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Patricia PLUTINO Annexe 1 - Mémoire de Master 2 Ergologie - Année universitaire 2014-2015 1 ANNEXE 1 HISTOIRE DE L’INTERMITTENCE La lutte des intermittents du spectacle, même si elle semble nouvelle, est en fait une lutte qui a été extrêmement longue et qui existe depuis plus d’un siècle : pour mémoire, la première grève générale du spectacle date de 1919. Cela ne correspond donc en rien à certains mythes qui circulent sur les origines des intermittents du spectacle : notamment la date de 1936 qui, même si elle correspond à l’arrivée au gouvernement du Front Populaire et la mise en place des conventions collectives, ne correspond pas à la création du régime d’indemnisation des intermittents du spectacle. L’emploi dans le secteur artistique est intermittent depuis très longtemps ; au moins depuis le début des années vingt. Les travailleurs de ce secteur n’étaient alors pas appelés les intermittents du spectacle, mais les artistes du spectacle. Ils étaient payés au cachet, au service (4 heures) ou, au mieux, à la pièce de théâtre : l’artiste était embauché au début de la pièce jusqu’à la fin de celle-ci (cela pouvait donc durer plusieurs jours). Le sociologue Mathieu Grégoire, qui a fait une recherche approfondie sur l’histoire de l’intermittence du spectacle, a trouvé trois constantes prégnantes depuis un siècle 1 : L’existence du contrat à durée déterminée ; ce qui suppose que la flexibilité a toujours existé dans le secteur artistique. Le lien, dans la plupart des discours politiques et de la vie quotidienne, entre « précarité » et « liberté ». Il est plus ou moins sous entendu que tous les artistes 1 Grégoire M., Un siècle d’intermittence et de salariat. Corporation, emploi et socialisation. Sociologie historique de trois horizons d’émancipation des artistes du spectacle (1919-2007), 2009, http://www.ies- salariat.org/IMG/pdf/thesegregoire.pdf

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Annexe 1 - Mémoire de Master 2 Ergologie - Année universitaire 2014-2015

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ANNEXE 1

HISTOIRE DE L’INTERMITTENCE

La lutte des intermittents du spectacle, même si elle semble nouvelle, est en fait une lutte

qui a été extrêmement longue et qui existe depuis plus d’un siècle : pour mémoire, la

première grève générale du spectacle date de 1919. Cela ne correspond donc en rien à

certains mythes qui circulent sur les origines des intermittents du spectacle : notamment

la date de 1936 qui, même si elle correspond à l’arrivée au gouvernement du Front

Populaire et la mise en place des conventions collectives, ne correspond pas à la création

du régime d’indemnisation des intermittents du spectacle.

L’emploi dans le secteur artistique est intermittent depuis très longtemps ; au moins

depuis le début des années vingt. Les travailleurs de ce secteur n’étaient alors pas appelés

les intermittents du spectacle, mais les artistes du spectacle. Ils étaient payés au cachet,

au service (4 heures) ou, au mieux, à la pièce de théâtre : l’artiste était embauché au

début de la pièce jusqu’à la fin de celle-ci (cela pouvait donc durer plusieurs jours).

Le sociologue Mathieu Grégoire, qui a fait une recherche approfondie sur l’histoire de

l’intermittence du spectacle, a trouvé trois constantes prégnantes depuis un siècle1 :

L’existence du contrat à durée déterminée ; ce qui suppose que la flexibilité a

toujours existé dans le secteur artistique.

Le lien, dans la plupart des discours politiques et de la vie quotidienne, entre

« précarité » et « liberté ». Il est plus ou moins sous entendu que tous les artistes

1 Grégoire M., Un siècle d’intermittence et de salariat. Corporation, emploi et socialisation. Sociologie

historique de trois horizons d’émancipation des artistes du spectacle (1919-2007), 2009, http://www.ies-

salariat.org/IMG/pdf/thesegregoire.pdf

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et techniciens du spectacle sont certes « précaires » mais que cela leur donne une

certaine « liberté ». La précarité serait donc le revers de la médaille (comme si la

précarité était nécessaire à la création). Il serait donc naturel, lorsque l’on fait un

métier pour lequel on accorde du sens, de ne pas être payé forcément en regard

du travail effectué.

Les artistes et techniciens du spectacle ont, eux, toujours lutté contre cette idée

que leur précarité était la contrepartie d’une liberté.

Au travers du siècle passé, les différentes luttes des intermittents ont eu pour but de

chercher des solutions pour tenter de résoudre l’équation qui relie la « flexibilité » de leur

travail et la sécurité économique. Depuis une vingtaine d’année, la notion de

« flexisécurité » se pose pour l’ensemble du salariat.

En étudiant l’histoire de l’intermittence, nous allons voir que des solutions ont été

inventées pour échapper à la précarité économique. Trois modèles ont été traversés au

cours du siècle dernier. Certaines des solutions proposées reviennent aujourd’hui dans le

débat.

Première période : LA CORPORATION

Nous retrouvons ce premier modèle dans l’entre-deux-guerres, c'est-à-dire jusqu’en

1936. Le marché de l’emploi du spectacle était alors extrêmement libéral (comme nous

pouvons le retrouver aujourd’hui dans les pays anglo-saxons). L’Etat n’intervenait pas et

ne régulait pas celui-ci.

Ce sont alors les organisations syndicales ou des professions organisées qui ont eu l’idée

de maîtriser le marché du travail.

Ces organisations étaient : l’Union des artistes (qui regroupait les artistes

chorégraphiques, cinématographiques, dramatiques et lyriques) et la Fédération du

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spectacle qui rassemblait l’essentiel les musiciens de province (les musiciens parisiens

étant autonomes car ils n’avaient pas voulu choisir entre la CGT et la CGTU2).

En l’absence de régulation étatique, les travailleurs revendiquent la souveraineté

syndicale, et vont organiser eux-mêmes le marché du travail et tenter de l’imposer aux

employeurs.

Il y avait deux moyens de pression pour s’imposer sur le marché du travail et exiger « le

tarif syndical », décidé par les représentants des travailleurs (ce principe corporatiste est

très éloigné des conventions collectives ou encore des salaires négociés qui verront le

jour avec le Front Populaire) :

contre les employeurs, le moyen de pression était la mise à l’index : dans le

bulletin syndical était publié le nom de tous les employeurs qui refusaient les

conditions qui étaient imposées par le syndicat. Dès lors qu’un employeur avait

son nom mis à l’index, il était interdit à tous les syndiqués de travailler pour lui. Il

faut savoir qu’à l’époque, le taux de syndicalisation était très élevé (environ deux

tiers des artistes dramatiques et quasiment cent pour cent des musiciens étaient

syndiqués). Le rapport de force permettait donc de pouvoir imposer un certain

nombre de règles aux employeurs.

contre les artistes, le moyen de pression était le pilori : il consistait à publier le

nom des travailleurs qui ne se soumettaient pas à la discipline syndicale et

passaient outre les tarifs fixés par le syndicat. Cela impliquait l’interdiction aux

syndiqués de travailler avec eux durant quelques années : c’était une manière de

détruire professionnellement les travailleurs qui ne respectaient pas la discipline

syndicale. Nous voyons bien que nous sommes éloignés de la solidarité comme

valeur, mais qu’il s’agit plutôt d’une solidarité fonctionnelle. Cela avait la

2 En juillet 1921, la CGT se scinde au congrès de Lille. D’un côté la CGT réformiste de Léon Jouhaux et de

l’autre la CGT Unitaire, révolutionnaire. En 1936, La CGT et la CGTU se réunifieront au congrès de Toulouse.

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particularité d’empêcher la concurrence de tous contre tous (ce qui est la

dynamique essentielle du marché), et d’éviter de faire baisser les salaires3.

Il existait deux variantes dans ce système de régulation du marché :

A l’Union des artistes, qui ajoute à l’époque une autre manière de rendre solvable

les travailleurs, en créant la rareté. L’idée est d’exclure l’excès de main d’œuvre,

pour que ceux qui restent puissent vivre dignement de leur métier. Il s’agit de

diminuer le nombre de personnes qui peuvent prétendre aux emplois disponibles

dans le secteur (autorégulation de la profession). Pour l’Union des artistes, il y a

trop « d’artistes mauvais ».

Cela s’accompagne de la création d’une licence d’artiste dramatique et d’une prise

en main par l’Union des artistes de ce qui pourrait s’apparenter à un « ordre » des

artistes (comme l’ordre des médecins actuellement). Mais cette licence n’a jamais

vraiment fonctionné.

Cela avait également des conséquences très fortes sur la façon d’envisager la

solidarité au sein de l’union : elle est plutôt contre le système de l’assurance

chômage, qui s’installe déjà dans les années trente, et préfère la charité. Le « gala

des artistes » (aujourd’hui présenté par France 2) est un grand exemple de charité

créée à cette époque par l’Union des artistes (c’est le début du «charity

business »).

