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Extrait de la publication… · Je connais bien votre âge Et comment ? Et le livre des étrangers, alors, sur lequel vous l'avez écrit ? ... Un beau soleil par ce matin d'août

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SOUVIENS-TOI

D'UNE AUBERGE

DU MÊME AUTEUR

PIA MALÉCOT, roman.

TENDRESSE INHUMAINE, roman.

A paraître

CIEL Bouché, nouvelles.

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D'UNE AUBERGE

PIERRE DE LESCURE

SOUVIENS-TOI

Paris 43, Rue de Beaune

roman

Qitatt*iè»»»e M'Jtiition

n/y

GALLIMARD

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L'ÉDITION ORIGINALE de cet ouvrage a été tirée à trenteexemplaires sur alfa des Papeteries Lafuma Navarre, dontvingt exemplaires numérotés de 1 à 20 et dix exemplaires

hors commerce numérotés de 21 à 30.

Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptationréservés pour tous les pays y compris la Russie.

Copyrihgt by Librairie Gallimard, 1937.

MES AMIS

DES FLANDBES

A

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II descendit lentement le petit escalier couvert de lino-léum. Une bande de cuivre étincelante bordait chaque marche.La rampe en bois verni luisait. Entre la dernière marche etla porte de l'estaminet, il y avait un paillasson. Michel s'ap-puya au mur et essaya de mieux enfiler ses pantoufles. Illes perdait à chaque pas, ses pantoufles Les avait-il pour-tant cherchées dans tous les magasins des grands boulevards,avant de quitter Paris C'était ce cuir-là qu'il voulait, soupleet d'une jolie couleur du rouge anglais.

II poussa la porte de l'estaminet. Sur le piano, un bouquetd'immortelles sortait d'un vase en porcelaine. Un rayon desoleil, à travers une fenêtre ouverte, éclairait le carrelage griset jaune jusqu'au comptoir. On distinguait mieux qu'à l'or-dinaire, peints sur une des faces du comptoir, le moulin blancde Damme et, à côté, le bateau, blanc aussi, qui fait le ser-vice du canal, de Bruges à Sluis.

Michel ne vit personne dans l'estaminet.Une voix dit

Alors, monsieur Wattier, on a eu la bonne nuit ?Derrière le billard qui occupait le milieu de la salle, les

cheveux blonds de Thérèse, cendrés, apparurent presque auniveau du tapis de feutre, puis sa blouse bleue, enfin son brasun peu rouge et, au bout, une toile à laver.

Très bonne, très bonne nuit cria Michel. Ce que jepeux dormir chez vous

Il s'assit sur le billard, d'un léger saut, sans l'aide de sesmains. Il était mince et grand.

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Sous les paupières lourdes et lisses de Thérèse, des yeuxbleus pâles brillèrent.

En trois semaines passées ici, vous avez changé de visage,monsieur Wattier. Bientôt on vous donnera dix-huit ans

Elle rit. Ses dents, petites, finissaient en forme de scie.Elle riait avec tout son corps.

Qui vous dit que je n'ai pas dix-huit ans ? demandaMichel.

Il avança le menton. Ses lèvres plutôt épaisses étaient légè-rement relevées aux commissures. Au milieu du menton une

fossette se creusait autour, quelques égratignures de rasoir.Allez Allez s'exclama Thérèse. Je connais bien votre

âgeEt comment ?

Et le livre des étrangers, alors, sur lequel vous l'avezécrit ?

Je me suis vieilli.

Trente ans, c'est l'âge que les femmes aiment le mieuxpour un homme 1. Mais dites, monsieur Wattier, mademoi-selle a-t-clle aussi bien dormi ? Elle paraissait fatiguée hiersoir. Ça se comprend. C'est loin, Paris.

La porte de la cuisine s'ouvrit.Madame a-t-elle eu la bonne nuit ? demanda

Mme Janssens à Michel.

Mme Janssehs, quand elle avait parlé, gardait la boucheun peu ouverte. Elle était moins grande que sa fille Thérèse,plus grosse et le teint rouge, robuste encore à cinquante ans.Michel ne répondit pas aussitôt et sauta sur le carrelage. Iltendit la main

Bonjour, madame Janssens.

