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Extrait de la publication… · Mise en pages : Zéro Faute, Outremont Dépôt légal – 4e trimestre 1996 Bibliothèque nationale du Québec ISBN 2-89448-071-7 Imprimé au Canada

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Journal d’un patrioteexilé en Australie

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Autres ouvrages de Georges Aubin

Jean-Philippe Boucher-Belleville, Journal d’un patriote (1837 et 1838),Montréal, Guérin littérature, 1992.

Siméon Marchesseault, Lettres à Judith, correspondance d’un patriote exilé,Les cahiers du Septentrion no 7, Sillery, Septentrion, 1996.

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François-Maurice Lepailleur

Journal d’un patrioteexilé en Australie

(1839-1845)

Texte établi avec introductionet notes par Georges Aubin

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Les éditions du Septentrion sont inscrites au Programme de subventionglobale du Conseil des Arts du Canada et reçoivent l’appui de la SODEC.

Page couverture : Montreal Star, 15 décembre 1988

Correction d’épreuves : Jude Des Chênes

Mise en pages : Zéro Faute, Outremont

Dépôt légal – 4e trimestre 1996Bibliothèque nationale du QuébecISBN 2-89448-071-7Imprimé au Canada

© Les éditions du Septentrion1300, av. MaguireSillery (Québec)G1T 1Z3

Si vous désirez être tenu au courant des publicationsdes ÉDITIONS DU SEPTENTRION,

vous pouvez nous écrire au1300, av. Maguire, Sillery (Québec) G1T 1Z3

ou par télécopieur (418) 527-4978ou consultez notre catalogue sur Internet :

http://www.ixmedia.com/septentrion

Diffusion Dimedia539, boul. LebeauSaint-Laurent (Québec)H4N 1S2

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Introduction

En 1838, le Bas-Canadien qui aurait voulu se faire payer une « croi-sière » en Australie, aller seulement, aux frais de Sa Majesté, devait rem-plir certaines conditions : d’abord militer pour l’indépendance de sonpays, houspiller quelque bureaucrate malfaisant, tordre le nez à un loyalun peu trop zélé, ou encore organiser un vol d’armes, se faire arrêter,emprisonner, accuser de haute trahison, être traîné en Cour martiale,jugé et condamné à « être pendu par le cou jusqu’à ce que mort s’en-suive ». Ces conditions n’allaient pas sans risques. Pourtant plus de 875des nôtres se rendirent jusqu’au cachot. Il y eut alors à Montréal, entrele 23 novembre 1838 et le 1er mai 1839, une vaste et monumentale farcede procès qui se terminèrent tous par une bonne récolte de condam-nations : 99 patriotes eurent comme sentence d’« être pendus par lecou... ». Le gibet installé au Pied-du-Courant fut le théâtre de 12 exé-cutions qui eurent pour but d’effrayer la population et de satisfaire lesAnglais fanatiques qui réclamaient du sang. En juillet 1839, on défit lapotence. Qu’allait-on faire des condamnés à mort, qui pourrissaient dansla prison attenante ? L’Australie, appelée alors New South Wales (laNouvelle-Galles du Sud), fut la réponse. Déjà en juin, il était décidé quel’Australie, colonie pénale de l’Angleterre depuis cinquante ans, serait laterre d’exil de nos indésirables.

Donc, sur les 99 condamnés à mort, 58 virent leur peine commuéeen exil, tellement était grande la mansuétude colbornienne. Ils montè-rent à bord du Buffalo, une frégate de Sa Majesté construite à Calcuttaau début du siècle, en route pour l’Australie. C’était en septembre 1839.Dorénavant, ils seraient considérés comme « morts civilement » et il yavait peu d’espoir de les voir revenir un jour. Les épouses éplorées, quiavaient perdu mari, ménage, maison, animaux et autres biens, durent setrouver un gîte quelque part et firent élire un tuteur à leur progéniture.