La seconde, à la Fédération des artistes qui, à l’inverse, fonctionnait sur la plus

grande ouverture possible à l’accès au marché du travail, et avait pour ambition

de syndiquer quiconque se présentait sur celui-ci : on obligeait de ce fait les

musiciens à respecter la discipline syndicale. Le Fédération finançait

l’indemnisation chômage sur la cotisation syndicale. Malheureusement, cela n’a

pas pu durer très longtemps car les finances du syndicat n’étaient pas suffisantes.

3 Cette façon de fonctionner se retrouve aujourd’hui chez les Dockers, chez les ouvriers du livre, et surtout

dans la production audiovisuelle à Hollywood, aux Etats-Unis (le marché s’y trouve segmenté et les syndiqués travaillent avec les grandes Major et les non-syndiqués avec des producteurs indépendants).

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Deuxième période : L’EMPLOI

Ce modèle de corporation s’éteint en 1936. Toutes les organisations se fédèrent dans un

seul syndicat : la Fédération du spectacle, au sein de la CGT, qui devient alors dominante.

Un seul mot va alors mener la danse : l’emploi. On va favoriser l’emploi par tous les

moyens et donc tenter de stabiliser la main d’œuvre.

En effet, à partir de 1936, une procédure d’extension des conventions collectives est mise

en œuvre. Grâce au Front Populaire, la France sort d’un marché totalement libéral. Le

pouvoir politique est alors capable de se positionner et de dire qu’un accord signé entre

deux parties contractantes est valable pour toute une branche, et pas seulement pour les

deux premiers signataires. Le ministre du travail a alors le pouvoir d’étendre la

convention collective, et « désormais, c’est l’état, et non plus le syndicat qui, par la force

obligatoire des conventions collectives, est garant du respect des tarifs et des conditions

d’emploi. Ce n’est plus l’offre de travail qui s’autorégule, mais l’emploi lui-même qui est

régulé »4.

A partir de ce moment là, la CGT va lutter de manière farouche pour la structuration des

conventions collectives dans tous les domaines du spectacle, de l’opéra, du cinéma etc.

Elle se battra plus tard pour rassembler les nombreuses conventions collectives en deux

modèles, un pour le spectacle vivant, l’autre pour le spectacle enregistré5.

Au sein des conventions collectives, qui régulent les termes de la relation salariale, il est

acté que les salaires ne doivent plus varier au gré du marché mais être fixés.

4 Grégoire M., Les intermittents du spectacle Enjeux d’un siècle de luttes, Editions La dispute-

Travail et Salariat, 2013., p 67 -69 5 A la fin des années 70, il existait plus d’une trentaine de conventions collectives dans le secteur.

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A partir de 1945, le Conseil National de la Résistance6 définit un programme qui donne

des droits sociaux étendus à tous les salariés : la retraite, l’assurance maladie, les

allocations familiales.

Ce sont des avancées considérables, mais le souci qui se présente très vite pour les

salariés intermittents, (et qui est encore présent aujourd’hui), est que tous ces droits sont

très largement fondés sur le modèle de l’emploi stable : c’est en effet l’emploi stable qui

devient le support essentiel de la sécurité sociale par le biais des cotisations sociales. La

protection sociale est alors fondée sur une solidarité à l’échelle du salariat tout entier à

travers les mécanismes de la cotisation.

Les salariés du spectacle, deviennent des salariés de seconde catégorie. Le fait que leurs

emplois soient discontinus implique que leurs cotisations le soient également. Ils se

retrouvent inadaptés à un système de cotisation dont la norme est l’emploi stable

(contrat à durée indéterminé à plein temps), et peuvent n’être que partiellement

couverts par la protection sociale.

L’intermittence de l’emploi devient un véritable handicap par rapport aux autres salariés.

La CGT, seul syndicat existant, va alors énoncer la nécessité de stabiliser l’emploi, et

promouvoir le plein emploi, qui implique une augmentation de la production. Il s’agit

pour les salariés du spectacle de cesser d’être précaires, et d’assurer à chacun une

quantité d’emploi suffisante, et de l’assurer pour tous.

Cela vient à admettre que « l’exigence de plein-emploi a pour nécessaire corollaire la

défense de la production » et qu’il devient nécessaire de reconnaître « que tout travail

mérite d’être sanctionné non seulement par un salaire, mais surtout comme emploi »7.

C’est notamment ce qui se passe lorsque la CGT soutient toutes les politiques culturelles

de décentralisation qui se mettent en place après-guerre, avec l’idée que l’on va faire des

troupes permanentes, avec des acteurs permanents, des danseurs permanents etc. C’est

6 Le Conseil National de la Résistance (CNR) était l'organe qui a dirigé et coordonné les différents

mouvements de la Résistance intérieure française, de la presse, des syndicats et des membres de partis

politiques hostiles au gouvernement de Vichy à partir de mi-1943. 7 Grégoire M., op. cit., p 64

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l’idéal poursuivi par le syndicat, même si la réalité est loin d’être celle de l’emploi

permanent. Les slogans des manifestations d’alors sont pour « la garantie de l’emploi ».

La « garantie de l’emploi » signifie essentiellement l’existence d’emplois spécifiés dans les

conventions collectives. L’idée générale est d’obliger les employeurs à assurer des quotas,

des effectifs, dans chacune des structures. Cela n’a jamais été effectif.

Les discours de ces années là sont essentiellement axés autour du pourcentage exorbitant

de chômeurs dans ce secteur. On peut entendre des chiffres faramineux comme « quatre

vingt pour cent de taux de chômage ». Mais pour un intermittent, cela n’a pas de sens

puisque la mesure du chômage est très conventionnelle. En fait, ce chiffre de quatre vingt

pour cent ne veut pas dire qu’il faut multiplier par quatre ou cinq la quantité de travail à

se partager, ni augmenter d’autant la production de spectacle. Ce qui est défendu alors,

c’est principalement qu’il faut reconnaître l’ensemble du travail effectué comme relevant

de l’emploi. Autrement dit, la CGT revendique que tout le travail invisible et non reconnu

(par exemple les répétitions qui ne donnent pas lieu à salaire), donne lieu à

indemnisation. Elle l’obtient.

Elle revendique ensuite que, non seulement cela doit être une indemnisation, mais du

salaire donnant lieu à des cotisations : elle va également l’obtenir.

L’idée de la CGT est vraiment de faire payer aux employeurs tout le travail effectué. Il

devient donc important de le mesurer de manière précise : il faut que l’ensemble du

travail et de l’emploi relève de la même logique.

C’est ainsi qu’elle structure de façon très précise l’amateurisme, qui devient alors une

pratique de loisir. A ce moment là, la position de la CGT est que l’on ne peut pas travailler

en semi-professionnel, être payé « un petit peu », ou avoir d’autres ressources à côté. Elle

veut que tout le travail soit de l’emploi, et tout le non-travail du non-emploi. Donc que les

amateurs soient reconnus comme bénévoles et ainsi renvoyés à une pratique de loisir.

Quelles sont alors les difficultés de ce schéma et son inadaptation à la réalité de ces

métiers ?

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Le syndicat se trouve à expliquer à des artistes, à des techniciens qu’il vaut mieux ne pas

travailler que de travailler hors des clous du marché du travail, du droit du travail, et des

conventions collectives. C’est alors un problème essentiel parce beaucoup de jeunes

artistes (notamment à la fin des années 70), qui sont de plus en plus nombreux à

s’engager dans des aventures artistiques, préfèrent travailler sans être totalement

déclarés, plutôt que de ne pas être en activité de création. La CGT tient le discours qu’il

vaut mieux aller travailler à l’usine et avoir cette activité en dilettante, plutôt que de ne

pas respecter le droit du travail. Les deux figures mises en avant par le syndicat à l’époque

pour dire qu’il ne faut avoir cette activité hors de l’emploi, sont celles de la femme de

PDG ou du fils à papa. Ce sont deux figures qui ont un second revenu leur permettant

d’avoir une activité artistique en dilettante sans nécessité de gagner leur vie avec. Le

spectre qui fait alors le plus peur au syndicat, est le bi-professionnalisme8. A travers ces

figures sont désignés ceux qui sont obligés d’avoir un « vrai métier » pour pouvoir être

comédien, musicien etc.

