que le lendemain matin, je m’envolais pour Ndjamena au Tchad. Mais tout ça, me paraissait tellement loin, maintenant.

Oui ! Il était un peu tard, pour que je me pose cette question qui demeura de longues années, dépourvues de réponses satisfaisantes à mon égo. Car je ne voulais surtout pas reconnaitre, que jeune, j’étais le roi des petits cons. L’autre m’a dit : « suis-moi » et je l’ai suivi. L’autre m’a dit : « revêt cet uniforme », je me suis foutu à poils et j’ai obéis. L’autre m’a dit : « Inculque à ces hommes, ce que tu as appris ». Non ! Là c’est trop ! J’ai partagé mon immense savoir, à faire l’instruction à quatre-vingt-dix mercenaires, qui me voyaient comme un nourrisson prématuré, gigotant ridiculement dans sa couveuse ! Il me fallut leur imposer, le plus souvent par

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la force, les hautes connaissances d’un officier « hors cycle » à présent, tout en me posant d’innombrables questions, sans pour autant obtenir de réponses. Bon ! J’avais dû trop fumer de chanvre, et lorsque je me suis éveillé, j’étais à Bulawayo Rhodésie du Sud. Ah oui ! J’établissais également le programme instructif, que les officiers de Mahersen, mettaient en œuvre, avec leurs petites compagnies. Et pour ne pas que je demeure oisif, Franck m’attribua le commandement de la compagnie « C ». Un beau cadeau, de sa part ! Ces gens-là, sont plutôt jaloux de leurs hommes. Ils vous prêteraient plus facilement leurs femmes ! Je me disais sur l’instant, que ce n’était pas par altruisme, que Franck m’avait « nommé » chef de compagnie, me permettant ainsi, de commander trente de ses hommes. Voyons ? Lorsque ce Général me donna cet ordre, avais-je le choix ? Oui ! Celui de démissionner. Mais voilà ! Lorsque depuis des mois, l’on se donne à fond dans ce que l’on entreprend, l’idée de tout laisser choir, n’effleure même pas l’esprit. Et puis, si par malheur, on se tire d’une affectation dans les services de renseignements, il est inutile de demander une mutation dans une quelconque unité.

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Pas même à l’infrastructure, les travaux publics de l’armée. Nul ne revient sur ses traces, lorsqu’on a mis ses pieds dans ce cercle. Il se referme sur vous tel un lasso, et vous lie à tout jamais, des pieds à la tête. Vous voyez avec horreur, s’avancer près de vous, l’homme qui tient entre ses mains, le fer rouge, qui va vous marquer durablement. Et voilà, c’est fait… « Tu y es, mon pote » pensais-je. « Que tu le veuilles ou non, tu as les deux pieds dans le béton. Tu vivras ou tu périras, avec ce navire. Alors, autant le prendre cool, non ? Et faire de ton mieux, pour satisfaire à tes tâches. Cela combattra l’ennuie, peut-être ? Et, mes cauchemars, dans lesquels me revient sans cesse, le doux visage de Nell. Sacre bleu, que le temps s’écoule vite » !

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8 Février 1969.

Entre Nell et moi, tout avait commencé, par deux mois d’extases, de symbiose absolue. Il me semblait que plus rien, n’était comme avant. La planète s’était transformée, sous l’impact d’un choc, bien plus violent que celui qui provoqua la fin de l’ère des Dinosaures. Au travail, je devins moins… « casse bonbons », comme l’avait si bien fait remarquer, le Commandant Delomenette. Nous n’étions pas franchement compatibles, tous les deux. Il désapprouvait mes méthodes, et le faisait savoir par la bande, en me qualifiant au-devant de la hiérarchie, de « progressiste », qui avait fait le choix de porter un uniforme, pour diffuser sa foi en Karl Max et en Lénine . Autrement dit, il m’accusait

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d’être communiste. Ce qui fit bien rire, le Colonel Ristorccelli. Ce dernier, Commandant en chef de la Base Ecole 726, redoutait ces affrontements quotidiens, entre appelés du contingent, qui étaient au nombre de cinq cents sur le site, et les engagés volontaires, élèves sous-officiers, qui peuplaient 7 brigades, avec 5.000 âmes. Sans compter les cadres et officiers. Dans ma compagnie, j’avais cent civils, à qui nous avions forcé la main, pour passer sur leurs dos un uniforme, et qui dès les premiers jours au centre d’instruction, s’évertuaient à deux choses simples. Nous faire chier, et attendre la quille. Je ne vous dis pas, « l’instruction ». Il fallait des hommes à poignes, pour tenir bien en mains ces réfractaires d’esprits, qui toutefois, ne s’étaient pas soustraits à leurs obligations militaires. Eh bien, j’exploitais ce fait qui passa pour anodin, aux yeux de mes autres collègues. Je ne cessais de remémorer à ces jeunes gens, qui n’avaient pas une grande différence d’âge avec moi, qu’en définitive, ils avaient fait un choix. Qu’ils auraient pu tout aussi bien devenir, « objecteurs de consciences » et accepter de faire deux ans de prison, plutôt que d’être là. D’emblée, ils comprirent qu’en

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fait, effectivement, ils n’avaient eu guère, que deux choix dans le pire. Heureux les réformés ! Et qu’après tout, ils avaient fait celui qui semblait le meilleur. Une innovation progressiste certes ! J’avais demandé bien courtoisement à mes sous-officiers, d’éviter les brimades et punissions inutiles. Par exemple de détourner les yeux, lorsqu’au cours du premier appel après l’extinction des feux, un absent était signalé. Inimaginable, pour l’esprit conservateur de l’armée. La permission de détente, prenait fin à 22 :00 précise, heure à laquelle les militaires qui en bénéficiaient, se devaient d’être présents dans leurs chambrées. Mais nous connaissions bien l’origine de ces retards. Les filles ! Il faut bien que jeunesse se fasse. Et si aucune alerte ne nous pendait au bout du nez, ma foi… C’était une sorte de transaction non officielle, qui ouvrait des perspectives en matière de… « donnant, donnant ». Toutefois, comme j’ai toujours été un insomniaque, s’ils me pompaient l’air au cours de la journée, vers deux heures du matin, ils avaient droit à 30 kilomètres de marche forcée, avec barda sur le dos. Hélas, cela ne les dispensait pas d’accomplir leurs services quotidiens,

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lorsque le jour se levait. Ce qui au fil du temps, eut tendance à les calmer. Et comme ces braves gars se transmettaient les infos, d’anciens à bleus bites, je peux dire que ma renommée était faite. Plus tard, un cinéaste Américain produisit ce navet, ayant pour titre : « Max la menace ». Là ? J’étais « Max la terreur » ! En fait, Max n’est pas mon véritable prénom. Mais Bernard m’en avait affublé, car j’adorais tous les films retraçant l’épopée de la Rome antique. Il aurait tout aussi bien pu me baptiser César ou pire Brutus, mais il fit son choix, en pensant à l’Empereur Maximilien. Depuis lors, tous ceux qui nous connaissaient, m’appelaient Max, persuadés que c’était là mon véritable prénom. Mais maintenant, Nell savait qu’en fait, ce ne l’était point. Toutefois ce prénom lui plaisait bien plus, que celui que mes parents avaient choisis pour mon baptême. Alors ! Je continuais à m’appeler Max ! Oui ! De grands changements avaient marqués ma vie, qui était devenue paisible, au point que moi-même, j’éprouvais peines à me souvenir du passé. Non ! Pas tout à fait ! Certains drames de la vie, eux, demeuraient présents. Chaque jour qui s’écoulait, me révélait son sens.

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L’impétueux jeune homme, bien trop persuadé que la vie était courte, et qu’il fallait en profiter au maximum, sans s’encombrer de la moindre attache, en était arrivé à penser tout autrement.

Nous avions emménagés ensemble, et durant deux ans, nous avons vécus un indescriptible bonheur. Je ne me souviens pas, que nous ayons traversé le plus petit orage. Le soleil brillait dans nos cœurs, et cette énergie s’emmagasinait, pour rendre nos hivers moins rudes.

Puis un jour maudit de novembre 1971, je reçus un ordre de mutation. L’armée m’expédiait à Paris. Une promotion si l’on y regardait bien, car cette affectation, beaucoup en rêvaient. Le Ministère de la Défense, plus spécifiquement, l’état-major interarmées. Pour un jeune sous-lieutenant, fraichement nommé, qui n’était même pas sorti des grandes écoles, quel pied ! D’autres que moi, se seraient sentis planer. Pour ce qui me concernait, c’était comparable à un crash aérien ! Au cours de l’entretien qui précède la mutation, je refusais tout net cette affectation, ce qui me valut un regard stupéfait de la part du

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Commandant de la Base. Bien assis derrière son vaste bureau couleur acajou, il se jeta en arrière sur le dossier de son fauteuil, m’observant attentivement en silence. De son pouce de la main gauche, il se frotta la joue, réfléchissant visiblement à quelle attitude prendre, à mon égard.

- Vous m’avez très souvent agréablement surpris, Lieutenant, dit-il enfin. Vos idées… votre sens aiguisé de la rigueur, de l’analyse de situations préoccupantes, cette motivation que vous mettiez dans la recherche d’une solution la plus juste, aux problèmes que nos services rencontraient, vous ont valus notre respect et notre considération. Vous avez une brillante carrière devant vous, le savez-vous ?

- Je dois vous remercier d’autant de sollicitudes, mon Colonel. Mais avec votre permission, je vais réitérer mon intention de refuser cette affectation.

- Bien ! Je présume que vous devez avoir une excellente raison ? Je sais au regard de votre dossier, qu’elle n’est pas d’ordre familial.

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- Pas encore, si vous me permettez de le souligner, mon Colonel.

- Prenez place, dit-il, me désignant la chaise placée devant son bureau.

Chose faite, il me scruta encore un long moment, sans mot dire.

- Vous me mettez dans l’embarras, le savez-vous ?

- Oui, mon Colonel. J’en suis désolé.

- Désolé ? Hum ! Pas autant que je le suis. Vous venez de dire, que ce n’est pas encore un problème de rapprochement familial ? Quelqu’un chez-vous, s’apprêterait-il à nous faire, une bonne maladie incurable ?

- Absolument pas, mon Colonel. Je pense que maintenant vous me connaissez assez bien, pour savoir que je ne mange pas de ce pain-là.

- Effectivement, Lieutenant. Alors, veuillez éclairer ma lanterne, car je tâtonne dans les ténèbres là.

- Je vais demander la main de ma compagne, mon Colonel.

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Il leva la tête plus haut, me toisant sourcils froncés, une moue dubitative sur ses lèvres minces, comme la lame d’un rasoir.

- Nous sommes tous passés par là, savez-vous ? Un jour ou l’autre, c’est ce qui arrive de mieux aux hommes. Créer une famille, faire des enfants, s’accomplir totalement mais aussi, professionnellement, non ? Or ! Vous êtes officier dans l’Armée de l’Air et à ce titre, aux ordres de votre hiérarchie. Non, mieux encore ! Au service de votre Nation ! Et il se trouve, que votre Nation, a besoin de vous au Ministère de la Défense et plus exactement à l’état-major, service de la coordination des stratégies défenses. C’est un poste qui ne se refuse pas, Lieutenant. Demandez-donc votre dulcinée en mariage, partez à Paris, et elle viendra vous y rejoindre non ? Si elle vous aime ? Elle ira vous retrouver en enfer, mon petit. Parfois, il est bon de mettre un peu de distance, entre deux êtres qui s’aiment. Juste pour voir, si l’amour est assez fort, pour surmonter toutes les difficultés de la vie.

- Elle est militaire, mon Colonel.

- Ah ! Je vois le topo ! Une A.F.A.A ? 2

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- Non, mon Colonel ! Une élève infirmière sous contrat étude, à l’hôpital militaire.

- Hum ! émit-il, se frottant le menton, lèvres serrées et front plissé par la réflexion. Il regardait le sous-main de cuir noir, qui occupait sa place sur le bureau où, mon dossier était grand ouvert. Situation sans issue Lieutenant, dit-il enfin. A moins, que vous soyez en train de négocier sa mutation ? Je m’attends à une telle chose, venant de votre part. Vous avez tenu tête, aux plus coriaces de vos détracteurs, avec beaucoup de tact, de culot et de patience. Je me trompe ?

- Je… je n’avais pas envisagé cette possibilité, mon Colonel.

- Bien ! Car hélas, je ne pourrais absolument rien faire pour elle. La mutation des personnels du service médical, n’est pas de mon ressort. Je pourrais en toucher un mot, certes ! Mais le médecin général de la région militaire, ne tiendra compte de cette demande, que s’il n’est pas, en manque de personnel. Or, élève sous contrat étude ou pas, le pavillon militaire de Nîmes, souffre aussi d’un

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manque crucial d’éléments formés. En quelle année est votre amie ?

- Fin de deuxième année, mon Colonel.

- Alors, mettez une croix, sur la possibilité qu’elle se voie mutée. Il lui reste une année à accomplir, avant la spécialisation, c’est ça ?

-Oui, mon Colonel !

- Elle la finira à Nîmes. Ce serait problématique de l’expédier ailleurs, et de l’insérer dans un programme étude, au sein d’un hôpital et, d’une classe, d’ores et déjà constituée. Voyons, Lieutenant ! Une petite année de séparation, et toute une vie devant vous. Franchement ? Je ne vous reconnais plus ! Cette fille, vous aurait-elle changée à ce point ?

Il souriait paternellement, et je lus dans ses yeux verts clairs, que la situation n’était pas pour lui, quelque chose de bien nouveau.

- Vous n’aurez pas manqué d’observer, à quel point, cette fille contribua à changer ma vie, mon Colonel.

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- J’avais remarqué, ce changement. Disons le même, cette progression plus que… seulement positive. Mais j’ignorais tout de l’instigatrice de cette évolution. Bon ! Je ne vous promets absolument rien, pour cette jeune femme. Par contre, je vous accorde trois jours de permission. Vous allez lui soumettre la vôtre, de situation. J’ose espérer, qu’elle saura où est votre intérêt commun, et qu’elle vous conseillera avec bon sens. Au terme de ces trois jours, vous m’apporterez votre réponse définitive. Je ne puis vous contraindre d’accepter une affectation, en temps de paix. En temps de guerre, vous recevriez un ordre, auquel vous devriez obéir. Dieu nous en préserve. Bonne permission, Lieutenant. Elle prendra effet demain soir. Vous pouvez disposer, conclut-il, refermant sèchement mon dossier.

Je n’avais encore rien osé dire à Nelly, lorsque comme tous les soirs de permanence, je lui téléphonais. Ce soir-là, je ne pouvais me rendre la rejoindre, car depuis quelques jours, j’étais de service en qualité de responsable de poste, au pavillon de garde. Service de semaine ! Il me tardait

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de partir en permission. Ce fut la plus longue nuit de toute ma carrière.

Alors qu’un vieux baleinier me trimballait sur un océan qui se déchainait d’heure en heure, ce souvenir amer, m’arracha un sourire, exprimant toute la peine que j’avais, à m’en extirper. J’aurais voulu fermer les yeux, pour ne voir que ces images, des jours heureux. Mais j’avais fini par accepter cette affectation. Nelly ne serait pas seule, car Soumaya serait là, pensais-je alors. Je devais songer à ma carrière, à notre avenir à tous deux ! A l’encontre de mes attentes, Nelly ne le supporta pas. D’autant moins, lorsque je fus placé devant l’évidence, que cette affectation en fait, était destinée aux services de renseignements. Elle crut, que je m’étais démontré faible, devant l’insistance de mon ami. Le résultat fut déchirant, car d’un commun accord, l’on décida de se séparer, afin de bien réfléchir avant de s’engager plus loin. Je me suis toujours posé la question, relative aux appréhensions humaines. La peur de perdre un être aimé, n’est-il pas facteur, d’épreuves encore plus insurmontables ? Eh oui ! Maintenant, je détiens la réponse !

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Cet autre éloignement, nous sépara à tout jamais ! J’avais appris avant de partir en Afrique, qu’elle vivait à Montpellier, tout en continuant à travailler à Nîmes. C’était si loin d’ici, Montpelier ! « Allais-je oser lui écrire, un jour, une semaine, ou un mois prochain » ? Parti conne cela l’était, j’aurais aussi bien pu penser, une année. « Pour lui dire quoi ? Que je suis à l’autre bout du monde, et que désormais, ce sera ma vie ? Autant lui écrire adieu », pensais-je. Le doute m’envahissait. Sur ce rafiot, pas de vaguemestre, ni de boîtes aux lettres ! Mais si l’homme, n’était pas pétri de doutes, Dieu, n’aurait plus de raison d’être…

9 février 1972, 10 :21 

Un an et trois mois venaient de s’écouler, depuis cette entrevue avec mon officier supérieur, auprès duquel, j’avais partagé de bons moments, car nous étions bien plus proches, que les rigueurs du service, l’auraient permis. J’avais occupé durant quelques mois, un certain nombre

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d’activités extérieures, pour son compte personnel. Disons, que je faisais office d’ordonnance. Par exemple, je fus le seul à lui inspirer assez de confiance, pour qu’il me confie la mission de désigner un homme de ma compagnie, chargé de se rendre accompagner ses enfants à l’école, et de les récupérer le soir. Un chauffeur chevronné, bien sûr. J’avais dégoté la perle rare ! Ce jeune appelé et moi, étions devenus des amis intimes, l’évènement étant réprimandable, aux yeux de la caste des officiers. Mais je m’en fichais comme de ma première tétine. Le reproche qui m’était le plus souvent fait, était justement, de trop familiariser avec mes hommes. Eh oui ! Si par malheur, nous étions prochainement engagés dans une guerre, j’aurais déjà bien assez de soucis, avec l’ennemi qui se présenterait en face. Si je devais aussi m’inquiéter, de ceux que j’aurais éventuellement dans le dos ? Cette guerre deviendrait alors, encore plus pénible et… bien plus périlleuse. Je crois, qu’une seule frayeur suffit. Et question frayeurs, je pressentais que je ne tarderais pas longtemps, à être bien servi. Que pouvait bien savoir Bernard, que tous, devaient ignorer ? Je frémissais à cette pensée.

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En attendant l’heure du briefing, dès que le mot : « Rompez » fut prononcé par le second, j’entrepris ma tournée d’inspection. Sur la plaquette, un autre ordre ! Ils se présentaient au fur et à mesure qu’une tâche était accomplie, sous formes de feuillets écrits à la main, soit par le Commandant, soit par le Colonel Mahersen. «  Où pouvait bien être ce bougre, ce matin » pensais-je. Je lus l’un des siens d’ordre. « Familiarisez-vous, avec les entrailles de ce bateau, pendant que vous le pourrez ». En fait, le Général Desliens, qui m’avait si brièvement briefé, sur ma future mission, s’était démontré plus loquace, concernant le rôle de Mahersen. Il m’avait bien mis en garde, de ne pas vexer la susceptibilité, de cet ex officier de l’armée Belge, qui s’évertuait à demeurer sur une ligne de bonne conduite, contrairement à un certain nombre de ses semblables, commerciaux de la guerre en tous genres, de par le monde. Ce qui lui valait le respect de ses amis et de… ses ennemis aussi. Il dirigeait ses hommes, qui pour la grande majorité, lui étaient fidèles, depuis de nombreuses années, et en attendant que mon propre rôle se voit clairement défini, j’étais détaché sous ses

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ordres. Mais de façon assez particulière toutefois. Bernard et moi, demeurions des indépendants. C’était assez complexe comme situation. Mais maintenant, pour le moins, je connaissais mon job. Il faut un début à tout ? « Voyons la suite. « Ah » ! me dis-je, relisant le… « conseil » écrit. « C’est intelligent ! Je dois assurer la sécurité de ce bâtiment, il me semble logique que pour le moins, je devrais en connaitre les moindres recoins. Il s’ennuie, ce bon Franck ». J’haussais les épaules en signe de fatalisme, me mettant au boulot. Deux heures plus tard, fourbu, je n’avais guère visité que les entreponts. Pour circuler librement dans ces dédales de coursives ? C’était la misère ! Vous y trouviez l’affluence des heures de pointes, au sein des grandes villes. Les marins s’affairaient à tout débarrasser du sol. Et il y en avait des cochonneries, sur ce sol des coursives. Des caisses blindées de munitions, principalement des cartouches. Des sacs marins, que les postes d’hébergements troupes, ne pouvaient emmagasiner, du fait que la place, faisait défaut aux hommes. Ces derniers d’ailleurs, étaient occupés à rechercher leurs paquetages, et à très vite les ranger, de façon à ce qu’ils ne

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deviennent pas un danger de trop, si la tempête faisait rage. Allez donc essayer de passer, avec tout ce remue-ménage.

« Bon », me dis-je, « J’aurais visité l’entrepont de proue, et repéré la salle de briefing. C’est déjà bien, non » ?

Le haut-parleur se mit à crépiter. Les marins levèrent la tête, oreilles tendues. Je fis de même, et bien m’en prit.

- L’officier de sécurité, est demandé de toute urgence sur la passerelle. Je répète, l’officier de sécurité, est attendu sur la passerelle.

«  Mais c’est de moi, qu’il parle », me dis-je. « Ça alors ! Je vais enfin voir de mes yeux, à quoi ressemble cette passerelle de commandement. Je sens l’excitation monter en moi. C’est phénoménal ! Vissons cette casquette sur ma tête, et jouons à l’officier de marine, comme quand j’étais enfant. Déjà, empruntons la démarche chaloupée du vieux loup de mer. Ils me veulent quoi, là-haut ? Ben, si tu n’y vas pas, tu auras du mal à le savoir ».

La voix avait souligné l’urgence. J’avais grimpé je ne sais combien de marches

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d’escaliers extérieurs, sous une pluie féroce, qui s’acharnait à vouloir percer les tôles d’acier du Seko, car il me fut impossible, d’emprunter les escaliers intérieurs, bondés de monde. Je vous assure, que j’avais l’impression, qu’elles y parvenaient à transpercer l’acier, ces perles d’eau grosses comme des olives. Essoufflé, j’atteignis enfin la casemate de vigie tribord. Le Commandant, Franck Mahersen, et deux autres officiers, scrutaient la mer démontée au travers de leurs jumelles.

- Lieutenant Max Girard, Commandant ! A vos ordres, Commandant ! criai-je pour couvrir les multiples bruits, que générait ce navire craquant, tentants vainement de rivaliser avec les mugissements du vent. L’averse me cinglait le visage, et de l’eau froide, coulait le long de mon épine dorsale. Un véritable plaisir ! Je ne pus refreiner un long frisson.

- Avancez près de nous à l’abri Lieutenant, m’invita courtoisement le Commandant. Prenez ces jumelles, et regardez bien, un quart arrière bâbord.

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Je rivais les jumelles à mes yeux, suivant la pointe de son index tendu dans la direction désignée.

- Vous voyez quelque chose, Lieutenant ?

- Oui Commandant ! Je vois quelque chose, ça y est.

- Alors ? Que voyez-vous ?

- Un voilier, Commandant. Il danse dangereusement sur les crêtes des vagues. Si cela continue ainsi, il ne va pas tarder à se retourner.

- Naviguez 2.2.0, vitesse 8 nœuds, ordonna à haute voix le Commandant, à son timonier.

- 2.2.0, vitesse 8 nœuds, reçu Commandant, hurla le timonier.

Le navire effectua un large cercle sur l’océan en colère.

- Tenez-vous au bastingage Lieutenant, me conseilla le Commandant LANGE. Ça va secouer, ajouta-t-il, surveillant attentivement la manœuvre.

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- Il est en perdition, dis-je, rendant les jumelles à Franck, qui me frappa amicalement sur l’épaule.

- Content, de vous voir enfin dans votre élément Max, me dit-il.

- Façon de parler, mon Colonel. Mon élément, c’est le plancher des vaches, et le doux soleil méditerranéen.

Il répondit à ce trait d’humour, par un petit rire sous cape.

- Eh bien ! Je vous retrouve enfin.

- Hum ! Vous me pensiez parti loin d’ici ? J’adore les voyages. Mais je préfère choisir la destination.

- Je comprends très bien, Max. Vous en verrez d’autres, ajouta-t-il, le visage fermé. Nul doute, qu’il faisait allusion, à l’extrême complexité de cette croisière improvisée. Nos regards se croisèrent bien trop brièvement, pour que je puisse aller chercher au fond de ses yeux, une réponse à la question que je me posais. Etait-il informé de tout, ou bien, comme c’était mon cas, découvrait-il les choses, étape par étape ?

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- Vous me semblez très inquiet, Max, dit-il encore.

- Il n’y a personne en vue, sur ce voilier. Ils ont dus tomber tous à l’eau, éludais-je la remarque fort appropriée, de l’officier supérieur.

- Nous devons en avoir le cœur net, dit-il, comprenant que je ne répondrais pas.

- Je suis de cet avis, mon Colonel. Je lui remis les jumelles, avec un sourire crispé.

- Je le partage d’autant plus, que je vois deux… trois personnes, sur le pont du voilier, à présent, intervint le Commandant, avec une expression irrité. Nous devons faire vite. Son mat central a cédé, et le bateau prend l’eau, car la coque a été endommagée lorsqu’il s’est affalé sur le pont. Le pivot de base du mat, vu l’inclinaison de celui-ci, l’aura déchirée comme une vulgaire feuille de papier, cette coque de bois. Il s’appelle le… « Wind of Indies » !

- Le vent des indes, traduisis-je. Presque un nom prédestiné. Terrassé, par les vents capricieux de cet océan. Il faut être fou,

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pour prendre la mer avec une telle boite d’allumettes.

- Ce sont… des britanniques, nous apprit le Commandant. L’Union Jack, flotte sur sa hampe arrière. Lieutenant Girard ! (Nom d’emprunt, qui nous fut donné en Rhodésie).

- Commandant ?

- Dans cinq minutes, nous serons à l’approche du bâtiment en difficulté. Vous allez embarquer dans la chaloupe de sauvetage en mer, sur le pont A1, et vous rendre prendre en charge les plaisanciers de ce voilier. James Lewis, vous accompagnera.

Un homme mince, de ma taille sensiblement, au visage un peu allongé, des yeux noirs comme de l’ébène, se tourna, et me fit face. Il était vêtu de l’uniforme de capitaine, de la marine marchande. « Eh bien, il ne manquait plus que ça au programme », me dis-je. « Qu’est-ce qui lui passe par la tête, au Commandant, de me faire accompagner, par le patron des barbouzes américains ? Ce n’est qu’un malheureux naufrage de bateau de

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plaisance, pas d’un sous-marin nucléaire, non » ? Je devais faire avec. Alors, à quoi bon me casser la tête ? J’ai manqué de jugeote, en cet instant. J’aurais dû mieux réfléchir.

- Enchanté de faire votre connaissance, Lieutenant. Nous allons écoper sec, mon gars, dit le patron de la C.I.A, tout en me serrant la main.

- De temps à autre faut savoir se mouiller, répondis-je, pince sans rire.

Il me répondit à son tour, par un ricanement. L’allusion ne lui avait aucunement échappée. Maintenant au moins, il n’ignorait plus la sympathie que je vouais aux planqués, qui jouent les agents secrets, en se calfeutrant dans l’ombre d’un mystère, qu’ils s’évertuent à entretenir, alors que nous sommes tous embarqués sur le même négrier. «  Bernard et ce gu-gus ? Bonnet blanc et, blanc bonnet », pensais-je. Cette attitude, augmentait d’autant plus le sentiment, d’être vraiment enchainé en fond de cale.

- Nous aurons très certainement assez de temps, pour faire plus ample connaissance

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Lieutenant, dit-il, prenant le premier le chemin du pont de poupe où péniblement, les marins aux bossoirs, luttaient pour débrayer les freins de la chaloupe de sauvetage en mer, située sur tribord A1, sous des bourrasques de pluie, poussées par un vent violent. Suivant de près le Capitaine J. Lewis, je me demandais si véritablement, à la C.I.A, ils cultivaient l’humour en serres ? Alors inutile de se poser la question, quant à sa carence d’éclat et d’originalité gustative. Je n’avalais pas !

- A vous l’honneur Lieutenant, dit-il, tendant le bras main ouverte, désignant la chaloupe. Je pris place sur la banquette du fond où il vint me rejoindre, sous le toit de protection. Deux marins, se précipitèrent à leurs postes. Le premier nous marcha pratiquement dessus, pour atteindre la timonerie, permettant la manœuvre du lourd moteur in bord, de 200 chevaux. Le second prit une gaffe en mains, et attendit debout. Je compris, que durant la descente de la chaloupe le long de la coque du Seko, il écarterait l’embarcation avec sa perche, la préservant de son mieux, du métal rugueux, peint en noir.

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Cinq minutes et une poignée de secondes plus tard, nous touchions l’eau. Le Seko avait manœuvré pendant ce temps-là, en vue de nous protéger du vent, nous mettant à l’abri de sa masse. Le trajet en direction du voilier, fut effectivement très mouvementé. Malgré l’abri précaire, il ne me fallut pas très longtemps, pour que je sois trempé. Lewis se marrait, et me tendit une ceinture de sauvetage.

- Mettez ça, vous aurez moins froid, criât-il, pour couvrir le bruit du moteur. Et puis sait-on jamais, ajouta-t-il, sentencieusement.

Je le lui pris un peu brusquement d’entre les mains, ce qui eut tendance à le faire rire encore plus. Il m’énervait, ce mec. Par bonheur, on aborda enfin le voilier, alors que je luttais comme un damné, pour mettre cette foutue ceinture. Je finis par abandonner. Une fille aux cheveux hirsutes et roux comme une carotte, hurlait quelque chose en Anglais.

- Warning bomb, warning bomb !

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- Que dit-elle, cette pauvre fille ? J’ai mal entendu où elle a dit, « attention à la bombe » ?

- Vous avez très bien entendu Lieutenant, dit Lewis, dont le visage se cramoisie instantanément. Je monte le premier ! Occupez-vous d’embarquer au plus vite les plaisanciers. On ne va pas trainer là !

- J’y compte bien !

Je n’eus pas à me précipiter pour aider cheveux de feu, à embarquer. Elle sauta dans la chaloupe, qui se mit à tanguer. Je lui pris la main pour l’aider à maintenir son équilibre, la dirigeant vers les banquettes du fond. Elle avait un visage agréable. Peut-être un peu trop enfantin à mon goût. Et bien trop de pites de rousseur, sur son nez retroussé. Une couverture sur ses épaules, et le tour était joué. Le Marin à la gaffe, accueillit une autre jeune fille, qu’il aida à venir prendre place auprès de son amie. Nos regards se croisèrent, et s’ensuivi une perceptible hésitation de sa part, en même temps qu’un silence pesant. Elle m’adressa un sourire, qui en d’autres circonstances, m’aurait encouragé à engager une conversation. Mais là…

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D’ailleurs, le marin lui tenant toujours la main, l’attira sans grand ménagement, vers la banquette du fond. Je m’ébrouais pour reprendre le fil des réalités, car indéniablement, quelque chose d’assez insolite, venait de se produire. Un choc ! Un fin rayon lumineux, avait percé ces nuages noirs et bas. Je regardais le ciel, ne voyant aucun éclair, ne percevant aucun grondement du tonnerre. Alors, j’avais rêvé ! Pour finir, Jésus Christ nous rendit visite à bord. Non ! Je n’ai pas pris de L.S.D ! Je vous assure, que ce gars ressemblait au Christ, comme deux gouttes d’eau. Il ne lui manquait que la couronne d’épines, pour que ce soit complet. Mais j’eus immédiatement le sentiment, qu’il portait une lourde croix, depuis fort longtemps. Il balança trois lourds sacs marins, sur la proue de la chaloupe, et me fit face.

- On m’appelle « Ché », comme Ché Guevara, se présenta-t-il, me serrant la main avec emphase. Je vis à son expression, qu’il dédaignait les uniformes. Grâce à Dieu vous êtes vite venus nous porter secours, ajouta-t-il, me rendant ma main. On se demandait, quand vous alliez arriver…

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Il me fallut quelques secondes, pour traduire de l’anglais en français. Qu’avais-je ouï ?

- Vous-vous… le demandiez ? Etrange ! J’en suis atterré de stupéfaction ! Allez donc vous asseoir près de vos amies, en attendant le retour de mon collègue. Allez ! Ne restez pas planté là, comme les poireaux du jardin de ma tante, dis-je en français. Mais le gars, semblait ne pas très bien comprendre. Je le poussais dans le dos, lui désignant la banquette de l’index. Il s’y rendit et se mit à discuter âprement avec les deux filles, qui ne me perdaient pas de vue, avec une expression terrorisée dans les yeux. Enfin ! Surtout cheveux de feu. L’autre, je ne sus définir ce que ses prunelles, voulaient me communiquer. Elle me fit penser à l’une de mes Profs de terminale, lorsque je rêvassais en regardant la cime des pins, que le mistral de ma Provence, faisait danser. Je sentais alors son regard perçant, m’évaluer à distance, avant qu’elle pousse un cri strident, histoire de me ramener dans le monde des conscients.

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- Vous ne parlez pas anglais, m’interpella-t-elle.

- Je n’ai pas trop le temps, de vous énoncer mon parcours scolaire, miss… ?

- Miss Jacqueline Leslie Wood, monsieur l’officier. Pour les intimes, c’est Jackkie, avec deux « K ».

- Wonderful ! Je suis enchanté ! Nous ferons les présentations, à bord du Seko, si cela peut attendre jusque-là.

Lewis revint, avec un étrange sourire aux lèvres. Il embarqua, braquant sur nos rescapés, un regard chargé d’interrogations.

- Je crois bien, que ces drôles d’oiseaux de beatniks, se paient nos têtes, dit-il.

- Pas trace d’une bombe ?

- Oh que Si ! Un gadget électronique, sans aucune charge explosive. A quoi jouent ces existentialistes drogués ? Ils doivent nous arriver en droite ligne de Katmandou où, ils se seront rempli la cafetière, de tous les narcotiques que l’on peut y trouver.

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- Je ne suis pas de cet avis Capitaine, me permis-je de le contredire. Son opinion, se fondait sur les apparences. Je n’aimais pas du tout ça.

- Ah bon ? Donnez-moi votre avis, il m’intéresse.

- Jésus Christ, assis là, auprès des deux filles, m’a dit textuellement ceci : « On se demandait, quand vous alliez arriver ». Bon ! On va rester longtemps amarrés à cette coque, qui s’enfonce un peu trop dangereusement dans cette mer, de mes deux ?

- On décroche ! ordonna Lewis aux marins, qui s’empressèrent de nous faire reprendre le large. Le pauvre Lewis, me regardait avec cette même expression d’intense réflexion, que lorsqu’il foudroya de ses yeux noirs, les pauvres plaisanciers, qui sur la banquette, se serraient les uns contre les autres, pour avoir moins froid. Ils demeuraient silencieux, regardant une dernière fois leur voilier, avant que celui-ci s’enfonce à tout jamais, dans les profondeurs insondables de l’océan indien. Ce n’étaient pas les bagages, qui encombraient la chaloupe. Tout juste, ces

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trois sacs marins, que « Jésus » avait balancé sur l’avant. Appelez-moi « Ché » comme Guevara, avait suggéré le gars, grand, maigre comme un fil de fer, au nez d’aigle et aux yeux brillants d’héroïnomane. Il avait deux trous à la place des joues, mangées par une barbe longue et pointue, que le vent faisait se confondre avec ses cheveux frisés et poisseux, lui tombant sur les épaules. « Raspoutine, ou Jésus Christ » ? Fallait que je choisisse.

- Vous avez navigués longtemps, avant l’accident ? demandais-je à celle qui parlait un français des plus corrects. « Comment avait-elle dit qu’elle se prénommait ? Ah oui ! Jackkie, avec deux K. Peut-être que Lewis, n’avait pas tout à fait tort, et que nous étions en présence de trois K », pensais-je encore.

- L’accident n’est intervenu que par la faute des pirates, qui nous ont arraisonnés, répondit sèchement la jeune femme aux cheveux longs, lisses, et blonds cendrés. Nous venions de Ceylan, pour répondre à votre question. Ses yeux, étaient verts comme des émeraudes, tranchant bien avec son teint bronzé par le soleil d’Asie du Sud-

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est. Lorsqu’il brillait, toutefois ! Ils nous ont forcés à rester assis dans le roof, continua-t-elle, ne pouvant lire dans mes pensées. M’écoutez-vous, monsieur l’officier ?

«  Ah ! Je me trompais ! Elle lisait dans mes yeux » !

- Je suis, tout ouï !

Elle ne parut pas convaincue du tout, et je le compris à son regard.

- Je disais qu’ils nous forcèrent à rester assis dans le roof, pendant que l’un d’entre eux, amorçait la bombe. Sans personne à la barre, le voilier s’est mis contre le vent, et le mat a cassé net, sous sa force.

- C’est à cet instant précis, qu’ils vous ont dit de ne pas paniquer, car, nous allions arriver sur les lieux très vite, non ?

- Vous avez tout compris, monsieur l’officier.

« Hum » ! Pensais-je, « ces salops ont saboté l’embase du mat, pour qu’il s’affale sur le pont. Ce n’est pas un accident » !

Lewis, m’attira sur le premier banc, à l’avant de la chaloupe.

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- Que vous a-t-elle apprit ?

- Bof ! Elle dit que nous étions attendus de pieds fermes, répondis-je impassiblement, en français. Et vous savez quoi, Capitaine Lewis ? Je suis persuadé que cette fille, ne s’est pas shootée, et cela, depuis un bon moment. Ni jamais, d’ailleurs !

- Autrement dit, vous la croyez sur parole. Je vois ! Autant étonnant que cela puisse vous paraitre venant de ma personne, je serais tenté de la croire aussi.

- Bizarre, cette façon de nous transmettre un message non ? J’en ai des fourmillements, dans le système nerveux. Les neurones se bousculent tellement là-dedans, qu’elles se déconnectent.

- Vous dites… bizarre ? Pas tant que cela le semble, Lieutenant. Une occasion s’est présentée, ils la saisirent.

- C’est limpide ! Ils devaient se creuser le ciboulot, se demandant bien, comment ils allaient communiquer avec nous. Le pigeon voyageur par ce temps, ce n’était pas l’idéal. Et tiens ? Un voilier, avec trois hippies à son bord, se pointe sur la surface de cette mer démontée ! L’occasion rêvée !

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Mieux encore ! Ils nous envoient le messie. Le sosie craché de Jésus. Le porteur de bonnes paroles providentiel, non ? Et puis … ? Non ! Ça ne cadre pas ! A quoi bon, nous adresser un message ? C’est nouveau dans le manuel pratique des pirates ?

- Vous tournez toujours ainsi les choses à la plaisanterie, Lieutenant ? Serait-ce votre trait de caractère ?

- Non ! Je tourne à la dérision, ce qui est dérisoire, Capitaine, si tel est bien votre grade. J’attends votre diagnostic, Docteur. C’est bien malheureux pour la famille, mais l’enfant est perdu ? répondis-je, tournant la tête dans sa direction, afin de mieux lire dans ses billes ténébreuses, un éclat de spontanéité, à dire la vérité, voire que sais-je, quelque chose, qui s’apparenterait à de la surprise ? Je ne vis absolument rien de tout ça ! « Il fait quoi, assis sur ce banc, ce mec », me questionnais-je, le scrutant très attentivement. Il brisa le silence qui s’établissait entre nous.

- Vous ne donnez pas l’impression, de beaucoup apprécier les Américains, je me trompe ?

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- C’est votre putain de guerre, Capitaine. Vous l’avez voulue ? Vous-vous la farcissez. Vraiment, je ne comprends plus du tout, nos politicards, en France !

Il se mit à rire franchement, me donnant une sacrée bourrade sur l’épaule, qui faillit bien me propulser par-dessus bord. Il avait une de ces forces, le malingre.

- Vous me plaisez Max, parvint-il à dire en s’étouffant de rire, se frappant la cuisse gauche du plat de la main. Les jeunes femmes, le rire étant contagieux, en oublièrent un court instant le drame qu’elles venaient de vivre. Elles ne tardèrent pas à partager l’hilarité de l’officier de renseignements. Seul « Jésus », se contenta de sourire béatement, comme s’il apercevait au travers de ces nuages impénétrables, de l’œil humain, la porte de son paradis. « Père pardonnez-leur, ils ne savent pas ce qu’ils disent » !

- Hum ! émis-je simplement, guère rassuré par cet aveu spontané. Par bonheur, l’échelle de coupée qui pendait le long de la coque du Seko, me fit songer que ce calvaire allait bientôt prendre fin. Aussi, je me précipitais vers elle, ne demandant pas

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mon reste pour en grimper les échelons détrempés d’eau de pluie, et de mer. Je faillis glisser, ce qui provoqua dans mon dos, un autre déferlement de rires. « Ils me pompent l’air ces guignols », pensais-je. Enfin arrivé sur le pont, le Commandant LANGE, me héla par le bras.

- Où fuyez-vous ainsi, Lieutenant ?

- Je ne fuie pas, Commandant.

- Ben voyons ! Vous me devez un rapport complet, sur cette promenade en mer. Je l’attends dans ma cabine, avant le briefing. Ah ! Vous prendrez également les dépositions des… rescapés. Individuellement, bien sûr !

- Bien sûr, Commandant. Ce n’est pas le rôle de la C.I.A ?

- Absolument pas, Lieutenant ! Vous n’aviez pas de radio, à bord de la chaloupe ?

- Euh ! Non, Commandant.

- Eh bien, la prochaine fois, n’oubliez pas de vous munir de cet appareil destiné à la communication, qui peut éventuellement

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s’avérer indispensable. Me suis-je bien fait comprendre, Lieutenant Girard ?

- Fort et clair, Commandant. J’avais emprunté la réponse, d’une réplique tirée du célèbre film, « Fort Alamo », avec John Wayne, jouant le rôle du non moins célèbre Davy Croquet. Mais le Commandant LANGE, n’avait pas dû beaucoup apprécier ce film.

- C’est à souhaiter Lieutenant, c’est à souhaiter ! Ne perdez pas de temps.

Ce qui traduit dans son langage, signifiait, « disparaissez ».

12 :45.

Le rapport que j’allais remettre au Pacha, se présentait sous la forme de deux pages recto verso, relatant les faits le plus scrupuleusement possible. Je savais faire ! J’insistais bien évidemment sur l’évidence, que nous n’étions plus du tout de sombres

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inconnus, sur la surface de cet océan. L’effet de surprise ? Nous pouvions l’oublier. Car à n’en pas douter et je n’en doutais plus, telle était la stratégie élaborée par nos chers amis Américains. Je me posais la question suivante : « Qui avait bien pu, avoir une telle idée tordue » ? Nous aurions tout aussi vite fait de leur téléphoner aux pirates, pour les informer de notre arrivée imminente. Qui oserait encore se questionner, quant à l’originalité de notre mission ?  Nous voguions sur la surface de cette mer, qui ne cessait de grossir et de rager de colère, pour traquer du pirate. Bernard, ne m’avait pas menti, à Bulawayo. Eh bien ? Question effet de surprise, c’était plutôt raté, car c’était eux, qui les premiers avaient pris l’initiative et qui indubitablement, nous invitaient à les pourchasser. Depuis quand, la Souris, s’amuse à aller titiller le gros matou ? nous jouons à Tom and Jerry ? Etrange, non ? Oui ! Il y avait de quoi, être très désagréablement intrigué. Aujourd’hui, je suis toujours autant, qualifié de paranoïaque. Je me suis calmé, avec l’expérience que confèrent les années. Jeune, j’étais pire ! Pour moi, aucune question, ne devait jamais demeurer sans

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réponse. Il n’est rien de plus terrifiant que d’avoir à s’endormir, sans préalablement attribuer un nom, une forme palpable ou non, une vision pragmatique et pour le moins acceptable, de l’image la plus floue, d’un évènement obscur. Ce serait accepter par laxisme, de vivre une nuit cauchemardesque. J’ai toujours eu en horreur, ces cauchemars nocturnes. J’en vivais déjà assez, en état d’éveil. Le sommeil, m’était autant essentiel que de manger ou m’instruire. Et justement, l’approfondissement des incongruités, était dans ma façon de penser, quelque chose qui à l’arrivée, générait une prodigieuse connaissance. Donc je me disais pas d’escale, droit au but.

Jésus, dit : le « Ché », de son véritable prénom : Daniel, ou encore, Dan, ne m’apprit pas grand-chose lors de l’interrogatoire. Il s’exprimait lentement, coupant bien ses phrases de ponctuations. Mais en fait, je le soupçonnais d’avoir fumé son « beue », alors qu’il dirigeait son voilier, vers… le Canal du Mozambique, si l’on devait prendre pour acquit, ce qu’il disait. Dommage, que nous n’ayons pas eu le temps, de fouiller ce rafiot. Selon moi,

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nous aurions découvert quelques surprises. Non, non ! Pas du tabac à priser ! Un chien renifleur, éternuerait encore en cette heure. Je pris son identité, le renvoyant dans sa cabine, qu’il partageait avec cheveux de feu. En fait, elle se présenta sous le nom de Madame Ché. Non, je plaisante ! Carroll Green-Granger. Elle fit simple, au moment de l’attaque des pirates ? Eh bien, elle dormait ! Ces salopards, je la site, l’ont rudement réveillée. Sa plus grande frayeur, fut celle qu’ils la violent. Oui ! Je comprenais parfaitement cette trouille, qui se justifiait sous cette latitude. Certes ! Elle les vit poser la bombe sur la table et la régler. Elle entendit également, celui qu’elle désignait comme étant le chef de cette expédition, leur dire, qu’un navire ne tarderait pas, à se porter à leur secours. « Ils doivent bien être outillés, à bord de ce pirate », pensais-je. « Donc ? Mais voyons, c’est certain ! Ils ne sont pas très loin devant nous. Le Commandant ne devrait pas avoir exclu, cette probabilité ». La cafetière bouillait ! Je l’expédiais rejoindre son mari. Car horreur, ceux-là, avaient enfreints la sacro-sainte règle beatnik, en s’épousant en juste noce. Ce devait être folklo, lors des

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échanges… « Culturels », auxquels se livraient très idéologiquement et avec une ferveur libertine, ces adeptes de… « Faites l’amour et pas la guerre ». Peace, and love ! Je me souviens d’avoir pensé, que si elle procréait un jour prochain, j’aimerais bien voir la trombine du minot. «  Papa » ? « Ah non ! Moi, c’est tonton, car nous sommes tous frères, mon fils » !

Vint ensuite, Jackkie, avec deux K.

- Puis-je vous poser une question ? dit-elle, avant même de s’asseoir, sur la chaise que je lui désignais. Ma cabine, était très mal éclairée, et les soubresauts du navire, qui s’enfonçait dans des creux de huit à dix mètres d’eau bouillonnante, provoquaient des microcoupures d’électricité par alternance, lorsque ses hélices brassaient le vide. Pouvez-vous imaginer un mixer géant ? Cela produisait le même bruit.

- Pourquoi pas ? concédais-je, l’observant plus attentivement, à présent. Elle était vêtue d’un jeans moulant, et d’une chemisette blanche fripée, nouée sur son nombril. Un seul bouton, dans sa boutonnière, me privait d’en voir plus

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encore, d’un soutien-gorge rose, enfermant deux seins lourds.

- Avec cette humidité et ce vent, qui s’engouffre de toutes parts, je crains que vêtue ainsi, vous preniez froid.

- Ah bon ? Je suis anglaise, Lieutenant. Et chez-nous, le froid…

- Et chez-nous… lorsque vous rejoindrez votre cabine, vous-vous changerez au plus vite, interrompis-je sa plaidoirie, griffonnant une annotation sur mon brouillon. Vous désiriez poser une question, je crois ?

Il lui fallut quelques secondes, pour reprendre pieds. Car indiscutablement, mon message était clair. J’étais persuadé, qu’elle l’avait compris très vite.

- Oui ! Eh bien… je viens de voir des hommes en uniforme, armés jusqu’aux dents, dans la coursive. J’ai vue de tout ! Même des grenades, qui pendaient à leurs ceinturons. Ce n’est pas très… conventionnel, sur un bâtiment civil, non ?

- Qu’est-ce qui vous fit penser, que le navire qui se portait à votre secours, appartenait à

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la marine marchande ? Ce sont ces pirates, qui vous inspirèrent cette certitude ?

- Non ! Mais votre uniforme n’a rien de celui d’un militaire, si je dois me fier à ce que je vois ? Dites-moi où est l’erreur ?

- Non ! Vous avez très bonne vue. Bien ! Puisque nous en sommes au sens de l’acuité visuelle, dites-moi je vous prie, eh bien, ce que vous avez vu, tout simplement ? Vous m’épargneriez de perdre du temps, en posant des questions. J’ai ordre, d’accomplir ce travail, et n’allez pas croire, que ce soit un plaisir. Alors, soyons brefs.

- Pourquoi vous efforcez-vous, à prendre une position rigoureuse ? Sommes-nous suspects, Lieutenant ?

- Si nous considérions que vous étiez suspects, nous vous aurions logés dans l’un des entre ponts, aménagé à cet effet, répondis-je froidement, le regard rivé sur mes notes.

- Drôle de spécial bonhomme !

- Je vous demande pardon ? Qui, serait un drôle de spécial bonhomme ?

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- Voyez-vous quelqu’un d’autre, dans cette cabine ? Je pense être saine d’esprit, de ce fait, je ne parle jamais aux fantômes. D’ailleurs, je n’y crois pas, souligna-t-elle, avec la force de la conviction.

- Hum ! Quel âge avez-vous… euh … miss Wood ?

- Vingt et un ans, Lieutenant. Dois-je vous remettre mon passeport ?

- Effectivement ! Je vais en avoir besoin, pour établir un communiqué, que nous adresserons à votre Ambassade. Déclinez, votre état civil. Vingt et un ans ? Une moue dubitative n’échappa aucunement à mon interlocutrice, qui ne manquait pas de cran. Elle alluma une cigarette, approchant au plus près d’elle, le cendrier remplis à bloc.

- Vous auriez bien besoin, d’une femme de ménage. Vous avez tiqué, en entendant mon âge ?

- Non ! Je me demandais seulement depuis combien de temps votre papa, ne vous a pas donné une bonne fessée, histoire de vous apprendre les bonnes manières. A moins, que vous cherchiez à me provoquer ?

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Elle fuma posément, ses grands yeux verts, ayant investis les miens. D’un geste félin, elle repoussa une mèche de cheveux qui lui tombait sur les yeux, et prit le parti de rire, sans toutefois, que cela paraisse vexant. Un tout petit rire, qui me prouva qu’elle n’était pas dépourvue d’esprit, et d’humour.

- Bon ! Qu’avez-vous à dire de l’incident qui vous est survenu sur votre voilier? Ou plutôt… que faisiez-vous à bord de ce voilier ? C’est assez… comment dire ? Vous n’avez pas grand-chose de commun, avec… avec, Jésus Christ et Marie Madeleine.

Là, le rire fusa dans toute la pièce, et je dus faire preuve de fermeté, pour qu’elle revienne aux choses sérieuses. Mais ce fut duraille. Elle pouffait encore, s’efforçant à reprendre le fil normal de la conversation.

- Je… Je faisais du bateau stop, réussit-elle enfin à dire.

- Du bateau stop ? Mazette ! Expliquez-moi un peu ça ?

- Vous tombez des nues, Lieutenant ? C’est une pratique assez courante, en ce vaste coin du monde. J’ai quittée Ceylan à bord de ce voilier, qui se rapprochait le plus, de

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l’Afrique du Sud. Le skipper et sa compagne, se rendaient au Mozambique. C’était ma route, voilà tout.

- Oui ! C’est beaucoup plus clair. Vous-vous rendiez à…

- Durban, Lieutenant.

- Durban ! Très bien !

- Ce l’était pour moi, du moins.

- Quoi donc ?

- Très bien ! dit-elle, reprenant les derniers mots qui m’étaient venus à l’esprit, avec une pointe de regret.

- Houai ! Je l’imagine aisément.

- Vos oreilles, sont curieuses.

- Ah bon ? Vous les trouvez trop grandes ? Peut-être bien trop décollées à votre goût ? Aurais-je une légère ressemblance avec Jumbo, le petit éléphant de Disney?

- Non ! rectifiât-elle, riant de nouveau, enserrant son ventre de ses deux bras. Je ne maîtrise tout simplement pas très bien encore, la langue de Voltaire. Je voulais

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dire, que vous étiez un curieux, presque maladif, non ? Vous bruliez du désir, de me demander ce que j’allais faire à Durban ?

- Vous avez le charme, pour me mettre en boule, vous ! Dites toujours, puisque vous y êtes. Mes oreilles… sont curieuses. Et votre français est des plus corrects, la complimentais-je. J’ai entendu pire.

- Je travaille pour une O.N.G britannique, qui dresse un bilan sur la faim dans le monde, accéda-t-elle à ma curiosité, essayant de reprendre son sérieux. Je travaille, est un bien grand mot. J’effectue des enquêtes, je rencontre diverses personnalités pour eux, ce qui me permet de payer mes études, mais surtout d’enrichir mes connaissances. Je suis l’élève de la plus formidable école de la vie. Globe-trotter, and student. C’est passionnant, croyez-le bien, Lieutenant.

- Max, m’entendis-je dire, malgré moi.

- Max ! Cela me conviendra parfaitement. Je vous ai déjà dit que moi, c’est Jackkie, mon prénom ?

- Oui ! Vous avez soulignée, avec deux K. Pourquoi, les deux K ?

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- Parce que je suis une originale, Max. Je tiens à me distinguer des autres.

- Le tout, dit très naturellement, sans vous auto ventiler ? Je ne puis que constater, que vous réussissez très bien, à vous différencier des autres. Si vous m’en disiez plus, sur cette attaque de pirates ?

- J’ai déjà tout dit, alors que nous étions sur la chaloupe.

- Réfléchissez, Jackkie. Un détail quelconque.

- Oui ! Carroll ne vous a rien révélée ?

- Hum ! Je crois qu’elle était bien trop terrorisée, pour avoir retenue le moindre détail. Faites un effort, je vous prie.

- Pas besoin de trop me creuser la cervelle, dit-elle. Je n’oublierai jamais ce visage. Le chef des pirates, était un homme de très forte stature, au visage balafré de l’oreille droite au menton. L’un de ses hommes, vint lui adresser un message. Je n’aie rien entendue, car il lui parla à l’oreille. L’autre lui a répondu, utilisant un dialecte Pakistanais. Je suis anglaise, je connais bien les « Pakis ».

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- Hum ! Un Pakistanais ! Eh bien ! Ce sera tout ?

- Ce sera tout, Max. Sauf que nous avons connu la frayeur de nos vies. Et je ne suis pas, des plus impressionnables.

- Je le comprends très aisément. Vous avez eu, beaucoup de chance.

- Qu’allons-nous devenir, à présent ? Mes employeurs…

- Nous ferons le nécessaire, menti-je effrontément. J’en éprouvais du remord, certes ! C’est tout, vous pouvez disposer, euh… Jackkie, ajoutais-je, en griffonnant sur mon feuillet, prenant une attitude distante. J’abominais de devoir lui cacher la vérité. Les ordres, sont souvent stupides. Ces pauvres bougres, étaient autant prisonniers que nous l’étions, de cette cage d’acier flottante, d’où nul ne peut s’évader. Elle se leva et se dirigea vers la porte. Sa main enserrant la poignée, elle demeura sur place un court instant, comme immobilisée, par une pensée lui traversant l’esprit.

- Je crois, je ne suis pas certaine, que le messager l’a nommé « Sahib », dit-elle,

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sans me faire face. Puis, sans lâcher la poignée, elle tourna la tête dans ma direction. Je levais les yeux vers la jeune femme, entrevoyant un intérêt. Il existe une sorte de légende contemporaine, sur les côtes de Ceylan, poursuivit-elle, captivant mon attention. Un bandit très renommé, pillerait les navires qui s’aventurent bien trop près de ces côtes, pour faire don des richesses ainsi récoltées, aux plus démunis.

- La légende du bandit au grand cœur ? On me l’a déjà faite, celle-là ! Le cinéma américain, en fit ses beaux jours.

Elle a pouffée de rire, avant de reprendre son sérieux et d’ajouter :

- Il me semble bien que les indigènes, lui donnent le nom de « Sahib des abysses », car il coule systématiquement ses proies.

Elle ouvrit la porte, paraphant ses indications d’un sourire, qui aurait fait fondre un pain de sucre, aussi vite, qu’une motte de beurre exposée en plein soleil.

- Vous me voyez vraiment terrifié Jackkie! Tâchez de ne pas vous perdre, en vous en retournant vers votre cabine. Etes-vous bien installée ?

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- J’ai connue pire, Max. Ah ! Merci pour les effets vestimentaires, le nécessaire de toilette, et surtout, ces cigarettes américaines, qui ne valent pas, nos cigarettes anglaises, mais bon ! A cheval donné, on ne regarde pas les dents, n’est-ce pas ? Et… je vais me changer de ce pas, dit-elle, en me regardant froidement dans les yeux.

Sur ce, elle s’en alla, sans refermer la porte derrière elle. « Sacrée bout de femme », pensais-je, me levant pour boucler cette foutue porte, qui grinçait sur ses gonds. Dehors, le vent s’en donnait à cœur joie, entonnant un hymne destiné à foutre la frousse aux fantômes, qui ne devaient pas manquer de hanter ces lieux, bien que Jackkie, ait affirmée ne pas croire en leurs existences. Aussi serons-nous pénards, car ils ne perturberont pas nos nuits.

13 :46 :

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Le Commandant sortait de sa cabine, lorsque je me pointais, mon rapport à la main.

- Savez-vous Lieutenant, que je faillis vous attendre ?

- L’interrogatoire, a prit plus de temps que prévu, Commandant.

- Bien ! Donnez-moi ce rapport, je le lirais en marchant. Restez près de moi !

Je me mis dans son sillage, m’adaptant à son rythme de marche, sans piper mot, pendant qu’il lisait mes deux feuillets. Ces marins, ont des semelles aimantées.

- Excellent travail, Lieutenant. Ce que vous en déduisez est très pertinent.

- Seriez-vous de cet avis, Commandant ?

Il ne répondit pas à la question, me laissant sur ma faim. Il marchait vite, sur un sol qui s’inclinait de 2 à 3° sur l’avant, longeant la barre anti tempête à laquelle il se tenait d’une main, alors que quelques longues secondes plus tard, le phénomène s’inversait.

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- Vous l’avez placé sous surveillance, demandais-je, jouant des coudes, avec les parois de la coursive.

- Depuis que nous avons quitté le lieu du sauvetage. En effet, par ce temps, les navires ne se bousculent pas dans les parages. Alors, le plus proche de nous, ce ne peut être que lui. Selon vous Lieutenant, que veut-il ?

«  Ah ! Il réagit enfin » pensais-je brièvement.

- Bien, c’est assez évident, non ? Il voudrait ralentir notre marche, qu’il ne s’y prendrait pas mieux.

- Hum ! J’ajouterai un paramètre de taille. Et s’il voulait nous dévier de notre objectif ?

- Ah ? Ils auraient donc connaissance de notre objectif ? Pas un seul des hommes embarqués sur votre navire, moi en tête, ne le connait cet objectif, Commandant. Et une bande d’écumeurs des mers, eux, seraient informés ?

- Alors, Max ? Qu’en déduisez-vous ?

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- Alors, je ne vois qu’une seule explication à cette situation, des plus paradoxales.

- Vous pensez à… une taupe, n’est-ce pas ?

- Ne me dites pas que cette pensée, ne vous a pas effleurée l’esprit, Commandant ?

«  Oh que oui, qu’elle t’a effleurée l’esprit », me dis-je en ricanant intérieurement. «  Voyons un peu, comment tu vas t’en tirer, car tu en sais long toi aussi. Maintenant, je n’ai plus aucun doute à ce sujet ».

- Ce n’est pas, l’un de mes marins, dit-il, prenant un air offusqué. Ils ont été triés sur le volet.

- Nos hommes aussi, Commandant, fis-je mine d’entrer dans le jeu.

- Les miens, ont plus de dix ans de service, Lieutenant. Je connais leurs prénoms ! Il en est même parmi eux, de qui je connais celui de leurs enfants, c’est tout vous dire !

- Ah bien ! Je vois ! Vous me suggérer d’enquêter sur ceux, qui n’ont pas de longues années d’états de services, parmi nos recrues ? C’est à creuser, comme idée.

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- Eh bien approfondissez donc, Lieutenant. C’est la dernière fois, que je creuse pour vous.

Sur cette prophétie, que j’avais intérêt à enregistrer et à sauvegarder en mémoire vive, il dévala les escaliers qui conduisaient aux ponts inférieurs, sans même plus me calculer. « Marche ou crève », pensais-je. Mais je n’avais pas envie de crever. Et puis ? Me revenaient les images, de son flegme, lorsque nous étions en approche du Wind of Indies, en perdition. Un peu, comme s’il s’était attendu à le voir là ! C’était l’impression que j’avais ressentie, alors qu’il donnait ses ordres, pour l’aborder. Oui ! Il s’attendait à quelque chose dans ce genre ! Il ne démontra, aucune précipitation, n’émettant aucune appréciation personnelle, de la situation, qui se déroulait assez dramatiquement devant ses yeux. J’avais également en mémoire, le fait, qu’il m’avait adjoint, le digne représentant de la C.I.A, pour me rendre repêcher, trois infortunés plaisanciers. « Ça devient de plus en plus passionnant, cet imbroglio » pensais-je. « Nage, nage, mon petit Max. Tu ne sais pas où est la terre ferme, mais dans

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l’instant, l’essentiel est, de ne pas te noyer. Il sait très bien, que nous avons un ver dans le fruit. «  Ce n’est pas, l’un de mes marins », dit-il… Eh oui ! Il ne cherche pas, à disculper les siens. Il me met sur la trajectoire. Et Bernard ? Bien sûr, qu’il sait aussi. Le tout étant, de savoir depuis quand, Bernard sait », me dis-je, en suivant le pacha en silence. Mais, je commençais à mettre les pièces du puzzle à leurs places.

14 :00.

La salle de briefing, me fit penser à une classe scolaire, niveau terminale. La seule différence était qu’à la place du tableau noir, un écran de ciné avait été dressé, ainsi qu’un tableau blanc, sur lequel l’on pouvait écrire avec des feutres, qui s’effaçaient. Où s’arrêtera le progrès. Je jetais un regard blasé, sur la petite assemblée qui s’était réunie là. Bien sûr, il y avait Jean-Luc De Langlade, Yan Kowalski, Bernard, assis près du Colonel Mahersen, qui m’adressa un signe des doigts de la main droite, afin que j’aille

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prendre place à leur côté. Il y avait aussi, leurs adjoints les plus gradés, dont je vous dispenserai de les nominer. Et enfin, impensable que l’on ait pu l’éviter, nos trois membres de la C.I.A, vêtus d’uniformes de la marchande, impeccables. A la droite du Commandant, était assis près du bureau directorial, un Capitaine de Corvette aux cheveux gris, qui n’ayant pas levé les yeux, étudiait un dossier en rangeant les feuillets, avec une certaine fébrilité.

- C’est bon, Capitaine Corning ? Vous avez fini ? lui demanda le Commandant, visiblement exaspéré.

- J’ai fini, Commandant, s’excusa l’officier cartographe et navigateur, dont les joues s’étaient empourprées.

- Bien ! Bonjour Messieurs !

L’ensemble se leva, prenant la position du garde à vous.

- Bonjour Commandant, s’exclamions-nous, d’une seule et même voix.

- Repos ! Vous pouvez vous asseoir. Compte tenu du temps extérieur, il est impossible d’ouvrir les hublots. Alors la cigarette, en

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bandoulière. D’ailleurs, pour ce premier briefing, je ne vous tiendrais pas très longtemps. Voici le topo, débuta-t-il enfin son exposé. Les questions à la fin, souligna-t-il. Voici de cela un an pile, trois navires marchands français, cinq autres de diverses nationalités, furent sauvagement arraisonnés par des pirates, délestés de leurs cargaisons, des hommes furent tués, mais le pire… Un équipage entier disparut comme par enchantement, ainsi que le navire sur lequel ils servaient. Jamais aucun indice, ne permit de retrouver, hommes et matériel. Mais il y a mieux encore ! Je vais y venir. Notre Gouvernement, s’est inquiété de cette situation. D’autant plus, que le Canal de Suez étant fermé pour cause de conflit, la route maritime la plus fréquentée, se situe dans cette zone de l’océan indien. Le nombre croissant de portes containers, de pétroliers et j’en passe, a obligé les Commandants des unités, à emprunter une route maritime bien tracée au degré près, leur accordant toutefois une infime marge de décision individuelle, sur un trajet qu’ils affectionnent. Vous l’aurez compris, c’est pour éviter les collisions. Certains, se dirigent vers le Canal du Mozambique et

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font escale à l’Ouest de Madagascar, dans le port de Mahajanga, alors que d’autres préfèrent la côte Est, empruntant le trajet le plus long, car ils sont tenus de contourner Madagascar, n’effectuant de ce fait aucune escale programmée. Toutes ces flottes, convergent généralement vers l’Europe, se voyant tenus par la force des choses, d’affronter le Cap de bonne espérance, et de longs jours de mer, en longeant la côte Ouest de l’Afrique. Jusque-là, je ne vous apprends pas grand-chose. Donc, je disais que notre Gouvernement, s’est remué le popotin pour une fois. Les stratèges ont planchés sur un subterfuge audacieux, qui devait de toute façon, nous réunir tous, dans cette pièce. Seulement, nos alliés Américains, transmirent aux autorités françaises, des informations, que nous ne possédions pas. Il en est parmi vous, qui n’apprécient guère la présence de nos alliés américains, dans le contexte de cette opération.

« Là, je me sens directement visé ».

- Eh bien, se sont des ignorants ! Je vais de ce pas, éclairer leurs lanternes, espérant obtenir d’eux, la collaboration qui s’impose,

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sans aucun discernement. Inutile de réfléchir, vous obéissez à cet ordre ! Je souhaite m’être fait très clairement comprendre, dit-il, me foudroyant du regard.

«  Eh oui, c’est la saint con, bonne nouvelle, c’est ta fête », me dis-je encore, n’osant surtout pas sourire niaisement.

- Le jeune et impétueux Lieutenant Max Girard, à mit le doigt sur une évidence, reprit le Pacha. Quand il veut ? Il se surpasse.

« Bravo le double tranchant du compliment ».

- Mais pour que vous compreniez tous, il faut en arriver aux informations fournies par nos alliés. Une flotte pirate, parmi de nombreuses autres, qui sévissent en cette immense partie du monde, se livre au trafic d’armement lourd. Plus exactement, au transport et… bien évidemment, à la l’acheminement de ce matériel de guerre. Vers où ? Rien n’est encore officiel… Nous présumons que… Ici, nous avons à faire, avec des armateurs. De véritables

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professionnels de la mer, ne vous y trompez pas !

- Ils transportent ces… marchandises, dans un port Nord Vietnamien ? ne pus-je la fermer, avant de l’ouvrir.

- Je vous ai accordé le droit de parler, Lieutenant ? Ne répondez même pas ! ordonna le Pacha, qui réussissait péniblement à contenir les flammes de ses yeux, songeant que s’il les libérait, je serais carbonisé net. En effet, reprit-il après avoir retrouvé son calme. Cet armement, est destiné au Viêt-Cong, selon toute vraisemblance. Max Girard, bien inconsciemment, me force à l’avouer. Mais comme je l’ai souligné, ce sont des armateurs, qui possèdent une flottille de quelques unités. Le problème n’est pas là ! Qui sont les commanditaires ? Qui paye ? Raison pour laquelle, nous travaillons en étroite collaboration, avec les représentants du Gouvernement des U.S.A. On ne peut pas, mettre un terme à une activité criminelle, pour en laisser perpétrer une autre, en toute impunité. Sinon, très vite, le réseau démantelé se reconstituera, se démontrant encore plus

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prudent, à l’avenir. Ce qui ne servirait à rien, pour nos intérêts communs. Le Colonel James Lewis, ainsi que ses deux co-équipiers ici présents, sont comme vous l’aurez deviné, des agents spéciaux appartenant à la C.I.A, branche : « Tactics opérations, A.S.E ». Je traduis. Opérations tactiques, en Asie du Sud-Est… Ils sont là, en qualité d’observateurs et de conseillers techniques. Car l’originalité de notre mission en ces mers du sud, consiste à poursuivre, arraisonner et détruire, toute unité flottante, suspectée de se livrer à des actes de pirateries. Le cas échéant, ils dresseront un état matériel de ce qui se trouve dans leurs cales, avant que nous les expédiions par le fond. Nous ne pouvions engager la flotte de guerre, pour accomplir une telle mission, car trop visible. Le plus insignifiant pêcheur, qui s’aventure loin de ses côtes, donnerait vite l’alerte. C’est la raison pour laquelle, le choix se porta sur un vieux navire, ne payant pas de mine. Jusque-là, tout est clair ?

- C’est très clair Commandant, répondit notre porte-parole, en sa qualité de plus haut gradé, le Colonel Mahersen.

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- Bien ! D’autres questions ?

- J’en ai une, Commandant, intervint Bernard.

- Je vous écoute, Lieutenant Bertin.

- Nous-nous sommes portés au secours d’un voilier en perdition, me suis-je laissé dire ?

- En effet, Lieutenant. Quelle est votre question ?

- Non ! Ce n’est pas à vrai dire, une question Commandant. Juste une remarque ! Ils ont eu du bol, que nous n’étions pas très loin, non ?

« Tiens » ? me dis-je, « où est-il allé pêcher cette idée, mon cher et tendre ami ? Un écho a répandu la question qui se pose, jusqu’au fond de sa cale ? Plus je te regarde, mon Bernard, plus je me dis que tu en sais long ». J’éprouvais une sorte d’insatisfaction, mélangée à l’intuition qu’un tas de choses, ne cadraient pas avec la plus infime des logiques, ce qui me tordait les tripes.

Lewis et ses hommes, échangèrent un regard complice, ainsi que des sourires

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entendus. Puis, le malingre aux yeux noirs comme l’intérieur d’un tunnel ferroviaire, m’en adressa un, qui m’avisa, qu’il n’était pas lui non plus, étranger au malaise que je ressentais.

- Puis-je répondre à l’observation du Lieutenant Bertin, Commandant, dit Lewis en s’avançant près du bureau.

- Je vous en prie, Colonel.

« Tiens donc ! Gu-gus est Colonel ! Un ancien des forces spéciales, passé à la C.I.A ! Quel âge, peut-il bien avoir ? Voyons ! A vue de nez, la cinquantaine. Il s’est farci la guerre de Corée, puis le Viêt-Nam… Méfie ! C’est un dur ! Il me faudra jouer serré avec lui. Mais je t’aurai blaireau » pensais-je.

- Bien ! Lieutenant Bernard Bertin, n’est-ce pas ?

- Oui, mon Colonel.

« Et ce con, qui lui donne du « mon Colonel » ! Je t’en foutrais moi, du lèche bottes ! Le bouffeur de hamburger en rosit de plaisir ! Sacré Bernard va ! Tu veux le baiser en douceur ? Je te connais ma

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poule ! Quand tu lèches un cul, ce n’est jamais gratuitement. Alors ? J’ai l’esprit embrouillé, bon dieu ! Je regarde un film, et je ne comprends pas, un traite mot du script ! Que ça m’énerve » ! pensais-je encore.

- Vous êtes le patron, du staff technique ? C’est vous qui prenez grands soins, de notre indispensable submersible ?

- Affirmatif, mon Colonel.

- C’est votre devoir, n’est-ce pas ?

- Je l’accomplis scrupuleusement, mon Colonel.

- Je ne mettrais jamais votre… dévotion en doute, Lieutenant. Mais, vous êtes-vous posé la plus petite question, Lieutenant ? Quelle est la raison d’être, de ce submersible, à bord ?

- Il s’impose de bien souligner, d’un submersible allemand de la seconde guerre mondiale, mon Colonel ? Pour sûr, d’autres que moi, s’en seraient posés, des questions. Mais ce fut inutile, pour ce qui me concernait, depuis le début. Le tout début, je souligne, mon Colonel ! Dans le service

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auquel j’appartiens, nos supérieurs, nous ont demandés de plancher sur le problème, que génèrent les actes de piraterie, en cette partie du monde. J’ai élaboré un projet, qui se vit retenu. Bien avant, que vous nous proposiez votre aide, mon Colonel, spécifia-t-il. Par la suite, il était tout à fait normal, que ce soit moi, qui mette ce projet en œuvre.

« Ah ! Bernard se relâche ! Ainsi, ce projet est sorti de sa tête ! Ils sont malins, à Paris ! Mon cher ami, tu ne perds rien pour attendre, crois-moi », me dis-je, totalement affligé par sa révélation en public. Mais je pressentais, que derrière ce voile qui venait d’être levé, il y avait autre chose. Et maintenant, il aurait fallu que je sois complètement débile, pour ne pas avoir connaissance, des raisons de tous ces secrets.

« Ils savaient tous, que nous étions infiltrés, et… personne n’a réagi pendant qu’il était encore temps ? Ils ont laissé, libre champ au traitre ? Je n’ai que cinq semaines de stage dans le renseignement, mais cette façon de penser et d’agir, me laisse perplexe. Non ! Je suis outré ! A moins… Il

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y a un intérêt à ça ! Mais quoi » ? pensais-je, retenant mon souffle.

- Oh ! D’accord ! Vous ôtez mes illusions, qu’à la C.I.A, nous soyons informés de tout, dit Lewis. Il demeura un court instant silencieux. Pourquoi, lisais-je dans ses yeux, de la surprise, mélangée à de l’inquiétude ? Ainsi, il ne savait absolument rien, du concepteur de ce projet, et encore moins, de sa présence à bord ?

« C’est une opération combinée, ou bien, une partouze militaro-politique, dans laquelle je suis engagé ? Alors, je vais devoir serrer les fesse, et raser les parois de ce navire », pensais-je effaré.

- Cette attaque sur le voiler, n’est pas fortuite en effet, Lieutenant Bertin, reprit James. Ce naufrage, a été provoqué. Les intentions du bandit, demeurent floues, en cet instant. Mais nous ne tarderons certainement pas, à savoir ce qu’il veut.

«  Mon pauvre James, me dis-je. Tu ne sais pas lire, dans le regard amusé de mon ami. Tu ne lui apprends rien » !

- Ce qui, si vous me le permettez Colonel Lewis, nous amène droit à la conclusion du

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Lieutenant Max Girard, qui figure au rapport qu’il me remit suite à cet incident, reprit le Commandant. Je partage sa conviction que ces pirates, cherchaient un moyen quelconque, pour nous mettre des bâtons dans les roues. La chance voulut qu’un pauvre voilier de plaisance, navigue dans les parages, ce qui constitua une aubaine inattendue. Ils ont saisi cette opportunité. Max Girard et moi, nous sommes perplexes, quant à leurs intentions. Lui met en exergue, qu’ils cherchent à nous ralentir, alors que moi, j’affirme qu’ils cherchent à nous dévier de notre trajectoire initiale.

- Qui est  Commandant ? demandais-je, sans risquer de me voir cuire sur un barbecue, comme une vulgaire côte d’agneau.

- Nous allons patrouiller le long des côtes de l’Inde, jusqu’en Malaisie. Là, nous laisserons l’océan indien, pour pénétrer en mer de Java, par le détroit de SUNDA. Après, nous devrons agir, en regard des circonstances qui se présenteront. Mais à ce qu’il semble évident, ces plans, pourraient connaitre des imprévus. La

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présence de ce pirate sur notre route, en est un. Donc conclusion, vous voici engagés dans une opération combinée. Le choix de soldats non professionnels ? Il s’explique de lui-même. Je crois, qu’il est inutile de vous faire un dessin. Nous n’existons pas. Nous n’avons jamais existés. L’ensemble des professionnels composant l’équipage, a été versé dans le cadre de la réserve, tout comme les officiers détachés, pour la durée de cette mission. Nous avons laissé au coffre, nos pièces d’identité, les photographies de nos chers, et pris des noms d’emprunts. Ces précautions vous semblent démesurées ? Quelqu’un en haut lieu, a décidé, qu’il ne pouvait en être autrement. A l’instant où je vous parle, moi-même, je n’en connais pas la ou les raisons. Mais c’est ainsi, et nous obéissons.