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JOURNAL D’UN PATRIOTE EXILÉ EN AUSTRALIE8

La croisière des morts-vivants à bord du Buffalo dura cinq longs mois,à fond de cale, en-dessous de la ligne de flottaison, avec la vermine etles poux. Même l’escale de Rio de Janeiro ne parvint pas à leur faireoublier qu’ils s’en allaient tous vers un lieu de non-retour.

Ces 58 expatriés étaient presque tous originaires de la Rive-Sud deMontréal et du Haut-Richelieu :

De Beauharnois

Alarie, MichelBourbonnais, DésiréGoyette, JacquesGoyette, JosephPapineau, AndréPrévost, Frs-XavierRochon, ToussaintRoy, BasileRoy, CharlesRoy, Joseph

De Châteauguay

Guérin, LouisGuimond, JosephLepailleur, François-MauriceNewcomb, SamuelThibert, Jean-LouisThibert, Jean-MarieTrudel, Jean-Baptiste

De L’Acadie

Béchard, ThéodoreCoupal-Lareine, AntoineLanglois, Étienne

De Montréal

Ducharme, Léandre

De Saint-Césaire

Bourdon, LouisBousquet, Jean-Baptiste

Guertin, Frs-Xavier

De Saint-Constant

Languedoc, ÉtienneLongtin, JacquesLongtin, Moïse

De Saint-Cyprien (Napierville)

Bigonesse, FrançoisDefaillette, LouisHébert, Jacques-DavidHébert, Joseph-JacquesHuot, CharlesLavoie, PierreLeblanc, DavidLeblanc, HubertMarceau, JosephMorin, AchilleMorin, Pierre-HectorParé, Joseph

De Saint-Édouard

Pinsonnault, RenéRobert, Théophile

De Saint-Philippe

Pinsonnault, Pascal

De Saint-Rémi

Lanctôt, HippolytePinsonnault, Louis

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INTRODUCTION 9

Comme on peut le voir, François-Maurice Lepailleur était del’expédition. Il n’avait pourtant rien d’un criminel. Né à Varennes en1806, il était fils d’un notaire et d’une inconnue. Son illégitimité nel’empêcha pas d’acquérir une instruction rudimentaire qui lui permit delire le français et l’anglais presque aussi bien qu’un premier ministre. Ilhabitait à Châteauguay une maison de pierre à deux étages, sur la rivesud-ouest de la rivière Châteauguay (appelée aussi rivière du Loup),vivait paisiblement avec Adélaïde-Domitilde Cardinal, sa femme, et sesdeux fils, Alfred et Jean-Baptiste. En 1833, de peintre en bâtiment qu’ilétait jusqu’alors, il devint huissier, métier qu’il pratiqua surtout pour lebénéfice des soeurs Grises, seigneuresses du lieu établies dans l’île Saint-Bernard, collectant pour elles les rentes non payées. Son beau-frère,Joseph-Narcisse Cardinal, avait appris le notariat auprès de François-Georges Lepailleur, le père de notre patriote. Tous deux étaient degrands amis. Je soupçonne même le notaire Cardinal d’avoir exercé uneinfluence considérable sur l’engagement de Lepailleur à prendre part àla « révolution » de novembre 1838. Les deux notaires, Cardinal etDuquette, espéraient que le grand coup, prévu pour le 3 novembre1838, préparé et ourdi des États-Unis par les Robert Nelson, Côté,Ryan et Malhiot, et alimenté par les Frères Chasseurs, allait enfin ramenerla justice en ce pays, écrasé depuis 1791 par une administration indigne,menée au petit bonheur, aux prises avec des conseillers égoïstes, véreuxet plus encombrants qu’efficaces. Seulement, pour réussir une révo-lution, il faut plus que de belles paroles. Comme la livraison d’armes desAméricains se faisait attendre, Cardinal, Duquette, Lepailleur et quelquesautres, décidèrent, la date fatidique venue, de s’emparer du dépôtd’armes des Mohawks, à Kahnawake. Or les Mohawks, déjà experts en

De Saint-Timothée

Gagnon, DavidPrieur, Frs-Xavier

De Saint-Vincent-de-Paul

Rochon, Alexandre-Jérémie

De Sainte-Martine

Bergevin, CharlesBuisson, ConstantChèvrefils, Gabriel-Ignace

Dumouchelle, JosephDumouchelle, LouisLaberge, JeanTouchette, Frs-XavierTurcot, Louis

De Terrebonne

Bouc, Charles-GuillaumeRochon, Édouard-Pascal

D’Alburg, Vt.

