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Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptation

réservés pour tous les pays y compris la Russie.

Copyright by Librairie Gallimard, 1944.

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Cet essai ne prétend pas plus que le précédent à ladignité et au titre d'histoire de la peinture françaisecontemporaine. Que le lecteur ne nous fasse donc aucunreproche, s'il n'y trouve même pas cité tel artiste qu'ilaime, et qui peut être considérable. Loin de nous, en effet,la prétention d'étudier l'œuvre de tous les bons peintresqui firent leurs premières armes en France entre 1905et 1911. Plus modeste, notre dessein est de suivre la marche

d'une certaine tendance de notre art, en choisissant, à ceteffet, les mouvements-symptômes et les artistes-phares,fût-ce avec une brutalité qui, pour durcir et appauvrir lacomplexe réalité, n'en dégagera que mieux, nous l'espéronsdu moins, la ligne générale la grande ligne d'ungrand moment de la peinture française..

PRÉFACE

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CHAPITRE PREMIER

PRÉLUDE AU FAUVISME

Une peinture nouvelle était née en France vers 1889, dontGauguin et ses disciples de Pont-Aven, les Nabis, despeintres de Montmartre, tels que Forain, Toulouse-Lautrecet Suzanne Valadon, les Néo-impressionnistes, enfin,avaient été, à titre divers, les premiers champions. Défenduet illustré par eux, le jeune Irréalisme avait vécu la pre-mière phase de 'son développement, celle où, à une esthé-tique neuve, hardiment conçue, répondent, d'une façonnécessairement inadéquate, des réalisations concrètes,toutes grevées toutes frémissantes d'incertitudes, derecherches, de tâtonnements. A cette époque de tentativessuccéda, vers 1905, un second moment de l'histoire de cetart, moment que définit d'abord le Fauvisme, héritier etnégateur du Nabisme, son précurseur.

Une même volonté de réagir contre la peinture impres-sionniste, et un même refus du réalisme, font, en effet, desFauves les continuateurs des Nabis et de leurs contempo-rains. Indifférents à Itf traduction de l'enveloppe, objetprincipal de la sollicitude de Monet, hostiles même à cetterecherche qui avait souvent pour effet la désagrégation dumonde et la création d'un brouillard lumineux, Fauves etNabis attachent leur attention sur l'objet, indépendammentde l'air qui l'environne, et rêvent de « construire », ce quiest, si l'on en croit A. Lhote, « donner plus de solidité audessin, plus de corps aux objets, rendre plus pesant que

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nature l'univers ». Ce goût de la solidité n'était chez euxqu'un cas particulier d'un amour de plus d'envergurecelui de la permanence, cette moitié de l'art, au gré deBaudelaire, qu'épris de modernisme et de lumière chan-geante, les Impressionnistes avaient négligée au profit del'éphémère, du mouvant, du devenir. Autant, par consé-quent, ceux-ci avaient dû apporter d'attention toujours auxaguets, de curiosité analytique, de subtilité dans l'obser-vation et la notation des phénomènes, dont ils avaient faitl'objet principal de leur art, autant Nabis et Fauves pou-vaient négliger l'analyse au profit de cette synthèse, dontGauguin- s'était fait, plus systématiquement que Cézanne,le héraut et le champion. Ils en avaient été de la sorteconduits à renoncer aux procédés formels de l'Impression-nisme, à sa touche en virgule, sa division du ton, sonexclusive du noir, des terres, des gris, et en étaient revenusà ces tons neutres, si beaux en eux-mêmes, comme auxà-plats de couleur égale.