Thérèse avait de nouveau posé sa toile à laver bien à platpar terre. Elle se pencha vers elle puis elle marcha, àreculons, en tirant des deux mains la toile.

Elle a passé une très bonne nuit, reprit Michel.Il évita une flaque d'eau grasse et noire.

Oui, je crois. ajouta-t-il.Et que veut-on pour déjeuner ? demanda Mme Jans-

sens,

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Ce qui vous dérangera le moins, dit Michel. Elle n'estpas difficile.

Il pensa « Ce culot Comment le sais-je si Laurence estdifficile ou non ? Elle ne l'était pas. Mais il y a longtemps,longtemps. »

Du jambon, ça plairait-il à madame ? questionnaMme Janssens. Il faudra lui dire qu'on le prépare ici, lejambon, avec nos cochons. Ah je sais trop comment la char-cuterie est faite chez les charcutiers, monsieur Wattier. Je

n'en achète jamais. Je ne la mangerais pas.Thérèse, au-dessus d'une large bassine, serrait à pleines

mains son torchon. Des gouttes visqueuses faisaient giclerl'eau jaunâtre.

Même chez les charcutiers de Bruges, on ne pourraitavoir confiance, dit-elle.

Surtout chez ceux-là reprit Mme Janssens. Pointparce qu'ils sont de Bruges. Je n'ai rien contre Bruges. Mamère y est née.

Pas loin de l'embarcadère, dit Thérèse.L'enseigne, c'est In het Zwaantje.Ça veut dire Au Petit Cygne, traduit Thérèse.Mais vous comprenez, reprit Mme Janssens, à ceux

des villes, il y en a qui leur vendent des bêtes mortes. Nous,quand un cochon meurt, on le met dans un trou avec de lachaux.

Alors, où voulez-vous que je serve le déjeuner ? Surla terrasse ? demanda Thérèse à Michel.

Il fait du beau soleil, dit Mme Janssens.Ce serait malheureux autrement, alors qu'on n'a pas

fini le mois d'août dit Thérèse.

Mme Janssens baissa une paupière, comme pour uneœillade à Michel.

Elle veut toujours avoir le dernier mot Plus queJulma.

Thérèse rit

Et Roosje, lorsqu'elle n'était pas mariée ? dit-elle.Encore maintenant. dit Mme Janssens. Vous ferez

sa connaissance, monsieur. C'est mon aînée. Elle viendrabientôt de Liège avec son mari et les deux enfants.

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Thérèse continuait à rire, la tête en arrière, la bouche ou-

verte, en montrant ses gencives. Elle repritRoosje, on dit que c'est une belle Flamande, savez-

vous. Mais il ne faudra pas trop la regarder, mademoiselleserait jalouse.

Voulez-vous vous taire, dit Mme Janssens.Elle souriait aussi. Elle rentra dans la cuisine. Thérèse

demanda

Alors, je mets la table sur la terrasse ?. Dites, vouscroyez qu'elle aimera les Flandres autant que vous ?. Sielle a bien dormi durant sa première nuit ici, c'est déjà ça.

Michel lança vers Thérèse un bref regard. Il pensait « Unsous-entendu ?Une malice ? » Puis il se mit à plaisanter lui-même

Ah mademoiselle Thérèse, ah mademoiselle Treeske,quel est votre genre de coiffure, &n somme ? Un chignon ?On dirait une couronne légère.

Bientôt vous saurez le flamand. dit Thérèse. Ma cou-

ronne, c'est celle d'un ange.Elle tordit encore son torchon au-dessus de la bassine

Le déjeuner sera servi dans dix minutes.Un manche à balai demeura abandonné près d'un broc

d'émail.

Michel sortit sur la terrasse.

Les fauteuils de jonc entouraient déjà les tables rondesen ciment et les tonneaux cerclés de cuivre, toujours propres.Les capucines qui grimpaient aux arbres étaient humidesde rosée ou de brume. Les pétunias aussi. Les feuilles des buisreluisaient, des buis en pot taillés en pyramide et qui bar-raient le chemin, toujours, aux soûlards attirés par lapissotière voisine.

Michel leva la tête vers la fenêtre fermée de la chambre de

Laurence. Ses cheveux étaient foncés, blonds pourtant, et gon-flés la raie qui les séparait paraissait ainsi presque invisible.