«Nous n’existons pas ? C’est ça, compte là-dessus et bois de l’eau fraiche », pensais-je. « J’existe, pourvu que ça dure. Le choix de soldats, non professionnels hein ? Oui ! Depuis que j’ai débarqué en Afrique, cette question me taraude l’esprit. Trop d’explications possibles, pas assez de certitudes » !

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- Il est certain, qu’il s’avère plus simple, d’engager des non professionnels, sur pour le moins, un plan pratique Ils sont généralement autonomes, ils ne posent aucune question, ils sont spécialisés dans ces coups de mains. Mais néanmoins, cela peut générer, quelques inconvénients.

- Veuillez nous les épargner, Lieutenant ! m’interrompit le Commandant, me foudroyant du regard. Vous aurez le loisir, d’exposer ces quelques petites tracasseries, en compagnie de vos collègues. Venez-en au fait ?

« Oui ! J’ai compris ! Je n’irais pas plus loin, dans mon appréciation des risques. Tu tiens à ce que j’en parle, certes, mais en comité restreint ? Accordé » !

- Nous sommes des soldats professionnels, tout de même, Commandant, ne pus-je me priver de souligner. Disons que pour la plupart, nous soyons en rupture de contrat, comme vous venez de si bien le souligner. C’est plus juste pour ces hommes, que l’on expédia en terre inconnue, en leur faisant miroiter l’importance du gain, sans toutefois ne rien leur dire des dangers qu’ils devraient affronter. Mais vous allez

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me dire, que les mots « soldat en danger », c’est un pléonasme ? Je suis aussi de cet avis, Commandant, ajoutais-je assez sarcastiquement.

- Max Girard, dans toute sa splendeur éloquente. Veuillez m’excuser, pour avoir froissé votre susceptibilité, Lieutenant. Je ne recommencerai plus, c’est promit. Vous êtes encore officier d’active, merci de le souligner.

- J’appartiens aux forces spéciales, incorporé au service de renseignements, comme mon collègue Bertin. Je le précise, pour nos… amis, américains, qui semblent l’ignorer.

- Ce qui vous confère un net avantage, sur les autres officiers présents, spécifia la Commandant. Eux, ne sont pas d’active. Mais votre façon de voir, a du bon. Nous devons resserrer les rangs et… nous démontrer très solidaires les uns des autres. Si nous devons traverser l’enfer, nous tâcherons d’en sortir, grâce à un esprit d’égalité; de partialité, et surtout d’équipe. Aussi, plus aucune particularité. Sur ce navire, je ne vois que des combattants. Mahersen et moi,

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commandons. Vous êtes nos intermédiaires, pour l’exécution des ordres. Sur ce, à compter de cet instant messieurs les exécutants des basses œuvres, vos hommes sont placés en état d’alerte maximale. Lieutenant Girard, vous viendrez dans ma cabine prendre les consignes de sécurité, à appliquer sur le navire, en de telles circonstances, puisque votre position de gradé d’active, vous a désigné en qualité d’officier de sécurité bord. Ce qui fait très logiquement de vous, mon porte-parole, mais aussi, celui qui derrière moi, détient les pleins pouvoirs. Colonel Mahersen !

- Commandant !

- Vous prenez dès cet instant, toutes les mesures nécessaires, en regard des circonstances. Vous n’ignorez pas, ce que vous avez à accomplir.

- Reçu Commandant.

Franck se leva, visage hermétiquement fermé.

- Girard, Kowalski, De Langlade et Bertin, dans dix minutes au mess officiers. Vous enfilez vos tenues de combat. Dans l’instant, cette tempête nous empêche

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d’installer l’armement semi lourd, sur les superstructures du bâtiment. Dès que l’intempérie annoncée sera passé, De Langlade, vous-vous mettrez au boulot.

- Reçu Colonel ! répondit l’interpellé.

- J’ai terminé, Commandant ! dit Franck, reprenant place sur son siège.

- Bien ! Merci ! Le Capitaine Corning, va nous communiquer le point météo. Je vous laisse la parole, Capitaine.

- Merci Commandant, dit l’officier aux cheveux gris, se levant à son tour. Il consulta un court instant, une feuille de papier qu’il tenait dans sa main droite. Eh bien, reprit il, ce ne sera pas une croisière de tout repos. Dans les heures qui viennent nous devrions rencontrer un ouragan de force maximale. Il arrive, en provenance de l’Est, soit dit en passant, sur notre trajectoire. Nous n’avons aucun autre choix, que celui de l’affronter ou alors, de rebrousser chemin, vers Djibouti. Mais nous ne pourrions l’éviter, de toute manière.

- Ce qui s’avère inconcevable, intervint le Commandant, confortablement callé au

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dossier de sa chaise, effectuant des yeux, un balayage de l’assemblée. J’eus alors le sentiment profond, qu’il se régalait le bougre. Vous avez voulu goûter aux sensations fortes ? Je puis vous garantir, que vous allez être servis, question « montée fulgurante d’adrénaline », ajouta-t-il sur le même ton. Pour les drogués à cette réaction chimique, vous ne serez pas déçus du trip. L’essentiel fut dit. Nous anticiperons au regard des évènements futurs. Alors, soyez vigilants.

«  Hum ! Pas un traitre mot, sur la taupe », me dis-je. « Ce renard des mers, n’est pas le dernier des imbéciles. Je crois bien, que je commence singulièrement à l’aimer, celui-là ». Sur cette réflexion que je me fis du sujet, il nous invita à retourner à nos occupations. Mais toutefois, je n’avais pas dit mon dernier mot.

- J’ai encore quelque chose à dire, Commandant !

- Ah ? Eh bien, dites donc !

-Nous avons entouré cette expédition en mer, d’immenses précautions, en effet, dis-

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je. Mais… Ce ne fut pas suffisant, au regard des évènements.

- En effet, Lieutenant Girard, approuva le Commandant.

Je me gardais bien, de persister sur ce terrain glissant.

- Veuillez être bref, Lieutenant, m’ordonna le Commandant.

- Je le serai, Commandant. Il existe une troisième hypothèse, que nous n’avons pas envisagée. Le pirate, pourrait très bien, attendre le moment et le lieu propice, pour nous attaquer. Il n’est pas dupe de la météo, savez-vous ? «  Et toc », pensais-je. Disons, en un point guère éloigné de ses côtes de prédilection ? De plus, j’ajouterai si vous me le permettez, que l’arraisonnement de ce voilier, n’était certes pas… fortuit, comme le souligna si bien le Colonel James Lewis, mais que notamment, ce ne serait selon moi, aucunement un message, mais une incitation à ce que nous passions à l’attaque. Quelque chose, dont nous n’avons pas encore connaissance, les presses. Ils veulent en finir ! Dans ce

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contexte, ce serait bien plus inquiétant ! Cet ouragan, va épuiser les forces d’un bien grand nombre de nos hommes. Il faut tenir compte du fait, qu’il en sera de même, pour lui. Il a donc, une idée bien arrêtée derrière la tête. Alors ? Où veut-il, que nous l’attaquions ?

Un silence glacial se répandit dans la salle de briefing. Le Commandant, m’adressa le sourire d’un homme, qui parait convaincu.

- Je tiendrais compte de ces… judicieuses remarques, Lieutenant ! Soyez en bien plus, que simplement rassuré ! Avez-vous des liens de parenté, avec Einstein ?

- Heu ? Franck, ou Albert, Commandant ? répondis-je, déclenchant l’hilarité générale.

16 :00.

Le Colonel Mahersen nous reçut brièvement au mess, en tenue bariolée, son béret rouge posé règlementairement sur la tête. Béret, sur lequel était épinglé l’insigne de ce corps de mercenaires, se

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présentant sous l’aspect d’un aigle doré ailes déployées, tête fièrement levée vers le ciel, enfermant entre ses serres, une arbalète croisant un sabre de cavalerie, l’ensemble, entouré de deux épis de feuilles de chêne argentées.

- Lieutenant Girard, je vais vous demander d’abandonner sur le champ, cette attitude facétieuse qui vous personnifie. Auriez-vous des griefs à soumettre, contre mon unité ?

- Des griefs, mon Colonel ? Absolument pas !

- Je vous connais bien, maintenant, Max. Vous ne parlez jamais en l’air. Mais si ce jeu vous amuse, moi, il me fatigue. Je me fais comprendre ?

- Parfaitement, mon Colonel.

- Très bien alors. Mais pour le reste, vous avez fait du bon travail. Le Commandant, m’a remis un exemplaire de votre rapport, il y a un instant.

- Je n’ai rien fait, de bien sensationnel, Colonel. C’est de la logique pure, au regard des évènements.

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- J’adore la modestie ! Bon ! Il n’empêche que maintenant, nous savons où nous en sommes. Toutefois, de nombreuses questions se posent. Certes ! Notre présence à Djibouti, a très certainement suscitée des curiosités, à notre égard. La première question qui me vient à l’esprit est la suivante. A quoi rime le comportement des pirates ? S’ils pensent que nous sommes un banal bâtiment civil, pourquoi ne pas nous avoir attaqués ? Comme l’a si bien suggéré Max, attendent-ils un lieu propice ?

- Parce qu’ils savent très bien, que nous ne sommes pas, ce que nous prétendons être, Colonel, lâchais-je, regardant Bernard droit dans les yeux. Et puis, cette façon de nous expédier un message, me laisse perplexe, comme je n’ai pas manqué de l’indiquer ! C’est un peu, comme s’ils espéraient… une réaction, des murmures de coursives, par exemple ! Voyez-vous, ce que je veux dire ? Auraient-ils des micros espions à bord ?

J’avais le don, de provoquer ce genre d’atmosphère pesante. Le silence qui s’ensuivit, me convainquit que j’avais encore une fois, parfaitement créé l’effet

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bœuf escompté. Mahersen étala ses jambes, le fessier débordant de la chaise qu’il occupait, car pas moyen de se maintenir debout, avec le tangage et le roulis.

- Vous voulez dire que…

- Que nous avons un traitre à bord, Colonel ? C’est à envisager ! Sans quoi effectivement, ces pirates n’auraient jamais usés de subterfuge. Avec eux, il faut s’attendre au pire, pas à ce qu’ils… tergiversent. Ils ont donc, une excellente raison de pinailler. Ce qui nous indique, que nous avons une épine dans notre soulier.

- P…de bordel de M… s’exclama Mahersen, lui qui pourtant, était un homme plutôt économe de ce genre d’emportement. Je comprends mieux, vos sous-entendus, à présent. Le Commandant savait, Max ?

«  Hum ! Et toi, tu ne savais strictement rien. Tu n’es pas dans le coup, mon pauvre Franck », pensais-je.

- Eh oui, bien sûr, répondis-je. Nous en sommes arrivés à la même conclusion, avant le briefing. Seulement, le secret se

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doit d’être scrupuleusement gardé. Il m’a accordé le privilège d’en parler entre nous ou bien, celui que je me taise, justement en n’en faisant pas état lui-même, au cours du briefing.

- Vous allez enquêter Max ? demanda Mahersen, s’épongeant le visage à l’aide d’un mouchoir blanc, qu’il venait de tirer de sa poche de pantalon. Je ne l’avais jamais vu, aussi anxieux. Il y a un début à tout.

- Je le dois, mon Colonel. Chacun d’entre nous, nous sommes en possession des dossiers de nos hommes. Vous allez me remettre les vôtres, dis-je, m’adressant à mes collègues chefs de compagnies. Discrètement, par l’intermédiaire de Bernard. Et en mains propres, à ce dernier, soufflais-je, usant d’une intonation de voix, laissant planer le mystère. Je vais également rassembler les dossiers médicaux. Bernard, tu dois voir ta femme ce soir, ou bien, tu couches dans ta cale technique où, tu as établi ta seconde résidence ?

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- Je la verrai ! Tu veux que je me charge de rassembler les dossiers médicaux, sans éveiller l’attention ?

- Fais cela pour moi.

- Qui te dit, que ce n’est pas l’un d’entre nous, ici présent ?

- Voyons Bernard, tu vas vexer nos amis. Mon petit doigt me le dit.

- Tu vas trop loin Bernard, dit Kowalski.

- Quoi ? J’ai le droit d’émettre des doutes non ? Tu te sens visé Yan ?

- C’est bon, ça suffit, intervint le Colonel Mahersen. J’ai entière confiance en mes officiers, messieurs. Voici plus de dix ans, que nous guerroyons ensemble, sur la surface de tous les continents les plus chauds de cette planète. J’ajoute fièrement, que j’irais me battre dans l’espace, auprès de ces hommes, si demain on me le demandait. Débarrassez-nous au plus vite de… cette épine dans notre soulier, Lieutenant Girard.

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- S’en débarrasser ? Oh que non ! Ce serait la pire erreur que nous puissions commettre. Je vais… l’utiliser.

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Je restais seul au mess, tentant de remettre en ordre mes pensées embrouillées. Par où allais-je commencer ? Oui ! Les dossiers ! Mais qu’allaient-ils m’apprendre ? Que devrais-je chercher, qui puisse me mettre sur une piste ? Je n’en savais foutrement rien ! Je me disais, que j’allais passer des heures bien pénibles, à décortiquer ligne après ligne, des quantités de paperasse. En plein ouragan en prime ? Bonjour l’angoisse ! Je n’avais rien mangé. Personne, n’avait rien avalé. Je me souvins de ce besoin humain, en voyant revenir le chef cuisinier et ses acolytes, que nous avions chassé de leur minuscule cuisine.

- Nguyen, mon frère ? Tu nous as préparé quoi, dans tes marmites ?

- Pas marmite aujou0rd’hui, diên dâu. Tu vois tempête dehors ? Sandwichs ! Nếu

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không hài lòng, có được một số không khí trên boong.Bạn mở miệng của bạn, và bạn ăn và uống. 3

- Je ne comprends rien, de ce que tu baragouines ! Alors, bouges les deux grains de riz, qui façonnent tes fesses, et fais-moi un sandwich.

- J’ai petit sandwich ou grand sandwich. Toi, laisser moi faire ! Je vais faire grand sandwich, pour grande gueule, Lieutenant dactaé. Luôn luôn nói, luôn luôn la mắng nấu ăn nghèo.Nó không phải là lỗi của tôi mà cơn bão? Không tốt tiếng Pháp, tiếng Pháp, thằng khốn nạn! 4

- Sale communiste ! Tu veux que je te lise le petit livre des pensées de Mao ?

- Vas téter maman, si toi me parler ainsi ! Moi, pas communiste ! Pas Viêt-Cong ! Moi, de Saigon.

- J’entends de biens étranges échanges de mots ici, ouï-je une voix féminine, dans mon dos. Je fis face à la nouvelle arrivante, qui se cramponnait des deux mains à une chaise fixée au sol. Cette tempête m’hérisse les nerfs, reprit-elle. Quand j’ai les nerfs, je mange.

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- Deux gros sandwichs, oh bol de riz ! Et… fissa ! ordonnais-je au pauvre cuisinier, qui s’en fut dans son antre, jurant encore en0 Vietnamien. Je ne pus douter, que j’en prenais pour mon grade.

Jackkie finit par trouver la force, de s’asseoir.

- Vous avez un téléphone interne dans votre cabine, le savez-vous ?

- J’ai vu ça, Max. Mais un peu d’exercice ne fait aucun mal. Bien au contraire ! Voudriez-vous m’enfermer dans ma cabine ?

- Hum ! émis-je, venant prendre place à sa table. Ces hommes que vous croisez dans les coursives, n’ont plus approchés une femme, depuis quelques semaines. Vous voyez ce que je veux dire ? Je ne voudrais pas avoir à intervenir, pour régler ce genre d’incident. J’ai déjà assez de pain sur la planche, miss Wood.

- Oh ! Vous plébiscitez le ton officiel, Lieutenant ? J’ai une de ces peurs, si vous saviez ? Regardez-moi ! J’en tremble de tout mon corps. Mon papa ne m’a pas donné assez de fessées ? Peut-être, que

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vous aimeriez beaucoup vous substituer au juste courroux paternel, puisqu’il n’est pas là ?

«  Petite coquine, tu me cherches ? Tu ne sais pas, à qui tu t’adresses », pensais-je.

- Je dois avouer, que j’y prendrais beaucoup de plaisir ; dis-je, assez effrontément.

Elle enfonça ses yeux couleur émeraude dans les miens, ses lèvres m’offrant un sourire des plus sarcastiques.

- Je ne doute pas, que vous y prendriez beaucoup de plaisir. Allez savoir ? Je pourrais en prendre tout autant, savez-vous ? Qui vous dit, que je ne suis pas masochiste ? J’adore, quand on me fait mal ! Après, c’est sublime ! Mon sang boue, dans mes veines et…

- Cessez donc ce jeu, Jackkie. Je ne suis pas d’humeur badine.

- Je vois ça ! Qu’est-ce qui vous rend aussi mélancolique, Max ? Laissez-moi deviner ? Elle est grande, brune aux cheveux longs, svelte, des yeux à faire se liquéfier sur place, le cœur le plus sec, elle a dans les vingt-trois ans…

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- Vingt-deux ! répondis-je vertement. Vous ? Vous avez fait amie-amie, avec notre infirmière major, Soumaya Bertin, non ?

- Ah oui ! La charmante, la délicieuse Soumaya ! Pauvre femme, si esseulée au milieu de tous ces guerriers. Elle est belle femme, en plus ! Vous n’éprouvez aucune crainte pour elle ?

- Soumaya, est l’épouse de mon ami d’enfance, officier lui aussi à bord de ce rafiot. Les hommes savent à présent, que malgré les apparences témoignant de sa physionomie de gentil poupon, qui s’y frotte, s’y pique. De ce fait, Soumaya ne risque absolument rien. Et puis, elle est également officier. Ces hommes, respectent l’ordre établi.

- Je vois ! Vous n’auriez pas un poste où, au regard de mes capacités, je pourrais me voir nommée officier à mon tour, afin que je puisse profiter du peu de liberté, que confère ce navire ? Elle soupira profondément. Où allons-nous, Max ?

- Pardon ? Est-ce une rhétorique ou bien, est-ce une question ?

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- Quelle destination, pour ce navire ? Singapour ? Nous naviguons bien, en direction de l’Est ?

- Je vois que c’était là, une question formelle. Aucune destination, Jackkie.

- Bon ! Là c’est moi, qui vous demande bien pardon, de ne pas comprendre, dit-elle sourcils froncés, son visage révélant de l’anxiété.

- Eh bien, ce n’est pas très difficile à comprendre, vous allez vite l’admettre. Ce navire, qui pourtant possède une existence physique que vous pouvez palper, en fait, n’existe pas ! Alors, ne possédant aucune existence, dites-moi je vous prie où… il pourrait faire escale ?

- Nous avons été recueillis, à bord d’un vaisseau fantôme, c’est ce que vous dites ? Vous sortez de l’école du rire, Max ? Vous étiez major de promo ?

- Absolument pas ! C’est ce que j’affirme !

- Mais… vous avez pris nos passeports, pour informer notre Ambassade… Oh my god ! Elle avala péniblement sa salive.

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C’était du bluff ? s’exclama-telle, véritablement effarée.

- Je vous prie de bien vouloir m’en excuser, Jackkie. Je ne savais pas encore, comment vous présenter les choses. C’est stupide, je sais ! J’ai des ordres…

- Dites le franchement, vous nous suspectiez, n’est-ce pas ? Avons-nous le profil de redoutables contrebandiers ?

- Vos amis, ne sont pas francs du collier, si vous comprenez cette expression française.

- Elle ne m’est pas inconnue, ainsi que bien d’autres, dit-elle visiblement exaspérée. Dan et Carroll, sont certes des existentialistes un peu déjantés, mais ils ne sont pas tordus à ce point.

- Si vous l’affirmez, je vous accorde toute ma confiance. Eh bien ! Considérez-vous comme notre invitée, pour une durée indéterminée et… indéterminable. Désolé !

Je m’attendais à une crise de nerf. Mais j’en fus pour mes frais. Elle quitta sa place, se dirigeant vers l’une des baies vitrées de la grande salle du mess, qui donnait à bâbord. De grosses lames d’eau de mer, venaient

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s’y écraser. Malgré l’épaisseur des vitraux, Jackkie esquissa un mouvement de recul. Toutefois, elle se cramponna fermement à la barre anti tempête, son regard se perdant à l’extérieur. Je vins me positionner à sa droite, sans dire mot.

- Ce n’est pas de votre faute, Max.

- Je sais ! Mais je m’en veux tout de même. J’aurais dû vous dire, ce qu’il en était.

- Oui ? Dites-moi, ce que cela aurait pu changer ? Je vous ai dit, que j’étais une affidée du bateau stop, mais là, mes chances d’être embarquée à bord d’un navire marchand, étaient quasi inexistantes, non ? Nous aurions tous péris. Alors, ne vous fustigez pas ainsi.

- Sandwichs servis, nous informa Nguyen, s’empressant de disparaitre.

- Il est interdit de boire ? hurlais-je, à l’attention du pauvre cuisinier. J’entendis encore des jurons en Viêt, qui ne me dirent rien qui vaille.

- Vous le houspillez toujours ainsi ?

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- Bah ! C’est un jeu entre nous. Il sait très bien, que je l’adore. Allons manger, nous aurons besoin de forces, avec ce qui nous attend.

- Je croyais vivre le pire. Vous avez mieux en réserve ?

- Oh ! Pas plus terrible, que d’être coincés ici. Juste un petit ouragan.

- Espèreriez-vous, qu’il vous emporte loin d’ici, dit-elle en riant.

- Je suis lucide ! Je n’espère rien de plus, que nous en sortions indemnes.

- Vous me taquinez ? Non ! Je vois bien à vôtre expression, que vous êtes sérieux.

- Des plus sérieux, Jackkie !

Je lui pris le bras et durant un très court instant, l’on se fit face. Jackkie exhala un soupir à faire se fendre l’âme. Ses yeux ravissaient les miens, et son visage, illustrait une gravité à laquelle, cette impétueuse jeune femme, ne m’avait pas encore habituée. Je ne sais pourquoi, instinctivement, nos mains se joignirent. Peut-être, pour une question d’équilibre ? Il

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aurait fallu être insensible, pour ne pas ressentir son cœur battre plus fort, au bout de ses doigts. « Attention Max ! C’est une impasse, que tu confonds avec un large boulevard, bien éclairé », me dis-je.

- Venez donc vous restaurer, parvins-je à bredouiller. J’étais mal à l’aise. Un fantôme passa ! Il avait le visage de Nelly, qui souriait avec complaisance. Voulait-elle me dire : « Il serait temps, que tu penses de nouveau au bonheur » ? En fait, je tremblais de peur, maintenant.

Nous avions rejoint notre table, lorsque Nguyen déposa sur le plateau, deux coca-cola.

- Jolie dame, lui pas bon ! Lui, oiseau de malheur ! Boire coca, bon pour le mal de mer.

Jackkie le remercia d’un sourire, ce qui rendit très heureux le cuisinier, le faisant trottiner plus légèrement vers ses occupations, le visage radieux. Je l’accompagnais en riant affectueusement.

- Ainsi, vous avez fait la connaissance de Soumaya ?

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- Ce n’est pas vous qui avez ordonné, une visite médicale ?

- Ah non ! Absolument pas ! J’aurais dû y penser. Ce doit-être, de l’initiative du médecin chef, Edgar Fuller. C’est assez surprenant d’ailleurs. La couleuvre est sortie de son trou ?

- La couleuvre ? Je ne comprends pas !

- Trop long à expliquer ! Mais ce fut une excellente initiative de sa part.

- Eh bien voilà ! C’est grâce à Fuller, que je fis connaissance avec Soumaya.

- Et… en vous demandant de tirer la langue et de faire « a », elle vous parla de ce qui… me rend nostalgique ?

- Non, voyons ! dit-elle, m’offrant une moue enfantine. Elle m’a invitée à prendre un café. Puis, entre femmes, nous avons bavardé. Il y avait aussi ma compagne d’infortune, Carroll ! C’est interdit ça aussi ?

- Absolument pas ! Eh bien ! Vous avez discuté tricots non ? 

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- Bon ! Je suis rassurée, que ce ne soit pas interdit, car j’ai bien l’intention de recommencer, dit-elle, éludant ma remarque, tout en faisant battre imperceptiblement ses longs cils, jouant les ingénues. Voulez-vous que nous en parlions ?

- Que nous parlions de quoi ? Des interdits ?

- De celle dont vous avez autant la nostalgie ? Parfois, de libérer ce qui est enfoui au fond de nous, ça fait du bien. Je suis apte à vous écouter, savez-vous ?

- Effectivement, cela tuerait la monotonie des heures perdues. Et si nous parlions… foot ? Bon ! Ce n’est pas une excellente idée, à voir votre mine. J’aime bien, lorsque vous faites la moue ainsi.

Elle éluda encore la remarque, me regardant par en dessous ses cils, avec un sourire, qui me laissa entendre, que tout de même, elle appréciait.

- Je serais plus… portée sur le rugby, m’apprit-elle. C’est un sport National en Angleterre. Je ne crois pas, que vous soyez fou de foot. Je ne vous vois pas, vous

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exaltant au milieu d’une foule d’enragés. Vous ? Ce serait plus… les sports d’endurances. Vous avez fait de l’alpinisme, non ?

- Vous êtes psychologue ? Non par le saint esprit ! Vous êtes médium !

- Non ! rit-elle. Soumaya m’a dit, que vous aviez été Scout de France, et que ce que vous aimiez le plus, c’était l’Alpinisme. Vous voyez ? Il suffit d’être à l’écoute ! Alors ?

- Je n’ai pas grand-chose à dire. Disons que bien malgré moi, je me sois retrouvé prit, dans une spirale. Ou plutôt, ce serait plus approprié, dans un tourbillon infernal.

Je lui offris une cigarette, l’aidant à l’allumer. Elle fuma deux ou trois goulées, pendant que je me demandais la raison pour laquelle, j’en avais déjà trop dit.

- Ne vous arrêtez pas en si bon chemin, Max.

- A quoi bon ? Ce qui est fait, est fait. Plus rien au monde, ne transfigurera les choses. Nous-nous sommes séparés. L’histoire prend fin !

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- Je sais. Votre amie…

- Elle est énervante parfois, mon amie, m’emportais-je. Elle ne releva pas cette appréciation faite sur la colère. Plus exactement, puisque vous voulez tout savoir, j’ai dû faire un choix assez pénible. Je n’ai rien appris à faire d’autre, que ce… métier des armes. J’ai 23 ans déjà. Et puis… Oh zut ! Je ne sais pas vraiment, ce qui me traversa l’esprit. La peur du lendemain, sans doute ? Je suis parti !

- Ce sont des choses qui arrivent. Je dus également faire ce genre de choix, Max. C’était mes études, la carrière que j’aimerais entreprendre ou bien, un bon mariage, une splendide maison à Londres, une autre en Espagne, des enfants, un petit chien et tout ce qu’il faut pour être pleinement heureuse. Auprès d’un homme que je n’aurais jamais aimé, ajouta-elle précipitamment. Imaginez l’horreur ! En plein vingtième siècle, en un pays industrialisé, civilisé, il existe encore des mariages arrangés. Je vis ça, en Afrique et en Asie du Sud-est. Mais penser, qu’une telle chose, puisse encore exister en

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Angleterre ? Qui le croirait ? J’ai vite acceptée ce job.

- Si l’on vous forçait la main, je comprends votre choix de prendre la fuite, très loin de ce contexte en provenance d’un autre siècle. Moi, personne ne me forçait la main. Enfin ! Ce n’est pas totalement vrai !

- Je sais !

- Et si je vous parlais, de ce que vous ignorez ? Sacrée Soumaya !

- Bah ! On s’ennuie à mourir ici. Alors, les femmes blablatent entre elles. Dites m’en plus, maintenant.

Je la regardais avec une telle circonspection, qui je le compris, la mit très mal à l’aise.

- Laissez de côté, les questions que vous-vous posez à mon sujet, Max. Je crois véritablement, que d’en parler cela vous aiderait.

- Et… Vous tenez à m’aider ? Pourquoi ?

Sa gêne, devint presque palpable. Je me rendis très vite compte, que je n’avais pas le droit de l’acculer hors de ses

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retranchements. Il y avait bien trop de sincérité dans ses yeux.

« Bah » ! pensais-je. « Qu’est-ce que je risque d’essayer » ? Je me lançais.

- Je devais être affecté à Paris, au Ministère de la défense. Mais lorsque je suis arrivé à ma nouvelle affectation, j’ai été surpris que l’on me dirige vers un tout autre endroit. Direct, le centre d’instruction des forces spéciales, du service de renseignements des armées, dans la région Parisienne. J’appris plus tard, que je devais cette… promotion, à mon ami d’enfance, le mari de Soumaya. Tout avait été fomenté à mon insu. J’avais fait une promesse à Nelly. Celle de ne pas suivre les traces de Bernard, qui ne rêvait que de ce genre d’aventure, que nous vivons en ce moment. Placé devant un fait accompli ? Je n’avais plus qu’un choix. Celui de démissionner ! Mais je fus trop lâche. Cette lâcheté, me fit perdre Nelly. Jamais, cette fille, n’aurait subie, ce qu’endure Soumaya. C’était purement impensable, de seulement l’espérer. Et puis ? Je ne l’aurai pas voulu ainsi, pour elle. C’est pour moi… comment dire ? Une preuve d’amour ?

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- Je crois… la plus grande qui soit, en effet, Max.

- Alors, sachant que de toute façon, je l’avais perdu, comme je viens de vous le dire, je suis parti sans me retourner.

- Vous avez dit : « je fus trop lâche » ? Si vous aviez cédé à la tentation de tout abandonner, votre vie durant, vous-vous en seriez voulu. Je crois, que ce remord aurait portés tort à votre couple, Max. Vous-vous en seriez voulu ? Pas seulement à vous-même. A la longue, vous en auriez voulu à Nelly. Et puis, nous devons suivre un chemin de croix, pour nous forger une opinion éclairée, fondée sur nos expériences. Maintenant, vous ne pouvez que mieux voir les choses.

- Je me suis répété cent fois, les mots que vous venez de prononcer. Mais ce ne fut pas remédiant, pour autant. Pourquoi, est-ce que je vous raconte ma vie ? Vous ne pouvez rien faire.

- Croyez-vous ? Mangez donc votre Sandwich, Max.

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J’étais sous le charme. C’était indiscutable. Que s’était-il produit, sur cette chaloupe de sauvetage ?

3 Du Vietnamien : Dérangé de la tête. si pas content, aller prendre

l'air sur le pont. Tu ouvres bouche, et toi manger et boire.

4 Du Vietnamien : Grand blagueur. Toujours parler, toujours

gronder pauvre cuisinier. C'est pas ma faute, si tempête ? Français

pas bons, français, couillons !

17 :26.

Le haut-parleur, nous tira d’affaire. Comme l’on dit, « sauvés par le gong »… Sur la coursive extérieure, quelques marins, s’affairaient déjà à un travail ardu et risqué, consistant à fixer des plaques d’acier, venant totalement obstruer les baies vitrées. Ce n’était pas bon signe !

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- Attention, attention ! A l’ensemble de l’équipage ! Soyez très attentifs, hurlait la voix dans le haut-parleur. Service minimum, je répète ! Service minimum. Le personnel qui n’est pas de service en des zones vitales, pour la sécurité du navire, est convié à rejoindre ses quartiers de repos, et de s’y astreindre. Communiqué spécial, alerte ouragan. Attention, attention ! Zone critique, dans moins d’une heure. Je répète ! Zone critique, dans moins d’une heure. Vérification des accès. Portes étanches fermées, panneaux de protections des hublots, verrouillés. Maîtres d’équipage, au rapport. Terminé !

- Eh bien ? Rejoignons nos cabines, puisque les dés sont jetés, dis-je à ma compagne, qui regardait encore le haut-parleur, espérant sans doute qu’il allait la rassurer, en disant : « Poisson d’avril, on vous a fait une blague ». Mais l’engin de communications internes, demeura muet.

- J’ai imaginé un peu trop hâtivement, que vous en rajoutiez concernant cet ouragan, Max. Mais vous disiez vrai. Qu’allez-vous faire ?

- Maintenant ?

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- Oui !

- Je vais de ce pas, rendre une petite visite à mes hommes, histoire de leur remonter le moral. Le Commandant devra m’attendre, pour me remettre les ordres concernant la sécurité de ce rafiot. Ils en auront besoin, pour avoir la force d’affronter ça, couchés à même le sol, car se tenir dans un hamac, ce serait difficile et périlleux.

- Puis-je venir avec vous ?

- Tiens ! Ce serait une idée ! Vous réussiriez bien mieux que je ne saurais le faire, à leur remonter le moral. Enfreignons le règlement ? C’est ma spécialité !

- Compliment qui me va droit au cœur, Max. Vous voyez, lorsque vous-vous y efforcez ? Vous savez parler aux femmes.

- Je commence un apprentissage ! Il faut dire, que vous m’aidez bien.

Elle se mit à rire, me suivant dans la coursive. Les cabines encore ouvertes, l’équipage démontrait une certaine fébrilité. Un marin allait de logement en logement, criant le même ordre.

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- Contrôle des hublots et fermeture des panneaux de protection.

- Ça va chauffer Jackkie, lui dis-je, en lui prenant la main pour presser le pas. Il nous fallut une dizaine de minutes, pour arriver enfin dans l’entrepont « C1 », où logeaient nos hommes. Lorsque je pénétrais dans l’immense salle au plafond d’acier, bien trop bas, me forçant presque à marcher courbé, ils m’accueillirent par des cris amicaux.

- Eh Lieutenant ? Vous êtes venu nous apporter des cacahuètes ? Je me sens un peu, dans la peau d’un gorille, que l’on conduit loin de sa terre natale, vers un zoo.

- Je partage votre façon de voir les choses, Caporal Jensen.

- Houai ! Je vois ça, dit-il, apercevant enfin la radieuse jeune femme, qui me suivait de près, dans l’antre des bêtes fauves. Ça sentait le fauve ! Elle fut reçue, par un concert de sifflets et d’imprécations diverses, qui toutefois, n’osèrent pas se démontrer grivoises. Ils se méfiaient, les bougres. « Dire que sans doute, l’un d’entre eux est ma taupe », ne pus-je m’empêcher

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de penser, non sans éprouver un pincement à l’estomac. « Bah ! Qui vivra, verra » conclus-je, en mon fort intérieur.

- Eh bien, les gars. Je crois que nous y sommes, pas vrais ? dis-je à la cantonade, imposant le silence, avec des gestes de la main. Respectez bien, les consignes de sécurité. Allez faire vos besoins naturels au plus vite, et bougez le moins possible. Neptune nous offre un concert gratuit ! N’allez pas le vexer, en faisant la sourde oreille. Chaque note, possède une grande importance. Trois coups de sirène longs, et deux coups abrégés, signifient : Tous aux embarcations. Oubliez-ça et… faites une prière pour vos âmes ! Vous m’avez bien compris ?

Je lus dans leurs regards soudainement très attentifs, que le message était correctement passé. Je fis un tour d’aperçu, pour voir, si rien de dangereux ne trainait. Ils avaient fait le ménage.

- Vous avez déjà connu ça, Lieutenant, demanda un soldat, qui avait pour nom, André Rémy. Le tireur délite de la troupe !

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- Oui ! Dans ma baignoire, Rémy. Mais en cette époque-là, je pesais quatre-vingt-dix-huit kilos. Je ne vous dis pas les remous, lorsque je m’y plongeais.

Bon ! Cela les fit rire. C’était déjà bien, non ?

- Bonne chance, les gars. Mais ce n’est qu’un prélude. Le reste viendra bien à point, à qui sait attendre. Vous êtes impatients d’en découdre ? hurlais-je.

- Oui chef ! me répondirent-ils d’une seule voix.

- Moi non plus ! criai-je.

Un autre éclat de rire général, accueillit la boutade. J’avais atteint mon but.

Jackkie passa son bras sous le mien, leur adressant un sourire émerveillant. Elle était vêtue d’un jean, qui moulait parfaitement ses formes assez généreuses, d’une chemisette blanche à petit col, et d’un petit veston bleu ciel, à ras le nombril, qui ne permettait pas de camoufler une poitrine gonflée d’orgueil, sous ces tissus légers. Elle reçut une sacrée ovation ainsi qu’un autre concert de sifflets et, de quolibets,

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qui s’élevaient encore dans la coursive, alors que je l’entrainais très loin de là, avant d’avoir à réprimer une émeute.

- J’ai été bien ? me demanda-t-elle, un large sourire éclairant son visage légèrement ovale, aux pommettes hautes.

- Parfaite ! Je puis vous dire qu’à présent, vous-vous êtes fait quelques admirateurs, qui n’oublieront pas de sitôt, l’avènement de cet ouragan. Ils vont en rêver, qu’une telle intempérie se reproduise.

- Flatteur ou jaloux ? Je ne parviens pas à me faire une idée claire sur le sujet.

- Moi, un flatteur ? Marchez plus vite, Jackkie ! Les coursives sont vides, ce n’est pas un bon présage.

- Je fais ce que je peux, voyons, fit-elle mine de s’offusquer, manquant de peu glisser, alors que le navire s’inclinait sur l’avant. Je la retins à temps, mon bras l’ayant saisie par le creux des reins. Je forçais avec une telle vivacité, pour lui éviter la chute, qu’en la soulevant, elle se retrouva collée contre moi. Elle haletait, et je sentais son souffle court sur mon visage, ainsi que le parfum enivrant de ses cheveux, qu’un courant

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d’air malicieux, faisait virevolter. Elle se rétablit sur ses jambes, étroitement serrée contre moi.

- J’aurais pu me briser le dos, en tombant. Heureusement, que vous avez d’excellents réflexes, murmura-t-elle encore sous l’effet de la frayeur.

Nos lèvres, n’étaient séparées que par quelques misérables centimètres. Elle avait des yeux de biche apeurée. Mais était-ce de la peur ? Sur l’instant, j’éprouvais un doute légitime…

- Nous devrions filer d’ici, dis-je, reprenant mes esprits.

- Ce serait… plus prudent en effet, murmura-t-elle encore, détournant ses yeux des miens, Mais elle prit ma main, la serrant plus résolument. Non ! Ce n’était pas à cause de l’imminence d’une chute, qu’elle était tremblotante et moite, cette main. La pression de ses doigts par alternance, s’accompagnants de furtifs regards en coins, confirmèrent ce que je pressentais. Jackkie, venait de se faire violence, en repoussant le désir de s’abandonner à l’attirance, qui nous avait

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envahis en un dixième de seconde. Je me souviens d’avoir souris à cette pensée, oubliant presque, que des éléments d’une violence inouï, menaçaient nos frêles existences. Il fut moins difficile qu’à l’aller, d’atteindre le pavillon des officiers où, logeaient également, nos trois naufragés.

- C’est ma cabine, dit-elle. La numéro 6, vous voyez ? Mais bien sûr, vous ne l’ignoriez pas.

- Non ! Vous souvenez-vous que je suis à la 21 ? Mon hublot donne sur la proue du navire, en façade du château. Je ne sais pas, si quelqu’un aura pensé à fermer le panneau de protection.

- N’allons pas risquer d’embarquer des tonnes d’eau. Allez vite !

Je ne me le fis pas dire deux fois. Je n’avais pas atteint l’angle de la coursive, que jetant un coup d’œil derrière moi, je fus rassuré, que Jackkie avait déjà refermée la porte de sa cabine. « Ouf » ! Pensais-je. « Je viens de l’échappée belle. Qu’est-ce qui me prend à moi » ? Sur ce, ayant précipitamment ouvert la porte de la mienne de cabine, je la refermais aussi vite, la verrouillant à

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double tours. Je demeurais là un court instant, envahi par le souvenir de ce que je venais de vivre. Par bonheur, quelqu’un avait songé à boucler le panneau. Je pus enfin me détendre, en m’allongeant tout habillé sur la couchette. J’ôtais mon béret, que je balançais sur la chaise fixée devant un petit bureau, et me débarrassais de mon arme. Une pile monstrueuse de dossiers, semblait bien m’attendre sur ce bureau, enfermés dans trois cartons. Mes amis avaient fait fissa, pour m’éviter de me mourir d’ennuie ou de transes. Je me levais bougon, pour ranger tout ça dans le placard. Ce n’était plus le moment. J’éteignis la lumière, avec un seul désir, celui de dormir !

20 :15.

On frappait à ma porte ou bien, je rêvais encore ?

- Houai, houai ! criais-je, pour me faire entendre plus fort, que les mugissements

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assourdissants et fracassants du vent. Inutile de défoncer cette porte, j’ouvre !

J’ouvris ! Ce que je vis, me glaça le sang.

- Laissez-moi entrer, supplia Jackkie.

- Vous-vous êtes blessée au front ? Bon Dieu ! Entrez vite, l’invitais-je, lui saisissant la main, pour l’attirer à l’intérieur.

- Ce n’est pas grave, dit-elle, tentant de conserver son équilibre, alors que le navire plongeait et tanguait sur une mer, franchement déchainée. Ce n’est absolument rien, insista-telle. Vous entendez ce vent ? C’est horrible !

- Venez sur la couchette. Je dois avoir de quoi vous panser ici. Ne bougez pas !

Je tremblais intérieurement. La jeune femme, prit appuie, dos contre la paroi, croisant les bras, les enserrant entre ses deux mains. Son visage, exprimait encore une immense terreur.

J’ouvris le placard, avec beaucoup de difficultés, parvenant à me saisir d’une trousse de secours, tout en recherchant mon équilibre. L’exercice était périlleux.

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- Ce n’est pas grave, je vous ai dit, Max. Juste une petite estafilade.

- Laissez-moi soigner ça ! Les blessures à la tête, saignent beaucoup.

Je nettoyais la plaie, qui effectivement était bénigne. Une petite surface de pansement compressif, suffit à endiguer le saignement.

- Voilà ! Il n’en parait plus rien, à présent, dis-je, nettoyant le sang collé à ses cheveux, avec un gant de toilette, que je venais d’humidifier, dans la toute petite salle de bain attenante, me demandant comment j’y étais arrivé, et comment j’en étais revenu vivant.

- Je dois être lamentable à voir, non ?

« C’est bien les femmes, ça ! Nous sommes en péril, elle s’est blessée, mais elle pense à son apparence physique. Les époques, succèdent aux époques, mais les femmes ne changent pas. Elles évoluent en surface, mais en dessous ? Elles sont toujours en crinolines, dentelles et frous-frous ».

- Voyons ! Que vous est-il arrivé ?

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- Je suis tombée de ma couchette, dit-elle, baissant les yeux, honteuse. D’un coup, j’ai vraiment eue peur. Je m’étais endormie, mais après cette chute, j’ai entendu ce… ce vacarme, que produit la force phénoménale du vent, venant s’ajouter aux craquements sinistres de ce tas de ferraille, et je ne parvenais pas à me remettre sur mes jambes. La panique, s’est emparée de moi. Alors…

- Vous avez très bien fait, de venir. Etendez-vous contre la paroi. En tout bien, tout honneur, je vais venir près de vous. Soyez sans crainte ! A deux, nous-nous soutiendrons mieux, pour contrer les effets de cet ouragan.

- Je n’aie aucune crainte, Max. Bien au contraire, je me sens enfin rassurée. Je… Je me fais une raison, disons ! Si nous devons mourir ? Autant… J’aurais moins peur auprès de vous !

- Jackkie ! dis-je en émettant un soupir. Nous n’allons pas mourir ! Me faites-vous confiance ?

- Vous le dites avec tant de conviction, que… Oui ! Je vous fais confiance. Nous

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allons passer, une affreuse nuit, ce n’est rien de le dire.

J’ai essayé de rire, pour la rassurer. Mais moi-même, je ne l’étais guère.

- La place manque. Tournez-vous sur un côté, je ferais de même, ce qui nous en laissera plus. Cette couchette, est bien trop exiguë.

Je me tournais sur le côté gauche, côté cabine, elle en fit de même. Oui ! Elle avait eu peur. Qui n’aurait pas peur, en entendant ces craquements assourdissants en provenance du navire, qui émettait des plaintes, engendrées par la maltraitance qu’il subissait. A cela venait s’ajouter les hurlements stridents du vent, qui s’infiltrait dans les coursives, s’amplifiant d’autant plus, de leurs étroitesses. A cela, venait s’ajouter le tonnerre, et la pluie, qui cinglait le métal. Jackkie frissonna. Je sentais son corps chaud et frémissant contre le mien, malgré que nous ayons bien évidemment gardés nos habits. Son front vint s’appuyer sur mon dos, alors que sa main, en un premier temps, se posa sur ma hanche, avant que réflexion faite, elle

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l’entoure de son bras, se serrant plus encore.

- Ça ne vous gêne pas ? demanda-t-elle, craintive.

- Absolument pas. Prenez vos aises. Essayez de vous endormir, demain sera un jour meilleur.

- Optimiste, avec ça. Chercheriez-vous à me rassurer ?

- Que faire d’autre ? Comme vous l’avez si bien fait remarquer, lorsque je vous ai interrogé ici même, je suis un spécial bonhomme, non ?

- Vous avez bonne mémoire. J’ai dit ça, car c’est curieux, j’ai… Malgré votre aspect bourru et sarcastique à la limite du tolérable, vous m’avez fait une bonne impression. Je me suis dit, que vous sortiez de l’ordinaire. Et maintenant je sais, que je ne me suis pas trompée.

- Eh bien ? Quelque part, vous devez avoir raison, toute modestie préservée. Il faut s’extirper de l’ordinaire ou être totalement cinglé, pour suivre ce tracé de vie. Mais n’en doutez pas. Je me range moi-même, au

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niveau le plus banal de l’espèce humaine. Et mes sarcasmes Jackkie, sont une arme contre mes appréhensions.

- Je le pense aussi, dit-elle, caressant mon dos avec sa joue. Je me sentis soudainement envahis, d’une bouffée de chaleur telle, que ma langue se délia enfin.

- J’aimerai mettre un nom, sur ce qui m’arrive en ce moment. Je me sens transporté sur la surface des rapides d’un fleuve où, je serais tombé accidentellement. J’heurte les rochers, je me bats contre ces éléments en furie, cherchant à m’agripper aux branches qui jonchent les rives, mais lorsque j’en saisis enfin une, elle craque, car le bois est mort. Alors, elle se détache sous mes efforts désespérés, pour tenter rejoindre la terre ferme. Je n’en vois plus le bout. C’est l’un des cauchemars, qui hantent mes nuits.

Son bras, serra plus fortement ma taille. Elle m’écoutait, la respiration lente et régulière. J’avais réussi, à monopoliser son attention. Son front et sa joue, se laissaient aller, à l’expression d’autres caresses, qui n’étaient nullement inconscientes. Je mis cela, sur le compte de la prééminence du

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danger. « Synergie désinhibée » pensais-je. « Inutile de me poser trop de questions, sur ce que ressent cette fille. Mais pourquoi, bon Dieu ? Et surtout, pourquoi mon cœur bat aussi fort. Je me croyais immunisé, de tous sentiments », me dis-je encore.

- Vous… étiez très loin, d’une telle représentation de ma personne, n’est-ce pas, Jackkie ?

- Détrompez-vous, Max. Les femmes sont dotées, d’un sixième sens. C’est un don naturel, savez-vous ?

Elle marqua un court silence, laissant la parole aux éléments extérieurs.

.- Vous finirez bien par comprendre, et clairement définir vos objectifs, qui ceux-là, vous seront propres, compléta-t-elle ce qu’elle concluait, de son analyse.

- Vous considérez, que je m’égare ?

- Les choix que nous faisons dans la vie, ne sont jamais très simples. Il est dit, qu’il faut qu’au cours de nos existences, survienne un grand désordre, pour qu’enfin, s’établisse fermement un bon ordre. Qu’en pensez-vous ?

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- Que le désordre, dure depuis un bon moment. J’ai commencé à voir les choses ainsi, depuis trop peu de temps. Mais il faut dire, que certaines révélations, ont été brutales. Un homme sous les ordres, finit par totalement faire abnégation, de sa propre personnalité. Il existerait bien trop d’incompatibilités, si l’on s’écoutait soi-même. alors…

- C’est exactement ce qu’évoque votre cauchemar. Ne cessez jamais de lutter, pour saisir la branche salvatrice, Max. Mais je crois, que ce conseil est superflu, de ma part. Vous savez vous battre. Dès que je vous vis… Je ne sais pas l’expliquer… Ce fut… lumineux.

- Je devrais me fier, à ce que vous nommez, un sixième sens féminin, alors ? Je me précipitais à son secours, car cette hésitation à dire les mots, m’en disait long, sur ce qu’elle ressentait. J’émis un soupir, que je ne sus définir, s’il était d’aise ou bien de crainte.

«  Bon Dieu ! Ce n’est pas le bon moment, pour laisser naitre une idylle. Repousse cette idée, avec véhémence, si tu veux garder les pieds sur terre. Mais attention,

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de ne pas la blesser. Tu as déjà fait assez de mal ainsi », pensais-je.

- Dormez-vous ?

- Non Max ! J’écoute les battements de votre cœur. Cela me permet de ne pas entendre le reste.

- Maintenant, essayez de dormir. Vous sentez-vous, plus rassurée ?

- Je ne l’ai jamais autant été Max, murmura-t-elle. Je n’aie jamais crue, à l’instar de bien des femmes, aux prédilections des voyantes. Mais en cette nuit, je payerais cher, pour que l’on me présage l’avenir, dit-elle, avec une voix embrumée de sommeil. Je ne répondis pas, car qu’aurais-je pu dire ? Laissons s’accomplir nos destinées ? Dans l’instant, l’avenir ? Il était entre les mains d’un Dieu, vers qui, des milliards de prières s’élevaient dans toutes les langues, ce dernier, ayant débranché son sonotone ! L’Ouragan, ne semblait pas le craindre outre mesure. Quelques minutes plus tard, je compris que ma tendre compagne, s’était enfin endormie. J’ai fermé les yeux, tendant l’oreille, pour capter les battements de son cœur. Mais ce fut peine perdue. Dehors,

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l’enfer se déchainait, me ramenant à de douloureuses réalités.

10 février 1972, 06 :00

Elle dormait si bien ! Bon Dieu, qu’elle était belle, avec ses cheveux qui me firent songer à une cascade de filaments dorés, venant ruisseler sur ce visage aux traits encore juvéniles. Je quittais ma cabine, avec une pointe de regret tout de même. Nous avions survécus à l’ouragan. Toutefois, la tempête n’avait pas totalement faiblie, bien qu’au travers d’une baie vitrée de l’atrium divisant les coursives, je vis enfin le ciel, encore étoilé. « C’est bon signe » pensais-je. « Ils ont déjà enlevé les panneaux de protection ». Mes yeux s’émerveillèrent d’une vision inattendue, je dirais même hallucinante et captivante. Si l’on regardait en direction de l’Ouest, ce ciel était encore noir, de gros nuages menaçants, strié d’éclairs rageurs, reliquat de l’Ouragan, qui fonçait sur les côtes du continent africain. En direction du Nord, quelques étoiles tentaient de s’imposer à la

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levée du jour, alors qu’à l’Est, au-dessus de Sumatra et des îles de la Sonde, on pouvait déjà admirer les lueurs rougeâtres du soleil. Un contraste ébahissant. J’émis un soupir, un peu comme si je venais de déposer un poids bien trop lourd, que je trimballais depuis longtemps, reprenant la direction de la cabine du Commandant.

- Bien le bonjour Max, m’accueillit ce dernier, vêtu d’un simple jogging bleu ciel. Vous avez eu le temps d’avaler un café ?

- Non Commandant.

- Servez-vous, il est encore chaud, dit-il, me désignant un plateau petit déjeuné, posé sur son bureau, alors qu’il lisait un compte rendu météorologique, debout devant le hublot. Une tasse propre, m’apprit que le Pacha n’utilisait pas la vaisselle du bord. Je me servis et bus à petite gorgées, le breuvage, qui me fit penser à un jus de repasse. J’émis une grimace d’insatisfaction, qui fit sourire le pacha.

- Imbuvable hein ?

- Atroce, Commandant.

- Venez près du hublot, Max.

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J’accomplis les quelques pas, qui m’en séparaient.

- Prenez ces jumelles accrochées à la poignée de fermeture, et régalez-vous les yeux, en regardant l’horizon, en direction de l’Est. Mettez-vous légèrement à gauche du hublot, puis pointez en diagonale.

Je m’empressais de satisfaire à ses recommandations. Mais quelle ne fut pas ma surprise !

- Oui ! Oh ! m’exclamais-je.

- Vous l’avez vu ?

- Et comment ! Je peux voir d’ici, sa passerelle de commandement.

- Oui ! Le permanent radars, m’a informé de sa présence voici plus d’une heure. Il doit avoir eu aussi chaud que nous, en traversant cet ouragan. Ce n’est qu’un cargo, classe 56. Mais le voici, fidèle au poste. Alors ? Qu’en pensez-vous, Lieutenant ?

- Je ne vois rien, qui soit bien inquiétant sur ses ponts. Pas âme qui vive. Mais cela ne veut absolument rien dire, Commandant.

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Ce que j’en pense ? Vous connaissez mon opinion. Il attend son heure.

- Hum ! J’ai envisagé cette possibilité. J’ai immédiatement avisé le Colonel Mahersen, lorsque mes hommes m’ont informé de sa présence. Il a placé la compagnie d’assaut en alerte maximale, puisque l’ouragan, c’est déjà du passé. Bertin et ses hommes, sont sur le Seehund 5.

- Allons-nous l’arraisonner ?

- J’ai transmis depuis longtemps, l’incident fâcheux, à l’Amirauté. Lewis fit de même, auprès de l’Amirauté du Pacifique Sud. Nous attendons un développement de la situation, avec je l’espère, des renseignements plus… précis, sur cet éventuel danger, qui nous colle aux basques. Les renseignements que vous avez glanés auprès des naufragés, s’avèreront très certainement utiles. En attendant, le Lieutenant De Langlade va employer ses hommes, pour… discrètement, positionner aux points stratégiques du bâtiment, l’armement semi lourd. Voici le plan détaillé du navire Max, ajouta-t-il, me montrant un dossier cartonné, qu’il venait de prendre sur son bureau. J’ai marqué les

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lieux qui devront faire l’objet d’une sécurité renforcée. Et pas seulement ! Les ordres risquent de vous surprendre.

- Je me fais assez bien aux… surprises, Commandant.

- Oui ! Mais voilà…

Je compris son inquiétude, en lisant rapidement les points essentiels soulignés en rouge.

- Seulement, nous avons encore cette épine dans notre soulier ?

- En effet, Max.

- Si vous me le permettez, je vais mettre l’Adjudant-chef Declercq, sur cette mission de sécurisation du navire. Malgré sa complexité, en effet, dis-je, après lecture. De mon côté, je vais éplucher les dossiers personnels et médicaux, des recrues. Comme vous me l’avez suggéré, je vais éliminer d’emblée, ceux qui suivent Mahersen depuis dix ans, pour le moins. Ils sont nombreux !

- Avez-vous une infime idée, de ce que vous devez chercher, dans ces dossiers, Max ?

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- Absolument pas, Commandant. Je suis dans le brouillard total. Mais j’espère tomber sur un détail insolite. Un coup de bol. Toutefois, quelle autre perspective avons-nous ? Celle de rassembler tout le monde sur le pont et ordonner, « le traitre sortez des rangs » ?

Il rit, me tendant le dossier.

- Je compte sur vous, Lieutenant. Si l’Amirauté m’ordonne d’attaquer…

- Je comprends, Commandant. Je m’y mets immédiatement.

06 : 47.

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Les commandos de choc de Yan Kowalski, étaient rassemblés dans le mess de l’équipage, se situant au desk « A1 », jouxtant l’infirmerie au raz de pont du château central. La compagnie de De Langlade, s’affairait fébrilement à positionner des mitrailleuses 7/5 millimètres et 12/7 millimètres, sur les points les plus hauts et aux angles, des superstructures du navire. Je saisis au vol, Paul Declercq, qui discutait le bout de lard avec Yan, très remonté à cause du fait, que le petit déjeuné avait été servi pratiquement froid. J’avais d’autres préoccupations, que celle, de m’arrêter à cette ânerie. Yan le comprit à ma poignée de main glaciale et au regard noir, que je lui lançais. Il n’insista pas, s’en retournant auprès de ses hommes.

- Nuit agitée hein, Lieutenant ? J’ai vu le bandit, avec mes jumelles.

- Voici les zones stratégiques à couvrir Paul, répondis-je, lui démontrant mon empressement, en lui tendant le dossier.

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- Bien Lieutenant. Je mets les hommes au turbin.

- Faites-ça, au plus vite.

Il salua d’un geste sec, s’empressant à son tour de disparaitre. Je me payais le luxe d’une cigarette, pratiquement au même endroit où je me trouvais, au début de cette narration.

- Eh bien, Max ?

Franchement ? Ces femmes avaient le don de me surprendre. Mais cette voix douce, et cet accent du sud, ne me trompèrent aucunement. Je reconnus immédiatement, ma tendre Soumaya. De ce fait, je ne pris même pas la peine de me retourner, demeurant les coudes appuyés au bastingage, laissant mes yeux s’émerveiller des couleurs naissantes, qui accompagnaient la levée du jour.

La mer était encore un peu mouvementée et le vent, ne voulait pas cesser de nous chanter sa complainte lugubre. Mais pour le moins, il avait chassé les nuages. Le meilleur, du pire.

- Tu es matinale, Soumaya.

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- Tu veux dire, que je vais aller me coucher tard ?

- Oh ! Ne me dis pas, que tu as passé cette nuit affreuse, à ton poste à l’infirmerie ?

- J’ai huit blessés légers et un grave, parmi les hommes d’équipage. Trois des vôtres, six malades de mal de mer. Nous ne sommes que trois, à l’infirmerie. Le Maitre principal Rogue, Fuller et moi. J’ai passé cette nuit effroyable, à me cramponner à tout ce que je pouvais. Je peux t’assurer, que je n’aie plus du tout l’envie de faire du sport, ce matin. Dis-moi une chose ?

Je lui fis enfin face. Elle avait ses cheveux blonds cendrés, bien arrangés sous le bonnet blanc d’infirmière. Certes, ses traits étaient tirés par la fatigue, mais elle n’avait rien perdue de sa somptueuse beauté. Ses yeux bleus foncés, pétillaient de malice.

- Quelque chose te tracasserait-il, ma chère Soumaya ?

- Hum ! Bernard est venu rafler tous les dossiers médicaux. Tu le connais, n’est-ce pas ? Comme à l’ordinaire, les explications furent assez… vaseuses. Est-ce normal, qu’un officier du staff technique, s’intéresse

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autant à l’état de santé des hommes ? De tous les hommes, je précise !

- Tu es fatiguée, non ?

- Et alors ?

- Alors, je serais navré de te réquisitionner. Sérieux ! J’ai besoin de toi, sur ce coup-là.

- C’est… si important ? Non ! C’est vraiment grave, je le vois à ton expression presque suppliante. Ce n’est pas, le Max que je connais.

- Très grave, Soumaya. Si grave, que je ne puis même pas t’en toucher mot ici.

5 Seehund 127 : Submersible Allemand du III éme Reich, conçu

pour embarquer à son bord, un personnel réduit et seulement deux

torpilles balistiques.

Elle se mordit la lèvre inférieure en signe d’intense réflexion. Je savais, qu’elle ne pensait pas à sa fatigue, mais à ce que je venais de lui révéler.

- Tu sais, que tu peux compter sur moi, Max. Où allons-nous ?

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- Dans ma cabine.

- Oh ! s’exclama-t-elle, avec une expression friponne, sur son beau visage berbère. Une proposition indécente, avant le petit déjeuné ? Je te remémore, que je suis l’épouse de ton meilleur ami.

- Oui ! Cela lui ferait le plus grand bien, de rayer le plafond de sa cale, avec une belle paire de cornes.

- Je vais y songer ! Tu seras le premier sur la liste, dit-elle, amorçant un demi-tour d’une gracieuseté digne, de Marylin Monroe.

07 :00.

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La surprise de mon amie, se lut sur son visage, lorsque ayant ouvert la porte de ma cabine, elle y pénétra, tombant presque nez à nez avec Jackkie, qui durant ma courte absence s’était réveillée, entreprenant au saut du lit, un grand ménage.

- Eh bien ma chère, dit Soumaya. Si je m’attendais…

- Oh ! Ce n’est pas ce que vous croyez, répondit la pauvre Jackkie, dont le visage devint rouge de confusion.

- Qu’avez-vous au front ? demanda Soumaya, apercevant un peu tardivement la légère coupure, le pansement étant tombé durant la nuit. Elle fit deux pas en avant, prenant le visage de Jackkie entre ses mains, afin de voir l’étendue de la blessure. Puis, elle lui passa ses doigts sur le visage, pour l’apaiser, lui souriant avec la tendresse d’une grande sœur.

- Rien de grave ! Comment vous êtes-vous fait ça ?

- Elle s’est cognée lors de l’ouragan, dis-je, volant au secours de la jeune femme, qui ne

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savait vraiment plus quelle contenance prendre. Elle reprit son balayage du sol avec frénésie, m’adressant un message muet, du bout des lèvres, que je compris et qui me fit sourire. Soumaya fronça les sourcils, en rajoutant de plus belle.

- Qu’est-ce qui vous arrive à tous deux, dit-elle, nous regardant par alternance. Oh ! Vous la jouez mal, la comédie de l’innocence.

- Ben quoi ? Nous avons dormis ensemble où est le problème ?

- Max ! s’écria Jackkie embarrassée.

- Quoi ? Autant lui dire la vérité, car vous ne la connaissez pas. Elle va vous harceler, jusqu’à ce que vous lui disiez, ce qu’elle veut entendre. La curiosité Méditerranéenne ? C’est quelque chose de redoutable, vous allez voir ! Bon ! C’est dit, ce n’est plus à dire.

- Si vous voulez, répondit Jackkie, comprenant le principe du jeu, avec un peu de retard.

- C’est ça, mesquine ! Donne de moi, l’image d’une Chaouia des montagnes, qui

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vient de débarquer en ville. Eh bien mes cocos, vous pourrez inscrire la date de cet ouragan, sur le calendrier, conclut Soumaya en riant.

- Bien ! Maintenant que tu es convaincue, si l’on se mettait au travail ?

- Parce que… Oh ! Tu m’as encore bluffé hein ? dit-elle, en m’adressant une grimace, se voulant une promesse de vengeance.

- Vas savoir ? répondis-je énigmatiquement. Jackkie, vous souvenez-vous où se situe le mess ?

- Bien sûr, Max.

- Laissez tomber, le seau et la serpillière s’il vous plait, et allez demander, à ce cher Nguyen, un grand broc de café bien chaud, des petits pains, du beurre, et pour abréger, tout ce que vous pourrez chiper qui se mange.

- J’y vais en vitesse. Nous sommes tous morts de faim, je le constate, dit-elle en riant, histoire de détourner l’attention, ainsi que les questions, qui se lisaient dans les yeux en formes d’amandes, de ma tendre Soumaya.

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La jeune anglaise partie, mon amie me regarda droit dans les yeux, avec un sourire, qui exprimait ses pensées.

- Tel que je te connais ? Cette fille, n’a pas dû souffrir du passage de cet ouragan.

- Alors, tu me connais mal, ma chérie…

Le poing fermé sur ses lèvres, elle me regarda longuement en silence, les paupières plissées. L’avais-je convaincue ?

10 :47.

Soumaya dans son coin épluchait les dossiers médicaux, de tous ceux qui n’avaient pas pour le moins, dix années de service auprès du Colonel Mahersen. Mais

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les officiers de la compagnie « A » et « B », nous avaient expédiés l’ensemble de ces dossiers en vrac, et Bernard, avec les dossiers médicaux, n’avait pas dérogé à la règle. Par bonheur, ceux de son petit staff, eux, étaient bien classés.

Mon amie, n’avait pas tressaillie, lorsque je lui avais dressé le tableau plutôt inquiétant, de la situation. Elle s’était mise immédiatement au travail, buvant son café et mangeant ses tartines, sans lever les yeux de cette quantité impressionnante de paperasse. De mon côté, je revoyais un à un, les dossiers individuels des recrues. Ils révélaient presque tout de leurs historiques. La notation des valeurs, et un court rapport psychologique, s’attardant sur le trait de caractère, les performances et états de services de leurs périodes, effectuées dans l’armée régulière. L’ensemble s’était vu agrémenté d’appréciations des sous-officiers de compagnies, qui ces dernières s’étaient vues structurées, sous l’égide de Bernard, et du Colonel Mahersen, à Bulawayo. Mais en fait tous ces bla-bla, ne m’apprenaient absolument rien de nouveau, mis à part, qu’ils me permettaient d’effectuer le tri et

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d’écarter, les plus anciens. Les officiers, instruisaient indépendamment les uns des autres leurs hommes, mais nous-nous devions de dresser un rapport commun, nommé « côte d’amour », qui nous permettait de bien connaitre l’ensemble. Il s’imposait de tout prévoir, car un officier, n’est pas immortel.

- Une petite chose Max, dit Soumaya, se levant de la couchette avec un dossier en mains. Sans redresser la tête, absorbée par ce qu’elle lisait, elle s’avança près du bureau où Jackkie et moi, étions affairés. J’avais demandé à la jeune femme, de ranger les dossiers que je venais de lire, par compagnie et ordre alphabétique, car j’avais horreur du fouillis.

- Tu as vu quelque chose ?

- Non justement, quelque chose brille par son absence.

- Eh bien ! Ne me fais pas mûrir, sur ce poirier. Je veux descendre encore vert !

- Dans ce dossier, un résultat de l’examen sanguin, a été vraisemblablement égaré. Ce n’est pas normal.

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- Etrange, en effet ! A qui appartient ce dossier ?

- C’est un certain… Erich Schtröbe !

- Schtröbe ! Compagnie « B », section II. Il est avec De Langlade. Le résultat sanguin, en dit des choses sur un sujet, non ?

- C’est sûr ! J’ai bien évidemment lu le tien par exemple. Je sais, que persiste dans ton sang, des traces de cette vieille malaria, que tu as contractée au Tchad.

- Autrement dit, coupais-je Soumaya, l’historique des déplacements du bonhomme, en ce vaste monde. Jackkie, aidez-moi à rechercher son dossier, dans la pile de la compagnie « B ».

- Je l’ai, je l’ai, s’exclama-t-elle, me le tendant. Je le lui pris des mains, recherchant parmi les pages dactylographiées, les divers engagements du nommé Schtröbe.

- Mais ce gars-là, avant cet engagement, était un puceau ? m’exclamais-je ravi.

Je lus, que c’était son tout premier contrat. Que faisait-il avant ? Feldwebel (Adjudant)

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dans l’Armée de terre de la R.F.A, à Baden-Baden, pour sa dernière affectation, détaché à Berlin Ouest, pour raison de service.

«  Tiens, tiens, ma poule ! Ainsi, tu as fait le mur de la honte » ? pensais-je tout excité.

- J’ai passée tous les autres en revue, dit Soumaya, sans rien relever de particulier. Sans doute un oubli du médecin, qui pratiqua les visites d’aptitudes ?

- Dommage qu’ils n’inscrivent pas leurs noms, ces toubibs. Mais…

Je me levais, prenant le combiné téléphonique en main.

- Mais je vais savoir, dis-je. Le standard me répondit immédiatement.

- Mettez-moi en communication avec le poste 12, s’il vous plait, ordonnais-je poliment.

J’entendis la sonnerie. Puis, mon interlocuteur décrocha.

- Mon Colonel, bonjour. C’est Max à l’autre bout du fil.

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- Ah oui, bonjour Max. Vous avez du nouveau ?

- Je ne sais pas, mon Colonel. Vous allez m’aider peut-être. Je lui expliquais ce que Soumaya avait découvert.

- Hum ! émit-il, laissant filtrer sa perplexité et son inquiétude. Ecoutez Max ! Je monte de ce pas à la passerelle, d’où je pourrais utiliser la ligne téléphonique sécurisée. Cette embrouille-là, il y a quelque chose qui ne va pas. Le Docteur Fuller, ne s’est rendu compte de rien ? Et a Bulawayo non plus ? Impensable !

Je posais la question à Soumaya, qui écarta les bras en signe d’ignorance.

- Apparemment, si le gars ne fit pas appel au médecin durant la période d’instruction en Afrique, puis à Djibouti, ou à bord, ce n’est pas Fuller, qui allait chercher le poil dans l’œuf. Une visite médicale obligatoire et complète, ayant été effectuée ailleurs… Vous le connaissais bien, maintenant. Moins il en fait, mieux il se porte.

- Houai ! Mettez ce dossier au frai, Max. Je vous rappelle !

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- Je ne bouge pas, mon Colonel.

Je raccrochais, laissant ma main sur le combiné, perdu dans mes pensées.

- Que va faire Mahersen ? demanda Soumaya, qui avait pris l’initiative, de nous servir un café.

- Je pense qu’il va appeler leur coordinateur de missions, à Bruxelles. Ces gens-là, me font penser à une secte, tu sais ? Rien ne peut leur échapper. Attendons, nous, les pauvres militaires de carrière.

- Qu’est-ce qui vous fit entreprendre ce périple Soumaya, demanda Jackkie, en touillant le sucre dans sa tasse de café.

- Mon mari, c’est évident non ?

- Vous êtes militaire, vous aussi ?

- J’ai signé un engagement long. Je suis infirmière militaire.

- Oui je comprends ! Il a pris sur lui une grande responsabilité, votre mari, d’accepter que vous le suiviez dans… dans cette… aventure périlleuse.

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- Non ! J’ai pris cette lourde responsabilité de le suivre, Jackkie. Une épouse se doit d’être en toutes circonstances, auprès de son mari. Enfin ! C’est en tous cas, ce que l’on nous inculque dans ma culture. Je suis d’origine kabyle et Musulmane de confession, vous l’aviez compris je pense ?

- Oui ! répondit la jeune anglaise, qui visiblement comprenait, mais ne parvenait pas à cacher son aversion, pour le comportement de Bernard, à qui elle imputait une inconvenante légèreté, avec la vie d’autrui. Toutefois son regard m’apprit, que son opinion variait du tout au tout, avec celle de notre chère Soumaya, et qu’elle aurait pu la blesser, en disant le fond de sa pensée.

- L’état-major, a tranché, vins-je au secours de mon amie. Nous avions besoin d’infirmiers qualifiés. Ces gars, commandés par Mahersen, ont ce qu’ils nomment des infirmiers, mais… On peut compter sur eux, sous le feu. A l’entrainement, puis avec l’évolution des choses, deux bons infirmiers, ce n’est pas de trop. Soumaya, s’est portée volontaire. Bien évidemment, elle ignorait tout, de la complexité de la

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mission. Comme bon nombre d’entre nous, d’ailleurs, je le souligne, avec une certaine amertume.

- Même si j’avais eue connaissance des tenants et aboutissants, cela n’aurait rien changé, dit Soumaya. Vous me semblez ignorer beaucoup de notre culture, Jackkie.

- Oui, je dois l’avouer, je ne sais pas grand-chose ! Mais culturellement, Bernard et vous, vous êtes très différents. Votre mari, croit-il en Dieu ? questionna Jackkie, très attentive.

- Il est athée, et je ne suis pas, une islamiste intégriste. Il est… entier et passionné. Mais le spirituel le dépasse.

- Je ne le connais pas. Mais pour le peu que je le vis, il me fait la nette impression, d’être comme un poisson dans l’eau, au sein des fonctions qu’il occupe. Tout cela, il l’entreprend un peu, comme un jeu. Ce n’est pas un jeu, Soumaya.

- Peut-être oui ! Vous l’avez assez bien observée. Mais ce fut sans doute, ce qui faisait défaut à ma vie. Il est… aventure et bohème. Vous connaissez, la chanson de Dalida ? « Tu es romantica, aventure et

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bohème » ? J’avais acquis la liberté d’expressions, par la force de mes poignets. Ce ne fut pas toujours simple, pour une fille, dont les origines, sont issues d’un monde, qui exclut l’évidence, qu’une femme ait le droit d’expression. Mais je ne savais pas encore très bien l’utiliser, cette… liberté. Il se démontra un excellent professeur, et d’une extrême patience ! Alors un tel homme, une femme aimante, le suit jusqu’en enfer.

- Il vous a libérée ? dit Jackkie, avec une légère pointe de sarcasme.

- Disons qu’il me permit de faire des choix, répondit Soumaya, à qui le sarcasme de Jackkie, n’avait pas échappé. C’est assez compliqué à expliquer. Je savais ce que je voulais dans la vie, et je m’attachais à réussir. Mais ! Je vivais des périodes de doutes, que je ne souhaite à personne. Je m’efforçais à penser que tout était normal, dans mon proche environnement. Mais je savais que c’était faux ! Et si je l’oubliais un court instant ? Nombreux étaient ceux, qui avec intention de blesser, ou par pure stupidité, se chargeaient de me remémorer les différences. C’était un combat, au sens

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le plus pur du mot. J’avais besoin d’un coach, si vous voyez ce que je veux dire. Car je ne connaissais pas, un seul instant de répit. Avez-vous déjà eue l’impression, d’être encerclée, par des ennemis redoutables ?

- Je… Je crois, oui ! Pour le moins, une fois, répondit Jackkie, cherchant mon regard.

- Bon ! Alors, vous allez comprendre. Ce fut l’amour qui me libéra, Jackkie ! Et hélas, l’amour a un prix à payer, quoi qu’il en coûte ! Je me suis rendue compte, depuis mon plus jeune âge, que nous étions tous prisonniers de quelque chose ou, de quelqu’un. Alors, il s’impose de choisir sa prison. Elle n’est pas très dorée, la mienne non ? Mais je ne demanderais jamais mon transfert, pour tout l’or du monde ! Je l’ai aménagée à mes goûts, avec l’appui et les conseils judicieux, de mon geôlier. La porte est ouverte, Jackkie. Je pourrais m’enfuir, de jour, comme de nuit. Mais non, voyez-vous ? Et je considère, que justement, c’est ça, la liberté…

- Vous avez plus de caractère que certaines autres femmes, dit Jackkie, alors que ses yeux cherchaient encore les miens.

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- Je vois ce que vous voulez dire, Jackkie. Chaque individu à son histoire. Cette histoire forge un caractère ! Pour vous faire une comparaison, je n’aie plus peur de souffrir ! Mon amie Nelly, puisque c’est à elle, que s’adressait votre allusion, éprouvait beaucoup de peine à l’idée de souffrir à nouveau. Elle dû surmonter bien des drames. Je la comprends ! Et puis vous savez ? Elle n’en veut à personne, car elle sut interpréter les évènements. En vérité, si cela peut te rassurer Max, dit-elle s’adressant à moi, elle sait que tu entrepris tout ce qui était possible, pour lui éviter le pire. Elle n’aurait pas survécu, dans une quelconque prison. Même dorée…

- Merci, de tenter me disculper, dis-je. Elle a versée beaucoup de larmes. Je n’avais pas le droit de lui demander, un plus de sacrifices encore.

- Vous-vous l’êtes mutuellement imposés, ce sacrifice, dit Soumaya, émettant un soupir chargé de regret.

- Personne n’y échappe totalement, Soumaya, dit Jackkie. Quelle que soit notre vision de l’existence, les évènements que nous ne pouvons prévoir, ni contrôler et ils

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sont légions, nous conduisent le plus souvent, à verser des larmes. A moins, d’être totalement insensible. Ce n’est pas Max et Nelly, qui pourraient infirmer cette évidence. Je vous prie de m’excuser d’avoir été, comment dire… sarcastique, et bien trop ignorante ? Je comprends mieux à présent.

- A la bonne heure ! Mais je ne vous portais aucun grief, savez-vous ? Chacun a droit à son opinion ! L’essentiel n’est autre, que cette opinion soit fondée. Regardez bien autour de vous, ma chère Jackkie. Que voyez-vous ?