Mott, Benjamin

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JOURNAL D’UN PATRIOTE EXILÉ EN AUSTRALIE10

combats extrêmes, attirèrent nos comparses dans un guet-apens, lesfirent prisonniers et les livrèrent aux autorités judiciaires, à Montréal,sous les applaudissements des Tories.

C’est ainsi que François-Maurice Lepailleur, condamné à mort,échappa cependant à la potence et put monter à bord du Buffalo enseptembre 1839 avec un petit cahier où il avait décidé de noter quo-tidiennement ses réflexions pour le bénéfice de son épouse, Domitilde.Il nous emmène avec lui dans une longue odyssée de plus de cinq ans,nous fait voyager en mer, par les océans Atlantique et Indien jusqu’aucamp de Longbottom, situé entre Parramatta et Sydney, en Australie.Après un séjour de deux ans aux travaux forcés à Longbottom, il obtientun permis de travail qui lui donne un peu de liberté. Il retrouve alorsson métier de peintre qu’il exerce dans les environs de Sydney pendantdeux ans.

Le Journal d’un patriote exilé en Australie ne nous parle pas que de sonauteur. Lepailleur affectionne surtout les moments de vie de l’un etl’autre de ses compagnons d’exil. Chacun y passe avec ses petites manies,ses travers et ses bons coups. Joson Dumouchelle, Languedoc, le capi-taine Morin, Bourdon, le pauvre Dr Newcomb et les autres défilent aujour le jour et deviennent, pour le lecteur, des personnages familiers.Lepailleur se tient au courant de l’actualité en lisant les journaux deSydney, malgré que ce soit interdit ; il nous commente abondammentles événements mondiaux qui le touchent de près : le naufrage duBuffalo, le transport des cendres de Napoléon, un attentat contre la reined’Angleterre et son époux. Il observe aussi la sombre réalité de la vieaustralienne de l’époque. La colonie pénale étant une sentine de vices,les critères moraux du huissier de Châteauguay sont mis à dureépreuve : souvent il est confronté à des soûleries d’hommes et defemmes qui se terminent en pugilats — ces dernières étant battuescomme plâtre au moindre prétexte — manigances, rapines, assassinats,joyeux adultères et vols de grands et de petits chemins.

Enfin, en février 1844, Sa Majesté la reine Victoria signait un par-don qui autorisait Lepailleur à revenir au pays. Un groupe de 38 exilésfit le trajet Sydney-Londres à travers le Pacifique et l’Atlantique. Etl’exilé d’Australie retrouva sa femme à Châteauguay, le 19 janvier 1845.

Les manuscrits du Journal de Lepailleur sont faits de cinq cahierscousus grossièrement, habillés de carton souple et encollé de journaux

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INTRODUCTION 11

australiens. Ils ont été récupérés on ne sait trop quand par le notaireVictor Morin, fondateur du groupe des Dix et fin collectionneur demanuscrits. Vendus en 1943 par ce dernier à Pierre-Georges Roy, alorsarchiviste du Musée du Québec, ils devinrent ainsi la propriété desArchives nationales du Québec. Or les Archives ne possèdent plus queles premier, deuxième, troisième et cinquième livres de Lepailleur et,parmi ces manuscrits, le journal de Basile Roy. Où donc est passé lequatrième livre ? Robert-Lionel Séguin fit paraître une transcription duquatrième livre en 1972 aux Éditions du Jour. Il dit dans sa présentationqu’il avait acheté « ce manuscrit chez un libraire montréalais » vers 1957.En 1967, le manuscrit du quatrième livre était entre les mains de ClaudePerrault, qui, heureusement, en fournit une photocopie aux Archivesnationales par voie d’échange. Après le décès de Claude Perrault, lemanuscrit du quatrième livre aurait été vendu aux enchères à Montréalen 1987.