Des briques rouges couvraient la façade de l'auberge. Surl'enseigne verte au fond blanc se détachaient le nom de

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Félix Janssens et aussi celui de son auberge Het herligeHuisje. La petite maison du Bon Dieu, où l'on débite la Roden-bach's Bier, la Lambic Gueuze, l'Aigle Belgica, la Bass Stout.Contre les briques de la façade, sur des plaques de fer auxcouleurs vives, brillaient les annonces des bières qu'on aimedans le pays des Flandres.

La fenêtre de Laurence demeurait fermée.

Un beau soleil par ce matin d'août Un pull-over rouge àcôtes, c'est chic, mais ça tient chaud.

Devant la petite auberge, vers la gauche, les balustradesargentées du pont étincelaient la peinture semblait toutefraîche. Le clocher Notre-Dame de Bruges se dessinait au boutdu canal, svelte et bleu. Des vaches broutaient au bord duchemin cyclable leurs taches noires se reflétaient dans l'eau.

Michel s'approcha de la rive. Un vélo apparut sur l'étroitchemin granuleux qui de Bruges va jusqu'à la -Hollande. Unefemme, en longue blouse bleue comme celle de Thérèse, péda-lait sans hâte. Dans un panier, derrière la selle, son bébéregarda Michel. Les feuilles des grands peupliers d'Italietremblaient, comme toujours. Aucun vent.

Un bruit métallique résonna en face, sur l'autre rivedu canal, le facteur à la casquette dorée frappait avec unmorceau de fer le tronçon du rail rouillé qui pendait à unepetite potence en bois. Michel Wattier regarda son poignetil avait laissé sa montre dans sa chambre mais certaine-

ment plus de neuf heures. « Laurence m'a dit qu'elle se ré-veille chaque matin d'elle-même. Elle devait être prête àneuf heures. »

Bonjour, monsieur Wattier, murmura Julma qui pas-sait près de Michel.

Elle riait. Elle riait sans cesse en disant « bonjour » ou

« au revoir » ou quand elle parlait du temps ou du cinéma.Elle riait sans bruit, mais avec un visage épanoui, moinsrêveur que celui de sa sœur Thérèse. Elle descendit dans lebac pour répondre à l'appel du facteur. Comme elle manœu-vrait le fil de fer qui relie une rive à l'autre, Michel vit sesgrosses joues vernies dans le soleil et, mouvantes sous sajupe de coton brun, ses grosses fesses.

Le facteur passa l'eau.

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Michel n'attendait aucune lettre.

Il s'assit dans l'herbe tout près des roseaux. Un chevalroux, à la crinière blonde, venait vers lui, le long de la voiecyclable. Le cheval avançait avec lenteur et levait lourde-ment ses sabots. Il tendait de toute sa force pesante unecorde, et le regard de Michel suivit la corde, à travers le cielbleu pâle, devant les peupliers d'Italie aux feuilles tremblo-tantes, jusqu'à un mât de bois ciré, jusqu'à la masse noired'une péniche. Le cheval avança encore, passa derrièreMichel et dut s'engager plus loin, entre les balustrades argen-tées du pont ses sabots heurtèrent les pavés le bruit ré-sonna. La péniche, au bout de la longue corde, arriva à sontour. Une femme au châle rouge tournait d'un mouvementininterrompu la roue du gouvernail. Un homme au chandailbleu regardait la berge. Au passage de la péniche, la surfacede l'eau se plissa, les nénuphars plongèrent (ils réapparaî-traient ensuite), les roseaux s'inclinèrent (ils se redresse-raient de nouveau). Les feuilles arquées des roseaux parais-saient bruire comme sous un vent léger leurs plumetss'agitèrent.

Les plumets des roseaux tossing their heads in sprightlydance, dit une voix près de Michel.