- Ce que je n’aurais très certainement jamais osée imaginer, lorsque j’étais en Angleterre, répondit la jeune femme, sans même prendre un court instant pour réfléchir à la question. Des choses, que Monsieur et Madame tout le monde ignorent, par laxisme, par égoïsme, ou tout simplement, par inaptitudes à comprendre leurs semblables, poursuivit-elle, dans son raisonnement. Peut-être par peur aussi, de voir les réalités bien en face ? Heureux les borgnes, car au royaume des aveugles, ils sont rois ! Depuis un an, j’ouvre les yeux

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sur ce monde. J’éprouve un mélange de craintes et de vives excitations, au-devant de chacune de mes découvertes. Mais aussi, comment dire ? Eh bien, je me sens en accord, avec moi-même. Je suis en symbiose avec mon âme, à chacune des actions que j’entreprends, et qui m’apportent une grande satisfaction et d’innombrables connaissances. J’existe, je palpite et… je me dis chaque jour, que ma vie à un sens.

- Je comprends, ce que vous ressentez, Jackkie. Vous devez être bien malheureuse, de ne pouvoir poursuivre votre quête de savoirs, demanda-t-elle, sourcils froncés. Je connaissais, cette expression. Ma chère et tendre amie, l’attendait au tournant. Que lui réservait-elle ?

- Malheureuse, n’est pas le mot, répondit Jackkie. Je ne sais pas où nous allons, je ne veux pas le savoir. Je vis cet instant ! C’est étrange, n’est-ce pas ? Mais mes peurs se sont envolées, alors que je posais mes deux pieds, sur le pont de ce navire.

- Etrange ? Absolument pas, Jackkie. Je viens de vous dire, que je connus d’innombrables frayeurs, seule, face à face

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avec une existence, qui me contraignit à me battre avec plus de férocités que les autres. Tenez ! Regardez-moi bien ! Que voyez-vous ?

Jackkie fronça les sourcils. La question l’avait surprise.

- Je… Je vois, une ravissante jeune femme…

- Merci pour le compliment, il me va droit au cœur. Blonde, élancée, avec de magnifiques yeux bleus foncés, poursuivit Soumaya, avec un sourire pincé. Je pourrais être, anglaise ou scandinave, non ?

- Oui, c’est vrai. Vous pourriez être nordique.

- Je suis Arabe ! dit-elle en riant. J’en ai entendu, des quolibets, sur mes origines. Tenez ! Le plus significatif, personnifiant la connerie humaine : « Oh mon Dieu ? Vous êtes Arabe ? Eh bien ! Vos compatriotes, devraient prendre exemple sur vous ». Je répondais : « Je ne suis pas un exemple, savez-vous ? Et… je ne tiens pas, à l’être… Je suis moi-même ! Les autres, comme vous les nommez ? Ils peuvent aussi, devenir… « eux-mêmes ». Il suffit de leur accorder le crédit, qu’ils en sont capables, et quelques

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moyens. Je ne crois pas, que ce soit pour demain la veille, qu’on leur accordera ce crédit. Ni les moyens, d’ailleurs ! Alors, à qui la faute ? Ah oui, je comprends ! Moi, je suis blonde aux yeux bleus, « zouina », comme on dit chez-moi. Les autres, sont des basanés aux yeux noirs. Cela fait toute la différence, n’est-ce pas » ? Eh oui ! Ils étaient surpris, par mes origines. J’en entendis d’autres. « Oh ! Pour une Arabe, vous êtes drôlement instruite. Que font vos parents, dans la vie » ? Je répondais : « Mon père est soudeur, au Commissariat de l’Air, où il répare le matériel de l’Armée. Il doit d’avoir cette place, pour avoir bien servi la France, en Algérie. Ses deux frères, n’eurent pas cette chance. Ils sont morts, massacrés par les leurs, après que les français, les aient lâchement abandonnés en Algérie. Quant à ma mère, si vous voulez tout savoir, elle fait des ménages chez les vieux, qui planquent leurs portes monnaies, de crainte que… « L’Arabe » le leur vole. Vous voyez ? Rien de très illustre. Seulement le quotidien des nôtres ».

- Bravo Soumaya, dis-je en riant. Comme c’est vrai ! La critique est toujours plus facile, que la main tendue.

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- Oui, Max. Toujours plus facile… Pour en revenir à vous, Jackkie, je dirais, que rien ne vaut au monde, la paix de l’âme. Vous ne savez tout simplement pas encore, distinguer la raison, de cette plénitude que vous ressentez, et qui grandit en vous, au point de vous faire oublier le danger. Vous voyez ? Nous en revenons à ce que je vous disais aussi, concernant mon mari. Par amour ? Nous pouvons affronter les flammes de l’enfer. Car c’est bien par amour, que vous parvenez à oublier, les rudesses du temps ? Je me trompe ?

Le visage de Jackkie, devint rouge incandescent. Ses lèvres remuèrent, sans que le moindre son en sorte. La belle et très psychologue Soumaya, venait de l’emmener pas à pas, au-devant d’une révélation, que la jeune femme, désirait refouler, par manque d’assurance en elle. Certes ! Soumaya, avait empruntée le chemin le plus long, pour s’y rendre. Mais le message était clair et fort. « En se voilant la face, tout ce que l’on risque, n’est autre que de percuter un mur ». Je méditais sur ce qu’elle venait de nous dire. Il me vint ceci à l’esprit : Un grand nombre d’individus, sur cette planète, se perturbent

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le choux, à rechercher le centre de la terre. Soumaya venait de nous révéler, qu’il se trouvait exactement sous nos pieds, là où nous-nous sentons heureux, tout simplement… Je tirais silencieusement une bouffée de fumée de ma cigarette, alors que regardant ma main, qui tenait encore le verre à café, je la vis trembler. « Sacrée Soumaya », pensais-je. « Tu me surprendras toujours, avec tes façons bien à toi, d’amener les gens, sur un terrain glissant. Mais voilà ! Tu as bien réussie ton coup, car à présent, nous sommes deux, sur la pente. Que faire ? Nous prendre par la main » ? C’est le téléphone, qui nous sauva, Jackkie et moi.

11 :49.

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Je décrochais le combiné, le cœur battant. Mais quelle était la raison de cette soudaine tachycardie ? Je le savais que de trop bien.

- J’écoute, dis-je, un peu abruptement.

- Eh bien, Max ! Il se passe de bien étranges choses à Bruxelles. Vous êtes debout ou bien, assis ?

- Je m’assois, mon Colonel.

- Bien ! Ce sera mieux en effet. Le médecin qui était chargé de pratiquer ces… visites médicales d’engagements, a mal finit le mois qui suivit sa prestation; pour le compte de l’organisation. L’incident est passé pour une fatalité, aux yeux des coordinateurs, jusqu’à ce que je téléphone.

- Il est… mort ?

- Tout ce qui a de plus mort, Max. Oh ! Un banal accident de la circulation, qui fait encore l’objet d’une enquête de police. Figurez-vous, qu’un véhicule volé, a raté un virage, venant écrabouiller ce bon Docteur, alors qu’il montait à bord de son véhicule. L’accident s’est produit vers vingt-trois heures, alors que le toubib sortait de chez

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sa maitresse. La dernière auscultation de sa vie, dit Mahersen en ricanant. Un témoin a vu deux gars s’enfuir. Mais il ne sut pas en faire, une description satisfaisante. L’enquête, s’enlise sur le vol de la voiture, qui pour la police Bruxelloise, n’eut pour seule conséquence, un accident de la circulation, ayant entrainé la mort d’un tiers. Mon contact à Bruxelles est resté muet, lorsque je lui ai relaté la raison qui me conduisait à l’appeler. Il m’a demandé un moment de patience, avant de m’informer de cette mort. Le Directeur lui-même, s’est déplacé. Il ne fait plus aucun doute, que pour Bruxelles, le voile soit levé. Schtröbe est suspect ! Je vous prie de croire, que ce bon Fuller, en a pris pour son grade. Il devait contrôler ces foutus dossiers médicaux.

- Et à Bruxelles, ils ne contrôlent pas, après la visite obligatoire ?

- Non, Max ! Ils font entièrement confiance à leurs médecins. Dès l’instant, qu’un volontaire est déclaré apte au service, jusque-là, ils ne se cassaient pas le chou. Je crois, que les choses vont changer, à

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présent. Comment allez-vous procéder, Max ?

- Oh ! Tout en douceur, mon Colonel. Tout en douceur !

- Oui ! En douceur, Max ! Il est membre de la compagnie « B », je crois ?

- Affirmatif, mon Colonel. Il est spécialiste du génie, ai-je lu sur son dossier. Ce qui me donne une idée. Je dois préparer le navire au pire.

- Soyez plus clair, Max.

- Vous n’êtes pas au fait, des ordres du Commandant ?

- Pas en cette heure. Que mijote-t-il ?

- Mes hommes, sécurisent le bâtiment. Mais… des charges d’explosifs statiques, doivent être placées dans les cales, aux points clés des poutrelles de renforcements de coques.

Soumaya et Jackkie, me regardèrent, avec une expression horrifiée. Je ne pus que leur adresser un sourire crispé, pour tenter vainement les rassurer. Mon amie, entoura

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de ses bras, les épaules de Jackkie, qui exhala un profond soupir d’angoisse.

- Sabordage ? dit Mahersen, d’une voix à peine audible.

- Oui, mon Colonel. Pour le cas malheureux, que nous soyons sur le point, de tomber entre les mains d’un ennemi… plus redoutable. Jean-Luc De Langlade, se fera un plaisir de me rendre service, en me prêtant un élément de la partie, car les surfaces à couvrir sont impressionnantes, et mon artificier, devra se faire seconder par quelqu’un qui ne connait pas le métier. Alors autant en profiter, pour faire d’une pierre, deux coups. On dit que l’occasion fait le larron, non ?

- Bon Dieu ! Je vois où vous voulez en venir. Vous avez cartes blanches, Max.

- Eh bien, c’est consolant. Je me serais passé, de votre consentement néanmoins. Je tiens bien trop à rester au sec, mon Colonel. Je serais prêt à parier, que Schtröbe, sera très satisfait de participer à ce boulot, consistant à miner le navire. Si toutefois, il n’y a pas déjà pensé et anticipé sur le mouvement.

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Je raccrochais le combiné, car tout avait été dit. Les deux femmes, se levèrent en silence. Ce fut Soumaya qui le rompit.

- Je crois, que je vais me rapprocher un peu plus de Dieu, dit-elle. Il y a bien longtemps, que je ne prie plus.

- Tu peux lui transmettre un message de ma part ?

- Je peux essayer, répondit-elle, assez surprise.

- Bien ! Dis-lui, que la prochaine fois qu’il lui prendra l’envie, de créer plus con que l’homme, qu’il détruise vite son œuvre. Je comprends maintenant, pourquoi Dieu, s’est inscrit aux abonnés absents.

- Tu blasphèmes, Max ! Hachouma ! s’exclama-t-elle, horrifiée. Mais tu es bon dans ton cœur. Alors, Dieu te pardonnera.

- Bon ! Si tu le dis, je veux bien te croire. Mais moi, je ne pardonnerai pas le dénommé Schtröbe.

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12 :21.

Enfin ! Le soleil ! De minute en minute, la mer redevait calme. Accompagné de Jackkie, Jésus et Marie-Madeleine, je fis une entrée remarquée dans la salle du mess. Le « Ché », s’était vêtu d’un pantalon noir à pattes d’éléphant, d’une chemise à manches longues, aux manchettes vaporeuses, dont la déco, faisait songer au jardin potager de ma grand-tante Conception. (Conccetta en italien). Elle avait la main verte. Il avait également noué ses cheveux longs et propres, miracle, s’ornant le tour de la tête d’un bandeau noir, sur lequel était inscrit en rouge vif, « No war ». Aux pieds, il portait des sandales de cuir ouvertes, laissant dépasser deux orteils, et des doigts squelettiques. Pauvre Guevara ! Sa doublure, ne lui faisait guerre honneur. Bien évidemment, il se vit accueilli de regards amusés, voire franchement hostiles, de la part des officiers attablés. Je m’en tamponnais le lard. Pour mon compte,

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celui que je cherchais était présent, c’était l’essentiel.

- Salut Jean-Luc.

- Oh ! Bonjour Max. Tu n’étais pas au rapport du matin ?

- Trop de boulot.

Jackkie eut la présence d’esprit, d’aller occuper une table dans le fond du réfectoire. Elle m’adressa un sourire entendu, auquel je répondis d’un hochement de tête approbateur.

- Oui, reprit Jean-Luc, moi, j’ai terminé. Mon matos est installé, et les hommes, sont à leurs postes, en attendant que les tiens prennent la relève.

- Oui ! A ce sujet ? Ils ont beaucoup de travail en cales. J’aurai besoin que tu me détaches un élément.

- Lequel ?

- Ton… génie !

- Oups ! Tu peux m’en dire plus ?

- Silence radio.

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- Je vois ! Si tu veux Schtröbe, je te le donne.

- Eh bien, merci. Paul a positionné, ceux qui devront protéger les accès. Les autres ne tarderont pas à monter, ils aident les marins en cales, à tout remettre en ordre, après cette tempête.

- Ok, Max. Faisons ainsi.

Rassuré, je rejoignis mes trois invités, qui papotaient bruyamment. Le Che, nous faisait la contre apologie de la guerre du Vietnam, cela valait le déplacement.

- Sais-tu Jackkie, disait-il, qu’un seul jour de cette satanée guerre, permettrait de nourrir sainement, des milliers d’enfants en Afrique, et de par le monde ?

- Le Gouvernement Vietnamien de Saigon, aurait dû penser à ça, il y a longtemps, dis-je sèchement. Il n’en serait pas là ! Ici, nous mangeons, nous ne faisons pas de la géopolitique, ni encore moins, de la subversion, avec un esprit pacifiste douteux. Une pilule de L.S.D, est ce monde, on le voit peint en rose ? Pas moi, mon cher Ché !

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- Rien d’étonnant de votre part, que vous teniez ce genre de discours, Lieutenant, dit-il sans se démonter. Vous êtes tous assujettis au capitalisme dévoreur des peuples, qui impose le joug de l’injustice, par la force des armes, lorsqu’il ne parvient plus à l’abreuver de mensonges.

- Si vous le dites ?

Ce fut Jackkie, qui vola à son secours, en changeant du tout au tout la teneur de la conversation, car elle lut dans mes yeux, que l’oiseau de malheur, allait me faire perdre patience.

- Vous avez obtenu ce que vous espériez Max ?

- Mon collègue, ne peut rien me refuser, Jackkie. Commandez ce que vous voulez, je n’ai pas très faim. Un travail à terminer.

- Voulez-vous que je ramène quelque chose, à grignoter dans votre cabine ?

- Bonne idée.

- Dans sa cabine, Jackkie, dit celle que je nommais Marie Madeleine, manquant

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s’étrangler de stupéfaction. Eh bien ma chère ? Tu vas vite en besogne, toi.

- La vie est courte, l’entendis-je répondre, alors que je lui adressais un signe de la main, ne pouvant que sourire, en observant le jeu auquel se livrait la jeune femme, non sans se démettre de tout son sérieux. Mais était-ce un jeu ? Elle m’adressait un sourire empreint de tendresse. Ce que j’eus le temps d’aller puiser dans ses yeux, ne fit que confirmer, ce que j’avais d’ores et déjà pleinement compris, de ses sentiments. La foudre s’était passée du consentement, et de la complicité de l’ouragan, pour fondre sur nous, de toute sa puissance énergétique. «  Eh oui, mon bon Max », pensais-je. « Tu peux te débattre, pour tenter repousser avec force et conviction, cette volonté qui te dépasse. Tu ne parviendras pas, à courir plus vite que le vent. Une femme amoureuse, se sent pousser des ailes. Tu peux t’enfuir où tu veux, elle survolera les mers et les montagnes, pour te rejoindre. Je crois bien, que cette fille, en est capable. Elle le prouva, non ? Tu es entre de beaux draps » !

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12 : 53.

Les ponts supérieurs, s’étaient transformés en un véritable arsenal, savamment camouflé par ces spécialistes en la matière. A présent, les hommes en postes, jouaient aux cartes derrière leurs sacs de sable, écrivaient à leurs proches, des lettres, qui devraient attendre des jours meilleurs ou bien, rêvassaient, étendus à même le sol. Trois gars, jouaient du Jimmy Hendrix, deux sur leurs guitares, le dernier accompagnant avec un harmonica. « My gentle guitare ». Un doux soleil me réchauffait la peau. La mer était devenue un miroir, qui semblait s’étendre à l’infinie de l’horizon. Oui ! Un bel après-midi en perspective. Mais où était passé le bandit, qui nous suivait ? Je scrutais l’océan

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à tribord, vide de toute présence. Il avait disparu ? Etrange !

- Erich Schtröbe, hurlais-je. Où est Schtröbe, s’il vous plait ?

- Ici Lieutenant, entendis-je enfin une voix me répondre, en provenance d’une coursive ouvrant sur le pont « C 1», qui se matérialisait par une plage en proue. Je vis arriver un bonhomme assez grand et mince comme un échalas, au nez crochu comme le bec d’un aigle et, aux yeux verts clairs, finissant de donner le sentiment d’avoir à faire, à cet oiseau de proies.

- Ah oui ! Je vous remets, maintenant, dis-je. J’ai besoin de vous en bas. Votre chef de compagnie est informé.

- A vos ordres, Lieutenant.

- Vous prenez votre matériel, et vous venez me rejoindre, dans la cale numéro 2. Pressez-vous, je n’ai pas que ça à faire.

- J’y serais dans cinq six minutes, Lieutenant. Mon matériel est toujours à portée de mains.

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« Houai », pensais-je. « Ce qui ne me rassure pas du tout ». Mais l’échalas, ne posa aucune question. Je pris les devants, marchant d’un pas décidé en direction de la cale. Il me rattrapa, bien avant que j’y parvienne, ainsi que je l’espérais.

- Qu’allons-nous y faire dans cette cale, Lieutenant ?

- Ce que vous savez faire le mieux, Schtröbe. Vous aiderez mon artificier, qui vous montrera le plan.

- Nous allons apprêter des charges de sabordement ?

- Eh bien ! Heureux que vous compreniez vite, Schtröbe. Ordre du Commandant ! Vous saisissez ?

- Parfaitement, Lieutenant. Même si je suis un peu inquiet.

- Nous le serions, pour moins que ça, non ? Au fait, Schtröbe ? Vous serviez dans le génie ?

- Oui Lieutenant.

- Intéressant !

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Nous marchions vite, dans les coursives mal éclairées des entreponts, conduisant à l’accès de la cale 2.

- Avez-vous participé, à des actions en territoires extérieurs ?

- L’armée allemande, ne s’est plus guère souciée des opérations extérieures, depuis le déclin du IIIème Reich, Lieutenant.

- Oui, en effet ! Eh bien ? Maintenant vous voyez du pays ? Cela doit vous changer de la forêt noire, pas vrai ?

- Radicalement, Lieutenant. Je vois, que vous avez consulté mon dossier.

- Ah oui ? Depuis Bulawayo, adjudant. A ce sujet, le Médecin Major Fuller, m’a demandé de vous transmettre une convocation pour une visite médicale. J’allais oublier, suis-je étourdis parfois. Trop de travail en retard, depuis cette foutue tempête, et pas assez de repos.

- Une visite médicale ?

- Oui ! Il s’est rendu compte, que des pièces manquaient dans votre dossier médical. Il aurait dû le vérifier, à Bulawayo, ce gros

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con ! Mais passons ! Il m’a entendu parler de vous à table, avec votre officier, ce qui lui a remémoré, qu’il tenait absolument à vous voir. J’ai fait la commission. Lorsque vous aurez un peu de temps libre, faite un détour par l’infirmerie. Ce ne sera pas long ! Une prise de sang, je crois.

- Ah bon ? Nous avons un laboratoire, à bord ?

« Le coquin. Il est loin d’être idiot, le mec », pensais-je.

- Ma foi ! Moi vous savez, je ne mets pas mon nez où, ça pue l’éther.

- Bon ! J’irai dès que ce travail sera terminé, Lieutenant.

- Faites donc ainsi. Vous-vous rendez compte, que je faillis être refusé pour cette mission, car ils m’ont découvert la trace, d’une vieille malaria dans le sang ?

Malgré la demi-pénombre qui régnait, je le vis blêmir. Putain ! Je pensais, que j’étais vraiment costaud. J’avais visé juste, du premier coup. Ce type, avait voyagé, très loin de son Allemagne natale. Je n’avais plus aucun doute, le concernant.

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- Vous avez participé à des opérations en Afrique, Lieutenant ?

- Le Tchad, durant trois mois. J’ai chopé cette saloperie et… retour au bercail. Ma station fut de courte durée hein ? Pas même le temps, de m’acclimater, ajoutais-je en riant. En rentrant en France, c’est bien le cas de le dire, j’ai choppé un chaud et froid ! En plein mois de février, se retrouver au Val de Grâce ? Bonjour l’angoisse !

- Ah ? Je ne savais pas !

- Vous ne saviez pas quoi, Schtröbe ?

- Que vous étiez allé en Afrique Lieutenant ?

« Tiens donc ! Ainsi, tes renseignements étaient incomplets » ? pensais-je, en riant intérieurement du dérapage, de celui qui pénétrait à mes côtés, dans la cale 2. «  Je vais me faire un réel plaisir, en t’en disant beaucoup plus, dans très peu de temps, complétais-je ma pensée…

- On ne peut pas tout savoir, Adjudant Schtröbe. Nul, ne peut tout savoir.

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- Vous apparteniez déjà au S.R, lorsque vous avez été envoyé au Tchad ?

« Eh oui, ça t’intéresse. Je vais satisfaire ta curiosité mon petit », lui dis-je en mon fort intérieur.

- Non ! J’étais aspirant, et en stage d’instructeur, au bataillon des fusiliers commandos. Je devais commander une petite compagnie, chargée de la protection de l’aéroport militaire de Ndjamena. Chez-nous, nous nommons cela, la F.A.S. (Force Aérienne Stratégique). Vous connaissez ?

- J’en ai entendu parler, Lieutenant. Les français sont chez-nous, depuis longtemps.

- Ah ! Voici l’Adjudant-chef Paul Declercq. Vous allez vous placer sous ses ordres, pour savoir ce que vous aurez à accomplir.

- Je vois déjà ça de là. Il faut être attentif sur ce job.

- Vous venez de tout comprendre, Schtröbe.

- Eh bien ! Si je m’attendais à ça ! Le Commandant ne lésine pas, sur les méthodes expéditives. Je n’ai pas signé, pour une mission suicide, Lieutenant.

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- Vous avez signé, Schtröbe. Nous avons tous signés. Nous obéissons aux ordres. Je me fais bien comprendre, Adjudant Schtröbe ?

- Clairement, Lieutenant.

- Très bien ! Voyez Paul Declercq.

- A vos ordres Lieutenant.

Je tournais les talons l’abandonnant entre les mains de mon second, surpris par ce renfort inattendu. Je lui fis signe de me rejoindre dans la coursive, conduisant aux escaliers, donnant accès aux ponts supérieurs.

- Vous employez ce drôle d’oiseau à votre tâche, Paul. Mais vous me le gardez à l’œil et bien au chaud. Disons, pour une bonne demi-heure. Après, faites comme s’il n’était pas là.

- Quelque chose ne va pas, Lieutenant ?

- Je ne puis vous expliquer pour l’instant. Tout ce que je peux vous dire, n’est autre, que ce gars, est un infiltré.

- Bon Dieu ! Je ne poserai qu’une question, Lieutenant. Que dois-je faire ?

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- Soyez naturel. Comme si de rien n’était. Laissez-le naviguer où il veut, après cette bonne demi-heure. Pas avant ! Blaguez avec lui, occupez le, mais qu’il ne sorte pas de là. Entendu ?

- Ok ! Nous avons posé les charges statiques, sur les soutènements. Béranger, fera les branchements, dès que nous aurons terminé la cale 2. .

- N’ayez aucune inquiétude, le problème sera réglé d’ici là. Personne ne connaitra le mode de branchement, du sergent Béranger, ni où courent les fils. D’ailleurs, je ne pense pas, que nous en arrivions là. Le Commandant, sait ce qu’il fait.

Il était rassuré ce bon Paul. Moi, pas encore ! Je me rendis au plus vite, en salle des machines. Un poste téléphonique de communication interne, me tendit les bras au bas des marches glissantes y conduisant. Quelques secondes plus tard, je parlais à mon cher ami Bernard.

- Tu fais quoi ? lui demandais-je, d’un ton détaché.

- J’ai po-pol en mains, et je ne sais pas trop, si je dois commencer à astiquer la bête,

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d’arrière en avant ou, d’avant en arrière. T’aurais pas une suggestion ? Je bosse, fada !

- Bon ! Eh bien, laisse tomber l’engin de reproduction, et viens me rejoindre, dans cette salle de refroidissement des moteurs, que l’on nomme les grandes orgues.

- Hum ! Toi, tu as quelque chose à te mettre sous la dent. Tu partages en frère ?

- Je crois que tu vas aimer, ce que je mijote dans ma marmite, en effet.

- Alors je rapplique ventre à terre. Heu ! Je viens seul ou, j’amène des copains ? J’ai Smith § Wesson avec moi. Ce sera suffisant ?

- Prends tout de même un bipède en plus. Ton adjoint fera l’affaire.

- Eh merde ! Qui va faire marcher la baraque ? Bon ! On arrive !

Je raccrochais brutalement, n’ayant plus de temps à perdre avec le maitre des mystères, me dirigeant d’un pas décidé vers cette immense salle où, se dressaient d’imposants radiateurs peints en gris

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minium. Il y régnait une chaleur infernale, ainsi qu’un épais brouillard. Pourquoi avais-je eu cette idée saugrenue ? Eh bien, du simple fait que Bernard et moi, avant de nous engager, pour nous faire un peu de pognon, nous avions travaillés chez Gardella, qui à Marseille, était le roi de la réflexion navale, avec la Compagnie Marseillaise de Réparation. J’avais repeint ces larges lamelles de radiateurs, durant dix longs jours, à bord d’un pétrolier. Mais avant, j’avais dû, selon l’expression employée pas mon grand-père, qui était mon chef d’équipe, rendre le sol si propre, que l’on aurait pu y manger dessus. C’est qu’il ne plaisantait pas, le chef d’équipe. Que je sois son petit fils ? Cela ne changeait rien au problème. Bien au contraire, je devais me montrer à la hauteur, plus encore que ses autres ouvriers. Et j’avais intérêt, car sinon, j’aurais goûté de son 44 fillette à la volée. Dans ma petite tête, je m’étais tenu le raisonnement suivant : «  Je ne connais pas parfaitement ce rafiot, c’est sûr. Mais le plan, je sais bien le lire. Et si quelqu’un veut planquer quelque chose, ce ne sera pas dans les cales, qui sont hyper sécurisés et bouclée hermétiquement. Ce ne sera pas non plus, dans les entreponts.

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Impossible de s’y mouvoir, de jour, comme de nuit, sans rencontrer quelqu’un. Ni encore moins en salles des machines où, il y a toujours du monde. Quant aux embarcations sur les ponts ? Les marins vérifient périodiquement les cordages, les structures et les bâches. Alors où » ? C’est là, que sur le plan, je vis cette salle, et que mes souvenirs me revinrent. «  Mais bien sûr ! me dis-je alors. Si j’étais notre espion ? C’est là que je planquerais du matos. Personne n’y vient jamais, sauf pour le nettoyage, ou bien, en cas d’incident majeur, intervenant sur ces radiateurs. Il doit y avoir un coin, encore plus pénard, que de nicher du matériel entre les lames brûlantes. Je verrais bien ».

Lorsque j’entrais dans cette torpeur humide et torride, je sus de suite que je n’avais pas mal réfléchis. Le sol, peint à l’identique aux lames de ces grandes orgues, était glissant mais d’une propreté irréprochable. Le plafond était très haut. Les parois, étaient lisses et dépourvues de toute fioriture. Ma vue s’habituant à la buée, j’aperçus enfin un poste à incendie, situé à ma droite. Deux grandes portes peintes en rouge, sur lesquelles l’on

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pouvait lire le mot « Fire rescue ». Une serrure m’apprit que la clé était hexagonale, comme celle de la porte principale, que j’avais facilement ouverte, avec un simple canif. Ce fut fait en quelques secondes ! Un long tuyau d’incendie, était parfaitement bien enroulé autour de son socle. Il y avait aussi, trois extincteurs, crochetés contre la paroi. Le premier, pour les feux d’hydrocarbures, le suivant, pour les courts circuits électriques, et enfin le dernier, pour les feux secs. Et pour finir cet inventaire, un seau rouge, une pelle et une hache. L’ensemble était posé au sol, qui n’était autre qu’une plaque de tôle, amovible. Je sortais le matériel avec hâte, de crainte d’être surpris. Avec la pointe de mon poignard, je soulevais la plaque qui mesurait en longueur, dans les un mètre cinquante, pour un mètre de large. Et là ? Euréka ! Je n’en crus pas mes yeux ! Je m’empressais de tout remettre en place. Maintenant, il ne me restait plus qu’à dégotter un coin paisible, pour attendre. Je sentais encore l’effet de la montée d’adrénaline. J’avais bien fait, de suivre mon instinct. Bernard arriva accompagné de son adjoint, le sous-lieutenant Pascal Klein, qui appartenait au

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corps des techniciens de la marine nationale.

- Vous êtes armé, Klein ? demandais-je à l’officier, qui me répondit par un sourire, s’accompagnant d’un hochement de tête, finissant de me convaincre.

- Bien ! J’ai fait une sacrée découverte dans le poste incendie.

- Explosifs ? Questionna Bernard avec une pointe d’inquiétude, rendant ses yeux bleus, très ténébreux.

- Non ! Poste émetteur récepteur, très sophistiqué. Du dernier cri Soviétique, si tu veux mon avis. Mais ce que j’ai furtivement vu écrit, sur la plaquette d’identification, l’est en espagnol.

- Cuba ! s’exclama Bernard, se frottant la joue gauche avec son pouce. Hum ! Je ne suis guère surpris vois-tu ? Mais comment, a-t-il rentré ça à bord ?

- Je n’en sais rien, Bernard. Mais, ce n’est pas l’instant propice, pour se poser la question.

- Que fait-on ?

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- Tu vas te planquer et attendre. Il y a une pièce à matériaux, dès que tu sors de là, sur ta droite. Elle est sous les escaliers, tu vas voir. Je ne sais ce qu’ils entreposent dedans. Apparemment, les clés de ces portes, sont des tiges à bouts hexagonaux. Débrouilles-toi ! Essayez de vous y cacher. Moi, je vais rester là. On bouge les gars. Sait-on jamais.

Deux gigantesques radiateurs occupaient le centre de cette salle. J’en fis le tour. Je franchis une passerelle permettant de traverser, car dessous cette structure, un bassin contenant de l’eau bouillante séparait les deux grandes orgues. Une sur verse sans doute. C’est de là, que s’élevait dans l’air, cette buée, qui vous pénétrait les habits et les os. Je franchissais le bassin, en prenant garde de ne pas glisser, rejoignant au plus vite la coursive horizontale, qui circulait le long de la paroi de séparation, courant de bâbord à tribord. Derrière ces plaques d’acier épaisses, c’était la salle des machines. Un boucan infernal venait s’ajouter à l’humidité, et à la forte odeur de gas-oil, qui faisait piquer la gorge. J’allais devoir attendre là, de très longues minutes, avec l’intuition, que le salopard, ne

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tarderait pas. Alors je me collais dans un angle de cette paroi, après l’avoir longée vers tribord, d’où je pouvais voir par intermittence, la porte d’accès. Les minutes, succédèrent aux minutes. Ce fut très long et pénible. Mais, vers quatorze heures trente, la porte s’ouvrit enfin, et je vis une forme, se rapprocher du poste à incendie. « Ah ! La peur de la piqûre », pensais-je. « Sale gosse ! Tu vas tout de même te faire piquer ».

Je longeais la paroi pas à pas, sortant de son étui, le lourd révolver 44 ordonnance à barillet. J’avais horreur des armes semi automatiques. Elles s’enrayent trop facilement !

- Eh bien Schtröbe ? Vous êtes venu prendre un bain de vapeur ? Fabuleux ce sauna hein ? Vous en connaissiez l’existence, et vous ne vouliez rien dire à personne ? C’est égoïste ça !

Il se releva lentement, demeurant face à la porte du poste d’incendie, totalement tétanisé.

- Schtröbe, je lis dans vos pensées. Vous évaluez vos chances de brandir une arme.

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Je vous le déconseille très vivement, car si vous osiez vous retourner, vous constateriez que deux autres flingues vous braquent, l’informais-je flegmatiquement.

- Tu as entendu, ce que le Lieutenant Girard vient de te dire, camarade syndiqué ? hurla Bernard, pour bien couvrir le bruit, occasionné par les moteurs.

- Parfaitement ! finit par répondre Schtröbe, levant les bras très haut.

Je fis signe à Klein, de fouiller soigneusement l’énergumène, qui n’opposa aucune résistance. L’adjoint de Bernard le délesta d’un Herstal 7,65 mm, d’un poignard commando, d’un portefeuille contenant divers papiers et enfin, d’une boite de préservatifs.

- Oh ! m’exclamais-je véritablement surpris. Il est prudent, notre indic. Tu t’es fait des petites copines à bord, ma coquine ?

- Je n’en suis pas, Lieutenant, si c’est ce que vous insinuez, répondit-il, très vindicativement, ce qui lui valut une claque de Bernard, qui je le crus, aurait pu lui décoller le haut de la boîte crânienne.

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- Tu réponds bien au Lieutenant. Que tu en sois ou pas, cela nous indiffère totalement, mon gars. Ce qui importe vois-tu, c’est que tu nous dises, ce que tu fous avec des préservatifs, questionna Bernard, le regard furibond.

- Tu n’as pas compris Ber ? Avec ces préservatifs, il nous baise ! Nous irons perquisitionner ses affaires dans l’entrepont. Je suis certain, que nous trouverons ce qui va avec.

- C’est quoi, selon toi ?

- Eh bien ! Je pense, à quelque chose de fluorescent tu vois ?

- Ben non ! Explique s’il te plait, que je ne meure pas con.

- Bah ! Même si j’explique… Bref ! Je crois que ces préservatifs, servent de réservoirs à messages. Tu mets un bout de papier dedans, tu gonfles, tu fermes hermétiquement, puis tu balances à l’eau.

- Il est immense, cet océan !

- Eh oui Bernard. Raison pour laquelle, il faut quelque chose qui se voit de loin, un

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peu comme le bout incandescent d’une cigarette. Un bâton lumineux, que tu casses, tu vois ? Il ne comptait pas vraiment utiliser cette méthode, pas vrai ? Elle est désuète ! Mais sait-on jamais, hein ?

- Je te baffe encore, pour te délayer la langue ? menaça Bernard, le plat de la main droite, levé à deux centimètres du visage du prisonnier, alors que Klein venait de finir, de lui lier les mains dans le dos.

- Vous comprenez vite Lieutenant, collabora Schtröbe, qui ne caressait plus aucune illusion sur son sort.

- Eh non ! répondis-je, prenant un ton évasif. Mais je suis persuadé, que tu ne tarderas plus très longtemps, à combler mes lacunes. Klein !

- Lieutenant ?

- Passez devant avec ce Monsieur ! Direction le pont de poupe !

14 :56.

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Notre arrivée sur le pont ne passa pas inaperçue, c’est le moins que l’on puisse dire. Mais le plus surpris ce fut le Lieutenant Jean-Luc De Langlade, qui descendit en courant, les marches des escaliers conduisant au pont supérieur « C2 ». (Plage en poupe). Ses hommes vinrent se bousculer devant le bastingage de la petite plateforme, avec pas mal d’interrogations dans les regards.

- Tu fais quoi là, Max ? me demanda De Langlade, pas vraiment jovial.

- Je viens d’arrêter Schtröbe, Jean-Luc.

- De…de… de l’arrêter ?

- Oui ! Bernard est occupé à rassembler le matériel de transmissions, que Monsieur avait bien planqué dans un poste à incendie, de la salle des machines.

- Tu m’as bluffé hein ? répondit-il, les yeux lançant des flammes. Schtröbe, serait donc notre taupe ?

- Eh oui !

- Tu aurais dû m’informer, à midi au mess. Tu ne me fais pas confiance ?

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Je le regardais droit dans les yeux, avec une froide expression peinte sur mon visage.

- A ma place, tu aurais fait quoi ? Moins on en dit, mieux l’on se porte, Jean-Luc. Le mess, n’est pas un confessionnal ! Le résultat est là ! Désolé, que ce soit l’un de tes gars.

- Pas moi ! A mon arrivée à Bulawayo, je ne connaissais pas ce gu-gus. Il me fut attribué ! Fais-en ce que bon te semble. Mais ne me refais jamais plus, de coup en vache, vu ?

- J’essayerai de m’en souvenir, répondis-je, avec un sourire apaisant.

Il tourna les talons et harangua ses hommes, les renvoyant à leurs postes à grands cris. Visiblement, il était en rogne, le réunionnais.

- Que fait-on de lui, me murmura Klein.

Deux marins rangeaient des cordages, tout en nous regardant curieusement. Je leur fis signe de venir.

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- Ils sont solides ces filins, demandais-je au plus âgé des deux, qui arborait le galon de second maître.

- Ce sont des filins, de guidage de bâches de chaloupes de sauvetage, Lieutenant. Nous avons reçu l’ordre d’en changer, là où la tempête causa de sérieux dégâts.

- La coque ? Quelle hauteur selon vous ?

- Vingt mètres, à la limite de flottaison Lieutenant.

- Vingt mètres ? Parfait ! Façonnez-moi un cordage de cent mètres, s’il vous plait. Et je voudrais le plus vite possible, une sorte de crochet, en forme d’hameçon.

- Reçu Lieutenant ! Viens, dit-il à son compagnon. Puis il se ravisa, me faisant de nouveau face.

- Euh ! Je peux savoir pour quoi faire, Lieutenant ?

- Bien sûr Matelot ! J’ai envie de pêcher à la traine. Au vif ! Y verriez-vous, un quelconque inconvénient ?

Son regard se posa sur notre prisonnier, et une drôle d’expression, marqua son visage

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mince et ridé, par les années d’expositions au salpêtre, et aux intempéries saisonnières.

- Absolument pas Lieutenant. Je vous apporte ça, dans moins d’un quart d’heure.

- Ce sera parfait. Klein ! interpellais-je l’adjoint de Bernard.

- Lieutenant ?

- Vous allez de ce pas en cuisine. Vous demanderez à ce bon Nguyen, de vous remettre sur l’instant, un bon morceau de barbaque.

- Un morceau de… barbaque ? Bon ! J’y vais, Lieutenant.

- Et dites à ce casse bonbons, que c’est un ordre !

- J’entends bien, Lieutenant.

Je m’avançais du prisonnier, le poussant dans le dos, jusqu’à ce qu’il atteigne le bord du panneau de la cale II.

- Veuillez-vous asseoir là, Schtröbe. Tenez ! Tournez-vous de façon, à voir la mer derrière vous.

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Il obéît de mauvaise grâce, ne me lâchant pas du regard.

- C’est beau, le sillage argenté que laisse le navire, lancé à pleine vitesse hein ? Et ce ciel, qui se confond avec la mer ? Je commençais à désespérer de voir enfin un tel ciel, après ce que nous avons subis. Pas vous ?

- Où désirez-vous en venir, Lieutenant. Je commence à bien vous connaitre, maintenant. Vous êtes un sadique !

- Ah ? Croyez-vous ? Il est vrai, il est vrai. Je prends du plaisir à ce jeu. Mais cela ne fait que commencer, alors, je vais prendre tout mon temps. Que vous disais-je mon cher ? Ah oui ! La mer ! Ce sillage argenté ! Savez-vous la raison pour laquelle, des requins suivent ce sillage, Schtröbe ? C’est mon père, marin, qui m’apprit cela. Ils attendent l’heure, que les gens de la cuisine viennent balancer par-dessus bord, les cuves de déchets alimentaires. Les ordures, disons-le ainsi.

- Vous pensez vraiment me terroriser, Lieutenant ? Je vois bien où vous voulez en venir, maintenant. J’ai été formé…

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- Fermez votre gueule, Schtröbe ! De votre formation à la torture morale et physique, je m’en branle ! Attendez d’aller au bain, pour que s’éveillent enfin en vous, un véritable sentiment de terreur. Voulez-vous une cigarette ?

Sans lui demander son avis, j’en allumais une, que je glissais entre ses lèvres serrées.

- Fume coco, c’est du Belge !

Je reçus un regard de travers, qui m’en dit long, sur l’envie qu’il avait de m’étriper.

Simultanément, les marins et Klein revinrent. L’adjoint de Bernard, (ce dernier se faisant attendre, je le soupçonnais d’être allé s’amuser avec le matériel du prisonnier), posa sur le panneau de cale, le morceau de viande qui puait rudement, à vrai dire. Je sortis mon poignard, fendant l’avant-bras du pauvre Schtröbe, qui poussa un cri de porcelet que l’on égorge.

- Vous êtes vraiment fou Lieutenant, glapit-il, regardant avec horreur la plaie béante d’où s’écoulait son sang.

- Le Psy de la Base Aérienne où je servais, le laissa clairement entendre. C’est même

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l’une des raisons pour laquelle, je me vis si vite admis, dans un service de renseignements, Schtröbe. Cela vous parait inhumain, n’est-ce pas ? Mais les Requins, flairent le sang de très loin. Vous allez voir !

- Vous m’avez sectionné le bras, immonde personnage.

- Tu as fait quoi ? intervint Bernard.

- Je le prépare pour le festin des Requins. Où est son matos ?

- Au poste de nos collègues américains. Ils l’étudient en ce moment. Tu l’as tranché ? Pour quoi faire, bon Dieu ?

- Je viens de te le dire, ouvre tes portugaises. Il va prendre un bain. L’eau doit être très agréable, avec cette chaleur non ? Qu’est-ce encore que cette fantaisie, Bernard ? Tu as remis le matériel aux américains ? Maintenant, ils savent, pour la taupe ?

- Bof ! Dans les 22° peut-être ? éluda-t-il les questions. Mais c’est infesté de… de Requins, je vois ! dit Bernard. Bon ! Eh bien, ce n’est pas que l’on s’ennuie ici, mais

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Klein et moi, nous avons du travail. Bonne baignade, Schtröbe ! Essayez de faire du ski nautique ? Tant que vous-vous maintiendrez hors de l’eau sur vos pieds, vous ne risquerez sans doute rien. Si vous faites la planche ? Aie, aie, aie ! Ah ! pour ta gouverne, dit-il s’adressant à moi. Dis-moi un peu comment, nous aurions pu taire, cet incident ? Tu te souviens, où nous sommes ? Regarde bien, autour de toi. J’ai inspecté son matos. Mais nos amis américains, le connaissent mieux. Alors ! Bon ! Sur ce, je te laisse à tes occupations, car nous avons les nôtres. Bye, ma poule !

Sur ces mots, ils s’éclipsèrent en douce. « Chochotte ! La vue du sang le perturbe » pensais-je. Pendant qu’il conditionnait notre pauvre espion, qui commençait sérieusement à ne plus en mener très large, j’avais attaché le crochet au bout de la corde. Puis, je plantais la barbaque dessus, l’en saucissonnant, avant de faire un nœud coulant, pour ne pas que le choc avec l’eau, me la fasse perdre. Je m’avançais du bastingage bâbord, et tel le célèbre Thiery la fronde, je fis tournoyer le tout, au-dessus de ma tête, propulsant l’ensemble à l’eau, le plus loin possible de la coque. Puis, je

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lâchais du lest, jusqu’à ce que je considère que la viande, avait franchi le seuil critique des hélices. Oh ! C’à quoi je m’attendais, ne me fit pas désespérer d’impatience très longtemps. Je sentis une secousse phénoménale dans la corde, qui se détendit brutalement. Lorsque je remontais cette dernière à bord, je fus en mesure de constater, que l’attaque avait été brutale. Le crochet avait disparu ! Il ne restait qu’un bout de corde dont les filaments déchiquetés, me firent penser à un éventail.

- Ça mord bien par ici, hein les gars ? m’adressais-je aux deux marins, aux regards terrifiés. Je lançais un coup d’œil par-dessus mon épaule, en direction du pont supérieur. Personne ne voulait assister à ça. « Tant mieux », pensais-je. Eh bien, Schtröbe. C’est l’heure de bien réfléchir, dis-je, à l’attention de mon prisonnier.

- Vous n’allez pas faire ça, répondit-il, tentant d’arrêter l’hémorragie de son bras, en le collant serré contre sa vareuse de combat.

- Je vais me gêner ! Vous ne servez plus à grand-chose, à bord de ce navire. Je vais

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devoir vous faire garder en prison, alors que nous avons besoin d’hommes. Et puis, nous devons rendre totalement sourds et aveugles, ceux qui nous suivent, depuis de longues heures, à l’horizon bâbord maintenant. Or, vous étiez leurs yeux, abreuvant leurs oreilles de renseignements. Avez-vous communiqué avec eux ?

- Pendant la tempête Lieutenant.

J’étais suffoqué. Il avait réussi l’exploit surhumain, de s’aventurer dans les profondeurs du navire, en plein ouragan. Inimaginable, ce que peut faire l’idéologie. « Putain ! Cette guerre n’est pas gagnée, si nous avons à faire avec de tels fanatiques », pensais-je en le regardant se tortiller, de plus en plus mal à l’aise.

- Eh bien ! Vous voyez ? Vous-vous démontrez plus intelligent que je n’osais l’envisager. Continuez comme ça. Les requins devront se satisfaire, des ordures habituelles. Voyons ! Quel était le sujet de conversations, avec l’ennemi ?

Il baissa les yeux, puis la tête. Un profond soupir, et il répondit.

- L’état général du navire, Lieutenant.

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- Rien, sur la composition des hommes qui l’arment ? L’état du navire ? Mazette ! Ils veulent l’acheter ?

- Non Lieutenant ! Bien sûr, que j’ai donné les effectifs !

- Pardon ? Je n’ai rien entendu !

- J’ai parlé de l’armement humain, Lieutenant !

«  Aie » ! Pensais-je. « Le contraire m’aurait étonné » !

- Vous ont-ils demandé ce que vous saviez, de la mission ?

- Absolument pas, Lieutenant ! Ils en savent assez !

- Tiens-donc ! Ils en savent assez ? Vous allez m’expliquer un peu ça, Schtröbe ! Que savent-ils, de la mission ?

- Tout ce qui est bon de savoir, Lieutenant ! Mais ce n’est pas l’armement humain et matériel du navire, qui les intéresse le plus.

- Ah bon ? C’est quoi alors ? Oh ! Je vois ça, inutile de répondre. C’est la destination que nous avons tracé. Et là-dessus, vous n’aviez

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encore aucun renseignement à fournir. Ils pensent, que nous en savons beaucoup les concernant, n’est-ce pas ?

- Hum ! En effet ! Visiblement, ils craignent quelque chose.

- Et, vous ne savez pas quoi, pas vrai ?

- Il serait inutile, que je vous jure que non ?

- Peut-être pas ! Si je me fie à mon intuition, ils ont deux options. Petit « a », notre mission est clairement définie, et ils devront nous barrer la route. Petit « b », nous naviguons à l’aveuglette, cherchant une aiguille dans une botte de foin, ce qui les rassurerait, leur évitant une confrontation. Donc ! Il se prépare quelque chose de phénoménal, Schtröbe. Savez-vous quoi ?

- Pas plus que vous, Lieutenant. Mais je le pense également ainsi.

- Bien ! A qui avons-nous à faire, Schtröbe ?

Silence…

- Je vais répéter la question. Qui sont ces gens ?

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- C’est compliqué, Lieutenant.

- Alors, faites simple ?

- Je veux parler aux américains !

- Aux américains ? Ben voyons ! Vous pensez, qu’ils seront plus… cools, que moi ?

Silence, qui m’en dit long.

- Hum ! Je vois !

Et lorsque l’on parle du loup ? Il sort du bois ! James Lewis et son gorille, firent leur apparition sur le pont de poupe.

- Salut Max ! Bravo ! Vous avez accomplis là, de l’excellent boulot, m’encensa prodigieusement le Colonel du service actions de la C.I.A. Son second, s’empressa de libérer les mains de mon prisonnier.

- Vous lui avez fait, une bien vilaine blessure au bras, reprit-il. Vous allez le faire escorter sous bonne garde jusqu’à l’infirmerie, puis vous nous le remettrez.

- Ah bon ? C’est nouveau ça, Colonel ? Il est mon prisonnier ! Je dois vous remémorer ma fonction à bord ?

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- Je sais, Max, Je sais ! Mais cet interrogatoire, doit être conduit par des professionnels. Nous sommes des professionnels, Max. De plus, vous m’adresserez un rapport très détaillé sur vos… investigations. Je veux tout savoir, du début à l’apogée. Ah ! se reprit-il, c’est un ordre, Lieutenant.

Au final, il me rappelait son grade, histoire de remettre les pendules à l’heure.

- Eh bien ! Puisque c’est un ordre Colonel, je ne vois pas trop comment je pourrais m’y soustraire. Le gars est à vous. Je vais rédiger mon rapport.

- Je crois vous avoir demandé, d’accompagner le prisonnier à l’infirmerie non ?

- Demande rejetée, mon Colonel. Ce n’est plus de mon ressort, démerdez-vous !

- Tête de mule ! lança-t-il en riant. Bon ! Je vais me montrer conciliant, car sinon je désavouerai le travail que vous avez accomplis, et je paraitrais, très ingrat. Ce n’est pas mon intention, Max. Aussi, vous assisterez aux interrogatoires. Cela vous convient-il ?

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- Je suis très honoré Colonel. Je prendrais des notes dis-je très sarcastiquement.

- Bien ! Si vous y tenez, vous prendrez des notes.

- Aller Schtröbe ! Vous avez entendu le Colonel ? Direction l’infirmerie, deux pas devant moi. Au premier signe de manque de coopération, ils devront se passer du plaisir de vous interroger. Je pense, que vous ne doutez plus de ma… détermination, Schtröbe ?

- Non Lieutenant !

- Il est mignon tout plein !

Mon 44 en main, chien relevé, canon braqué sur sa nuque, j’escortais le prisonnier jusqu’à l’infirmerie, où ma chère Soumaya en compagnie de Jackkie, donnaient toutes deux, des signes d’impatience. Au passage, j’avais débauché deux de mes gars, afin qu’ils gardent de près cette taupe, débusquée de son trou.

- Pas de blagues les gars, dis-je aux deux membres de ma squad. Il est dangereux, et la C.I.A, veut le mettre en confiance. Moi, je le ficèlerais de la tête aux pieds, comme un

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saucisson. S’il vous crée un problème, assommez-le !

-Reçu Lieutenant, répondit le Caporal Jensen. Tu as compris toi ? dit-il s’adressant au prisonnier. Donne-moi ce plaisir, et je te démonte en pièces, sale traitre.

Pour moi, l’affaire Schtröbe, semblait bien être pratiquement de l’histoire ancienne. Certes, j’assisterai les Ricains. En fait, qu’allais-je en tirer de ces interviews ?

- Je suis heureuse, que tout se soit bien terminé, entendis-je la voix de Jackkie, envahir ma conscience engourdie, faisant disparaitre les images angoissantes, de mes pensées.

- J’ai le temps pour une cigarette, répondis-je, comme si je sortais d’une épaisse nappe de brouillard.

- Vous me donnez à penser, que quelque chose vous tracasse, Max. Je ressens de l’insatisfaction en vous.

- Plusieurs choses Jackkie, plusieurs choses ! Et l’insatisfaction, est grande.

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Nous sommes sortis au grand air, nous accoudant au bastingage. Le navire fendait cette mer bleue turquoise, calme comme un lac. « Etrange, bien étrange océan », pensais-je tout en allumant deux cigarettes. « Mais pourquoi au fait » ? me dis-je encore. « Tous les océans ont une personnalité étrange. C’est sans doute parce que je suis bien trop loin, de mon cher bassin méditerranéen. Sans doute » !

- Vous allez vous brûler les doigts, Max. Mais à quoi rêvez-vous donc, me réveilla Jackkie en riant. Donnez-moi cette cigarette, avant qu’elle se consume.

Elle me la prit d’entre mes doigts, et se mit à fumer silencieusement, regardant la mer.

- Il est toujours là, n’est-ce pas ?

- Quelque part derrière nous maintenant, si vous regardiez à bâbord, répondis-je à son inquiétude. Il nous laisse prendre de la distance, puis subitement, il revient se placer en parallèle, à moins de trois, quatre milles nautiques de nous. C’est sa stratégie pour jouer avec nos nerfs, croit-il le pauvre. Vous avez vu la bâche de camouflage, qui recouvre la rampe en poupe ?

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- Oui, bien sûr. Et alors ?

- Si vous alliez regarder dessous, vous y verriez un étrange petit sous-marin. Il mesure dans les onze mètres je crois. Les nazis l’ont baptisé Seehund. Il pouvait embarquer deux passagers, à l’origine. Mais les américains l’ont transformé, nettement amélioré, par rapport aux prototypes, construits en 1945. Aujourd’hui, celui que vous verriez, est doté de deux torpilles balistiques. Autre avantage, il peut transporter sur une courte distance, jusqu’à six hommes.

- Vous pourriez couler ce pirate, en un rien de temps ? C’est ce que vous voulez dire, n’est-ce pas ?

- C’est, en effet ! Mais personne n’en donne l’ordre. Bernard fulmine, je le sens. Il aimerait bien, essayer son gadget. Sur la passerelle, chez les américains, ils attendent le feu vert de leurs amirautés respectives, qui eux, attendent des politiciens, qu’ils prennent une décision pour des militaires. C’est toujours ainsi ! Je me demande ce qu’un rond de cuir, le cul assis dans son fauteuil ministériel, comprend à la guerre. Pour eux, tout n’est

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que géopolitique et compromis. Bah ! Je suis fatigué de tout ça !

- Ceux qui gouvernent à bord ou ailleurs, doivent avoir leurs raisons, non ? Et que vous soyez fatigué, cela se voit sous vos yeux. Maintenant que l’essentiel est accompli, vous devriez manger, et vous reposer un peu.

- Possible ! J’ôtai mon béret que je rangeais sous l’épaulette de ma vareuse de combat, d’un geste machinal. Les Américains ont de bonnes raisons, repris-je. C’est justement, ce qui me tracasse, voyez-vous ? Ils m’ont gentiment évincé du coup.

- Ah bon ? Et pourquoi voyons ?

- Parce que, je ne suis pas un… professionnel voyez-vous, selon la version officielle. Mais… Je ne sais pas ! J’ai un très mauvais pressentiment. J’ai les pièces d’un bien étrange puzzle sur la table, mais je n’ai pas encore, le carton avec le dessin, sur lequel le reconstituer, vous savez ? Bon ! Je peux m’amuser à chercher. Mais je vais perdre un temps précieux.

- Sans vous, ils n’auraient peut-être jamais retrouvés le traitre.

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- Sans nous, Jackkie, rectifiais-je. Mais comme vous le dites si bien, ils doivent avoir leurs raisons.

- Je ne crois pas en votre semblant de fatalisme. Que mijotez-vous ?

- Moi ? Absolument rien, voyons ! Après toutes ces tribulations, j’ai simplement envie…

Je me frottais le menton, mimant la distraction, mes yeux pénétrant profondément les siens.

- De quoi ? dit-elle, ses lèvres cherchant à sourire, mais n’y parvenant pas, elle les remua maladroitement, dévoilant ainsi un trouble montant.

- D’un bon café, avant de reprendre mon train-train, dis-je, jetant mon mégot par-dessus bord, d’une pichenette.

- Hum ! émit-elle, laissant tomber ses bras sur ses hanches. Etait-ce un soupir de dépit, qu’elle venait d’émettre furtivement ? Cela ne faisait aucun doute.

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- Vous aviez d’autres projets ? m’enquis-je, faisant mine, de ne rien avoir perçu, de sa déception manifeste.

- Laissez aller, Max ! Vous ne comprendrez jamais rien aux femmes.

- Croyez-vous ? Je vous regarde et je me dis, que vous-vous efforcez à étouffer en vous, un sentiment naissant, car vous êtes encore, dans l’incertitude de l’avenir.

- Voyez-vous ça ? Vous me passionnez là, Max. Je vous assure, que je suis stupéfaite. Dites pour voir ? Vous parlez d’avenir ? Il est des plus incertains, en effet. Il me suffit de regarder autour de moi, pour en être persuadée. Vous avez fini, de truffer les cales d’explosifs ? Mais quoi encore ?

- Il y a un fantôme, entre nous ! Vous ne croyez pas aux fantômes, m’avez-vous affirmée ?

Elle me regarda avec cette gravité, qu’elle savait adopter, lorsque la situation devenait critique.

- Il est fait de chair et de sang, ce fantôme, Max. Même très loin d’ici, il est encore dangereux. Il occupe votre esprit, de façon

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quasi permanente. Prenez garde, qu’il ne vous égare pas, du présent. Ce serait vraiment dramatique.

- J’en arrive vraiment à penser, que vous êtes une fine psychologue. Que de choses, nous enchainent, n’est-ce pas ?

- Que de choses, « vous » enchainent, Max, insista-t-elle, sur le mot clé, posant sa main glacée sur la mienne, les yeux baissés, m’offrant une physionomie attristée. Je l’aurais volontiers embrassée, à cet instant-là. Ses beaux yeux s’approprièrent encore une fois les miens. Elle resta silencieuse, cherchant à percer mes pensées. Je sus qu’elle y parvenait parfaitement, à son sourire qui me fit oublier mes tourments. Quelque chose de plus fort, venait m’interdire de sauter le pas. Et je savais, que ce n’étais pas, à cause d’un fantôme. J’envisageais, de sauver sa vie ! Comment ? Là était, toute la question. Je me disais, que je trouverai bien une solution. Alors, je me retenais, au regard de cette obsession. Car s’en était une !

- Alors ce café ? Je vous l’offre ? rompis-je le charme.

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- Elle va vous couter chère l’invitation, car je meurs de faim ! Vous vivez d’amour et d’eau fraiche, Max ?

Elle me jouait la désinvolte ! Mais sa main tremblait encore, dans la mienne.

- Je ne sais pas, si cette eau est fraiche, Jackkie, répondis-je, en désignant l’océan du menton. Mais je sais que l’amour, est plutôt indigeste.

- C’est un plat qui se mange lentement, Max. Il faut le savourer ! Mais c’est vrai, qu’il refroidit vite. Voilà la raison pour laquelle, beaucoup le dégustent goulument, et en font une indigestion. Bicarbonate de soude, Max. C’est très bon, pour les crampes d’estomac, conclut-elle, mi-figue, mi-raisin, profitant bien de son avantage. Haussant les épaules, je la pris par le bras, l’entrainant vers le mess. Mais je pensais, qu’elle n’avait pas tort. Il ne faut pas avaler comme un goinfre. On risque seulement de s’étouffer. Un vieux gitan sédentaire, vivant dans mon quartier, affectionnait cette insulte: « Je mange tes morts », disait-il pour un oui, pour un non. Un ami Gitan aussi, lui répondait sereinement : « Mange ce que tu as dans l’assiette, Canard. Mange

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ce que tu as dans l’assiette » ! Oui, cela ne s’invente pas, le gars s’appelait « Canard », Dieu ait son âme.

- Je me suis inquiétée savez-vous? dit-elle, alors que nous progressions à l’intérieur du navire. Elle tourna la tête dans ma direction, m’offrant le plus merveilleux des sourires, ainsi que ces éclats diamantés, qui brillaient dans ses yeux.

- J’essayerai dans l’avenir, de ne plus vous causer de soucis de ce genre, promis-je un peu trop hâtivement.

- Je ne vous reconnais pas là. Vous progressez dans l’optimisme ? Mais ce ne sera pas, chose facile, conclut-elle, d’une voix monocorde. Sa main s’empara de la mienne, et ses doigts, l’enfermèrent dans un étau. Elle marchait en regardant bien droit devant. Mais je la vis se mordre les lèvres, l’air soucieux. Dire que je possédais le pouvoir, de mettre un terme à son calvaire. Mais à quel prix, pour elle ?

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« Appel personnel, je répète, appel personnel… Le Lieutenant Girard est demandé sur la passerelle. Lieutenant Girard, sur la passerelle », crachota le haut-parleur.

«  Décidément, je n’arriverai pas à m’alimenter aujourd’hui », pensais-je avec aigreur.

- Vous avez saisie l’horreur d’être soldat, Jackkie ?

- Oui ! Ne vous l’avais-je pas dit, que ce serait difficile, de vous tenir à vos résolutions ? Eh bien, recommençons ce que nous avions prévus à midi ? Je vais faire du café et prendre d’autres sandwichs, en espérant que cette-fois ci, je n’aurais pas à tout jeter à la poubelle.

- Ne pariez pas !

Sur ces mots prophétiques, quant à l’évaluation d’un avenir proche, je la laissais en compagnie des trois officiers de quart, qui eux, avaient la chance de pouvoir déguster enfin un bon café, et des galettes Vietnamiennes, spécialité de notre bon

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Nguyen. La pauvre fille, se vit très vite accaparée par ces loups de mer, en chasse. Malheur aux sardines ! Mais je ne me souciais guère pour la jeune anglaise, qui n’était pas dépourvue d’armes redoutables pour se défendre. Principalement la dérision, j’avais eu le plaisir de le remarquer. Quatre à quatre, j’empruntais les escaliers intérieurs, conduisant au poste de commandement. Lorsqu’essoufflé j’arrivais enfin au sommet, je ne pus que ressentir la tension, et l’effervescence qui y régnait.

- La barre au zéro, vitesse dix-huit nœuds, ordonnait le Commandant LANGE. Officier appareilleur !

- Commandant ? répondit présent le chef des techniciens radars.

- Au rapport !

- Rien à signaler à moins de trente milles nautiques, Commandant. Deux unités naviguent nord-nord-ouest, en direction de Ceylan. Elles sont distantes de six milles nautiques, et ne dévient pas, de leurs trajectoires. Vitesse de l’unité de tête, 20

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nœuds. Vitesse de l’unité poursuivante, 18 nœuds, Commandant.

- Bien ! Ne les perdez pas de vue.

- Reçu Commandant !

- Ah ! Lieutenant Girard. Vous me semblez épuisé. La nuit a été pénible pour tout le monde. Prenez donc ces jumelles.

Je les pris d’entre ses mains, le suivant sur la plateforme de vigie tribord, ressemblant à une guérite. Du large interstice, je pus viser le point que le Commandant me désignait. Mais c’était parfaitement inutile. J’aurais aussi bien pu, le voir à l’œil nu.

- Vous êtes fin observateur, Max. Qu’en pensez-vous ?

Je pris mon temps. Ce que j’en pensais ?

- J’éprouve un frisson, qui me court le long de l’épine dorsale, Commandant. J’observe un grand vide !

- Ah bon ? Vous aussi ? Allez-y, lâchez-vous Max.

- Eh bien… Mon beau père était marin, Commandant. L’été, lorsqu’il était en

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congé, nous partions tous en Corse. Nous prenions un ferry. Un homme de mer, ne prend jamais l’avion, n’est-ce pas ? Il m’avait fait cadeau de l’une de ces paires de jumelles marines. Alors enfant, je jouais à l’officier de quart, sous la direction amusée de mon beau père, qui me donnait des conseils. J’en ai vu des navires, conclus-je, posant les jumelles sur la tablette en acier du poste de vigie.

- Oui ? Mais encore ?

- Eh bien ! Leurs ponts grouillaient d’activités. Là ? Nous ne voyons jamais l’ombre d’un chat.

- C’est bizarre hein ? Votre beau Père ?

- Le mari de ma mère, Commandant.

- Oh oui ! Je comprends ! Il vous a bien formé. Ils doivent travailler, et sortir prendre l’air la nuit. Pourquoi ?

- Je pense à Ulysse ! Ce serait un cheval de Troie, Commandant, qu’il n’y aurait rien de bien étonnant. Ah le coquin ! Il nous incitait bien, à lui rentrer dedans, en arraisonnant ce pauvre voilier.

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- Hum ! Mon petit doigt me dit, que vous avez raison Lieutenant. Nous redoutions une escarmouche venant d’ailleurs, alors qu’elle se précise sous nos yeux.

Il marqua un court instant de silence.

- Nous avons reçu l’ordre, d’arraisonner cette vermine. J’ai transmis cet ordre à Mahersen, qui doit en cet instant même, tenir un briefing avec le Lieutenant Kowalski, avant un abordage en règle.

- Si j’étais vous…

- N’en dites pas plus ! J’annule l’ordre d’abordage. Nous allons l’envoyer par le fond.

- C’est Bertin, qui sera le plus heureux et nous, nous aurons préservés la vie de nos gars. Quant à eux ? Ils sont fous ?

- Parce qu’ils étaient informés ? C’est ça, d’être sous le joug de la tyrannie, Max ! Ils n’ont plus le choix ! Reculer pour eux, serait inconcevable.

Je me souvins, qu’il avait prononcé ces mêmes mots, durant le briefing, pour ce qui concernait, l’avènement de cet Ouragan.

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Mais c’était de nous, dont il était question alors.

Sur ce, il se précipita à l’intérieur de son poste de commandement, s’emparant vivement du combiné téléphonique.

- Merci Lieutenant. Et félicitations pour avoir si vite, solutionné ce problème préoccupant, me lança-t-il. Vous pouvez disposer.

- Reçu Commandant ! répondis-je, saluant à la hâte.

Mais toutefois, je n’avais pas encore dit mon dernier mot. Il était temps, d’aller secouer les puces de nos alliés américains, tout en regardant une sale bête, droit dans les yeux. Celui-là, il ne perdait rien pour attendre. Je marchais d’un pas décidé, en direction de l’unique cheminée, située au centre du pont promenade, jouxtant la passerelle de commandement. Sans frapper, j’ouvris la porte du poste, où les agents de la C.I.A avaient élus domicile.

- Salut les gars, lançais-je à la cantonade. Le café est prêt ? Alors, va pour une tasse, avec deux sucres…

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- Entrez donc, Max, m’accueillit avec un large sourire, le Colonel James Lewis, se dressant sur ses jambes, qui se détendirent tel un ressort. C’est étrange, mais je pensais justement à vous, ajouta-t-il, refermant avec précipitation un dossier, qu’il consultait, assis derrière son bureau.

- Eh bien vous voyez ? Inutile de me téléphoner désormais. Pensez et… j’arriverais ventre à terre. Où est cette enflure ?

- Enfermé dans la pièce attenante, sous bonne garde. Pourquoi ?

- Parce que comme vous ne l’ignorez pas, nous allions attaquer ce navire pirate. Mais ce que vous ignorez toutefois, n’est autre, qu’il nous baise, ce cher Schtröbe. Vous aimez ça ?

Je le vis devenir blême.

- Nous allions… avez-vous employé ce verbe au passé ? Les ordres ont changés ?

- Je veux, mon neveu ! Ce cargo qui nous nargue depuis de longues heures, est rempli d’hommes en armes, jusqu’aux ras de ses panneaux de cales. Nous aurions eu

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une belle surprise, si nos trente fantassins, avaient mis les pieds à son bord. Vous voyez, Colonel ? Notre rat d’égout, gardait pour lui le meilleur de la farce.

- Son of the Beach ! Mais comment avez-vous deviné ?

- Ce serait trop long, Colonel.

- James ! Je vous appelle Max, appelez-moi James ! Je fais faire du café, car je sens que nous en aurons besoin. Nielsen ! hurla-t-il.

La porte, d’une petite pièce attenante s’ouvrit, et une tête apparut.

- Sors-moi le boche, de là !

L’autre acquiesça d’un simple hochement de tête, avant de propulser telle une catapulte, le dénommé Schtröbe, dans notre pièce. Il atterrit sur la grande table de bois fixée au sol, au centre de la pièce, sur laquelle trainaient un tas de dossiers, certainement sans grandes importances.

- Assis sur cette chaise, beugla James Lewis. Le prisonnier, ne se le fit pas dire deux fois. Il me regarda, comme si j’étais le diable en personne. A priori,

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l’interrogatoire avait débuté sans moi. Eh oui ! C’est ça, la collaboration ! Quelques contusions récentes, marquaient le visage du prisonnier. Ses liens étaient si serrés, que ses mains, étaient devenues blanches. Je m’avançais à grands pas vers lui, sortant d’un geste sec, mon poignard de son étui.

- Ah non, ah non ! Vous n’allez tout de même pas recommencer ? hurla-t-il, cherchant à faire tomber la chaise pour m’échapper. Mais d’un geste vif, je tranchais ses liens. Il me regarda surpris, se frottant les poignets.

- Voyons Schtröbe ! J’ai quelques questions à vous poser. Chaque fois, que vous répondrez mal, je vais vous baffer. Et ce ne sera rien, en comparaison de ce que je vous réserve, éventuellement. De ce fait, je tiens à ce que vous ayez les mains libres, vous permettant ainsi de vous rebiffer. C’est noté ?

- Je… je…

- Première question ! Quelle maladie tropicale, avez-vous contracté ?

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- Comme vous, Lieutenant. La malaria, répondit-il du tac au tac, reprenant place sur sa chaise, l’air apathique.

- A quoi jouez-vous, Max ? s’inquiéta Lewis, reprenant place sur sa chaise. C’est quoi, cette question ?

- Je joue au… professionnel, James. Laissez-moi faire. Bien, bien ! Les allemands, n’ont plus participés à la moindre opération extérieure, depuis ce bon Rommel, baptisé le renard du désert. Nous en avons déjà parlé, je crois ? Où avez-vous choppé la malaria ? Chut ! l’interrompis-je. Laissez-moi deviner ! Quelque part, en Amérique latine ? Voyons si je suis sur la bonne voie ? Le San-Salvador ?

- Ah bon ? Vous savez, Lieutenant ?

- Non ! Vous confirmez, c’est tout. Un camp d’entrainement pas vrai ?

- Oui !

- Bien ! Nous avançons à grands pas. Saviez-vous, que vos amis à Bruxelles, avaient fait taire à tout jamais le médecin qu’ils payèrent, pour qu’il ne dévoile pas par écrit, ces traces persistantes dans votre

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sang ? Le pauvre ! En se pliant aux quatre volontés des « cocos », il signait son arrêt de mort. C’est accessoire, pour l’instant. Mais cela, mérite d’être dit.

- Non ! Je sus qu’ils le faisaient chanter, à cause de sa liaison extraconjugale, avec une secrétaire médicale. Mais je ne savais rien d’autre.

- Elle était dans le coup, la secrétaire ?

- Je ne sais pas Lieutenant. Je vous jure, que je ne sais pas.

- Ok, ok ! Comment avez-vous été recruté, par les agents de l’Est ?

Il collabora, sans rechigner. Je crois, que ce gars, n’appréciait pas des masses, ce sport qui a pour nom, « la pêche au vif »…

- J’étais cantonné à Baden-Baden, mais on m’a envoyé en mission à Berlin. Là, j’ai rencontré une jeune femme, dont je me suis épris.

- Oui ! Chercher la femme ! Toujours la même rengaine. Après ?

- J’ai quitté l’armée.

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- Oui ? C’est tout ?

- Non ! Ils m’ont envoyé au San-Salvador, suivre un entrainement…

- Je vois, je vois l’interrompis-je. Je ne désirais pas du tout, qu’il en dise trop à ce sujet. J’avais d’ores et déjà forgé mon opinion, concernant ce genre de stage de perfectionnement. Vous-vous êtes fait retourner… par amour ? repris-je l’interrogatoire. Mazette ! C’est payé combien, par rapport à votre salaire de base, de gentil Feldwebel ? Bah ! Questions inutile, ne répondez-pas. Mais bigre ! Pourquoi vous ? Qu’aviez-vous de si… attrayant ?

Il nous regarda tour à tour, James et moi.

- Je parle l’Espagnol, qui est ma seconde langue. On peut être militaire et, être aussi passionné d’art précolombien ? Ma mère, était Colombienne.

- Je vois, insistais-je sur ces mots. Passionné d’art, précolombien ? Bigre ! Franchement, vous n’avez pas une trombine de passionné d’art. Mais enfin, passons ! Et Papa… était Nazi ? Je comprends, que vous ayez été très perturbé, dans votre enfance. Désiriez-vous

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laver un honneur bafoué ? Non attendez ! Une telle chance, vous était enfin offerte. Elle se présentait, en servant le bloc de l’Est ! A ce sujet, voyons ? fis-je mine de réfléchir. Une chose me tracasse, Schtröbe. Comment vos… patrons, surent-ils, ce que les nôtres, mettaient en place, pour que cessent ces attaques répétées sur la surface de ces océans limitrophes ? Et, ne me jouez pas l’ingénue. Pour entreprendre une telle mission… « d’observations », c’est ça ?

- Oui Lieutenant !

- Alors, il faut tout de même avoir atteint, un certain niveau, dans la hiérarchie. Quel niveau êtes-vous, Schtröbe ?

- Niveau III, Lieutenant. J’appartiens au service « actions » de la Stasi.

- Eh bien ! Vous voyez ? Ce n’est pas très compliqué pour passer à l’Ouest, non ?

- Vous me garantissez, un passage à l’Ouest ?

- Disons… un retour aux sources, pour ce qui vous concerne. Mais ne chipotons pas ! Je vous le garanti. N’est-ce pas, James ?

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- Sans aucun problème, acquiesça-t-il, assez stupéfait par mon… professionnalisme.

- Vous devriez vous méfier, de vos ennemis intérieurs, Lieutenant, nous informa Schtröbe. Ils sont nombreux et bien organisés.

- Hum ! Je vois ça de là ! Donc la fuite, vient de chez-nous. Un haut placé pas vrai ? Vous auriez un nom ?

- Ce n’est pas de mon niveau, Lieutenant. Mais j’ai entendu des bruits d’alcôves.

- Des bruits d’alcôves ? Je la retiendrais celle-là !

- Dans le jargon du renseignement, ce sont des murmures en huis-clos, m’apprit James. Seulement quelques personnes, généralement pas plus de trois, au sein d’une cellule, sont informées, ou bien, coordonnent les actions. Nous appelons aussi ça, « un cloisonnement ». Comment avez-vous glané ce renseignement, Schtröbe ?

- Mon amie… dit-il, se tortillant sur sa chaise.

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- Votre amie ? Oh ! Attendez ! Je crois comprendre, repris-je le flambeau.

- Je ne devais plus la voir, dit-il, anticipant sur ce que je pensais.

- Oui, oui ! Ils vous ont appâté en se servant d’elle, puis ceinture ! Interdiction de poursuivre une idylle amoureuse, qui pourrait devenir très vite dangereuse, pour le mouvement. Mais madame, avait ses entrées chez les grands ? Chez l’un des grands, en particulier ? Elle dormait dans… l’alcôve, non ?

- Oui ! répondit-il, visiblement agacé.

- En fait elle couchait avec lui, puis venait vous faire des confidences sur l’oreiller ? C’est classique ! Bref, vous avez eu le renseignement. Vous avez eu aussi, l’intelligence, de bien le garder pour vous. Une monnaie d’échange, pour le cas où ça tournerait mal ?

- Oui Lieutenant. Il faut se préserver dans ce métier.

- Pas très malin non plus, le… « haut niveau », qui se laissa aller aux confidences sur l’oreiller. A moins… qu’il n’ignorait pas,

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que la traitresse, s’envoyait en l’air avec vous et cela, malgré les ordres ? Mais non voyons ! Cette sacrée femelle, vous rapportait mot pour mot, ce que son amant, lui ordonnait de vous dire. Vous étiez doublement cocu, sur ce coup-là, mon pauvre Schtröbe !

- Je… hésita-t-il. Vous pensez que je fus manipulé ?

- Mise à l’épreuve peut-être ? C’est une méthode courante, dans le renseignement, je pense. Que vous ayez gardé pour vous, ces… confidences sur l’oreiller, je comprends très bien, Schtröbe. Je n’admets pas, votre… personnalité sinueuse, mais je comprends. Pour preuve hein ? Ça vous sert. Dites-moi à présent ? Comment avez-vous rentré votre poste émetteur à bord ?