Une transcription littérale des cinq livres de Lepailleur en auraitrendu la lecture pénible. L’auteur a la plume facile, abondante et libre ;mais sa prose est remplie de fautes d’orthographe, de ponctuation et desyntaxe, de cuirs, de calques et de syllepses. Elle garde cependant unesaveur de l’ancien français dont on retrouve de nombreux exemplesencore aujourd’hui dans le parler populaire québécois. La transcriptionproposée ici a été établie à partir des manuscrits de Lepailleur et de laphotocopie du quatrième livre. Elle garde la saveur du texte, son rythme,sa beauté, mais les fautes grossières qui en auraient rendu la lectureardue ont été supprimées, de même que tous les renseignements d’ordremétéorologique jugés inutiles.

Deux Journaux de patriotes exilés en Australie ont déjà été publiés,ceux de Léandre Ducharme et de François-Xavier Prieur. Celui deFrançois-Maurice Lepailleur n’a jamais été publié intégralement etl’édition partielle de 1972 est introuvable. En 1980, F. Murray Green-wood faisait paraître en traduction anglaise, aux Presses de l’Universitéde Colombie-Britannique : Land of a Thousand Sorrows, une partie dujournal de Lepailleur couvrant presque en entier la période du séjourà Longbottom. Enfin, en 1995, Beverley Boissery lançait son volu-mineux A Deep Sense of Wrong, inspiré du journal de Lepailleur. Il étaittemps que l’œuvre de ce patriote voie le jour chez nous, en français.

Georges Aubin

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Chère Domitilde, si j’écris ce petit mémoire-ci, c’estpour avoir le plaisir de te rappeler en partie ce qui s’estpassé dans mon exil, car sans toi je n’aurais jamaispris la peine de tenir un mémoire.

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PREMIER LIVRE

(1839-1840)

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1839

Mémoire de F.-M. Lepailleur commencé le 25 septembre 1839, jour dela notification pour l’exil.

Il était trois heures et demie quand M. Beaudry vint me chercher dansla chambre où je restais. C’était pour paraître devant M. Ogden, P.-É.Leclère et Alexandre Delisle. Rendu devant eux, je fus averti de mepréparer à partir le lendemain après-midi pour l’exil. Je demandai àquelle place on m’envoyait ; on me répondit que c’était à New SouthWales1. C’est M. Ogden lui-même qui me l’a dit. Ma femme était avecmoi, dans la prison, quand je fus averti, mon petit Alfred y était aussi,et Célanire et Mathilde, mes deux belles-sœurs. Il m’a resté à me pré-parer pour le jour suivant.

New South Wales. Nom de monseigneur l’évêque catholiquede Sydney : John Polding2 *.

26 septembre. Ma femme et mes enfants viennent me voir avec mesdeux belles-sœurs pour la dernière fois. Elles rentrèrent à la prison versneuf heures du matin et sortirent vers une heure de l’après-midi où jeleur fis mes derniers adieux. Vers trois heures, M. Pierce vint nous mettreles fers aux mains pour partir. Après être tous enfargés3, on partit et se

1. En 1770, le capitaine Cook qui explore la côte est de l’Australie (alorsappelée Nouvelle-Hollande) lui donne le nom de New South Wales(Nouvelle-Galles du Sud). Un des six États de l’Australie actuelle porte cenom.

2. John Bede Polding, bénédictin anglais arrivé en Australie en 1835.* Note marginale de l’auteur du journal.3. Enfarger fait référence à une enfarge, ou entrave que l’on mettait aux

animaux pour les empêcher de marcher (Bélisle). Lepailleur l’emploie icidans le sens de menotter. Il utilise plus loin le verbe défarger pour décrirel’opération contraire.