Troisième période : LA SOCIALISATION

La deuxième source de revenus nécessaire aux travailleurs du spectacle dans un secteur

où le plein emploi ne s’est pas imposé, n’est pas venue de la rente (le mari PDG ou le

riche papa). Elle est venue, de manière tout à fait accidentelle, de l’assurance chômage,

lors de la création des annexes 8 et 109 de l’Unédic10. En effet, la volonté du

gouvernement de l’époque est de rendre obligatoire le régime conventionnel de chômage

à l’ensemble des salariés. La CGT n’entrevoit pas un seul instant ce qu’il va se passer par

8 La nécessité du bi-professionnalisme dans les métiers du spectacle est quelque chose qui est connu dans de nombreux pays (en Italie, aux Etats-Unis…). 9 En 1964, mise en place de l’annexe 8 au régime général d’assurance chômage qui s’applique au secteur cinématographique. Elle est ensuite étendue aux techniciens du disque et de l’audio-visuel. En 1968, création de l’annexe 10 : les artistes interprètes sont intégrés au régime intermittent, puis les techniciens du spectacle vivant. Les annexes 8 et 10 se distinguent de l’annexe 4 qui concerne les travailleurs intérimaires exerçant des métiers non artistiques. 10 L’Unédic est une association loi 1901 créé en 1958. Elle est chargée par délégation de service public de la gestion de l’assurance chômage en France. C’est à la fois un organisme de négociation entre les partenaires sociaux (patronats et syndicats), et de gestion des cotisations patronales et salariales.

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la suite ; à ce moment là, elle ne voit pas les annexes 8 et 10 comme quelque chose de

fondamental, mais plutôt comme le dernier droit qu’il fallait acquérir après des combats

extrêmement forts sur les retraites, sur l’assurance maladie, etc.

C’est en 1964 qu’est créée, à titre expérimentale, l’annexe 8 pour les techniciens du

cinéma. Après un an d’expérimentation, le Conseil National du Patronat Français (CNPF)

ne souhaitait pas continuer l’expérience et l’Unédic annonce son intention d’y mettre fin

dès 1966. En fait, en 1967, le gouvernement Pompidou veut rationnaliser l’assurance

chômage et y intégrer des catégories de salariés qui en étaient exclues pour des raisons

différentes. En effet, l’adhésion était alors volontaire. Les syndicats d’employeurs

choisissaient d’adhérer librement à l’Unédic (les employeurs du spectacle n’étaient pas

adhérents). Les ordonnances sur l’emploi de 1967 vont étendre le champ de l’assurance

de chômage de l’Unédic à l’ensemble des salariés. C’est Jacques Chirac, alors jeune

secrétaire d’Etat aux Affaires Sociales (chargé de l’emploi), qui va agréer cette annexe le

28 février 1968. On va y retrouver les Dockers, les VRP, les hôtesses de l’air et… les

artistes du spectacle. C’est donc à ce moment là que les artistes du spectacle intègrent

l’Unédic. Cependant il est à noter que « ni l’aide publique en place depuis la Libération, ni

l’obligation faite à l’Unédic d’intégrer les travailleurs du spectacle en 1967 ne sont (…) au

fondement d’une ressource socialisée indemnisant l’intermittence des engagements »11.

Jusqu’en 1979, l’indemnisation du chômage demeure très marginale pour les artistes et

les techniciens du spectacle. En effet pour accéder à l’indemnisation chômage dans

l’annexe 10, il fallait faire mille heures de travail, durant les douze mois précédents la fin

de contrat. Seuls des artistes travaillant énormément (lors d’une longue exploitation d’un

spectacle ou d’une une énorme tournée) pouvaient donc se retrouver indemnisés. Mais il

existait des périodes de carence et de franchise extrêmement longues. Cela impliquait

que même ceux ayant suffisamment travaillé, devaient souvent attendre de très longues

périodes avant de déclencher une indemnisation chômage. Autrement dit, cela relevait

de l’exceptionnel et ne concernait quasiment personne.

11 Grégoire M., op.cit., p 117

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En 1979, la CGT revendique et obtient que les artistes et techniciens du spectacle ne

soient pas discriminés par rapport aux autres salariés du régime général qui doivent, eux,

cotiser pendant trois mois pour ouvrir des droits à indemnisation pendant un ou deux

ans. Trois mois c’est 13 semaines à 40 heures, cela fait 520 heures12. Les délais de

franchise et de carence sont fortement diminués, et les allocations journalières sont

revalorisées.

La convention Unédic de 1979 ouvre donc de manière massive la possibilité d’être

indemnisé pendant les périodes hors emploi pour des intermittents du spectacle. C’est le

début d’une socialisation importante de leurs ressources : « La réforme de 1979 fait

passer l’indemnisation d’un régime de double exception – quant à son champ, une élite

professionnelle, et quant à son objet, des accidents de parcours exceptionnels – à un

régime couvrant les périodes courantes de chômage, structurellement liées à

l’intermittence, et ce, pour une population large »13. En effet, la convention Unédic de

1979 réunifie en un seul système les deux existants alors pour l’indemnisation du

chômage : le régime d’assurance (financé par la cotisation) et le régime de solidarité

(financé par l’impôt)14.

La deuxième étape de la mise en place du système d’indemnisation de l’intermittence va

avoir lieu entre 1982 et 1984, notamment suite à la crise de l’Unédic provoquée par le

CNPF. Ce dernier souhaite revenir sur le principe du régime unique d’indemnisation créé

en 1979. Cela aboutit, entre 1982 et 1984, à une mobilisation des intermittents qui

craignent d’être exclus des régimes d’assurance et de solidarité.

La nouvelle convention Unédic mise en place en janvier 1984, qui sépare alors les deux

régimes, va mener à un résultat non envisagé par le CNPF : l’intégration des intermittents

au régime d’assurance financé par la solidarité interprofessionnelle.

12 Ces 520 heures deviendront 507 heures quand on passera aux 39 heures sous le gouvernement

Mitterand. Lors du passage aux 35 heures, cela aurait tout à fait pu être une revendication légitime des

intermittents de diminuer le nombre d’heures au regard de cette logique historique. 13 Grégoire M., op. cit., p 121 14 Le chômeur bénéficie d’abord, pendant une période donnée, des indemnités qui sont données par

l’Unédic et ensuite de l’allocation de fin de droits d’un montant forfaitaire délivrée par l’Etat.

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En effet «l’indemnisation de l’intermittent ordinaire relève de l’Unédic, alors que les trous

de carrière, qui correspondent plutôt au chômage de longue durée des autres salariés,

relèvent désormais du régime de solidarité financé par l’état »15. Au départ le régime

d’assurance et le régime d’aide publique se superposaient, désormais, ils se succèdent ;

ce qui implique que les intermittents ne sont concernés que par le premier régime. L’Etat

s’en tire à bon compte puisqu’il se retrouve dégagé de la partie « assurance » de

l’indemnisation du chômage. C’est par ce glissement que l’Unédic devient le seul

financeur des annexes 8 et 10 : en les inscrivant dans la seule solidarité

interprofessionnelle et en les sortant de la solidarité nationale.

Depuis lors le CNPF, qui deviendra le MEDEF16, tenta toujours la même manœuvre : sortir,

partiellement ou totalement, ces annexes 8 et 10 du régime général d’indemnisation

chômage « et faire assumer par un tiers, l’Etat ou les employeurs du secteur, le poids de

cette indemnisation spécifique »17.

Entre 1986 et 1997, il n’y aura pas de grande modification institutionnelle et de nouveaux

conflits émergeront lors des négociations de chaque nouvelle convention de l’Unédic18.

Comme à chaque fois, il y aura d’un côté le CNPF affirmant sa volonté de revenir sur les

annexes 8 et 10, de l’autre les intermittents qui se mobilisent et en appellent à l’Etat et,

pour finir, ce dernier qui use alors de son rapport de force pour intervenir auprès du

patronat afin de maintenir le régime spécifique d’indemnisation des intermittents du

spectacle. Ainsi, de manière ritualisée : « Le conflit, sans être réglé, finit par s’estomper

jusqu’à la négociation suivante »19.

L’une des plus importantes manifestations de la période aura lieu en 1992. Ce

mouvement social fait suite à l’annonce du CNPF de vouloir exclure les annexes 8 et 10 du

champ de la solidarité interprofessionnelle en réaction à d’importantes difficultés

15 Grégoire M., op. cit., p 121 16 Mouvement des Entreprises DE France : organisation patronale fondée en 1998 17 Grégoire M., op. cit., p 121 18 Tous les deux ans. 19 Grégoire M., op. cit., p 121

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financières de l’assurance chômage, elles-mêmes liées à une forte hausse du chômage. Le

CNPF n’aura de cesse de clamer que l’Unédic n’a pas été inventé pour subventionner la

culture et « met[tra] en œuvre une campagne de « dépopularisation » des intermittents

du spectacle par l’emploi de qualificatifs tels que « faux chômeurs » ou encore

« profiteurs », déclenchant plusieurs vagues de mobilisation »20.

Jusqu’en 2002 l’Etat, qui jusqu’alors avait usé de son rapport de force dominant pour ne

pas accéder au désir du syndicat patronal et qui avait signifié à plusieurs reprises son

attachement aux annexes 8 et 10, va alors complètement changer de stratégie. Cette

nouvelle stratégie sera à l’origine des régressions observées depuis lors dans le secteur.

21 avril 2002 : Election présidentielle. Jacques Chirac est réélu, et la victoire de la droite

est confirmée par les élections législatives des 9 et 16 juin 2002 où elle remporte la

majorité absolue des sièges21.