Là, je l’égarais, en sautant du Coq, à l’Âne. Je me sentais, très inspiré, et sûr de moi.

- Je l’ai récupéré à Djibouti. Ce sont des agents du Mozambique, qui me l’ont remis. C’était les premiers jours de notre arrivée. Les contrôles pour accéder à bord, étaient beaucoup moins contraignants, vous-vous souvenez ?

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- Parfaitement ! C’était le bordel, jusqu’à ce que le Commandant LANGE arrive. Encore une question ! Ils sont nombreux entassés dans ce navire, qui nous nargue ouvertement ?

- De ce que je sais, suite à la conversation par voie de communication, que j’eus avec l’officier traitant Cubain qui commande à bord, ils sont plus de trois cents. Une compagnie de fusiliers marins Cubains, plus une trentaine de gens, de diverses nationalités.

- De pirates !

- De pirates, Lieutenant.

- Eh bien voilà ! Je crois que vous m’avez dit, tout ce qui était bon de dire. Enfin ! De ce que l’on vous fit dire !

James Lewis, m’adressa un regard, chargé d’anxiété.

- Libérez votre pensé, Max !

- Bof ! Un officier traitant Cubain, qui divulgue à une taupe, enfermée dans son propre piège, la composition de ses troupes à bord, sachant que s’il est pris, il

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balancera tout ? Il faut une sacrée couche de connerie ou bien, une immense assurance en l’avenir. Ils étaient bien renseignés sur nos intentions. Mais toutefois, quelque chose m’échappe encore. Vous ne sauriez rien, James ?

- Voyons ! Que serais-je sensé savoir de plus, Max ? Nous travaillons, main dans la main, non ? Vous en avez la preuve indiscutable, à présent !

- Très bien, James. Entendez-moi bien, voulez-vous ?

- Je vous écoute, Max !

- Accordez-lui, pour le remercier de sa… collaboration spontanée, d’assister au spectacle sur le pont.

- D’assister au spectacle ? Très bien ! Quel spectacle ?

- Nous coulons le pirate ! Ne le dites à personne, c’est un scoop, réservé à la C.I.A ! Ah ! Ne me confondez plus jamais, avec un débile mental profond, sans quoi, je vais très sérieusement, me fâcher avec vous. Vous ne voudriez pas me fâcher, James ? Et vous Schtröbe, la question de la

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mort subite ! Avez-vous touché mot à cet officier… « traitant », de la présence à notre bord, d’un Submersible, que vous connaissez bien, puisque vous êtes Allemand ?

- Oui, bien évidemment, Lieutenant !

- Ben ça alors ? Aberrant ! Franchement, aberrant ! Je n’en crois pas mes oreilles, ni encore moins, un traitre mot. Et vous James ?

- C’est surprenant, oui ! Très surprenant ! répéta-t-il, se malaxant le menton, visiblement perplexe.

- Vous voyez James ? Je crois que beaucoup de monde, autour de moi, jouent un bien étrange jeu. Il n’est pas le seul, dis-je désignant Schtröbe du pouce. Me feriez-vous confiance, si je vous affirme, que j’en aurai le cœur net ?

Il ne répondit rien, mais dans ses yeux, je pus lire une certaine prudence, l’incitant à ne pas commettre d’actes inconsidérés. Ce qui me fit songer, que réellement, ce gars avait beaucoup à perdre, en me fâchant ! Je lui adressais un sourire de satisfaction.

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Mais avant de quitter son antre, je m’adressais une dernière fois au prisonnier.

- Mon cher Schtröbe ! Je ne sais pas pourquoi, mais cet officier Cubain, ne vous prit pas trop au sérieux. Laissez-moi vous dire, qu’il ne tardera pas, à en payer les conséquences. Euh ! Il serait bon de se demander pourquoi, il ne vous prit pas très au sérieux. Voyons ? Laissez-moi réfléchir ? Les Soviets ! Je ne serais guère étonné, qu’ils cherchent à baiser quelqu’un. Vous ne sauriez pas, qui est en tête de liste, Schtröbe ? Je vais chercher, je vais trouver. Mais je puis d’ores et déjà affirmer, que ce n’est pas nous ! Etrange non ? Les Soviétiques, seraient-ils devenus nos alliés, sans que nous le sachions ? Vous rendez-vous compte, de l’importance de l’information, dont je suis détenteur, Schtröbe ? Je vais pouvoir annoncer au monde entier, la fin de la guerre froide ? Je ne m’y risquerai pas, soyez sans crainte. Mais ils vous firent bien répéter votre texte, pas vrai ?

Il ne répondit rien, regardant fixement, la pointe de ses souliers.

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- Je vous avoue, que je suis complètement dans le noir, là, Max, dit Lewis, ne sachant plus, sur qui son regard devait se fixer. Ils lui firent réciter une leçon ?

- Au mot, et à la lettre près ! Vous n’avez pas un quidam, devant vos yeux, mais un véritable magnétophone. Vous voyez, James ? Ce bonhomme, est le pur produit de la Tricontinentale Terroriste. Vous autres les gens de la C.I.A, en comparaison ? Vous passeriez pour des enfants de chœur. Pas vrai, Schtröbe ?

- Allez-vous m’expliquer, nom de Dieu, s’emporta James, au bord de la crise d’apoplexie.

- Quoi ? Vous ne suivez pas le fil de l’information, chez-vous ? Fidel Castro, serait la papa, d’une hydre à trois têtes, nommée : « La tricontinentale terroriste ». Mais à bien regarder l’enfant de près, il n’a pas la bouille de Castro. Qui est le papa, selon vous, James ? Il faut tout dire, au Monsieur de la C.I.A, comme un gentil petit garçon, Erich ! dis-je m’adressant au prisonnier. Peut-être, que tu éviteras de le mettre en rogne, car regarde ! Il va

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exploser, si tu persistes à le prendre pour le dernier des cons.

Là, j’eus droit à un regard furibond. J’avais encore visé juste. Quant au digne représentant de la firme à bluffs, il demeura assis sur sa chaise, me faisant penser à un poulet. Il avait le bec ouvert, mais aucun son n’en sortait. Je ne pus réprimer un ricanement satanique au possible. En définitive, ces quelques semaines de stage, m’avaient été plus que seulement bénéfiques. J’apprenais vite ! Et surtout, je lisais beaucoup !

19 :00.

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Trois chariots roulants, distants les uns des autres, de trois mètres, supportaient le submersible. Ils étaient montés sur des rails solides, soudés à la rampe inclinée à 5°. Ces chariots, étaient eux-mêmes dotés de rouleaux, sur lesquels reposait la quille du Seehund, ce dernier, provisoirement maintenu sur son axe, par des mâchoires à pression hydrauliques, qui le libèreraient de leurs emprises, le moment venu. Il était dix-neuf heures, lorsque la manœuvre de mise à l’eau du sous-marin, fut ordonnée par l’officier de pont. Les chariots se virent débrayés. Ils glissèrent sur les rails, jusqu’au butoir où tous trois s’assemblèrent. La poupe du Seehund, s’était enfoncée dans l’eau. Là, une mâchoire d’acier aux bouts renforcés, par des amortisseurs de chocs en caoutchoucs, enserra la proue du submersible. Les mâchoires de maintien, l’avaient libéré, durant la descente. Puis lentement, cette tenaille s’enfonça dans le sillage du Seko, avant de libérer sa proie. Le sous-marin, venait d’être largué ! A son bord, trois passagers. Et bien évidemment, l’un d’entre eux s’appelait Bernard ! Pour

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accomplir cette manœuvre, le navire navigua tout au long de son accomplissement, cap au Nord ! Comme si le Commandant, devenant fou, avait mis en œuvre son intention, d’éperonner le pirate. Ce dernier, sentant le danger imminent, ne se fit pas prier, pour mettre cap au Nord. De ce fait, aucun de ses guetteurs, ne put voir la manœuvre de mise à l’eau du sous-marin ! Et toc ! Dans le c… la balayette !

- Ils sont parti, me dit le second, auprès de qui j’assistais à la manœuvre, sur le poste de vigie tribord. Le Seko, sous la direction du Commandant LANGE, reprit lentement sa route plein Est. Le Capitaine du bâtiment ennemi, ne devait plus très bien comprendre, ce que notre pacha avait dans la tête. Stupidement, il ne tarda pas non plus, à offrir son flan, en se remettant à naviguer en parallèle de nous. Accompagné du second, on traversa la passerelle, pour aller nous nicher dans le poste de vigie bâbord. Jumelles braquées vers le Nord, nous attendions la suite !

- Voilà ! dit le Commandant, venant nous rejoindre. Le Seehund, naviguera encore une dizaine de minute à l’abri de notre

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masse. Puis, il va nous passer dessous. A cette distance, dix autres minutes seront nécessaires, à ce qu’il largue ses deux torpilles. J’enclenche le compte à rebours, dit-il, actionnant son chronomètre.

L’attente ! Il n’existe rien de plus terrible au monde, que l’attente ! J’émis un soupir, révélant mon anxiété.

- Posez donc ces jumelles, Max, me conseilla le Commandant. D’ici, vous ne manquerez pas le spectacle.

- Il y a du mouvement sur ses ponts, Commandant !

- J’ai vu ! Ils sont encore sous le choc, de ce qu’ils crurent être une attaque, visant à aborder leur navire. Me prendraient-ils pour un suicidaire ? dit-il en ricanant. Ils comprendront trop tard, leur erreur. Capitaine Farel !

- Commandant ? répondit l’interpellé, s’empressant de venir nous rejoindre, sur le poste de vigie.

- Paré à mettre les chaloupes de sauvetage à la mer ?

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- Chaloupes 1-3-5-et 7 sur bâbord, parées, Commandant !

- Restez sous les ordres !

- Reçu, Commandant !

Les dernières secondes, devinrent très éprouvantes pour les nerfs, d’autant plus, qu’il devenait indéniable, que l’ennemi flairait quelque chose. Le navire, se mit à naviguer en zigzag, rendant très certainement la tâche du releveur de distances à bord du Seehund, encore plus difficile. Mais le gars, connaissait bien son job ! La première explosion, arracha totalement la proue du navire ennemi. Vu la distance, c’était imparable ! Ce fut un sacré choc pour moi, d’assister en direct à ce spectacle désolant, effroyable, disons le même. La seconde torpille, lancée après cinq secondes précédant la première, frappa sa coque en plein centre. La détonation suivie de l’onde de choc qui courut sur la surface de la mer, fit vibrer les tôles d’acier de notre bâtiment, au point, qu’il était impossible de laisser ses doigts sur le bastingage, sans ressentir comme une décharge électrique. Et je ne vous dis pas, ce que nos oreilles subirent.

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Le pirate, se fendit en deux, puis l’arrière se coucha sur le côté tribord. Une épaisse fumée noire, envahit le ciel. Il ne fallut pas plus de dix minutes, a compté de la première torpille faisant mouche, pour que la proue en premier, suivie de la poupe, disparaissent dans un immense tourbillon d’eau bouillonnante, de la surface de cet océan. J’étais hypnotisé, paralysé, retenant encore ma respiration.

- Aléas jacta est ! dit le Commandant, pour toute oraison funèbre. Capitaine Farel !

- Commandant ?

- Chaloupes de sauvetage à la mer ! Paré à récupérer le Seehund !

- Reçu Commandant !

L’officier s’écarta de nous, communiquant ses ordres, à l’aide de son talkie-walkie.

- Stoppez les machines ! ordonna le Commandant.

- Stoppez les machines, reçu, Commandant, répondit le Lieutenant, chargé de la manœuvre, en l’absence du pacha sur la passerelle. Machines stoppées,

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Commandant annonça-t-il d’une voix vibrante de l’émotion ressentie. Ce devait être un baptême du feu, pour ce jeune officier. Mais l’observant du coin de l’œil, je me rendis compte, qu’il conservait toute sa lucidité. Je me devais de très vite me reprendre. Ce ne fut pas très facile. Mais je me suis efforcé de ne rien laisser transparaitre, de ce que je ressentais.

- Bien, dit le Commandant, ôtant sa casquette, qu’il posa sur sa poitrine en signe de recueillement. Il demeura silencieux une bonne minute, alors que nous faisions de même.

- C’est la pire des choses, qu’un marin se doit d’accomplir, dit-il, brisant enfin le silence.

Braquant mes jumelles sur la surface de l’océan, je vis des dizaines et des dizaines de cadavres, dans une nappe de flammes longitudinale, marquant l’emplacement du navire. Je me dis, que bien chanceux celui, qui s’en serait sorti indemne. Le navire ennemi, avait emporté avec lui dans les profondeurs, tous ceux qui n’avaient pas eu le temps, de s’extirper de ses cales et entreponts. « Bon Dieu, qu’il est facile de

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perdre la vie », pensais-je, comme si je venais tout juste de prendre conscience de cette évidence, qui frappe l’humanité, depuis ses tous premiers pas sur terre. En fait, c’était pour moi une toute première confrontation, avec la mort violente, d’autant d’hommes. J’enserrais le béret que je tenais dans ma main droite, espérant en vain, voir quelqu’un remuer.

- Venez Lieutenant ! me dit le Commandant. Maintenant, nous devrons attendre le retour des chaloupes de sauvetage, pour dresser un bilan. Après, nous devrons au plus vite, quitter les lieux. Ce n’est là qu’un début ! Faudra que vous-vous y fassiez !

- Je… Je m’y ferai, Commandant ! Je m’y ferai, répétais-je, guère convaincu pour autant. Pourtant, Schtröbe, affirme les avoir informé. Mais, je sais que ce n’est pas vrai.

- Ce serait… Bon Dieu ! A quoi faite-vous allusion, Max ? Que dois-je comprendre ?

- Ce que vous venez de comprendre, Commandant ! Nous sommes les pantins, ne sachant même pas, qui exactement, tire

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les ficelles. Je crois pouvoir affirmer, sans trop faire erreur, que justement, l’enjeu, ce sont ces ficelles. De nombreuses mains, veulent s’accaparer le pouvoir, d’articuler les pantins. Je vois venir avec beaucoup de craintes, l’instant fatidique, les voyant s’embrouiller les pinceaux. Pas vous ?

- Vous avez de la jugeote, Max, dit-il, fixant l’océan en flamme, le visage parcouru de petits tics nerveux.

- Je ne cesse de penser à ça ! C’est inconcevable ! Je pense… Et si les Soviets, avaient planifiés cette embrouille, pour que justement, nous ne rencontrions aucun obstacle sur notre route ? Ce serait beaucoup moins inconcevable, Commandant.

- Inconcevable en l’occurrence, est un doux euphémisme. Ce serait… diabolique ! Je crois, que je suis bien votre pensée, Max. Il demeura un court instant silencieux et dubitatif. Je vois ! Ils sont à l’abri, de toutes formes de présomptions de culpabilités, à présent.

- Hum ! C’est certain, Commandant. Et les chinois, leur sont redevables. Nous avons

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coulé l’un de leurs navires, « intérimaires », avec de nombreuses victimes à dénombrer. C’est horrible, non ? Ils ont expédiés leurs propres hommes, à une mort certaine. Il le fallait impérativement.

- Ils vont en retirer toute la gloire. Mais si je suis bien votre raisonnement, ils espèrent mieux que la gloire, à l’arrivée.

- Oui ! Une guerre totale ! Et qui, sera le dindon de la farce ?

- Les chinois… Ce sera arrivé, par la faute des chinois. Et bien sûr, les Soviétiques, proposeront une alliance, que la Chine, ne sera pas en mesure de refuser. Bon Dieu ! Il faut espérer, qu’un… officier, pour le moins, aura survécu, conclut le Commandant, l’air de plus en plus soucieux. Nous approfondirons cette énigme plus tard, dit-il enfin. Pour l’instant, allez donc prendre un peu de repos ! Ou quelques bons verres, en agréable compagnie. Vous avez accompli un excellent travail, Max. Croyez-le, vous y êtes pour beaucoup, si nous venons d’emporter cette bien amère victoire, sans perdre un seul de nos hommes. Tout aurait

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très bien pu, très mal se terminer pour nous.

- Non, Commandant ! Schtröbe a largement contribué à ce que vous nommez, une bien amère victoire. Que faisons-nous ? Nous le décorons ou bien, nous le fusillons ?

- Nos amis… américains, prendront les dispositions qui s’imposent, le concernant. Ils ont bien droit, à une compensation, non ?

J’entendais bien ? Il y avait bien plus que de l’ironie, dans les paroles prononcées par le Commandant. Etais-je doté d’un sixième sens, don réservé aux femmes, selon Jackkie ? Je rangeais cette appréciation sarcastique, du pacha, dans un coin secret de mon cerveau. Pourquoi, étais-je persuadé, que je ne tarderai pas, à me rendre au coffre ?

- Je vous remettrais mon rapport d’interrogatoire du prisonnier, Commandant. Vous serez surpris !

- Oh vous savez, à mon âge, plus grand-chose ne parvient à me surprendre autant. Mais j’attends votre rapport !

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23 :40.

J’en étais à mon troisième bourbon, accoudé au comptoir du mess, lorsque mon petit groupe d’amis fit son apparition. Impossible de dormir ! J’avais vainement essayé. Bernard, fut applaudit par les officiers, qui trainaient encore en ce lieu, en cette heure déjà avancée. Je n’avais plus guère prêté attention à l’effervescence, qui régnait à bord. Je m’en fichais totalement ! Je levais mon verre dans sa direction, sous le regard perçant de Jackkie, qui visiblement tentait de lire dans mes pensées. Elle abandonna ses amis, venant me rejoindre au comptoir.

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- Ne partageriez-vous pas, l’enthousiasme débordant de Bernard, me demanda-t-elle, parlant à mi-voix.

- Ma foi ! Je devrais ?

- Je ne sais pas, Max. A vous de me répondre ? Vous êtes à des lieux d’ici. C’est l’alcool ?

- Eh ! Je n’en suis qu’à mon troisième verre. Je n’ai pas touché aux sandwichs, que vous avez laissés en évidence dans ma cabine. Vous avez faim, vous ?

- Non ! Pas après ce que je viens de voir ! Vous devriez avaler, 0quelque chose de chaud.

- Je devrais, oui ! Je vais me retirer dans ma cabine.

- Je viens avec vous ! Et, ne me dites surtout pas non ! Je vous accompagne, venez.

- Je ne suis pas saoul !

- Non ! Mais cela ne saurait tarder !

- Eh Jésus ? Qu’en penses-tu mon pote ? criais-je, en direction de ce pauvre Ché, qui

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me regarda avec effarement. Tu sais ? Tu as raison de ne pas répondre, car tout le monde s’en fiche, de ce que tu penses ! Regarde ! Ils fêtent la victoire ! Tu es de la partie ?

- Venez, Max ! me supplia Jackkie, me tirant vigoureusement par le bras. Ne vous en prenez pas à lui, parce qu’il est de ceux, qui critiqueront cet acte. Il n’y est pour rien.

- J’en connais un, qui a fêté la victoire bien avant les autres, dit Bernard en riant.

- Ah oui ! Belle victoire ! Deux torpilles sous la ligne de flottaison, plus de trois cent trente morts ! Nous devons être satisfaits.

- Il y a des survivants, Max, m’apprit Jackkie. Une trentaine d’entre eux, sont à l’infirmerie, et quarante en prison.

- Mazette ! Soixante-dix épargnés ? Aurais-tu mal visé, mon ami ?

- Qu’est-ce qui t’arrive à toi ? demanda Bernard, sourcils froncés.

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- Il est fatigué et il a bu, dit Soumaya. Il faut qu’il se repose, maintenant. Veux-tu un comprimé pour dormir ?

- C’est bon ! Je dormirai du sommeil du juste ! Nous avons accompli notre devoir ! Cela ne nécessite pas, de faire la bamboula pour autant. Je levais mon verre que je tenais toujours en main, et en Russe je dis : к вашим коллегам здоровья! (A votre santé, camarades).

- Je vous en prie, venez maintenant, insista Jackkie, m’attirant non sans peine, à l’extérieur du mess, après m’avoir retirée le verre de la main, et l’avoir donné à Soumaya, qui le posa du bout des doigts sur une table.

- Tu vas mourir Soumaya, si tu ne prends pas un peu de repos, dis-je à mon amie, tout en lui caressant sa joue, brulante de fièvre. Elle m’adressa un sourire empli de tristesse.

- Je vais y songer, dit-elle simplement.

Mais Jackkie, eut enfin raison de moi, m’extirpant de là, manu-militari.

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Arrivés dans la coursive, je fus le premier étonné, de cette soudaine pulsion, qui s’empara de moi. Je posais mes mains, sur les épaules de la jeune anglaise, la repoussant sans violence, dos contre la paroi.

- Vous faites quoi là, Max ?

- Je tiens à vous remercier.

- En m’embrassant, c’est bien ça ?

Nos yeux, s’étaient étroitement liés durant cette joute. Mais la jeune femme, tourna la tête vers la gauche, le regard rivé au sol. Son visage reflétait tous les stigmates, occasionnés par le trouble qui gagnait son être, et contre lequel elle désirait lutter, non sans dévoiler ses faiblesses.

- Ne faites pas ça, murmura-t-elle, d’une voix dominée par l’émotion. C’est une autre que moi, que vous voudriez embrasser, Max. Je veux bien vous aider, mais pas à ce point-là !

- Qu’est-ce qui peut bien vous faire penser, que ce n’est pas vous, que je désire embrasser ?

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Elle leva enfin les yeux.

- Voyons ! Vous sortez tout juste d’une rupture, qui a lésée votre cœur. L’auriez-vous oublié ?

- Vous voyez ? C’est vous, qui avez peur des fantômes !

- Vous revenez là-dessus ? Je crois m’être expliquée, non ?

- J’ai fait le point, Jackkie ! Je dois me tourner résolument vers l’avenir, à présent. Mais seulement… Il y a un, « mais seulement ».

- Quel avenir, Max ? Seriez-vous parvenu en quelques secondes, à réviser vos valeurs, ainsi que des quantités de certitudes acquises ? Et dite-moi, ce qui se cache derrière ce… « mais seulement » ? L’alcool vous désinhiberait-il à ce point ? Allez jusqu’au bout de vos pensées voulez-vous, sans quoi, je sens que je me noie.

- Je ne sais pas ! J’ai l’impression d’avoir un poids colossal sur mes épaules. Je ne rêvais pas, de récolter autant de responsabilités. Il est vrai, que je vois les choses tout autrement, après ce… ce…

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- Ce tragique épilogue ?

- Je suis soldat ! m’emportais-je presque, serrant plus fort, ses épaules, que je tenais entre mes mains.

- Ne faites pas, ces yeux furibonds, vous ne m’impressionnez pas. Je crois qu’il y a bien longtemps, que votre destinée vous échappe totalement, Max. Vous-vous auto-persuadez, voilà votre plus grande faiblesse. Vous êtes… un garçon sensible, adorable sur bien des points. Mais, vous jouez un rôle, au sein d’un mélodrame où vous figurez. Ce n’est pas vous ! Vous avez occulté, votre véritable personnalité, en mettant cet uniforme sur votre dos. C’est lui, qui pèse lourd sur vos épaules. Vous me faites mal en serrant ainsi.

Je relâchais la pression, mais pas ses adorables épaules bien rondes, chaudes et veloutées. Elle avait la chair de poule.

- Un figurant travestit ? Vous mettez à mal mon orgueil. Je me croyais un acteur essentiel ! Mais ce que vous dite, ne manque pas de pertinence. Vous souvenez vous, des mots prononcés par Soumaya, pendant que nous attendions un appel du

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Colonel Mahersen ? Elle a dit : « Nous sommes tous, les prisonniers de quelqu’un ou de quelque chose » ! Je le suis, de ma conscience ! Je l’ai engagée avec moi, en épousant la carrière militaire, Jackkie. Que je sois… troublé, peiné de ce que je vis, me rassure et me réconforte pour l’avenir. Je sais, que je ne perdrais jamais mon âme. Après tout ? Ne combattons-nous pas, pour le bien être de l’humanité ?

- Oui ! Sans aucun doute, Max. Un seul problème ressort de votre évaluation morale des choses. Les autres en face, pensent de même ! Ce n’est qu’un choc des idées, un choc des cultures, mais qui a raison, qui a tort ? Je me battrais volontiers, pour préserver la vie de ma jeune sœur, de mes parents, de mes amis ou même, du plus éloigné de mes voisins ! Je me battrais comme une acharnée, si mon pays était sous le joug de l’occupation ! Mais je ne me battrais jamais, pour une idée, et par extension logique, pour une politique, qui ne vise qu’à en castrer une autre !

- Où nous conduit cette conversation, Jackkie ?

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- Dans votre cabine, voyons ! Vous en arrivez à m’horripiler Max, dit-elle, avant de commettre l’irréparable. Légèrement plus petite, elle se redressa sur la plante des pieds, m’enlaçant avec une force insoupçonnable. La force du désespoir ! Ses lèvres, mangèrent littéralement les miennes, me coupant le souffle de stupeur, me laissant sans réaction. Chose faite, elle s’écarta de moi, me brandissant son index sous le nez, bras tendu.

- Vous avez eu ce que vous désiriez ? Maintenant, gardez vos distances. Je ne coucherai pas avec vous ! Du moins, je ne l’envisage pas, comme étant un acte nécessaire !

- Pragmatique ! Mais, qu’est-ce que vous embrassez bien !

- C’est bien la première fois, que l’on me fait ce genre de compliment, dit-elle, riant et rougissant. Alors ? Vous venez ou nous passons la nuit dans cette coursive ? Vous aurez encore à vous expliquer, sur le fait, qu’il existe un « mais seulement », ôtez-vous de l’esprit, que vous y échapperez.

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Je ne me fis plus prier. Elle venait de remporter avec brio, la première manche. Mais c’était bien mal me connaitre.

11 février : 00 :05.

Les sandwichs jambon beurre, avaient perdus de leurs fraicheurs. Jackkie refit du café, alors que je finissais de ranger les dossiers dans leurs cartons. Je me questionnais en travaillant. « Tout cela, possédait-il une raison d’être » ? Oui, si je considérais que des vies venaient d’être préservées. Car je ne pouvais douter, que si l’ennemi avait eu la part belle, en ce moment, c’est lui qui pavoiserait. Alors, les vapeurs d’alcool se dissipant, je revins à la raison. J’avais honte, d’avoir poussé hors de

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ses retranchements, ma compagne de ces instants tragiques. Il y avait un « mais  seulement» ! Je ne pouvais le lui expliquer, sans la peiner plus encore.

- Un sucre ou deux, dans votre café, Max ?

- Deux, merci. Venez manger ! Vous êtes bien pâle d’un coup.

- Mais non, voyons ! C’est le reflet de cette lumière. N’ayez aucune inquiétude pour moi, je me porte à merveille. Voulez-vous, que je vous aide ?

- J’ai terminé ! Venez, vous asseoir !

Elle vint prendre place à mes côtés sur la couchette, arrangeant fébrilement son col de chemise, en essayant de paraitre désinvolte. Mais le temps fit défaut, pour qu’elle reprenne son assurance en elle. Quelqu’un tambourinait à ma porte. Je me levais, poussant un soupir de lassitude.

- Pas moyen d’être cinq minutes tranquille, n’est-ce pas ?

J’ouvris la porte assez excédé, je dois l’avouer. Je tombais nez à nez, avec James

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Lewis, qui sourire très diplomatique aux lèvres, regarda par-dessus mon épaule.

- Je vous prie, de bien vouloir m’excuser, Max. Mais c’est urgent !

- Un autre navire ennemi en vue ?

- Non ! Soyez rassuré, nous sommes bien seul ce soir, sur la surface de cet océan. Votre amie… Je veux dire, la jeune femme assise là, elle a vu le chef des pirates de près, n’est-ce pas ?

- Oui, en effet !

- Bien ! Voulez-vous l’escorter jusqu’à l’infirmerie, afin qu’avec ses amis, elle effectue une tournée d’identification ? Il y a deux blessés graves, qui ne passeront pas la nuit, selon ce qu’en pense l’infirmière major.

- Elle est toujours à son poste ?

- Quoi donc ? demanda James, qui n’était visiblement pas au fait des évènements, pour ce qui concernait Soumaya.

- Rien ! Laissez aller ! Nous arrivons dans quelques petites minutes. Le couple Green ? Les avez-vous convoqués aussi ?

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- Je m’y rends de ce pas, Max ! On se retrouve tous en bas ?

- Ok ! répondis-je simplement.

- J’étais à l’infirmerie pour aider, intervint Jackkie, qui venait de nous rejoindre devant la porte. Ses joues s’empourprèrent, et j’en connaissais la raison. Si j’avais vu ce… cet énergumène, je l’aurais immédiatement reconnu.

- Il y a une trentaine d’alités en bas, Miss, souligna James Lewis. Les avez-vous tous regardés dans les yeux ?

- D’assez près, pour être formelle. Je suis quelqu’un d’assez observatrice, Monsieur. C’est la première chose, à laquelle j’ai pensé. Vérifier, s’il n’était pas parmi les survivants blessés. Il est peut-être, avec les autres ?

- Oui ! Je dois féliciter votre esprit d’initiative, Miss. Nous gagnerons du temps ! Puisqu’il en est ainsi, rendez-vous dans l’entrepont « C 2» où, se situent les geôles.

- Je pense, que cela peut attendre demain, non ? Il ne s’échappera pas ! tentais-je.

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- Je sais que vous avez beaucoup donné de vous, toutes ces dernières heures. Mais à présent, bien trop de choses, vont dépendre, des renseignements que nous serons en mesure de récolter. Déjà, la trajectoire que nous devrons emprunter ! Ce serait formidable non, si nous savions avec précision ?

- Oui ! Je comprends ! On se retrouve tous en bas !

00 :53.

Les geôles s’étaient vues aménagées, dans une ancienne cambuse de l’entrepont C2. En fait, c’était une vaste pièce froide où s’entassaient, une quarantaine d’individus assis à même le sol, à qui les marins du bord, avaient fournis des couvertures. Lorsque l’on pénétra dans ce frigo, personne ne bougea. Seules des paires d’yeux nous scrutèrent dans cette demi-pénombre.

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- Caporal-chef Gringoire ! interpellais-je l’un des membres de ma squad, chargé de la garde des prisonniers.

- Lieutenant ?

- Premièrement, vous allez leur chercher à boire et à manger. Secondement, leurs vêtements sont encore trempés ! Ils pèlent de froid, là-dedans ! le houspillais-je. Faites donc brancher un chauffage, bon Dieu ! Ce ne sont pas des animaux !

- Oui Lieutenant ! Je veux dire, je m’en occupe de suite !

- Bravo ! Vous autres, ordonnais-je aux prisonniers, debout !

Ils se levèrent péniblement, voire pour certains, de très mauvaise grâce.

- Je vais commencer par les Cubains, dis-je. Un à un, vous allez sortir dans la coursive.

- Ce sera bien inutile Monsieur, répondit l’un des prisonniers, qui se fraya un passage entre les hommes rassemblés debout, au centre de la pièce. Si vous cherchez le plus haut gradé survivant, je suis cet homme, reprit-il.

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- Bien ! Sortez donc dans la coursive, lui ordonnais-je. Il ne se fit pas prier longtemps, pour venir s’adosser contre la paroi, face à la porte. Je refermais celle-ci, avant de me retourner vers l’officier, n’arborant sur sa veste bleu marine, aucun galon. Il était de grande taille, bien qu’un peu mince, présentant un visage agréable, aux traits marqués par ces heures pénibles, qu’il avait enduré. Un homme tout à fait ordinaire, avec qui somme toute, l’on aurait pu lier des liens de sympathies, en d’autres circonstances.

- Veuillez nous décliner votre identité et votre grade, demanda poliment, James Lewis.

- Je suis le Capitaine Luis Damez-Sanchez. J’appartiens au 28éme régiment des transmissions de la garde Présidentielle Cubaine. Matricule : C42AB567. Promotion 60/8.

- Oh ! C’est un grand honneur pour moi, persiffla James. La garde Présidentielle ? Ce n’est pas votre lieu de prédilection habituel, non ?

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- Je viens de vous donner mon nom, mon grade et mon matricule, Monsieur ! Je vous remémore, que vous avez agressé un navire marchand, dans les eaux internationales, sans réelle justification. Je n’ai rien d’autre à vous dire !

- Ah oui ! Un honnête navire marchand, qui transportait dans ses cales, une petite armée d’invasion, sélectionnée parmi les hommes les mieux entrainés aux coups de mains, que Cuba perpètre en cette région du monde. C’est étrange non ? Ne seriez-vous pas un peu loin, du Botswana ? Je me demande bien quel pays, vous-vous apprêtiez à envahir ? A moins… laissez-moi réfléchir, que ce soit un navire, que vous désiriez arraisonner ? Le nôtre, par exemple ? Bon ! Mon adjoint, va vous conduire dans vos nouveaux locaux. Vous séjournerez un certain temps à nos côtés. Il fait meilleur, en haut, sur le pont promenade. Vous y serez à l’aise ! Et veuillez noter en mémoire, mon cher Capitaine, que pour nous, vous n’êtes rien de plus, qu’un vulgaire pirate. Ce qui me donne le droit de disposer de vous, comme bon me semble. C’est noté ?

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James adressa un signe à son gorille, qui s’empressa de pousser le pauvre Cubain dans le dos.

- On avance ! ordonna-t-il. Accompagné de deux de mes hommes, ils prirent la direction des étages supérieurs. Je secouais la tête, très perplexe, quant à la collaboration de ce prisonnier de marque.

- J’en ai vu d’autres, dit James, à qui mon scepticisme n’avait pas échappé. Vous savez, ces gens-là, lorsqu’ils se sentent en sécurité, ils ne demandent qu’une chose. S’enfuir très loin de Cuba !

- Celui-ci est marié ! répondis-je.

- Oui ! Souvent, une famille peut faire réfléchir. Nous verrons bien n’est-ce pas ?

- Houai ! Je n’en doute pas ! Il verra bien !

Il me frappa sur l’épaule en ricanant.

- Maintenant, à l’autre ! dit-il. Celui-là, je serais à sa place, je me ferais vraiment du souci ! S’il est, le Sahib des abysses ? Dieu aurait été plus miséricordieux, en lui accordant de se noyer !

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- A ce sujet, ce prisonnier, s’il se trouve parmi les autres, m’appartient de plein droit.

James Lewis se retourna vivement, me faisant face. Je perçus une lueur inquiétante, dans son regard noir.

- Ce n’est qu’un vulgaire pirate, Max ! Nous le traquons depuis de nombreuses années et…

- Et, il m’appartient, dis-je sèchement. Nous allons éventuellement, nous partager les tâches.

- Nous verrons bien. S’il est là, toutefois ! ajouta-t-il, un sourire, que je ne sus définir aux lèvres.

Je fis ouvrir la porte, par mes gardes armés. La procession débuta, sous le contrôle du Caporal Jensen, et de deux autres fusiliers, qui vérifiaient de l’intérieur, qu’aucune substitution d’individu ne puisse s’opérer. Ils n’étaient pas nombreux, les non Cubains ! Ceux qui étaient passés, se virent séparés en les forçant à se coller contre la paroi, à gauche de la pièce. Un homme de forte stature, dont le visage était marqué par une profonde cicatrice en arc de cercle,

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sorti enfin de la cellule. Aussitôt, Carroll et Jackkie, le reconnurent.

- C’est bien lui, me murmura Jackkie, alors que Carroll, poussa un hurlement de frayeur.

- Eh bien, Monsieur ! dis-je au prisonnier, que mes hommes saisirent, lui passant les chaînes aux poignets. Je crois, que nous allons avoir une longue conversation, vous et moi. Enfin ! Tout dépendra de vous, n’est-ce pas ?

- Alors, ce sera long ! répondit-il en anglais, me fusillant du regard.

- Vous n’en tirerez pas grand-chose, dit James, se voulant rieur, à la limite de la moquerie. Alors, je vous laisse vous amuser.

- C’est ça ! Merci bien, James ! Amenez-le dans la cale technique ! ordonnais-je à mes hommes. Nous y serons tranquilles, et Bernard appréciera de s’entretenir avec ce personnage, des plus pittoresques. Vous allez nous faire partager, vos plus sensationnelles aventures, mon cher ! Qui sait ? Vous pourriez devenir le héros d’un roman fleuve ? Un best-seller !

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Il me regarda comme une Truite, tombant nez-à nez avec un serpent.

- Eh bien, ma chère Jackkie ! Je ne crois pas, que nous aurons le loisir, d’entretenir la conversation… passionnante, que nous avions entreprise. Pas cette nuit !

- J’en suis profondément désolée, répondit-elle, m’adressant un sourire, qui me convainquit, qu’elle l’était vraiment. Ce n’est que partie remise, conclut-elle, prenant le bras de son amie, encore sous le choc de la confrontation. Quant au Ché ? Ma foi ! Il suivit à la traine, en silence, les deux femmes qui s’en retournaient vers leurs cabines. « Drôle d’oiseau », pensais-je. « Comment une aussi jolie fille que Carroll, a bien pu tomber amoureuse, de cet épouvantail à moineaux ? Bah ! Les femmes ! Allez les comprendre » !

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01 :20.

- J’espère que tu as une bonne raison, pour m’avoir sorti de mon lit, dit Bernard, qui s’arrêta net, comme un Cocker, en voyant l’animal enchaîné à l’un des piliers, d’une grue de charge de son antre.

- C’est quoi, ce machin-là ?

- Je te présente, le plus grand des flibustiers des temps modernes, Bernard ! Le Sahib des abysses ! La terreur des mers de l’Asie du Sud-est ! Dis bonjour, au Monsieur !

- Oui ? Nous sommes en pleine nuit, Max ! Mais… salut mec ! Ça boume comme tu veux ? Ce n’est pas tout à fait l’impression que tu donnes ! Tu vas voir, ça va s’arranger ! Tu vois mon ami, là ? La dernière fois, qu’il a interrogé un quidam, sans raison apparente, il lui a tranché l’avant-bras, car il avait l’intention ferme, de s’en servir d’appât, pour pêcher le requin à la traine. C’est un tendre, à sa façon ! Il adore les animaux ! Et toi ?

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- Focking your mother ! répondit simplement le prisonnier, nous persuadant par ces mots, qu’il avait quelques notions de français.

- Tu vois, Max ? Je suis d’avis, que ce gars-là, tu l’as foutu en rogne !

La gifle, résonna et se répercuta dans la vaste cale, comme sortant d’une chambre d’écho.

- Je te fais remarquer bien poliment, que petit un, ma mère n’est pas dans le coup, et que petit deux, je me suis démontré courtois, en t’adressant la parole. J’entends, que tu uses du même vocabulaire. Je me suis bien fait comprendre, Sahib des abysses ? dit Bernard, en se frottant le dos de la main. C’est qu’il a les os rudement durs ce brave homme, ajouta-t-il, offrant une mimique grimaçante.

- Il vous est facile, de battre un homme enchaîné, dit le chef des pirates, dans un français acceptable. Vous avez eu beaucoup de chance, que l’effet de surprise joue en votre faveur.

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- Sans aucun doute ! dis-je. Si nous commencions, par le commencement ? Sahib des abysses, ce n’est tout de même pas votre nom ?

- Je n’ai rien à vous dire !

- Croyez-vous ça ? Vous allez me désobliger gravement ! J’ai en sainte horreur en vérité, d’employer la violence. Je préfèrerais de loin, que nous entretenions des rapports, beaucoup plus… conviviaux, si vous voyez ce que je veux dire. Alors, je vous écoute ?

- Qui était l’homme en civil, qui a amené le Capitaine Damez-Sanchez ? Je sais, qu’il y a des américains, sur ce bateau. Des gens de la C.I.A !

- Bon ! Vous entamez la conversation en posant une question ? Je vais donc répondre ! En effet, cet homme est le responsable de la C.I.A à bord.

- Alors, je ne dirais plus rien ! De toute façon, mon sort est d’ores et déjà réglé ! Cela fait cinq ans, qu’ils me traquent ! Je sais, que cette chasse était destinée à m’abattre, certainement pas à me faire prisonnier. Vous autres, les français, vous

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jouez un bien triste rôle, dans cette affaire ! Celui de candide !

- Je vous comprends bien là ? Nous serions de grands naïfs ? Expliquez-moi un peu ça ?

- De quoi, suis-je accusé ?

- D’actes de pirateries, de meurtres et de trafics d’armes. Maintenant, nous pouvons ajouter, coalition avec l’état Soviétique et ses satellites. Vous n’ignorez pas, que le monde occidental et les pôles communistes, se livrent une guerre froide sans Mercy ? (Pitié en anglais)

- Je suis un homme d’affaires, Lieutenant ! Je me fiche, de qui me paie, pourvu que j’encaisse ce que je demande pour mes… services ! Vous ne valez pas mieux que moi, je crois, de ce que je sais ! Chacun à notre façon, nous sommes des mercenaires, Lieutenant !

- Grossière erreur, Monsieur ! Votre indic, que nous avons arrêté soit dit en passant, vous a très mal renseigné. Le gifleur et moi, nous sommes des officiers d’active ! De ce fait, veuillez réviser votre position. Revenez donc au… « Candide » ! Serait-ce du mépris, pour nous-autres, français ?

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- Absolument pas ! Mais les américains vous mènent en bateau, au sens littéraire du mot, depuis la conception de votre opération.

Je le regardais avec une intense perplexité. Quant à Bernard, je le vis verdir. Etais-ce dû à la lumière faiblarde, de cette cale ? J’en doutais légitimement. J’allumais une cigarette, la lui montrant. Il acquiesça d’un signe de tête. Je la lui mis entre les lèvres.

- C’est assez étonnant, mais… je ne suis pas surpris, dis-je.

- Ah bon ? Seriez-vous moins stupide, que la majorité des hommes de votre bord ?

- Peut-être, allez donc savoir ? Il faut dire, que je ne suis pas un farouche pro américain. Je me méfie, de ceux qui prétendent régenter toute une planète, avec des principes moraux, que leur propre histoire met à mal ! On commence à faire la propreté chez-soi, avant de faire le ménage chez les autres. Ce ne seraient pas les amérindiens, qui me désapprouveraient, n’est-ce pas ?

- En effet !

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Je le sentis indécis.

- Allons ! Evitez-vous de nombreuses misères, Monsieur ?

- Habib Thiry !

- Habib ! Bien ! Caporal Jensen !

- Lieutenant ?

- Défaites-lui ses chaînes !

- Tu es sûr de toi, Max ? Intervint Bernard, visiblement anxieux.

- Quoi ! Nous sommes six, il est seul ! Et puis, cela rendra la converse plus agréable.

- Toi ! Tu me surprendras toujours, dit encore Bernard, avant de s’asseoir sur une caisse renfermant des outils. Du moins était-ce, ce qui était écrit en blanc sur vert kaki, sur son couvercle.

- Merci Lieutenant, dit Habib, jetant un regard venimeux sur Bernard.

- Asseyez-vous donc là, lui désignais-je une autre caisse. Bon ! En quoi, sommes-nous victimes d’une immense duperie ?

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Il jeta encore un œil sur Bernard, avec une moue de réticence.

- Vous pouvez parler devant mon ami, il est sûr ! dis-je.

- Eh bien, dans le fait que des renseignements erronés, au regard de la situation que je me vois bien malgré moi, contraint d’observer ici, circulent librement dans toute l’Asie du Sud-est.

- Des renseignements erronés ? Splendide ! Votre indic est persuadé, que ces… renseignements, proviendraient d’un haut fonctionnaire, en poste en France. Vous ne partagez pas son opinion ? A vrai dire, il ne semble pas savoir grand-chose, voire d’avoir perdu une crédibilité essentielle, de la part de ses chefs. Il fait partie, d’une longue liste, de… sacrifiés d’office. Nous l’avons arrêté net, avant qu’il saccage la possibilité d’un effet de surprise, c’est tout !

Le gars aux épaules impressionnantes, les haussa, avec une moue moqueuse sur ses lèvres noirâtres.

- Premier point, ce n’est pas « mon » indic ! Vous êtes en mer, très loin de chez-vous,

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totalement perdus dans les méandres d’un jeu aussi vieux que ce monde, Lieutenant. On peut vous faire gober ce qu’on veut ! Mais vos amis américains, eux, ne gobent pas ! Le renseignement sur votre… future expédition, est parti des Philippines. Il a poursuivi son chemin, jusqu’à Singapour. Dans cette région du monde, les plus représentatifs du pôle Soviétique, ne sont autres que les Cubains. Alors, mission leur fut confiée, de vous priver du pouvoir de nuire. Mais…

- Mais ?

- Mais ceux qui tirent les ficèles en coulisse, se sont les Chinois et la Corée du Nord, Lieutenant ! Vous n’ignorez pas, qu’un shiisme, un sacré contentieux, crée un antagonisme, entre Chinois et Russes ? Mais de temps à autres, au regard de certains intérêts régionaux, ils sont tenus de fraterniser. Mais qui baise l’autre ?

- Tenez ! Ce que vous dites tombe à pic, car voyez-vous, il y a juste un petit bémol de trop dans la partition, que je vous interprèterai en version corrigée, plus tard, si vous êtes sage. Cette infime divergence, me fit très justement me poser

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cette question. Qui baise qui ? Vous me faite l’impression de quelqu’un, bien au fait, des conflits d’intérêts en cette partie du monde, pour un vulgaire pirate ! Qui êtes-vous ?

Il m’adressa un sourire énigmatique. Le courant, passait à merveille entre nous. « Mais, méfiance », me dis-je.

- Puis-je avoir une autre cigarette, Lieutenant ?

Je lui donnais mon paquet ! Intéressé comme je l’étais, par ses révélations ? Il m’aurait demandé l’heure, je lui filais ma montre !

- Et bien sûr, les américains n’ignorent rien des… projets, fomentés par les chinois et les Nord-Coréens ?

Il me répondit par un sourire satanique.

- Hum ! Je vois !

- Vous voyez ? En êtes-vous certain Lieutenant ? Clarifions la situation, puisque vous semblez percevoir les choses. Les Soviétiques, ont bien d’autres chats à fouetter, que de s’arrêter à la guerre qui

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s’éternise au Viêt-Nam. Pour eux, ce n’est qu’un foyer de propagande, qui leur réchauffe le cœur ! Vous êtes encore bien trop jeune, pour saisir l’ampleur phénoménale du jeu d’échec, auquel se livrent les grands de ce monde. C’est menteur, menteur ! Mais là, nous jouons cartes sur table ! Savez-vous pourquoi ?

- Voyons que je prenne le temps de réfléchir un peu… Parce que, vous espérez que je vous laisserais filer en douce, Habib ?

- Vous êtes très intelligent, Lieutenant ! Là, vous m’époustouflez !

- Voyons si ça vaut le risque !

- Tu deviens complètement fou, s’emporta Bernard, se redressant d’un bon sur ses jambes.

- Je te prie de te rasseoir, et de bien réfléchir, avant de me couper la parole ! Tu ne tiens pas à comprendre ? Moi oui ! J’ai la vie de plus de cent trente hommes et trois femmes, sur les bras. Alors, s’il te plait ! Coopère en silence !

- Euh ! Bon ! Je me tais !

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- Continuez donc à baliser le chemin, Habib !

- Voilà le topo, il est simple ! Les américains ont un gros problème à régler. Leur flotte basée au Viêt-Nam, est vieillotte ! Ils ne possèdent pas assez d’unités pour couvrir la protection de l’ensemble des côtes. Ne reste que la flotte des Philippines. Quant à l’escadre en mer méditerranée, elle ne fait qu’effectuer des rotations ponctuelles, dans les mers du Sud. D’ailleurs, un navire de guerre, ne peut effectuer ce genre de mission.

- Nous en sommes conscients ! Il se ferait vite repérer ! Alors ?

- Eh bien ! De nombreux français s’ennuient à mourir, à Djibouti ! Ils servent à quoi, au juste ?

- C’est une question ?

- Non ! C’est un constat ! Seulement, un homme comme le Commandant LANGE et ses officiers, connaissent très bien, ces mers du Sud ! Voici le raisonnement des américains ! « Et si on impliquait un peu, nos chers alliés français » ? Les voici en

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train de poser la première pierre, d’une collaboration, en tous points dirigée.

- Etes-vous à l’origine de l’attaque et de la disparition, d’un bâtiment de commerce français ?

- Ce n’est pas interdit de le penser !

- Ce n’est pas une réponse, Habib !

- Je le conçois ! Mais si j’en disais plus…

- J’aurais alors, d’excellentes raisons de vous garder. Je vois ! Je ferme les oreilles si vous répondez à la question suivante. Que sont devenus les hommes qui ont disparus ?

- Oh ! Vous savez, les marins ! Le tort des compagnies maritimes d’aujourd’hui n’est autre, que pour d’impitoyables raisons économiques, ils embauchent de nombreux étrangers, du Commandant au simple matelot. Beaucoup en ont assez, des rythmes de rotations et d’un travail sous payé, en regard des risques. Ils n’hésitent pas à tout plaquer !

- C’est votre version ?

- Demandez donc cela à ma sœur cadette ? Elle a épousée l’un de ces marins. Un

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malais ! Il était second Lieutenant, si mes souvenirs sont bons. Il y a bien longtemps, que je ne suis pas revenu chez-moi, au Pakistan.

- Bien ! A l’occasion, vous me présenterez l’une de vos sœurs ? Sait-on jamais, hein ?

Il se permit de rire. Ce qui énerva prodigieusement mon Bernard.

- Ce mec se paie ta tête, vociféra-t-il.

- Possible ! Mais j’ai un doute légitime. Les ricains, sont capables de tout. Du bien, comme du pire. Continuez Habib !

- Ok ! dit-il, rejetant en un souffle, une volute de fumée. Voyons ? On prend un… « Janotisme » énorme, et on l’exporte de l’océan indien, vers les pays de l’Est.

- Vers… la R.D.A ?

- Vous suivez bien, Lieutenant ! Le résultat, ne se fait pas attendre !

- Le plus petit rond de cuir de la Stasi, prend l’affaire très au sérieux ? C’est le phénomène boule de neige, qui s’ensuit, n’est-ce pas ?

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- Eh oui, Lieutenant ! L’esprit de corps se ressoude ! Les Soviets, recherchant la bonne grâce des chinois, les informent, qu’une opération est en cours, visant à atteindre… un certain commerce de l’armement. Alors, très reconnaissants, les chinois adressent une demande au Kremlin ! Juste pour voir, si ça suit bien ! Une demande… non officielle, bien sûr !

- Evidemment, ça se comprends ! On veut bien pactiser, mais ne pas paraitre associés sur ce coup tordu ! Alors oui ! Seulement il y a un seulement ! Je vais y venir !

- Pas mal, Lieutenant ! Vous apprenez vite ! Les Soviets, ont les Cubains en Afrique. Ils vont donc, rendre un petit service aux chinois, qui leur revaudront ça à l’occasion ? Vous voyez ? Ce n’est pas très compliqué.

- Pas très compliqué hein ? Je crois que vous allez devoir réviser vos certitudes. Et c’est ainsi, que vous-vous êtes retrouvés imbriqués dans cette sale histoire ? Il est certain que la marine chinoise, venant faire de la plaisance dans l’océan indien, c’est quelque chose, qui ne paraitrait pas anodin !

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- Je vous l’ai dit au début, Lieutenant ! Moi, je ne fais pas de politique. Tant qu’on me paie ? J’ai mis une unité sur le coup, et comme l’affaire était d’importance, j’ai embarqué avec mes hommes.

- Vous auriez mieux fait, d’aller rendre visite à votre sœur, dit Bernard.

- Ce qui n’exclut pas, une taupe chez-nous à Paris, repris-je.

- Laissez vagabonder votre imagination, Lieutenant ! fut sa réponse.

- Hum ! L’indic que nous avons arrêté, est de bonne foi. Il crut dur comme fer, que la balance française, était pro Soviétique ! Très fort ! Ce… je ne sais qui en France, a réussi à tromper la Stasi et les Russes ! En fait, c’est un espion des américains ?

- Bingo ! Vous avez mis le doigt sur le bon numéro ! La boucle est bouclée ! Résultat ? Faite un effort encore, Lieutenant !

- Ce sont ces couillons de français, qui battent les océans, pour accomplir le travail des américains, qui éprouvent des difficultés à régler le problème. Quelque chose me tracasse, toutefois.

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- Je sais ! Ils vous ont fourni le matériel, en l’occurrence, ce navire pourri, pour entreprendre ce périple, n’est-ce pas ? Alors pourquoi ne pas l’avoir armé d’un personnel… purement américain, pour accomplir cette mission ? Vous brulez, Lieutenant !

- Saleté de P… de bonsoir ! Si nous étions pris…

- Ah ! C’est dans votre religion, que l’on dit : « Que la lumière soit et la lumière fut » ? Si vous étiez pris ? Vos dirigeants auraient eus toutes les peines du monde, pour expliquer ça, devant l’assemblée Onusienne. Percevez-vous l’ampleur de l’incident diplomatique majeur, que cela aurait… déclenché ? Les pays non alignés en auraient fait un cheval de bataille, mon cher Lieutenant ! C’est exactement ce qui vous attend, si vous persistez dans cette voie. Et je vais vous donner un renseignement, qui va vous offrir matière à réflexions, vous motivant sans doute, à conseiller vos dirigeants, d’arrêter cette mission. Trois usines Nord Coréennes, sont en passe de livrer dans l’un de leurs ports, de quoi charger trois navires. Il y a du

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chimique dans les soutes d’un minéralier, de l’armement lourd dans le suivant, des vivres, des médicaments et des munitions, dans le dernier. Tous trois, vont faire route en direction de l’île de Hainan en mer de chine. Je le sais, car je fus pressenti pour constituer ce convoi. Mais mes navires, étaient trop petits. C’est l’un de mes concurrents, qui a raflé… l’appel d’offre. De ce que je sais encore, ils devraient quitter ce port Nord-Coréen, aux alentours du 11 mars. Soit dans un mois et un jour ! L’acheminement de ce stock important, prend du temps ! Et puis les Coréens, ne tiennent pas à attirer l’attention des satellites espions ou pire, des infiltrés du Sud, sur la nature de ces marchandises. Alors ils prennent tout leur temps ! Cet effort de guerre sera conduit de Hainan, à l’extrême limite frontalière, Sino-vietnamienne. Cam Pha ! Retenez ce nom ! C’est au Sud-est de Hanoï. Un tout petit port au bord de la mer de chine du Sud.

- En admettant que vous disiez vrai, c’est surprenant ! Ce ne seront pas des navires Coréens, qui feront ces transports ?

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- Surtout pas, Lieutenant ! Surtout pas, voyons ! Réfléchissez un peu. Je me demande déjà, ce que vous allez faire !

- Moi ? Je vais vous faire servir un repas chaud, vous faire reconduire à votre cellule et aviser. Si j’ai tout bien compris, vous venez de nous dire, les américains vous baisent, retournez chez-vous ou bien, allez donc vous faire massacrer en mer de chine, en sachant que si par malheur vous survivez, que vous soyez pris, la France serait amenée où elle ne songeait surtout pas se rendre, autrement dit, dans une seconde guerre au Viêt-Nam ? Je vais prendre ça, pour argent comptant. J’ai un vague souvenir. Il me semble bien, que les Ricains, avaient demandé au Général De Gaulle, de leur vendre la Légion Etrangère, afin de l’engager dans ce conflit de merde. Bien sûr, le grand Charles, a répondu laconiquement… « Non » ! Ah oui ! Au passage, vous éliminez un concurrent aussi. Vous êtes plein de ressources, mon ami ! Dire que le représentant de la C.I.A, vous prenait pour un vulgaire pirate. Enfin ! Du moins, c’est ce qu’il m’a dit. J’en connais un, qui lorsqu’il lira mon rapport, s’il ne

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bouffe pas sa casquette, moi, je veux bien me faire moine !

- Quand je pense, que tout ça, c’est moi qui l’ait inspiré, à cause du fait, que j’ai… « arraisonné », quelques navires marchands, pour arrondir les fins de mois. Les temps sont durs, par ici ! Votre gouvernement en a eu plus qu’assez et… les américains, ont sauté sur l’occasion ! Allez savoir, Lieutenant ! Encore un peu d’hésitations, de la part de vos patrons ? Les américains, m’auraient certainement payés très cher, pour que je continue ! Ils n’en sont pas, à une incohérence près !

- Encore une petite chose ! Vous n’ignoriez rien, de la présence d’un petit submersible embarqué à bord de notre navire. Pourquoi avoir persistés ? Pensiez-vous, que nous hésiterions à nous en servir ?

- J’ai su que vous aviez un sous-marin, lorsque la première torpille frappa mon navire. D’ailleurs, je ne savais pas ! Je crus que l’un de vos sous-marins tactiques, vous avait rejoint.

- Les Cubains, ne vous informèrent pas ? Ahurissant !

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- Hélas, le Commandant de la garde Républicaine Cubaine, Johan Ségala, était le pire con, que cette terre ait à nourrir en son sein. Je ne suis aucunement étonné, qu’il étouffa ce renseignement, qui croyez le bien, m’aurait fait donné l’ordre, de très vite mettre une grande distance entre nous. Croyez-vous, que j’aurais mis en péril, mon cher Khartoum et son équipage ? Vous me devez un navire, Lieutenant ! Espérons que je tombe encore une fois, sur un équipage, très compréhensif ?

- Venons-en à ma conclusion, relative à ce que j’ai entendu voici peu de temps, et viens d’entendre. Non ! Ségala, n’était pas le roi des cons. Sur un point de vue d’ensemble, les Soviets, ont bien rendu service aux Chinois. Dites-moi Thiry ? Qui maintenant, oserait affirmer le contraire ? Les pauvres Chinois sont redevables. Seulement, les Soviets les baisent en beauté. Résultat ? Une poignée de survivants de votre cher… Khartoum. Savez-vous pourquoi ?

- Vous allez me le dire, Lieutenant ! dit-il, son teint cuivré, virant au blême.

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- Bien sûr ! Parce que leur agent à bord de notre navire, n’informa jamais Ségala, de la présence de ce submersible, mon cher Thiry ! Je ne sais trop pour quelle raison, mais le Kremlin, veut que cette opération conduite par nos soins, aille le plus loin possible. Ce qui prouve également, que les Soviétiques, n’étaient pas aussi dupes qu’ils le paraissaient, lorsqu’ils se virent informés par la bande, de l’imminence de cette opération diligentée par les français. Oh non ! A leur tour, ils ont sauté à pieds joins, sur une occasion, qui ne se représentera peut-être pas de sitôt.

- Vous délirez ?

- Répond me demanda Bernard, subitement très intéressé par cette analyse de la situation.

Je me levais sans ne rien répondre, ce qui mit fin à notre entretien privé. Mes hommes, raccompagnèrent le prisonnier enchaîné vers son logement, avec sur son visage, une grande marque d’insatisfaction. Il s’était laissé menotter, avec un sourire victorieux aux lèvres, mais je savais qu’à présent, il avait de quoi méditer. Je

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l’attendais au tournant, celui-là… Oh non ! Nous n’en resterions pas là, tous les deux…

- Sincèrement, Max ! Tu vas avaler ses sornettes ? dit Bernard, alors que nous le regardions partir. Et c’est quoi cette idée, que les Russes, baisent les Chinois ?

- Tu n’as pas cru un traitre mot, de ce qu’il a dit, n’est-ce pas ? éludais-je, la question sur les Russes.

- Je préfèrerai croire au gargouillis d’un chiotte, car pour le moins, si je ne puis traduire, cela ne m’empêcherait pas de chier ! Tu vois, ce genre d’aveux spontanés ? Il me constipe moi !

- Je ne sais pas ! dis-je à voix basse, l’esprit absorbé par d’innombrables questions, sur ce que je venais d’entendre. J’ai deux rapports à faire, avant d’essayer de dormir un peu. Je t’avoue, que je suis vidé de toutes substances. En plus, je ne sais plus depuis combien de temps, je n’ai plus rien avalé.

- Reposes-toi ce soir ! Ce matin au réveil, tu auras les idées plus claires. Tu as dit quelque chose de très sensé ! Il élimine un

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concurrent ! Pour le reste, mon pote ? C’est de la merde en bâton.

Je n’écoutais plus mon ami, qui haussant les épaules, prit le parti d’aller se reposer. Je me retrouvais seul, avec le Caporal Jensen.

- Vous allez rattraper vos camarades, qui accompagnent le prisonnier. Je veux qu’il soit séparé des autres. Autre chose ! Cette consigne devra être donnée à chaque relève de la garde. Personne, je dis bien… personne, ne doit l’approcher ! Je ne voulais pas donner cet ordre, devant mon ami. Vous comprenez ?

- J’ai très bien compris Lieutenant, répondit le Caporal. Je fais le nécessaire de suite !

Chose faite, je lui parlais à l’oreille. Car ici, même les parois avaient des oreilles ! Lorsque j’en eu fini, il me regarda les yeux écarquillés de stupeur.

- Réagissez, Jensen ! lui dis-je.

- Euh ! Oui Lieutenant ! A vos ordres, Lieutenant !

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- Je l’entends ainsi, Jensen. Vous ne comprenez pas, n’est-ce pas ?

- Je dois dire, que c’est surprenant, Lieutenant ! Mais vous devez avoir vos raisons ! Vous savez ? Les hommes vous admirent, et je suis de ceux-là ! Nous sommes tous derrière vous, Lieutenant !

- Merci Jensen ! Merci de tout cœur !

Il m’adressa un sourire complice, avant de s’en aller faire exécuter mes ordres. Je pouvais dormir sur mes deux oreilles ! Un coup d’œil sur le cadran de ma montre m’apprit, qu’il était quatre heures du matin !

«  Sacré nom d’un chien ! Je n’ai pas vu le temps passer », me dis-je. « Je crois que je vais écouter le conseil de Bernard, et dormir trois bonnes heures ».

Je rejoignis ma cabine d’un pas las, la tête remplie de questions pour lesquelles, les réponses se bousculaient au portillon, en criant, « c’est moi la bonne » ! Mais aucune ne me convenait suffisamment, pour que je la retienne. J’entrais et refermais la porte derrière moi, poussant un soupir d’aise, de me retrouver enfin chez-moi. Je donnais de

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la lumière et… je demeurais interdit, le doigt sur l’interrupteur. Jackkie, était assise dans le fauteuil fixé à droite de mon petit bureau, pratiquement sous le hublot. Elle dormait tête appuyée contre le dossier, enveloppée dans la couverture légère de la couchette. Cette position inconfortable la faisait en chercher une meilleure en vain. Alors elle émit quelques soupirs et plaintes, qui me prêtèrent à sourire tendrement. La jeune femme ouvrit les yeux, les relevant lentement vers moi, encore toute embrumée de sommeil. Puis dans une lente progression vers la conscience totale, elle réalisa ma présence, se levant précipitamment, serrant plus encore contre son corps, la mince couverture.

- Oh ! Je me suis endormie, j’étais vannée, plaida-t-elle, comme si c’était là, une faute impardonnable.

J’ai ris doucement, et je me suis porté au-devant d’elle, la contraignant à s’asseoir, en la prenant par les épaules. Chose accomplie, j’ôtais le ceinturon où étaient accrochés mon arme de service, et le talkie-walkie, déposant le tout sur le plateau du

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bureau, sans oser dire mot. En fait, je ne savais quelle contenance prendre.

- Tout s’est bien passé, Max ?

Cette question venait à point. J’émis un petit soupir de lassitude, posant à plat, mes deux mains sur le plateau de la table, regardant au travers du hublot, cette nuit profonde qui s’éternisait.

- En forme générale oui, répondis-je à ma compagne, de ces instants de doutes. Mais personnellement, je me vois confronté à un terrible dilemme. A de multiples dilemmes, je devrais dire !

Je tournais la tête dans sa direction. La jeune femme me regardait intensément, comme si elle recherchait une solution à des problèmes, qu’elle ne pouvait selon moi, entièrement appréhender.

- Vous avez mis le doigt dans un mécanisme pervers, qui n’a pour seule vocation, que celle de s’emparer totalement des corps et des âmes, dit-elle, à brûle pourpoint.

- Je crois, que je n’ai plus tellement de choix, Jackkie, répondis-je, riant amèrement. Voyez-vous une issue ? Venez !

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Soyons fous ! Plongeons ensemble dans cette eau noire et scintillante du reflet de la lune et de ces millions d’étoiles mystérieuses, qui brillent dans ce ciel et, nageons jusqu’à la côte la plus proche.

- C’est une idée à envisager. Mourir d’épuisement ou bien, mourir de tout autre chose, j’ai conscience que nous allons mourir. Dix-huit mois se sont écoulés, durant lesquels, j’ai fait l’apprentissage de la peur. Ce n’est pas, un apprentissage que l’on fait pas à pas ! C’est assez brutal ! On regrette même très vite, nos petites frayeurs d’antan. Mais là… je ne sais comment le dire ! Je n’aie pas pour habitude, d’employer ces mots.

- Les mots ne disent pas tout, Jackkie ! Ne pas savoir les dires, cela n’avilit pas pour autant les actes, qui eux sont primordiaux ! J’avais un album de photos, chez-moi. De temps à autre, je l’ouvrais. Au début, c’est émouvant, car nous revoyons des tranches de vies, qui eurent une existence, qui aimèrent, qui œuvrèrent pour le bien être des leurs, qui souvent aussi, se déchirèrent et se haïrent, hélas. Et puis soudainement, nous vient une boule dans l’estomac. Tout

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s’est éteint ! Il ne reste qu’un vague reflet artificiel, dans ses yeux qui vous regardent sans vous voir. Je me demande, ce que nous devenons, Jackkie.

- Nous sommes éphémères ! Qu’est-ce qui nous meut alors ?

- Nous sommes candidats à la mort, dès la naissance. Rien ne sert, d’avoir peur. Nous pourrions nous évader d’ici, malgré les risques et les difficultés que nous rencontrerions. Elles seraient nombreuses, n’en doutez pas. Nous ne pourrions pas, nous évader, de cette fatalité. Qu’est-ce qui nous propulse en avant ? Qu’est-ce, qui nous fait accomplir, chacun de nos actes ? Je crois… que c’est l’amour.

- L’amour ? Je voudrais vous suivre, sur ce chemin, Max. Il y a de l’amour, en ce que nous venons de voir aujourd’hui ? Des corps mutilés, qui flottaient sans vie, sur cette mer en flammes, des cris de douleurs, causées par d’affreuses brulures, ou bien, déchiquetés par les explosions, ce serait une des conséquences, dérivant d’un sentiment d’amour ?

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- Je comprends votre scepticisme. Mais il en faut, pour en arriver à un tel sacrifice. Nous ne voulons voir, que ce qui nous parait évident. Nous ne voulons comprendre, que ce que nous approuvons, car ce que nous désapprouvons, il nous est intolérable de l’admettre. Nous disons, « je comprends ». Mais pour autant, nous n’adhèrerons jamais, à une opinion, qui s’écarte de nos valeurs, subordonnées par l’éducation que nous avons reçu, par les principes, que l’on nous inculqua. Vous avez dit des mots justes, il y a peu de temps, sur les torts et les raisons de chacun. « Les autres en face, pensent de même ».

- Vous doutez, Max ?

- Je ne doute pas d’une chose. Nous avons tous, un cerveau, qui nous permet de réfléchir. Quoi de plus normal, que de l’utiliser ? Cela, certes, peut nous mettre en porte à faux, avec nos convictions. Je dois chasser de mon esprit, ces parenthèses qui s’ouvrent, sur des allégories, qui me posent problèmes. Mais s’il n’en était pas ainsi, je m’inquièterais de mon mental.

- Je croyais que dans l’armée, on vous lavait le cerveau, dit-elle en riant.

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- Bah ! Beaucoup s’y emploient. Mais j’ai les os du crâne, aussi durs, que ceux d’un âne Corse. Il faudrait y aller au karcher à haute pression, et ce n’est pas dit, que pour autant, la structure s’avèrerait perméable. Nul au monde, n’atteindra mon libre arbitre.

- C’est bien ce que je disais, Max. Vous êtes un spécial bonhomme. Il est temps, Max ! dit-elle, se levant lentement d’entre les bras du fauteuil. Vous devez vous reposer maintenant. Je vais m’en retourner dans ma cabine, et essayer de faire de même. Je vous avoue, que ce ne sera pas facile. Plus… après… après, ce que nous venons de vivre.

- Ne partez pas ! dis-je, lui prenant la main.

- Ce… ce ne serait pas…

- Ce ne serait pas bien ?

- Mais non ! Ce n’est pas ce que je voulais dire. Je ne sais pas, ce que je veux dire d’ailleurs.

Elle reprit place dans le fauteuil, baissant les yeux, se triturant les doigts, visiblement très émue. Je pris appuie contre le rebord

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du plateau du bureau, attendant qu’elle finisse de s’exprimer.

- Comment dire ? Elle leva ses yeux vers moi. Mon boy friend, vous savez ? Celui dont je vous ai parlé ?

- Celui avec qui, l’on rêvait de vous unir ?

- Oui ! Celui-là même ! Il n’y en eu jamais d’autres ! Eh bien… je n’aie jamais pu… Vous comprenez ?

- Parfaitement, répondis-je, bien qu’assez gêné par cette confidence.

- Il devenait pressant, mais je n’aie jamais cédée. Par bonheur, j’ai trouvé ce job, et je me suis enfuie.

- Vous ne l’aimiez pas !

- Non, je ne l’aimais pas ! Comprenez-vous bien, ce que je veux dire ?

- Que vous n’êtes pas de celles, qui se donnent sans amour ?

- Non ! Euh ? Oui bien sûr ! Mais ce n’était pas, ce que je voulais dire. Je n’aie jamais… Oh mon Dieu, c’est faux ce que je vais dire là, car nous avons dormis ensemble, pas

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plus tard que la nuit dernière, dit-elle, avec un rire gêné.

Elle m’arracha un sourire empreint de compassion.

- Ce sont là des confidences, que l’on fait à un frère ou bien, à un ami de longue date. Je suis extrêmement touché, que vous me les fassiez.

Ses yeux épousèrent encore une fois les miens. J’y lus de l’étonnement. Et son petit sourire en coin, me fit comprendre, que j’étais out of sens !

- Je peux vous dire que pour moi, vous êtes bien plus qu’un frère ou qu’un ami, de longue date.

- Je le sais ! Mais je sais aussi…

- Ne me reparlez pas encore, de vôtre fantômes, Max ! J’éprouve beaucoup plus encore, l’appréhension des vivants. Que ressentez-vous là, maintenant, Max ?

- Que vous allez vous perdre, Jackkie. Mais j’entreprendrai tout ce qui est de mon possible, pour vous sauver.

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- Voilà pourquoi je vous aime, Max ! Vous pensez toujours aux autres, avant vous-même. C’est ce qui fait de vous, quelqu’un d’atypique. Je le sus immédiatement en vous voyant.

- Que vous m’aimiez ?

- Oui ! répondit-elle, sans aucune hésitation. Cela vous surprend ? Vous ne croyez pas au… coup de foudre ? Je l’ai ressentie, de façon… Oh mon Dieu ! Ce fut… fulgurant.

- Ce serait aller, à l’encontre de mes croyances. Je suis de ceux qui croient, que seule la nature, l’énergie qu’elle produit, est dotée du pouvoir de création de toutes choses, sur la surface de cette planète.

- Il est bon, que vous pensiez ainsi. J’avais peur de paraitre stupide, dit-elle, baissant les yeux sur ses genoux.

- Nul ne peut maîtriser ces choses-là. Elles n’ont pas plus d’explications, que n’en révèlent les grands mystères de la vie. Il ne faut pas repousser d’un revers de main, l’inexplicable !

- Sinon, on meurt ignorant ?

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- On meurt ignorant ! Vous voyez Jackkie ? Nous appartenons tous deux, à cette fratrie de chercheurs inlassables. J’ai encore beaucoup appris, cette nuit !

- Alors, nous pouvons nous rendre nous adonner, à un repos bien mérité. Mon cœur, est beaucoup plus léger, maintenant que j’ai… osée le libérer. Il l’est d’autant plus, que vous-vous soyez démontré réceptif. Vous venez de me dire, que je risquais de me perdre ? Nous ne risquons pas, de nous perdre de vue, ici !

- N’allez pas croire ! Je ne connais pas encore très bien, l’ensemble de ce navire. Si vous ne me voyez plus, donnez l’alerte ?

On prit le parti de rire. Je l’accompagnais en silence vers sa cabine. Nous marchions très lentement, pour ne pas gaspiller le temps qui s’offrait à nous, bras dessus, bras dessous. Arrivés devant sa porte, ma compagne me fit face. Ses yeux attristés, par l’imminence d’une séparation, se noyèrent dans les miens, un instant interminable. Elle ferma les paupières, me tendant ses lèvres. Ce baisé, n’avait aucune commune mesure, avec celui que nous avions échangé quelques heures

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auparavant, pratiquement au même endroit. Elle n’y mit plus, cette sorte de rage, qui l’avait faite s’emporter, au point de désirer me choquer. Mais elle y mit tout son cœur, qui battait à se rompre, d’amour. Quelque chose me murmura, qu’une autre page de ma vie, venait de s’ouvrir. Qu’allais-je écrire ? Mais ce roman-là se rédige à deux, pour chacun des chapitres de l’histoire, jusqu’au mot fin. Aurons-nous seulement le temps, d’en écrire long ?

J’avais la migraine, lorsque je refermais la porte de ma cabine. Ma couchette me tendait les bras, et je ne lui opposais aucune résistance. Je n’eus pas le temps de me tourmenter, des innombrables questions sans réponses, et problèmes, sans réelles solutions. Enfin ! Morphée m’emporta entre ses bras.

09 :30.

« Sacré nom d’un chien » ! m’exclamais-je en voyant le jour filtrer à travers le hublot. « Mais quelle heure peut-il bien être » ? Lorsque je lu l’heure sur le cadran de ma

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montre, je me levais d’un bond ! Vite une douche, rasage de frais, un café, un uniforme propre et… au boulot !

En deux heures, j’abattis un travail phénoménal de rédactions. Ma petite machine à écrire, crépitait comme une mitrailleuse. Lorsque j’en extrayais les dernières feuilles, j’émis un ouf de soulagement. Je me mis alors à penser à ce pauvre Declercq, qui se farcissait tout le travail de gestion du personnel, tout seul. Mais comment faire autrement ? Je tenais une véritable bombe en mains ! Tellement, que l’idée m’effleura l’esprit, de changer de job et de postuler comme journaliste dans l’avenir. Cet article-là ? Il aurait fait sensation au sein d’une rédaction !

12 :41.

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Le Commandant LANGE, le Colonel Mahersen, accompagnés de James Lewis, déjeunaient à leur table du mess officiers. Il y avait du monde ce jour-là ! Le Commandant leva les yeux, vers moi, m’adressant un signe de la main, désignant une chaise inoccupée.

- Bonjour Max, dit-il tout simplement. Avez-vous bien récupéré ?

- Peu de temps, mais bien, Commandant !

- Eh bien, à la bonne heure !

J’eu droit aux saluts de James et de Mahersen, et à quelques quolibets, sur mes traits tirés. Des banalités, quoi ! J’avais posé mes deux dossiers cartonnés sur mes jambes, les ignorants royalement. Chaque chose en son temps, pensais-je. De cette position, je pouvais voir l’ensemble de la salle. Jackkie et sa petite assemblée d’amis, devaient avoir fait grasse matinée. Je souris à cette pensée, ce qui provoqua la curiosité du Commandant.

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- Vous n’êtes pas encore bien avec nous, Lieutenant. Qui cherchez-vous ? dit-il avec un sourire, dont j’aurais dû me méfier.

- J’effectuais un tour d’horizon, Commandant.

- C’est ça ! En posant un regard insistant, sur la table du fond à droite. Charmante jeune femme, n’est-ce pas Lieutenant ?

- Charmante et très intéressante, Commandant ! Très cultivée aussi.

- Une femme, de bonne compagnie ! souligna-t-il en ricanant prestement.

- A bord d’un si petit bâtiment, Max, rien n’échappe à personne, dit James Lewis, affichant un sourire qui en disait long.