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PREMIER LIVRE (1839-1840) 17

rassembla tous dans la cour de la prison. De là M. Wand passa devantnous et nous le suivîmes tous, deux par deux, au nombre de 58 quenous étions. Nous fûmes embarqués au quai de M. Gilbert, au bas ducourant, dans le steamboat British America. Il était alors quatre heures del’après-midi. Après être tous embarqués, nous partîmes pour Québec. Lesteamboat alla bien doucement et, rendu au haut du Richelieu, le capi-taine fit jeter l’ancre pour attendre le steamboat St. George.

27 septembre. Au grand jour, le capitaine fit lever l’ancre et nouspartîmes dans le cours de la matinée. Ayant été défargé le soir, je me misà écrire à ma femme et je donnai ma lettre à M. Spire. Nous fûmesrendus à Québec à onze heures et, à midi juste, on nous fit embarquerdans le Buffalo. On a été mis dans les chambres de devant. Les prison-niers américains sont arrivés à cinq heures du soir4.

28 septembre. Vers sept heures du matin, nous partîmes de Québecavec le steamboat et, après avoir fait quatre lieues, il nous laissa et nouseûmes un bon vent pour descendre. J’ai écrit à ma femme deux lettres :une datée du 27 et l’autre datée du 29. Et j’ai enveloppé ma lettre du29 le 30 et les ai envoyées par le pilote qui partit le 2 octobre 1839.Nom du pilote : [Jean] Dugas.

2 octobre. Beau temps et bon vent. Dugas quitta le bâtiment5 à neufheures, ce matin. Aujourd’hui, nous laissâmes les îles Saint-Paul6, les îlesde Terreneuve ou Cap-Breton. 45 Canadiens furent malades du mal demer. Les plus malades furent Bourdon, Laberge et Jean-Marie Thibert7.

3 octobre. Bon vent de côté, beau temps, ce jourd’hui. Il n’y a que sixprisonniers canadiens de malades, aujourd’hui. Je fus sur le pont versonze heures, je vis plus de 200 poursis8 alentour du bâtiment et nous

4. Les prisonniers venant du Haut-Canada étaient au nombre de 83, presquetous des Américains.

5. Selon Léandre Ducharme, le pilote [Jean] Dugas revint à Québec à borddu Queen Victoria, un brick anglais rencontré en mer.

6. L’île Saint-Paul, dans le détroit de Cabot, entre le Cap-Breton et Terre-neuve.

7. Voir à la fin du Journal, quelques renseignements biographiques et généa-logiques sur les 58 exilés en Australie.

8. Poursi : pourcil, poursille, espèce de marsouin, mammifère marin connudans le golfe Saint-Laurent. Phocæna phocæna. C’est le pork sea des Anglais(Glossaire du parler français au Canada).

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JOURNAL D’UN PATRIOTE EXILÉ EN AUSTRALIE18

vîmes quatre bâtiments alentour du nôtre ; les uns allaient d’un côté etles autres, de l’autre.

5 octobre. Beau temps. J’ai rêvé à ma femme.

6 octobre. Dans le cours de la nuit, il a fait un gros vent de côté etnous n’avons pas pu dormir du tout. Ce jourd’hui est un dimanche. J’ailu la messe comme d’ordinaire. Le vent est assez gros pour faire remuertout butin qui n’est pas attaché. Aujourd’hui nous avons commencé àavoir un demiard de limonade à boire par jour. J’ai un gros mal de têteaujourd’hui. J’ai rêvé à ma femme et à Célanire.

7 octobre. Dans le cours de la nuit, il s’est élevé un gros vent n.-e. Versdeux heures du matin, il entra un roulin9 qui couvrit la sentinelle quiétait dans sa guérite, dans notre chambre. Vers sept heures, ce matin, unAméricain fut aux lieux [d’aisances] ; là, il reçut un roulin par le trouqui renvoya mon Américain au milieu du bâtiment, avec toute la salo-perie qui était dans les lieux ; ses culottes étaient toutes pleines desaloperie. Le vent est si fort que tout le monde tombe par terre ; leroulin a souvent rentré dans le bâtiment. J.-M. Thibert, T. Rochon,J. Goyette sont les plus malades. L. Ducharme est bien changé. Cesjours-ci sont des jours de lamentation.