Dans l'Impressionnisme, le Réalisme cher au xix8 siècleavait trouvé son expression suprême, et, dans l'Impression-nisme, ce que condamnaient Nabis et Fauves, c'étaitd'abord ce Réalisme. Ils le déclaraient impossible, d'abord,parce que la peinture ne saurait copier la nature, dont ellepeut seulement donner une équivalence, et, bien plus, lesacraient inintéressant, puisque l'objet véritable de l'art,ce n'est et ne peut être que d'exprimer le moi de l'artiste etde créer, par soumission à ses lois propres, un objet debeauté, et de beauté pure. « Traduire des émotions et desconcepts par des équivalences de forme », et « se rappelerqu'un tableau (.) est essentiellement une surface planerecouverte de couleurs en un certain ordre assemblées », àces deux principes de Maurice Denis, les Fauves peuvententièrement souscrire, qui, comme les Nabis, dédaigneuxde la profondeur, du clair-obscur, du modelé, de tout cequi fait frôler à la peinture le trompe-l'œil, prônent à leurexemple le grand art de composer, de trouver les ara-besques, d'obtenir l'effet décoratif. Ils en étaient conduitsà préférer à la nature l'objet même de leurs mains, et à laconsidérer comme un simple matériau, dont ils avaient ledroit d'user librement, absolument même. Aussi la plient-ils aux exigences de la double déformation. objective etsubjective, que l'artiste ne doit pas craindre, s'il entend se

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PRÉLUDE AU FAUVISMEdire lui-même et créer un tableau respectueux des lois dugenre. Fauves et Nabis étaient aussi résolument anti-natu-ralistes.

Mais les uns le seront bien plus que ne l'avaient été lesautres. Le Nabisme s'était en effet arrêté à mi-chemin. Tropde raisons politiques, sociales, artistiques, l'y forçaient,qui ne valent plus pour les Fauves. Le temps d'abord n'estplus à l' « apaisement », au « ralliement », comme dansles dernières années du siècle. L'atmosphère de la Francese charge d'orage avec l'affaire Dreyfus et l'avènement aupouvoir du parti radical le climat devient même assezgénéralement révolutionnaire pour qu'une révolution soitpossible dans un art que la contagion gagne. Pourquoid'ailleurs les Fauves redouteraient-ils ce bouleversement ?

Fils du peuple, et fréquemment autodidactes, rien ne lesrattache à la tradition comme les Nabis bourgeois. Qui lesretiendra dans leur désir de faire table rase du passé ? Cer-tainement pas des raisons artistiques. Si l'évolution est, eneffet, la loi de la vie des formes, et s'il était impossible depasser brusquement d'un hyperréalisme à un irréalismecatégoriquement affirmé, la période d'adaptation a eu lieumaintenant Gauguin, Lautrec, les Nabis ont jeté les fon-dements de l'édifice nouveau les Fauves désormais lepourront bâtir, et avec une hardiesse d'autant plus décidéeque l'Impressionnisme, plus loin d'eux que des Nabis,étend moins sur leur activité l'ombre de ses grands maîtres.Un pas sera donc fait avec le Fauvisme dans la voie del'irréalisme.

Un progrès aussi s'accuse dans la synthèse. La différencedes sujets, que les Fauves demandent, non plus à la littéra-ture, terrain propice aux libertés de la fantaisie, mais àla réalité la plus agressivement banale, ne contribue paspeu à mettre en évidence la hardiesse de leurs résumésle spectateur les peut confronter par la pensée avec lemonde qu'ils représentent. L'affirmation de la subjectivitégagne aussi en décision. Le temps n'est plus où Verlainecherchait le charme de la nuance et, bénin, recommandaitla douceur. La réticence d'un Vuillard, l'ironie d'un Bon-nard, grosse des mêmes effets, le puritanisme d'un Vallot-ton, l'aristocratie d'un Lautrec, la tendresse d'un Seurat,ne sont plus de mise avec les Fauves, friands d'affirmerabruptement leur moi. La recherche de l'art pur se fait

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aussi plus téméraire le prestige a pâli des recherches déco-ratives chères au Modem-Style, et ce n'est plus par consé-quent une pseudo-tapisserie ou un semblant d'affiche queles peintres veulent faire du tableau celui-ci doit n'êtrerien que lui-même un tableau.

Tant de décision et de violence suffisent à dresser le Fau-

visme contre le Nabisme qu'il continuait dans le déroule-ment de la peinture irréaliste les écoles successives s'oppo-sent, et la dernière venue, encore que débitrice de la précé-dente, réagit contre elle violemment des buts nouveauxla sollicitent. Comment donc ne ferait-elle pas appel àd'autres guides, à des maîtres différents ? Ainsi les Fauvesne se réclamèrent guère des mêmes ancêtres que les Nabis.