Le basculement politique attendu par le MEDEF a lieu, ce dernier étant alors bien

déterminé à imposer à l’Etat-Providence son « projet de refondation sociale qui vise à

restructurer l’ensemble de la protection sociale (assurance chômage, retraites, formation

professionnelle…), en commençant par l’assurance chômage. (…) Le projet patronal de

refondation sociale annonce la volonté explicite de transformer les dépenses de santé,

d’éducation, de formation et l’épargne salariale en de nouvelles ressources pour

l’entreprise »22. Ce projet préconise alors une « remise à plat des relations du MEDEF avec

l’Etat et les syndicats à « oser un désengagement sélectif de la gestion paritaire des

systèmes de protection sociale » et « à mieux gérer son pouvoir de signature »23.

20 Langeard C., Les intermittents en scènes – Travail, action collective et engagement individuel, Presses

Universitaires de Rennes, 2013, p 149 21 Suite à la dissolution de l’assemblée nationale en 1997 par Jacques Chirac, alors président, la gauche se

retrouve majoritaire à l’assemblée entrainant un gouvernement de cohabitation de 1997 à 2002. 22 Corsani A. et Lazzarato M., « Intermittents et précaires », Editions Amsterdam, 2008, p 128 23 Rapport Georges Drouin cité in Mathieu Grégoire, Les intermittents du spectacle Enjeux d’un siècle de

luttes, Editions. La Dispute Travail & Salariat, 2013, p 165

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Parmi ces désengagements sélectifs envisagés par le syndicat patronal, le régime

d’indemnisation des intermittents tient une place prépondérante depuis des années,

estimant que celui-ci ne devrait pas relever du champ de responsabilité de l’Unédic. Avec

le concours de l’Etat, le MEDEF tente de responsabiliser les employeurs du secteur et de

leur faire assumer la charge de la socialisation salariale24.

Pour rappel, fin 1999, après de nouvelles négociations, les annexes 8 et 10 avaient été

reconduites. Même si le MEDEF n’avait pas obtenu l’exclusion des intermittents de la

solidarité interprofessionnelle, ces négociations avait abouti à faire émerger un

interlocuteur patronal dans le spectacle (la Fédération des Entreprises du Spectacle

vivant, de la Musique, de l’Audiovisuel et du Cinéma) et par ailleurs « à mettre en avant la

« collusion » de tout un secteur au dépens de l’Unédic »25.

En 2001, la convention Unédic qui intègre les annexes 8 et 10 arrive à échéance. Alors que

le gouvernement Jospin veut imposer par la loi le maintien du régime spécifique

d’indemnisation chômage des intermittents du spectacle (le MEDEF refusant de signer

toute prorogation), le 10 janvier 2002, la veille du vote de cette loi à l’Assemblée

Nationale, l’ensemble des organisations patronales et syndicales (à l’exception de la CGT),

signe un nouvel accord qui proroge les annexes 8 et 10 jusqu’au 30 juin 2002 (juste après

les élections législatives).

24 C’est la FESAC (Fédération des Entreprises du Spectacle vivant, de la musique, de l’Audiovisuel et du

Cinéma) qui est chargée de négocier avec les syndicats de travailleurs du spectacle et qui devient

l’interlocuteur du secteur. Elle regroupe près de 2000 entreprises 25 Grégoire M., op. cit., p 167

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Patricia PLUTINO

Annexe 1 - Mémoire de Master 2 Ergologie - Année universitaire 2014-2015

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Première offensive contre le régime

Le 19 juin 2002, deux mois à peine après l’élection présidentielle, et trois jours après le

deuxième tour des élections législatives, c’est la première offensive contre le régime

d’indemnisation des intermittents et contre le principe de solidarité interprofessionnelle.

La décision est prise par l’Unédic de doubler les cotisations patronales et salariales lors de

l’emploi d’intermittents du spectacle.

C’est la première fois depuis la création de l’Unédic que le principe d’unicité du taux de

cotisation est rompu et qu’un taux spécifique est appliqué pour une catégorie de salariés.

Pour Mathieu Grégoire « cette mesure lève définitivement le malentendu entretenu par le

MEDEF sur le sens de la « responsabilisation » à laquelle il appelle les employeurs du

spectacle (…). Il s’agit moins, pour le MEDEF, d’intégrer, même à titre consultatif, les

employeurs du secteur que de leur faire assumer une part du financement (…) Pour le

MEDEF, ce financement professionnel de l’Unédic a les avantages d’une caisse

professionnelle sans en présenter les inconvénients dans la mesure où les employeurs du

secteur y contribuent financièrement sans disposer d’aucun pouvoir politique»26.

Deuxième offensive contre le régime

Le 26 juin 2003, un accord est signé par les organisations patronales (Le MEDEF, la

CGPME, l’UPA), par la CFDT, la CGC et la CFTC pour mettre en place un nouveau dispositif

d’indemnisation des intermittents du spectacle (ces négociations ont lieu en l’absence

des représentants des employeurs et des salariés du secteur).

De nouvelles règles d’indemnisation vont être mises en place, dont l’une des plus

critiquées sera le rehaussement du seuil d’éligibilité. Jusqu’à la signature de l’accord du

26 juin 2003, pour ouvrir leurs droits, les intermittents du spectacle devaient effectuer

26 Grégoire M., op. cit., p 167

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Patricia PLUTINO

Annexe 1 - Mémoire de Master 2 Ergologie - Année universitaire 2014-2015

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507 heures sur douze mois. Leur dossier était alors réexaminé à date fixe dite « date

anniversaire »27.

Désormais, pour ouvrir des droits dans le champ des annexes spécifiques du spectacle,

chaque intermittent doit réunir 507 heures d’emploi sur une période de référence réduite

de 12 à 10 mois pour l’annexe 8 (c'est-à-dire 304 jours pour les techniciens) et à 10,5 mois

pour l’annexe 10 (c'est-à-dire 317 jours pour les artistes). Par ailleurs, les annexes ne sont

plus représentatives du secteur d’activité, mais des fonctions : l’annexe 8 regroupe les

techniciens et ouvriers et l’annexe 10, les artistes. De plus, la durée de cotisation donne

désormais droit à 243 jours d’indemnisation (contre 365 jours précédemment) au terme

desquels le dossier est réexaminé28. En outre, les heures travaillées doivent avoir été

effectuées avec des employeurs intervenant dans le champ des spectacles, de

l’audiovisuel et du cinéma (alors qu’auparavant, les activités effectuées dans d’autres

secteurs pouvaient être prises en compte). Les derniers points concernent l’abaissement

de 30 jours de la période de franchise et la formule de calcul de l’indemnité journalière

qui a été modifiée.

La mise en place de ce protocole d’accord rend plus difficile les conditions d’accès au

régime d’indemnisation d’intermittent du spectacle en restreignant les conditions

d’ouverture des droits, excluant par là bon nombre d’intermittents. Il est vécu comme un

profond recul et comme un dispositif totalement inadapté à leurs pratiques d’emploi.

C’est alors le début d’un grand mouvement social dans l’hexagone.

Des milliers d’intermittents vont dire « non » au protocole de l’Unédic, signé par le

MEDEF et quelques syndicats minoritaires du secteur. Les journées de grève se

multiplient29. Ils occupent en premier lieu La Villette30, et la quasi-intégralité des festivals

27 Date qui servait de repère fixe (tous les 12 mois) et qui permettait à chacun de savoir exactement où il en

était de sa situation et de prendre en compte toutes les journées d’emploi. 28 La conséquence de cette modification est que les droits à indemnisation ne sont plus examinés à date fixe

mais à date variable, évaluée en fonction de la rapidité de consommation des droits à indemnisation. Le

salarié intermittent doit épuiser les 243 jours d’indemnisation (soit 8 mois) au terme desquels l’Unédic

réexaminera ses droits à partir de la fin du dernier contrat. Un jour travaillé n’équivaut plus à un jour

indemnisé. 29 Cent quarante actions sont organisées en trois semaines in http://www.cip-idf.org/rubrique.php3?id_rubrique=257

Page 16: extrait du mémoire de Master de Patricia Plutino

Patricia PLUTINO

Annexe 1 - Mémoire de Master 2 Ergologie - Année universitaire 2014-2015

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de l’été 2003 va être annulée, dont le festival d’Avignon, l’un des plus emblématiques du

secteur. Ces annulations ont fortement attiré l’attention de la presse nationale et

internationale et mis en valeur la réalité du poids économique du secteur culturel.

La figure de l’expert

Aux mobilisations qui s’étendent dans tout le pays, le Ministre de la Culture, Jean

Jacques Aillagon, fait savoir aux intermittents que leurs contestations ne peuvent être

ni entendues ni reçues, car il est évident qu’ils n’ont pas bien lu le protocole31. Il sous

entend ainsi que les experts ont parlé et le débat public est donc clos.