Michel se leva brusquement. Ses talons glissèrent surl'herbe humide, puis, son équilibre aussitôt retrouvé

Littéraire, littéraire Laurence ?s'écria-t-il.Laurence, ses cheveux noirs, souples et assez longs, elle

les enfermait, depuis longtemps, dans une résille à largesmailles. Sa coiffure formait ainsi jusqu'à la nuque une masselourde. « Un air de petite fille modèle, » pensa Michel. Maisseulement à cause de ses cheveux Laurence portait, cematin-là, des chaussures à talons plats, larges et cousuescomme des chaussures de ski. En retournant vers la terrasse

de l'auberge, elle marcha, à côté de Michel, d'un'pas solide.Très droite, elle rejetait un peu la tête en arrière. Une blousede soie jaune, à col rond, moulait ses seins. Michel songeait« A Valenciennes déjà, des corsages toujours ajustés, » tan-dis que Laurence disait

Littéraire ?Moi ? Je n'ai pas relu Wordsworth depuisle collège de Valenciennes.

Ils s'assirent devant l'auberge, sur la terrasse, près d'unetable en ciment.

Une serviette toute blanche recouvrait la table et, autourd'une haute cafetière de faïence, des assiettes avec une motte

de beurre, du pain bis, du jambon. Les morceaux du pain,minces et réguliers, s'étageaient. Deux douzaines au moins.

Michel, de la pointe de sa fourchette, piqua une tranchede jambon

Regardez Mince comme un pétaleTransparent dit Laurence.

Elle versa le café dans les tasses.

Vous ne trouvez pas qu'au passage de la péniche lesroseaux paraissaient hocher leurs têtes ?demanda-t-elle.Naturellement en français, c'est beaucoup moins bien.Un peu gnan-gnan.

Ils mangèrent.Une bonne nuit ? demanda Michel. On dit ici « la

bonne nuit » ??

Laurence tenait sa tartine entre deux doigts. Toujours desongles soignés. Elle mangeait en ouvrant fortement les mâ-choires. Le même bon appétit qu'à Valenciennes. Jamaisfatiguée. Solide Une fois, la roséole, voilà tout Mais pasplus bavarde que dix ans auparavant. Déjà la veille, durantleur long trajet en auto de la gare de Bruges jusqu'à la petitemaison du Bon Dieu, elle était restée plutôt silencieuse.Michel non plus n'avait guère parlé. Rien dit du pays aumilieu de cette nuit noire.

II

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SOUVIENS-TOI D'UNE AUBERGE

Trois vélos passèrent sur la voie cyclable, le long du canal.Trois filles blondes sur les vélos.

Des vélos qui viennent de Hollande, dit Michel.Pourquoi de Hollande ?Les plaques, derrière les selles, sont bleues. ne sont-

elles pas bleues ?. En tous les cas, les filles blondes, cesont certainement des Hollandaises.

Vous n'avez pas changéLaurence riait en découvrant ses dents larges et serrées.

Je me rappelle qu'un jour au cirque, celui de la foire,vous avez soutenu qu'une petite écuyère habillée en satinblanc était une Roumaine. Une fille des environs de Cam-

brai

Comment l'avez-vous su ?

Nous avons été le lui demander, à l'entr'acte.Nous avons fait cela?.

Le cirque avec ses odeurs de chevaux, de sciure de boiset de bêtes sauvages dont les cages, à l'entr'acte, sentaientaussi le crottin la musique tapageuse, « le cercle de la mort »,et surtout la présence, sur la même banquette, de Laurenceet de sa sœur Marianne. Il y avait bien miss Lewis qui lesaccompagnait tous les trois. Ce que Michel avait pu la détes-ter cordialement sa miss Lewis, à certains moments chaquesoir, sa façon de dire, pendant des années « Il est l'heure,Michel »et de la salle de bains, pendant qu'il s'essuyait avecrage, il entendait les cris joyeux de Laurence et de Mariannedans le grand jardin voisin. « Des filles et elles se couchenttoujours après dix heures » Parfois, toutes deux lui faisaientdes signes du petit belvédère en fer forgé sur l'espèce depetite colline de leur jardin. C'était le grand-père de Michelqui avait dessiné le belvédère pour les grands-parents deLaurence et de Marianne. Dire que Michel aurait pu dessinerdes trucs pareils dans les bureaux aux vitres noircies del'usine d'Anzin Et les bilans, les frais généraux, les histoiresà passer par Profits et Pertes, et tout et tout

Un homme s'avança vers la terrasse de l'auberge. Il s'assitdans un des fauteuils d'osier. Deux vases de grès suspendus,

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où poussait la capucine, encadrèrent sa casquette en grosdrap. De la chemise bleue dépassait un tricot jaune.