- Les parois ont des oreilles, vint ajouter Mahersen, posant sur moi, un regard scrutateur, qui n’avait rien de sévère.

- C’est bon, je vous ai compris ! dis-je assez gêné. Miss Wood, s’est démontrée une bonne auxiliaire. Elle m’a beaucoup aidée.

Ils souriaient ! Bon ! J’avais raté l’examen !

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- Dites-moi James ! Le Capitaine… Comment se nomme-t-il déjà ?

- Damez-Sanchez, Max !

- Oui, c’est bien ça ! Vous a-t-il apprit quelque chose d’intéressant ?

- J’allais en arriver à vous poser la même question, pour ce qui concerne ce maudit pirate, que j’aimerai bien entendre à mon tour. Mais ce matin, en me rendant aux geôles, je me suis vu opposé un interdit formel, par vos hommes. Je présume, que vous allez vous justifier, d’avoir donné un tel ordre ?

- Oui en effet James ! Et je puis vous dire, que celui que vous nommez, « le maudit pirate », est loin d’être, ce qu’il parait être… Mais vous devez bien le savoir, James !  

- Je ne vois pas trop, où vous désirez en venir, de si bonne heure.

- Peut-être vous faut-il, une bonne paire de lunettes, James ?

- Se passerait-il quelque chose que j’ignore, Max ? s’inquiéta le Commandant, alors que

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Mahersen, faillit avaler de travers, le vin qu’il dégustait.

- Je n’avais pas l’intention de vous couper l’appétit Messieurs, dis-je. Voici mes rapports, Commandant !

Je lui remis les deux dossiers cartonnés, qu’il s’empressa de lire. Lorsqu’il referma ces derniers, à ma grande surprise, il les tendit à James Lewis, qui à son tour en prit connaissance.

- Je crois, qu’une bonne explication s’impose, non, Colonel Lewis ? dit le Commandant.

- Sur les dires, d’un armateur Pakistanais, convaincu de meurtres, d’actes de piraterie et d’alliance avec notre pire adversaire ? Vous n’êtes pas naïf à ce point-là, Commandant ?

- Naïf non ! Intrigué, oui ! Je me suis rendu à l’évidence, que le jugement du jeune Max Girard, n’était jamais dépourvu de réalisme. Il a mis le doigt à temps, sur la certitude que l’adversaire nous réservait une surprise, lorsque nous croiserions dans les parages de Ceylan ! C’est exactement ce qu’il faillit de peu, se produire ! Ce jeune

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homme est un cœur pur, James ! Il est de ce fait, redoutable ! Vous, moi, Mahersen ici présent, nous avons acquis des quantités de vices. Lui pas ! Ce qui lui permet de voir les choses, sous leurs véritables dimensions. Il ne les transfigurera pas, pour de basses raisons politiques, voyez-vous ? Son seul souci, qu’il prend à cœur, n’est autre que d’épargner les vies de ses camarades, nous trois compris.

- Moi je n’en doute pas, Commandant ! répondit Mahersen, à qui James avait remis mes rapports, bien obligé de se soumettre à cette démarche.

- La question maintenant, est de savoir, ce que nous allons faire ! Vous et nous, James !

- Je crois que cela rentre dans le sens, Commandant !

LANGE fixa sur l’agent de la C.I.A, un regard glacial. Il serra les dents, se contentant de se lever de table. Puis il tendit la main en direction de Mahersen, qui lui remit les rapports en silence.

- Vous pouvez continuer sans moi, dit-il. Je me ferais servir en cabine ! J’ai besoin de

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réfléchir à tout ça. Vous feriez bien de faire de même, Colonel Lewis. Pour l’instant, je maintiens le cap et la vitesse. Mais si je n’ai pas une explication… écrite, Colonel, je me sentirai alors libre, de prendre les décisions que je jugerai bonnes.

- Je dois consulter, répondit hâtivement James, dont le visage tournait au cramoisie.

- C’est évident ! répondit le Commandant. Je vais devoir consulter également.

- Que… que voulez-vous ?

- Vous le savez pertinemment bien, James ! Cela coule de source ! Le nom de ce… fonctionnaire ou que sais-je, qui vous permit de mettre en œuvre ce subterfuge. Et ce n’est pas fini. Je veux aussi, que les primes se voient augmentées, pour chacun des hommes de Mahersen. Et bien évidemment, que le Ministre de la Défense américaine, adresse à notre Premier Ministre, une lettre d’excuse, bien plate ! Ceci afin de préserver le pacte Lafayette ! Mais attendez-vous à ce que tout cela, fasse des vagues. Soulignez bien l’évidence, que je ne vais pas garder ce rapport sous mon coude, en cette attente. C’est à votre

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Gouvernement, de s’expliquer maintenant ! Je pense, qu’il n’est pas dépourvu de bons arguments ? Tant que je ne reçois pas un ordre formel de ma hiérarchie, je poursuis ma mission, qui consiste à traquer, et arraisonner les pirates, qui portent préjudices à l’industrie et au commerce maritime. Je n’irais pas plus loin !

- Et si mon gouvernement accepte ?

- Il a plutôt intérêt d’accepter Colonel ! Usez de toutes vos capacités, qui je n’en doute pas, sont nombreuses, pour qu’il en soit ainsi. Max, avez-vous conservé un exemplaire de ce rapport ?

- Oui, Commandant !

-Vous le remettrez au Colonel Lewis.

- Reçu Commandant !

- La presse me paierait une retraite dorée, pour l’avoir, ce rapport. Ce n’est pas négociable, Lewis! Et n’oubliez pas de bien mentionner sur votre rapport, le jeu subtil, auquel se livrent nos amis Soviets. Ceux-là ! Ils ont décidé de foutre la pagaille, mon cher Colonel.

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Sur ces mots, le Commandant se retira. Mahersen mal à l’aise, se leva à son tour.

- Puis-je aller annoncer, la bonne nouvelle à mes hommes, James, dit-il d’un ton narquois. 

- Eh bien ! Faites donc, Colonel ! Il va y avoir des gens heureux, à bord !

- En effet, James ! Ne soyez pas désappointé, voyons ! Vous-vous en tirez bien !

Mahersen passa derrière moi, posant une main amicale sur mon épaule.

- Bravo, mon petit ! Si un jour vous décidez de quitter l’armée, je serais le plus heureux de vous offrir du boulot. Vous avez visité ma propriété ? Songez-y !

- Je vais y songer, mon Colonel ! Je vais y songer ! Eh bien, moi j’ai faim, dis-je, alors que l’officier supérieur des fusiliers, s’éloignait. Vous donnez vraiment l’impression de m’en vouloir James.

- Que non ! J’ai trop d’expériences dans ce job, pour m’offusquer à ce point, d’une demi-défaite.

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Le serveur surpris que nous ne soyons plus que deux, déposa les assiettes de hors-œuvres, détalant à toute vitesse. Craignait-il l’orage ?

- Demi-défaite ? Il est vrai que les exigences du Commandant, sont assez surprenantes. Mais enfin ! Nous poursuivons une logique ! Tout est bien plus clair, maintenant. Je ne me faisais guère d’illusions, savez-vous?

- C’est mieux ainsi, Max ! Vous ne connaitrez pas, le goût amer de la déception. Il n’est rien de plus démoralisant au monde, que de se voir déçu par les siens. Des autres, c’est déjà frustrant ! Mais des siens, c’est pire ! Vous attendiez-vous, à ce que le Commandant et Mahersen, abandonnent la mission ?

- Hum répondis-je la bouche pleine. Pas le moins du monde ! Excusez-moi James, mais j’ai vraiment faim là ! Cela fait je ne sais plus combien d’heures, que je n’ai pratiquement rien avalé de chaud. Vous l’avez entendu aussi bien que moi, non ?

- Ne vous privez pas ! Donc, vous n’attendiez pas grand-chose, de ce…

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fabuleux travail, que vous avez accompli ? C’est vraiment navrant !

- Pourquoi navrant, James ? Vous avez servi dans l’armée, n’est-ce pas ? Marines ?

- Oui ! Troupes aéroportées ! J’ai fait la campagne de Corée et deux périodes au Viêt-Nam.

- Alors vous savez, James ! Nous autres militaires, nous accomplissons notre devoir pour notre patrie ! En politique, ce qui fut adulé hier, se voit maudit demain. Heureusement, que nous ne tenons pas compte, de cette disparité des valeurs. Sinon ? Nous retournerions dans le civil, et nous ferions tout ce qui est en notre possible, pour vivre comme des ermites, nous écartant de cette fange nauséabonde.

- Un cœur pur, redoutable !

- Je ne trahis pas mes convictions !

- Demandez votre affectation, pour une unité de combat, Lieutenant ! Vous n’êtes pas fait, pour le renseignement. Lorsque Napoléon 1er ordonna l’ouverture du bagne de Cayenne, son Ministre de la police lui demanda : « Par qui allons-nous faire

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garder ces crapules » ? Napoléon, homme pragmatique au possible, répondit : « Par plus crapules qu’eux » ! Vous n’êtes pas prêt, intellectuellement parlant, à vous démontrer plus crapule encore, que nos adversaires, Max ! Je viens de vous dire, que j’étais en Corée et que j’ai également effectué deux périodes au Viêt-Nam ! J’ai vu, de quoi étaient capables les Communistes !

- Je ne dis pas, James ! Mais l’homme est capable du meilleur comme du pire ! Peu importe l’idéologie qu’il sert ! Tenez ! Un exemple ! Karl Marx, était un grand idéaliste utopiste ! Il désirait très ardemment le bonheur des peuples, de toutes origines, et sans aucune discrimination. Staline, fut un bourreau ! Ce n’est pas l’idéologie qui est répréhensible, James. C’est ce que les hommes, font de ses grands principes. Hélas, trois fois hélas ! C’est contre cela, que je me bats ! Savez-vous au moins, pour quelle raison, vous êtes en guerre au Viêt-Nam ?

- Pour arrêter l’expansionnisme communiste, en cette région du monde,

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Max ! s’emporta-t-il presque. Je le sentais sortir de ses gonds !

- Absolument pas, mon Colonel ! Vous auriez dû freiner les ambitions démesurées, du Gouvernement Sud Vietnamien, pendant que vous en aviez la possibilité. Alors que régnait une corruption endémique, voyant les élites s’en mettre plein les poches, le peuple Sud Vietnamien crevait de multiples privations. Les américains laissaient faire, attendant la réaction communiste. Le Sud, devint alors, un terrain propice, à l’expansionnisme du Nord, James. Résultat ? Vous l’avez voulu ! Je n’ose pas dire, mais je le pense, vous l’avez programmé ce foutoir !

- Et votre guerre à vous ? C’était quoi ?

- Bonne question ! Elle rejoint en tous points, ce que je ne cesse d’essayer vous faire comprendre. C’était une guerre coloniale ! Comme le fut, la guerre d’Algérie ! Un préliminaire à tous ces grands chamboulements. Le monde changeait à l’insu de certain de ses dirigeants. Première morale, qui me vient à l’esprit. Ce n’est pas l’unique volonté des dirigeants, qui doit primer, mais celle des

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peuples ! Nous étions de ceux, qui refusèrent de s’adapter, voire d’anticiper sur les évènements, et sur l’avenir. Tout ce que nous fûmes capables de faire, en réponse à des attentes légitimes ? Des guerres ! Au final, ces peuples gagnèrent leurs autodéterminations, par la force des armes. Si nous analysions en profondeur ? Quelle stupidité, bon Dieu ! Qui paya un lourd tribu, tout autant physique que moral ? L’armée et les civils sans grades, qui se trouvèrent pris au cœur de ces incohérences, qui défrayent tout entendement. Qui fut le grand vainqueur ? Ben ! Paradoxalement, le Communisme !

- Seriez-vous, un pacifiste en uniforme ?

- Non ! Je suis un défenseur de ma nation, Colonel ! m’emportais-je. A ce titre, les affaires des autres, ne me concernent pas ! Qu’ils mènent leurs barques, comme bon leur semble, je m’en fiche, tant que cela, ne vient pas mettre en péril, mon sol natal ! Or, c’est ce que vous venez vainement, tenter de faire ! Ce… ce subterfuge à la noix, visait à nous impliquer froidement. Si j’avais le pouvoir de changer les choses ?

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Ce navire s’approcherait d’une côte, et je vous débarquerais !

- Mais vous accomplirez votre devoir, n’est-ce pas ?

- Je considèrerai que mes hommes, méritent ce respect, ainsi que de nombreux marins innocents, qui battent la mer, pour gagner honnêtement leur pain quotidien et, qui se voient mis en péril, par les agissements criminels de ces pirates. Ce qui répond en tous points, à votre question. Maintenant s’il vous plait, laissez-moi bouffer en paix !

Je crois, que je ne venais pas, de me faire un ami ! D’ailleurs, il se leva, prenant le parti de rejoindre son nid d’aigle. J’émis un soupir de soulagement, avant de me remplir le ventre. Je me sentais léger comme une plume !

- Hello Max ! Entendis-je, « sa mélodieuse voix ».

- Hello, Jackkie ! Vous êtes seule ?

- Ils sont resté dans leur cabine ! Dan est malade !

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- Dan ! J’ai presque oublié son prénom ! Bernard et Soumaya, ne se sont pas pointés non plus. Cette tempête a éprouvé nos nerfs, et nous a mise tous, à rude épreuve.

- Vous me semblez… plus détendu, aujourd’hui, dit-elle, prenant place sur le siège du Commandant.

- Ey ? Tu occupes la table du Commandant, toi, maintenant ?

- Pincez-moi, Jackkie, je crois rêver. Deux étoiles se lèvent. Comment allez-vous ce matin ?

J’eu droit à une belle langue rose, tirée par ma ravissante Soumaya, qui se précipita pour embrasser Jackkie.

- Chouia, chouia, répondit mon ami, en faisant des mimiques très significatives, estimant que la nuit avait été… bien trop courte. Venons-en aux faits ! Tu as remis ton rapport au Commandant ?

- Houai !

- Qu’en pense-t-il ?

- Nous poursuivons la mission d’origine ! Celle que nous devons accomplir, Bernard.

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Pour le reste, cela dépendra des américains.

En quelques mots, je lui relatais ce qui s’était passé. Il en resta bouche bée !

- Ainsi tu l’as fait ! Eh bien, tu es rudement gonflé, tu sais ? Que crois-tu, au juste ? Que notre Gouvernement, va réprimander le Ministre de la Défense U.S ? Ils vont inventer de toute pièce une histoire à dormir debout, prendre un ou deux bouc-émissaires, tout en demandant des excuses. Chose faite ? Ils avanceront et à juste raison, le cout astronomique de cette opération, financée en grande partie, par les U.S.A. Je te dis, comment ça va se passer ? Ils tenteront de convaincre notre premier Ministre, que cette opération étant lancée, il serait préjudiciable sur bien des plans, de l’arrêter en si bon chemin. Que pourraient penser, les Russes et compagnie, s’ils en étaient informés, de notre… reculade ? Que nous rebroussons chemin par faiblesse ? Et ce n’est pas la bonne époque, pour se démontrer faible, Max ! Quoi qu’ils en pensent chez-nous, maintenant, plus personne ne peut reculer. Le cas échéant ? Ils nous désavoueront de

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concert. Dis-moi, tête d’âne ? T’es-tu seulement demandé la raison pour laquelle, les deux parties prenantes dans cette affaire, se sont adressés à des mercenaires ? Tu devrais réfléchir un peu et mettre tes idées au garage !

- Hum ! Selon toi, j’aurais dû me taire, écrire un rapport blanc, et nous laisser voguer, jusqu’en mer de Chine, dans l’espoir de casser du chinois ?

- De l’industrie Nord-Coréenne !

- Oui ! Si tu veux ! Pour moi, c’est du pareil au même. Mais assied-toi au moins !

Il prit place à côté de sa femme, qui me regardait avec des yeux interrogateurs. Ni Soumaya, ni Jackkie, n’osèrent plus parler, essayant de comprendre, ce que nous-nous disions, ainsi que la raison de cette prise de bec.

Nous demeurions silencieux un instant.

- Ce sera exactement, comme je viens de te le dire, que les choses se passeront. Et tu verras, que nous irons en mer de Chine ! Car vois-tu, pour les décideurs, tout est lié !

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- Piraterie, Communisme, trafics d’armes, tout est lié ? Le lien est plutôt mince, non ? Pourquoi pas, le trafic de drogues aussi hein ?

- Trafic de drogues aussi, Max ! Tu n’as tout simplement pas pioché assez profond, pour découvrir la source d’eau claire, mon pote. Tu te désaltères à moindre effort, avec une eau saumâtre. Arrête de te croire, que tu vas sauver le monde, Max ! Ou plutôt, si tu veux vraiment contribuer à le sauver, tu vas devoir oublier certaines de tes valeurs, auxquelles tu t’accroches, comme un morpion, sur une paire de couilles. Oh ! Pardon mesdames, s’excusa-t-il promptement.

- Tu t’es levé de bonne humeur, pour me faire la leçon, Monsieur le professeur des stratégies élaborées ? Tu aurais mieux fait, de prendre ton temps !

- Bah ! Tu m’énerves ! Mais ce qui est fait, est fait ! Eh bien ? Tu viens de gagner ton galon de Capitaine, Max ! Tâche que ce ne soit pas, à titre posthume ? Bien ! Maintenant, mangeons hein ? Ce sera toujours ça de pris ! Ah oui au fait ? Que comptes-tu faire de… « ton » prisonnier ?

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14 :00.

La conversation, prit une autre tournure par bonheur. Mais d’une immense satisfaction, je passais sans transition, dans la contrariété la plus absolue. Quelque part, j’étais persuadé d’avoir eu raison, d’aller jusqu’au bout de mes convictions. Mais d’autre part, après avoir écouté celles de mon ami, j’éprouvais des doutes. Avais-je tout évalué ? Déjà, je m’attribuais l’excuse, d’avoir dû courir après le train, avant qu’il ne ralentisse enfin, pour que je puisse y monter. «  Eux et leurs secrets ! Bon ! Ils n’avaient pas tort, car nous avions un traitre parmi nous. Mais… Bon Dieu ! Ils savaient tous, que nous avions un traitre parmi nous. Sacré bon sang de bonsoir ! Mais qui manipule qui, à la fin » ? Je me gardais bien, d’entreprendre mon Bernard, sur ce sujet. Mais en le regardant bavarder avec nos compagnes de table, je me disais : «  Voici venue l’heure, que tu crache le morceau. Maintenant, tu ne pourras plus te défiler ». Avais-je été pressenti malgré moi, pour jouer pour de bon, le rôle de candide ?

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« Tout se négocie, en ce bas monde » me dis-je encore. « Quelqu’un, vient de faire monter les enchères et de récupérer une position politico-stratégique, d’une importance faramineuse. Et je fus l’agent zélé, l’instrument idéal, pour que cette négociation aboutisse, aux seuls intérêts de ceux qui la fomentèrent, cette stratégie. Pauvre Lewis » ! Je me levais de table, prenant Jackkie par la main. Elle me regarda stupéfaite, mais comprit, sans que je n’aie besoin d’en dire trop.

- Viendriez-vous prendre l’air, j’ai des choses à vous dire.

- Vous nous abandonnez, fis semblant d’en être attristée Soumaya. Il fait une journée splendide, en effet ! Maintenant que les soldats en armes, sont beaucoup moins nombreux sur les ponts, il fait bon y flâner. Bonne promenade, les amoureux !

Pendant que ma chère amie, se laissait guider par sa curiosité concernant Jackkie et moi, je me penchais à l’oreille de mon ami.

- Tu sais toi ? Tu me connais mieux que ta poche, hein ?

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- Heureux, que tu t’en rendes compte enfin ! N’avons-nous pas grandis ensemble ? Nous en avons vu des vertes et des pas mûres, hein ? Cela renforce nos convictions, aujourd’hui. Oui ! Je te connais très bien.

- Trop bien ! Depuis combien de temps, as-tu prévu mes réactions ? Je dois avouer, que ce fut un coup de maître es stratégies. Chapeau ! Tu es bien, un matheux, toi, hein ?

Il tourna bien trop vivement la tête dans ma direction, m’offrant son petit sourire en coin, signe, que je venais de marquer un point.

- Ah ! Je vois que tu fais travailler tes neurones, dit-il toujours à voix basse. Tu vois ? Je suis sur un point, en parfait accord avec ton jugement. Ces américains, sont… comment dire ? Empesés dans leurs certitudes ? Je crois, qu’ils viennent de mettre leur superbe en berne, non ? Mais ce sera notre seule victoire, Max ! Que crois-tu ? Que nos services de renseignements se sucent le pousse, à défaut de tétines ? Tu apprendras très vite,

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que non ! Et je réitère ! Nous irons en mer de Chine, Max ! dit-il sur un ton doucereux.

- Bien ! D’accord ! Nous irons ! Mais tu me dois quelque chose, maintenant ! Et crois-le bien, toi aussi, tu vas payer ta dette ! Tu t’es servi de moi ? Bravo !

- Ce sera tout en ta faveur…

- Je m’en fiche, des faveurs ! criai-je, faisant sursauter de frayeur nos deux compagnes. Je me penchais de nouveau sur son oreille. Tu vas m’aider !

- Putain, tu n’y penses pas, voyons ?

- Tu vas m’aider ! Mon carbone est un double précieux ! Le double versé au coffre, je dois le remettre à James Lewis. Ordre du Commandant. Mais…

Il tourna le cou, pour croiser mon regard.

- Saleté de tête de mulet Corse ! Que veux-tu ?

- Tu le sais ! Et second point, faire partir d’ici, Jackkie et ses amis !

- Tu plaisantes non ? murmura-t-il de façon à peine audible. Où iraient-ils et comment ?

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- Je t’expliquerai dans une petite heure, où tu sais !

- Ton projet est insensé, Max !

- Celui de baiser les américains, il était plus… sensé ? On ne sait plus, qui baise qui, dans ce… ce bordel !

- La réponse du berger à la bergère, tu connais ? Ils ont commencés ? Nous avons finis !

- Tout ce cinéma que tu viens de me faire, avec la volition d’un donneur de leçons ! Tu as bien changé toi, tu sais ? A tout à l’heure !

- Hum ! Toi, tu ne changeras jamais !

- Vous faites des messes basses, dit Soumaya, dont le regard inquisiteur, foudroya son mari.

- Pas de lézard Soumaya, dis-je, lui caressant l’épaule au passage, afin de l’apaiser. Nous allons prendre l’air.

Je me saisissais de la main de Jackkie, l’entrainant assez brusquement il est vrai, à l’extérieur du mess.

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- Que vous arrive-t-il à tous deux, s’enquit-elle, non sans une pointe d’anxiété dans la voix.

- Bof ! C’est un peu comme pour les vieux couples, vous savez ? On rumine nos rancœurs, puis on les matérialise, avec mauvaise humeur. Mais ce n’est jamais bien grave.

Nous avons marché le long de la travée extérieure, en conservant un silence lourd de pensées émergeantes, nous tenant par la main, sans même nous rendre compte, que marins et fusiliers, nous observaient.

- Cette tension avec votre ami, elle me met mal à l’aise. J’ai le sentiment, d’y être pour beaucoup.

- Voyons Jackkie ! Qu’est-ce qui vous fait penser une telle chose ? Absolument pas ! Problèmes de boulot, tentais-je d’éluder la question.

- Boulot ? Il a peur de vous perdre !

- Ah oui ! Je vois ! A cause de votre arrivée impromptue dans ma vie ?

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- Oui ! Je suis un danger pour lui. Il n’a pas l’air d’apprécier votre façon de voir les choses, je me trompe ?

- Bah ! Bernard est un peu narcissique, sur les bords. Avec moi, il a toujours joué le rôle du grand-frère protecteur. Nous sommes très différents, vous l’aviez observé ! Mais toutefois, nous sommes complémentaires. J’ajouterai même, indissociables !

- Vous ne me dites pas tout Max, mais je vous vois, très contrarié. J’ai entendu votre ami dire plusieurs fois, que nous-nous rendions en mer de Chine ? Que se passe-t-il Max ?

- Je ne peux rien vous dire, Jackkie !

- Pourquoi ? Est-ce secret ?

- Je vais vous aider à vous enfuir de cet enfer ! Moins vous en saurez, mieux vous-vous porterez ! Et vos amis, débarqueront avec vous !

Elle s’arrêta net, fit un demi-tour brusque, regardant à droite puis à gauche. Ne voyant personne, elle me poussa dans un renfoncement, faisant prendre appuie ses

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deux mains contre ma poitrine, bras tendus.

- J’ai bien entendue ? dit-elle, se collant contre mon corps.

- Jackkie ! Nous pourrions être surpris et…

- Je m’en fiche totalement, que nous soyons surpris, vociféra-t-elle, entrelaçant ses doigts, qu’elle avait passée derrière ma nuque. Ses yeux libéraient les flammes de l’enfer. Ecoutez-moi bien Max, reprit-elle avec une voix tendue comme la corde d’un arc. Ne prenez aucune résolution pour moi ! Quant aux deux autres, ils ne partiront pas ! Ils ne sauraient plus où aller, sans leur voilier !

- Loin de moi, cette idée de vous contraindre…

- Mais bon Dieu ! Allez-vous comprendre oui, m’interrompit-elle, secouant ma nuque vigoureusement, pour me faire entendre raison. Je n’en fais pas un problème de suprématie ! Je sais, que vous agissez pour ma sauvegarde ! Mais qui vous dit, que je veuille être sauvée ? Qui vous dit, que je ne le suis pas, ici, entre vos bras ? Oh my god ! s’exclama-t-elle subitement, comme prise

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d’une révélation. Je viens de réaliser le… « mais seulement ». C’était donc ça ? Vous cherchiez une solution, pour me faire partir ?

- Pouvez-vous seulement imaginer, ce qui nous attend ? Bon ! Vous avez entendu Bernard, parler de notre probable intrusion en mer de Chine ?

Ses bras enserrèrent mes hanches, et elle posa sa joue droite, sur mon cœur.

- Il bat très fort ! dit-elle, ignorant totalement, ce que je venais de lui dire. Je sais pourquoi, il bat si fort votre cœur. Si vous pouviez entendre le mien ! Je crois, qu’il va s’enfuir de sa cage. Ce qui nous met à l’unisson, Max.

- Croyez-vous que ce soit le lieu, et l’instant propice, pour nous déclarer notre flamme ?

- Il ne peut exister meilleur endroit, ni meilleur moment. Je ne partirai pas !

J’ai posé alors, ma tête contre l’acier froid de la paroi, les yeux dirigés vers ce vaste océan vide. Je la pris enfin entre mes bras, humant ses cheveux, la serrant de toutes mes forces.

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- Notre univers va s’embraser Jackkie, soufflais-je, cette solennelle mise en garde, à son oreille.

- Je sais ! Je le crois aussi ! Mais tant que je serais blottie ainsi entre vos bras, je n’aurai aucune crainte. Pouvez-vous imaginer l’enfer que je vivrais, si vous m’éloigniez de force de vous ? Je sais, que vous m’aimez, Max !

- C’est bien pour ça que…

- Que tout est dit ! Je reste !

L’adjudant-chef Paul Declercq, fit irruption sur la travée extérieure. Un marin, à qui il venait de demander s’il nous avait vus, désignait de l’index, le petit renfoncement abritant une porte d’accès, ainsi que des bouées de sauvetage où Jackkie, m’avait repoussée. Il arriva en courant, le visage dégoulinant de sueur.

- Ah ! Lieutenant ! Je vous cherchais partout ! Je dois vous prévenir d’une catastrophe !

- Reprenez votre souffle Paul, lui dis-je, alors que Jackkie s’écarta vivement d’entre mes bras. Que se passe-t-il ?

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- Le prisonnier en bas ! Il a assommé ses deux gardes. Il a réussi à se tirer, Lieutenant ! J’ai alerté l’U.P.I, 5 qui s’est mise immédiatement à sa recherche, avant de venir vous informer.

- Quand s’est produit cet incident ? dis-je un peu trop calmement.

- Pendant qu’ils lui servaient son repas. Les deux gars, n’ont rien vus venir !

- Pendant … le repas ! Il y a plus de deux heures ! Sacré nom d’un chien ! Qui était de garde ?

- Derieux et Cheyney, Lieutenant !

- Qui les a retrouvés ? Comment se portent-ils, Paul ?

- Mis à part une bosse sur le crâne pour Cheyney, et un œuf de Pâques sur le front, pour Derieux, ils s’en sortent bien. C’est la relève, qui les a trouvés, ficelés dans la cellule.

-Où sont-ils ?

- A l’infirmerie, Lieutenant !

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- Bien ! Mettez des hommes à une recherche minutieuse sur les ponts. Faites fouiller, toutes les chaloupes de sauvetage. Pas un seul recoin, ne doit être oublié ! En proue, il y a un poste sous la plage, où sont remisés les chaînes d’ancrages, ainsi que le matériel de graissage. Qu’il soit également fouillé à fond. Alertez les gardes en armes, en poste dans tous les angles de visibilités, des structures hautes. S’il ne s’est pas tiré du navire, en plongeant à la mer, il devra se terrer tel un rat, dans ses profondeurs. Il sortira bien, tôt ou tard ? Jackkie ! Veuillez rejoindre vos amis. Restez près d’eux !

- Oui, Max !

- Paul ! Vous l’escortez jusqu’au pavillon, sait-on jamais !

- Reçu Lieutenant ! Venez mademoiselle, lui dit-il, s’écartant pour la laisser passer.

Je la regardais s’éloigner. J’étais encore sous l’effet de la résolution qu’elle venait de prendre, et à laquelle, je ne pouvais en douter, elle se tiendrait jusqu’à la mort. C’était d’ailleurs, ce qui me faisait chanceler sur mes jambes.

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15 :45.

Je retirais d’un geste las, le béret rouge de ma tête, le posant sur la caisse marquée « outils », m’assoyant lourdement à côté.

- Tu vas l’enfoncer ce couvercle, s’écria Bernard. Tu fais chier ! J’ai dû renvoyer mes hommes, alors que nous avons du travail ! Tu crois que cela va passer inaperçu ?

- Va te promener, Bernard !

- C’est ça ! Comptes-y !

- Bon alors, boucle là ! Alors Habib ? Vous n’y êtes pas

5- U.P.I Unité de Première Intervention.

allé de mains mortes, avec mes hommes ! Deux blessés à l’infirmerie !

- Je me suis retenu encore !

- Houai ! Heureusement ! Bien ! Vous êtes très activement recherché en haut. Vous allez devoir vous planquer jusqu’à minuit. Ce sera l’heure de la relève des vigies. Ici,

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personne ne viendra fouiner. Ils ont trop peur, de cet Ours mal léché, qui ne cesse de grogner du soir, au matin. Moi, j’aurai alors rappelé mes hommes, car il ne servira plus à rien, de vous chercher.

- Je me demande toujours, pour quelle raison vous faites ça !

- J’ai engagé ma parole non ?

- Parole d’officier ? Je vois ! Mais vous avez une autre idée derrière la tête, n’est-ce pas ?

- Si vous avez l’influence que vous prétendez avoir ? C’est bien possible, en effet !

- Qui vous dit, que j’userai de cette influence, pour satisfaire vos attentes ? Car je présume, que vous allez me proposer un deal ?

- Vous présumez bien, Habib ! Bien plus, qu’un simple deal ! Je n’ai pas d’immenses pouvoirs. Ce serait vous mentir, que d’affirmer le contraire. Mais mon ami ici présent et moi, représentons les services secrets français, vous ne l’ignorez pas.

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- Me proposeriez-vous de travailler pour vous ?

- Ce serait une façon honorable, de sortir de ce guêpier. En voyez-vous une autre ?

- Hum ! Mon commerce avec les Cubains, les Nord-Coréens, les Russes à l’occasion, maintenant le moyen orient, me rapporte bien plus, que vos Gouvernements dits… démocratiques, ne sauraient m’offrir. Et ne me parlez pas, d’idéologies, j’en suis totalement dépourvu.

- Faux ! Mais vous oubliez un paramètre de taille, ce qui me désappointe, venant de vous. Je vous crois bien plus intelligent.

- Je vous demande pardon ?

- J’ai dit, faux ! répétais-je, dépoussiérant de façon désinvolte, le col de ma vareuse de combat. Puis, je le regardais franchement dans les yeux. Je crois, que vous êtes un idéaliste, Habib !

- Il en faut un, pour en reconnaitre un autre, non ? Quel paramètre ai-je omis ?

- Il t’a reconnu, persiffla Bernard.

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- Possible ! Bon ! Nous sommes deux idéalistes, qui ne demandons qu’à se comprendre. Ah oui ! Le paramètre omis. Vous êtes un mort en sursis, mon cher ami…

Ses yeux devinrent encore plus ténébreux qu’ils l’étaient d’origine. Il me regarda longuement en silence, cherchant une répartie.

- Donc, laissez-moi vous rejoindre dans les méandres de vos pensées. Je deviens un gentil petit boy-scout à la solde des français. Et bien sûr, je laisse tomber mes… activités frauduleuses ? Plus d’attaques de cargos, plus de rançonnages, plus de rentrées d’argent ! Bon ! Je me mets à l’agriculture maraichère ? Tenez ! Je plante du pavot ! Non ! Je vois dans vos yeux, que ce n’est pas une excellente idée !

- Non ! Ce n’est pas la meilleure idée ! Qui sait ? Nous pourrions avoir mieux à vous proposer ? Commercialement parlant, s’entend. Je prends note ! Les américains, rencontrent de graves problèmes à l’Est, avez-vous confirmé, ce que nous n’ignorions tout de même pas. Nous, c’est à

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l’Ouest, que se tournent nos regards, ainsi que nos principales préoccupations.

- Oh ! Je vois ! Beaucoup plus à l’Ouest ?

- Beaucoup plus en effet !

- Où tu veux en venir, Max ? demanda Bernard, qui pour une fois, éprouvait beaucoup de peine à suivre la caravane, à pieds.

- J’ai compris, où il voulait en venir Lieutenant, dit-il s’adressant à mon ami. Et pour le reste ?

- Pour le reste ? Réfléchissez bien Habib ! Vous venez de perdre un navire. Vos hommes ont été faits prisonniers ! Tôt ou tard, ils seront relâchés, savez-vous ? Nous n’en ferons pas, de la confiture ! Imaginez le pire ! Deux options ! La première, vous apparaissez un héros, qui a réussi à fausser compagnie à ses geôliers ! Ce qui renforcerait votre notoriété, n’est-ce pas ? Mais la seconde option elle, serait moins favorable à votre image de marque. Nous pourrions faire courir certains bruits, sur la surface de ces océans, porteurs d’échos. Vous voyez ce que je veux insinuer ? Surtout après ce qui va immanquablement

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se passer, grâce à… vos renseignements. Vous seriez… en très déplaisante position. Bof ! Ce ne serais pas Damez-Sanchez, qui infirmerait cette version peu honorable des faits, voyez-vous ? Il doit se demander la raison pour laquelle, les ricains, ne vous ont pas cuisinés ! Lui ? Il est passé à la moulinette voyez-vous ? Je pense, qu’il doit avoir les glandes ! Je fis tout mon possible, pour priver les américains, de vous faire subir son sort. Encore une autre raison, de beaucoup m’en vouloir pour eux. Mais je ne le fis pas, pour vous éviter ces… sévices !

- Vous m’avez mouillé à fond !

- Mouillé ? Quel doux euphémisme ! Suite à votre fuite que j’organise très volontiers ? Vous allez devenir la bête à abattre, Habib ! Ils vont avoir une dent, encore plus longue contre vous ! Nous avons Carlos, comme ennemi public numéro un, ils vont avoir Habib, dans leurs lignes de mires. Le petit malingre aux yeux noirs de la C.I.A, a eu une très rude matinée, mon cher ! Il ne s’est pas restauré, car sinon, il aurait vomi. La contrariété, pèse lourd sur l’estomac ! Je l’ai ridiculisé aux regards de nos autorités ! Grâce à vos… révélations spontanées, je le

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souligne, encore ! Vos révélations ? Voilà la raison pour laquelle, vous devez vous tirer d’ici ! En cet instant me voyant vous parler, vos révélations tombent sur divers téléscripteurs. Elles se voient décodées, par d’innombrables paires d’yeux, qui transcrivent, et font circuler dans les bureaux sensibles, cette somme considérable de renseignements. Qui aura balancé ? Damez-Sanchez ou… vous ? Avec un peu de chance, personne n’en saura jamais rien !

- Ah bon ?

- Eh oui, Habib, eh oui ! Car les américains, en bons puritains qu’ils sont, savent accorder le pardon aux repentis. Pas nous ! Nous avons bien trop, d’israélites dans nos rangs. Ils servent la France, certes ! Mais nous ne doutons pas un seul instant, que leurs cœurs, penchent en faveur du Mossad. Vous me suivez bien ?

- J’aurai du mal à vous perdre, car vous ponctuez bien vos mots. Damez-Sanchez…

- Damez-Sanchez, ne s’en retournera jamais, dans sa fabrique clandestine de havane, qu’il entretien avec amour, pour le

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cas où ça tournerait mal à Cuba, pour papa Fidel ! La C.I.A, fera même sortir sa famille. A moins que… je ne sais trop pourquoi, les américains le libèrent ? Il n’a rien eu le temps d’accomplir, le pauvre bougre. Sa peine sera légère !

- Vous êtes un foutu salopard, dit-il, prenant le parti de rire.

- Houai ! dit Bernard. Il parvient même, à me surprendre !

- J’ai vexé très rudement et pour longtemps, l’amour propre du responsable de la C.I.A à bord ! Si par malheur, il était informé de votre escapade ? Il se mettrait à vous chercher dans tous les recoins les plus sombres de ce navire ! Car vous êtes la preuve vivante, de ce que j’ai écrit sur mon rapport. Le seul témoin ! Compte tenu du fait, que le subterfuge monté par la C.I.A, avec la complicité d’un agent double français, fut éventé, que notre Commandant a signifié son intention de ne poursuivre cette mission, que seulement, dans sa phase essentielle, qui n’est autre que la traque des pirates, si vous disparaissiez pour… toujours ? Les américains auraient certes perdu

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l’avantage de faire faire par d’autres, ce qu’ils ne peuvent accomplir eux-mêmes, tout en impliquant un allié jusqu’au cou. Mais pour le moins ? Plus aucune preuve ! Que deviendraient mes allégations écrites, qui ne seraient jamais vérifiées ? Je passerais pour un fantaisiste ! Bah ! Je n’aime pas cette idée !

- C’est pourtant ce qui arrivera, si je parviens à m’enfuir ?

- Croyez-vous ? Qu’en penses-tu Bernard ?

- Qu’il réfléchit vite ! Mais mal !

- Très mal ! Dis le lui, Bernard !

- Je peux ? Oh ! Merci Max ! Mon bon Habib ! Mauvaise, très mauvaise nouvelle ! Nous filons à toute vapeur, vers la mer de Chine ! Plus rien ne viendra nous arrêter. Ce qui va calmer un peu, les aigreurs d’estomac des Ricains. Mais passagèrement, n’en doutez pas !

- Quel intérêt auraient les français, d’aller foutre leurs nez dans ce bourbier Américain ?

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- Regardez mon sourire angélique, Habib ! repris je le flambeau. La France, tient à jouer sa carte, sur le tapis vert mondial. La mise est faramineuse, certes ! Mais nous voulons payer pour voir ! Et puis, pour en revenir à nos moutons, il y a ces… graves problèmes à l’Ouest de cet éden ! Nos objectifs futuristes, nous conduisent au moyen Orient, où vous bénéficiez de certaines ouvertures. Mais je crois que vous l’avez parfaitement compris, non ? Cette guerre au Viêt-Nam aura pris fin, que celles qui se dessinent à l’Ouest, n’en finiront pas de faire couler beaucoup d’encre. Savez-vous combien coûte ce blocus du canal de suez ? Ce sont des millions de dollars par jour, que perdent les industries Européennes, tenues de payer plus chèrement le transport de leurs matières premières. Et puis, il y a également le risque d’une surenchère des conflits régionaux, qui meurtrissent le moyen Orient. La stabilité des pays du bassin méditerranéen, ne concerne pas les américains, Habib ! Bien qu’ils en soient persuadés ! C’est de notre ressort ! Il ne faut surtout pas, que l’ensemble de ces problèmes, concernent uniquement les américains. Vous me comprenez bien ?

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- Mieux encore ! Je partage votre opinion ! Qui êtes-vous, jeune homme ? Vous avez réussi, à me provoquer quelques frissons dans le dos !

- Qui je suis ? Eh bien, Max Girard ! Rien de plus. Seulement, la nature m’a dotée d’une tête, je m’en sers. Voilà mon ami ! Minuit tapante, je ferais tout ce qui est de mon possible, pour vous permettre de filer en douce. J’espère que l’épée de Damoclès que vous emporterez, ne fera pas couler votre frêle embarcation, si nous en trouvons une ? Dans la vie, tout se paye Habib ! Il est grand temps pour vous, de vous acquitter de la note !

- Que devrais-je faire ?

- N’ayez aucune crainte ! Des gens bien placés, vous le diront à temps voulu, dès l’instant que les rapports que je vais adresser en haut lieu, seront pris en considération. Laissez une adresse et un numéro de téléphone ? Non aller ! Je plaisante ! Parfois, je suis taquin ! C’est vous, qui serez le plus heureux, d’aller rendre visite à l’attaché de l’ambassade de France de votre bled ! Ne l’oubliez pas ! Le petit rat teigneux de la C.I.A, est très

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dangereux ! Nous sommes vos seuls protecteurs ! Euh ! Pardon ! Vos seuls amis…

Sur ces mots, je me levais.

- Tu ferais bien, de faire rembourrer cette cantine, dis-je à mon ami, qui me regardait stupéfait.

« Ah bon Dieu, que ça fait du bien » ! pensais-je, en prenant pieds sur le pont. Le cœur léger, je me dirigeais vers la passerelle. J’y appris, que le Commandant, était dans sa cabine. Qu’à cela ne tienne, je m’y rendis, sourire aux lèvres. Il me reçut immédiatement.

- Qu’est-ce qui me vaut, cette visite inattendue Max ?

- Je sais tout ! dis-je à brûle pourpoint, ôtant mon béret, que je rangeais sous l’épaulette de ma vareuse.

- Vous… Tout ?

- Tout Commandant !

- C’est Bertin, qui vous a … renseigné ?

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- Oh que non ! Il a bien joué la comédie jusqu’au bout.

- Hum ! Vous êtes un malin ! J’aurai dû me méfier.

Il demeura, deux ou trois secondes silencieux.

- Dans un sens, je préfère ainsi !

- Dans quel sens, Commandant ?

- Celui du serment, que nous avons fait, Lieutenant !

- Celui de servir honorablement notre mère patrie ? Bon ! Je considère l’avoir servie !

- J’en suis fort aise, Max !

- Mahersen était informé ?

- Allons donc ! Vous voulez plaisanter ? Franck est un excellent officier, et je l’estime beaucoup.

- Oui ! Mais à présent, il gère un… commerce ?

- Disons-le ainsi !

- Je vois !

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- Vous êtes acerbe, Max !

- Un peu, je dois l’avouer.

- Prenez place ! dit-il me désignant la chaise.

- Non Commandant ! Etes-vous informé…

- Que le prisonnier s’est évadé ? Pensez-vous que quoi que ce soit, puisse m’échapper, à bord de mon navire, Max ?

- Non, Commandant !

- Pas plus que l’amourette, que vous entretenez, auprès de miss Wood ! dit-il, en pinçant les lèvres pour retenir un sourire. Voyons Max ! Nous ne pouvions pas mettre tout le monde dans le coup. Lorsque Bertin m’a exposé les faits, alors que je devais tâter le pouls, des piliers de cette opération, encore en phase d’élaboration, avant de prendre ma décision concernant ce commandement, que l’on me proposait…

- Vous êtes venu à Bulawayo, rencontrer Bernard ? l’interrompis-je ébahis.

- Pour sûr voyons ! Mes supérieurs, me l’avaient conseillé. Je vous disais, pour couper court et éviter d’avoir à me répéter,

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que votre ami contribua à ce que j’accepte. Il me dressa un tableau assez noir, sur les évènements, qui suivirent la proposition des américains de nous aider, en fournissant, non seulement des renseignements essentiels, mais en prime, le matériel et la logistique. Je crois qu’en haut lieux, ils préférèrent que je me rende à pieds d’œuvre sur le terrain, pour que je me fasse une idée précise de la situation. Bertin, est très persuasif ! Le Ministère a fait le bon choix, du porte-parole.

- Les américains nous couillonnaient, alors nous allions leur rendre la pareille ? Parfait ! Bernard, insista bien évidemment, sur le fait, que personne ne devait se voir informé, surtout pas moi ! Et pour cause ! Il me connait à fond ! Je comprends mieux à présent, l’attitude de mon supérieur à Paris. « Vous prendrez vos ordres, sur place en Afrique » ! J’ai reçu celui d’instruire des mercenaires ! Ce n’était pas vraiment mon job ! Mais enfin ! Et puis ! J’ai été surpris de la vôtre d’attitude, lorsque nous avons trouvé, ce voilier en perdition sur notre route. Vous ne paraissiez aucunement troublé, par cette façon, de nous persécuter moralement,

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pour que nous passions à l’attaque. Car c’est bien, ce que l’adversaire espérait plus que tout au monde, ayant parfaitement connaissance de nos forces. A un détail près. La stratégie Soviétique, qui vint encore plus, embrouiller les choses. Le mécanisme, mis en route à mon insu, fonctionnait à merveille !

- Bertin, fit état de votre… brillante intelligence, bien que vous soyez un doux rêveur, qui ne cherche pas, à calfeutrer des idées progressistes. C’était à exploiter !

- Vous aussi vous me qualifiez de progressiste ? C’est parfait ! Je vais prendre ma carte, au parti Socialiste !

Il ne put s’empêcher de rire.

- Bon ! Eh bien ? Nous avons réussi, non ? Voici nos alliés américains, dans une situation guère confortable. Ils vont devoir apprendre à nous respecter, maintenant ! Quant aux russes, ce n’est qu’un feu de paille. Je veux l’espérer ainsi. Mais encore une fois, vous avez mis dans la cible. Ils veulent une guerre totale.

- Pourquoi ne pas la déclarer eux-mêmes ? Voyons ! La provoquer, ce serait un coup de

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maître. Ils ne sont aucunement certains, que s’il la déclarait seul, cette guerre totale, les chinois, viendraient à leur secours. Mais si cette guerre éclate, par la faute des chinois ? Alors là, l’Union Soviétique, deviendra son allié. Très volontiers, même ! C’est génial, non ? Tous ces morts pour en arriver là ! C’est… purement fou. Parfois, je me demande… Il me vient de bien étranges pensées. Ne serions-nous pas gouvernés, par des extra-terrestres ?

- Le fou émet une idée, le sage la met en œuvre. Des extra-terrestres ? Tiens ! C’est à examiner de près, ça ! Des intelligences supérieures ? Pourquoi pas ! dit-il songeur.

-Puisque vous parlez de… mise en œuvre, j’ai encore pris le train en marche, mais je pense avoir rejoint ma place, en tête du convoi.

- Expliquez-moi un peu ça ?

- Tout compte fait, puis-je m’asseoir ?

Je lui contais mot pour mot, le retournement de l’agent Habib Thiry. Au terme de mon exposé, il demeura silencieux, son visage reproduisant l’aspect

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d’un iceberg, en villégiature dans l’atlantique Nord. Durant un court instant, je crus personnifier le célèbre et infortuné Titanic ! Le choc était imminent ! Mais je me pris à espérer, qu’il ne retrouve plus jamais, l’usage de la parole.

- Vous êtes le diable, Lieutenant Max Girard ?

- Absolument pas, Commandant ! Tout juste, un opportuniste ? Vous aviez ouvert en grand une porte, je suis entré, puisque personne ne daignait m’inviter !

- Comment allez-vous vous y prendre, pour le faire s’évader de ce bâtiment ?

- Ah là, je compte sur vous, Commandant ! Vous êtes de loin, le plus habilité, pour l’aider à faire la belle ! Mais comme ce fut le cas me concernant, le mieux serait, que très peu de personnes se voient impliquées.

- Sacripant ! Foutu sacripant ! Vous me mettez au pied du mur, hein ? Mais quelle putain d’idée géniale ! Vous finirez Général, vous ! Où est ce… cochon ?

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- Bernard est dans sa cale, en compagnie de notre nouveau… « appointé » ! Il y restera, jusqu’à la fin !

- Qui peut dire, s’il tiendra la distance ? Elle sera rude la route sous ses pieds nus.

- Plus elle le sera, plus il sera docile ! Je n’aimerais pas me trouver à sa place.

- Je mettrais le second dans le coup ! Nous étions tous deux, très liés à l’école navale. A trois, cela devrait suffire. Il y a un dinghy pneumatique, qui sert à la rampe de lancement, pour le cas, voyant un filin se prendre dans les hélices. Il est réservé aux plongeurs. Il est doté d’un petit moteur hors-bord de 75 chevaux. Mais nous croiserons très près de la côte du Bengale, vers 00 :30.

- Eh bien ! Ce sera parfait. Puis-je disposer, Commandant ?

- Foutez-moi le camp, Lieutenant ! Et tachez de ne pas vous faire trop remarquer, avec cette ravissante jeune femme, sans quoi, je vous marie sur le champ, histoire de me venger.

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- Elle vous bénirait pour cette volonté de vengeance ! Ah ! J’allais oublier l’essentiel, Commandant ! Que faisons-nous, pour la suite des opérations ? Je ne lui laissais pas le temps de répondre, persistant dans mon analyse. Nous venons de damer le pion de la C.I.A, assez rudement ! Mais maintenant, nous allons devoir les amadouer, afin que des projets futuristes, ne rencontrent pas, une opposition dictée par l’orgueil démesuré de ces gens-là !

- J’ai anticipé sur votre façon de voir, Max. J’attends les ordres ! Mettre sur le tapis, le moyen orient ? Ce fut un trait de génie. Inutile de m’adresser un rapport écrit. J’ai tout en tête. Je vais immédiatement partager avec le Ministre, ma conviction, que votre idée, doit se voir exploitée à fond. S’il ne saute pas sur l’occasion ? Je bouffe ma carte d’électeur !

- Hum ! Je ne vous cacherai pas, que j’en éprouve une grande appréhension ! Mais le vin est tiré, alors il faut le boire !

- Sans pour autant s’enivrer, Lieutenant ! Sans pour autant s’enivrer !

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Il avait eu le dernier mot, pénétrant dans le sens de mes pensées. Maintenant, nous allions devoir conserver la tête froide, et les deux pieds, bien campés sur terre. « Drôle de guerre », pensais-je, en me dirigeant vers le poste qu’occupait James Lewis. Ce dernier, avait en apparence, ravalé ses rancœurs. Il me reçut assez chaleureusement.

- Vous venez rendre visite au blessé dans son égo, Max ?

- Non, James ! Je viens vous informer, que mon prisonnier s’est fait la malle !

- Vous … vous plaisantez ? s’égosilla-t-il presque. Quand ?

- Durant l’heure du repas. Nous fouillons le navire !

- Il ne s’est pas volatilisé, tout de même ! s’emporta-t-il. La côte du Bengale, est bien trop loin, pour qu’il la rejoigne à la nage ! Alors, il est encore à bord ! Qu’avez-vous entrepris pour le retrouver ?

- Je viens de vous dire, que nous fouillons chaque recoin. Où est Damez-Sanchez ?

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- Bon Dieu ! Vous pensez à Damez-Sanchez, vous ! Nous lui avons attribué une cabine gardée, au pavillon. Ce gars, n’est qu’un maillon subalterne. Le patron de l’expédition, est mort dans le naufrage du Khartoum ! Nous n’en tirerons pas grand-chose ! Quant aux autres prisonniers, ce ne sont que des combattants, à qui les chefs, ne perdent pas de temps, à expliquer les grands traits caractéristiques de la mission, qu’ils auront à accomplir. Nous perdons le nôtre, de temps. Nous savions déjà, que Thiry, est un armateur qui a pignon sur rue, que ce soit à Ceylan, au Pakistan, au moyen orient et sur le golfe du Bengale. Il faut étendre sa puissance, en Malaisie et en Indonésie. Le tenir entre nos mains, ce serait un sacré coup porté aux trafiquants, et pirates de cette partie du monde ! Et vous ? Vous le laissez filer ! Que vous est-t-il passé par la tête, de l’écarter du groupe, et de le mettre au secret ?

- Bof ! Je voulais le briser moralement.

- Oui ! Mais lui, n’a pas perdu courage ! Vous allez prendre mon adjoint, dans vos équipes lancées à la recherche de cet individu.

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- Si vous y tenez ! Mais cela ne changera pas grand-chose. Première hypothèse, il s’est trouvé un bon coin où se planquer. Il sera bien obligé d’en sortir. Seconde hypothèse, il a profité de la confusion, pour se balancer à l’eau. De toute façon, il savait pertinemment, qu’il était cuit ! Alors ! Il aura tenté sa chance ? Bon ! Dites à votre homme, d’aller se mettre à la disposition de l’Adjudant-chef Declercq. Ce renfort ne sera pas de trop. Votre rapport est parti ?

- Vous êtes inquiet, Max ? Nous avons nos propres outils de cryptages ici. Et nous-nous levons à l’aube !

- Je vois ! Bien alors maintenant, ne nous reste plus, qu’à attendre les ordres de Paris. Mais au risque de vous surprendre, après moult réflexion, j’en suis arrivé à la conclusion, que nous devrions poursuivre l’ensemble de cette mission.

- Ah bon ? Oui là, vous me surprenez ! Quel est l’origine de ce revirement, Max ?

- Eh bien ! Je fonde cette appréciation des choses, sur ce que Thiry m’a dit. Il a raison ! Si nos adversaires venaient à approfondir, ce que nous entreprenons

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communément, ce qu’ils savent en partie, ils se foutraient bien de nos gueules, si nous n’allions pas jusqu’au bout. Je pense aux Soviétiques, bien sûr. Je n’ai pas besoin de vous dire, ce que leur propagande tirerait comme avantages, si nous-nous défilions ! Dans ce genre de guerre, le ridicule tue tout aussi bien, que la plus terrifiante des armes.

- Je partage votre opinion, et je me vois heureux, que vous reveniez à la raison. Dommage que vous n’ayez pas évalué cela, avant de remettre votre rapport au Commandant LANGE ! Nous n’en serions pas là, maintenant !

- Je fais confiance à Paris ! Je n’ai pas une grande culture politique, mais nous avons des intérêts communs à préserver. En particulier, pour ce qui touche les problèmes insolubles, du moyen orient.

- Hum ! ricana-t-il. Nous y voilà !

- Faut bien aborder le sujet, n’est-ce pas ?

- Je ne suis pas… classifié, pour aborder ce sujet brulant, Max ! Mais bon Dieu ? Qui êtes-vous, au juste ?

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- Moi ? Un simple pion, qui se demande bien, qu’elle place on lui attribuera sur l’échiquier. Le fait que personne ne daigne me désigner cette place, m’accorde le droit, de la choisir. C’est simple, non ?

- Je ne vous crois pas, Max ! J’ai quatre années d’expériences à la C.I.A. C’est comparable à de nombreuses années de service, dans une autre famille du renseignement, savez-vous ? Je n’aurai pas autant appris, à la N.S.A. Pourquoi aborder ici, la problématique que génère le moyen orient ?

- Faites bouillir la cafetière, James ! En dosant bien vous allez nous faire un bon café ! Bon ! Ce n’est pas tout, j’ai encore du pain sur la planche ! Pour le café, plus tard, hein ?

Je le laissais à sa méditation ! Comme n’aurait très certainement pas manqué de dire Mobutu à sa femme, « ça va Zaïre » ! Pardon ! « Jaillir » !

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17 :12.

Je m’étais étendu sur ma couchette, effectuant un bilan rapide de la journée, dont j’avais toutes les raisons, d’être satisfait ! « Ah ! On me prenait pour un âne ? Un petit naïf bien docile, que l’on peut manipuler comme un pantin, ne demandant qu’à gigoter au bout de ses ficèles ? Ils ne doivent plus savoir où ils en sont, avec leurs certitudes », pensais-je. Cette idée, me fit rire. « Au jeu du, je te tiens, tu me tiens, par la barbichette, je ne suis pas celui, qui sourit béatement, et qui se morfle une claquette » ! Tiens ? Quelqu’un frappait à ma porte ! Je me dis alors : «  Et si tu la supprimais, cette foutue porte » ? Je me levais d’un bond, le cœur

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dans la gorge. Je n’étais pas encore à l’abri d’une mauvaise surprise. Il me tardait qu’un jour prochain se lève. J’ouvris, et je me sentis soulagé.

- Entrez donc, Jackkie ! Désirez-vous un café ou bien, un thé ?

- Oh oui ! Va pour un thé, même si l’heure traditionnelle est passée, dit-elle d’un ton enjoué, s’empressant de prendre place sur le bord de la couchette. Où en sont vos recherches ?

Je posais sur ma compagne, un regard navré d’avoir à lui mentir ainsi.

- Au point mort ! L’oiseau de malheur, est introuvable ! Pour moi, il s’est envolé depuis longtemps. Les requins, ont dû se charger de lui, répondis-je, tout en préparant le thé.

- Qu’il aille au Diable ! Ce ne sera une perte pour personne. Carroll et Dan, en sont malades, d’avoir revus de près ce personnage… Elle frissonna, prenant appui sur ses deux mains posées à plat dans son dos. La jeune femme s’était changée, ayant revêtue une robe légère de couleur bleu ciel unie, au décolleté arrondi, laissant voir

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l’échancrure de ses seins somptueux. Un autre coup d’œil rapide, me permit d’apprécier la perfection de ses jambes, aux genoux bien ronds.

- Vous faisiez du sport ? demandais-je, en essayant de ne pas trop dévoiler mon intérêt, pour son anatomie.

- De la plongée artistique ! Je devais participer aux jeux Olympiques de Munich. Je ne vous l’ai jamais dit ?

- Non ! Vous deviez ?

- Au dernier moment, je dus me faire remplacer par une camarade, car je me suis blessée à la cheville. Ce fut bien malheureux pour moi. Mais plus tard, j’ai été bien contente de ne pas y être allée. Ce fut horrible, ce qui est arrivé ! Cette prise d’otages… C’est ignoble ! Les jeux sont faits, pour rassembler les nations, au travers des performances sportives de leurs représentants respectifs. Certainement pas, pour que des terroristes, viennent les perturber, avec un message sanglant. Où allons-nous ainsi, Max ?

- Ce n’est pas nouveau, Jackkie ! Hitler, se servit des jeux de 36, pour étayer sa

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propagande, vous savez ? Voulez-vous servir le thé ? Je n’ai pas la… pratique !

Elle s’y employa avec une grande dextérité.

- Chez-nous, les filles de bonnes familles doivent savoir faire deux choses. Servir le thé et savoir se taire, pendant que les hommes discutent affaires ou politique, en fumant leurs cigares, qui empestent une immense pièce, parfaitement bien aérée, dit-elle en riant. Que j’aimerais vivre en France ! ajouta-t-elle, laissant s’exprimer un long soupir. Les filles y sont belles, libres de toutes ces contraintes désuètes, entretenues par de vieilles barbes conservatrices, qui ne conçoivent aucune évolution, de la personnalité féminine. Pour se forger une place, chez nous, une femme doit se démonter féroce, parmi les loups !

- Pourtant, si plus tard j’ai des filles, croyez le bien, je ne les laisserais pas vagabonder de par le monde, aussi inconsciemment !

- Je vous remémore une petite différence, entre nos deux pays ?

- S’il vous plait !

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- Nous atteignons la majorité, trois ans avant vous ! En trois ans, il s’en passe des choses, voyez-vous ? Regardez-vous ? C’est tout juste, si vous êtes majeur !

- Ah non ! J’ai acquis ma majorité, dès l’instant que j’ai revêtus un uniforme. Je crois bien, que ce fut même la raison pour laquelle, je me suis engagé ! Vous ne connaissez pas encore ma mère ! Attendez de vous voir confrontée, à cette personnalité atypique ! Savez-vous la différence qui existe, entre une mère italienne et une mère juive ?

- Ah non ? Dites, pour voir ?

- Eh bien, la mère Juive dit à son enfant, « mange ou je meurs » ! La mère italienne dit, « mange ou je te tue » ! C’est un sacré numéro ! Agée de seize ans, elle est entrée dans la résistance, après que l’occupant ait arrêté et fusillé son oncle. Il est difficile et périlleux, de lui en imposer !

- Vous songez à… me la faire connaitre ?

- Je crois bien, que vous lui plairiez beaucoup. Elle affectionne les femmes de caractère.

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- Me voyez-vous ainsi ?

- Je vous avais prévu un voyage nocturne en mer, en très mauvaise compagnie.

- Mon Dieu ! Ne revenez pas sur le sujet ! Je vous ai signifié ma détermination de rester et… En mauvaise compagnie ? Quelle mauvaise compagnie ?

- Bof ! Ce serait bien trop long à vous expliquer. Mais je dois vous demander encore une fois, au risque de me démontrer insistant, de bien réfléchir. Passé minuit trente, votre sort sera à jamais lié, à celui de ce navire.

- Au votre, Max ! Mon sort, ne sera jamais autrement, que lié au votre ! Ce qui me dispense, d’avoir à réfléchir plus encore.

- Hum ! Voilà la raison pour laquelle, vous plairiez beaucoup à ma mère ! Mais j’ai mal dans le ventre !

Jackkie avait pris place dans le petit fauteuil à côté du bureau, et moi, sur la chaise tournante, fixée devant ce dernier. J’émis un soupir, car pour braver cette volonté sans appel, j’étais dépourvu d’arguments. Je crois que j’aurais pu lui

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soumettre, les scénarii les plus atroces, quant à ce, vers quoi nous allions, que j’aurais perdu mon temps. Face à moi, se tenait assise bien droite, mon émule, question tête de mule ! Et en prime,  elle souriait, montrant ses merveilleuses dents blanches, bien alignées! Je sentis mon sang, bouillir dans mes veines. Ayant finie de boire son thé, elle déposa délicatement la tasse sur le plateau du bureau, avant de se lever. Ma délicieuse compagne de ces heures de tourments, demeura debout devant moi, alors que nos yeux se dévoraient d’une passion naissante. Nous pressentions tous deux, un imminent danger. Depuis lors, je crois en la transmission de pensées, car nous n’avons pas succombés, à cette violente attirance. Un certain temps fut nécessaire, pour que cette fièvre retombe. Jackkie, tout autant vaincue que je l’étais, se laissa tomber dans le fauteuil, émettant un long soupir de déchirement.

- J’étais persuadée, d’être libérée de toutes craintes, dit-elle enfin, ses grands yeux couleurs émeraude, toujours ancrés aux miens.

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- Ne gâchons rien de ces instants merveilleux, dis-je simplement, comprenant ce qu’elle ressentait.

- Je… Je vous aime, Max !

- Je sais ! J’éprouve un sentiment identique, à votre égard, n’en doutez pas, une seule seconde. Je…

- Oui ? Dites-moi, votre pensée ?

- Vous allez dire, que je suis complètement fou.

- Il ne me serait pas possible, de seulement l’envisager. Ou alors, le sommes-nous tous deux ?

- Probablement, dis-je en riant. Voulez-vous m’épouser ?

- Pardon ? s’exclama-t-elle, se cramponnant des deux mains, aux accoudoirs du fauteuil. Je… J’ai bien entendue ?

- Je vous l’ai dit, que vous alliez penser que je suis fou.

- Non, non, Max ! Loin de moi, cette pensée. Je suis… Mon Dieu ! Votre demande est formulée avec un tel sérieux,

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qu’il me parait très évident, que vous ayez réfléchis longuement, avant de vous lancer.

- C’est le Commandant, qui ouvrit la porte sur cette réflexion. Et bien sûr, vous l’avez attisée, en refusant de partir. Il n’y a pas d’issue, Jackkie. Vous avez ravivé en moi, une flamme que j’étouffais, en toutes connaissances de causes. Oui ! Les raisons, étaient nombreuses. En avez-vous conscience ?

- Oui, Max ! Pleinement conscience ! Vous avez devant vos yeux, la femme la plus heureuse du monde, même si le choc que je viens de recevoir, me laisse sans réaction. Je tremble de tous mes membres, Max. Je crois, que je vais défaillir.

Je vins m’assoir sur l’accoudoir de son fauteuil, passant mon bras autour de ses épaules, la berçant en silence. Jackkie posa sa tête sur mon épaule, et je sus aux tressautements de son corps, qu’elle pleurait.

- Nous sommes… si loin de tout, dit-elle, avec une voix bouleversée. Comme vous venez de le dire, il n’y a pas d’issue. J’ai très bien compris, le sous-entendu. Alors

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que se déchainait l’ouragan, je vous ai dit, que si nous devions mourir, je serais heureuse, que ma vie finisse, entre vos bras. Je ne l’ai pas exprimée ainsi, mais je le pensais du plus profond de mon être. J’étais tellement rassurée, qu’il ne pouvait en être autrement, que je me suis endormie sereinement. Serrez-moi très fort entre vos bras, Max. Vous avez raison ! Ce monde va s’embraser ! Mais rien au monde, ne sous séparera plus jamais. Je veux être votre femme, Max. Ici, ailleurs, au paradis ou en enfer, peu m’importe. Nous serons deux, pour affronter. For the best, and for the worst!

J’ai fermé les yeux, pensant à la leçon d’amour, que nous-nous apprêtions à donner, à l’humanité entière, alors que cette dernière, s’enfermait dans une logique de guerre. Dire que j’étais moi-même, l’un des acteurs très zélé, motivant avec ardeur, cette effroyable fatalité…

Mess Officiers : 19:00.

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Je commençais à trouver le temps interminablement long. Jackkie parlait avec Carroll, qui était assez inquiète pour son mari.

- Il n’arrête pas de vomir, disait-elle. Je me fais vraiment un sang d’encre.

- Conduisez-le à l’infirmerie, voyons, dit Soumaya, qui visiblement était excédée par son manque de jugeote. Il y a une petite épidémie de grippe à bord. Rien qu’aujourd’hui, nous avons enregistré, une dizaine de visites.

- Ce doit être ça, dit encore Carroll.

- C’est inconcevable, s’énerva presque Soumaya. Où peu encore bien être Bernard, Max ? Il m’avait promis de souper avec moi ce soir.

- Oh ! C’est de ma faute, excuse-moi ! J’ai complètement oublié de te transmettre le message. Ils doivent changer deux batteries sur le sous-marin. Je ne sais pas trop, ce qu’il m’a expliqué. Un peu trop technique, pour moi. Un risque d’oxydation, qui pourrait mettre le submersible en péril, lors d’une prochaine plongée. L’engin doit toujours être prêt, vois-tu ?

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- Oui ! Il s’est pris de passion pour la mécanique, dit Soumaya, s’efforçant à rire. Ta mémoire flanche, Max ?

- La fatigue, prétextais-je. J’ai quelque chose à vous dire d’ailleurs, et j’aurais bien voulu, que Bernard soit là ! Je pris la main de Jackkie dans la mienne, la posant sur le plateau de la table, tout en la serrant fermement, afin qu’il n’existe plus aucune ambigüité.

- J’ai demandé à Jackkie de m’épouser. Elle a répondu oui.

Soumaya et Carroll se regardèrent, échangeant un sourire, comme deux parieuses qui ayant misées gros, se réjouissaient d’avoir joués les bons numéros.

- Nous sommes assez surprises de la promptitude de votre décision, mais c’est ce que vous avez de mieux à faire, et c’est très courageux, répondit Soumaya, se levant pour venir nous embrasser tous deux, suivie immédiatement par Carroll.

- Félicitations, dit simplement la jeune femme du Ché, avec des larmes dans les

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yeux. Je suis émotive, ces évènements heureux, me touchent profondément.

- Eh bien, eh bien ! J’arrive en plein effusion sentimentale ?

Je tournais la tête en direction de cette voix, demeurant assez surpris de voir mon Bernard.

- J’avais promis à ma femme, que nous souperions tous ensemble, dit-il, me regardant en coin. Klein m’a remplacé, ajouta-t-il s’adressant visiblement à moi, plus encore, qu’à notre petite assemblée. J’ai raté quelque chose ?

Il prit place auprès de sa femme, arrangeant minutieusement sa serviette sur ses genoux.

- Tu avais oublié le message, me murmura Soumaya, ses lèvres m’offrant une moue significative, disant, « je ne fus pas dupe ». Tu as bien appris à mentir, hein ? Vive les services secrets ! Mais elle remisa très vite, ce pieux mensonge de ma part. Jackkie et Max, vont se marier, exulta-t-elle, s’adressant à son mari. Tu te rends compte ?

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- Ah bon ? Eh bien, tous mes vœux de bonheur ! Vous ferez ça quand ?

- Ici à bord, si le Commandant consent à ce mariage, répondis-je, observant que mon ami éprouvait du mal à croire, ce qu’il venait d’entendre.

- C’est formidable ! Nous allons avoir trois immersions et un mariage ! L’aumônier, aura enfin un peu d’activité spirituelle, ce qui le changera de la routine, d’une petite messe le matin à sept heures, avant l’appel et le rapport. Il devait commencer à rudement s’embêter le pauvre.

- Trois immersions ? répétais-je l’information de mon ami, qui je le savais, avare de mot, ne disait jamais les choses en l’air.

- Oui, dit Soumaya. Trois rescapés du navire pirate, sont morts. Deux cette nuit, et le dernier, ce matin. Ils n’avaient aucune chance, les pauvres gars. Un autre hélas, n’ira pas loin.

- Mais en plus, vous êtes protestante, Jackkie ? demanda Bernard, tout en se servant un verre d’eau, qu’il avala d’un trait. On s’assèche, en bas, s’excusa-t-il.

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- J’ai été élevée par des protestants en effet, Bernard. Mais je ne suis pas, pratiquante. Je le suis devenue encore moins, depuis que je voyage en ces pays, que très pudiquement, nous avons baptisés : « En voie de développement » ! J’ai trop vue, des résultats abominables, issues d’une volonté humaine, à entretenir l’injustice, en endormant les peuples, avec de belles paroles. Si un Dieu existait, et qu’il accorde sa permission à des hommes, de parler en son nom ? Personnellement, je le considèrerais complétement fou ! N’avons-nous pas assez de preuves évidentes, de la folie des hommes ? Et Dieu, les ignorerait, espérant un grand bouleversement, des mentalités humaines ? Croyez et, ne doutez point ! Mais bien sûr, voyons ! C’est évident ! Soyez purs, nous encaissons ! Crevez en priant, nous vivons dans l’opulence ! Et tout est parfait, dans le meilleur des mondes ! Alors, que ce soit un pasteur ou bien, un prêtre qui nous unisse, cela me laisse indifférente. Cette réponse, vous apporte entière satisfaction, Bernard ?

- Tout à fait, ne se démonta pas mon ami, qui n’avait rien manqué, des sarcasmes savamment distillés, par notre impitoyable

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Jackkie. Eh bien, qu’il en soit ainsi ! Si vous avez besoin d’un faux témoin, je me porte volontaire, conclut Bernard, attendant impassiblement notre réaction.

Nous avons ris ! L’insouciance de la jeunesse ! La soirée s’égrena lentement. Je bouillais, intérieurement. Mais en surface, je dû m’efforcer de ne rien laisser paraitre. Le seul à bien connaitre la raison de mon angoisse, était Bernard, qui de temps à autre m’adressait une mimique, signifiant : « Ne t’inquiète pas, je maitrise ». Nous étions les derniers à occuper les lieux. Aucun des officiers supérieurs, n’avaient montrés le bout de leurs nez. Le Commandant, avait dû distribuer les rôles, de façon à ce que le moins de monde possible, soit oisif. Après le repas, la première à nous fausser compagnie, ce fut Carroll, et cela se comprenait aisément.

- Tu as vu le Commandant, demandais-je à Bernard.

- Non ! Mais il m’a appelé au téléphone. Nous avons une solution au problème qui te préoccupe, cesse de te biler !

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- Bon ! En fait, je crois que je vais venir aussi.

- C’est inutile, Max. Cela ne ferait que compliquer la situation.

- Si le mari de Carroll, n’était pas autant malade, ils auraient pu profiter de l’occasion…

- Ce sera déjà très difficile en l’état actuel des choses. Si l’on devait inclure, deux autres personnes ?

- Bon ça va ! N’en dis pas plus. Le problème, ne se pose plus de toute façon. Celui qui m’inquiète, c’est Lewis !

- Il dine avec le Commandant !

- Dis-donc ? Tu es dans le secret des Dieux, toi ! Je comprends maintenant, pourquoi nous n’avons vu personne ce soir. Bon ! Alors, remettons-nous en, à la sainte providence.

- Un problème ? Questionna Soumaya, qui parlant avec Jackkie, n’avait captée que la dernière phrase.

- Mais non, chérie, répondit Bernard ! Nous n’avons que des solutions, c’est

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formidable ! Parlant de ce qui est formidable, mon cher ami Max, à l’occasion, voudra bien m’indiquer où il se rendit, pour trouver son inspiration. J’ignorais qu’à la cambuse, ils en vendaient ? Il m’a suffoqué, aujourd’hui ! C’était… délectable !

- Faites-nous partager son empathie pour vous, Max ! dit Jackkie toute excitée.

- Bof ! Nous avons joué une partie de poker à trois, et il se trouve, que je sus me distinguer, comme étant meilleurs menteur, que les deux autres ! Un coup de chance, voilà tout ! J’avais d’excellentes cartes, en mains, il faut dire ! Et puis voyez-vous, Jackkie, dire la vérité à un menteur ? Ce serait identique, à faire la charité à un riche.

- Modeste va ! dit Bernard, se levant prenant la main de sa femme. Bien ! Je raccompagne ma moitie, jusque devant sa porte, puis je vais au charbon ! Alors, bonsoir les tourtereaux !

- Vous entretenez une bien singulière amitié, tous les deux, dit Jackkie, alors que Bernard et Soumaya, s’éloignaient.

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- Nous avons connus bien des péripéties, enfants. Nous n’avons jamais cessés de les affronter ensemble.

- Parlez-moi, de votre enfance Max ! Je veux tout savoir de vous, dit Jackkie, enserrant mes deux mains dans les siennes, coudes posés sur le panneau de la table. Il y a dans vos yeux, les reflets de beaucoup de tristesse. On dit que les yeux, sont le miroir du cœur.

- Il se dit aussi, qu’ils sont le miroir de l’âme. Nous aurons le temps, de nous parler l’un de l’autre, Jackkie. Je ne suis pas très bon orateur, pour ce qui est de la littérature de mon passé. Je sais, que vous lisez très souvent en moi. Alors, vous saisirez au vol, quelques paragraphes, qui vous en apprendront bien plus, que si j’effectuais une longue et pénible rétrospective orale.

- Parce que vous êtes un livre ouvert, Max !

- Et vous, une femme amoureuse !

- Oh oui ! murmura-t-elle, fermant les yeux, m’offrant un sourire étincelant, tendant son merveilleux visage en avant, lèvres entre ouvertes, comme si elle espérait un baisé

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volé. Je ne parvins pas à me retenir, de commettre ce doux délit. Ce cher Nguyen, avait très certainement dû vérifier par le passe plats, si enfin la salle était vide, nous voyant à notre insu, car il se mit à chanter à tue-tête, « parlez-moi d’amour ». Dois-je vous relater ce que ça donnait, avec l’accent Vietnamien ? Nous embrassant fougueusement à cet instant précis, Jackkie et moi, on éclata de rire sans que pour autant, nos lèvres se séparent. Ce sont des souvenirs, qui ne s’effacent plus jamais de nos mémoires.

12 février, 09 :00.

- J’attire votre attention, sur un incident inconcevable, s’enflammait la voix du

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Commandant, sortant du hautparleur. Ces mots, me provoquèrent un sourire narquois. J’allais en prendre pour mon grade ?