Sans doute se disaient-ils tous deux fils très admiratifs de

Cézanne. Mais parlaient-ils du même peintre ? Il est permisd'en douter. Les Nabis avaient vénéré l'architecte austère

de pommes humbles et de flacons modestes, le metteur enscène réticent des pures maisons de Gardanne ou des lignespures de la Sainte-Victoire. Les Fauves chérirent, eux, levieillard qui, loin du Jas de Bouffran vendu, plantait sonchevalet parmi les ruines du Château Noir, dans son parcabandonné, revenu à la forêt vierge. Les dernières toiles deCézanne, somptueuses de tons aussi profonds que hauts,construites sur des diagonales mouvementées, dynamiques,explosives presque, voilà les modèles des Fauves, qui virenten Cézanne moins le classique qu'il avait été, que lebaroque, que l'âge avait réveillé dans le vieil homme. Nuldoute que si l'un d'eux avait peint comme Denis un Hom-mage à Cézanne, il n'eut placé sur le chevalet, non unenature morte très stable, mais un de ces paysages fréné-tiques de couleur, de mouvement, de matière.

Sensibles à ce Cézanne, les Fauves ne pouvaient guèreque déserter l'autel de l'un des dieux des Nabis Puvis deChavannes, dont le discrédit absurde commença à ce mo-ment. Gauguin lui-même, à qui Matisse et Derain doiventtant, est trop « un Poussin exotique » pour exercer sur leFauvisme l'ascendant presque tyrannique qu'il avait eusur les Nabis. Les Fauves placent leur peinture sousd'autres signes celui de Van Gogh et celui de GustaveMoreau, vénérés, l'un, à cause de son oeuvre, l'autre, parsuite de son enseignement et de ses théories, mais tous deuxBi influents qu'une étude du Fauvisme doit nécessairement

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être précédée d'un examen de l'art de Van Gogh, et desidées esthétiques et pédagogiques de Moreau.

Personne ne s'étonnera que, dans un ouvrage qui a pourobjet de marquer les étapes de la peinture française, uneplace soit faite à Van Gogh, bien que, étranger de nais-sance, il le soit aussi resté d'art rien de français ne se ren-contre dans son expressionnisme inquiet. Mais il doit tantà notre patrie, qui a fait de lui le peintre qu'il devint, et,débiteur ponctuel et généreux, il lui a tant rendu parl'influence qu'il exerça sur les destinées de sa peinture,qu'une étude de la peinture française contemporaine nesaurait passer sous silence ce peintre.

Peintre ? Oui, sans doute, et le seul peintre génial qu'unpays étranger ait enfanté au xix" siècle. Mais plus quepeintre aussi. Homme pauvre homme pour qui lapeinture ne fut qu'un moyen, le dernier qu'il employait,le moyen désespéré pour satisfaire, ou du moins calmerson démon intérieur. Certes la peinture ne représenta paspour le pauvre Vincent ce qu'elle était pour un Corot, unManet, un Renoir, voire même pour un Delacroix. Activitémétaphysique au même titre que les autres qu'il exerça aucours du bref et terrible roman de son existence, elle n'avait

à ses yeux ni signification ni rôle spécifiquement « autres JIque son apostolat dans le Borinage, par exemple. Aussi,pour l'étude d'aucun artiste, le point de vue uniquementesthétique n'est-il plus insuffisant que pour le fils qu'AnnaCornelia Casentus donna, le 30 mars 1853, à ThéodorusVan Gogh, pasteur à Zundert, dans le Brabant hollandais.