En réaction, les intermittents vont proclamer à partir de ce moment « Nous sommes tous

des experts », puis par la suite « Nous avons lu le protocole »32 pour finir par « Nous avons

une proposition à vous faire ». Partout en France, les intermittents créent des dizaines de

commissions et se mettent au travail. Ils vont lire ensemble ce protocole et, pas à pas,

élaborer leur propre jugement ; ils liront par la suite tous les rapports des experts et les

décrets d’application. Pour les intermittents du spectacle, il ne s’agit pas de refuser la

réforme, ou de simplement défendre les acquis sociaux, ils entendent défendre de

nouveaux droits sociaux inhérents à la flexibilité de l’emploi.

C’est ainsi que se créent et s’organisent les Coordinations d’Intermittents33 qui

deviennent un des premiers acteurs incontournables du conflit au côté des organisations

syndicales.

30 300 intermittents du spectacle ont occupé les lieux de montage de cinq manifestations et spectacles

prévus à partir de juillet au Parc de la Villette à Paris in L’Obs/Culture, Actions et occupations – publié le 28

juin 2003, http://tempsreel.nouvelobs.com/culture/20030628.OBS2928/actions-et-occupations.html 31 Intervention le 30 juin 2003 de Jean Jacques Aillagon sur France 2 32 Au lendemain de la signature du protocole, un film intitulé « nous avons lu le protocole d’accord du 26

juin 2003 » conteste certains points techniques et dénonce l’inefficacité, l’injustice et les dévastations

probables du scénario de réforme ( http://video.protocole.free.fr/ ) 33 En 1992, des coordinations s’étaient constituées dans les régions notamment à Lyon. Mais c’est

seulement avec le conflit de 2003 que la coordination s’est affirmée en région parisienne où est née la CIP-

IDF : Coordination Intermittents et Précaires – Ile de France. Sur le territoire, en juillet 2003, était recensé

trente six collectifs et coordinations qui fonctionnaient sous le mode de l’Assemblée Générale.

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Patricia PLUTINO

Annexe 1 - Mémoire de Master 2 Ergologie - Année universitaire 2014-2015

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Pour mémoire, le samedi 28 juin, suite à l’occupation de La Villette,

« (…) une Assemblée Générale s’est réunie spontanément. Le nom de « Coordination des intermittents et précaires d’île de France » a été voté et un fonctionnement en commissions libres s’est institué. Elle fait le choix de réunir des personnes syndiquées et non-syndiquées en dehors de leurs appartenances politiques ou religieuses au sein d’une organisation horizontale basée sur la démocratie, l’autodiscipline et la responsabilité individuelle de chacun de ses membres. Elle a la volonté de mener avec le plus grand nombre, la lutte pour la défense de la culture et d’élargir le combat dans la perspective d’une réforme pour de nouveaux droits. Dans cet esprit, elle a à cœur d’établir et d’entretenir un réseau d’échanges avec les autres branches du secteur économique »34.

Les coordinations s’éloignent des discours portés par le syndicat CGT, autour notamment

de la revendication du plein-emploi comme objectif politique (pour le syndicat, la

permanence reste encore une condition de la professionnalisation et de la progression

des carrières, et le recours à l’intermittence doit se limiter à des cas d’exception). Avec

leur montée en puissance en tant qu’acteur stratégique, le rapport de force se modifie et

les coordinations vont jouer un rôle fondamental pour déplacer le conflit vers une lutte

offensive et non corporative. La Coordination des Intermittents et Précaires d’Ile de

France, en ajoutant dans son intitulé « et Précaires », affirme comme axe central à sa

lutte, que tous les travailleurs soumis à la flexibilité de l’emploi doivent pouvoir bénéficier

des mêmes principes qui fondent le régime de l’intermittence. C’est ainsi que l’un des

slogans apparus en 2003 revendiquait « ce que nous défendons, nous le défendons pour

tous ». C’est aussi à partir de cette ouverture avec les « Précaires » « qu’elle problématise

les différentes temporalités qui caractérisent les pratiques des intermittents (temps de

l’emploi, temps de travail, temps de chômage et temps de vie) (…)»35 .

Autrement dit, les coordinations (surtout par la voix de la CIP-IDF) vont revendiquer la

déconnexion entre l’emploi et le travail, et l’importance de bénéficier d’un salaire indirect

durant les périodes hors emploi. La possibilité de travailler hors emploi est alors valorisée. 34 On peut lire ce paragraphe dans le point « l’esprit de la coordination » de la « Charte de la Coordination »

élaborée le dimanche 20 juillet 2003 (http://www.cip-idf.org/article.php3?id_article=108 ) 35 Corsani A. et Lazzarato M., op. cit., p 21

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Patricia PLUTINO

Annexe 1 - Mémoire de Master 2 Ergologie - Année universitaire 2014-2015

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Elle est vécue comme gage de créativité mais également comme une continuité dans le

travail. Les coordinations vont également pointer que « la discontinuité de l’emploi qui

caractérise l’intermittence relève d’une modalité d’organisation du travail qui concerne

toute l’économie, et pas seulement le monde de l’art et de la culture »36.

Alors que les politiques influent pour une logique d’individualisation des salaires et des

droits sociaux, les revendications de la CIP-IDF, au contraire, visent à la mutualisation.

Depuis 1984 et afin d’apaiser les tensions tout au long de ce conflit social, l’Etat n’a cessé

de multiplier le nombre de rapports et d’expertises ainsi que l’intervention de

médiateurs. L’expert devient un acteur non négligeable en dévoilant de façon de plus en

plus précise « [les] effets pervers de ce système et [les] diverses modalités de cette

déviance, restée jusqu’alors invisible »37.

Le premier rapport, en 1984, pointe les usages illicites des règles ; un des deux rapports

de 1992 va mettre en exergue l’aménagement des déclarations qui repose sur une

« complicité » entre employeurs et salariés du secteur. Durant l’année 1994, un nouveau

rapport fera apparaître les facteurs de déséquilibre et les solutions à apporter à la

situation des professionnels du spectacle. En 1996, un rapport préconise le maintien des

deux annexes et une meilleure gestion et régulation du système. En 2002, une nouvelle

étude est confiée à des inspecteurs généraux (par le Ministre de la Culture) chargés

d’analyser le régime d’indemnisation du chômage des intermittents du spectacle, afin

d’éclairer les partenaires sociaux sur les différences constatées entre les statistiques de

l’Unédic et celles des autres organismes sociaux. Cette étude préconisera de « Restreindre

les conditions d’accès au régime des intermittents, de prendre en compte le temps de

travail dans la durée et le montant d’indemnisation, et renforcer le contrôle. Le protocole

d’accord du 26 juin 2003 s’inspirera largement de ces conclusions »38.

36 Corsani A. et Lazzarato M., op. cit., p 21 37 Langeard C., Les intermittents en scènes – Travail, action collective et engagement individuel, Presses

Universitaires de Rennes, 2013, p 155 38 Ibid. - La Cour des comptes, qui a elle-même rendu son rapport annuel le 29 janvier 2003, ira dans ce sens

là également.

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Patricia PLUTINO

Annexe 1 - Mémoire de Master 2 Ergologie - Année universitaire 2014-2015

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Cet accord de juin 2003 modifie notamment le calcul de l’indemnisation, et son extrême

complexité ne facilite pas sa compréhension. Pour prendre part aux négociations, il

devient impératif pour les coordinations d’intermittents de s’approprier ce savoir pour

faire contrepoids à l’expertise institutionnelle. Une coopération avec des experts

spécialisés (tels des juristes, des économistes, des sociologues…) va leur permettre de se

réapproprier les dernières expertises et le protocole d’accord. La formation des membres

des coordinations va se faire de manière directe ou indirecte par ces experts qui se

mettent alors au service de leur cause.

Certains intermittents militants, ayant un fort capital scolaire de par leur formation

initiale, vont mettre leurs compétences au profit d’une expertise interne. Un exemple est

donné dans son ouvrage par la sociologue Chloé Langeard39 :

« Olivier Sens, contrebassiste professionnel et titulaire d’un diplôme d’ingénieur en mathématiques, a utilisé son savoir afin de dresser une étude qualitative et quantitative permettant de comparer l’ancien système et le nouveau, en supposant une quantité de travail équivalente. En prenant appui sur les nouvelles formules mathématiques définies par l’Unédic et à l’aide d’outils mathématiques et statistiques, il élabore des projections qu’il illustre par des graphiques et rend public sur Internet. (…) le document circulera lors de nombreuses assemblées générales (AG) organisées par la CGT-spectacle ou les coordinations».

La CIP-IDF va s’emparer de cette étude. Cette dernière deviendra la base de contre-

propositions élaborées et rassemblées dans le « Nouveau Modèle » présenté par la

coordination parisienne. Le Nouveau Modèle d’indemnisation chômage, adapté aux

salariés à l’emploi discontinu, sera emblématique des initiatives prises par les

intermittents et « se veut une « base ouverte », appropriable et adaptable par d’autres

travailleurs à l’emploi discontinu suivant des critères « locaux » propres aux différentes

pratiques d’emploi et de travail »40.