8 octobre. Le vent est extrêmement fort et le bâtiment berce beaucoup.À midi, nous sommes à 537 lieues de Québec. J’ai vu pour la premièrefois des petits poissons volants : ils sont bien beaux et peuvent voler unarpent au-dessus de l’eau.

9 octobre. Le vent est au sud, assez favorable. J’ai rêvé à George Baker.Je rêvais que je voulais le détruire dans sa propre maison10. Je me suisfait la barbe aujourd’hui, je me suis coupé les crocs11. Nous avons montésur le pont deux fois dans le cours de la journée.

10 octobre. Beau temps et bon vent. Tout le monde est bien mieux.Nous avons commencé, ce matin, à laver notre butin pour la premièrefois.

9. Roulin : forte vague, de l’anglais rolling.10. George Washington Baker, dont le père était originaire du Massachusetts,

vivait sur les bords de la rivière Châteauguay, à quelque 10 km de Beau-harnois. Sympathique à la cause des patriotes, Baker appuya la premièrerébellion mais refusa de s’engager dans la seconde. Les patriotes s’empa-rèrent alors de son domaine et y établirent un camp, appelé le Camp Baker.

11. Crocs : de grandes moustaches recourbées en forme de crochet (Trévoux).

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PREMIER LIVRE (1839-1840) 19

11 octobre. Vent de côté. On voit deux bâtiments, un de chaque côté,à deux lieues de distance.

12 octobre. Beau temps calme. Ce matin, un nommé Paddock12 a étémis au cachot pour avoir négligé de s’être levé et avoir répliqué à M.Niblett. C’est un prisonnier américain. Nous avons blanchi noschambres aujourd’hui. Tous les soldats sont aujourd’hui de garde et nousn’avons pas été sur le pont ; nous ne savons pas pourquoi. J’ai rêvé à mafemme, cette nuit, j’ai rêvé qu’elle avait une tache de cheveux blancs dela grandeur d’un écu. Ce jourd’hui est une journée remarquable : lessoldats préparent leurs fusils. À quoi ? C’est ce que nous ne savons pas.Le soir, on nous fit tous monter dans la chambre d’en haut pour nousexpliquer les règlements du bâtiment, savoir : le soir, à huit heures, tousles prisonniers doivent être couchés, chacun dans leur lit, ne point avoiraucune conversation ensemble, ne point se lever de son lit pour s’asseoirsur les bancs dans le cours de la nuit, ni se coucher sur les bancs, nirester debout, sous peine d’être tiré par la sentinelle. Après l’explicationfaite, M. Morin fut près de subir une Cour martiale pour deux mor-ceaux de bois qu’il avait descendus de la chambre d’en haut, en bas,pour son utilité. Le même jour, sur le soir, on vit trois bâtiments alen-tour du nôtre. C’est ce qui fut, l’on croit, la cause de ces précautions,et l’équipage craignait soi-disant une conspiration parmi les prisonniersaméricains13. Les règlements ont été plus sévères. Après, on n’avait plusle droit de parler à aucun matelot et à aucun soldat, sous peine depunition sévère, qui est le fouet.

13 octobre. Beau temps ce jourd’hui, vent favorable. Les gardes sonttelles qu’elles étaient hier. La visite de nos chambres se fit ce matin. Ilfut trouvé un petit bout de fer d’environ trois pouces de long, devantle lit de Defaillette. Après la visite faite, Defaillette fut obligé de donnerexplication de ce morceau de fer qui était là depuis longtemps. J’ai rêvé,cette nuit, à mon cher beau-frère, J.-N. Cardinal, et à M. St-Germain14.Aujourd’hui on nous a fait monter sur le pont avec grande précautionet avec plusieurs sentinelles. J’ai lu la messe comme de coutume en trois

12. Jacob Paddock, 18 ans, de Jefferson, N.Y.13. Un nommé Tywell aurait averti l’équipage qu’un complot d’évasion se

tramait (Ducharme). Il s’agit de John B. Tirrell qui était originaire deSaint-Thomas, Haut-Canada, et qui faisait partie des prisonniers dePrescott (Heustis).