Si jamais peintre incarna le génie de son pays, ce futbien Vincent Van Gogh, expression la plus haute de laHollande avec Rembrandt. En lui, comme dans l'auteurde la Ronde de Nuit, un sens de la réalité très positif, trèsterre à terre même, s'unit à une ardente et universelleinquiétude, qui ne peut se satisfaire de cette seule naturepositive une conception toute artisanale du métier s'épa-nouit de pair avec une autre, fougueusement expression-niste et les contraires s'allient en une mêlée pathétique,qui donne à l'art un frémissement tout baroque celui-là

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même que l'exemple de Van Gogh allait communiquer àla classique peinture française.

Le génie de la nation ne trouva en Vincent un terrainaussi favorable que grâce à une hérédité quelque peupathologique, qui fit de lui la proie facile des influences.Arthritisme, syphilis, épilepsie, mille tares ancestrales,mille ruisseaux souillés, confluent en ce grand garçon,bousculent ses traits taillés en coups de hache et dissymé-triques, bouleversent son esprit, instable dès son enfance,avant de sombrer dans la folie. Non que son art soit unart fou rien de plus logique ni de plus réfléchi que cettepeinture, apprise dans les écoles, et avec autant de méthodeque par Seurat lui-même il ne la pratiquait aussi bien,après sa première crise, que durant les retours éphémèresde sa raison. Loin de favoriser l'épanouissement de cetteœuvre, la démence la contraria l'interrompit, peut-être.Mais peut-être aussi lui communiqua-t-elle comme laconnaissance ou le pressentiment de ces vérités cachées auxesprits sains, et qu'un fou entrevoit parfois, pour en conser-ver un vague souvenir durant son retour à l'état normal.La peinture de Van Gogh n'est pas d'un dément, mais d'unvoyant.

Si les tares ancestrales avaient ouvert à Vincent les

mondes fermés au commun des mortels, ses parents luidonnèrent davantage encore, qui entourèrent son enfanced'une ambiance dont l'action fut capitale sur lui uneambiance protestante, exactement rigoriste celle dontGenève avait assiégé le petit Jean-Jacques Rousseau. Et sansdoute les fruits de ce même climat furent-ils les mêmes

pour tous deux goût de l'introspection et de la connais-sance, évangélisme diffus, épris de l'humanité en soi,orgueil infrangible, surtout, celui-là même de l'hommequi se dresse en face de Dieu pour lui demander descomptes, voire pour l'accuser. L'art constitua ainsi pourVan Gogh un moyen de se connaître lui-même, ne fût-ceque par le truchement de ses innombrables portraits, et depercer aussi les secrets de la matière, des systèmes plané-taires, de la vie universelle, comme il lui fut également unefaçon de chérir, dans l'abstraction, les hommes de touteson ceuvre enfin monte le cri sur quoi s'ouvrent les Confes-sions, un cri chargé de rébellion, même de désespoir. Letorrent superbe et fangeux que l'auteur des Rêveries

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déchaîna sur les lettres, il deyait appartenir à celui del'Homme à l'oreille coupée de le lancer à travers la pein-ture.

Race, atavisme, milieu familial ceci ne suffit pasnon pas à expliquer l'insondable mystère du génie de VanGogh mais à le circonscrire avec exactitude un qua-trième fait intervient, l'instruction, ou plutôt l'absenced'instruction de l'artiste. Avec lui, s'ouvre l'âge despeintres autodidactes, si opposés aux maîtres du xixe siècle,qui, pour la plupart, de Delacroix à Degas, de Puvis àCézanne, d'Odilon Redon à Toulouse-Lautrec, avaient,comme on dit, fait leurs humanités. Non que le jeune Vin-cent n'ait pas fréquenté les écoles. Mais il n'en avait pasretiré le moindre profit. Il ne sut que ce qu'il apprit lui-même, autodidacte du fait de sa volonté, non de celui deson destin, et qui, de l'autodidacte, eut les mérites et lesdéfauts des connaissances nombreuses, variées, maischaotiques et lacunaires une ardente curiosité, mais uneabsence presque totale d'esprit critique. Van Gogh crut toutce qu'il lut, bien plus fut ce qu'il lut, et c'est peut-êtrepour cette raison qu'il fera plus tard corps avec ce qu'ilpeindra, au point d'y abolir sa vie individuelle.