- Essayez d’imaginer ma stupeur, lorsque je me vis informé, qu’un prisonnier, enfermé dans les entreponts, réussit à prendre la fuite et… que nul en cette heure, ne le retrouva, continua-t-il. Deux membres de la compagnie C, ont été blessés. Juste avant le rapport, j’apprends par la bouche du maître d’équipage, qu’une embarcation a disparue. J’en déduis ? Eh bien, j’en déduis que le prisonnier, un individu très dangereux, s’est fait la belle avec. Je n’incrimine personne ! Mais, j’aurai des comptes à rendre ! Ce qui implique, que mes subalternes, en auront également. Il est désormais inutile, de poursuivre les recherches, ponctua-t-il, par un coup de poing violent, porté sur sa console, vraisemblablement. Bien ! Sauf incident notable, nous filons droit en direction du détroit de la Sonde. Nous devons nous rapprocher des îles Paracells. J’ai reçu des ordres fermes, de l’autorité. Vos officiers, vous transmettront ces ordres.

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Il changea du tout au tout de ton.

- Ce matin, l’office de 07 :00 de l’aumônier Jean Nery, a été reporté à la fin du rapport. Il aura lieu en plein air, car il sera précédé de trois inhumations en mer. Il s’agit des corps de deux prisonniers indonésiens, embarqués sur le Khartoum, et d’un sous-officier Cubain. La compagnie de réserve du Lieutenant De Langlade, sera de piquet d’honneur. Les autres rompez !

« Ouf ! Il n’en a pas trop fait » pensais-je. A ma droite, se tenait Paul Declercq, et juste derrière, le Caporal Jensen, avec qui on échangea un regard furtif, ainsi qu’un clin d’œil complice. Ce brave Paul, n’aurait guère apprécié, s’il avait su. Mais juste quelques hommes, qui dit en toute modestie me vénéraient, étaient impliqués. Parmi ceux-là, les deux gardes blessés, qui s’étaient sacrifiés ! Je n’excluais pas, que je poursuivais aussi, une partie de bras de fer, avec la C.I.A. Je dirais même, que j’y prenais un certain plaisir. Oui ! Bernard avait soulevé une pierre, d’où ne surgirait pas le joyau précieux, personnifiant la raison. Où était-je allé chercher cette foutue idée, de mettre en exergue, le

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problème Israélo-palestinien ? Il est vrai que ce drame quasi permanent depuis 1947, était implacablement d’actualité en cette année 1972. Cette implication de la problématique, que ce conflit générait, n’était que du bon sens. Thiry, se laissa berner. Avait-il le choix ? Maintenant, mon véritable souci, provenait de mon ignorance en cette heure matinale, de ce que Paris, avait pensé de ce coup de bluff ! Aussi me rendis-je aux nouvelles. La porte de la cabine du Commandant était grande ouverte.

- Sautez le pas, Capitaine ! dit-il, me voyant hésitant.

J’entrais, saluant réglementairement.

- C’est bon, c’est bon, Max ! Refermez la porte derrière vous, et accordez-moi juste un court instant, que je range cette paperasse au coffre. Je n’ai pas l’impression, que vous ayez bien entendu, ce que j’ai dit ?

- J’ai entendu, Commandant ! Qu’est-ce qui me vaut cette promotion ?

- Vous osez le demander ? dit-il, me faisant enfin face, un large sourire éclairant son

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visage anguleux et volontaire. Le Ministère a insisté pour que cet avancement, devienne effectif dans l’immédiat. Ce n’est pas très habituel, voyez-vous ? Bertin a également été nommé. Votre adjoint, prend le galon de sous-lieutenant, directement nommé par Mahersen, dès qu’il sut, pour votre avancement. A compté de cet instant, il est promu chef de compagnie, pour la « C ». Vous devenez adjoint superviseur au Commandement, auprès du Colonel Mahersen. Et bien évidemment, vous continuerez à assumer vos fonctions, d’officier de sécurité, pour mon propre compte.

- Donc si je comprends bien, je suis récompensé pour avoir menti de façon éhontée, à cet indélicat personnage ?

- En partie oui ! Mais mon cher Max, votre idée a été considérée en haut lieu, comme étant appropriée, à une vue politique, poursuivie par la France. Nous-nous demandions comment faire comprendre aux américains, que concernant le moyen orient, nous avions nos vues et notre mot à dire. En offrant un… « blanc net » à ce pourri, il ne tardera plus très longtemps,

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pour qu’ils en soient informés, nos chers alliés. Vous avez mis ce… démon, dans une telle situation d’inconfort, qu’il est prévisible, qu’il mangera à tous les râteliers, pour sauver sa peau.

- C’est vrai ! Vous avez très bien approfondis le personnage. Maintenant, les américains ne voudront plus l’abattre, mais l’utiliser ? Je le crois aussi !

- Oui ! Ils auront une enveloppe sur laquelle est inscrit « confidentiel secret », grande ouverte, dit-il en riant à pleine gorge. Ils n’auront que la peine d’avoir à lire, ce que nous glisserons à l’intérieur ! reprit-il en hoquetant.

- Selon l’appréciation de James Lewis, je devrais abandonner l’idée, de persister dans le renseignement ! dis-je d’un ton désabusé. Accordons-lui quelque mois, pour ruminer cette certitude. J’ai… J’ai une requête à vous soumettre, Commandant !

Il me regarda par en dessous, poussant distraitement la porte du coffre-fort.

- Celle de me demander, de vous marier à Miss Wood ? se décida-t-il à dire.

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- Mais comment savez-vous ? m’écriais-je abasourdis par la surprise.

-Le skipper du Wind of Indies et sa femme, ne pouvaient vraisemblablement pas dormir. Ils se sont rendus à l’infirmerie, car l’homme est malade. J’étais là, pour contresigner les certificats de décès des deux premières victimes, du naufrage du Khartoum. Ils paraissaient assez excités, parlant entre eux, de votre volonté, d’épouser cette ravissante jeune femme. C’est ainsi que je m’informe, Capitaine ! En tendant l’oreille, tout simplement. Je ne vous poserai pas la question, êtes-vous certain de ce que vous allez faire ?

- Si tel était le cas, Commandant, je vous répondrais qu’effectivement, cette question a du bon sens !

- Mais ?

- Mais rien, Commandant ! Elle a du bon sens !

Il ricana encore, me désignant la porte.

- J’ai entendu… Îles Paracells, Commandant ?

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- Vous n’êtes pas sourd ?

- Non Commandant !

- Alors, filez d’ici ! Et… tachez de fixer une date, avant le 6 mars, pour que se voit célébré ce mariage, car après… il ne sera plus temps, dit-il gravement, son regard glacial, venant me faire figer le sang dans les veines.

- Oui ! dis-je, serrant plus fort la poignée de la porte. L’aura-t-elle pressentie ?

- Jeune homme ! Vous ne connaissez pas très bien les femmes. Les deux lobes de leurs cerveaux sont en activité, alors que nous, pauvres hommes, un seul fonctionne. Ce qui leur permet, un temps de réflexion d’avance sur nous. Elles ont, des intuitions, que nous ne saurions concevoir.

- Je… Je voulais qu’elle parte !

- Hum ! C’est bien ce que je disais, Capitaine ! Vous ne comprenez rien aux femmes ! Filez !

- A vos ordres, Commandant !

- Ah ! Et donnez donc l’ordre, que l’ensemble des compagnies, changent

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d’uniformes. Nous redevenons un quelconque baleinier, dont les baleines n’ont rien à redouter !

- Reçu Commandant !

Oui ! J’enviais les baleines !

Je prenais pieds sur la poupe, alors que les hommes de Jean-Luc De Langlade, procédaient à l’inhumation en mer, des corps de nos infortunés adversaires. J’admirais de loin, la rigueur et le respect avec lequel, la cérémonie était célébrée. Suivant l’exemple des officiers, je me mis au garde à vous et saluait, alors que les dépouilles, glissèrent sans bruit, sur les rampes en aluminium, inclinées par trois marins et trois fusiliers, jusqu’à ce que l’océan les engloutisses à tous jamais. Je pensais aux hommes, qui eux, n’eurent pas autant de cérémonial. Je ne savais pas m’expliquer alors, qu’en la circonstance, ce fut le visage de ma mère, qui se profila devant mes yeux, de façon très furtive. Maintenant, je sais !

11 :00.

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Je vous passerai très volontiers, les compliments de nos hommes et camarades. Je n’ai jamais trop apprécié ce genre d’expression de sentiments confus. Nul ne peut dire, si une tape sur l’épaule, à laquelle s’ajoute une quantité de pommade savamment appliquée, est sincère, purement polie mais indifférente, ou amicale. Je buvais ma petite bière au comptoir du mess, en compagnie de Bernard, de sa femme plus détendue et reposée, qui pour la circonstance, avait réussie à se libérer. Jackkie fit son apparition, accompagnée de Carroll. Dan, s’était vu hospitalisé.

- De quoi souffre votre mari, demandais-je, pour me dédouaner un peu, car je m’étais démontré très critique envers ce jeune couple, vivant d’une façon décousue, à mon goût.

- Le Docteur a diagnostiqué plusieurs choses, répondit-elle, avec un sourire, qui me rassura sur la gravité de son état. Il a dit, intoxication alimentaire, à laquelle vient s’ajouter une belle grippe. Il sera sur pieds, dans une dizaine de jours ! Au fait ?

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Que fêtons-nous demanda-t-elle d’un ton enjoué.

- Les promotions de Max et Bernard, dit Soumaya. Les voici Capitaines. Alors, nous arrosons ça ?

- Eh bien alors, buvons à leurs santés ? dit Carroll.

- Oui ! pris-je la parole. L’essentiel sera de la garder, la santé. Je jetais un coup d’œil à mon ami. Bon ! Eh bien, buvons au meilleur des médiums résidant à bord du Seko, ajoutais-je, levant mon verre en direction de Bernard.

- Oui ! J’ai assez bonne vue, dit-il en riant.

- Très bonne, veux-tu dire ! Nous sommes encore à près de deux milles kilomètres de ce point et… tu réussis à y mettre le doigt pile dessus, sur la carte. Les Paracells !

- Les territoires litigieux ? parut surpris Bernard.

- Quoi ? Ce n’est pas en mer de Chine ?

- C’est en mer de Chine, Max ! Pour sûr ! Mais je m’attendais à ce que nous-nous

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rapprochions beaucoup plus, de Hainan ! Bof ! Nous n’en serons pas très loin !

- Qu’as-tu encore comme idée en tête, Bernard ?

Il m’inquiétait celui-là !

- Je te le dirais, dit-il, m’adressant un clin d’œil, me désignant les femmes, d’un imperceptible hochement de la tête.

- Hum ! Oui ! répondis-je, avec quelques peines à détourner mon attention de ses yeux, dans lesquels je cherchais un indice, me permettant de mieux comprendre.

- Retrouves-moi dans la coursive, me souffla-t-il à l’oreille.

Je m’excusais auprès de Jackkie, qui souriante, me regardait fixement, alors que Soumaya lui tendait un verre de bière.

- Eh, la future ! Ne mange pas le gâteau des yeux, comme ça ! Très bientôt, tu pourras en goûter ses saveurs délicieuses, lui dit-elle en riant.

- Qu’en savez-vous Soumaya, demanda Jackkie, fronçant les sourcils, exprimant sur

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son visage, une mimique interrogative et suspicieuse.

- J’ai eue beaucoup de mal à faire mon choix, répondit mon amie. J’ai été tentée, de gouter des deux !

- Arrête, de faire croire de fausses choses à notre amie, dit Bernard en riant. Regarde la, la pauvre ! Elle devient verte de rage. C’est toi, qu’elle va bouffer ! Oui ! Bon ! Je vous enlève Max, deux ou trois minutes.

- C’est ça ! Filez vite vous dire vos petits secrets entre hommes, nous serons mieux entre femmes, répondit Soumaya, qui avait le cœur à la répartie, en cette heure avancée de la matinée.

Arrivés dans la coursive, Bernard s’alluma posément une cigarette.

- Je sais que tu vas bondir ! me dit-il.

- Houai ? C’est bizarre hein ? Mais je le sens venir ! Vidange la vapeur de la cocotte-minute, elle va exploser autrement !

- C’est à Hainan, qu’il faudrait frapper fort !

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- Ah bon ? A Hainan ? Dans un port Chinois ! Et les américains se tiendraient sur la passerelle, applaudissant des deux mains et des deux pieds, pour que ce soit plus… percutante, l’action de libérer ainsi, tout leur enthousiasme. Brigitte, quand elle te donnait le sein, elle ne te berçait pas trop près du mur ? Tu sais ? Gâté bébé, et… toc, la tête contre le crépit. Gâté bébé et… toc, la tête contre le crépit ! Aujourd’hui, je vois de mes yeux, les séquelles !

- C’est ça ! Ridiculises-moi ! Mais tu verras qu’à l’arrivée, mon plan sera compris et appliqué !

- Voyons ! C’est quoi, ton plan ? Ne me dis rien, laisses-moi réfléchir un instant !

Je pris mon temps, allumant moi aussi, une cigarette.

- J’entends un bruit d’engrenage mal lubrifié, Max ! Tu penses trop, accouche !

- Mais oui, bien sûr ! Suis-je bête ! Si nous voulons que cessent ces transports d’armes et les problèmes qu’ils génèrent sur ces mers ? Eh bien ! Si nous faisions perdre la face aux Chinois en leur donnant une putain de sacrée leçon, justement où ils ne

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s’y attendent pas? Chez eux ! Dans l’un de leurs ports ! Et puis ? Si nous faisions d’une pierre deux coups, en humiliant les Nord-Coréens, pas vrais ? Ce ne serait pas quelque chose de … voyons ?

- De ?

- De pas envisageable, mon pauvre Bernard ! Tu veux déclencher à toi seul, la troisième guerre mondiale ? Fais confiance aux Soviétiques, ils s’y emploient. Veux-tu devenir leur agent zélé ?

- Guerre mondiale, mon cul ! Tu vas la faire travailler la tienne, de cocotte-minute, parce qu’elle rouille ? Ces enfoirés de chinois, ces canailles de Soviétiques, ces tarés de Nord-Coréens, nous titillent les nerfs, depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Eh bien ? Ça y est, nous avons pété un câble ! On se déchaine, mon pote ! Mais toutefois, qui est « on » ? Répond !

- Tu reviens encore, à ta théorie du navire fantôme, que tous pourchassent, sans jamais le voir se profiler à l’horizon, jusqu’à ce qu’il fonde sur sa proie ?

- Eh oui, bien sûr ! Tu te crois qu’ils vont crier sur les toits, que les navires coulés

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dans leurs ports, et à leurs barbes, étaient bourrés d’une exceptionnelle et faramineuse commande d’armes, passée aux Nord-coréens et… de je ne sais qu’elles autres saloperies, le tout, livrable en mains propres par leurs soins, aux Nord Vietnamiens et, que de vilains occidentaux, vinrent tout expédier au fond du golfe du Tonkin ? Ils en auraient encore plus honte ! Mais la leçon, elle, serait durable !

- Hum ! Je vais devoir ruminer ça un certain temps ! Tu comptes sur moi, pour soutenir ton plan ?

- Tu te souviens, que nous ne pouvons compter uniquement, que l’un sur l’autre ? Hein ? Cette nuit, je n’ai guère dormi, tu sais ?

- C’est bon ! C’est bon ! Ne reviens pas sur ça ! Et je te rappelle, que tu me devais déjà quelque chose. Quand je vais te mettre l’ardoise sous le nez, tu effaceras vite ce sourire narquois. Je vais y penser, t’ai-je dis ! Mais je ne vois pas très bien, en quoi je serais meilleur argumentaire que tu l’es ?

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- Le Commandant, t’a à la bonne ! Réfléchis bien à tout ! Nous pourrions faire d’une pierre trois coups, en toute quiétude. Sinon ? Comment allons-nous affronter ces trois navires, qui croiseront obligatoirement par Taiwan ? Je peux en envoyer un par le fond puis, en poursuivre un autre, c’est sûr !

- Nous-nous chargerions du troisième ! dis-je fermement.

- Oui ! Ils auraient tous le temps de donner l’alerte et… nous-nous retrouverions face à la marine de guerre chinoise ! Tu vois le topo ? Alors que mon plan, c’est… en douceur et profondeur ! Je n’ose dire… en silence !

- Ah oui ? Tu t’introduirais dans leurs eaux nationales, avec seulement deux torpilles…

- Taratata ! Je n’emmènerais des torpilles, que pour me défendre, le cas échéant ! Tutti à la mano, Camarade syndiqué !

- Tout à la main… Oh ! Bourrer leurs coques d’explosifs, en utilisant des plongeurs ? Et… le sous-marin ?

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- Planqué quelque part, au fond du golfe, mon pote ! Nous farcissons les navires de cet indélicat armateur, avec des charges retards et… bye-bye, sayonara !

- Que fais-tu, de leurs vedettes de détection ?

- J’ai un adjoint, c’est un génie de l’électronique. Tel le petit poucet, nous parsèmerons la mer de ses gadgets, issus en droite ligne de son esprit inventif, qui imitent à la perfection, remous d’hélices, bruits insolites en provenance des profondeurs, musiques de variété, et j’en passe. Cet ensemble de bruitages, laissant penser qu’un sous-marin croise dans les parages. Et tu sais quoi, pour finir ? Même leurs sonars, réceptionneront des ondes métalliques. Il y en aura tellement, que toutes leurs vedettes, tourneront en rond sur une vaste étendue de mer, à la recherche de leurres, qui demeureront en profondeur programmée. Ils vont grenader ? Eh bien ! Ça les occupera ! Ils vont alerter leurs bases navales ? Eh bien ! Plus il y a de fous, plus on rigole et moins, ils se reconnaissent comme tels entre eux.

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Tu connais l’histoire des deux fous, qui se prenaient pour Bonaparte ?

- Je ne crois pas, non !

- Le Directeur de l’asile, trouve la situation inconcevable, car elle sème le désordre. Alors, il ordonne que l’on enferme les deux fous, dans la même cellule. Tous les jours, il rend visite à ses deux malades, et demande : Qui de vous, est Napoléon ? Les fous répondent en chœur : C’est moi ! Plusieurs jours plus tard, le Directeur revient. Il pose la question : Qui de vous deux est Napoléon ? Un seul fou répond ! Alors, le Directeur demande à l’autre : Et vous ? Qui êtes-vous ? Le fou répond en remuant les fesses, avec une voix efféminée : Moi ? Je suis Joséphine, grand fada…

- Je vois ! Pendant ce temps, profitant de la confusion et de la panique générale… ni vu ni connu, tu passes au travers des mailles ! Utiliser l’orgueil et la prétention d’invulnérabilité de ces gens-là, et bien sûr, jouer sur la culpabilité de leurs actes incriminables ? Mais où vas-tu chercher ces idées ?

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- Là où tu es allé chercher les objectifs politiques de notre gouvernement, pour ce qui est du moyen orient ! Bientôt, tu aurais réussi à faire avaler à ce pauvre Thiry, que nous étions pro Palestiniens, aussi ? Alors tu sais… mets en veilleuse, nous-nous servons au même fournisseur, pour ce qui est des idées !

- Nous sommes pour la paix. Ton idée ? Je la qualifierai à première vue, de… farfelues ! Rien ne peut encore se voir évalué, des résultats !

- Farfelues, si tu veux ! Mais nous verrons bien ! Je te l’avais dit, que nous ne pourrions jamais nous passer des américains. N’oublie pas ! La France a le cœur à gauche, mais le portefeuille à droite !

- Vous avez fini de papoter comme des gonzesses, intervint Soumaya. Si vous n’avez rien de mieux à faire, c’est l’heure de manger. Je meurs de faim et Jackkie, a grand peine à se dépêtrer de ses admirateurs, qui bavent d’excitation sur le col de sa jolie robe. Tu n’as même rien remarqué, Max ? Elle s’est faite belle pour toi, et ce sont les autres, qui en profitent !

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Pas encore marié, et déjà tellement peu attentionné ! Ça promet ! martela-t-elle, jetant un regard noir en direction de son mari.

Allez savoir pourquoi, je me sentais enthousiasmé. Jackkie, je le compris à son regard toujours autant scrutateur, ne perdit rien de cette conversion qui venait de s’opérer en moi.

- Que t’a-t-il dit, si ce n’est pas un secret, demanda-t-elle, employant pour ce faire, le tutoiement, ce qui me conforta à l’idée, que désormais, nous venions de franchir un cap, définissant l’étroitesse de nos rapports.

- Secret ? Que pourrait-il y avoir de secret, les pieds posés du matin au soir, sur cette carcasse de ferraille, mesurant au bas mot, 130 mètres de long, pour 38 de large, voguant poussivement sur la surface de cette mer imprévisible. Tu… tu es ravissante !

- Oh ! Merci ! Cette robe, c’est Soumaya qui me l’a donnée, dit-elle rougissante de bonheur. Je n’avais pas grand-chose à sauver du naufrage. Que t-a encore dit

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Bernard, que tu parais aussi… comment dire, vaporeux ? Ça se dit ?

- Cela se dit !

Bernard discutait avec Soumaya et Carroll, alors que nous étions tous assis autour de notre table. Mais du coin de l’œil, il ne me perdait pas de vue.

- Quoi ! Lui lançais-je, avec véhémence.

Il haussa les épaules, reprenant le fil de sa conversation.

- Il m’énerve murmurais-je à l’oreille de Jackkie, qui m’adressa un sourire plein de compassion.

- Moi aussi, mais ne va pas le lui dire, répondit-elle, sur le même ton.

- Les… Les autorités compétentes, ont expédiées des ordres. C’est terminé, les coups de poker, Jackkie ! Ce qui se vit, comment dire… perturbé par une politique des plus sordides, a été rétabli de façon équitable. Maintenant que les rapports distants entre les américains et nous, se sont resserrés de nouveau, nous allons passer aux choses sérieuses.

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- A des choses, pour lesquelles tu te sens, très compétant ? Je t’ai vue sur le pont, au travers de cette grande baie vitrée, durant l’inhumation de ces malheureux. Quand tu as salué, rigide, professionnel jusqu’au bout des ongles, j’en ai ressentie un frisson dans le dos. Il y avait en moi, un mélange de fierté et de terreur. Je voyais un tout autre homme, que je ne connais pas, en vérité.

- C’est bien ce que je te disais, tu sais ? Un soldat a deux personnalités. Il existe un temps, pour chaque chose.

- Connais-tu cette chanson ? “The green leaves of summer”?

- Merveilleuse mélodie.

- Oui ! Il existe un temps pour chaque chose. Un temps pour naitre et aimer, un temps pour semer et récolter, un temps pour vivre, un temps pour mourir. A quel temps, conjuguerais-tu ce que nous ressentons l’un pour l’autre ?

- Au présent, Jackkie ! Chaque jour qui se lève, nous appartient entièrement. Nous devons le vivre intensément.

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- Tu as très certainement raison, dit-elle avec une voix feutrée, les yeux baissés.

- Tu as peur ?

- Oh que oui ! Mais pas à la dimension, que tu pourrais attribuer à cette peur. Je ne pense pas à la mort, avec une sainte frayeur, mais comme une injustice. Je viens de rencontrer le bonheur, en des circonstances dramatiques. Et aussi loin que je puisse chercher autour de moi, je ne vois aucune issue, me permettant de l’emporter à des milliers de kilomètres, de ce qui court ventre à terre, vers une plus effroyable tragédie. C’est… c’est plus de l’impuissance à commander aux évènements, que de la peur panique. Tu comprends ?

- J’ai été… très stupide, de te demander de partir ?

- Impitoyablement égoïste ! dit-elle, levant ses yeux embrumés de larmes vers moi. Tu me renvoyais vers un monde fade, une existence de tourments dans laquelle, je me serais perpétuellement mortifiée, d’avoir cédée à la lâcheté. Je me serais pour toujours posée cette question lancinante,

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« comment peux-tu prétendre, que tu l’aimais » ?

- Et moi, je me dis : «  Comment peux-tu prétendre l’aimer, alors que tu l’entraines à la mort » ?

- Ne bradons pas la peau de l’ours, parce que l’hiver est rude et que la fourrure, ne vaut pas la pitance, Max. Que veut Bernard ?

- Bof ! Couler trois navires, transportant des tas de saloperies pour les Nord-Coréens, et cela, dans l’enceinte d’un port Chinois ! Rien que ça ! A leurs nez, à leurs barbes !

En quelques mots, je l’informais de l’ensemble des évènements, qui venaient de se propulser sur la scène de ce théâtre à huis clos, ou nous jouions le rôle de nos vies. Peut-être l’ultime, même ! Sa conclusion parvint à mes oreilles, tel le claquement d’un fouet.

- Il a raison ! Il est totalement fou, mais il a raison !

- Tu vois, Max ? intervint oreilles fines. Je l’adore, ta future épouse ! Ote une foutue

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seconde de ton esprit, qu’une femme est sensée et… tu pourrais l’appeler Monsieur, par inadvertance !

- Ta gueule Bernard ! Tu sautes de joie, à pieds joints, sur un terrain miné là ! Tu vas voir, le résultat !

28 février 1972 : 07 :00.

Les jours s’étaient succédés, sans que rien de bien passionnant, ne vienne les inscrire en mémoire durablement. La routine ! Entrainement intensif des hommes, à la protection du navire, contre un éventuel abordage. Matinées diapositives en salle de briefing, afin que les silhouettes des bâtiments de guerre Sino Soviétiques répertoriés, soient connues de nos hommes. Nous avions reproduis des plaquettes en noir et blanc, leur permettant d’identifier un navire de loin, qu’ils devaient toujours conserver à portées de mains. Mis à part cela, la monotonie, s’était fermement établie à bord du Seko. Jackkie et Carroll, sous la direction de Soumaya, prenaient des cours accélérés, de premiers soins aux

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blessés. Mon amie, recevait un renfort inattendu et talentueux. Le soir, Jackkie venait me rejoindre dans ma cabine, pour me parler longuement de sa journée, démontrant tout son enthousiasme. Quant à Bernard, il s’était bien gardé de soumettre son idée folle ! « Que mijote ce renard » ? me demandais-je, alors qu’inexorablement le temps passait. Bizarrement, James Lewis, avait oublié l’épisode de l’évasion d’Habib Thiry ! Je dirais même, qu’il avait tiré un trait sur une rancœur légitime, consécutive à nos prises de becs.

- Bonjour, Max ! dit-il, venant prendre place à ma table, alors que je déjeunais seul, ce matin-là.

- Tiens ! James ! Comment vous portez-vous ?

- Bah ! Beaucoup mieux.

- J’ai su, que vous n’aviez pas échappé à l’épidémie de grippe, et de gastro-entérite, qui ont sévis dernièrement. Je suis passé au travers !

- Je vois ça ! Dites-moi ? Votre ami et son équipe, ont mis au point un matériel des plus sophistiqués, savez-vous ?

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- Hum ! Auriez-vous établis une communication, sur onde courte ?

Il se mit à rire doucement.

- Très officieusement, oui !

- Officieusement ? C’est intéressant, la façon avec laquelle vous présentez les choses. Vous seriez-vous adapté aux circonstances, qui influent sur la totalité des personnes, qui vivent à bord de ce navire ?

- Je crois, que c’est plus judicieux, en effet.

- Ce l’est, James ! Dans cette affaire, nous n’avons pas perdu beaucoup, les uns et les autres. Maintenant, puisque l’équilibre est rétabli, nous devons tirer les marrons du feu, en faisant tout ce qui est de notre possible, pour ne pas se bruler les bouts des doigts. Car nous n’aurons aucune aide extérieure, servant d’ustensile pour les récupérer sur des braises incandescentes, ces marrons ! Alors, autant oublier un temps très relatif, que ce monde au-delà de nos limites, existe encore !

- Je dois… vous présenter des excuses, Max ! Je me suis un peu laissé emporter,

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par mon orgueil blessé. De toute façon, cette mission est terminée pour moi !

- Ah bon ?

- Bien oui ! Vous m’avez mis, échec et mat ! Dire que j’eu la prétention de vous conseiller de changer de voie !

- Vous n’aviez pas tort, James ! Ce sera ma dernière mission également. Si nous sortons indemnes de ce périple, je quitte l’armée.

- Vous n’y songez pas ? Voyons ! Qu’est-ce qui… Oh ! Question stupide ! Vous-vous mariez, cet après-midi !

- Tout ça, ce fut une expérience enrichissante. Mais je ne suis pas un fanatique de la roulette russe, ni encore moins, tenu par le besoin, de jouer au jeu de l’aveugle. Connaissez-vous ce jeu, qui se pratique dans les Caraïbes ?

- Pour sûr, que je le connais, dit-il en riant. Il se joue toujours clandestinement, aujourd’hui. Des illuminés, louent un vaste hangar sur les quais d’un port. Un pauvre bougre, poussé par l’appât du gain facile ou bien encore, par un désir de suicide, va

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jouer le rôle de l’aveugle ! Six fous de la gâchette, se positionnent à l’une des extrémités du hangar, armes en mains. L’aveugle est face à eux, à l’autre extrémité. La lumière est éteinte, et les six tireurs, ouvrent le feu dans tous les azimuts. Lorsque la lumière revient, si la cible est toujours sur ses jambes, elle empoche une somme souvent faramineuse.

- Même blessé, rectifiais-je. Le tout, c’est d’être vivant ! Je crois, que si j’en sors seulement blessé, ce sera un miracle ! Il ne faut pas en demander trop, de miracles, à Dieu ! Il est déjà assez avare ! Je n’obtiendrais plus jamais, une affectation pour une unité… plus traditionnelle, James. Ce n’est pas à vous, que je l’apprendrais.

- Qu’allez-vous faire, dans le civil ?

- Bah ! Les perspectives ne manquent pas. Franck, me propose de l’aider sur ses terres, en Rhodésie !

- La Rhodésie ? C’est une histoire qui se terminera très mal, Max ! Un affrontement entre nationalistes noirs et colons, n’est plus de l’ordre du… seulement probable. Aucun des partis en présence, n’accordera

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de concession à l’autre, sans une victoire décisive sur le terrain. Et comme ils sont tous convaincus de gagner ? Eh bien ! Ils vont s’empoigner ! Ne vous faite aucune illusion ! La guerre civile a déjà commencée. Nul, ne sera épargné, Max ! Pas plus Mahersen, que de bons petits français, avec leurs idées républicaines et révolutionnaires, faisant d’eux des cas singuliers. Blancs et noirs, vous détesteront avec la même vigueur. Vous ne connaissez pas, ces mentalités anglo-saxonnes, qui n’ont plus rien de commun avec leurs parents Européens, continentaux ou insulaires. Ils se sont forgés, leurs propres visions de ce monde et bannissent d’un revers de main méprisant, tous les conseils prodigués par leurs semblables, qui pour eux, appartiennent au vieux monde, distillant des idées obsolètes. Il en fut de même aux états unis, lorsque les colons débarquèrent par centaines de milliers. Regardez l’Afrique du Sud ! Une poignée de blancs, tiennent par la terreur et l’ignorance, une immense majorité de noirs. Combien de temps, cette situation parviendra-t-elle à se maintenir, sans qu’une vague déferlante de violence, vienne

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foutre toutes ces institutions établies contre nature, en l’air ?

- Franck met en avant une doctrine. Qui de rien ne se mêle, de rien ne se démêle ! Il suffit de se tenir à cette résolution.

- Je crois que vous, vous-vous y tiendrez. Ce n’est pas garanti, que cela soit suffisant pour éviter les ennuis. Mais votre ami ? Là ! Permettez-moi de douter, qu’il est de ceux qui reçoivent une claque, tendant l’autre joue, en disant amen ! Bien que ce ne soit pas non plus, dans vos habitudes.

Je le regardais longuement, n’ayant aucun argument à lui opposer.

- Que pensez-vous… officieusement, de son idée ?

- Elle est purement géniale ! dit-il, se levant pour prendre congé. Votre petit déjeuné refroidit Max !

- Oui ! Mes illusions, également !

Quelque chose vint me murmurer à l’oreille, que le placement en situation « hors cycle », de l’agent de la C.I.A, n’était que provisoire. Ces gens-là, sont

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comparables aux chats ! Ils tombent toujours sur leurs pattes ! Le pentagone, devait d’ores et déjà plancher sur l’option, proposée par Bernard ! Mon bon ami, avait appliqué à la lettre, ce proverbe disant : « Adresses-toi au bon Dieu, pas à ses saints » ! « Sacré Bernard ! S’il n’existait pas, il faudrait l’inventer » pensais-je. Je n’avais plus faim !

14 :00.

Il est de très mauvaise augure, de voir la mariée, avant la cérémonie, s’accorde encore à dire, la vox populi. Les vieilles superstitions ! Elles sont tenaces, où que l’on se trouve, sur la surface de cette terre. Soumaya, veilla à ce que la tradition ne se voit pas bafouée, en monopolisant les mouvements d’actions de cette pauvre

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Jackkie, qui piaffait d’impatience, que nous soyons enfin réunis. Lorsque l’on se rejoignit sur le pont de poupe, baigné d’un soleil éblouissant, suscitant une chaleur écrasante, et que l’on marcha d’un pas décidé, vers l’autel improvisé par le père Nery, elle parvint à me murmurer hargneusement:

- J’allais tout faire, pour m’évader ! Même si pour cela, je devais l’assommer, cette chère Soumaya !

Je ricanais en la regardant furtivement, voyant ses lèvres pincées, et sa physionomie déterminée. Elle marchait lentement à mon bras, comme durant la répétition dans la salle de briefing. Jackkie était vêtue de sa robe bleue ciel. Elle avait tressée et nouée ses longs cheveux en chignon, retenu par une couronne de fils dorés, entrelacée par les mains expertes de Soumaya, qui lui avait fabriquée un magnifique diadème. On aurait pu le croire en or massif, tant il rayonnait d’éclats, sous le soleil. Où avait-elle dégotée cette matière ? J’en pris plein la vue et mon cœur, faillit s’arrêter de battre, alors que Jackkie sortit de la coursive, pour aboutir

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sur le pont. Oui ! Je crus voir surgir un ange, auréolé par cette lumière naturelle !

Le père Nery accueillit ma compagne, lui prenant la main, pour l’aider à monter sur la petite estrade de bois, sur laquelle avait été dressé l’autel. Le Commandant LANGE, se tenait à la droite du prêtre, l’air martial, dans son uniforme blanc. Sur tous les ponts, indistinctement, fusiliers, membres de l’équipage, officiers et sous-officiers, étaient présents pour assister à cette cérémonie peu ordinaire.

- Ce jour, je vais avoir l’honneur et le plaisir, disons-le, de célébrer le tout premier mariage de mon sacerdoce, en de telles circonstances, débuta le père Nery. Mes enfants, avancez-vous nous invita-t-il. Voyons ! Par quoi faut-il commencer ? Par dire, si quelqu’un veut s’opposer à ce mariage, qu’il parle ou se taise à tout jamais ? Je plaindrais l’inconscient, dit-il, provoquant une grande hilarité, de l’ensemble des hommes du navire. Alors, j’irais droit au but. Miss Jacqueline Leslie Wood, désirez-vous prendre pour époux, Max Girard, ici présent ?

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- Oui  je le veux, entendis-je répondre ma compagne, d’une voix très assurée.

- Max Girard ! Désirez-vous prendre pour épouse, Jacqueline Leslie Wood, la chérir et la protéger, jusqu’à ce que la mort vous sépare, pour le meilleur, et pour le pire ?

- Oui, je le veux, répondis-je.

- Voici les anneaux, nous tendit-t-il l’écrin, fabriqué par une main ayant des goûts artistique d’un immense talent, avec une simple boite d’allumettes, enfermant les alliances. Max Girard, passez l’alliance au doigt de votre promise.

D’une main guère assurée, je m’acquittais de cette impressionnante convenance, qui scelle à jamais deux existences, n’en faisant qu’une. Puis ce fut au tour de Jackkie, d’accomplir ce geste symbolisant l’union.

- Je vous déclare Mari et femme, au nom du père, du fils et du saint esprit, dit-il, nous bénissant du signe de croix. Allez dans la paix du seigneur !

Le Commandant s’avança.

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- Au nom des pouvoirs qui me sont conférés, j’entérine ce mariage, qui se vit prononcé religieusement à bord du Seko, en date du 29 février 1972 à 14 :00, l’acte étant mentionné au livre de bord. Les témoins avancez-vous, ordonna le Commandant.

Soumaya et Bernard, signèrent les premiers.

-Veuillez signer, au bas de la page du livre de bord, nous invita à notre tour le Commandant, tendant le stylo plume, à celle qui désormais était mon épouse, qui exécuta cette démarche, de sa plus belle signature.

- N’oubliez pas de signer de votre véritable identité Max, me remémora le Commandant, tout sourire. Ne lui faite pas ce coup-là ! Ce sera le seul acte écrit de cette mission, qui aura valeur transcrite, d’ailleurs, ajouta-t-il, avec une expression sérieuse.

- Je ne le perds pas de vue, dit Jackkie, se serrant contre mon épaule, son bras autour de mon cou.

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- Bien ! Vous pouvez embrasser la mariée, maintenant Max ! dit le Commandant, retirant sa casquette, la relevant au-dessus de sa tête. Vive les mariés ! hurla-t-il.

- Hip hip hip ! proposa le second.

- Hourra ! S’écrièrent des dizaines de voix enthousiastes.

Ce baisé échangé, nous emporta un très long moment, très loin du pont de ce navire, et cela, malgré les ovations. Mais hélas, nous n’ignorions pas, que tôt ou tard, nous devrions revenir. Ce fut ce cher Bernard, qui se chargea de finir de nous en convaincre, qu’il était temps.

- Oh les novi ! Vous redescendez, de votre petit nuage ? Vous devez encore penser à votre voyage de noce. Au fait ? Avez-vous choisi une destination ? Je vous propose les Maldives ! Je crois, que c’est… Eh bien ! C’est dans l’océan indien, non ?

- Tu les laisses en paix ou bien, je te botte le fessier, le gronda Soumaya, le poussant dans le dos en riant. Quel emmerdeur, celui-là !

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- Quoi ? J’aurai dû proposer les îles splendides du Pacifique Sud ? Je crois bien, qu’ils n’auront pas un centime à dépenser pour le voyage, nous y allons à toute vitesse !

- Je préfèrerais le Groenland, à tout bien réfléchir, dit Jackkie, entourant mes hanches de son bras gauche, se serrant désespérément contre moi. Un petit coin bien isolé sur la banquise, loin des atteintes de ce monde, à subir celles de la nature rigide et glaciale, de cet environnement hostile. Je ne crois pas que mon sang, se glacerait autant, que sous ce soleil idyllique, que de sombres idiots, nomment le paradis terrestre du tourisme, et de l’insouciance! Je puis dire que pour nous tous, il personnifie l’enfer, Bernard ! Merci de nous le remémorer, je faillis l’oublier un court instant !

- Et voilà, oh symbole vivant de l’inconscience enfantine, dit Soumaya, dont les yeux avaient virés au mauve. Il faut toujours, que tu mettes ton grain de sel, dans un plat déjà assez assaisonné. Impossible d’en retirer l’excédent. Changeras-tu un jour ?

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- Je te le promets, ma chérie. Dès la prochaine équinoxe !

J’émis un soupir d’exaspération, alors que nous arrivions au mess officiers où nous attendait une réception, organisée par le Commandant.

L’ange noir aux ailes déployées, et aux yeux ténébreux, comme les excavations où se réfugie très certainement la mort, à ses heures la voyant exténuée d’avoir puisée sur terre, son lot d’âmes quotidien, de gentils comme de damnés, se volatilisa par l’une des baies vitrées, nous accordant un répit bien mérité, mais que nous savions conditionnel. Le temps de repos de cette entité nébuleuse, est plus que seulement éphémère. Une seconde pour elle, lui apparait comme étant une éternité ! Pauvres humains que nous sommes, au désespoir, de ne pouvoir lutter contre cette fatalité. « Où vais-je où courge et dans quelle étagère » me demandais-je, prenant ma femme entre mes bras, pour la faire danser, sur « Night in white satin », interprétée par les Moody blues, dans la version longue. Nos cœurs à l’unisson, nos angoisses se dissipèrent.

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L’on resta deux bonnes heures, à boire, danser et rire avec les invités, avant d’avoir enfin l’opportunité de disparaitre, sans que vraiment personne ne s’en rende compte. Avec Jackkie, nous avions convenus d’aller rendre visite à mes hommes, qui furent ravis de voir la merveilleuse mariée de près. Nous le leur devions bien, car les anneaux que nous portions aux doigts, s’étaient vus forgés grâce à une collecte d’or, entreprise parmi eux. J’appris qu’ils furent nombreux à se porter volontaires, pour offrir un peu d’eux-mêmes, ce qui contribua à me toucher plus encore.

- Paul ! dis-je, m’adressant à mon ex adjoint. J’ai demandé à Jensen d’aller prendre au mess, toutes les bières et alcools qu’il peut récolter. Distribuez-les aux hommes, qu’ils boivent à notre santé. Aujourd’hui, lâcher un peu de lest !

- Oui, Capitaine ! Merci pour eux ! Le temps est en train de changer, avez-vous remarqué ?

- Je viens de m’en rendre compte ! C’est la période de la mousson, Paul ! Il faut s’y faire ! Demandez simplement, que l’on tende des bâches, pour protéger les nids de

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mitrailleuses. A voir le ciel au Nord, ce soir nous aurons de la pluie.

- Je m’y emploi, Capitaine ! Acceptez mes veux de bonheur.

- Merci Paul ! Vous faites du bon travail !

- J’ai été à bonne école, dit-il, me tendant sa main, que j’enserrais très chaleureusement.

Jackkie à mes côtés, s’avança et l’embrassa sur les joues, déclenchant une multitude d’applaudissements de la part des soldats, rassemblés autour de nous. Ils ne cessèrent, qu’après que nous ayons disparus, dans la longue et étroite coursive surchauffée, séparant le château central en deux, de la proue vers la poupe.

- Paul est un homme discret, mais très efficace, dis-je. Il se souviendra longtemps de ce jour, pouffais-je de rire, m’emparant de la main de Jackkie.

- Je fus prise d’une soudaine impulsion, dit-elle en riant de sa spontanéité. Mais maintenant, il veillera sur toi, comme le lait sur le feu.

- Tu ne fais donc rien, sans penser à moi ?

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- C’est l’unique politique, d’une femme aimante, Max. Et je sais désormais, que c’est réciproque. Mais qu’elle foutue idée avez-tu en tête, en dessinant le projet de me faire prendre la fuite, en compagnie du Diable ?

« Mince » pensais-je, « Certaines confidences sur l’oreiller, se sont vues propagées. Bernard, Bernard ! Je te retiens, toi » !

- Parce que ce Diable là, ne rivalisera jamais, avec Belzébuth, même s’il tente bien vainement de ressembler au maître des ténèbres, répondis-je. Il sait où sont ses intérêts. Nous sommes devenus, comment dire… très amis et complices.

- C’est toi le Diable, Max ! Combien as-tu payé son âme ?

- Bof ! Il me l’a offerte, car elle ne valait plus le prix d’un clou rouillé !

Une cabine plus spacieuse nous attendait. Le maître d’équipage, nous rattrapa alors que nous allions ignorants, vers notre ancienne cabine.

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- Capitaine ! Sur ordre du Commandant, vous occuperez désormais, la 16. Je me suis permis, de faire vider la vôtre. Elle était celle du Commandant Japonais, avant transformation du navire, m’a-t-on demandé de vous préciser. Les américains pensèrent que notre pacha l’utiliserait. Mais, il a préféré rester au plus proche de la passerelle. Voici les clés !

- Merci Bosco, dis-je. Vous et vous hommes, allez-donc vous faire servir à boire. Je suis très touché. Il ne s’éternisa pas, s’en retournant très vite à son service.

Le lieu était assez bien meublé. Et surtout, sur la gauche en entrant, un vrai lit à deux places. Enfin ! Il n’aurait tout de même pas accueilli deux obèses. Mais ce fut un cadeau somptueux. J’ouvris les deux hublots, regardant le ciel.

- Tu es sûr qu’il va pleuvoir, demanda Jackkie, au comble du bonheur, venant s’appuyer sur mon dos, ses bras entourant mon torse. Elle posa sa joue sur mon épaule et soupira.

- Qui était Viviane, Max ?

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- Vi… Viviane ? Je lui fis face, la prenant par les épaules, l’écartant légèrement de moi, pour que nos yeux s’assemblent. Existe-t-il encore quelque chose, que tu ignores de moi ?

- Encore beaucoup de choses oui ! répondit-elle, m’offrant un sourire étincellent.

Je la conduisis vers le bord du lit, l’aidant à prendre place, en la tenant par la main.

- Est-ce vrai, que l’on puisse aimer plusieurs êtres, au cours de nos existences ? demanda-t-elle encore. J’ai longtemps imaginée que l’amour, était un sentiment unique, qui n’arrive qu’une seule fois, dans une vie. Je te parais ingénue ?

- Ingénue ? Alors oui ! dis-je, prenant place à ses côtés. Ce devrait être ainsi ! Hélas, les circonstances de la vie, font que ce que nous avons crus hier, n’est plus d’actualité aujourd’hui. Les déceptions, les drames, se chargent de transfigurer les rêves, et les serments que nous pensions éternels.

Je pris un instant pour réfléchir.

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- La nature humaine, parfois même animale, nous conduit à revoir ces idées reçues. Sais-tu pourquoi ?

- Parce que nous ne sommes pas conçus, pour vivre seuls, je présume ?

- C’est exact ! Il existe une quête perpétuelle, visant à atteindre un but en commun. L’homme n’est rien, sans cet épanouissement que confère l’amour. Alors, je répondrais oui ! Nous pouvons aimer plusieurs fois, puisque telle est la réponse que tu attends. Maintenant, tu m’as posé une autre question, concernant une période de ma vie, que je n’oublierai jamais. Dont je ne parle jamais, non plus. Bernard l’a contée à Soumaya, et je ne présume même pas, que c’est elle, qui t’en parla ?

- Très brièvement, en effet, reconnu-t-elle, regardant ses genoux. Je compris, qu’elle regrettait de m’avoir posée cette question.

- Oui ! Viviane ! Que t’as dit Soumaya ?

- Je viens de te le dire. Presque rien ! Elle me parut très énigmatique, un peu comme si elle regrettait amèrement, de s’être laissée aller, à prononcer ce prénom. Je n’aie rien réussie à en tirer. Elle m’a

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seulement dit, que ce fut une véritable tragédie pour toi.

- Une tragédie ? répondis-je l’esprit lointain.

- Je n’aurais peut-être pas due aborder ce sujet, non ? s’inquiéta Jackkie.

- Non, non ! Je vais te raconter cette bien pénible histoire. Viviane ! Jusqu’à ce que je rencontre Nelly, je n’ai songé qu’à vivre pleinement ma jeunesse, brulant la chandelle par les deux bouts.

- Je t’écoute, mon amour. Tu as blêmi, me fit observer Jackkie.

J’ai observé quelques secondes de silence, effectuant un pénible retour, dans le passé. Les images défilaient à une vitesse vertigineuse, devant mes yeux. J’en eu le tournis. Par où, allais-je commencer ?

- J’avais 17 ans ! L’âge de l’insouciance, des copains, des boums où l’on flirte, sans penser au lendemain. On se croit être devenu un homme, car quatre poils, poussent sur le menton, et que l’on se crut obligé, d’acheter un rasoir. Viviane, avait 16 ans. Mais c’était une fille, très mure de

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caractère, pour son âge. D’ailleurs, c’était-elle, qui s’occupait le plus, de ses deux jeunes frères, avec une attention… maternelle. Il fallait voir ça ! Je n’étais pas quelqu’un de bien sérieux, je dois l’avouer. A cet âge-là, on pense à l’amusement, aux conquêtes faciles, et plus particulièrement, aux filles faciles. Viviane, sortait de l’ordinaire. Qu’est-ce qu’elle était belle ! Bon Dieu, quand j’y pense ! Je te demande pardon, ma chérie. Je ne veux en rien te blesser et…

- Oh non, Max ! Tu ne me blesseras pas. Alors… dis-moi !

- Bon ! Ce n’est pas facile à dire. Ce l’est peut-être pas à entendre non plus. J’en suis tombé amoureux. Mais tu sais ? D’un amour juvénile ! Le plus beau, le plus fort amour, qui soit sur terre. Car tout est encore très pur. Mais comme je viens de le souligner, elle était déjà... femme ! Sa mère… comment dire ? Elle s’occupait parfaitement de ses enfants, attention pas de méprise. Mais l’histoire prouva, qu’elle souffrait depuis bien longtemps, des infidélités répétées de son mari. Ce qui la plongeait dans des phases, de dépressions

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nerveuses, plus ou moins percevables. Il faudrait que tu connaisses bien, le contexte dans lequel nous vivions, dans ce quartier du Panier, qui est réputé comme étant le lieu historique de la ville de Marseille. Une sorte d’autarcie, que confère un isolement géographique, par rapport au centre-ville, car le quartier fut battit sur une butte. A cet esprit émancipé, car semblant se situer hors du temps et de l’espace, vient s’ajouter le brassage des cultures. Rien ne passe inaperçu à personne, et les langues, sont acides. Je ne l’entendis jamais crier, après ses enfants. Sauf en les appelants par la fenêtre, dès la tombée de la nuit. Elle avait remarqué mon attention… particulière pour sa fille. Alors, elle me disait : «  Protège là, hein ? Je te fais confiance ». Oui ! Nous vivions, dans un quartier très rude. Les crapules ne manquaient pas ! Ceux qui désiraient leur ressembler, non plus. On l’appelle plus communément, « l’école du banditisme, ou du crime ». Le viol de jeunes filles, était monnaie courante. Car le manque de scrupules, était… comment clarifier ma pensé ? Une institution ? Pour beaucoup, la crapulerie était affaire de génétique. C’est là, que tu vois la véritable nature humaine,

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Jackkie ! Alors, je me pris au jeu. Lorsque je la voyais entourée de garçons, pas très catholiques, je lui disais : « Ta mère vient de t’appeler. Tes frères, sont déjà chez-toi, files de là » ! Elle me répondait vertement : 

« Oh toi ? Tu n’es pas mon frère, ni encore moins mon père, et ce n’est pas pour demain la veille, que tu seras mon fiancé ».

Mais… elle me craignait ! J’avais taillé ma renommée dans la violence, rendant coups pour coups, pour me maintenir au plus haut de la chaine alimentaire. Car c’est ainsi, que nous devions voir les choses, aux cœurs de ces vieux quartiers. Comment n’avons-nous jamais mal tournés, Bernard et moi ? Je ne sais pas ! Peut-être, à cause de cet esprit de survie, qui nous anime ? Va savoir ! Un soir, je pris le courage de lui demander de m’accompagner à la Cathédrale de la Major, à Marseille. C’était là, que tous les amoureux du quartier, se donnaient rendez-vous. Etrangement, elle ne refusa pas, ce soir-là. Avait-elle eu, l’une de ces étranges prémonitions, qui font pressentir un drame ?

- Un drame ? Que s’est-il passé Max ?

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- Laisse-moi finir ! Assis sur un banc, moi le rocker au blouson noir, armé d’un large ceinturon à clous, et de mon inséparable couteau à cran d’arrêt, dans la poche arrière de mon jeans, je suis resté silencieux. Je ne me sentais pas capable, d’user de boniments, comme avec les autres filles. Ce… ce n’étais pas un simple jeu, là. Et puis, on ne joue pas, lorsqu’un véritable sentiment nous anime. Alors ! J’étais dépourvu de cette force argumentaire, tu sais ?

- Oui ! Je comprends ce que tu veux dire. Continue mon amour, dit-elle, caressant mon bras, tout en posant sa tête sur mon épaule.

- C’est elle, qui entama la conversation.

« Alors ? Que veux-tu ? Tu me fais descendre ici, pour qu’on écoute en silence, les cris des mouettes ? Elles sont plus bavardes que toi ! Je t’intimide ou quoi ? Oh le grand dur à cuire ? Tu parles oui » ?

«  Je n’ose pas trop c’est vrai, me suis-je décidé à dire.  Je sais ce que tu penses de moi ».

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« Tu sais ce que je penses ? Alors pourquoi m’as-tu demandée de venir » ?

«  Parce que… je ne sais pas ! Tu m’embêtes avec tes questions. Laisse-moi réfléchir.

«  Si je t’embête avec mes questions, je peux partir, tu sais ? Je connais le chemin, qui reconduit au quartier ».

«  Non ! Reste ! Je… Je me sens bien auprès de toi ».

«  Oh mon Dieu ! Ne serais-tu pas en train de me faire la cour ? C’est quelque chose que tu sais faire alors ? C’est surprenant ! Tu sais, ce qui se dit de toi, au lycée ? Que généralement, tu ne demandes jamais, tu te sers ! Ce n’est ni Monique, ni sa sœur Lucienne, qui nieraient, en jurant le contraire. Il parait, que tu te fais les deux ? Et Maggie, elle compte les points ? Pauvre fille ! Je crois, qu’elle est vraiment amoureuse de toi, pour supporter ça. Et tu te crois, que moi, je le supporterais ? C’est bien mal me connaitre, de le penser seulement » !

Ses grands yeux bleus, aux paupières très légèrement bridées, étaient devenus

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presque noirs. J’ai osé les affronter, passant mes doigts entre ses cheveux blonds, coupés courts, faisant songer à un casque d’or. Elle me laissa faire, troublée, je le sentis, mais très vite elle se reprit, écartant ma main, sans brusquerie.

«  Toi, ce n’est pas la même chose » ! Ai-je dis, d’une voix pas assez assurée.

« Ah bon ? Avec moi, tu serais tout autre ? Je devrais te croire, simplement parce que tu l’affirmes, pas vrais ? Et puis aussi, parce que tu t’évertues à me protéger. Le beau et ténébreux chevalier servant, que voilà ! Je ne suis pas facile hein » ?

J’eu le tort de détourner le regard, cherchant mes mots. Il est vrai que mon dictionnaire de vocabulaire, comment dire ? Sentimental ? Il présentait de nombreuses pages vides. Mais Viviane ne tarda pas à me rappeler à l’ordre.

« Regardes-moi dans les yeux, quand je te parles. Tu changerais » ?

« Je le crois oui ».

Non ! J’en étais persuadé !

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« Le croire, ne fait pas tout » a-t-elle dit, me laissant lui prendre la main, se tenant assise dignement sur le banc. Il faisait très doux, en ce début de mois de mai, bien qu’une légère brise, que nous appelons entrées maritimes, soufflait. J’ai retiré mon blouson, que j’ai posé sur ses épaules, sans dire un mot. Elle a sourie. Un sourire conquérant, tu sais ? Ah oui ! Cette situation ? Elle y prenait beaucoup de plaisir.

-Je crois comprendre, oui ! répondit Jackkie. Et alors ? Après ? demanda-t-elle très impatiente de connaitre la fin du récit.

- Mon cœur battait très fort ! J’éprouvais du mal à respirer. C’était la toute première fois, que je ressentais ces choses-là. J’en oubliais même de jouer ce rôle, qui n’était qu’une apparence, pour effrayer les loups.

« J’attendrai,  dis-je.  Je te prouverai » !

« Eh bien alors, si tu me prouves que tu es sincère, nous en reparlerons ! Viens à présent, car ma mère va être morte d’inquiétude ».

Ayant dit ces mots, elle m’embrassa tendrement sur la joue.

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« Pourquoi faut-il que tu sois si… si gamin, parfois. Je sais ce que tu ressens pour moi. Tu ne sauras jamais, ce que je ressens pour toi, si tu continus ainsi. Je veux un vrai mari. Sais-tu seulement, que ma mère pleure, toutes les nuits ? Je l’entends » ! dit-elle d’une voix moins porteuse, comme étouffée par l’émotion ressentie, tu vois ? Puis alors que nous-nous en retournions vers le quartier, ce fut elle, qui me prit la main. Nous avons marché lentement en silence, jusqu’à ce qu’elle le rompe à nouveau. Elle avait repris ses esprits.

« Je me suis jurée qu’une telle chose, ne m’arriverait jamais, a-t-elle alors ponctuée. C’est mon droit tu comprends, de vouloir le bonheur, le vrai et pour toujours. Vous-vous en fichez les hommes, de briser nos cœurs. Pourvu que vous obteniez ce que vous voulez. Après… Ce n’est pas de l’amour, tu comprends ? Est-ce que tu me comprends bien au moins ? a-t-elle criée, au bord des larmes. Alors si tu m’aimes, comme tu le laisses entendre, tu devras le prouver oui » !

- Mon Dieu ! Il est clair, qu’elle souffrait, tout autant que sa mère.

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- Tout autant, en effet !

- Que s’est-il passé, Max ?

- Ce que personne n’aurait envisagé qu’il se produise, trois jours après ce… ce rendez-vous. Le soir venu, leur mère coucha ses enfants. Je ne sais pas, si elle les drogua. Puis elle calfeutra les fenêtres, et… et elle ouvrit le gaz ! Viviane et Jean Luc, sont plus jeune frère, sont morts. Jean Marc et sa mère, furent sauvés. Un client du bar, situé juste en dessous leur fenêtre, a senti l’odeur du gaz. Il a grimpé par la gouttière, il brisa les lamelles d’un volet et… Voilà ! Le drame, était consommé.

- Oh my god ! C’est épouvantable ! s’écria Jackkie, émue aux larmes.

- Epouvantable ? Il n’existe pas de mot assez fort, sous ce soleil. L’attitude des pouvoirs publics, fut également paraphée, d’une inconscience effarante. Ils n’arrêtèrent pas la mère, ils ne l’internèrent pas ! Attends ! Ce n’est pas que je lui jette la pierre pour son acte, non ! C’est inconcevable, quoi ! Elle put assister, à l’enterrement de ses deux enfants. Elle était là, assise près de la fenêtre, lorsque je

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suis entré dans l’appartement sombre, quelques minutes avant les mises en bières. Elle s’est levée en pleurant et m’a dit :

« Tu l’aimais Viviane, hein » ?

Je n’ai pas eu la force de répondre. Un bloc de béton, obstruait ma gorge. Une semaine plus tard, cette pauvre femme se donna la mort, de la même façon, dans le même appartement. Un paradoxe ! L’enfant qui survécut, était malade du cœur. C’est ce qui le sauva de l’asphyxie.

- Elle n’aurait jamais pu, survivre à son acte !

- Oui ! Je suis persuadé, qu’elle aimait beaucoup ses enfants. J’ai longtemps repassé ces mots, dans ma tête. En fait elle ne voulut pas les abandonner, sur cette terre de souffrances. Le vrai coupable, à mes yeux ? Ce fut le père des enfants. Il devra subir une culpabilité éternelle, pire encore, que celles que l’on attribua à cette femme, qui passa à l’acte, par désespoir. Il démontra, un égoïsme criminel. Je me suis plus d’une fois révolté, contre les mauvaises langues, qui jugeaient et condamnaient froidement, sans même

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évaluer les raisons profondes, qui poussent un être à cette extrême. Je n’ai rien pu faire ! Toutes les nuits, de ma fenêtre, je regardais ces volets, qui demeureraient clos à tout jamais, me disant que j’aurais dû pressentir, ce qui allait arriver. Quelques jours avant ce drame, cette pauvre femme, passait en boucle le disque de Nancy Holloway, « T’en va pas comme ça » ! Ma mère disait :

« Oh mon Dieu, mais qu’est-ce qu’elle a elle, à passer ce disque toute la journée ». Je n’ai rien vu venir, bon Dieu ! Rien ! La réponse ne tarda pas. Mais, qu’elle fut cruelle Jackkie !

- Tu… tu n’y pouvais rien, Max !

- Cela, ne fut pas suffisant, que je sois plus ou moins conscient, que je n’y pouvais rien. Pour tenter oublier ? Je fis tout le contraire de ce qu’elle avait espéré. Un peu comme si je lui disais, « tu vois ? Il n’y aura que toi ! Alors, je n’ai plus à me tenir à une promesse ». Je crois que j’ai eu tort de penser ainsi. Mais la vie continue, et péniblement, nous reprenons le dessus. Nous aimons de nouveau ! Nous pensons à construire, avec en arrière-plan, ces

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souvenirs, qui nous hantent. On sait ce que l’on doit faire et surtout, ne pas faire ! Aimer ? C’est offrir de soi, sans aucune restriction. Mais les tribulations de l’existence, mettent à mal cette vision des choses, auxquelles l’on croit fermement. Et qui pourtant, est une réalité élémentaire. Les conflits puisent leurs sources, dans les éléments existentiels et journaliers. Je suis moi, tu es toi, deux individus, avec leurs idées propres, leurs besoins personnels, leurs désirs inavoués à temps. Ces éléments s’imposent au fil du temps, assez insidieusement. On se rend alors compte, que nous n’avons pas grand-chose en commun. On se lasse ! On se méprise ! On ne se voit pas assez nous-mêmes, mettant sur l’autre, tout le poids de nos tourments. Et l’amour, la passion s’éteignent comme une ampoule électrique. Parfois il y a des signes avant-coureurs, des micros coupures. Souvent, les filaments se brisent net et… nous voici plongés dans les ténèbres totales. Nul ne répare une ampoule électrique, n’est-ce pas ? Il est si simple d’en acheter une autre. Alors… Eh bien, tôt ou tard, la lumière brille de nouveau, car nos yeux, éprouvent ce besoin !

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- C’est ce qui est arrivé pour… Nelly ?

- Il serait facile de dire, « c’était écrit ainsi ». Tu m’as dit que plus que très certainement, j’aurais regretté une décision prise, sans y avoir murement réfléchit. C’est fait ! J’ai eu le temps de peser le pour et le contre.

- Tu as pris une décision ?

- Celle de quitter l’armée, Jackkie !

-Quitter… l’Armée ? Mais… ta carrière…

- Avec l’expérience acquise, une carrière se reconstruit. Les perspectives, ne manquent pas en ce monde. Je ne veux pas, que ma femme se meure d’angoisses, ni que mes enfants, attendent un père perpétuellement absent. Je ne pourrais jamais plus prétendre, avoir un poste, dans une base aérienne école, comme officier instructeur. Je suis condamné à rester dans le renseignement. Je m’extirpe de l’engrenage ! Je retire le doigt, même, si pour ce faire, je perds une phalange. Je ne perdrais, ni la main, ni le bras. Il est temps !

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- Oh Max ! Je ne sais que dire… Nous entreprendrons des choses ensemble ? Ce sera merveilleux, dit-elle, se blottissant entre mes bras. Nous n’aurons plus jamais peur !

- Mahersen, me propose de gérer ses terres en Rhodésie. Mais ce pays, traverse une crise identitaire majeure. J’y étais dernièrement, ça sent la poudre, Jackkie.

- Rien n’est à redouter, pour ce pays. Mes compatriotes, sauront calmer les ardeurs belliqueuses, des partis qui s’affrontent, pour la suprématie du pouvoir. Qu’ils soient blancs ou noirs, ils devront se plier.

- Crois-tu ? Je ne vois pas l’Angleterre, venir prendre parti de quelle façon que ce soit, pour un état colonialiste, qui vient de créer une République, après avoir demandé une indépendance controversée. Ni encore moins, prendre faits et causes, en faveur des natifs. Ian Smith, mettra longtemps à comprendre que l’intérêt de son pays, serait une partition équitable, permettant aux mouvements d’oppositions, d’avoir leurs mots à dire, sur les grands traits politiques, pouvant conduire à un avenir meilleur. Et cela avant que le sang coule,

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bien sûr. Mugabe joue dans la cour des Soviétiques, et se faisant, il nargue tout le monde. Il fait peur ! Nkomo, je ne sais pas ! Il est beaucoup moins radical, d’après ce que j’ai lu. Mais de là à dire, qu’il est plus tendre, il y a une marge à ne pas franchir. Tout ce beau monde, ne rêve que d’en découdre ! Si Ian Smith persiste à faire des clins d’œil à l’Afrique du Sud, qui n’a aucun intérêt à ce que des noirs, accèdent à des postes clés, dans le gouvernement d’un pays limitrophe, qui lui ressemble à s’y méprendre, ça va péter. J’hésite vois-tu ?

- Oui, je comprends, mon amour. Toutes tes inquiétudes sont miennes. Nous trouverons bien une solution, qui nous convienne. Nous n’en sommes pas encore là, de devoir réfléchir à construire notre avenir, hélas.

- Je te jure, que nous en sortirons indemnes.

- Inutile de jurer Max ! Si tu le dis, je te crois.

J’émis un soupir chargé d’anxiétés. Mais il était vrai, que nous étions encore loin du compte.

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« Eh bien » pensais-je. « Jamais je n’aurai cru, que j’en arriverais un jour prochain, à remettre nos destinées, entre les mains de Bernard ».

20 :00.

Des bruits, des chants, nous parvenaient de la coursive. Visiblement, la fête continuait sans nous ! On frappa à la porte et j’ouvris. C’était Carroll, tenant un plateau dans les mains, qui entra en coup de vent, le posa sur la table, s’en retournant à toutes jambes vers la porte.

- Oh quelle belle cabine ! dit-elle, visitant le lieu du regard. Nous avons pensé, que vous alliez avoir une faim de loup, ajouta-t-elle, nous regardant très étrangement. Jackkie et mois, on échangea à notre tour un regard furtif, avant d’éclater de rire.

- Qu’ai-je dit ? demanda la pauvre Carroll, tourmentée.

- Non ! parvins-je à lui répondre. Rien de grave, Carroll, ne vous offusquez pas.

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Excusez-nous, ce fut votre expression, qui nous fit rire.

- Ah bon ? Oui en effet, dit-elle. Je comprends !

- Nous avons profités de ce temps précieux qui nous est donné, pour bavarder, comme un vieux couple déjà.

- Oh ! Je ne voulais pas… vous mettre mal à l’aise. C’est de votre droit, d’occuper ce temps comme bon vous semble, savez-vous ? C’est moi, qui devrais vous présenter des excuses, dit-elle rougissante.

-Merci pour le plateau, Carroll. Rassurez nos amis, nous venons d’entamer notre voyage de noce.

Lorsque je refermais la porte sur la femme du Ché, qui ne savait plus comment se faire pardonner, ce qu’elle prit pour une indélicatesse de sa part, nous avons encore ris.

- Tu te rends compte, qu’il est vingt heures passé, dis-je.

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Je fermais les hublots, songeant à cette pauvre araignée Misti… « Tiens, voilà la pluie » !

Etions-nous à ce point, intimidés ? Oh oui ! Je pris le plateau, et je vins m’asseoir à ses côtés, au bord du lit. En silence, nous avons mangé les nems délicieusement préparés, par mon cher Nguyen. Je n’osais lui demander, ce qui la tracassait.

- Je… Je ne retournerai pas en Angleterre, dit-elle, se levant pour éteindre la lumière du plafonnier, éclairant celui situé à la tête du lit. C’est plus… intime, ajouta-t-elle précipitamment, ses joues s’empourprant.

- A cause de souvenirs…

- Non ! Ces mois passés aux quatre coins de cette région du monde, ont été bénéfiques. Aujourd’hui, je sais ce que je veux. Hier, je fuyais je ne sais quoi, car après tout, avais-je besoin de fuir ? Je ne savais pas me battre, Max !

- Tu es une femme de caractère, Jackkie.

- En apparences, oui ! Comme toi, lorsque tu te livras à moi, m’avouant que tes tournures verbales, bien souvent

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sarcastiques, étaient calculées pour dresser une muraille infranchissable, derrière laquelle, tu te sentais protégé. Une carapace en quelque sorte, qui nous le savons très bien, n’est aucunement invulnérable. Tu viens d’en donner la preuve en me relatant, ce qui t’avait dramatiquement brisé le cœur, t’efforçant tout au long de ce récit, de contenir tes larmes. J’ai… J’ai écrit ces quelques mots, que je voudrais te lire, dit-elle, se levant pour aller fouiller dans son sac à main indien, qu’elle portait en bandoulière, lors de notre première rencontre dans la chaloupe. Écoute-moi, dit-elle, revenant prendre place auprès de moi.

« Nous deux, nous possédons une force intérieure d’une vigueur inégalable, car nous savons vivre intensément les instants présents, tout en tirant enseignements du passé. Mon passé est très loin, derrière moi. Je ne parviens même plus à tracer de mémoire, les contours de mon Angleterre natale, car j’ai tellement de choses à découvrir, que mon esprit ne peut plus me ramener, ne serait-ce qu’en rêve, vers ses côtes rocailleuses, ses verts pâturages, ses villes ternies, par les cheminées des

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industries, et ses tempêtes fulgurantes, sous un ciel bien trop gris. Mon aujourd’hui, baigne dans la couleur indéfinissable de tes yeux, qui d’un vert tendre, virent au bleu. Le ciel et la mer y sont réunis. Et ton sourire réchauffe mon cœur, comme le soleil, malgré le déchainement des intempéries. Je n’étais rien, sans toi ! Je croyais vivre, car je respirais, je contribuais à une œuvre de bienfaisance, qui me passionnait. Mais lorsque tombait la nuit, mon cœur débordait de chagrin, d’angoisses et d’amère solitude, que rien ni personne, ne parvenait à consoler. En si peu de jours, je te dois tant. Comment ne pas t’aimer, t’offrir le meilleur de moi-même, pour toute une vie, et bien au-delà, pour l’éternité ».

- C’est… C’est beau. Maintenant, l’éternité est nôtre. Faisons-en, une attente, un espoir, un univers, qui nous soit propre, où nous aurons la liberté de nous ébattre, de nous aimer, sans craindre les atteintes du temps. Un havre de paix, Jackkie. Quand je pense à tous ces gens, qui ignorent, que c’est l’amour, et lui seul, qui possède une force incommensurable, nous permettant d’accomplir pleinement nos existences, je

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me dis, que ces pauvres êtres, sont bien malheureux.

- Nous devrions les plaindre, et non les blâmer, vint-elle parfaire ma pensée.

Je l’enserrais tendrement entre mes bras, me contentant de la bercer. Ses lèvres brulantes, d’une fièvre, que nous partagions, vinrent effleurer les miennes, me provoquant un choc électrique dans tout le corps. La frénésie, le déchainement des sens, s’emparèrent de nos êtres, nous plongeant dans un état second, nous propulsant très loin, aux confins des réalités de ce monde, où s’imposent les contraintes et l’ordre.

- Fais de moi, ta femme, me murmura-t-elle, pâmée, par mes baisés, survoltée de mes caresses.

De nouveau, une pluie battante, martelait avec rage, les structures d’acier de ce pauvre navire. Le tonnerre donna de la voix, cherchant à monopoliser notre attention, très certainement jalouse, et furibonde, que de simples mortels, se livrent à un autre combat issu de la nature,

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tout aussi vieux que ce monde, avec une force égalable à sa puissance destructrice…

7 mars 1972. 09 :45.

Le rapport du matin, venait de prendre fin. Mais les équipages demeurèrent occupés aux bastingages. Nous approchions à moins de deux cent mètres, d’un large ilot, classifié sur la carte maritime, sous le numéro 4436. Pas de nom connu ou attribué. C’était parfait, pour y cacher nos bas instincts. Il était orienté, d’Ouest en Est, par rapport aux côtes chinoises, que nos yeux ne pouvaient même pas imaginer,

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bien plus au Nord. Il mesurait, 168 mètres de long, pour une quarantaine de mètres de large. Ce n’était qu’un immense tas de roches, sans pratiquement aucune végétation, avec en son centre, un immense promontoire d’une trentaine de mètres de haut, par rapport au niveau de la mer. C’était assez lugubre d’aspect, la vision soudaine de cet îlot aux roches noires et scintillantes, comme un gros morceau de charbon à l’état pur, perdu à quelques milles marins, au Sud de l’archipel, dans une vaste étendue de mer vide. D’autant plus lugubre, que le ciel nous tombait sur la tête, depuis de très longs jours. Et ce coin oublié des Dieux et des hommes, était équipé d’un fanal de pointe d’estuaire, alimenté par batteries. Quelqu’un devait bien s’en occuper ? Mais qui ? Un autre sujet d’angoisse ! Dans l’instant, il fonctionnait. Je secouais la tête, refusant de me poser plus encore de questions.

- P… de mousson ! s’emporta Bernard, dont le ciré et la casquette, qu’il secouait énergiquement, dégoulinaient d’eau. Tu sors deux seconde hors de cet abri, et te voilà trempé jusqu’aux os, ciré ou pas. Elle s’infiltre partout, cette saloperie d’eau !

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- Si tu pleures en prime, Noé n’a plus qu’à très vite se remettre au travail, répondis-je distraitement. Il haussa les épaules, venant me rejoindre sous la casquette de protection.

- Tu as vu ça, dit Bernard, les yeux rivés sur l’îlot derrière lequel, nous allions disparaitre à la vue, de tout ce qui naviguait au-delà. Un phare ici !

- Tu m’as tiré de cette pensé, en pestant après la pluie.

- Un système automatique. Il se déclenche la nuit ou, si le ciel s’assombrit. Les batteries durent dans les dix-huit mois, à peu près. Il faudrait aller voir ça !

- Je vais expédier une équipe à terre.

- Oui ! Mieux vaut savoir, à qui appartient ce fanal.

- Serrez 2° bâbord, au 280 ordonna le Commandant.

- Barre bâbord, 2° au 280 Commandant ! annonça placidement le timonier.

- 7 nœuds ! Ordonna encore le Commandant ! Enoncez les profondeurs.

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- Reçu Commandant, répondit l’appareilleur, à son poste, devant l’écran du radar de profondeur. 90 mètres,. 70 mètres, 60, 50… égrenait-il. 35 mètres Commandant !

- Barre tribord 2° !

- Tribord 2° Commandant ! entendis-je encore, la voix du timonier.

- 20 mètres Commandant ! l’avisa l’officier appareilleur.

- Zéro la barre, vitesse lente !

- Barre au zéro, vitesse lente, répéta le Timonier, avant d’annoncer : Récif en surface, 30 mètres !

Le Commandant prit son talkie-walkie, et s’adressa à l’Officier de pont, chargé de la manœuvre.

- Attention ! Paré à mouiller les ancres.

- Paré Commandant, répondit une voix dans le talkie.

- 5 Mètres Commandant, l’avisa l’Officier appareilleur.

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- Brassage ! Arrière toute ! répondit le Commandant !

- Brassage, arrière toute, dit le Timonier actionnant très vite la manette de la console indicatrice, expédiant les ordres en salle des machines. J’entendis le bruit caractéristique qu’elle produisit en sonnant, puis le navire fut pris de soubresauts, s’accompagnants d’un bruit infernal d’hélices, qui brassent une mer peu profonde. Le Seko, semblait être pris de tremblement, et ses tôles grincèrent, comme s’il allait se fendre en mille morceaux. Mais il finit par arrêter sa course effrénée, demeurant enfin immobile.

- Mouillez les ancres, ordonna le Commandant.

Un autre bruit infernal nous parvint aux oreilles, lorsque les lourdes chaînes raclèrent l’acier de leurs meurtrières. Puis ce fut celui de l’immersion, avant qu’un calme soudain nous surprenne.

- Nous venons de prendre nos quartiers d’hiver, dit Bernard, secouant sur moi, des gouttes de pluie amoncelées sur sa casquette. Quoi ? osa-t-il me dire, me

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regardant en riant espièglement. Je fais profiter les copains, non ?

- Va te faire pendre, ma biche ! Dis-moi au lieu de jouer au con, et de risquer gagner le gros lot, as-tu parlé au Commandant, de ton plan, puisque tu as déjà causé à James Lewis ?

- Voilà comment ça marche, ducon la joie en fleur ! Je passe par la bande ! Ce n’est pas ce que tu appris à l’école des officiers, hein ? Merci de ton silence !

- Je vois ! Tu l’as dit à James, qui le répéta au Commandant !

- Putain, ce soir j’économise la lumière. Je t’invite à souper, et je te vire, quand l’envie de dormir me prend ! Tu brilles d’intelligence, tu sais ?

- Pas d’écho, de sa part ?

- Un silence de cathédrale ! Que dis-je ? D’outre-tombe ! Primo je l’ai gonflé avec mes idées… euh ? Comment les as-tu qualifiées ?

- De farfelues !