Cette étude réalisée par ce musicien ingénieur a principalement révélé que le protocole

d’accord du 26 juin 2003 n’entraîne pas les économies attendues, mais que : « Sous le

39 Langeard C., Les intermittents en scènes – Travail, action collective et engagement individuel, Presses

Universitaires de Rennes, 2013 40 Corsani A. et Lazzarato M., op. cit., p 13

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Annexe 1 - Mémoire de Master 2 Ergologie - Année universitaire 2014-2015

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prétexte de la maîtrise des dépenses, la réforme remplace progressivement les dispositifs

de mutualisation du risque, de transfert de revenus, les dispositifs de socialisation du

salaire et donc de redistribution, par des dispositifs de capitalisation »41. Alors que cette

réforme était énoncée comme une nécessité pour endiguer le déficit de l’Unédic,

l’expertise des intermittents militants dévoile que son but originel est de refonder

entièrement les principes de la protection sociale.

L’intervention de l’Etat

Vu l’ampleur du conflit, le gouvernement va mettre des moyens en place pour tenter de

l’apaiser car celui-ci ne faiblit pas.

Il va créer un fonds provisoire, qui deviendra en 2004 un fonds transitoire, qui sera lui-

même remplacé en février 2005 par l’Allocation Fonds Transitoire (AFT) puis le 1er avril

2007 sous l’appellation de Fonds de solidarité et de professionnalisation. C’est un

dispositif de « rattrapage » pour les intermittents expulsés du régime par la réforme.

Ceux qui ont réalisé le nombre d’heures requises en 12 mois (au lieu des 10 ou 10,5 mois)

sont pris en charge financièrement par l’Etat. Ce fond empêchera jusqu’au 1er avril 2007

que la réforme ne produise complètement ses effets.

En décembre 2003, la coordination nationale des intermittents adopte le Nouveau

Modèle élaboré par la CIP-IDF. Au même moment, un comité de suivi, porté par Noël

Mamère42, est constitué. Il regroupe des députés de l’opposition mais aussi de la majorité

parlementaire, des syndicats de salariés et d’employeurs du secteur du spectacle et la

coordination nationale. Ce comité a pour objectif de suivre et d’accompagner l’évolution

du conflit, et d’élaborer des contre-propositions (il s’inspirera fortement du Nouveau

Modèle proposé par la CIP-IDF). Une des initiatives a débouché sur l’élaboration d’une

41 Corsani A. et Lazzarato M., op. cit., p 13 42 Député du parti des Verts, il était très investi en faveur de la cause des intermittents du spectacle.

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proposition de loi43 en 2006, mais qui, par des manœuvres de procédure, n’a jamais pu

être soumise à l’Assemblée Nationale.

Au printemps 2004, à la demande du comité de suivi, le ministre de la Culture nomme un

expert indépendant pour mener une expertise sur la situation de l’Unédic et sur l’impact

social et financier de la réforme44. Mais rapidement, la mission confiée par le ministre

s’éloigne de la demande initiale du comité de suivi. La CIP-IDF décide alors de son côté de

générer une expertise d’initiative citoyenne en partenariat avec un laboratoire de

recherche de l’université45. Après les élections régionales, elle va solliciter et obtenir un

soutien financier des Conseils Régionaux d’Île-de-France, de Bourgogne, de Provence-

Alpes -Côte d’Azur et de Rhône-Alpes pour la mener à bien.

L’objectif de cette contre-expertise, menée conjointement avec un laboratoire

scientifique, est de confirmer la validité du Nouveau Modèle, de s’opposer à la volonté

affichée du gouvernement de professionnalisation du secteur, et de réaffirmer : « Le

rapport de force de la coordination face aux syndicats »46. C’est aussi donner de la

légitimité et du sérieux à leur démarche en se mettant au même niveau que les savoirs

« savants » : on assiste alors à la « désacralisation du savoir en même temps qu’à un

débordement de la sphère politique instituée »47.

Par ailleurs, au début de l’automne 2004, afin de mutualiser les questionnements et d’y

apporter des réponses, une commission Conséquences de l’Application du Protocole

(CAP) est créée au sein de la CIP-IDF pour illustrer les effets désastreux des nouvelles

43 Cette proposition de loi visait à définir un cadre légal qui aurait permis aux partenaires sociaux de

négocier des réformes. 44 Expertise menée par Jean Paul Guillot, président du Bureau d’Information et de Prévisions Economiques

(BIPE) 45 Plusieurs équipes participent à cette expertise dont celle d’ISYS composante de Matisse-UMR de

l’université de Paris 1 et du CNRS, de l’association des Amis des Intermittents et Précaires (AIP) et avec la

Coordination des Intermittents et Précaires. Les résultats de cette expertise se retrouvent dans l’ouvrage

« Intermittents et Précaires » d’Antonella Corsani et Maurizio Lazzarato. L’enquête a porté sur 940

questionnaires constitués chacun de 149 questions. 46 Langeard C., op. cit., pp 181-183 47 Ibid.

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Patricia PLUTINO

Annexe 1 - Mémoire de Master 2 Ergologie - Année universitaire 2014-2015

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règles de la réforme. Pour les intermittents militants, c’est aussi une manière de se

réapproprier le droit, comprendre les impacts de la réforme, faire circuler les

informations pour éviter les pièges et surtout démontrer que ce protocole ne fait que

générer des inégalités, de la précarité et de l’incertitude.

Rapprochement avec les enseignants, les chercheurs et les altermondialistes

En parallèle, au printemps 2003, les coordinations d’intermittents vont se mobiliser

contre les projets de réforme du gouvernement au côté des enseignants pour défendre et

rappeler leurs missions de service public. Ces réformes concernaient alors l’éducation

nationale, les retraites... Puis, au printemps 2004, ils vont manifester au côté des

chercheurs en revendiquant ensemble l’importance de défendre les biens publics contre

une politique libérale. Nous retrouverons les intermittents du spectacle en août 2003 au

Larzac, entrant dans le mouvement anti-globalisation contre l’Organisation Mondiale

du Commerce. Ainsi, au travers de ces diverses mobilisations, ils élargissent leur

revendication, en défendant la culture et en s’élevant contre sa marchandisation.

Après trois années de lutte…

En 2006 doit avoir lieu une nouvelle négociation de la convention Unédic.

Malgré les trois années de manifestations, les nombreuses journées de grève, les

perturbations des cérémonies, les happenings, les performances, les occupations des

théâtres, de Directions Régionales d’Actions Culturelles (DRAC), d’ASSEDIC, les prises à

partie du Ministre de la Culture etc., le protocole signé en 2003 est prorogé. Le 26

octobre 2006, après 40 mois de lutte, la CFDT a décidé d’approuver l’accord du 18 avril

2006, suivi de la CFTC et de la CGC (la CGT s’est opposée à la signature et FO a donné un

avis défavorable). Tout le travail effectué durant ces années par la CIP-IDF et le Comité de

suivi a été balayé d’un revers de main. Comme il l’a souhaité durant toutes ces années, le

MEDEF a réussi à faire sortir partiellement les intermittents de la solidarité

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Patricia PLUTINO

Annexe 1 - Mémoire de Master 2 Ergologie - Année universitaire 2014-2015

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interprofessionnelle : par la mise en place, d’une part, d’un financement professionnel du

secteur et, d’autre part par un financement public.

Cependant, durant les années qui vont suivre, la CIP-IDF va continuer des actions

commandos diverses et variées, accompagnée de précaires et de chômeurs (notamment

après la fusion de l’Unédic et de l’ANPE) et continuer à manifester pour une justice

sociale48.

3ème offensive contre le régime

Début 2013, la Cour des comptes rend son rapport public annuel 2012 dans lequel un

chapitre entier est consacré aux régimes des intermittents du spectacle49. Cela fait en

effet plusieurs années que les annexes 8 et 10 y sont systématiquement pointées du

doigt. Selon elle, le régime d’indemnisation des intermittents du spectacle engendrerait

un « déficit chronique » représentant un tiers du déficit total de l'assurance chômage (un

milliard d’euros), alors que seules 100 000 personnes en bénéficient ; chiffres que les

intermittents du spectacle ne cessent de contester. Ils démontrent que les intermittents

représentent 3,5 % des allocataires qui perçoivent 3,4 % des dépenses et que le déficit

n’est pas d’un milliard, comme annoncé par la Cour des comptes et repris par tous les

médias, mais de trois cent millions d’euros.