Or parmi ses lectures, les Romantiques français et lesVictoriens anglais occupaient une place de choix Michelet,qui lui inspirera l'épigraphe de Sorrow, Dickens et Eliot,ainsi que le spectacle de la vie londonienne, connue en1875, augmentèrent son messianisme sentimental. La litté-rature, achevant ce qu'avait commencé l'exemple familial,donna à Van Gogh cette pitié humaine si importante danssa vie et dans son ceuvre, ne fût-ce que pour lui avoirouvert les yeux sur la peinture, et lui avoir dicté ses pre-mières préférences artistiques goûts variés, hétéroclites,saugrenus, qui vont des meilleurs aux pires, de Millet, pourqui il gardera un culte toute sa vie, à Brackeleer et Mauve,sans que Van Gogh établisse entre eux de différence quali-tative. Tout le séduit, qui vibre d'amour fût-ce le plusbas, le plus sentimental, le plus anecdotique d'amour etde respect pour la vie et les hommes. De l'incompréhen-sible désordre de ses admirations la clef nous est donnée

par une phrase de ses lettres « On la trouve aussi la perleprécieuse, mise en évidence, l'âme humaine, dans Millet,dans Jules Breton, dans Josef Israels. » Déjà pour Van

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Gogh la peinture est expression sa conception n'en varierajamais.

Ses goûts changeront, eux, quand son éducation artis-tique lui aura enseigné le discernement. Mais qu'importeque, durant sa jeunesse, l'humanitarisme l'ait empêché dejuger sainement des mérites des peintres, puisque c'est lui,qui le conduisant dans le Borinage, où Vincent rêvait dejouer aux apôtres, prépara l'éveil de sa volonté et de songénie (je ne dis pas de sa vocation) artistiques. Ce fut eneffet le spectacle, douloureusement ressenti, de la misèredes mineurs, de la laideur du paysage inhumain, qui sus-cita en Van Gogh l'artiste. Il prend alors le crayon pourdessiner les « assommoirs » sordides, ou les haies rachi-tiques que, par un jour d'hiver, suivent en frissonnant« les Enfants de la fabrique ». Dessins balbutiants encore,et qui, en dépit de leur sentiment on pense devant euxà Picasso, à Utrillo et à Chagall n'appartiennent pas audomaine de l'art. Mais c'est égal Van Gogh demandedésormais à l'art ce qu'il cessera bientôt d'attendre de lareligion, lorsqu'il aura été relevé de sa mission de pasteur,et bientôt l'art, auquel il était venu par évangélisme, rem-placera pour lui l'évangile abandonné.

Après l'échec de sa tentative apostolique, Van Goghoblique, en effet, décidément, vers la peinture. Des études àBruxelles avec Roefols et Van Rappard (octobre 1880-avril 1881) lui en fournissent les rudiments avec assez debonheur pour que, revenu en Hollande, l'on puisse consi-dérer Van Gogh comme un artiste véritable et suivre l'évo-lution de sa technique et de son inspiration, au cours destrois périodes de sa « manière hollandaise » celle d'Etten(avril-décembre 1881), celle de La Haye (décembre 1881-septembre 1883), celle de la Drenthe et de Nuenen surtout(septembre 1883-novembre 1885).

Le Van Gogh qui, à Etten, campait d'un crayon timidedes paysans auprès de l'âtre, où les vieilles femmes ravau-dent, n'était qu'un débutant sans doute, et en avait si bienconscience que, méthodique, il n'avait pas encore abordél'aquarelle ni la peinture à l'huile. Commençant par ledébut, il accumulait dessins sur dessins. Dessins gauches,au vrai, d'une ligne indécise et raide, faite de segments malraccordés, sans ampleur ni moelleux, sans puissance dedéfinition. Les hachures de traits parallèles, pour intérea-

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santes qu'elles soient dans leur désir de rendre les valeurs,trahissent la même gaucherie de métier chaque trait estmoins un moyen de traduire les valeurs qu'un repentir, untâtonnement. Cependant, en dépit ou à cause de ces défautsmêmes, les feuillets de Van Gogh ne laissent pas de pré-senter une certaine beauté et de dégager une vive émotion.Pantins désarticulés, ses personnages ont une allure assezpuissante, et l'inadéquation du métier au sentiment donne àl'expression de celui-ci je ne sais quoi d'assez pathétique,pour que l'amateur puisse prendre plaisir au spectacle desceuvres d'Etten.