14. M. St-Germain, beau-père de Joseph-Narcisse Cardinal.

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JOURNAL D’UN PATRIOTE EXILÉ EN AUSTRALIE20

fois et avec beaucoup de chaleur. Le vent du nord s’est élevé vers cinqheures du soir.

14 octobre. Beau temps et bon vent. Les gardes ont bien diminué.Nous avons dit le chapelet pour se joindre aux prières qui se disent àMontréal et ailleurs en notre faveur. Le vieux Priest15 est bien maladeaujourd’hui. Nous avons eu du raisin aujourd’hui, en place de suif. J’aieu plaisir de rêver à ma femme et à mon cher petit Alfred. Je rêvais quemoi et ma femme, nous menions Alfred à l’école, à Saint-Régis. J’ai bienmal à la tête. C’est des jours de peine et d’ennui que ces jours-ci.

15 octobre. Il a mouillé une partie de la nuit. Vent n.-e. Beau tempsdans le cours de la journée. Après avoir monté sur le pont, M. Black16

nous apporta une pleine poche de bouts de câble et nous demanda sion voulait s’amuser à échiffer du câble. J’ai un gros mal de tête aujour-d’hui et je m’ennuie beaucoup. Marceau est bien malade depuis lecommencement de la maladie.

16 octobre. Beau temps calme et le vent s’élève n.-e. Tous les prison-niers lavent leur butin sur le pont et moi, je me suis lavé une chemisepour la première fois de ma vie. J’ai un gros mal de tête aujourd’hui.Les sentinelles ne sont pas encore mortes : elles crient encore « As well »à toutes les demi-heures de la nuit et nous réveillent à toute heure.

17 octobre. Beau temps calme. Marceau et Priest sont toujours bienmalades. Depuis deux jours, on crève de chaleur, le soir, et je m’ennuieà la mort. Aujourd’hui, on a commencé à avoir du vin dans notrelimonade. C’est une bonne chose pour préserver de la maladie duscorbut.

18 octobre. Il pleut ce matin, le temps s’est mis beau vers huit heures,ce matin ; nous voyons un bâtiment devant nous. Martin, prisonnieraméricain, s’est trouvé mal vers onze heures par la chaleur qu’il fait dansla chambre où nous sommes. C’est malheureux de vivre dans un pareilcachot où on reconnaît à peine son voisin en plein jour. Quel lieu de

15. Certains disent qu’Asa Priest, 40 ans, était du Massachusetts. Heustis le ditoriginaire d’Auburn, N.Y. Selon lui, Priest mourut de chagrin, obsédé parla pensée de s’en aller vers l’inconnu et d’être séparé pour toujours de safemme et de ses enfants.

16. Alexander Black, marchand banqueroutier du Haut-Canada, « avaitobtenu le privilège d’un passage gratuit aux terres australes, à la conditionde nous servir de maître d’hôtel pendant la traversée » (Prieur).

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Table des matières

INTRODUCTION

7

PREMIER LIVRE

(1839-1840)15

DEUXIÈME LIVRE

(1840-1841)129

TROISIÈME LIVRE

(1841-1842)207

QUATRIÈME LIVRE

(1842-1843-1844)277

CINQUIÈME LIVRE

(1844-1845)339

APPENDICE

Les patriotes exilés en Australie375

BIBLIOGRAPHIE

397

INDEX

401

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COMPOSÉ EN BEMBO CORPS 10,5SELON UNE MAQUETTE RÉALISÉE PAR PIERRE LHOTELIN

CET OUVRAGE A ÉTÉ ACHEVÉ D’IMPRIMER

SUR LES PRESSES DE AGMV

À CAP-SAINT-IGNACE

POUR LE COMPTE DE GASTON DESCHÊNES

ÉDITEUR À L’ENSEIGNE DU SEPTENTRION

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