Depuis le conflit de 2003, les intermittents ont riposté de différentes manières aux

diverses annonces faites sur le déficit de leur régime pointé notamment par la Cour des

Comptes, repris par le MEDEF et relayé par les médias ; notamment au travers de vidéos

explicatives (ciné-tract), dans le but de démontrer que ce « prétendu déficit » n’existe

pas. Début février 2013, est mise en ligne une première vidéo d’une quinzaine de minute

intitulée « Riposte 1 : le déficit des annexes 8 et 10 des intermittents du spectacle n’existe

pas »50. Suivront, jusqu’en avril 2014, trois autres vidéos Riposte, ainsi que des vidéos

48 Cf. le site web de la CIP-IDF où tous les communiqués sont archivés depuis 2003 49 Synthèses du Rapport public annuel de la Cour des comptes. Chapitre 41 - Le régime des intermittents : la

persistance d’une dérive massive, p 114 - 116 50 Vidéos disponibles sur le site de la CIP-IDF, onglet « Photos, sons, vidéos »

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Patricia PLUTINO

Annexe 1 - Mémoire de Master 2 Ergologie - Année universitaire 2014-2015

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dites « Riposte de désintox » parce qu’ils « en [ont] assez des erreurs, des mensonges, des

calomnies, de la désinformation proférés par le Medef (relayés par les médias) quant à

[leur] régime d’assurance chômage ! [Qu’ils en ont] assez de la stigmatisation mensongère

à [leur] encontre ! (…) Ces vidéos sont des « ripostes de désintox » pour tous ceux qui

sont mal informés ! »51

Alors que les négociations de l’Unédic doivent s’ouvrir le 17 janvier 2014, le groupe de

travail du Sénat sur l’intermittence rend, quelques jours avant celles-ci, douze

recommandations sur l’intermittence, dont une proposition sur le retour à la date

anniversaire sur 12 mois, et une autre sur l’augmentation du nombre d’heures

nécessaires à l’ouverture des droits aux allocations chômage.

Le Comité de suivi 2013 sur l’intermittence52 va alors organiser le 12 janvier 2014 une

conférence de presse à l’Assemblée Nationale où il demandera publiquement à Monsieur

Michel Sapin (Ministre du Travail) de se prononcer sur les revendications de la majorité

des organisations concernées par l’intermittence du spectacle. De leur côté, l’ensemble

des organisations syndicales, collectifs, Fédérations, membres du Comité de Suivi 2013

appelle à une Assemblée Générale le 17 janvier 2014. Le mot d’ordre de cette assemblée :

« Occuper le terrain médiatique et construire une solidarité avec le public et les citoyens ».

Le Medef, l’UPA et la CGPME arrivent à la négociation du jeudi 27 février 2014 avec un

texte proposant la suppression, purement et simplement, du régime d’indemnisation des

intermittents du spectacle ainsi que de celui des intérimaires (annexes 8 et 10 et

annexe 4).

51 Ibid. 52 Il regroupe : ADDOC (Association des cinéastes Documentaristes), Coordination des Intermittents et

Précaires, Fédération des Arts de la rue, Fédération CGT Spectacle, Société des Réalisateurs de Films,

Collectif des Matermittentes, Les Scriptes Associés (LSA) et les Monteurs Associés (LMA), SUD Culture

Solidaires, SUD Spectacle, Syndicat du cirque de création, Syndicat des Musiques Actuelles, SYNAVI,

SYNDEAC, TIPPI (Truquistes Infographistes de la Post-Production Image associés), UFISC, Union des

créateurs lumière

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Patricia PLUTINO

Annexe 1 - Mémoire de Master 2 Ergologie - Année universitaire 2014-2015

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De très nombreuses mobilisations vont avoir lieu sur l’ensemble du territoire jusqu’au 21

mars 2014 (date prévue de l’ultime rencontre des partenaires sociaux pour entériner la

signature du protocole), notamment à l’initiative de la CIP-IDF et de la CGT spectacle,

dont la « marche pour la culture »53 fera retirer une partie des propositions de la

délégation patronale.

Dans la nuit du vendredi 21 mars 2014, l’Accord National Interprofessionnelle (ANI) relatif

à l’indemnisation chômage est signé par les organisations patronales et les syndicats

CFDT, CFTC et, pour la première fois, par FO (la CGT et la CGC ne signeront pas). Cet

accord sera immédiatement très critiqué. D’une part par la CIP-IDF, car aucune des

propositions faites par le Comité de Suivi n’a été étudiées alors qu’il travaille dessus

depuis une dizaine d’années. D’autre part, la négociation en elle-même est fortement

remise en cause par la CGT (pour laquelle cet accord est le fruit d’une négociation de

couloir), et par la coordination qui dénoncent ses conditions scandaleuses54.

Ce nouvel accord met en place de nouvelles mesures en vue d’économiser 400 millions

d’euros dès la première année :

La cotisation (employeur+salarié) passe de 10,8 à 12,8 % et une contribution

supplémentaire de 0,5 % est appliquée pour recours à l’emploi court. La cotisation

totale est donc égale à 13,3 %.

Un plafond de cumul mensuel salaire + indemnités à 5475,75 euros brut mensuel.

53 22 marches ont été organisées pour « protester à la fois contre la casse du service public de la culture

avec ses conséquences néfastes sur l'emploi comme sur la relation avec le public et contre la remise en cause

des droits à l'assurance chômage telle que l'envisagent le Medef et compagnie » in Communiqué du

SYNPTAC- CGT du 13 mars 2014 54 La CIP-IDF relatera dans un communiqué du 22 mars 2014 : « En fait de négociations, ce ne sont

qu’interruptions interminables de séance leur permettant des conciliabules de couloirs et des arrangements

bilatéraux hors de la salle, acceptés par tous les syndicats, à l’exception de la CGT, restée, elle, à la table des

négociations sans voir personne ! Hier, vendredi, les négociations communes n’auront duré, au final, qu’un

quart d’heure ! »

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Patricia PLUTINO

Annexe 1 - Mémoire de Master 2 Ergologie - Année universitaire 2014-2015

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Une nouvelle franchise (ou carence) qui est un différé de paiement imposé aux

intermittents avant le versement de leur première allocation55.

Pour les intermittents et la CGT spectacle, cet accord est nuisible en détruisant encore

davantage les droits sociaux de tous, en s’attaquant aux chômeurs et à tous les précaires

(notamment les intérimaires), et en aggravant les dispositifs de 2003 pour les annexes 8

et 10. De plus, pour les intermittents du spectacle, la modification du calcul du différé est

la mesure fatale qui va conduire à l’exclusion de nombreux intermittents du spectacle. En

effet, comment survivre à 30 jours ou plus sans revenu ?

Le syndicat CGT spectacle renchérit. Selon un communiqué du 31 mars « le MEDEF, la

CGPME et l’UPA ont obtenu des signataires (CFDT, CFTC, FO), des économies sur le dos des

chômeurs, en contrepartie de maigres droits nouveaux, des « droits rechargeables »56 qui

reculent légèrement la fin des droits ».

Le protocole signé par les partenaires sociaux doit être agréé par le gouvernement, pour

entrer en vigueur.

La lutte va s’intensifier dans les semaines suivantes et tentera de faire pression sur le

gouvernement, afin qu’il refuse de signer cet agrément et obliger les partenaires sociaux

à rejoindre une nouvelle fois la table de négociations de façon loyale.

De nouvelles actions sont menées. Samuel Churin, porte-parole de la CIP-IDF, négociera

une intervention de cinq minutes le 5 mai 2014, au forum sur l’Europe de la Culture du

Parti Socialiste (PS) à Lille. Le premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadelis, est

alors interpellé afin de lui rappeler les engagements pris lors de la signature du texte de la

55 Avant la réforme, il ne touchait que les intermittents à haut revenu (environ 8 %). Après la réforme, le

délai pourrait être appliqué à 42 % d’intermittents et aller jusqu’à 2 mois de carence. A part pour la

minorité ayant un faible revenu (moins de 7 500 € en 507h), tout intermittent va connaître un différé

d’indemnisation qu’il n’avait pas avant. 56 Lorsqu'un salarié perd son emploi, il retrouve ses anciens droits à indemnisation, s'il lui en restait, qu'il

doit épuiser avant d'obtenir ses nouveaux droits. Cette règle permet à tous les allocataires d'allonger leur

durée d'indemnisation. Mais certains, dont le dernier emploi était mieux rémunéré que les précédents,

restent temporairement bloqués dans d'anciens droits à indemnisation moins avantageux. Avant les droits

rechargeables, leur allocation pouvait être réévaluée.

Page 27: extrait du mémoire de Master de Patricia Plutino

Patricia PLUTINO

Annexe 1 - Mémoire de Master 2 Ergologie - Année universitaire 2014-2015

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plateforme du Comité Suivi en 2004 et confirmés en 2013 par l’ensemble des

représentants socialistes avant les présidentielles : l’accord de 2003 était alors dénoncé

par tous les membres du gouvernement lorsqu’ils étaient dans l’opposition. Ce jour-là, il

demande à Martine Aubry et Jean-Christophe Cambadelis de respecter leur engagement,

et d’écrire au Ministère du Travail afin de demander le non agrément du protocole57.