En ferait-il autant devant celles de La Haye ? Il est permisd'en douter. Non que Van Gogh n'y trahisse des progrès.Mais cet accroissement de sa science chasse les défauts quifaisaient le charme de ses dessins d'Etten, tandis qu'il enamène de nouveaux, indispensables sans doute, mais bienantipathiques. A l'école, en effet, de Mauve, chez qui il tra-vaille presque deux ans devant les tableaux d'Israels, deMesdag et des frères Maris scrupuleusement interrogésVan Gogh a acquis le faire minutieux traditionnel en sonpays les vieillards qu'il dessina à La Haye, aussi secs, aussiligneux que les rustres d'Etten, sont d'un art étriqué, quimultiplie les traits menus, s'applique à ne rien oublier,écrit avec prolixité des énumérations exhaustives et inver-tébrées. L'esprit anecdotique de ses maîtres et modèles, leurréalisme exact et minutieux a gagné les dessins et les aqua-relles de Vincent, où la sécheresse s'unit dès lors à la lour-deur. Ni aisance, ni puissance rien qu'une probité sco-laire, comme le prouvent les Toitures de la collectionRenand.

Ce n'est pas qu'il faille regretter que Van Gogh en soitpassé par là. A cette discipline de la main et de l'œil, àcet effort pour regarder la réalité et pour l'analyser avecexactitude, il a acquis la vision et l'habileté manuelle quilui permettront, par la suite, de se hausser à une synthèseque ce passé vivifiera. Sa période scolaire de La Haye luia, plus encore que celle de Bruxelles, fourni les bases surquoi il pourra élever solidement l'édifice futur de son art.Le tout était seulement de ne point s'y attarder sonhumeur insociable, qui provoqua une rupture brutale avecMauve, son évangélisme dostoïewskien qui, l'attachant àune prostituée, fit le vide autour de lui, le commerce enfin

2Il.

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de Breitner, artiste plus vigoureux que ses confrères néer-landais et admirateur de Daumier, autant de forces qui, enaffranchissant le jeune débutant, favorisèrent le dévelop-pement que sa peinture connut alors, principalementdurant les années de Nuenen.

Vincent désormais possède assez son art pour multiplierdes études à l'huile d'après les paysans et les paysages, etmême pour oser aborder une fois le problème difficilede la « composition ». Ce fut sa grande toile des Mangeursde pommes de terre. Il se révèle dans tous ces ouvragescomme un artiste spécifiquement hollandais, en qui revitl'amour de ses ancêtres pour le réel le plus médiocresabots, balais, pommes de terre, pour la campagne, dontla fuite parallèle des arbres le long des routes soulignel'immensité et la désolation devant son Allée en automne

du musée de Rotterdam, on évoque invinciblement l'Alléede Minderhallis de son grand compatriote Hobbema. Legoût des Ver Meer et des Pieter de Hooch par les scènesd'intimité, dont une fenêtre, au dernier plan, éclaire lesacteurs placés à contre-jour, apparaît également dans lestableaux de genre que Vincent peint alors, et que ceci seuldifférencie de leurs aïeux la qualité sociale des person-nages. Un pinceau, en effet, attendri par le paupérisme népeut pas représenter des bourgeois cossus le prolétaires'impose à lui Tisserand devant son métier ou Bêcheursdans les champs.