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- C’est ça ! Ou alors, il nous mijote un petit plat dans sa cuisine privée et… nous n’aurons plus qu’à nous en lécher les babines. Renifle l’air pur ! Tu sens quelque chose ?

-D’ici ? fis-je semblant de suivre son conseil. Hum ! Le parfum nauséabond d’une vieille paire de chaussette, dont le propriétaire trop occupé par sa passion sans frein des pentes glissantes, ne voit pas le mur ! Il arrive, coco ! C’est lui qui vient à toi ! Tu le vois ? Mince ! Trop tard ! Il était pourtant gentil ce garçon ! mimais-je les plaintes, de la pleureuse Corse. Il était mon ami ! pleurais-je à chaude larmes…

- Houai ! Tu es pour ou bien, tu es contre ?

- Les deux mon Capitaine !

- Mes c… oui ! Tu te fixes à une opinion !

- Ton plan, présente quelques intérêts en effet.

- Quelques ? Tu charries ! Tu verras bientôt à quel point, tu es debout sur la tête, en dehors de la plaque.

- Capitaine Bertin !

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- Commandant ! répondit-il, se mettant au garde à vous.

- Dans une heure, vous embarquerez à bord du Seehund. Mission de reconnaissance !

- Direction Commandant ?

- Je veux que vous frôliez la limite des eaux territoriales chinoise. Pas d’héroïsme hein ? Au moindre pépin, vous filez de là !

- Reçu Commandant. Hum ! A quoi bon aller les titiller, Commandant ?

- Je veux, que vous observiez quelque chose.

- Leur… réaction ?

- Ou leur manque de réaction, Capitaine Bertin ! Je serais-vous ? J’utiliserais toute les prières que j’ai en mémoire, pour que justement, ils ne réagissent pas.

- Ce serait navrant, de mourir dans la force de l’âge, Commandant !

- D’une part ! D’autre part, dans ce cas-là, je foutrais votre satané plan à la poubelle.

- Oh ! Permettez-vous Commandant ?

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- Je vous en prie, répondit celui-ci.

Bernard me regarda bien dans les yeux, avant de me mettre son majeur sous le nez.

- Une jolie carotte, pour le gentil lapin, dit-il, avant de saluer négligemment, et d’aller se préparer.

- Il y croit dur comme fer, me dit le Commandant, riant sous cape.

- Et vous ?

- Ah mon petit Max ! Moi, j’ai des ordres ! Vu sous un autre angle, son idée est purement folle. Mais beaucoup la trouvent… fabuleuse. Enfin ! Elle fut accueillie ainsi, par le Pentagone, et par le cabinet du Premier Ministre. Parait-il, c’est le temps idéal, le lieu et l’instant propice, pour leur faire rabaisser leurs caquets, à ses perruches jaunes !

- Vous ne semblez pas partager cet avis, n’est-ce pas ?

- Qui joue avec les allumettes…

- Provoque un incendie ! Je ne sais pas ! Lorsque j’étais en Afrique, j’ai observé quelque chose, qui me surprit beaucoup,

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m’effrayant tout autant. Lorsqu’un feu de brousse se déclarait, les autochtones, allumaient un contre feu.

- Max le philosophe ! Vous et vos métaphores ! Mais ce n’est pas dénué de bon sens ! Après tout, ils l’ont cherché, n’est-ce pas ?

- Je dirais même, qu’ils s’y appliquèrent ! Pour une fois, j’accorderai un peu d’estime, à une décision politique. Même si elle fut inspirée, par un certain empressement à en découdre, de la part nos chers amis américains. La course à l’armement, la course à l’espace ! A force de courir, ces gens-là arrivent avant le bus. Le plus dramatique serait, que sur leurs lancées, ils dépassent l’arrêt prévu !

- Je vais finir par regretter, de ne plus vous avoir sous mes ordres. Je suis à même de penser, que cette mission arrivant à son terme, vous avez songé à votre avenir ?

- Je croyais que les agents de la C.I.A, savaient pour le moins, tenir leurs langues. On en apprend tous les jours, au contact de nos semblables. Oui ! Je démissionne !

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- Oh ! Ne m’attribuez pas l’idée, d’essayer vous convaincre de revoir votre décision. Je vous connais bien maintenant, Max. Vous n’entreprenez jamais rien, sans avoir préalablement murement réfléchis.

- J’ai appris, à ne plus réagir, à l’avènement de la première impulsion, Commandant.

- Alors je vous souhaite bonne chance. Cela vous change une vie, une femme, n’est-ce pas ?

- Tout dépend de la vision des choses, Commandant ! Il y a des femmes, qui vous pourrissent une vie, et d’autres, qui en font un véritable jardin d’éden. Un lieu où il fait bon vivre ! Seul un fou, négligerait les efforts accomplis, pour l’embellir chaque jour, ce jardin.

- Je crois que je commis cette folie, dit-il, subitement songeur. Le Colonel Mahersen veut vous voir. Il est très mal ! Dysenterie ! Il a choppé ça, avec l’eau des cuves du bord, comme tous ceux qui en souffrirent. Ils sont… un peu trop nombreux, hélas. Ce qui me fait dire, que j’ai un autre problème de taille sur les bras. Nous allons manquer d’eau potable.

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- Allez-vous appliquer des restrictions ?

- C’est fait ! Mais cela ne changera pas grand-chose, Max. Nous serons obligés de faire bouillir l’eau, pour la consommation. A ce train-là, nous n’irons pas loin. Il y a une île d’assez grande superficie, à 70 milles nautique, à l’Ouest. Ici, nous sommes assez loin de l’archipel des îles Paracells. J’ai fait le choix de ce point isolé en pleine mer, car plus à l’Est, nous serions bien trop proches de Taiwan ! Cette île dont je vous parle, nous l’avons dépassée dans la nuit. Mais je ne pouvais faire halte ! Sur la carte, pas de nom ! Elle n’appartient à personne, mais tout le monde la veut ! Elle est répertoriée comme ce récif, avec un numéro. Il s’agit du 3697. On ne peut y aborder, que par la face Sud. Il y a une immense plage. C’est une île volcanique, dotée d’une jungle assez épaisse, contrairement à l’ensemble des îles de moyennes envergures, de cet archipel. Mais surtout, il y a de l’eau ! Ce que j’ignore, c’est si les Chinois, n’y ont pas établis un poste d’observation. Ces territoires, sont convoités, par les Vietnamiens, les Chinois, les Philippins, et même l’Indonésie et la Malaisie, ont des vues dessus ! Cela en fait du monde !

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- Qu’attendez-vous de moi, Commandant ?

- Que vous preniez dix hommes. Des aguerris, n’est-ce pas ? Vous partirez avec l’annexe, et trois chaloupes de sauvetage tractées, remplis de barils. Attendez-vous à une trentaine d’heures, allé et retour, très mouvementées. Il nous faut de l’eau, Max !

- A vos ordres Commandant !

- Je vous fais confiance, Max ! C’est votre subalterne, Kowalski, qui ne sera pas content ! C’est à sa compagnie, d’entreprendre une telle mission. Mais je n’ai aucune confiance en lui. C’est un baroudeur ! L’autre, De Langlade, est un jouisseur, la tête remplie de rêves. Je me méfie de ces joueurs de guitare, recoulant des mélodies à vous fendre l’âme. Ce n’est pas un jeu, hélas ! Alors, je suis navré, Max. Vous irez ! Pas de coup de main inutile, que je le précise. L’île est déserte ? Vous remplissez les barils et vous déguerpissez de là, sans demander votre reste. Elle est occupée… Ce serait vraiment dramatique pour nous tous. Faites de votre mieux, mais… avec prudence !

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- Je n’oublierai pas, Commandant ! Je vais sélectionner mes hommes, dans une petite heure, je serai paré !

- Très bien Max. Encore… bonne chance pour tout.

- Vous avez vu le fanal, n’est-ce pas ?

- Je ne vois que lui Max ! Inquiétant, mais sans plus.

- Je vais expédier des hommes à terre.

- Laissez donc Kowalski, s’en charger.

- Oui ! Ce sera parfait !

8 mars, 20 :00

- Lieutenant Sotis ! Coupez le moteur, ordonnais-je à l’Officier pilote de l’annexe.

Il exécuta immédiatement, sans poser de question. Nous n’étions plus, qu’à un bon kilomètre huit cent, de la plage.

- S’il y a des guetteurs Capitaine, me murmura Sotis, en approche, il nous sera

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difficile de leur échapper, même sous cette pluie battante.

- Hum ! C’est pourtant maintenant ou jamais, que nous devons entreprendre notre approche. Il fait nuit noire, il pleut. Je joue la carte du je-m’en-foutisme proverbial, de ces gens-là. Voyons un peu, si l’idée générale de Bernard, s’applique à plus petite échelle.

- Je ne comprends pas, Capitaine !

- Eh bien c’est simple, vous allez voir. Selon le Capitaine Bertin, ces gens-là, seraient tellement imbus d’eux-mêmes, que nous pourrions prendre un bain sur cette plage, jouer au hand-ball, et commander des sandwichs, qu’ils trouveraient stupide de s’alarmer, car leurs positions sont inviolables.

- Je vois, Capitaine ! Compte tenu du temps de cochon qu’il fait, ne comptez pas sur moi, pour jouer le baigneur en villégiature !

- Je ne vous demanderais pas ce suprême sacrifice, Lieutenant ! Approchez-nous assez près, de cet aplomb rocheux, qui vient se jeter dans la mer. Nous allons débarquer par-là, en un premier temps.

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Vous planquerez les embarcations, plus à l’Est. Mais pas trop loin !

- Très bien, Capitaine ! Ces jumelles infrarouges, c’est merveilleux !

- Bon ! Avec un stick, je fouillerai les lieux, jusqu’à cinq heures du matin. Si je ne rencontre aucune opposition, nous aborderons sur la plage au lever du jour. A partir de maintenant, dis-je m’adressant aux hommes, retenez jusqu’à vos respirations. Je regardais plus attentivement ces visages noircis par du bouchon en liège brûlé, leur adressant à tous, un sourire que je voulus rassurant. Ce ne dû pas les convaincre, pour autant.

- Aux pagaies ! On rame en silence ! ordonnais-je.

Il nous fallut une bonne demi-heure, pour atteindre le lieu désigné. Bon Dieu, que ces embarcations chargées de barils, même vides, et cette annexe, étaient lourdes ! J’en avais mal dans tous les muscles, de pagayer et pagayer encore, en prenant grand soins, de ne pas faire claquer la pale de la rame sur l’eau. Et au bout d’un bon moment de ce sport intense, les gestes sont rendus

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moins précis, à cause des crampes dans les bras. Accompagné de cinq de mes hommes, dont le Caporal Jensen, nous avions pris pieds, sur une toute petite portion de plage, jouxtant l’aplomb rocheux, haut de cinq à six mètres, mais offrant de larges facilités pour le grimper. Nous étions bien à l’abri de la plage principale, qui s’étendait sur trois kilomètres à l’Ouest. Plus loin une épaisse végétation, nous privait d’une vue d’ensemble du reste de l’île. «  Ça ne va pas être coton », me dis-je, faisant signe à mes hommes de me suivre.

Quelques minutes, plus tard, qui furent assez pénibles, nous atteignions le sommet, se composant d’un petit plateau rocailleux et déboisé. Je fis signe à mes hommes de rester à terre. A l’aide de mes jumelles infrarouge, je scrutais très attentivement cette bande noire, délimitant la naissance de la jungle. De ma position je pouvais suivre son tracé, jusqu’à perte de vue, en la longeant d’Est en Ouest. Lorsque ce fut terminé, pour cette première aperçue du terrain, je ne me sentis pas rassuré pour autant. Mais je donnais l’ordre d’amorcer la descente. Le danger résidait dans le fait, que nous étions chargés, et que nous

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devions prendre grand soin, de ne faire aucun bruit.

- Tombez, ramassez-vous, mais je vous interdis de crier de douleur, dis-je à mes gars. Et, ne trainez pas les pieds !

Ils ne répondirent pas, mais quelques regards glacials m’apprirent beaucoup, de ce qu’ils auraient eu envie de dire. Enfin, on atteignit le sable détrempé par cette violente bourrasque de pluie, dans lequel nos pieds s’enfoncèrent. Mais c’était toujours mieux, que de glisser sur ces rochers.

- Jensen !

- Capitaine ? répondit-il à voix basse, se mettant à genoux à mes côtés.

- Vous progressez en rampant, jusqu’à ce groupe de palétuviers. Vous serez protégé par ces dunes, qui font songer à de gros seins de matrone. Vous les voyez ?

- Comme je vous vois, Capitaine. Heureux, de ne pas avoir de belle mère !

L’humour est un bon antistress.

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- Prenez Fischetti et Landu ! Je vais sur la gauche, avec Querella et Gaudi. Je dois atteindre ce monticule de sable, azimut 52, dis-je rangeant ma boussole, dans la poche de pantalon. Nous allons progresser l’un vers l’autre, après nous être enfoncés de trente mètres à l’intérieur de cette jungle. Cette zone, couverte et inspectée, si elle est nette, nous continuerons à progresser de l’intérieur, nous à l’est, vous à l’Ouest. L’inspection terminée et si personne ne vient nous priver du plaisir de nous balader, nous… Voyons ! dis-je, sortant la carte plastifiée. Nous devrons suivre, l’azimut 52, sur près de deux kilomètres, au Nord-Ouest. Là, nous trouverons un bras de rivière, qui vient se jeter à la mer, beaucoup plus à l’Ouest. L’eau n’y est pas encore saumâtre, car trop loin de l’embouchure. Sa source d’eau naturelle, proviendrait de ce petit volcan, que nous pouvons voir se dresser, au centre de cette île. C’est là, que nous devrons puiser de l’eau !

- En faisant rouler les barils, tout le long du chemin, Capitaine ?

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- Vous voyez une camionnette ou, une seule paire de patins à roulettes sur cette plage, Caporal Jensen ?

- Non, Capitaine !

- Alors… nous devrons nous démerder !

Nous avons rampé, presque jusqu’à creuser une tranchée sous nos corps, dans ce sable collant. Mais enfin, nous avions atteint sans encombre, le monticule protecteur.

L’un de mes hommes, le fusilier Gaudi, me prit brusquement par l’épaule, me forçant à me plaquer au sol, alors que j’allais me mettre à genoux, pour mieux observer le secteur, avec mes jumelles.

- Casemate à 11 heures, Capitaine, me murmura-t-il.

- Vous êtes certain ? demandais-je, sentant mon sang se glacer. Je n’attendis pas sa réponse, pour pointer les jumelles, sur le lieu qu’il me désignait.

- Vous avez une excellente vue, Gaudi. Je n’ai rien aperçu de l’aplomb rocheux, tout à l’heure. C’est bien une casemate enterrée.

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Seul le toit de bambous et de feuillages dépasse du sol.

- Que faisons-nous Capitaine, demanda Querella, qui avec d’infimes précautions, arma sa mitraillette uzi.

- Sais pas, dis-je. Ce manque de réaction me laisse perplexe ! C’est peut-être, un poste d’observation inoccupé. Il peut très bien avoir survécu au temps, car les Japonais occupaient ces îles. Nous devons en avoir le cœur net.

- Nous en rapprocher, Capitaine ? dit Gaudi, qui éprouvait un doute.

- J’y vais ! Vous me couvrez d’ici ! Il y a deux cent mètres de découvert. Je vais m’enfoncer dans la jungle, en traversant droit devant moi, puis je progresserai vers la gauche, pour contourner la casemate. Ne tirez, que s’ils ouvrent le feu !

- Reçu Capitaine, dit Querella. « Inutile de tergiverser » pensais-je, m’élançant à toute vitesse vers l’épaisseur de la végétation, dans laquelle je pénétrais le cœur battant à se rompre. « Bizarre tout de même », pensais-je encore, reprenant mon souffle péniblement. « Va falloir que je songe

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sérieusement, à arrêter de fumer », me promis-je, tout en progressant difficilement dans cette jungle, pleine de dangers insoupçonnables. D’autant plus que cette lisière, avait supportée toutes les atteintes de fréquentes intempéries, qui frappent ces îles, sans réelles protections naturelles. Des arbres couchés, rendaient la progression, plus que seulement pénible. Je risquais de me briser une cheville, d’être mordu par un serpent, ou de glisser dans un trou. Et cette odeur pestilentielle qui s’élevait du sol, en ce lieu que les rayons du soleil, ne parvenaient jamais à pénétrer. La pluie touchant le sol, semblait s’évaporer immédiatement. Une sorte de nappe de brouillard montait très haut, au-dessus des cimes des arbres. C’était fantasmagorique. Avec d’immenses précautions, je parvins enfin à une petite clairière artificiellement crée, par la main de l’homme, c’était indéniable. Le cœur me monta dans la gorge. Mais lentement, mon 44 dans la main droite, je m’avançais vers la pente détrempée, qui conduisait à l’intérieur de la casemate, défendue par une porte de bambous. Je la poussais, et pénétrais dans la pénombre totale, qui enveloppait le lieu. Mon pied heurta une bouteille en verre, qui

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roula sur le sol. Je perçus un gémissement ! Une voix, embrumée de sommeil. Lentement, mes yeux s’acclimatèrent à la nuit profonde. Je sentis mon cœur battre encore bien plus fort. Au sol, trois formes étaient étendues, profondément endormies. Sur une petite table de bambous, quelques bouteilles d’alcool de riz, m’informèrent de la raison de ce manque de réaction. Ils étaient passablement ivres. Je pris la décision ! Un violent coup de pied dans les fesses du premier, que j’avais à ma portée, lui arracha un cri de douleur, le faisant s’asseoir brusquement sur son séant endolorie, jurant dans une langue, que je ne sus identifier.

- Chut ! Lui ordonnais-je, lui collant le bout du canon de l’impressionnant révolver, sur le bout du nez. Le gars se déporta en rampant sur ses fesses, vers la gauche de la casemate. Il avait des yeux très noirs et bridés, qui brillaient de terreur. Réveilles tes copains, sans brusquerie ni gestes inconsidérés, lui ordonnais-je en anglais. Tu comprends ? Il répondit oui en hochant la tête. « Eh bien, me dis-je. Pour le moins, nous allons pouvoir communiquer ». Il secoua les deux autres, qui l’air apathique,

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eurent peines à reprendre leurs esprits. Je leur accordais un peu de temps. Lorsqu’ils furent revenus dans le monde des vivants, sans dire mot, ils levèrent les bras.

- Chinois ? demandais-je.

- Nous pas Chinois, répondit celui à qui j’avais botté l’arrière train.

- Tu te payes ma tête ? Vous êtes Chinois, non ? Je sais reconnaitre un Chinois ou un Viet, si j’en vois un !

- Nous sommes Philippins, Monsieur le soldat, dit encore le malheureux qui avait gouté de mon 43 fillette. Nos arrières grands parents, venaient de Chine ! Mon père était Malgache !

Ma parole ! Il allait m’exhiber sous le nez, son arbre généalogique le pauvre gars.

- Philippins ? dis-je encore sous l’effet de la surprise. Debout ! hurlais-je. Mains derrière la nuque, et vous marchez jusqu’à l’extérieur, en rang serré. Vous voyez cette arme que je tiens en mains ? Elle peut transpercer un arbre, vieux de trois cent ans !

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Il me fut inutile, d’en dire plus. Querella et Gaudi, accoururent vers nous, lorsque l’on prit pieds sur la plage.

- Des Chinois ! dit Gaudi, qui leur faisait signe de s’asseoir en tailleur, sur le sable imbibé d’eau de pluie.

- Non ! dit à son tour Querella. Ce sont des Philippins. Je reconnais leurs uniformes et insignes. Lui, il est sergent, m’apprit mon fusilier, qui me désignait celui que j’avais brutalement réveillé. J’ai été un temps à Manille, je ne crois pas me tromper. Jensen et ses deux acolytes, arrivèrent à toutes jambes.

- Bon Dieu Capitaine, j’étais mort de transe. Ce sont des Chinois ? Où les avez-vous débusqués ?

- Dans la casemate derrière vous. Ils ne sont pas Chinois ! Allez la fouiller ! Recherchez armes et documents. Vous autres, m’adressais-je aux prisonniers, si vous êtes ce que vous dites être, vous devez bien avoir des papiers qui le prouvent ?

- Oui mon Capitaine, dit le plus gradé des trois, sortant de sa vareuse de brousse, un portefeuille qui avait dû faire la grande

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guerre. Je suis le Sergent Ravanatorana, appartenant au régiment de l’infanterie de marine des Philippines, mon Capitaine.

Je lus, ce que sa carte professionnelle mentionnait. Il disait vrai !

- Debout Sergent ! Retournons à l’abri de votre casemate. Nous sommes tous trempés comme des soupes.

- Vous n’êtes pas américains ?

- Français ! répondis-je, lui adressant un sourire.

- Ah ? La France ! Beau pays, beau pays !

- Vous connaissez ?

- Cartes postales, oui ! Paris, la tour Eiffel, Arc de Triomphe,  Notre Dame de Paris !

L’atmosphère se détendait !

- Euh ! Vous surtout pas dire à mon supérieur, que nous…

- Que vous dormiez, après vous être saoulés ? Je serais muet comme une tombe, sergent. Mais dites-moi ? Vous êtes nombreux ?

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- Trente-six hommes, couvrant toute la côte de cette île. Nous venons de relever nos camarades. Nous ne sommes pas encore bien habitués à ce genre de mission.

- Qui consiste ?

- D’empêcher les Chinois et Vietnamiens, de s’approprier les lieux, mon Capitaine. Les américains, sont nos amis, savez-vous ?

- J’en suis pleinement satisfait ! Où sont les autres ?

- Nous patrouillons dans l’île. Nous avons des points de ralliements, comme par exemple, ces casemates enterrées. La nuit, nous ne risquons aucune incursion de l’ennemi. La mousson, nous préserve !

- Ils viennent souvent, opérer des incursions ?

- Cela leur arrive, histoire de jauger nos forces. Mais, nous ne nous tirons pas dessus. Si île occupée, eux rebroussent chemin. Nous sommes… vaillants combattants, savez-vous ? Les Japonais s’en souviennent encore ! Mon père s’est battu, et il est mort, sur l’une de ces îles. Il se battait avec les troupes britanniques. Elles

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furent imprenables. Les japs, étaient trop nombreux, et bien enterrés. Beaucoup le sont encore, dit-il en riant.

- Je vois ! dis-je, alors qu’ils tentaient d’éclairer une vieille lampe à pétrole. Enfin, après quelques essais infructueux, ils y réussirent.

- Que font des français ici, mon Capitaine ? Vous avez fait naufrage ?

- Absolument pas ! Notre navire est quelque part sur cette mer. Nous venons puiser de l’eau !

- Ah oui ! De l’eau ! Il y en a, pas très loin d’ici. Après, repartir ?

- Le plus vite, sera le mieux. Nous avons besoin d’aide !

Je lui exposais le problème.

- Mon Lieutenant, sera le plus heureux de vous apporter cette aide, dit-il, assez optimiste. Dès que le jour se lèvera, l’un de nous ira avertir les autres de votre présence.

Nous avons continué à échanger des points de vue, leur offrant les cigarettes, que nous

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avions dans nos petits sacs de plastiques, les ayant mises à l’abri de l’humidité. Nous mourions de froid et de faim. Ils nous offrirent leurs rations de campagne, ce qui fut mieux que rien. Enfin le jour se leva. Du moins, je crois, car les nuages obstruaient le ciel, qui se déversait sur nos têtes sans répit. Leur Officier, se démontra très courtois. Il était très jeune. Notre présence sur cette mer du Sud, l’intriguait. Mais il n’osait pas poser les questions qui le tenaillaient.

- Beaucoup de nations limitrophes, seraient prêtes à se battre, pour ces archipels des Spratly et des Paracells, dit-il, acceptant la cigarette que je lui tendis.

- C’est ce que je compris, répondis-je. C’est plus… stratégique, que tout autre chose, non ?

- Détrompez-vous, Mon Capitaine. Je miserai sur l’exploitation des fonds marins.

- Hum ! Le pétrole ! Je comprends mieux à présent.

- Nous jouons au jeu du chat et de la souris, depuis la fin de la guerre mondiale. Mais la

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Chine, est puissante. Sans aide extérieure, nous sommes en fâcheuse posture.

- Et les américains ?

- Bof ! Ils tiennent les îles les plus importantes, au Nord des Philippines. Eux, c’est vraiment stratégique. Ils ne feront rien, contre l’impérialisme communiste chinois. Chacun son coin, chacun ses problèmes, et c’est très bien ainsi. Mais nous, Philippins, nous ne considérons pas les choses, sous le même angle de vues. L’avenir économique de notre archipel, dépend de notre détermination, à ne pas nous laisser léser de nos droits. Ces îles nous appartiennent autant qu’aux Chinois, et autres prétendants. Si nous parvenons à maintenir cette pression, tôt ou tard, ils voudront négocier, sur un plan d’égalité avec nous.

- Pour fonder une sorte de coopérative pétrolifère, rassemblant toutes les parties prenantes ?

- Vous avez mis le doigt dessus mon Capitaine. En attendant, je vais passer un mois complet ici, et croyez le bien, ce n’est pas de gaité de cœur.

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Je vis son alliance au doigt.

- Marié ?

- Depuis un an, oui. Nous venons d’avoir notre premier enfant. Une fille. Je l’ai baptisée Victoria, en mémoire à ma grand-mère maternelle, qui était Anglaise. J’ai fait une année à l’école des hautes stratégies, en Ecosse.

- Hum ! Je soupirais. Je viens de me marier également. Elle doit être morte d’inquiétude, à arpenter de long en large, les ponts de notre navire, en cette heure.

- Vous avez amené votre femme en mission ? Sacrés français !

- Pas tout à fait ! Ce serait bien long de tout vous expliquer et… je n’ai guère de temps.

- Qui sait ? Peut-être un jour, si vous venez à Manille ? Voici ma carte, dit-il sortant le petit morceau de carton de son portefeuille. Je vis la photo de son épouse, et je me démontrais attentif. Il me tendit son portefeuille.

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- Eh bien mon vieux ! C’est une perle du pacifique ! Mettez-la à l’abri, dans un bel écrin.

- Ce n’est pas utile, mon Capitaine. On peut domestiquer un animal sauvage, sans pour autant, l’enfermer dans une cage. Je fais ça, depuis mon plus jeune âge, vivant dans ces contrées où, l’homme et l’animal se côtoient naturellement. Je me fis quelques amis fidèles, dit-il en riant.

Il était bien, ce petit ! Le Sergent Ravanatorana me regarda, en se frottant l’arrière train.

- Vous, c’est sûr, avoir fait du foot, mon Capitaine, dit-il en grimaçant.

08: 00.

Je rompis le silence radio, avisant très brièvement l’annexe, que la plage était sous contrôle. Très vite, elle vint enfoncer son étrave dans le sable. Les chaloupes furent tirées au plus près de la plage, sous la surveillance de deux de mes hommes en armes, car les requins, savent venir vous happer une jambe, dans une eau peu

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profonde. Les barils par nombre de trois, se virent chargés sur des sortes de traineaux en bambous, construis avec une étonnante dextérité, par les Philippins. Toute la journée, nous fîmes des allées et retour, du point d’eau à la plage, trainant sous la pluie, en torses nus, près de six cent litre d’eau chaque fois. Le sol ne nous aidait pas ! Mais l’ingéniosité de nos amis nous ébahissait ! Ils utilisèrent des rouleaux en bois. Le plus délicat consistait à sortir ces barils, de cette jungle. Alors, ils fabriquèrent de longues perches, dans du bois solide, les reliant entre elles avec des lianes, comme un immense brancard. Le baril remplit, était roulé sur les lianes tressées, et dix hommes de chaque côté, le portaient sur leurs épaules. Ils avaient en un rien de temps, ouvert une piste assez large, permettant le passage de cet étrange convoi. En moins de dix heures, notre cargaison d’eau potable, fut chargée et bien amarrée sur les chaloupes, qui pouvaient en contenir dix. Les six dernières, se virent embarquées sur l’annexe. 7.400 litres d’eau pure ! Il y aurait de quoi tenir encore quelques semaines. Après…

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- J’ai les bras fourbus, dit un soldat de mon stick, à l’un de ses collègues. La peau de mes jambes est fripée comme celle d’une grand-mère. J’ai été sucé à mort, par les sangsues, j’ai des ampoules aux mains, à force de pomper. Il jeta la pompe sur le pont de l’annexe, avec un air dégouté. Plus tard, je me souvins de lui, en regardant les Shadocks, ne pouvant retenir mon fou rire ! « Et ces pauvres bêtes, pompaient, pompaient »…

Un dernier adieu sur la plage, non sans une pointe de regret, de devoir se quitter ainsi et, l’on reprit la direction de l’îlot 4436. Il était 19 :00 à la pendule du kiosque de l’annexe. Cette semi-remorque des mers, devait se prémunir de toutes secousses intempestives. Par bonheur, malgré la pluie, la mer était calme. Les puissants moteurs de l’embarcation, ne peinaient pas, en tractant notre précieuse cargaison. Mais par bonheur aussi, avions-nous un excellent pilote en la personne du Lieutenant Sotis. Je me trouvais un petit coin à l’abri, m’étendant à même le sol. Quelques secondes durant lesquelles, je pensais à tout ce que nous venions de vivre, les images s’embrouillant, car simultanément,

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se bousculèrent au-devant de la scène, d’autres souvenirs plus amers. Je venais de m’endormir, comme un morceau de plomb. Ce n’était, que mauvais rêves…

8 mars 1972, 09 :45

Home, sweet home ! Pendant que les grues de charges transféraient notre cargaison à bord, je me rendis immédiatement rendre des comptes au Commandant, qui ne semblait pas avoir quitté la passerelle, depuis notre départ.

- Je commençais vraiment à me faire un sang d’encre, Max, me dit-il, tout en me serrant la main chaudement.

- Ce ne fut pas une partie de plaisir, avec ce chargement instable, sur ces chaloupes, Commandant, répondis-je, lui relatant notre périple.

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- Eh bien ! Déjà sommes-nous sûr d’une chose, les chinois, ne sont pas entièrement maîtres de ces eaux.

- Et Bernard ?

- Bernard, s’en est tiré sans encombre. Vous le connaissez bien, n’est-ce pas ? Il a fallu qu’il se rende plus loin.

- Et ?

- Eh bien, il a eu de la chance, de ne pas se faire repérer par leurs radars à longues portées. Mais je dois avouer, que ce fou furieux, en a où je pense. Sa… psychologie d’aventurier, prêt à tout pour surpasser des limites, dont il ne peut encore voir la ligne de démarcation imaginaire, s’avère très acuminée, à la recherche et à la compréhension, du plus infime détail, je dois le reconnaitre. Ces… « gens-là », comme il dit avec mépris, pèchent par orgueil ! Ce qui les rend vulnérables.

- Vous optez… pour son plan, si je vous suis bien.

- En auriez-vous un meilleur, Max ?

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- Absolument pas, Commandant ! Je suis peut-être, un peu moins fou que lui ! Juste un tout petit peu moins ! Mais je me sens très excité à l’idée, de donner une bonne leçon à ces prétentieux de chinois. Dommage que cette humiliation, ne figurera jamais en bonne place, dans les livres d’histoire ?

- Vous postulez pour la gloire, Max ?

- J’étais sarcastique, Commandant ! Vous ne l’aviez pas compris ?

- Hum ! C’est bien vous, ça ! Et puis maintenant, le voudrais-je ? Je ne pourrais plus revenir en arrière. Pendant votre absence, les choses ont bien évoluées. Nos amis américains, mettent à notre disposition deux appareils d’observations, dotés d’un matériel très sophistiqué. Ils sont basés à Hawaï. Nous serons informés à la seconde près, de la progression des navires ennemis. C’est tout ce qu’ils peuvent faire !

- C’est déjà bien, Commandant ! C’était l’un de mes soucis ! Comment allions-nous savoir où ils sont ! Et pour le ravitaillement ?

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- Les évènements, nous ont contraints à anticiper. Nous avions rendez-vous en mer, avec un ravitailleur américain. J’ai bien été obligé de le décommander. Nous verrons ça, après… cette opération. Je pense, que nous ferons escale au Viêt-Nam.

- Les… navires ennemis…

- Nommons les, « Bandit », décida le Commandant.

- Bandits, doivent s’apprêter à appareiller. Ils seront faciles à suivre à la trace !

- Il leur faudra trois, peut-être quatre jours de mer, pour atteindre Hainan. Ils ne prendraient pas le risque absurde, de longer au départ de leur port, la côte chinoise, au Nord de Taiwan, pour pénétrer dans le golfe du Tonkin. Ils se feraient très vite remarquer. Alors, selon moi, ils vont naviguer plein Sud, comme s’ils avaient l’intention de se rendre en direction de la mer des Célèbes. Puis ils bifurqueront à l’Ouest, nous arrivant dessus, en longeant la côte Sud de Taiwan. Selon les rapports de l’Amirauté du Pacifique Sud, le seul port, qui soit à même, de recevoir cette cargaison, et de permettre son stockage et,

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plus tard, sa livraison, c’est Dong fang ! Ce port, se situe sur la côte Ouest de Hainan. De là, des embarcations tout à fait anodines, du genre boutres et sampans, peuvent très aisément se rendre à Cam Pha, déposer leurs cargaisons. Et… ni vu ni connu, je t’embrouille ! Ils sont laborieux comme des fourmis, ces Asiatiques, Max ! Chez eux, l’impatience est un défaut, voire un péché mortel. Ils vont apprendre à leur dépend, que parfois, ce peut être une qualité. Un sacré coup de pied, dans cette fourmilière ! Ca va grouiller de toute part, et souhaitons-le, dans un désordre et, une panique indescriptible.

- Nous ne pouvons savoir, de quelle armada ils disposent, pour assurer la protection de ce port.

- Certes ! En regardant la carte des fonds marins, de cette partie de l’île, si destroyers il y a, ils devront se tenir à distance du port. Leurs jauges sont trop importantes. Ils patrouilleront en haute mer. Le plus pratique pour eux, c’est leurs tueurs de sous-marins. Leurs vedettes rapides ! Voyons l’astuce, que l’adjoint de Bernard à mise au point. C’est une

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expérimentation, qui selon l’avis de James Lewis, devrait fonctionner à merveille. C’est plus performant, que les feuilles d’aluminium.

- Hum ! Que de choses, me rendent perplexes, Commandant.

- Quoi donc, Max ?

- Eh bien… Depuis quand les chinois, éprouvent-il un quelconque besoin d’aide extérieure, pour ce qui est de l’industrie de l’armement ? Et surtout, de l’aide de la Corée du Nord ?

- Je suis tenté de penser, que c’est une sorte de provocation, de la part de la Corée du Nord. Un pied de nez, aux américains. Vous pensez bien, que les chinois, sautent sur l’occasion ? Et les russes eux, ils se pourraient très bien, qu’ils voient cette alliance, Sino-coréenne, comme un danger, pour leurs intérêts. Cette vision très personnelle, expliquerait très certainement leur comportement, depuis le début de cette affaire. Et puis, pour revenir à la Corée du Nord, c’est aussi une façon de dire, « nous sommes là, nous existons et nous avons notre mot à dire », dans la

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continuité des vues hégémoniques, du régime Nord-Coréen. Un message ! « Si la situation s’envenime, ne nous oubliez pas » ! disent-ils ainsi aux chinois. Et il est hélas à prévoir, que la situation, s’envenimera tôt ou tard. Il n’y a aucun règlement pacifique, qui soit envisageable, entre les deux Corées. Ceux qui pensent le contraire, se sont les pacifistes, et les doux rêveurs.

- Oui ! Cette planète, ne connaitra jamais un seul instant de paix, hélas. Je suis épuisé ! Si vous permettez Commandant, j’aimerai bien aller rassurer ma femme, prendre un bon bain, manger et surtout… dormir ! Au fait ? Qu’est-il arrivé aux cuves ?

- L’agent de la Stasi, a réussi l’exploit, de dévier une canalisation d’eau croupie, pour qu’elle aille se déverser dans les cuves d’eau potable. Nous l’avons découvert, en vidant ces cuves, pour en purifier l’eau restante. Pas mal, hein ?

- Il nous empoisonnait !

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- Disons, qu’il nous rendait malades ? Une façon comme une autre, d’affaiblir nos moyens.

- Pas mal joué, en effet, dis-je, avec une expression d’écœurement. Oui ! Nous avons vraiment beaucoup à apprendre des autres. Durant ce périple, question connaissances, j’ai été servi !

10: 30.

Je me rendis à l’infirmerie d’un pas pressé, malgré l’immense fatigue, une barbe de deux jours, et mes vêtements qui n’avaient ce nom, que du fait qu’ils me recouvraient. Je n’eus pas le temps de voir tous ces détails, comme étant un repoussoir. Jackkie faillit lâcher au sol, le haricot servant aux pansements, qu’elle tenait en mains, le posant sur un chariot roulant, avant de se précipiter entre mes bras.

- Oh mon Dieu Max… murmura-t-elle, son front contre ma poitrine. J’ai eue si peur… parvint-elle péniblement à ajouter.

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- C’est fini, c’est fini. tentais-je de l’apaiser. Mais sans même plus accorder la moindre attention à l’environnement, elle m’embrassa fougueusement, au centre de cette grande salle de soins, sous les regards encore fiévreux des blessés, et malades.

- Eh bien, eh bien, entendis-je la voix gouailleuse de Soumaya. Voici notre marchand d’eau, revenu au bercail ? Carroll accourut également, un large sourire de joie aux lèvres.

- On était toutes trois très inquiètes, dit-elle, m’embrassant sur les joues. Oh pardon Jackkie, s’excusa-t-elle. Ce fut plus fort que moi !

- N’en fais pas une habitude, répondit-elle, en riant.

- Ce fut éprouvant, à voir l’état dans lequel tu es, dit Soumaya, venant prendre la place de Jackkie, entre mes bras. Je… Je ne sais plus, à quel saint me vouer, comme vous le dites, les chrétiens. Maintenant, c’est mon tour, de connaitre les affres de la peur, me murmura-t-elle.

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- Je te comprends, répondis-je, la serrant tendrement. Mais tu vas devoir surmonter cette épreuve avec courage, comme tu l’as toujours fait.

- Je ne vois pas, ce que je pourrais faire d’autre, dit-elle, à voix basse.

Jackkie et Carroll se rapprochèrent, fermant leurs bras autour de nos épaules, conservant le silence, pour donner plus de force, à cette harmonie des cœurs.

- Je reste avec Soumaya, se proposa Carroll. Tu peux aller avec ton mari, Jackkie.

- Oui, dit Soumaya. Nous n’avons plus besoin de toi à présent, que les pansements sont finis. Pour voir la tête de cochon de Fuller, tu as mieux à faire. Enlève ta blouse et file d’ici. J’ai deux élèves de grands talents, tu sais Max ? Heureusement ! Ce sera utile !

- J’espère que non ! répondis-je, sachant que ce souhait, avait peu de chance d’être entendu du ciel.

Enfin, notre cabine ! Je pris une bonne douche, avec une eau pas très ragoutante il

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est vrai. Je pensais à Schtröbe. Il avait une sacrée chance, celui-là, que les américains tenaient à le conserver au frais. « Crapule » ! pensais-je. Jackkie qui s’était laissée convaincre sans trop se faire prier par Soumaya, il est vrai, tant elle était soulagée, s’affairait devant le petit coin cuisine. Pendant que je me décrassais, je sentis la bonne odeur du café, et cela me rendit une seconde vie. Subitement, ma fatigue s’envola. Une serviette autour des hanches, je me rasais en sifflotant.

- Qu’est-ce qui te rend aussi rayonnant, dit Jackkie, entourant ses bras autour de mes hanches, posant sa tête sur mon dos.

- Toi !

- Si tu voyais ton dos ! s’écria-t-elle, horrifiée. Tu es marqué, comme si tu avais reçu des coups de fouets. Et tes épaules, Seigneur Jésus ! Ces bleus, ces brulures !

- Les joies du camping, dis-je, essayant de dédramatiser la vision de ces vilaines traces, qui marquaient mon corps. Tu m’aimes comme je suis ?

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Elle ne répondit pas, embrassant du bout des lèvres, tous les points lésés de ma chair.

- C’est plus délicieux que les mots, dis-je.

- Viens boire ton café, gourmand que tu es, répondit-elle, en minaudant, sortant de la petite salle de bain, me regardant par-dessus son épaule, un large sourire un peu coquin aux lèvres. Je t’ai sorti un uniforme propre. J’espère qu’ils ne vont pas encore t’envoyer je ne sais où, pour chercher je ne sais quoi. Car il faut que je lave ces… ces torchons, avant qu’ils ne durcissent, et n’entrent plus dans la machine à laver, sans que je sois tenue de les casser à la masse. Tu me montreras cette île paradisiaque sur la carte, que je l’évite, hein ?

- Je crois qu’en te voyant si belle, dans cette blouse blanche, j’ai immédiatement oublié sa situation géographique. Je n’avais que toi en tête.

- Menteur ! dit-elle en riant, servant les cafés, accompagnés de petits pains beurrés. Je suis certaine que cette île, était occupée par toute une armée d’amazones,

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toutes aussi belles, les unes que les autres, et que tu succombas, sous leurs charmes.

- Je ne suis ni Ulysse, ni encore moins, Hercule !

- Bernard pense le contraire, pour ce qui est, d’Hercule, dit-elle sombrement.

- Ah bon ? Qu’as-tu encore arrachée, des lèvres bavardes, de notre brave Soumaya ?

- Qu’il ne conçoit pas, l’opération qu’il aura à accomplir, sans que tu en sois. Que veut-il au juste ? Me faire perdre patience ?

- Je ne vois pas trop, en quoi je pourrais lui être utile. Je ne connais absolument rien, au maniement des instruments de bord du submersible, ni encore moins, à la plongée sous-marine.

- Tu ne comprends pas ? Ton ami, ne supporte pas vraiment, que tu ne suives pas ses traces et sa façon de penser. Avec moi, tu te démontres tendre, attentionné. Tu es un mari… au sens le plus pur du mot et cela, malgré les impératifs de ton service. Quel mauvais exemple, tu donnes !

- Aux yeux de Soumaya ?

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- Voilà ! Tu le sais, n’est-ce pas ? Il me remémore mon père parfois. Ma mère en souffrit longtemps, de cette attitude distante, qu’il affichait envers elle, en toutes circonstances. Ce sont des hommes orgueilleux et cyniques, qui jugent que leur devoir est accompli, parce qu’ils travaillent durs, pour apporter l’opulence. Et encore, je me demande si ce n’est pas une recherche personnelle, d’atteindre la gloire et la puissance. Oui ! C’est l’incarnation, la matérialisation palpable, de l’égoïsme. Ne mets pas en épigraphe, les souffrances endurées au cours de votre enfance. Je te connais maintenant. Tu es toujours en train de chercher des excuses aux gens. Je ne dis pas, qu’il soit mauvais ! Il est possessif, jaloux. Ce qui le rend idiot ! Pourtant le paradoxe réside dans le fait, qu’il est loin de l’être, démonstration est faite ! Alors, il me perturbe !

- Ne te fais aucun souci. Tu ne le connais pas encore aussi bien, que je le connais. Il te teste !

- A moi ? s’écria-t-elle, avant de froncer les sourcils, et d’éclater d’un rire franc. Il veut que je sorte de mes gongs ? Il aurait tort,

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de me pousser, dit-elle, avec une expression furibonde.

- C’est un joueur de poker, dis-je, ne pouvant m’empêcher de rire. Un bluffeur né ! Il veut voir jusqu’où tu seras capable d’aller ! Alors ! Il se sert de Soumaya, dont il connait la proverbiale indiscrétion. Attention ! Elle n’est ainsi, qu’avec ceux qu’elle aime. Tiens ! L’épisode du pirate !

- Celui que tu as retourné comme une crêpe, et avec qui, tu voulais que je rejoigne la terre ferme ! Oui ? Et alors ?

- Jamais il n’aurait dû, très logiquement, en parler avec Soumaya. Mais il savait que j’éprouvais quelques remords, de ne pas t’avoir convaincue de partir.

- En me le faisant savoir par l’intermédiaire de sa femme… Oh ! Le sagouin ! J’allais non seulement t’en parler, mais aussi, te réaffirmer fermement ma conviction, t’ôtant ainsi, les derniers remords que tu pouvais cultiver. Ce qui était en tous points bénéfique, à l’accomplissement de ta tâche quotidienne, c’est bien ça ?

- Bingo ! Maintenant, tu connais mieux la complexité du personnage ! Si quelqu’un

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t’affronte yeux dans les yeux, pour te donner un conseil, même judicieux, et que tu n’es pas en état d’esprit de l’entendre et, surtout de mettre en pratique ce conseil, tu vas fermer tes oreilles. Mais si la voix de la raison, te provient de derrière un paravent ? C’est étrange, mais tu vas en capter chacun des mots. Mieux encore ! Intrigué, tu vas tendre l’oreille !

- Même si tu reconnais, le timbre particulier de cette voix ?

- Pardi ! Yeux dans les yeux, tu vas te servir de tes arguments, qui vont à l’encontre du conseil donné. De ce fait, tu génères une interférence, à ta propre faculté d’évaluation des choses. Si la voix vient d’ailleurs, ne t’accordant que le choix d’écouter, avant de se taire et de laisser place au silence ? Les mots vont porter ! Car te voici directement confronté avec la réflexion. La pensée profonde que nul ne perturbe. C’est une méthode drastique, pour éveiller la conscience en hibernation. Bernard sait bien utiliser ces modules psychologiques. Il sait pertinemment, que le Commandant, ne donnerait jamais son

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consentement, à ce que j’embarque sur le Seehund.

- Mais que veut-il savoir ainsi, par le Diable ?

- Oh ! Tout simplement, si tu m’aimes ! Ne te fais aucune illusion ! Depuis lors, il t’observe très attentivement. Et si tu lui filais ta main sur la gueule ? Il serait aux anges ! Il aurait une réponse… percutante certes ! Mais il l’aurait sa réponse, aux questions qu’il se pose.

- Mais pourquoi agir ainsi, voyons ? Ne peut-il pas me le demander ? Et puis… Zut ! J’avais la possibilité de partir… il ne comprend pas ?

- Oui ! C’est un suspicieux ! Mais demander ? Ah non ! Ce n’est plus du tout amusant, s’il demande ! Il y a ce côté un peu obscur, qu’ont ceux, qui ont l’amour du jeu. Pourquoi ? Parce qu’il me vit souffrir.

- Pour Nelly ?

- Non !

- Oh ! Oui, je comprends. Pour Viviane, pas vrai ?

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- Il m’a maintenu à flot, car je me serais noyé sinon. J’ai plongé dans tous les vices de la création, après avoir satisfait à mon examen du baccalauréat. Les filles et surtout, celles que l’on paye, pour assouvir un besoin humain sans amour. L’alcool, l’abandon total, de toutes perspectives d’avenir. En fait, ne me demande même pas, comment cela fut possible, que je réussisse mes examens. Je ne le sais pas moi-même ! Il m’a indirectement botté les fesses. Il s’est engagé dans l’armée, sachant que je me sentais perdu, comme un nouveau-né, que sa mère vient de déposer une nuit d’hiver glaciale, devant le parvis d’une église. Ma mère venait de divorcer de mon beau père, que j’ai appelé « papa », depuis l’âge de six ans. Elle travaillait la nuit, j’étais totalement livré à moi-même. C’est de là, que proviennent mes insomnies.

- Il savait, que tu allais faire de même. Le suivre ! Je vois !

- Je… En passant cet uniforme, pour la toute première fois, quelque chose, m’est apparue soudainement évident. La vie, m’offrait une seconde chance. Pas celle d’oublier, non ! Il ne faut pas trop en

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demander à la vie. Mais celle de construire, plutôt que de tout faire pour me détruire. D’un coup, je me suis souvenu que j’existais ! Et qu’existant, je me devais, d’aller toujours plus loin, pour prouver au monde entier, que cette existence, avait un sens. Je crois, que c’est exactement ce que Viviane aurait voulue. C’était ce qu’elle me disait avec ses mots, trois jours avant sa mort. Je ne le compris pas ! J’étais révolté, contre le monde entier, et particulièrement, contre moi-même !

- Tu l’as suivi, guère convaincu, que là était ta voie, si je comprends bien ?

- Très certainement, oui ! Nous en parlions depuis longtemps, de nous engager. Mais… Je me souviens de la toute première nuit, de mon incorporation. Il y avait, deux grandes baies vitrées, dans la chambrée. Elles donnaient sur une immense esplanade où, paradaient les élèves. Elles étaient situées, au premier étage de la brigade d’accueil, juste en face du foyer troupe. Le juke-box diffusait « Eloïse », de Barry white. Je ne pouvais dormir ! Mis à part la musique d’en face, mes oreilles bourdonnaient de ce silence, seulement

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entrecoupé de quelques ronflements, car tous dormaient du sommeil du juste. Nous avions été avisés, que la journée suivante, serait très éprouvante. Non ! Ces… bourdonnements dans mes oreilles, étaient exhortés, par mes tous premiers instants de véritable paix, et cela, ne m’était plus arrivé depuis fort longtemps. C’était cette paix, qui distinctement, envahissait tout mon être. Je fumais debout devant la fenêtre, et je regardais les soldats emmitouflés dans leurs capotes militaires, car nous étions en février et, il faisait froid. Ils riaient, se chamaillaient comme des gosses, en jouant à la bataille de boules de neige. Ils profitaient pleinement de leur jeunesse. Je ne savais plus, me comporter ainsi. J’avais… vieillis trop prématurément. J’ai passé toute la nuit, debout devant cette fenêtre. Le matin, l’Officier est entré ! Je m’étais rendu me laver, me raser, pour occuper le temps, et me revigorer, de cette nuit sans sommeil. Il crut que j’étais le premier debout. Il me félicita, me nommant chef de chambre ! Je l’ai regardé surpris, et je lui ai dit la vérité. Que je n’avais pas dormi de la nuit. Il m’a dit :

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« Tu vois mon gars ? Tu viens de gagner un tour de manège gratuit ! Les hommes qui ne dorment pas ? Ce n’est autre, qu’ils pensent ! Et un homme qui pense, plutôt que de se laisser aller à l’insouciance ? Moi ! J’en fais un bon officier ! Je maintiens ce que j’ai décidé. Tu seras chef de chambre » ! Voici comment, je revins à la vie. La rigueur, la discipline école, le besoin de compétition qui mène à se surpasser, tout cela contribua.

- Je… Je ne voyais pas les choses ainsi, dit Jackkie, serrant mon visage contre sa poitrine, avec une infinie tendresse. Maintenant, je me sens rassurée.

- Bon ! J’en suis heureux. Bernard est ainsi fait ! Voilà la raison pour laquelle, il se sent tel un poisson dans l’eau, dans le renseignement. Il lui est permis de tout mettre en œuvre, en utilisant optimalement ce trait de caractère, qui n’est pas simple à comprendre.

- Oui ! Mais ceci, n’explique pas tout. Soumaya en souffre de… ce trait de caractère. Il serait peut-être temps, que tu vides ton sac, avec lui ? Qu’à ton tour, tu le reconduises sur le bon chemin.

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- Hum ! Je m’y emploi, Jackkie. Chaque jour, je m’y emploi. Mais il est des êtres, que rien ne sert de les brusquer. Alors, j’attends que le soleil soit à son zénith, qu’il fasse très chaud, pour diluer dans de l’eau citronnée bien fraiche, les mots qui portent. C’est le seul moyen, pour qu’il avale d’un trait. Nous allons avoir un peu de temps, maintenant. Demain, je lui parlerai.

- Tomorrow does not exist, because, it’s always today…6 me répondit ma femme, dans sa langue natale.

6- Demain n’existe pas, parce que, c’est toujours aujourd’hui.

17: 30.

Ces quelques heures de repos, furent amplement suffisantes. La tête me tournant encore un peu, car j’avais souffert du mal de terre, je me rendis en poupe. Jackkie m’avait laissé dormir. J’avais trouvé un petit mot sur le bureau, me disant :

« Mon amour, je suis à l’infirmerie, pour aider aux soins du soir. All my love ».

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Elle prenait son travail très à cœur. J’ai souris et j’ai repris le chemin du dur labeur. Le Seehund, était amarré à bâbord, entre le navire et l’îlot. Bernard, debout près du trou d’homme, penchant la tête à l’intérieur, s’adressait à l’un de ses équipiers, que je ne pouvais voir. La visière de la casquette sur le front, il ne semblait plus du tout se soucier de la pluie, qui tombait encore à verse.

- Tu prends ton temps, hein ! dit-il à ce technicien. Ces batteries, tu me les bichonnes.

- Un problème ? Lançais-je du haut du bastingage.

- Ah ! Tu te lèves, quand les autres ne vont plus tarder à aller se coucher, répondit-il, levant les yeux vers moi. J’ai bu, un bon verre d’eau fraiche, à ta santé !

- Bah ! C’est un coup à rouiller ton cœur d’acier ! Tu as un blême ?

- Non ! Mais descend, ne me fais pas lever la tête, et la voix !

Je pris l’échelle de coupée, me rendant le rejoindre.

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- Ne va pas glisser hein ? Ce pont est une véritable savonnette.

Je remontais très haut, le col de mon ciré noir, venant me placer à sa droite.

- Je fais changer les batteries, et en rajouter d’autres. Tu as morflé ?

- Tu parles ! J’ai eu la frousse de ma vie, en voyant ces gens ! Ils étaient chinois ! Enfin ! D’origine ! Mais imagines-toi dans la nuit noire, tombant nez à nez, avec un petit homme jaune, qui te crie, « je suis de père Malgache » ! Tu le croirais toi ?

- Qu’aurais-tu fait, s’ils avaient vraiment été chinois ?

- Je ne sais pas ! Je présume…

- Hum ! Ne te pose pas la question. Tu n’as pas eu à le faire. Si tu te poses trop la question, tu vas en faire des cauchemars. Tu n’es pas venu prendre une douche, sur le pont de ce sous-marin, pas vrai ? dit-il secouant sa casquette pour en chasser les perles de pluie, qui dégoulinaient sur la visière.

- Non ! L’eau, j’en ai soupé ! Tu seras prêt ?

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- Tu ne viens pas, directement au but ! Tu veux savoir si tout fonctionneras comme je l’imagine ?

- Tu as tout potassé, j’en suis plus qu’assuré.

- Tout en détail ! Les cartes marines, les plans de ce foutu engin, que j’ai scanné dans ma mémoire. J’ai passé en revue l’armement, les explosifs, les détonateurs, la classification des charges, pour créer l’effet espéré. La bouffe ! Je n’attendais plus que l’eau ! Ces foutues batteries, trop faibles pour accomplir le voyage allé et retour, malgré que Klein ait complètement transformé les alternateurs de charge. Alors, nous allons amener des batteries neuves, que nous devrons remplacer en plongé. Une partie de plaisir, compte tenu, que nous partirons à six. Les bouteilles d’oxygène réservées à l’opération par elle-même, et celles, que nous emporterons en plus, pour le cas que nous devrions rester planqués, sur un banc sablonneux, au fond de cet océan, moteurs en bernes…

- Explique ?

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- Nous couperons le moteur ! L’air va très vite se raréfier, malgré que l’oxygène, soit le principe fondamental, du fonctionnement de ce moteur diesel.

- Oh ! Je vois ! Si vous étiez pris en chasse et…

- Grenadés ! Tu peux le dire ! Mais j’espère éviter cette perspective peu attrayante, dont je dois tenir compte, pour mener à bien cette opération, sans qu’elle ne se finisse par un drame. Si tu éprouves le désir de voir de près, les espèces vivantes, qui peuplent cette mer, je libère une place pour toi ?

- C’est à ce sujet, que je suis venu finir de me rincer… sous cette averse.

- Ah !

- Jackkie, ce n’est ni Soumaya, ni encore moins Nelly ! dis-je assez brutalement. Elle ne te connait pas ! Si tu veux un bon conseil, ne t’en fait pas une ennemie farouche. C’est… un être d’une extrême sensibilité.

- Nell, était dépourvue de… sensibilité ?

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- Pas le moins du monde ! Je répète, car tu ne sembles pas avoir compris. Jackkie, n’est pas Nell. C’est une fille, au courage exceptionnel, Ber.

- Elle aurait très bien pu profiter de l’aubaine que tu lui offrais, pour se tirer de là, en effet ! J’ai parfaitement compris ça. Je l’admire beaucoup, pour ce… cette abnégation de sa personne.

- Voilà ! Tu le sais mieux que quiconque. Alors, arrête de lui foutre la frousse. C’est d’encouragements, dont elle a le plus besoin. Ce n’est plus l’instant propice, pour ce jeu que tu affectionnes. Dans quelques jours, six, une semaine au plus, soit nous filerons d’ici, avec la certitude d’avoir accomplis quelque chose, qui s’impose aux yeux de certains. Ou alors, nous serons tous morts. Alors ! Profitons sereinement du temps qui nous reste, veux-tu ? Elle est follement amoureuse de moi. Elle m’apporte, un réconfort moral, qui malgré l’imprécision de ce qui se profile à l’horizon, me donne la force et l’imagination. Elle m’inspire ! C’est suffisant ?

- Amplement !

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Visiblement, il n’était pas à la fête. Je m’attendais à ce qu’il pétarade, mais j’en fus pour mes frais. Il écouta stoïquement.

- Bien ! Si tu as besoin de moi, pour t’aider dans tes préparatifs, ce sera volontiers, que je t’apporterais mon soutien. Tu comptes venir souper ?

- Quand j’en aurai terminé ici, répondit-il, en me regardant droit dans les yeux. La turbine à réflexion, tournaient à merveille ! Pas le plus infime grincement, des ailettes de ventilation…

- Bien ! Je vais à l’infirmerie, avant d’entamer ma tournée d’inspection. As-tu un message à transmettre ?

- Non !

- Bah ! Je serais toi, je réfléchirais, avant de répondre.

- C’est ça, petit malin ! Dis à Soumaya, que je ne serais pas en retard !

- Ok ! Le retard, ne se rattrape plus, Bernard. Et une semaine ? Tu as déjà vu, des quantités d’étoiles filantes, n’est-ce

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pas ? Je ne te ferais pas un dessin ! A tout à l’heure !

Je le laissais planté là, l’entendant jurer après cette satanée pluie. Mais j’étais persuadé, qu’il se maudissait lui-même ! Je crois que j’ai souris, assez diaboliquement, si mes souvenirs sont bons !

18 :30.

Il était l’heure des repas. Les patients qui pouvaient se mouvoir, soupaient assis, autour d’un grand panneau de bois peint en vert, posé sur trépieds amovibles, qui sitôt le repas terminé, se voyaient rangés. Les autres, Carroll et Jackkie, s’évertuaient à les alimenter. C’était assez touchant à voir, la façon dont elles avaient fait abstraction de leurs rancœurs personnelles, envers ces hommes, à qui elles devaient tout de même, pas mal de déboires. « Qu’allons-nous en faire », songeais-je, sans pour autant trouver réponse à cette question lancinante.

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- Max ! m’accueillit Jackkie, très préoccupée par l’état de son patient. Veux-tu m’aider à le remonter un peu plus sur son oreiller ? Il s’étouffe, précisa-t-elle.

Je remarquais la trachéotomie, et la sonde, qui en sortait.

- Poumons brûlés par l’incendie, me dit-elle. Le feu le ronge de l’intérieur. C’est effrayant, non ? Il n’y a que ses yeux, qui s’expriment. J’ai parfois l’impression qu’il me demande de tout débrancher. Il est jeune, bon Dieu !

- Oui ! Qu’en dit Fuller ?

- La couleuvre, comme tu l’as si bien nommé ? Il le regarde ! Il semble totalement dépassé ! Heureusement, que Soumaya était là ! C’est elle, qui lui a pratiquée cette trachéotomie, et qui l’a intubée. Ce cher Fuller a mis du temps, pour se rendre compte, que le gars se mourrait. Le cœur est solide, hélas !

- Hum ! Je ne sais que dire ! Avoir les mots justes en de telles circonstances, ce n’est donné qu’à ceux, qui détiennent la connaissance. Il en est, qui diraient, laissons faire la divine providence ? Je ne

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crois pas que lui, pense de même ! Il doit se demander ce qu’il lui fit, à la divine providence, pour en être là.

- Il a péché, diraient les bigauts ! Il mérite un juste châtiment !

- Juste châtiment ! Le juste châtiment, serait de le réexpédier sur ses jambes, vers la misère d’où il tenta de se soustraire. J’en arrive à comprendre, que des hommes acculés par la souffrance, s’écartent d’une trajectoire, que nous leur imposons, par la crainte divine ou… celle du bâton ! Ni l’une ni l’autre, ne nourrissent. Qu’existe-t-il de plus important, que de tout simplement parvenir, à manger à sa faim tous les jours. Je les regarde tous, alités là, et je vois des ombres humaines. Des squelettes, avec la faculté de penser, qui doivent foncièrement nous haïr, car nous leur semblons, des conquérants d’un autre monde, capable d’affronter le pire. Des êtres supérieurs ! Nous n’avons pas vaincu le nazisme, Jackkie ! Nous avons fait taire Hitler à tout jamais ! Mais pas le fondamental de son idéologie. Il a été récupéré, humanisé, si j’ose dire. Aujourd’hui, ce ne sont plus les douches et le cyclons B, qui font des

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millions de victimes. C’est l’économie mondiale ! Une solution finale, à plus grande échelle.

- Ne te fais surtout pas, entendre dire de telles choses, me murmura-t-elle, adoptant un air suspicieux et apeurée. On va te taxer d’idées communistes !

- Oui ? Ma foi ! Nous sommes tous bourrés de paradoxes. Non ! Le réalisme de ce que mes yeux voient, m’effraye, Jackkie. Le réalisme, va à l’encontre des idées. Tout être humain normalement constitué, se questionne, éprouve des doutes, souvent même, des instants de révoltes. C’est ainsi, que nous influons chacun à notre propre dimension, sur les injustices, motivant l’évolution vers le meilleur. Ceux qui se contingentent dans une idéologie, rendant leurs esprits hermétiques, à toutes logiques extérieures, et se complaisent dans leurs visions restreintes, se cloitrant eux-mêmes, dans une prison aux murs si épais, que le son de leurs voix, est étouffé, se croient libres de penser ? Libres de s’exprimer ? Ce ne sont que des moutons de panurge, qui suivent une mouvance d’idées. Ils sont exploitables à souhait, par des gens qui

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eux, seraient prêts à vendre leurs âmes, pour détenir le pouvoir, la richesse et la gloire éternelle, afin de figurer en bonnes pages, d’un livre d’histoire. Le pauvre bougre, ne rêve pas souvent, de laisser une quelconque trace de son passage sur terre. Si toutefois il cultive cette prétention, il se servira d’un encrier et d’une plume, pour fixer un récit sur du papier. Les puissants eux, ont une armée de scribes, qui écrivent les plus atroces pages de l’histoire de ce monde, avec le sang des inconscients.

- Un sacré coup de pied, dans les fesses du militantisme, ne trouves-tu pas, chéri, approuva Jackkie en riant.

- Tu tiens le résultat des affrontements des idées entre tes bras, chérie. Et tu sais le plus terrifiant de l’histoire ? C’est que nous jugeons, que c’est inévitable pour la survie de l’humanité. Enfin ! De celle que nous privilégions, par rapport à toutes autres, toutefois ! Il ne peut exister pire prédateur de l’homme, que l’homme ! C’est toi, qui avais raison !

- Ce n’est plus le… soldat, qui parle là, mon amour.

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- Eh bien tu vois ? Tout change ! Tout est en perpétuel mouvement, dans cet univers, Jackkie ! Je tire enseignements, du vécu. Pas essentiellement de ce que l’on m’inculque. J’ai des oreilles ? J’entends ! J’ai des yeux ? Je vois ! J’ai un cerveau ? Il est fait pour que je pense ! C’est le mien, pas celui d’un autre !

Le blessé étendu, me regarda avec gravité. Puis il avança la main. J’ai marqué un court instant d’hésitation. Ce n’était pas, de la réticence. Je ne saisissais pas encore très bien, la profondeur de son geste. Mais je lui pris la main. C’est alors, qu’il m’adressa un sourire grimaçant de douleur. Ses aisselles étaient brûlées au troisième degré. Je reposais sa main sur le drap, alors que Jackkie émue, fondit en larmes. Elle s’écarta vivement du lit, tenant son visage entre ses mains tremblantes. Je vins la prendre entre mes bras, me collant à elle dans son dos.

- Je sais, pourquoi je t’aime et je ressens s’affermir en moi, de jour en jour, cette passion qui nous unit, Max, dit-elle, séchant ses larmes. Crois-tu qu’il puisse nous arriver, ce qui arriva à mes parents, et à

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bien d’autres, avec les influences néfastes du temps ?

- L’amour ? Nombreux sont ceux, qui font la comparaison, avec un fleuve tumultueux, Jackkie. Mais tout part de la source. Si son eau est claire et pure ? Peu importe, les remous du fleuve. Nous devons veiller sur elle, et nous y désaltérer, prenant soin, de ne jamais la polluer. Cela demande un entretient permanent. Oublions les exemples que nous avons en mémoire. Ces pauvres gens, s’écartèrent de la source, ou bien, n’en connaissaient même pas l’existence.

- Ils ne s’aimaient pas, à la source ?

- Tu as tout compris, mon amour. J’ai parlé à Bernard ! Je crois que s’il doit mourir dans cette opération, il mourra moins con !

- Que le ciel t’entende, dit Jackkie, retrouvant enfin le sourire. Elle m’embrassa tendrement, contribuant ainsi, à ce que toutes mes pensées moroses, s’envolent comme par enchantement.

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Salle de briefing le, 15 mars 1972 : 07.00

- Tel que cela vient de nous l’être communiqué, par l’aéronavale américaine, deux navires seulement croiseront dans les parages, pour atteindre leur destination. Ils se présenteront dans la soirée, aux environs de 20:30. Ils ont stoppés leurs machines, afin d’attendre le retardataire… Mais selon l’observation faite par l’aéronavale, ils devraient très vite reprendre leur route, à vitesse réduite. Voici la mauvaise nouvelle, dit le Commandant en introduction. Bien évidemment, je vois poindre la question dans vos yeux : « où est ce navire en panne » ? Je vais répondre ! Il est à huit heures à l’Est, longeant la côte Sud de Taiwan. Quand reprendra-t-il sa route ? Dieu seul le sait ! Ce qui ne vient pas du tout, arranger nos affaires. Capitaine Bertin !

- Commandant ! répondit Bernard, se levant flegmatiquement.

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- Comment voyez-vous, le développement de votre opération, au regard de l’évènement ?

- C’est enquiquinant, Commandant ! J’aurai un bandit de moins, à expédier par le fond. Mais ce n’est pas vraiment catastrophique. Dans la mesure, qu’un plan, se voit d’ores et déjà dessiné dans votre esprit, le concernant. Je me trompe, Commandant ?

- Quel autre choix aurais-je, Bertin ? Celui de le laisser filer de là, avec les conséquences qui en résulteraient ? Ou bien… l’arraisonner, alors que ce sera l’effervescence dans la région ? Vous savez que vous devrez suivre ces deux navires, à bonne distance. Ce récif, n’est qu’à cinq milles nautiques de leur trajectoire, comme vous l’avez constaté en vous rendant assez près de Hainan. En attendant, vous resterez seul ici ! Nous allons appareiller sur l’instant et, nous vous informerons, par télé cryptage codé. Grille : 46 beta2. Ce qui vous accordera largement le temps, de venir dans leurs sillages. Vers minuit trente, soit quatre heures après, qu’ils vous seront passés pratiquement sous le nez, si les évaluations de l’aéronavale se

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confirment, les navires se présenteront devant le port de Dong fang. Combien de temps pensez-vous pouvoir attendre ?

- Je ne peux attendre, parut surpris Bernard, par la question du Commandant. Les chances de réussite de cette mission, vous ne l’ignorez pas, dépendent d’un timing serré. Si nous étions repérés par leurs sonars, adieu Berthe !

- On s’en fiche de Berthe, Capitaine, répondit vertement le Commandant. Je ne vous pose pas cette question, pour ma gouverne. Je veux que tous entendent votre réponse. Donc, vous passerez très vite à l’attaque ! J’évalue à trois bonnes heures, la mise en place de votre plan, qui consiste à abandonner le submersible en eau peu profonde, à bonne distance du port, avec seulement son pilote à bord. Mais aussi, pour vous rendre en plongé, sous les coques des deux bâtiments, en attente de prise en charge pour leurs déchargements, de les bourrer d’explosifs munis de détonateurs programmables, et… pour filer de là.

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- Comptez quatre bonnes heures, Commandant ! Ce sera, une marge beaucoup plus raisonnable.

- Bon ! C’est ainsi que nous enregistreront le procès-verbal de ce briefing ! Ce qui nous donne comme début des hostilités, voyons ? 04: 30 ?

- Fixons 04 :30, comme heure zéro, Commandant, affirma Bernard. C’est du… « A1 »,6 comme évaluation.

- Bien, très bien, Bertin ! Le dernier navire qui arrivera donc, avec un retard, qui n’est guère évaluable en cette heure, sera loin de se douter de ce qui se passe. Voilà la raison pour laquelle, nous n’allons pas l’attendre, nous portant immédiatement au-devant de lui. S’il échappe au juste courroux ? Cela aurait des conséquences fâcheuses à l’esprit, que nous désirons donner à cette opération. Qui est, Capitaine Girard ?

Je pris le temps, de réfléchir à la question.

- Bien au-delà du désir, de donner une bonne leçon de savoir vivre à ces prétentieux, ce serait justement, d’éveiller leurs consciences sur l’évidence, qu’ils sont loin d’être invulnérables, et de bien les

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faire réfléchir, sur les conséquences de leurs actes pour… l’avenir. Tous, autant les uns, que les autres. Comment régler le problème de ce… retardataire ?

- C’est parfait, Max ! Vous avez parfaitement schématisé le fondamental de la problématique, contre laquelle, l’occident tout entier se doit de réagir, en ces heures troubles.

Le commandant se déplaça vers la carte murale.

- Comment régler son compte, au retardataire, Max ? Il est là ! dit-il montrant le point dubout d’une baguette. Juste à 23 ° 30 '0 "N / 121 ° 0' 0" E, au Sud de Taiwan, comme je viens de vous le dire. Nous pourrions presque, tendre l’index et le toucher. Cette région est couverte par les patrouilleurs, de l’escadre américaine du Pacifique Sud. Il ne devra pas trainer là, très longtemps. Raison pour laquelle, les deux autres, devront également très vite reprendre leur route. - Excusez-moi, Commandant ! intervins-je. Ce sont des récifs du même acabit, que celui derrière lequel nous-nous sommes

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abrités, que je crois bien voir d’ici, sur la carte ?

- Approchez-vous donc, Max ! Venez consulter de près, cette carte. En effet, ce bras de mer, longeant la côte Sud de Taiwan, est rempli de récifs de ce genre, et de deux îles, plus importantes. A quoi pensez-vous, Max ?

6- A1 : Fait indiscutable, dans le jargon du renseignement.

Je m’étais rendu devant la carte et réfléchissant, je ne répondis pas sur l’instant.

- Allez-vous nous dire, à quoi vous pensez, Capitaine ? me réveilla le Commandant, en élevant la voix.

- Cette… île, répertoriée 08-45, est-elle peuplée ? Elle n’est pas très loin, du point que vous avez inscrit sur cette carte, où je présume, que vous allez nous positionner en attente ? Hum ! Ce serait parfait, conclus-je, ayant une vision soudaine.

- Oui ! Ce point que je viens de tracer, sera notre emplacement en attente. Bien vu,

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Max. Cette île est-elle peuplée ? Je n’en sais rien ! Absolument rien ! me répondit-il. Selon le peu que je sache, reprit-il, ces îles sont utilisées par les pêcheurs locaux, très accessoirement. Mais vous avez constaté de visu, que ce n’est pas toujours le cas, lors de votre petite balade. A quoi pensez-vous ?

- A débarquer, à la tête d’une vingtaine d’hommes, et… attendre avec l’annexe. A voir cette configuration sur la carte… Hum ! réfléchis-je un court instant. Nous prendrions le navire Nord-Coréen en tenaille, ici, près de ces récifs. Si je lis bien la carte, c’est à cause de ces récifs, qu’il longera cette côte ?

- C’est bien ça Max, mais aussi à cause des courants !

- Alors nous le tenons notre plan, Commandant ! Pendant que vous lui couperez la route, avec mon unité en attente, ainsi que d’autres sections embarquées sur les chaloupes de sauvetage, nous lui fondrons dessus. Les chaloupes devront être disposées en triangle. La numéro une, positionnée à l’Ouest, à moins d’un kilomètre du Seko, qui devra laisser croire qu’il est en grande

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difficulté. Elle sera la pointe du « V ». Dix combattants par chaloupes, qui sont équipées de moteurs in bords, de 200 chevaux. J’en sais quelque chose, car les faire avancer à la rame, du fait que nous ne pouvions utiliser le moteur de l’annexe, afin de ne pas faire un boucan de tous les diables, j’en ai encore mal dans les muscles, dis-je ne riant.

- Je n’en doute pas, dit le Commandant, semblant se dérider.

- Ian Kowalski, repris-je, commandera ces unités. Soit, cinquante hommes fortement armés en tout, avec mes commandos débarqués.

- Marquez ça sur la carte, je vous prie ?

Je calculais les distances à respecter, et plaçais trois points rouges collants et, une flèche, représentant l’annexe, sur la carte.

- Voici la numéro une, « point zéro » la pointe du « V », à l’Ouest, comme je viens de le souligner, Commandant. La numéro deux, « point 1 », se tiendra au Sud-est, soit à bâbord de la poupe du navire ennemi, lorsqu’il se présentera à vue.

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L’ensemble des officiers, vint devant la carte.

- Mois, j’arriverais de cette île, en provenance du Nord-Ouest, repris-je. La numéro trois, « point 2 », elle, sera positionnée ici au Nord-est, et couvrira la poupe tribord du navire ennemi. Avec cette pluie, ces chaloupes passeront pratiquement inaperçues.

- Je vois ! Le navire ennemi pénètrera proue, dans le triangle, se dirigeant sur « point zéro » ! Il croira vraiment que notre bâtiment, est en grande difficulté et même, sur le point de sombrer. Des chaloupes à la mer ? S’il les voit, cela ne fera que le convaincre. Vous Max, vous l’attaquez, par avant tribord un quart ? C’est ça ?

- Affirmatif, Commandant.

- Je lui coupe la route au tout dernier moment… Hum ! Ce sera sa dernière surprise.

- Oui Commandant ! Je lui arriverai dessus à toute vitesse, pendant qu’il ralentira pour vous éviter. Les chaloupes une, « point zéro » et deux, « point 1 » situées sur l’avant pour la première, et à bâbord

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arrière, pour la seconde, attaqueront la proue et la poupe, distrayant l’équipage affolé, que nous l’abordions à tribord avant, avec l’annexe. Quant à la chaloupe arrière tribord, la numéro trois, « point 2 » ici, elle attaquera à son tour le pont de poupe, finissant d’attiser le désordre, désorganisant totalement, une éventuelle défense ! Mais le principal abordage, sera conduit de « A » jusqu’à « Z », par ce fer de lance que je commanderai, soit mes vingt hommes, qui auront des objectifs précis à atteindre, et à contrôler au plus vite.

- C’est… parfait ! C’est une tenaille à cinq pinces, que vous nous inventez là, Max ? Je me charge de le stopper, chargez-vous de bien coordonner chaque mouvement de cette chorégraphie. Et n’oubliez pas, que ce sera en pleine nuit, sous une pluie battante, car la météo informe, qu’il n’y aura aucun changement cette nuit. Le matériel sera glissant ! Enfin ! Si toutefois, il reprend la mer très vite, ce « Bandit3 » !

- Nous prendrons les échelles ou, des filets de cordes à grappins.