Thérèse apparut sur le seuil. Elle sourit d'abord à Lau-rence et à Michel, puis s'adressa, en flamand, à l'homme. Ellelui servit un verre de bière.

Il y a longtemps que vous n'êtes allé à Valenciennes ?demanda Laurence à Michel.

Il faudra que j'y retourne pour régler définitivementles affaires de mon père.

Il pensa « Une chose assommante Le notaire de la rue dela Wiewarde, ce vieil imbécile Les gens de l'usine qui m'onttoujours regardé comme un étranger. Je n'entends rien auxaffaires. Les affaires me barbent »

Il repritOh elle ne durera plus longtemps l'usine. Ce n'est

pas mon cousin Stiévenard qui pourra jamais en tirer quelquechose. Il paraît que mon père, la veille même de sa mort, luia encore flanqué une de ces engueulades Vous savez, dansle Nord, les ancres, ça ne va plus guère, depuis que les Alle-mands fabriquent eux-mêmes. C'étaient les plus gros clients.

Alors, rien à regretter pour vous, dit Laurence.

Elle sortit de sa manche un tout petit étui en cuir elle yprit une cigarette

Quand vous vous êtes marié, je me rappelle que Ma-rianne s'était demandé si vous ne faisiez pas de gaffe en re-nonçant à une situation toute faite. Vous savez, Marianneadorait me donner des nouvelles de tout le monde. Elle adore

s'intéresser aux uns et aux autres.

Renoncer ? Je n'ai pas renoncé C'est mon père quim'a obligé à gagner ma vie autrement.

Michel revit aussitôt le grand bureau de l'usine d'Anzinoù avait eu lieu la discussion. La table encadrée dej«clas-seurs verticaux », oh des meubles et des méthodes mo-

dernes Sur le large buvard de la table, les mains de son père,à plat, avec leurs veines saillantes. C'était dans la glace, entreles deux fenêtres, que Michel osait regarder, par instants, lecrâne aux cheveux gris durs et courts. Ni les mains, ni latête ne bougeaient, mais la voix martelait chaque mot « Ou

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l'usine sans Bernadette, ou ta Bernadette et tu gagneras tavie à ta guise, mais pas mon usine et rien de mes économies. »

Michel s'adressa de nouveau à Laurence

Naturellement, la petite Crespin que mon père voulaitme faire épouser, c'était le gros sac. Et puis nous, les ancres,et eux, les chaînes, ça s'accrochait magnifiquement

Du bout des doigts, il plia le petit étui en cuir de Laurence.Depuis la mort de maman, il ne revenait jamais sur

une décision, reprit-il. Et, pas une seule fois, il n'a reçu mafemme

Pendant quelques instants ils gardèrent le silence. Sur laterrasse, l'ouvrier était parti. Dans le verre vide demeuré aumilieu d'une table, une guêpe suçait le reste de la mousse.

Vous savez, Michel, dit Laurence, je n'ai pu revenir,parce que j'étais alors dans le Tyrol. Vous aviez choisi unede ces dates

Pour mon beau-père, il fallait que ce fût en août. Jen'ai pas soulevé la moindre objection. Ni pour la date dumariage, ni pour rien. Vous imaginez son état d'esprit aprèsl'attitude de mon père. Il était profondément froissé. Il necomprenait pas. Ah les sales mois.

A cette époque, Marianne s'apitoyait beaucoup survous, dans les lettres qu'elle m'écrivait. Elle était déjàfiancée. Elle pouvait vous comprendre.

Vous a-t-elle raconté que le père de Bernadette venaitd'être nommé inspecteur d'Académie ?Il a quitté le lycéede Valenciennes quelque temps après. Enfin, un inspecteurd'Académie valait bien un fabricant d'ancres.

Une mouette vola au-dessus du canal puis au-dessus dujardin de l'auberge. Laurence et Michel la suivirent des yeuxà travers le ciel dont le bleu pâle, sous le soleil des Flandres,devenait gris.

Que Marianne vous a-t-elle encore dit à propos de mafemme ? demanda brusquement Michel.

Elle la trouvait très jolie.Michel, avec l'étui de cuir, donna un petit coup amical

sur les doigts de Laurence.Mes pauvres cigarettes dit Laurence.

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