Nul doute que le choix de ses sujets n'ait été dicté à VanGogh par l'exemple de Millet, objet principal de son admi-ration. Mais quelle différence dans leur traitement Poé-tique et technique s'opposent en tous points. Grand lecteurde la Bible et des utopies chères aux rêveurs de 1848, Milletavait écrit les Bucoliques et les Georgiques de la peinture,images idéales de la paysannerie et des travaux des champs.Dans de nobles paysages qu'ennoblit fréquemment la ma-jesté du crépuscule, des travailleurs aux gestes lents etmajestueux s'adonnent sereinement à des besognes un peupompeuses, et propres à élever encore leur cœur sublime.Le sens bien classique de la généralisation le conduit àdonner à ses figures une universalité typique, obtenue àforce de synthèse et en sacrifiant le détail particulier. Unespiritualité religieuse enfin se dégage de ses toiles, tantleurs acteurs apportent de respect à leurs actions, et tant

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Millet les considère avec amour et vénération. Chez VanGogh au contraire une nature hostile, misérable, sordide,des maisons délabrées servent de cadre à des brutes, quedes besognes abrutissantes cassent en poses simiesques. Legoût germanique du caractère se traduit par une volontéévidente de laideur, un effort manifeste de ne retenir dansle visage ou la forme que le détail particulier qui indivi-dualise et fait grimacer. L'univers, enfin, de ces forçats selimite au monde matériel, sans qu'il en puisse être autre-ment, puisque Van Gogh, qui fait corps avec ceux qu'ilpeint, ne peut avoir vis-à-vis d'eux le recul nécessaire,l'autonomie indispensable pour les chérir et les respecteron n'aime pas ce que l'on est on l'est, on le vit, rien deplus.

Cette inspiration, si différente de celle de Millet, se tra-duit nécessairement par une technique différente, et qui-doit quelque chose à celle de Daumier, révélée par Breitner.Nulle part, l'opposition entre l'auteur de l'Angélus et celuides Mangeurs de pommes de terre n'éclate mieux que dansleurs dessins. Celui-là, maître du crayon, sculptait synthé-tiquement des formes rondes et pleines, moelleuses etsolides, stables et établies comme des figures de pierre. Letrait de celui-ci, sans cesse brisé, dur, anguleux, enserresèchement des silhouettes désarticulées, à qui le jeu del'ombre et de la lumière prête une vie surprenante. CommeRembrandt, Van Gogh voit par noyaux de clarté et deténèbres, et s'attache d'abord à en traduire la lutte, lesoppositions, les alliances, par un dessin, sinon de coloriste,du moins de valoriste, qui fait bouger la forme parmi lejeu mouvant des lumières. Ces figures en mouvement, lavision du peintre les saisit au vol, dans leurs poses les plusdisgracieuses il n'est que de comparer sa Paysannecourbée de la Fondation Kroller-Müller avec telle Glaneuse

de Millet pour saisir sur le vif l'opposition du classicismede l'un avec le caractérisme pathétique de l'autre.

A ce pathétique, couleur et touche concourent puissam-ment. La palette de Van Gogh ne comporte alors que desnoirs, des ocres, des terres de Sienne, des cobalts et lesblancs, dont il use volontiers, loin d'éclaircir ce chroma-tisme, en augmentent la tristesse par les contrastes qu'ilssoutiennent avec les teintes sombres où ils éclatent tropbrusquement. La pâte épaisse, opaque, sans transparence

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LES ÉTAPES DE LA PEINTURE FRANÇAISE CONTEMPORAINE

ni glacis, où les repentirs et ils sont légion apportentune couche supplémentaire de matière grasse et lourde,présente un aspect rugueux, qui renforce le caractère desvisages et le dramatisme de la couleur. Van Gogh, bienévidemment, vise avant tout à obtenir l'effet.

S'il y réussit, comme le prouvent les Mangeurs depommes de terre, où le balancement des masses répartiesselon les clartés, et le clair-obscur, cher à la Hollande,s'harmonisent avec le canon tassé des personnages, leurmodelé glaireux, leurs expressions bestiales, c'est au détri-ment de la pureté et du style. Les Repas de paysans de LouisLe Nain montrent une grandeur qui, pour s'emparer moinsimmédiatement de l'âme et ne se pas adresser à ses partiesinférieures, agit à la longue plus profondément et selon unmode plus pur. Van Gogh a dépassé la peinture anecdo-tique de Mauve et le sentimentalisme de Josef Israels, maisc'est pour renchérir sur l'expressionnisme de Breitner, etprécéder les peintres hollandais d'aujourd'hui dans unevoie qui ne peut mener bien loin au point de vue plastique.