- Bien ! Donc ! Je ferais remplir les ballasts avant, pour qu’il ait la conviction que nous

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embarquions de l’eau, et que peut-être, nous soyons en train de couler. Je vais faire éclairer le Seko, comme un sapin de noël. Je vois parfaitement le topo, Max ! Votre plan est adopté ! Nous n’avons pas d’autres perspectives.

- Faire sauter de façon anonyme, deux navires dans un port chinois, c’est déjà un acte de guerre, dit Bernard. Il est plus que seulement probable, que chinois et coréens du Nord, ne pavoiseront pas en lisant les gros titres, qu’un tel acte va déchaîner. S’ils peuvent ne pas ébruiter l’affaire, ce sera mieux pour eux tous. Mais arraisonner un navire en eaux internationales, cela a pour nom. « Acte de piraterie » !

- Il y a beaucoup d’actes de pirateries, sur la surface de ces mers, Capitaine ! Dois-je vous le remémorer ?

- C’est inutile, Commandant ! A condition, que vous puissiez le prendre à la vitesse de l’éclair. Mais je fais confiance à Max ! Il a d’excellentes raisons, de vouloir en finir très vite, dit-il en conclusion, m’adressant un sourire assez sarcastique.

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- Hum ! A condition en effet ! Tenez-vous prêt, Bertin ! Vous partirez d’ici, dès que vous en recevrez l’ordre par transcripteur, souvenez-vous en. Pas d’initiatives personnelles ! Vous savez ce que vous avez à faire ! A compter de l’instant nous voyant appareiller, vous serez livrés à vous-mêmes. Le point de ralliement, sera ici ! Nous devrons très certainement nous attendre, Capitaine. Mais… Préparez-vous à saborder le Seehund ! Si vous êtes sur le point d’être capturé, expédiez-le par tous les moyens, par le fond ! Et si possible, en mille morceaux.

- Boom ! dit Bernard ! Je dois dire adieu à ma femme. Un au revoir, m’aurait mieux satisfait, souligna-t-il, d’un ton lugubre.

- Vous m’avez très bien suivi, Bertin. Vous saviez, que ce ne serais pas sans risques. J’en suis profondément désolé !

- Et moi donc, Commandant ! Nous ferons avec !

Je ressentis un long frisson, me courir le long de l’épine dorsale. Le Commandant, venait de prononcer une sentence de mort certaine, pour l’équipage du Seehund. Elle

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était sans appel, et sans grandes possibilités, d’éviter cette bien triste fatalité.

- Capitaine Girard ! Lieutenants Kowalski, De Langlade et Declercq, Vous mettrez vos hommes en état d’alerte II. Les compagnies à tour de rôle, assureront la protection du navire. Dès l’appareillage, rassemblez le matériel nécessaire à l’expédition. Pas de perte de temps ! Nous allons devoir aborder « bandit 3 », et nous en rendre maitres, en un temps record, en des eaux patrouillés par l’escadre américaine, qui ne sait rien, de notre opération. Je veux dire, aux niveaux subalternes. Très peu de monde, connait notre existence. Ce qui signifie Messieurs, que le temps jouera contre nous, de toute part. L’objectif primordial, est le suivant. Prendre vivants, le maximum de membres de son équipage. Chose faite, nous laisserons les courants, se charger du navire. Le but est qu’il soit découvert par l’escadre américaine, avec son chargement. Nous-nous chargeons, qu’un patrouilleur le retrouve. Colonel James Lewis !

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James se leva, et vint rejoindre le pacha, sur son estrade.

- Le Pentagone, bureau des opérations tactiques, ainsi que deux amiraux, celui commandant la région maritime au Sud Viêt-Nam, et celui, Commandant le Pacifique Sud, d’où dépend le soutien aérien dont nous bénéficions, sont parfaitement au courant de cette opération en cours. Pour qu’elle ait toutes les chances de réussir, le secret le plus absolu a été préservé. A ce titre, il est évident que mis à part quelques unités, personne ne connait notre existence. Un seul ravitailleur, sait qu’il doit intervenir en un point précis, sans pour autant connaitre nos objectifs. Hélas, nous allons manquer ce rendez-vous. Ce qui va très singulièrement compliquer les choses. Car lorsque nous aurons frappés, la chasse va commencer. Que personne ne se fasse d’illusion, ils voudront nous avoir vivants, en se gardant bien d’ébruiter l’affaire. Alors, avec le Commandant et le Colonel Mahersen, nous avons d’ores et déjà prévus la suite à donner à cette opération, dès que nous avons été informés du… retard conséquent, prit par ce navire et plus particulièrement, en considérant le

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fait, qu’il est celui, qui transporte la cargaison d’armes… Bien évidemment, je ne vous dirais pas le chahut que ça va faire. Le plus normalement du monde et le plus naïvement aussi, l’Us Navy, patrouillant fréquemment à l’Est, bien au-delà de Taiwan, informera des gens… dores et déjà… informés, qui alors, pourront user de l’arme la plus redoutable qui soit, « le communiqué de presse », sans être accusés de « délit d’initiés », disons-le ainsi ! Un cargo affrété par des contrebandiers, chargé d’armes Nord-coréennes, qui assez bizarrement, emprunte un itinéraire, qui indiscutablement accorde toutes raisons, de spéculer sur sa destination finale ? L’évènement venant se greffer, à une attaque non revendiquée, d’un port chinois ?ça va faire du bruit ! Voilà ! Avez-vous des questions ?

- L’équipage ? demandais-je.

- Nous le garderons quelques jours, avant de le débarquer au Viêt-Nam du Sud, répondit le Commandant. D’ailleurs, nous débarquerons tous les prisonniers, sans exception. Nous pourrons alors nous ravitailler.

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- Quelques blessés, sont très gravement atteints ! soulignais-je alors. Vont-ils bien s’en occuper à Saigon ?

- Je suis au regret, Capitaine Girard ! Mais ça, ce n’est pas mon souci. Toutefois je peux vous rassurer en vous disant que oui ?

- Non Commandant !

- Je puis vous rassurer, qu’ils seront bien traités, intervint James Lewis.

- Bon ! Encore des questions ? demanda le Commandant.

Un silence, marmoréen lui répondit.

- Le tour est fait. Capitaine Corning, inscrivez l’heure au rapport.

- Reçu, Commandant. Il est 08 :03, Commandant.

- Vous pouvez disposer, dit-il. Max restez là ! Corning ! Donnez l’ordre d’appareiller !

- A vos ordres, Commandant !

Lorsque l’on fut enfin seul, il m’offrit une cigarette, reprenant son air paternaliste.

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- Vous êtes-vous rendu au chevet de Franck ? me demanda-t-il, l’air soucieux.

- Bon Dieu ! J’ai totalement oublié, Commandant !

- Il va très mal ! m’apprit-il. Il devra rester, encore plusieurs jours alité.

- Pauvre Mahersen !

- Oui ! Je suis dans l’embarras voyez-vous ? Vous allez devoir prendre le Commandement. Vous êtes toujours autant… motivé, Max ?

- Voulez-vous dire, professionnel ? Je le suis, Commandant.

- Je connais, l’affection que vous portez à vos hommes. Voyons ! Oui ! Vous êtes professionnel ! conclut-il, après une petite seconde de réflexion. Vous prendrez le commandement de l’opération d’abordage, Max. Mais je crois que c’est déjà d’actualité, non ? Votre stratégie est la seule, qui puisse fonctionner. Nous allons nous positionner dans l’attente, quelque part sur cette mer. Prions Dieu, qu’il puisse très vite réparer son avarie, et qu’il reprenne sa route. Allez donc voir Franck,

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il désespère. Je lui ai conté votre périple. Il a très bien comprit.

- Bien Commandant !

- Votre ami a raison ! Vous êtes pressé d’en finir, n’est-ce pas ?

- Pressé ? Dieu m’en garde ! Simplement… bien décidé d’en finir !

- Je viens de voir ça, Max ! Allez maintenant !

08 :30.

Le Seehund, se profilait lentement à l’horizon, alors que nous quittions notre point d’ancrage, nous élançant en direction de nombreuses inconnues. La séparation entre Soumaya et Bernard, avait pris une tournure assez déchirante, pour Jackkie, qui tête baissée, assistait à leurs adieux. Je la regardais, silencieux, captant chacune de ses pensées les plus sombres. Elle n’ignorait plus, que son tour viendrait.

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- Je ne te dirais pas, que je compte sur toi pour t’occuper d’elle, Si quelque chose, venait à m’arriver …m’avait simplement soufflé mon ami, en me donnant l’accolade.

- Tu veux ne pas dire, de telles inepties, oui ? m’emportais-je. Oui ! C’est parfaitement inutile de t’inquiéter à ce sujet. Tu le sais bien non ? Attention à ta carcasse ! Tu as encore de beaux restes, ce serait dommage, que les poissons en profitent.

- Toujours les mots pour rire, toi hein ? Je suis trop coriace, pour leurs petites dents fragiles. On se revoit dans quelques heures, avait-il prophétisé, avant de prendre pieds, sur le pont du submersible.

Lorsque le Seko s’écarta de ces récifs, que l’on pouvait voir à fleur d’eau, Jackkie vint entourer ses bras, autour des épaules de mon amie, l’entrainant vers le mess.

Le petit déjeuné en mer, fut bien silencieux. Toutefois, mes collaborateurs, ne tardèrent pas à venir nous rejoindre. Je m’étais acquitté d’une bien pénible obligation, en me rendant visiter le Colonel Mahersen, dès le fin du briefing, avant d’aller

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rejoindre mon petit groupe. Il était bien amaigri et très pâle, étendu sur sa couche.

- Alors, Max ! m’avait-il accueilli avec un faible sourire. Vous voici le patron à présent ?

- Le Commandant, n’a guère le choix, avais-je répondu, retirant ma casquette, que je posais sur mes genoux. Je ne vous demanderai pas, comment vous-vous sentez, je vois que vous n’êtes pas, au meilleur de votre forme.

- Le moins que l’on puisse dire, avait-il murmuré du bout des lèvres. Je me vide ! Mais enfin ! Je suis rassuré tout de même. Comment s’est déroulé le briefing ?

Je me suis empressé de satisfaire sa curiosité légitime, pendant que l’assistant de Soumaya, vint inopinément lui pratiquer une injection. Il renvoya immédiatement l’infirmier, avec une grimace de douleur.

- Sacré bonsoir de bon sang, avait-il marmonné. Il a appris à piquer sur un oreiller ! Pénisulfamides un million par jour. Sans compter tous ces comprimés, qu’il a laissés sur ma table de chevet. J’ai l’estomac en compote. Que disiez-vous ? Ah

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oui ! Que vous mènerez cette attaque, de bout en bout. Votre plan est très astucieux. D’ailleurs, je n’en vois pas d’autres. Maintenant, il ne reste plus qu’à espérer, qu’il puisse repartir à temps, avant l’attaque lancée par Bertin. Sinon…

- C’est foutu, Colonel !

- Oui ! Car même si nous avisions l’escadre américaine, aucun patrouilleur ne se risquerait à l’arraisonner. Il s’en retournerait paisiblement chez-lui. Lange vient de me téléphoner. Pour ne pas laisser trop longtemps dériver le cargo, il informera la flotte, de sa présence. Un navire errant, sur la surface de ces mers, devient très vite un danger pour les autres.

- Je le vois également ainsi. Voilà, Colonel ! Nous n’avons plus qu’à attendre et espérer, que sa panne, ne soit pas très grave.

- Hum ! Et… votre jeune femme ? Comment se porte-t-elle ?

A vrai dire, je le vis venir.

- Pour le mieux, Colonel, pour le mieux !

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- Oui, si vous le dites ? A ce qu’il se dit aussi, au terme de cette mission, vous quitterez l’armée ?

- Je présenterai ma démission, en effet, Colonel.

- Et… avez-vous prévu l’avenir ?

- Je… Je me pose d’innombrables questions, concernant l’avenir. Mais je crois avoir découvert, pas mal de ressources en moi.

- Connaissez-vous Ian Smith ? Je veux dire, son trajet politique, s’entend ?

- Bien évidemment, Colonel ! Cette jeune République, fait souvent les titres des médias. Et ?

- Disons, que la jeune armée Rhodiés, manque cruellement de… cadres.

- Quitter un uniforme, pour en revêtir un autre, Colonel ?

- Ce n’est pas ainsi, que se présente ma vision des choses, Max. Je pensais à une fonction de… conseillé militaire.

- A l’état-major, par exemple ?

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- Par exemple !

- Je n’ai pas l’étoffe, Colonel.

- Détrompez-vous, Max. Ce poste, vous accorderait beaucoup de temps libre, ce qui vous permettrait de vous intégrer dans la société rurale. Mais surtout, d’entreprendre ce que bon vous semblerait. Je crois vous avoir dit, que j’ai besoin d’un assistant, dans mes affaires ? Je suis un homme bien seul. Ma femme… bref ! Un divorce, sa mort prématurée. Nous n’avons pas eu d’enfants.

- Oui en effet, vous m’en avez touché un mot.

- Je vous formerai, puis, vous voleriez de vos propres ailes. Que penserait Bertin, d’une telle proposition ?

- Je ne sais pas, Colonel ! Quel sont les risques, qu’une guerre civile éclate ?

- Je dirais… qu’elle éclatera, Max. Mais elle sera très vite réprimée. L’Angleterre…

- Tse, Tse, Tse, si vous me permettez. Ma femme, dit de même, mais personnellement, je ne crois pas trop en

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l’intervention anglaise, dans les affaires de la Rhodésie du Sud. Smith leur a fait un sacré pied de nez, en proclamant la République. Le Premier Ministre de sa très gracieuse Majesté britannique, doit l’avoir en travers, la dragée.

- Il l’avalera ou la croquera entière. Justement, en instaurant une République strictement gouvernée par des blancs, pratiquement identique à celle de l’Afrique du Sud, Ian Smith, fit preuve d’intelligence et de détermination. Il a mis au pied du mur, ceux qui prônaient une politique multiraciale, en Afrique subéquatoriale. Imaginez l’horreur de la situation, à présent ? Les Nations Unies, oseraient-elles interdire à Ian Smith, ce qu’elles ne parviennent pas, à modérer en Afrique du Sud ? Sauf, en menaçant d’embargo, un pays, qui se suffit à lui-même ? Voyons ! Réfléchissez un peu, Max ! Ce sont des coups d’épées dans l’eau !

- L’apartheid ? C’est bien de l’apartheid, dont il est question ?

- Le mot est un peu fort, concernant la Rhodésie du Sud, Max. Smith n’ignore pas, que les pressions seront phénoménales, et

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que la Rhodésie, ce n’est tout de même pas l’Afrique du Sud. Il devra tôt ou tard, en venir à une partition, avec les opposants noirs. Mais l’essentiel dans l’instant, c’est d’éviter, qu’un Mugabe ou un Nkomo, prennent les pleins pouvoirs. La communauté blanche, en souffrirait rudement. Donc ! Il faut imposer un équilibre durable.

- Mais comme je le fis comprendre à ma femme, ce jour, ce n’est pas demain la veille, qu’il se lèvera. En attendant, pour qu’une négociation autour d’une table, aboutisse à des accords, comment dire, politiques ? Il faudra en arriver aux mains. Si Smith ressort vainqueur de cette empoignade, il se tournera résolument vers l’Afrique du Sud, prenant exemple sur ses principes, vous ne l’ignorez pas. En attendant, il a besoin de ce pays, pour mener à bien une lutte, qui ne peut que conduire sa Nation, dans une guerre civile. Et vous ne pouvez faire abstraction du fait, que l’Afrique du Sud, ne tienne, mais alors pas du tout, à ce qu’un pays frontalier, accorde des pouvoirs à des noirs. Ce serait une sacrée déconvenue, pour la politique

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de l’apartheid. Voyez-vous plus clair, à présent, Colonel ?

- Je ne dis pas, que votre analyse, manque de pertinence. Mais justement, ce serait un sacré atout, l’Afrique du Sud !

- Oui ! Sans omettre un bain de sang, qui s’étendrait de l’océan indien au Botswana, voir plus au nord, au Zaïre. Toute cette région sous équatoriale, pourrait s’enflammer, comme un incendie de broussailles. Vous n’ignorez pas, l’instabilité de ces peuples, les vieilles rancunes qui les animent, les intérêts que les richesses minières suscitent, etcétéra, etcétéra… Qui peut prédire, que les natifs d’Afrique du Sud, ne profiteraient pas de l’aubaine, pour se révolter à leur tour et tenter de foutre à terre, cette minorité de blancs, qui les maintient en état d’esclavage, par la terreur ?

- Je vois que vous ne seriez pas partie prenante, pour ce cher Smith, avait-il dit en riant faiblement. Mais mon offre, tient toujours. Parlez-en avec Bertin et bien entendu, avec vos épouses. Qui sait ? Votre avenir à tous, pourrait s’en voir radicalement changé ?

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- Bernard, se plait trop dans l’armée. Ce serait étonnant qu’il se transforme, en gentleman farmer. Mais si Dieu le veut, je lui en parlerais.

- Bien ! Vous avez encore pas mal de boulot, je présume. Je suis fatigué, Max.

- Je vous laisse vous reposer, Colonel. Avez-vous besoin de quoi que ce soit ?

- Bah ! De quelques mètres, d’intestins neufs. Vous auriez ça en stock ?

Lorsque je revins de cet entretien, très révélateur des objectifs de Franck à notre égard, Jackkie leva les yeux, me regardant fixement. Elle n’avait encore rien touchée de son petit déjeuné. Je lui fis signe de manger, elle m’adressa en retour un sourire bien triste.

- Je voudrais te parler Capitaine, vint me sortir de mes pensées, ce cher Kowalski, accompagné de Jean-Luc De Langlade, et de Paul Declercq.

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- Eh bien, prends place à côté de nous, Ian ! l’invitais-je. Il s’assit en maugréant. Je le sentais à cran, l’ex Légionnaire.

- As-tu déjà mené, des hommes au combat, Capitaine ?

- Non Ian ! Jamais ! Où désires-tu en venir ?

- Ben ! A une seule chose. Tu devrais laisser cette tâche à des hommes, qui eux, ont déjà menés ce genre d’action.

- Tu es direct, Ian. Sans détour ! Tu me conseilles de prendre ta place, au commandement des chaloupes, et de te laisser la mienne, pour conduire l’attaque la plus décisive, c’est bien ça ?

- Non Capitaine ! Je te conseille de rester à bord, afin de coordonner la défense du navire. Pour le reste, Paul, Jean-Luc et moi, nous-nous en chargerons.

- Oui, je vois ! Qu’en penses-tu Jean-Luc ?

- Je ne sais trop que penser, Max ! répondit-il, sans toutefois oser affronter mon regard.

- Et vous, Paul ?

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- Moi je pense, que notre ami Ian, devrait se contenter d’obéir aux ordres.

- Mais… s’emporta presque Kowalski, avant que je l’arrête net, en levant la main, en signe d’apaisement.

- Je crois que Paul, est un homme de grande sagesse, Ian. Je vais donc très vite oublier, ta… proposition. Je la comprends, voyez-vous mes amis ? Mahersen malade, vous-vous sentez un peu… orphelins. Alors voilà comment je vois les choses. Ian, tu sélectionneras au sein des deux compagnies, les éléments de ton choix. Trente hommes et un officier. Il vous faudra vous munir d’échelles ou de filets à grappins. Je prendrais vingt de mes gars, Il ne restera que trente-neuf hommes à bord. Paul, vous viendrez avec moi, et vous compterez, parmi les vingt sélectionnés. J’attaque le navire Coréen, par l’avant tribord. Toi Ian, immédiatement, tu ordonnes une attaque simultanée, des points que vous aurez à couvrir. Je vais te remettre le schéma, s’accompagnant d’ordres… écrits, que les trois chaloupes devront suivre, au timing ! Je me fais bien comprendre, Ian ?

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- Bien Capitaine ! marmona-t-il, sentant le vent tourner en sa défaveur.

- Jean-Luc, tu resteras bien évidemment à bord, avec cette section de réserve, prête à embarquer, si les choses tournaient mal. Ce seront les marins, qui assureront la défense du navire, et ce sera suffisant. Tu mettras tout en œuvre, pour la mise à l’eau d’une chaloupe supplémentaire, le cas échéant. Je te donnerai tes ordres. Il est inutile, de seulement essayer, discuter ! A compter de cet instant, comme vous l’avez très certainement compris, j’assure le commandement des trois compagnies. Vous pouvez vous rendre, vous restaurer, Messieurs. Et… Bon appétit !

Ayant dit ces mots, avec toute la fermeté, qui s’imposait en regard des circonstances, je me remis à manger, n’accordant même plus attention à leur présence. Ian se leva et sortit du mess, comme une météorite.

- Je crois qu’il est en colère, Capitaine, me murmura Paul, à l’oreille, alors que Jean-Luc, me frappa amicalement sur l’épaule en riant.

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- Eh bien Max, tu t’affirmes ! Viens ! dit-il à Paul. Le café va refroidir, j’ai la dalle. Euh ! Ça lui passera. Je le connais bien, à présent, me rassura-t-il.

« C’est à souhaiter », pensais-je.

- Ce type me donne le frisson, dit Soumaya, qui n’avait rien perdue de notre altercation.

- Bof ! Il aura fait quelque chose de bien, pour le moins. Il vient de te rendre tes belles couleurs !

Après la pluie, vient le beau temps. Nous avons ris en cœur.

14 :30.

A vitesse lente, prenant tout notre temps, nous venions d’atteindre le point d’ancrage, choisi par le Commandant. La même manœuvre redoutable, que lors de notre arrivée en bordure de l’ilot 4436, fut mise en œuvre, avec une grande maitrise.

- Voilà ! dit le Commandant, qui avait ordonné de laisser les machines en marche,

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arbres d’hélices débrayés. Nous sommes à mi-chemin, Max. Il n’est plus qu’à quatre bonnes heures de nous. Si son avarie est réparable ? Nous serons très vite fixés. Les autres, ne devraient plus tarder. Ils vont bien devoir accélérer tôt ou tard, s’ils veulent respecter l’horaire.

- Mes hommes sont parés, Commandant. Nous irons rejoindre l’île, deux bonnes heures, avant qu’il nous arrive dessus. Je veux pouvoir distribuer les rôles, et les faire répéter, sans trop d’effervescence.

- Prenez un peu de repos, Max. Nous ne savons pas, combien de temps, nous devrons encore attendre. Je me fais du souci pour le Seehund, aussi. Je vais me retirer dans ma cabine, faire de même. La nuit sera très éprouvante.

- Bien Commandant !

- Je vous fais prévenir, si ça bouge. Je ne voudrais pas, que les calculs établis par l’aéronavale, se voient perturbés. Bon Dieu ! Ce serait catastrophique. Allez donc !

- Merci Commandant !

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Je quittais la passerelle, les jambes lourdes, avec une main en acier, enserrant mon estomac. Au passage, arrivant au niveau du desk A1, je prenais Paul à part.

- Le matériel est chargé dans l’annexe ?

- Oui Capitaine ! L’armement individuel, deux lances roquettes anti char, plus une caisse d’ogives. J’ai renvoyé les hommes au repos. Comptez-vous frapper leur passerelle ?

- Vos deux tireurs, et leurs servants, devront s’y appliquer, en effet, lorsque l’angle de tir le permettra. Vous avez sélectionné des gars solides ? Ils devront tirer debout, en totale instabilité.

- Fischetti et Landu, Capitaine.

- Bien ! Je connais bien ces gars-là ! Ils feront le poids ! Pourriture de temps maudit ! m’exclamais-je, mettant sur le dos de la mousson, toute ma colère.

Paul m’offrit une cigarette, que l’on fuma en silence, coudes appuyés au bastingage, les regards rivés sur cette nappe épaisse de pluie, qui s’abattait sur nous, sans interruption.

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- On ne voit pas, à plus de quinze mètres, fit remarquer Paul.

- Oui ? Je vois bien ça. Et alors ?

- Je n’aime pas ça. Je n’aime pas ça, du tout. D’ici ce soir, ce sera pire. Toujours le soir, n’avez-vous pas remarqué ?

- Vous craignez, que l’on dépasse notre objectif ou pire, que l’on se plante dessus ?

- Nous devrons prendre d’immenses précautions, Capitaine. Souhaitons que sa passerelle soit bien éclairée ?

- Oh mince, avec vos… Capitaine. Appelez-moi Max !

- Bien Max !

Je nous allumais deux autres cigarettes, que nous fumions encore, en réfléchissant.

- D’autre part… dis-je, alors que Paul, pensant à la même chose, s’exprima en même temps que moi.

- J’ai dit ne pas aimer ça, mais…

- Dites, Paul ?

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- Ben, ce serait bon pour nous tous, à condition de réduire la vitesse de l’annexe, et de nous diriger à l’oreille. Au son, vous voyez ?

- Oui ! A l’oreille ! Nous n’accélèrerons, que lorsque sa masse sortira de la brume pluvieuse, ouvrant immédiatement le feu. Là, nous devrons faire vite. Ok, Paul ! Et… merci.

- Pas de quoi, Cap… euh ! Max !

Je lui envoyais une bourrade dans les côtes, balançant mon mégot par-dessus bord. En marchant vers l’infirmerie, je repensais à Kowalski. Je me ravisais, prenant la direction du pont des embarcations. Il était là sous la pluie, occupé à faire provisoirement bâcher les chaloupes, qui allaient participer à l’attaque.

- Tu es paré, Ian ?

- Euh ! Oui, Max. Je voulais te dire…

- Laisse tomber ! Le coupais-je. Axons-nous sur ce que nous aurons à faire. Tu as étudié le schéma ?

- Oui ! C’est cette pluie, qui m’inquiète.

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- Je sais ! Nous venons d’en parler avec Paul. La visibilité sera des plus réduites. Mais fie-toi à ton oreille. Ses moteurs ne sont pas silencieux, ni le brassage des hélices. Tu seras dans la chaloupe numéro une, « point zéro ». Ne vas pas te faire éperonner.

- Ok ! J’ouvrirai bien les oreilles. J’ai… J’ai vu Franck.

- Oui ? Je t’ai dit, laisse tomber.

- Je ne savais pas encore, et je tiens à te rassurer, de mon entière collaboration.

- Eh bien alors ce sera parfait, dis-je, lui tendant la main. On se la serra amicalement, avant de se quitter. J’étais trempé jusqu’aux os. « La fraternité, entre hommes, qui ne doutent pas, avoir rendez-vous avec la mort », pensais-je. «  C’est beau, et tout autant rassurant ».

Maintenant, je pouvais aller rendre visite à ma femme, à l’infirmerie. Je la trouvais absorbée par ses occupations, qui consistaient dans l’instant, à donner la main au maître principal infirmier, pratiquant des soins à des patients alités. Me voyant enfin, elle demanda la

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permission de se retirer venant à ma rencontre.

- Il a fini, me dit-elle. Je peux me libérer. Elle me prit le bras, adressant un geste de la main aux deux femmes, qui s’occupaient des lits impairs.

- Comment va Soumaya ?

- Elle remonte la pente. répondit-elle, guère convaincue, alors que nous arrivions à l’extérieur. Oui ! Le temps ne s’arrangeait pas vraiment. Jackkie frissonna, se serrant contre moi.

- J’ai… Je pense que tu vas devoir aller là-bas, et j’ai peur. Voilà ! L’angoisse refait surface. J’ai entendue Bernard…

- Il a dit quelque chose ? Ne me dis pas, qu’il a raconté à sa femme, ce qu’il devrait faire ?

- C’est plus fort que lui, j’en ai l’impression, répondit Jackkie, se serrant plus fort. Il a manqué de beaucoup d’affection ton ami, non ?

- De pas mal de coups de pieds au c…, tu veux dire ? Bon ! Je me calme !

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- Maintenant, tu ne me diras plus rien.

- Que veux-tu que je te dise Jackkie ? Que je pars avec quelques copains, pécher en mer, et que je serais là, avec le soleil, le panier en osier, rempli de poissons ?

- Tu es à cran ?

- Un peu… Je te demande pardon, dis-je, sans honte. Ne te fais pas un sang d’encre. Tout va très bien se passer.

- Dieu t’entende ! dit-elle, le visage posé sur ma poitrine. Je dois te préparer ta tenue ?

- Non ! Nous resterons ainsi vêtus. Avec nos tenues bariolées, nous pourrions attirer l’attention de loin, si la météo s’était trompée, et qu’un éclaircis se manifestait. Il nous faudra donner le change, jusqu’au dernier moment.

- Tu te parles ? Je ne comprends rien de ce que tu dis.

- Oui ! C’est clair, chérie.

- Veux-tu m’en dire plus ?

- Nous avons mieux à faire. Je délire, c’est tout !

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- Viens donc te reposer un peu, me conseilla-t-elle, avec une voix très douce, passant mon bras, autour de son cou. Tu vas dormir une heure ou deux, et après, tu auras repris tous tes esprits.

Je me laissais guider, par la voix de la raison. Mais mes esprits, étaient intacts.

18 :10.

Dans la profonde léthargie où j’avais sombré, il me sembla bien avoir entendu frapper à la porte. Mais ce fut Jackkie, qui bondit du lit, pour ouvrir.

- Max ! Max, réveilles-toi, chéri. C’est ton adjoint, Paul Declercq.

Je sautais sur mes jambes, la tête encore dans le sac.

- Que se passe-t-il ?

- Rien Max. Le Commandant vous fait savoir, que « bandit3 », a repris la mer. Il arrive à petite vitesse. S’il persiste à cette vitesse, il sera sur nous dans six heures.

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- Six heures ? Quelle heure est-il ?

- Dix-huit heures quinze, Max, répondit Jackkie.

- Oui merci. Il sera là, après minuit. Bon ! Nous serons encore très largement dans les temps. Ouf ! J’ai bien cru, qu’il nous ferait tourner en bourrique, plus longtemps. Paul !

- Je vous écoute, Max.

- Dans deux heures, briefing avec les officiers, et les commandos embarqués. Que tous, gardent leurs tenues de marin.

- Bien reçu. Le Lieutenant Sotis, a fait monter deux mitrailleuses de 12/7mm, l’une à l’avant, l’autre à l’arrière de l’annexe.

- Voici une brillante initiative. Je manque de… pratique, Paul.

- Vous-vous défendez très bien, Capitaine.

- Nous verrons ça, demain matin ! C’est bon Paul. Merci.

Il hocha la tête pour toute réponse, adressant un sourire navré à ma femme, puis il s’en alla, refermant la porte sur lui.

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Jackkie me prépara un bon café. Il nous fut enfin permis de nous asseoir, en tête à tête.

- Il t’a en forte estime, ce brave Paul, dit Jackkie, en soupirant.

- Il est sur ma liste.

- Que veux-tu dire ?

- Qu’il embarque avec moi.

- Oh ! Rien ne peut me rendre plus heureuse, dit-elle, me prenant les mains entre les siennes. Son visage rayonna enfin.

- Avais-tu peur… que je… faiblisse ?

- Oh non ! Ne vas surtout pas t’imaginer, qu’un seul instant, j’ai doutée de toi…

- Mais non ! Je levais promptement la tête, cherchant ses yeux. Tu aurais raison. Les centres d’intérêts, se sont déportés.

- Je sais ! Mais je t’en conjure, Max, redeviens celui que tu étais, avant de me connaitre. Le sarcastic man, qui va toujours plus loin, à la recherche d’une logique à toutes choses. Fais de ce retour sur tes traces, une question de survie.

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- Je comprends très bien, ce que tu veux dire. J’ai bien évolué certes ! Mais pas encore au point, d’accorder à quiconque, le droit de me botter les fesses. Or ! Je considère que le Commandant de ce transporteur d’armes, c’est exactement ce qu’il a l’intention de faire.

- Il ne te connait pas, pas plus que tu ne le connais !

- C’est vrai Jackkie. C’est même lamentable. Mais voilà ! Nous étions destinés, à nous croiser, en de bien pénibles circonstances. Je ne le voulus pas ainsi, et très certainement, que lui non plus. Que le plus malin gagne !

- Enfin, je retrouve mon Max. Je te frotte le dos, sous la douche ?

20 :15.

- Garde à vous ! cria Paul me précédant dans la salle de briefing.

- Repos, repos, Messieurs, ordonnais-je. Mais c’était la tradition, pour ces vieux

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militaires. En longeant la paroi, pressant le pas vers l’estrade, je fis un tour d’aperçu des visages de ces hommes, qui allaient se voir engagés, dans cette opération maritime. Mon avis fut, qu’ils avaient la pêche.

- Bien ! Lieutenant Kowalski, faites-moi un topo, débutais-je, sans préambules.

- Reçu Capitaine. Avec ma chaloupe de pointe, je progresserai en direction de l’ennemi, qui croira que le Seko, a fait descendre ses chaloupes à la mer. Enfin ! Si toutefois, il a assez de visibilité pour me voir à temps, ce que je doute. Mais le cas échéant, c’est ainsi que je pratiquerai. Immédiatement, je transmettrais l’ordre aux chaloupes, deux et trois, de lancer l’assaut, sans attendre que l’annexe entre dans le bal.

- Très bien Ian ! Reste ici près de moi. Lieutenant De Langlade !

- Mes hommes, sont prêts à embarquer sur la chaloupe, en réserve, Capitaine. Armement : Une mitrailleuse 7/5mm dix bandes. Armement individuel, plus dix chargeurs par unité. Objectif, prendre

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coûte que coûte la passerelle de commandement, si vous n’y êtes pas parvenu. En cette éventualité, je prendrais la tête de neuf hommes, pendant que les vingt autres, réduiront au silence, les éventuels défenseurs.

- Bien, Jean-Luc. Toi aussi, reste près de moi. Caporal Jensen !

- Capitaine !

- Votre mission consistera à me suivre pas à pas, en compagnie de cinq fusiliers. Notre objectif, sera la passerelle. Caporal-chef Gringoire !

- Mon Capitaine ?

- Sur le pont, vous devrez d’une par protéger la position, gagner du terrain et accueillir les fusiliers, embarqués sur la chaloupes une « point zéro ». Immédiatement, ils prendront vos places de défense des positions conquises. Fort de ce renfort des dix hommes de Ian, sur le pont de proue, vous laisserez le Lieutenant Kowalski, pour progresserez en direction de la salle des machines, avec pour mission de les faire mettre en panne. Il faudra vous bouger !

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- Reçu, Capitaine.

- Très bien ! Paul, vous prendrez cinq hommes. Votre objectif sera le centre des communications. Voici la photographie aérienne, de « bandit3 », me rendis-je afficher le poster sur le tableau. Je vous demanderai de bien étudier chaque pouce de ce rafiot, pour vous diriger au plus vite, vers les objectifs qui vous sont désignés. Leur poste radio, selon les renseignements fournis par l’aéronavale, se tient sur le pont des embarcations. Il est pratiquement identique au poste occupé par nos collègues américains. Il est bardé d’antennes, vous ne devez pas le rater. Vous devrez le prendre et immédiatement le rendre in opérationnel. Au même titre que moi-même et mon stick, pas une seconde à perdre !

- J’ai bien compris, Capitaine. Où avez-vous eu cette photo ?

- Eh bien ! Je vois que je n’étais pas le seul à en écraser ferme, dis-je en riant. Un appareil de l’aéronavale, a largué des informations en mer, pendant que nous dormions tous. Dans le container étanche, il y avait cette photo, entre autres

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documents. Passons au suivant. Ian ! Tu tiendras les positions. Si la résistance est farouche, fais tout ton possible, pour interdire les ponts, à son équipage. Si la surprise est totale, empares-toi des coursives au raz de ponts, du château. Si l’équipage monte vers la passerelle, nous les attendrons. S’ils descendent vers les profondeurs du navire, boucle toutes les portes d’accès. Gringoire, les machines stoppées, vous entreprendrez le nettoyage de toute résistance, en remontant vers la surface.

- Que dois-je faire des gens de la salle des machines, Capitaine ?

- Vous les bouclez, Caporal-chef !

- Bien reçu, Capitaine.

- Paul, le poste de communication en l’air, vous progresserez bâbord, occupant le pavillon du second degré du château. Ce secteur nettoyé, vous redescendrez à la rencontre de Ian. Ceux qui se seront aventurés sur le pont des embarcations, nous-nous en chargerons, dès que la Passerelle sera sous contrôle. Je pense, que si Fischetti et Landu, sont adroits au tir au

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lance-roquettes, cette phase de l’opération, sera vite réglée. Vous sentez-vous sûr de vous ? m’adressais-je à mes deux hommes.

- Parfaitement Capitaine, répondit Fischetti.

- J’ai déjà utilisé ces engins-là, sous le feu, Capitaine, dit Landu. C’est autrement plus angoissant et périlleux, que sur le sol instable, d’une vedette rapide.

- Bien ! Les servants, vous leur restez collés aux fesses. A tous, méfiez-vous lors des tirs. Ecartez-vous de derrière ! Il n’y aura guère de place, dans cette vedette.

J’eu droit, à un concert de rires.

- Chaloupe deux, bâbord arrière « point 1 », chef de groupe ! Appelais-je.

- Présent Capitaine.

- Présentez-vous !

- Fusilier de première classe, Balbin, Capitaine.

- Votre rôle ! Vous progresserez jusqu’à l’accès de la coursive traversière, se situant au raz de pont, pénétrant à votre tour, dans

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le château, afin d’établir la liaison avec le Lieutenant Ian Kowalski. Pendant ce temps, les dix hommes de la chaloupe trois, tribord arrière « point 2 ». Qui est son chef de groupe ?

- Présent Capitaine, se montra ce jeune homme mince, pas très grand de taille, aux cheveux bruns coupés courts, que j’avais remarqué pour sa simplicité, et son immense persévérance, malgré un visage d’étudiant de science po.

- Sergent Raoul Pasquier, Capitaine, se présenta-t-il.

- Sergent, vous tiendrez le pont de poupe, pendant que Balbin progressera. Si vous ne rencontrez aucune résistance, vous monterez par l’extérieur, vers le premier niveau du château, vous rendant renforcer le Lieutenant Declercq.

- Bien reçu, Capitaine.

- Ce que je viens de vous dire, doit rester gravé dans vos mémoires. Aucun écrit ! Pas de plans ! Chefs de sections, désignez vos hommes. Quant à ma section d’assaut ! Vous resterez groupés par sticks, à bord de la vedette, afin de grimper en ensembles. Je

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le répète ! Les pieds posés sur le pont, plus une seconde à perdre ! On fonce ! Compris ?

Une seule voix, me répondit.

- Oui Capitaine !

21 :23.

Paul avait raison. Maintenant, l’averse constante qui s’abattait sur nous sans arrêt, s’était transformée en bourrasque, avec un vent faisant frémir la surface de l’eau noire, sur laquelle se reflétait les quelques lumières crues, qui éclairaient encore très faiblement le navire. Dans ces halots de lumière, je regardais les bulles se former et éclater aussitôt, sentant vibrer sous mes pieds, les tôles d’acier du pont. Jackkie, tête posée sur mon épaule gauche, essuya son front, et repoussa une mèche de cheveux trempée, qui venait lui masquer la vue.

- Ta robe est mouillée, dis-je, l’attirant par les épaules, loin du bastingage. Elle

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frissonna sans ne rien répondre, ses yeux venant épouser les miens.

- Je ne m’en suis même pas aperçue, dit-elle enfin, alors que pour l’abriter, je la repoussais pas à pas, dos contre la paroi, me collant contre son corps.

- Que… nous reste-t-il… Combien de temps encore, parvint-elle à murmurer.

Mes doigts s’égarèrent fébrilement entre ses cheveux, la caressant tendrement, avant que nos lèvres se joignent, pour un baisé ardent. Au bord du manque de souffle, nous avons rompus le combat, nous serrant mutuellement de toutes nos forces.

- Je vais me donner à fond, à mon travail à l’infirmerie, murmura-t-elle, cherchant à se convaincre, que ce serait remédiant. Je ne t’attendrais pas, car je suis certaine que tu reviendras vite. Que ce cauchemar finisse ! J’ai appris… Soumaya…

- Quoi Soumaya ?

- C’est merveilleux, tu sais ? Elle croit bien, qu’elle attend un enfant, dit Jackkie, assez surexcitée. Tu te rends compte un peu ? Je suis heureuse pour elle, si tu savais !

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- Je vois ça en effet, dis-je, l’esprit ailleurs. Bernard, papa ! Voyons de quoi demain sera fait !

Jackkie, fit du regard, un tour d’horizon rapide, de cette coursive extérieure.

- Personne ne viendra nous surprendre, dit-elle, avec une voix enrouée par l’émotion. Tout le monde, est bien trop occupé aux préparatifs, de… de… Je ne veux pas y penser, n’aborda-t-elle pas le sujet qui la préoccupait. Fais-moi l’amour !

Je restais estomaqué, sans aucune réaction, un court moment.

- Ne me regarde pas, comme si tu me voyais, pour la toute première fois. Fais-moi l’amour ici, sans plus attendre !

Sa détermination se lisait dans ses yeux, qui venaient de se liquéfier. Elle releva les bras lentement, les faisant glisser contre la paroi, paupières closes. Sa poitrine aux rondeurs délicieuses, s’offrit au travers de sa robe. Avait-elle prévue, cet instant ? Je me rendis très vite à l’évidence, qu’il ne pouvait en être autrement, lorsque mes mains tremblantes, remontèrent le pan de sa robe, jusque sur ses hanches, parsemées

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de chair de poule. Ce contact d’une douceur infinie, et cette chaleur sous mes doigts, le parfum de ses cheveux, celui de son corps de femme, en émoi, tout cela contribua à provoquer en moi, un déferlement de désir. Mes doigts enserrèrent ses poignets, alors que nos lèvres enfiévrées, s’unirent fougueusement, jusqu’à nous couper le souffle. Nous n’en étions plus, à la simple perception des dispositions matérielles, mais à celle, de la recherche d’une loi physique, que l’être humain, voudrait avoir le pouvoir d’accomplir, à l’instant de cette fusion charnelle. Ne faire qu’un seul être, de deux corps. L’on s’y efforça, de très longues minutes, avant de ressentir une homogénéité, assez ressemblante, à ce que nous désirions atteindre. A l’instant de l’apogée, ses dents, s’enfoncèrent dans la chair de mon épaule, alors que ses bras, sous la conduite de mes doigts, glissèrent sur la paroi, pour former une croix. Une plainte déchirante, s’éleva dans la nuit, se perdant tel un écho, sur la surface de l’océan. Un cri d’amour, dans un monde de haine…

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23: 00.

Mon petit groupe d’amies, entourant ma femme, qui s’efforçait de sourire, bien que je lise de l’effroi dans ses yeux, s’étaient contentées d’un geste d’adieu de la main, alors qu’atteignant le bas de l’échelle de coupée, j’embarquais sur l’annexe. Je préférais ça, à des effusions larmoyantes. Mais lorsque je mis les pieds sur cette île, composée uniquement de sable fin à perte de vue, et de quelques bosquets de palétuviers épars, je devins imperméable à toutes atteintes extérieures. Je fis venir autour de moi les chefs de groupes, sous la bâche de l’annexe, au centre de laquelle l’on pouvait voir une bulle de concentration d’eau de pluie, qui perlait au travers, alors que Gringoire donnait ordre à deux fusiliers d’inspecter l’île. Mais nous étions convaincus d’être seuls.

- Fischetti et Landu ! Vous n’aurez pas plus de cinq secondes, pour viser et tirer. Ce sont des ogives perforantes, dis-je, désignant la caisse de munitions. Leur poids, définit leur vitesse de propulsion, qui est de l’ordre de 11 secondes, pour un

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kilomètre. Vous devrez ouvrir le feu, à la distance de deux cent mètres.

- Légèrement plus de deux secondes, avant que l’ogive atteigne la cible, Capitaine, dit Fischetti.

- Bien alors ! Enregistrez bien ces paramètres. En plus, je vais vous demander de concentrer vos efforts, sur des points précis à atteindre, de la passerelle. Vous viserez les deux baies vitrées, des extrémités. Je veux un effet… paralysant. Mais pas essentiellement, tuer l’ensemble des officiers. L’objectif n’est autre, qu’ils stoppent les machines. Voilà la raison pour laquelle, j’ai fait le choix de munitions perforantes. Vous m’avez bien compris ?

- Nous ferons de notre mieux, Capitaine, dit Landu. Mais perforantes ou pas, Capitaine, ces ogives, font de sacrés dégâts. Vous n’avez jamais vu un char, transpercé par ces trucs ?

- Non, en effet, Landu. Je suis un bureaucrate ! Mais… Je vous fais confiance. Pour les autres ! On ne tire pour tuer, que si c’est nécessaire. Je ne prie jamais, mais je vais faire une exception en cet instant,

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pour qu’il n’y ait que très peu de pertes, parmi mes hommes. Je ne veux aucunes exactions inutiles ! Nous ne prenons pas ce navire, pour assouvir une quelconque vengeance. Nous agissons dans le bien fondé, d’une vision polarisé, à titre de leçon de savoir vivre, qui parait-il, évitera un embrasement généralisé.

- Vous ne paraissez pas très convaincu, Capitaine, dit Paul Declercq, m’offrant un sourire ironique en coin.

- Mon cher Paul, entre ce que nous ne sommes qu’en mesure d’imaginer, et ce que les autres, ont dans la tête, il existe un gouffre infranchissable, enveloppé de ténèbres. Nous devrons attendre le résultat de nos actes, pour nous faire une idée claire. On nous a donné l’ordre de prendre ce Bandit, avec un minimum de casse. Nous obéissons en nos âmes et consciences. Mais chacun d’entre nous, possède le droit d’émettre des doutes. C’est ça, la démocratie, Paul !

Ils rirent tous, sous cape.

- Maintenant, repris-je, concentration sur les objectifs, à atteindre, pour chacun de

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vous. Repassez-vous sans cesse, les images que les américains nous ont fait parvenir, de ce rafiot. Tachez d’éviter les cafouillages. A compté de cet instant, vous êtes à bord du Coréen. Fermez les yeux et dirigez-vous, vers vos points respectifs. Silence ! C’est parti, vous y êtes !

Les hommes se choisirent un petit espace, pour méditer. Une bonne demi-heure plus tard, Paul Declercq vint s’asseoir près de moi, m’offrant une cigarette, avec un sourire débonnaire.

- Vous êtes un bon officier, Max, dit-il, tirant une longue bouffée de sa clope, avant de rejeter la fumée en redressant la tête. Le vent, vient du Nord, fit-il remarquer.

- Courants Sud ?

- Courants Sud, Max !

- Il faut tenir compte de la dérive, Lieutenant Sotis, dis-je à l’officier pilote.

- Je suis en train de faire mes calculs, Capitaine. Nous allons tracer très légèrement vers l’Est, avant de foncer plein Sud. Nous lui arriverons dessus, comme si nous allions lui couper la trajectoire, avant

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des bifurquer brutalement à l’Est, et ainsi, l’aborder un quart avant tribord. C’est là que je ferais ouvrir le feu, à la mitrailleuse de proue.

- Balayez-moi le pont de proue, et les superstructures frontales du château. Je ne veux pas voir une tête hors des bastingages. Pourquoi la mitrailleuse arrière, Sotis ?

- Pour le cas que nous devrions effectuer un second passage, Capitaine. Si je dois lui tourner le cul…

- Oui ! C’est bon ça ! Nous avons encore une bonne heure à attendre ici. Puis nous aurons encore une demi-heure, d’attente en mer.

- Je me charge de la dérive, Capitaine, dit le pilote.

- Bien ! Allez donc vous mettre à l’abri sous votre kiosque, et tenez-vous prêt. Au moindre crépitement du télescripteur, on fonce !

- Bien Capitaine.

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- Alors, mon cher Paul, vous pensez sincèrement je le sais, que je suis un bon officier ?

- Séance de concentration ! On pense à l’objectif et pendant ce temps, on ne pense plus à la peur. Nous en apprenons à tout âge, hein ?

- Sans indiscrétion, Paul, quel âge avez-vous ?

- Je fêterai mes quarante-deux printemps, en juin prochain.

- De Dieu ! Vous en paraissez dix de moins !

- Eh bien merci, Max ! J’ai eu une vie paisible, jusqu’à ce que tout s’écroule brutalement. Le sport ! J’étais adjoint aux sports dans la régulière.

- Chasseurs Alpins ! Les igloos à moins quinze degré, ça vous conserve un homme.

- Oui ! J’ai choppé quelques engelures sévères aux pieds, et aux mains, dit-il, me montrant des tâches brunâtres sur ses doigts, en rigolant. Essayez de tirer au fusil avec des moufles, vous m’en direz des

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nouvelles, lorsque vous-vous rendrez au pas de tir.

Je dus en concevoir.

- Combien d’années de service ?

- Quinze ans et six mois, Max. Il jeta sa cigarette par-dessus bord, en allumant aussitôt une autre. Ce truc va me tuer, dit-il en ricanant. Une autre ?

Je refusais d’un geste de la main.

- Comment est-ce arrivé, Paul ?

Il me regarda longuement, sourcils froncés, comme s’il réfléchissait à l’utilité, de répondre à cette question.

- Tout a basculé dans ma vie. Ce fut brutal ! Je dirais même, inattendu.

- Oui ! Je crois me souvenir, d’avoir lu sur votre dossier, la raison de ce…

- Cette glissade sur une plaque de fond, Max, dit-on dans le jargon des Chasseurs Alpins. Il faut rester dans le cadre de vues. Un divorce, qui tourne très mal.

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- Je sais ! Vous avez tiré sur l’amant de votre femme, qui n’était autre que l’un de vos officiers. Le Tribunal Militaire, s’est démontré… magnanime ?

- Cinq ans de prison, avec sursis. Par bonheur, dans ma colère aveugle, j’ai mal visé, le blessant assez grièvement. Mais il n’est pas mort et… paradoxe de l’histoire, il fut mon témoin à décharge. Il me devait bien ça, non ? On m’a renvoyé de l’Armé ! J’ai trainé un temps dans ma ville. Je suis de Bordeaux, mais vous le savez, n’est-ce pas ?

- Oui !

- J’ai fini clochard ! Connaissez-vous le Lieutenant-colonel Claude Lanfranqui ?

- Non ! Ce nom, ne me dit rien.

- Hum ! Il est au SDECE. Un proche parent de vos services.

- Ah oui ! Je vois ça !

- Je ne sais trop pourquoi, il s’est intéressé à mon cas. Il m’a fait retrouver par les services de police. Tenez-vous bien ! Recherche dans l’intérêt des familles… dit-

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il en riant doucement. D’un commissariat de l’aéroport où je créchais, je me suis retrouvé en centre de désintoxication alcoolique, durant cinq semaines. Et puis, ce bonhomme est venu me rendre visite assez fréquemment. A ma sortie, il m’a présenté à Franck Mahersen. Et voici votre bonhomme, le cul posé sur cette banquette.

- Si Dieu existe, il a guidé votre main, avant de guider vos pas.

- Ah les femmes ! Allez donc savoir, ce qu’elles ont dans la tête ! Je ne me suis jamais cru parfait, loin de là ! Ce travail… L’Algérie… Vingt-huit mois, à Tizi-Ouzou, en petite Kabylie. Je venais de me marier. Nous avons eus très vite, notre premier enfant, et je la fis venir à Alger. Mauvais souvenirs, croyez le bien. Mais cette fille…

Il observa un temps de silence, méditant sur ce qu’il devait en conclure.

- Quand on est jeune et amoureux, on ne voit pas ou, nous ne voulons pas voir la réalité en face. J’avais vingt-huit ans, et elle était mon premier grand amour. Et puis… j’étais militaire. De longues semaines

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passées dans les montagnes de Kabylie, à traquer les fellaghas.

- Elle vous… trompait ?

- Non ! Elle se… trompait ! En vérité, bien plus tard, le psychologue de couple que nous avons consulté durant un an, m’a dit, qu’elle était vraiment malade, et que je devrais lui conseiller, de consulter un psy. Sa mère était maniaco-dépressive. Un peu l’influence familiale, un peu… très certainement un facteur génétique, les choses ont pris une ampleur phénoménale, avec le temps. J’étais l’excuse idéale, à tous ses écarts ! Il fallait bien, que quelqu’un morfle, non ? Seulement, si au fond d’elle, elle cherchait ainsi à amoindrir ses fautes, une petite voix, lui remémorait sa culpabilité. Ce qui aggrava bien sûr, le dénie, voyez-vous ? Un refus farouche, d’assumer ses responsabilités, et la gravité de ses actes, qui conduisaient, à la dégringolade de notre couple. Ceux qui ne savaient rien, la voyant si fragile en apparences, pensaient vraiment, que j’étais un monstre sans cœur ! Elle entretenait à merveille, cette… conviction, qu’elle suggestionnait aux autres.

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- Manipulatrice hein ?

- A un point ! C’est impensable ! Jusqu’à calculer dire blanc et faire noir ! Voyez-vous, lorsque vous désirez offrir à l’être aimé, toutes les couleurs basiques, et leurs nuances, pour embellir la vie, et que vous observez que cet être, vous contredit ? Sur l’instant, vous vient à l’idée, qu’il s’agit d’une maladie connue sous le nom de daltonisme. Mais non ! L’objectif tracé par ce genre de femme, n’est autre, que vous-vous sentiez très mal. C’est la spirale infernale, Max ! Plus vous-vous sentez mal, plus vous commettez des erreurs exploitables, par cet esprit tordu.

- Pourquoi ne pas l’avoir abandonnée, Paul !

- Ah ! La question à cinq francs ! Les enfants, Max, mes enfants ! J’ai une fille âgée de quatorze ans, et un petit garçon, qui va avoir dix ans. On nous a enlevé nos photos, c’est dommage. Je ne m’en sépare jamais d’ordinaire. Un jour, je ne sais trop pourquoi, quelque chose pète dans votre cerveau. Tout ce qui a une importance vous permettant de tenir le coup, s’évapore. Vous-vous voyez prendre une arme, la

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mettre dans votre ceinture, et sortir de chez-vous, comme si vous marchiez à côté de ce personnage qui n’est pas vous ! Une accumulation de ras le bol ! Vous entendez les détonations dans vos oreilles, et sur l’instant, vous pensez avoir tout réglé. Si vous saviez, le soulagement que l’on ressent ! Mon forfait accompli, j’ai marché dans les rues de Bordeaux, comme si j’avais fumé une dizaine de pétards. Quand la Police m’a arrêté, dans la voiture qui m’amenait au commissariat central, je n’ai pas cessé de rire. Tellement, qu’ils m’ont expédié chez un psy. Puis ! Ce fut le mutisme total. Je n’étais même pas soulagé, lorsque l’inspecteur m’a dit : « Il s’en sortira, vous avez une sacrée chance ». Putain de chance, ai-je dit ! Il ne s’en offrira pas une autre !

- Vous avez pensé ça ?

- Oui ! A haute voix en plus, ce qui a offusqué le flic qui prenait ma déposition, pour la, je ne sais plus combien de fois. J’ai commencé à réaliser mon acte fou, à la prison militaire, pavillon psychiatrique, où ils m’ont mis en observation, dit-il, riant à ce souvenir. Bah ! J’étais vraiment fou !

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Aujourd’hui, je prendrais une valise et… j’irais visiter le monde ! C’est ce que je fais là, non ?

- Il est un peu restreint, question espace, notre monde. Qu’est-elle devenue ?

- Elle survit à Paris. Les juges lui ont accordé la garde des enfants. J’ai des nouvelles, mais je ne les vois plus. Ils me manquent beaucoup.

- Ils reviendront, Paul, ils reviendront ! Laissez leur le temps, de grandir dans leurs cœurs. J’en sais quelque chose. Je n’ai connu mon père, qu’à l’âge de 17 ans. Je peux vous dire, que j’ai été déçu. Si je peux vous donner un conseil, laissez le passé de côté. Il appartient aux parents, pas aux enfants. Eux ce qu’ils veulent, se sont des actes, visant à rattraper le temps perdu. Mon père, voulut se justifier. J’ai éprouvé, moins de besoin de le voir.

- Je comprends bien le message, Max. Je prendrais grands soins, de ne pas me laisser emporter.

- Capitaine, intervint Sotis, message du Seko !

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- Merci Lieutenant !

Je pris le télex, que je lus à la lumière masquée de ma torche.

- Que dit le Commandant ? demanda Paul.

- Nous y sommes, Paul ! Bandit 3 arrive sur nous à toute vitesse. Nous serons au contact, dans une vingtaine de minutes. Quant au Seehund, il est arrivé sur « point zéro » sans encombre, et se prépare à l’action. Lieutenant Sotis, interpellais-je le pilote. Conduisez-nous sur la zone d’attente. Accusez réception à « Autorithy » ! Il est, 00:43. Nous passons à l’attaque ! Message terminé !

- Reçu Capitaine, répondit le jeune pilote, rendu fébrile par l’imminence de l’action. Quelques secondes plus tard, les moteurs de l’annexe vrombirent dans la nuit pluvieuse. Je me levais faisant de mon mieux, pour me tenir debout, alors que l’embarcation se cabrait presque, lancée à toute vitesse sur de petites vaguelettes cassantes.

- Constituez vos sticks ! ordonnais-je aux chefs de groupes. Comme à l’entrainement, pour lancer les grappins ! Vérifiez, vos

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fusils à air comprimé. Particularité de ces filets ! Lorsque les grappins sont accrochés, on tire sur la cordelette blanche, afin que le filet monte comme un rideau, le long de la coque. N’allez pas oublier de solidement nouer les bouts. Du calme et du sang froid ! Fischetti et Landu ! Dès que l’annexe sera arrivée sur son point d’attente, vous sortez le matos. Les servants, munissez-vous de deux munitions chacun. Sait-on jamais !

- Reçu Capitaine cria Landu.

- Bien ! Vérification de l’armement. Vous avez cinq minutes. Pour les croyants, faites une prière ! Mais je vous conseille de prier tout le temps. Sait-on jamais, si Dieu n’est pas en bikini sur une plage de la côte d’Azur, il pourrait bien vous entendre.

Quelques ricanements étouffés fusèrent.

- Maintenant, on se fixe sur notre mission. Je souhaite, que nous-nous retrouverons tous à bord du Seko, pour fêter, non la victoire sur un ennemi, mais la victoire sur la mort. En attendant, bonne chance à tous.

- Bonne chance Capitaine, dit Paul, se faisant le porte-parole de ses hommes, me

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tendant la main, que je j’enserrais amicalement.

01 : 05.

- Entendez-vous, Capitaine ? me murmura le Lieutenant Sotis.

- Vous êtes marin, Lieutenant. Donnez-moi très vite votre appréciation.

- Je dirais à l’oreille, que bandit3, est à moins de six cent mètres au Sud-est.

- Moteur ! On passe à l’attaque ! Fischetti, Landu, tenez-vous prêts.

- Servants de mitrailleuses, armez ! cria le pilote, avant de lancer son moteur.

- Vous deux ! ordonnais-je à deux de mes fusiliers. Accroupissez-vous derrière les tireurs de L.R.A.C et tenez-les fermement par les hanches. Ne redressez pas vos têtes, collez les sur leurs popotins !

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Les deux hommes comprirent immédiatement, ce que j’attendais d’eux. Ils stabilisèrent les tireurs avec poigne.

- Attention à l’ouverture du feu, cria très fort le Lieutenant Sotis, à son mitrailleur de tête.

- Vous avez entendu, vous deux ? hurlais-je à Fischetti et Landu. Ouverture du feu, simultanée !

Les servants levèrent la main, pour toute réponse, informant ainsi, qu’ils étaient parés. Il ne se déroula pas plus de deux minutes, avant que subitement, la proue du navire, crève la nappe de pluie, et que très vite, il se matérialise en entier.

- Feu ! hurla Sotis !

- Angle de tir ! criais-je, en direction des deux tireurs au L.R.A.C. (Lance-roquette anti char)

- Chargez ! crièrent-ils simultanément aux servants.

- Attention à la trainée de flammes, ordonnais-je à mes hommes.

- Parés, cible verrouillée dit Fischetti.

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- Cible verrouillée, dit à son tour Landu.

- Feu ! Ordonnais-je.

Les deux engins mortels, crachèrent le feu, sans que leurs porteurs, ne subissent trop l’effet du recul. J’avais eu une soudaine inspiration, qui semblait avoir porté ses fruits. Durant ces quelques secondes, l’esprit préoccupé par la tâche à accomplir, je n’avais même pas porté attention au crachotement saccadé de la mitrailleuse avant. C’est en levant les yeux sur le navire, que je me rendis compte, qu’il encaissait les impacts des balles traçantes, qui en frappant ses superstructures, les illuminaient en ricochant. Deux fortes explosions venaient de se produire, alors que Sotis, virait au sud à toute vitesse, dans un large arc de cercle, qui conduisit l’annexe, en parallèle de bandit 3, avant que le pilote, vienne serrer sa coque, se maintenant à bonne distance, à pleine vitesse.

- Parés aux grappins ! hurlais-je l’ordre, alors que la masse noire et impressionnante du navire, se rapprochait dangereusement.

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- Un quart tribord avant, Capitaine, s’égosilla Sotis !

- Lancez les grappins !

Quatre fusiliers armés de fusil à compressions d’air, visèrent les bastingages, pressant les détentes en même temps. Les grappins s’élevèrent dans les airs, retombant lourdement sur le pont, avec un bruit sec et métallique. Les hommes tirèrent sur les cordes, jusqu’à ce que les croches, se fixent au bastingage. Puis ils firent de même avec les cordelettes blanches. Le filet monta rapidement le long de la coque, avant que les hommes nouent les bouts solidement à des bites d’amarrages.

- Stabilisé ! m’informa Sotis.

- Assaut ! ordonnais-je, grimpant à toute vitesse, en prenant bien soin, d’enfoncer correctement les bouts de mes brodequins, dans les mailles, pour ne pas chuter. Lorsque je pris pieds sur le pont, mon 44 en main, mon premier souci fut de vérifier l’état de la passerelle. Une fumée noire s’en échappait, mais je n’eus pas vraiment le temps de m’attarder sur les dégâts.

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Quelques coups de feu éclatèrent en provenance du pont supérieur. Je courus me mettre à l’abri, derrière le panneau de cale avant, faisant signe à mes hommes, qui à leur tour prenaient pieds sur le pont, de faire de même. Mon stick rassemblé, je n’attendis pas les autres, pour entamer ma progression.

- Un seul tireur ! m’informa le Caporal Jensen, qui gravissait les escaliers conduisant au pont supérieur, à mes côtés. J’entendis les ricochets de plusieurs autres balles, avant que Jensen, arrose le lieu présumé, où se tenait le tireur embusqué. Maintenant, il vidait son chargeur à l’aveuglette, sur des ombres, qu’il ne pouvait distinguer. Une volée de balles, vint nous conforter à l’idée, que l’embusqué, n’était plus seul. Pourquoi, est-ce que mes oreilles bourdonnaient autant ? Je me sentis… léger ! La riposte de mes fusiliers, fut nourrie et assourdissante. Je vidais mon chargeur, en direction des flammèches, qui sortaient des canons des fusils de l’ennemi. Je rechargeais en vitesse, rampant en direction du château. Quatre grenades anti personnelles, atterrirent sur l’emplacement, défendu par l’équipage de

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« bandit3 ». Jansen rampa, venant me rejoindre.

- Nettoyé ! dit-il. Je reçus le message, ne voulant aucunement m’attarder, sur ce qu’il impliquait de lugubre. Tous ensembles, on se plaqua contre la paroi frontale du château. Ian Kowalski, venait d’apponter à la tête de sa section. Sur ma gauche, il y avait une échelle soudée à la paroi, qui conduisait au niveau passerelle. J’évaluais la hauteur, à huit bons mètres. Si ça recommençait à tirailler, nous allions devenir des cibles de choix, me dis-je.

- Vous deux, désignais-je des hommes. Nous grimpons, vous nous couvrez ! Sans attendre leur réponse, j’entrepris la grimpette. Arrivé aux derniers échelons, je passais la tête par-dessus le parapet, avec une extrême prudence. La fumée qui sortait de la passerelle, me provoqua l’envie de tousser, mais elle me protégeait dans l’instant. Toutefois, rien ne s’opposa, à ce que je saute de l’autre côté de ce parapet d’acier. Je me bouchais le nez avec le col de mon caban marin, pour ne pas respirer trop de fumée. Plus rien, ne remuait dans la passerelle. Mon révolver braqué à bout de

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bras, j’y fis irruption par la porte coulissante. J’assistais à une véritable désolation. Toute la partie arrière du poste de Commandement, avait été emportée par les explosions. Personne, n’avait survécu, à l’intérieur. Jensen vint me rejoindre. Yeux écarquillé, il demeura un court instant silencieux.

- Nous y sommes allés un peu fort, non ? dit-il enfin.

- On progresse, Jensen ! Ce n’est pas terminé ! éludais-je, sa réflexion émise à haute voix.

Une fusillade éclata. Quelques balles, vinrent ricocher sur la paroi de la passerelle, où je me trouvais. Je venais d’être encadré. Jensen, m’avait donné une poussée dans le dos, qui m’avait propulsée au sol. Si j’étais resté debout sur mes jambes… «  Bon Dieu », pensais-je, « Il s’en fallait de peu ». Mes hommes, qui venaient de nous rejoindre, tiraillèrent à tout berzingue, en direction des quelques combattants, qui occupaient le pont des embarcations du cargo. Devant le feu nourri de mes hommes, ils optèrent pour

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une retraite prudente, en direction de l’intérieur du navire.

- Ils se retirent, Jensen ! On prend possession du pont des embarcations. Objectif atteint.

- Reçu Capitaine. Bon Dieu ! Mais vous saignez du bras gauche ?

- Je viens de morfler, dis-je. J’ai senti l’impact, mais je ne souffre pas.

- Laissez-moi voir ça… dit-il, se précipitant auprès de moi. Je m’adossais contre la paroi, jetant un regard inquiet sur l’impact de balle, qui avait arraché un large morceau de tissu de mon caban, d’où s’échappait un flot de sang.

- Pas maintenant Jensen, pas maintenant, tentais-je de persuader mon Caporal.

- Vous perdez trop de sang, Capitaine. Je n’en ai que pour quelques secondes. Vous autres, ordonna-t-il aux hommes, continuez la mission. Nous ne tarderons pas. Mais ils hésitèrent, restant figés sur place, en protection.

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Immédiatement, Jensen, arracha la manche du caban, après l’avoir découpée avec son poignard, aussi tranchant qu’une lame de rasoir, puis il s’attaqua à celle de la chemise.

- Putain ! Vous avez l’os brisé. Vous ne souffrez pas, avez-vous dit ? Ce doit être l’onde de choc. Vous avez été comme assommé. Je vous avertis, que maintenant ça va faire mal. Il cassa une ampoule injectable de morphine, et enfonça l’aiguille, dans le gras de mon bras.

- Mais que faites-vous là, Jensen ? hurlais-je outré.

- Ce que je dois faire, Capitaine. Vous en avez morflé deux ! Regardez votre soulier !

Je baissais les yeux. Sous mon pied droit, s’étendait une flaque de sang. Jensen me força à m’asseoir, retirant le soulier, avec de grandes précautions. Puis il déchira deux enveloppes de pansements compressifs, les collants en hâte, sur mon épaule et sur le pied.

- Elle a traversé le pied, Capitaine. Vous êtes un drôle de cas, vous ! Je me serais évanoui moi ! La morphine va faire son

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effet. Restez-là hein ? C’est terminé pour vous.

Ce dont je me souviens, c’est que j’ai posé mon révolver, sur le pont détrempé de pluie, et qu’un violent frisson, s’accompagnant d’une soudaine nausée, s’emparèrent de moi. Bon Dieu, qu’il faisait froid, subitement.

- Paul Declercq, prend le Commandement, ordonnais-je à Jensen, accroupis devant moi.

- Reçu, Capitaine ! Le fusilier Balbi, restera près de vous, dit-il. Nous allons vous transporter loin de cette fumée, près des chaloupes.

- Ne perdez pas de temps, dis-je faiblement.

Il ne répondit pas. Je me sentis soulevé du sol, par des poignes de fer, et transporté comme un sac de patate, avant qu’enfin l’on me dépose sur le sol, sous une embarcation. Jensen ôta son caban, le posant sur ma poitrine, me recouvrant jusqu’au cou. Il rajusta ma casquette sur ma tête.

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- Je vous fais évacuer, dès que ce sera possible, dit-il, avant de se lever, et de disparaitre.

Ce fut soudain ! Ma vue se brouilla, je ne vis plus, que des images spectrales, des hommes qui suivirent Jensen, comme dans un film, passé au ralentis. Et puis… plus rien.

17 mars 1972, 18 : 00.

- Il ouvre les yeux, entendis-je une voix, qui résonna dans ma tête, me provoquant une immense nausée. Des bras chauds, entourèrent mon cou, m’aidant à me pencher, ce qui me déclencha une douleur phénoménale dans tout le corps. Je vomis dans un haricot, tenu sous mon menton. Ma

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gorge, brulait d’aigreurs, et mes lèvres, étaient sèches comme de l’amadou.

- C’est bon signe, dit une autre voix, sans que je parvienne à lui attribuer clairement un visage, lorsque je me fus vidé, et qu’avec beaucoup de délicatesse, ces deux bras, m’aidèrent à reposer ma tête sur l’oreiller.

- Mon Dieu, que j’ai eue peur, mon amour, me murmura la voix qui accompagnait ces bras. Bien que ma vue était encore brouillée, je sus immédiatement à qui, ils appartenaient.

- Alors ma biche ? Tu nous fais des frayeurs comme ça ?

- Bernard ? Tu es déjà là ?

- Ah ! Il m’a reconnu, dit-il. Non ! Nous sommes tous deux au Paradis. Tu n’entends pas, le mélodieux chant des anges ? C’est un concert, qui est réservé aux arrivants.

- Je suis entre les bras d’un ange, alors ?

- Voilà ! J’en connais une, qui si elle sait ça, elle va faire un chahut de tous les diables, de jalousie, lorsqu’elle viendra te rejoindre.

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- Fais pas ch… Ber ! Je n’ai pas le cœur à rire.

- Dix-sept centimètres plus à droite, et tu n’avais plus de cœur du tout, dit-il.

- Où en est l’opération ?

- Il y a deux jours, que tu as été opéré, répondit Bernard, avec son humour habituel.

- Deux… je suis resté endormi tout ce temps ?

- Plains-toi ! Ce sont les copains, qui ont fait tout le travail. C’est bon ? Tu émerges ?

En effet, je reprenais totalement conscience. Soumaya était là, debout à la droite du lit, aux côtés de son mari, m’adressant un resplendissant sourire de bonheur. Jackkie, assise sur le côté droit, au plus haut du lit, me tenait entre ses bras, caressant mes cheveux en silence, son front posé sur ma tempe.

- Parle-moi de ta… de ce qui s’est passé à Hainan, demandais-je à mon ami.

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- Tu ne veux pas attendre demain, dit ma femme, avec une voix entrecoupée de sanglots.

- Je veux tout savoir ! C’est important.

- Eh bien ! entama Bernard, je n’ai pas attendu le nouvel an chinois, si tu veux tout savoir ! Mais ils en ont eu, un avant-goût ! Question feux d’artifices, je peux te dire, qu’ils vont en avoir un sacré putain de souvenir amer, dans l’avenir ! Les deux bandits, obstruent l’entrée du port de Dong Fang désormais. Et crois-le bien, qu’il leur faudra de longs mois, pour débarrasser de leur vues, ces carcasses encore fumantes, à l’heure que je te parle. Le tout, en douceur et… grandes profondeurs. Nous avons abandonné le Seehund, à quelques encablures du récif. Une équipe de la navale, viendra le récupérer, dès que le calme sera revenu dans les parages.

- Où sommes-nous ?

- Nous filons vers les philippines, m’apprit-il.

- Le plan a changé ?

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- Première étape, a considéré l’amirauté du Pacifique Sud. Figure-toi, que nous sommes très activement recherchés. Nous allons à Davao, île de Mindanao. Nous y serons à l’abri, le temps que les jaunes, nous aient oubliés. Ce n’est pas demain la veille, crois-moi ! Alors, nous allons trainer un bon moment sur cette île paradisiaque.

- Et bandit3 ? Mes hommes ?

- Hum ! L’opération a été un franc succès. Il y a eu, quelques ilots de résistance, très sporadiques. Ton plan, a fonctionné à merveille et tes hommes, se sont démontrés à la hauteur, de toutes les espérances. Tu es le seul blessé ! C’est miraculeux ! Ton Caporal-chef… Gringoire, c’est ça ?

- Oui !

- C’est lui, qui a essuyé le plus de résistance, dans les alentours de la salle des machines. Les autres, n’étaient même pas armés, et ne s’attendaient aucunement à une attaque aussi brutale. Ils se sont très vite rendus. Mais il y avait une quinzaine d’irréductibles, à bord. Eux, ils firent leur devoir. Tu leur dois, ces vilaines blessures. Tu postules, pour la croix de guerre ?

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- Je vois ! Où est Paul ?

- Il vient de partir, voyant que tu dormais encore. Ce fut le défilé ici, pendant que tu en écrasais. Le Commandant, nos collègues Ian et Jean-Luc, James Lewis, Dan et Carroll, bref ! La liste est longue, de ceux qui voulaient te veiller. Je fus le seul, qui me soi rendu dormir, car je savais, que tu ne me ferais pas le sale coup de clamser, avant que je récupère. Eh bien, tu vois ? J’avais parfaitement raison.

- Pas de survivant, de la passerelle de commandement de « Bandit3 » ?

- Hum ! Toi ? Tu ne changeras jamais, hein ?

- Reposes-toi chéri, maintenant, dit Jackkie, retirant ses bras, pour arranger mon oreiller. Demain, tu auras bien repris des forces, et tu pourras interroger tes amis. C’est fini, maintenant. Nous allons arriver à Mindanao. Tu seras transporté à l’hôpital américain, où l’on te bichonnera. Je serais ton infirmière, hein ? Je ne veux que personne d’autre que moi, te touche. Tu es d’accord ?

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- En douterais-tu ? répondis-je, ressentant une vive douleur au bras, qui me fit grimacer. Je regardais le pont que formait l’arceau sous le drap, me remémorant que le pied aussi, avait morflé.

- Tu as eu beaucoup de chance, dit Soumaya, qui avait suivi mon regard. La balle a traversé les cartilages. Fuller, a fait des merveilles, pour que tu marches à nouveau. Quelques semaines de soins, une bonne rééducation fonctionnelle et… peut-être, que tu ne boiteras même pas. Heureux ?

- Tu parles ! Je sors par la petite porte ! Moi qui m’imaginais pouvoir participer au défilé du 14 juillet, avant de tirer ma révérence… Bon ! J’y assisterai en fauteuil roulant ? A quand le défilé des éclopés, sur les champs Elysée ?

- Patience, mon pote ! La guerre froide a encore de beaux jours devant elle, dit Bernard le philosophe visionnaire. Qui sait même, si elle ne se réchauffera pas, de façon impromptue ? Nous les comptabiliserions par milliers, les vétérans éclopés, de cette confrontation sans précédent. Ceux de 14, vont disparaitre,

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ceux de 39, les suivront de près. Tu crois vraiment, que nos politiciens, se passeraient volontiers des commémorations aux morts ? Allons, allons ! C’est leur image de marque électoraliste, qui en prendrait un sacré coup où je pense. Alors, comme je viens de te le dire, patience. Tu défileras un jour prochain, si ce n’est, ce 14 juillet qui vient.

- Tu me redonnes de l’espoir ! Je serais grand-père, d’ici là !

- Oui ! Qui a écrit cette citation ? Voyons !

« Personne n’est assez insensé pour préférer la guerre à la paix. En temps de paix, les fils ensevelissent leurs pères, en temps de guerre, les pères ensevelissent leurs fils ».

Bernard, récita cette citation, avec une expression, que je ne lui connaissais pas.

- Hérodote, répondit Jackkie, que Soumaya attira entre ses bras, la berçant tendrement.

- Je crois bien, que nous venons de sortir, de la saison des tempêtes, dit ma femme, le regard se perdant, au-delà du hublot.

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Un immense soleil d’un rouge sang, semblait vouloir s’enfoncer dans la profondeur de cet océan. « Rien, n’est plus incertain », pensais-je…

FIN…

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