Aussi fut-ce pour lui une chance que d'en sortir, commeil s'était déjà évadé de l'art de Mauve. Une intrigue senti-mentale, l'insociabilité de son humeur, qui lui valut deméchantes affaires avec les gens de Nuenen, son instabilitélui rendirent impossible le séjour en Hollande. Il partit.C'était aussi obéir à l'appel de la peinture, au désir demieux connaître l'oeuvre de Monticelli, déjà découverte,avec quelle ivresse ou plutôt déjà pressentie, au besoinsurtout de voir enfin celle de Delacroix dont l'article

fameux de Silvestre lui faisait deviner la grandeur. Puis-qu'il ne pouvait plus rester à Nuenen, il lui fallait allerà Paris et Paris fit du meilleur peintre hollandais duxix* siècle un des plus grands artistes européens de tousles temps.

L'arrivée dans cette ville fut retardée par un arrêt àAnvers (novembre 1885-février 1886), préparation et préfi-gure de l'existence de Vincent dans la capitale de l'art. Surles rives de l'Escaut, il pressent déjà certaines découvertesque le contact de l'art français confirmera. Rubens décrassesa palette, lui apprend les ressources de la couleur claire ethaute les crépons japonais qu'il voit sur le port lui ensei-gnent le pouvoir de la ligne filée, du paraphe synthétiqueet il découvre en même temps qu'un faire rapide, sans

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PRÉLUDE AU FAUVISME

reprise ni repentir, est plus riche de beauté plastique etd'effet expressif que celui qu'il avait jusqu'alors pratiqué.Il était ainsi prêt à comprendre la leçon de la peinturefrançaise du xix8 siècle, avec qui il vécut en communionconstante, de février 1886 à février 1888, durant le tempsqu'il passa à Paris.

Époque capitale dans la vie de Van Gogh, et dont ilretira, en une proportion incomparablement accrue, desbénéfices analogues à ceux qui lui avaient valus les moisde travail de Bruxelles et de La Haye. Ici comme là-bas,c'est un moment d'études une crise de croissance et

d'enrichissement où la vision s'affine et le métier

acquiert des ressources insoupçonnées. C'est donc aussi unmoment de flottement, pendant lequel la production trahitle désarroi intime de Van Gogh, étonné et stupide devantl'aventure d'un siècle de peinture française, qu'il revit, lui,en quelques mois. Des oeuvres variées, contradictoires, peu-vent, par conséquent, avouer un certain affaissement de sapersonnalité, marquer une régression d'originalité par rap-port à celles de Nuenen. Qu'importe Ceci compte seul, queVincent acquiert des moyens d'expression nouveaux, quilui permettront, l'étourdissement passé, de redire son mes-sage en des termes plus forts.

Ces moyens d'expression nouveaux, les a-t-il retirés deson séjour dans l'atelier de Cormon, à l'école des Beaux-Arts ? Il est permis d'en douter. Delacroix en revanche luimontre la puissance plastique et poétique de la couleur,et telle est sur lui l'emprise de ce génie que Vincent necessera de s'en inspirer, interprétant durant son interne-ment à Saint-Rémy, sa Pieta etson Bon Samaritain, etreconnaissant dans une de ses lettres(lettre 520) enavril 1888, que sa « façon de faire (.) a été plutôt fécondéepar les idées de Delacroix que par les leurs, (celles desImpressionnistes) ». Monticelli, déjà entr'aperçu en Hol-lande, confirme la leçon du peintre des Croisés et préparecelle des Impressionnistes un reflet de sa couleur, de satouche et de sa pâte se voit évidemment dans les Fleurs,que Van Gogh peint alors volontiers, et son influence serasi durable et si profonde qu'en septembre 1888 Vinceutdéclarera à son frère « Involontairement je suis obligéd'empâter à la Monticelli. Parfois je crois réellement conti-nuer cet homme. » Delacroix et Monticelli avaient montré

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