Respectant leur parole, ils écriront au Ministère du Travail, suivis par d’autres députés

socialistes, pour soutenir les propositions du Comité de Suivi et refuser la validation de la

nouvelle convention d’assurance chômage par le Ministère du Travail. Aucune réponse ne

sera donnée par celui-ci.

Début juin 2014, la colère monte au sein des intermittents du spectacle. Une action va

faire boule de neige dans la profession : les personnels techniques du Festival du

Printemps des Comédiens à Montpellier ont voté la grève reconductible en assemblée

générale contre la convention Unédic. Ils appellent alors toutes « les équipes artistiques,

techniques intermittentes, intérimaires, précaires et permanentes des manifestations

culturelles à rejoindre la lutte, partout en France et par tous les moyens »58. Un préavis de

grève est lancé pour tout le mois de juin à l’initiative de la CGT Spectacle. Des occupations

commencent dans toute la France (Les DIRECCTE, les DRAC etc.). Des équipes de festivals,

des équipes permanentes de théâtre, de productions audiovisuelles, de films d’animation

etc. se mettent en grève. Jane Birkin, en soutien aux intermittents, annulera son concert à

Montpellier. La CGT spectacle et la CIP-IDF feront également converger leur lutte avec

celle des cheminots, le 16 juin lors d’un mouvement unitaire qui rassemblera des milliers

de manifestants dans les grandes villes. La menace de l’annulation du festival d’Avignon

pèse dans les esprits.

57 François Rebsamen, alors sénateur-maire de Dijon, a signé le texte de la Plateforme validant que cet

accord n’était pas adapté à l’emploi des intermittents du spectacle et demandant à ce que les propositions

du comité de suivi soient étudiées. Le 2 avril 2014, il est nommé au poste de Ministre du Travail, de l’Emploi

et du dialogue social dans le gouvernement de Manuel Valls. Il annonce alors qu’il va signer l’agrément. Ce

faisant, il énonce le contraire de ce qu’il avait validé et signé 2 mois auparavant, avec le comité de suivi. 58 Communiqué de l’assemblée générale extraordinaire du 3 juin 2014 du Mouvement Unitaire Languedoc-

Roussillon contre l’accord Unédic du 22 mars 2014

Page 28: extrait du mémoire de Master de Patricia Plutino

Patricia PLUTINO

Annexe 1 - Mémoire de Master 2 Ergologie - Année universitaire 2014-2015

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Sous la pression des actions, le gouvernement nomme en urgence un médiateur, Jean-

Patrick Gille, chargé « d’évaluer les conséquences de la réforme prévue dans l’accord du

22 mars dernier »59 (uniquement sur les annexes 8 et 10). Le 19 juin, après la remise des

conclusions du médiateur, le premier ministre, Manuel Valls, annonce un plan qui se veut

une sortie de crise, tout en insistant sur la volonté du gouvernement d’agréer la

convention Unédic dans le but de respecter les partenaires sociaux et, se faisant, le

dialogue social. Il annonce :

Le maintien intégral des crédits d’investissement du ministère dans le spectacle

vivant en 2015, 2016 et 2017

Une concertation tripartite associant les pouvoirs publics60 pour « bâtir un cadre

stabilisé et sécurisé pour les intermittents du spectacle »

Le financement par l’Etat du « différé », afin de neutraliser cette mesure pour les

intermittents du spectacle61

Pour la CGT Spectacle et la CIP-IDF, le financement du différé est une catastrophe car il

préfigure la création d’une caisse autonome que souhaitaient le MEDEF et la CFDT depuis

des années et est contraire au principe de solidarité pensé par le Conseil National de la

Résistance. D’autre part, ce financement étouffe la lutte de ceux que la CIP-IDF nomme

les intermittents « de l’emploi » en tentant de disjoindre les intermittents du spectacle

des autres travailleurs précaires. Mécontents, ils reconduisent le préavis de grève à partir

du 1er juillet 2014 pour tout le mois et appellent à une journée de grève massive dans

tous les secteurs du spectacle, du cinéma et l’audiovisuel, le 4 juillet, jour de l’ouverture

du Festival d’Avignon.

59 Rapport de mission « une nouvelle donne pour l’intermittence » Jean-Patrick GILLE (député) – 19 juin 2014 60 Le Premier Ministre Manuel Valls confit l’organisation et l’animation de cette concertation à 3

personnalités : Hortense Archambault (ex codirectrice du Festival d’Avignon), Jean-Denis Combrexelle

(ancien Directeur Général du Travail) et Jean-Patrick Gille (député). 61 Selon Manuel Valls, c’est une mesure transitoire pour apaiser les craintes, pour rétablir un dialogue

serein et se donner les moyens d’une vraie refondation sociale. Selon la CGT Spectacle, cette proposition

figurait dans les textes du MEDEF en février 2014 comme palliatif à la suppression des annexes -

Communiqué de la CGT Spectacle du 20 juin 2014

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Patricia PLUTINO

Annexe 1 - Mémoire de Master 2 Ergologie - Année universitaire 2014-2015

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Néanmoins, malgré des divergences, la « mission concertation » débute sa première

réunion le jeudi 3 juillet 2014. Cette première réunion aura pour but de définir la

méthode de travail. Pour la première fois, sont réunis à la même table partenaires sociaux

interprofessionnels, partenaires sociaux de la branche du spectacle vivant et enregistré,

coordination des intermittents et précaires, collectivités territoriales et État, ainsi que

l’Unédic, Pôle emploi et Audiens62. La CIP-IDF est enfin reconnue comme expert pour

siéger à la concertation comme les autres partenaires, malgré les tentatives de remise en

cause de leur présence par les signataires du protocole du 22 mars63. Plusieurs tables

rondes sont prévues chaque jeudi de juillet : la lutte contre la précarité de l’emploi et

sécurisation des parcours professionnels, les moyens de contenir les logiques

d’optimisation, l’architecture du dispositif de l’assurance chômage des intermittents et sa

gouvernance. Suivront des ateliers de septembre jusqu’à fin décembre 2014 afin de

continuer la concertation. Mais des difficultés demeurent : les experts indépendants

peinent à avoir les chiffres bruts de l’Unédic pour commencer leur expertise. Les ateliers,

qui ont remplacé les tables rondes, ne durent que trois heures et ne permettent pas

d’aborder la totalité des problèmes etc. le collectif Les Matermittentes64 ont le sentiment

qu’il « n’y a aucune volonté de régler tous ces problèmes » et que cette concertation va

vers « un toilettage pour éteindre le feu ».

En parallèle, les actions, les grèves, les occupations de lieux emblématiques continuent

tout l’automne, avec la volonté affichée de recourir au blocage économique. En effet,

depuis le 1er octobre 2014, les nouvelles règles de calcul concernant les « droits

rechargeables » s’appliquent. C’est un bouleversement pour les artistes et techniciens du

spectacle qui remplissent les conditions pour bénéficier du régime d’indemnisation des

intermittents du spectacle, mais ne peuvent pas accéder à ce régime s’ils ont des droits

ouverts au régime général qu’ils n’ont pas épuisés65. Mais c’est aussi une catastrophe

62 Groupe de protection sociale dédié aux professionnels de la culture, de la communication et des médias 63 En plus du groupe d’experts interne, la mission de concertation a désigné 3 experts extérieurs : Pierre-

Michel Menger et Matthieu Grégoire (sociologues), ainsi que Jean-Paul Guillot (économiste). 64 Ce collectif regroupe des femmes à l’emploi discontinu qui luttent pour faire valoir leurs droits en matière

de congés maternité et d'arrêts maladie. 65 La CAP (commission application du protocole) donne plusieurs exemples : « une jeune femme a cotisé

1020 heures au régime de l’intermittence au cours des dix derniers mois, soit bien plus que le minimum

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Patricia PLUTINO

Annexe 1 - Mémoire de Master 2 Ergologie - Année universitaire 2014-2015

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pour tous les précaires que sont les intérimaires, les allocataires du RSA… dont les

témoignages arrivent en nombre chaque jour. Pour les intermittents du spectacle, le but

évident du gouvernement est de faire deux milliards d’euros d’économie sur le dos des

chômeurs dans le cadre du « pacte de responsabilité et de solidarité » (qui favorise

« la baisse du coût du travail pour favoriser la création d’emploi ») avec la mise en place

d’une véritable machine à radier les chômeurs.

Le 7 janvier 2015, le trio missionné rend son rapport au Premier Ministre Manuel Valls. Ce

dernier annonce alors plusieurs mesures visant à « bâtir un cadre stabilisé et sécurisé

pour les intermittents du spectacle », dont notamment un projet de loi qui sera présenté

au Parlement afin d’y inscrire les annexes 8 et 10. Les partenaires sociaux et l’Unédic ne

pourront plus décider seuls : « Ils fixeront le cadre financier, mais le secteur professionnel

de la culture, syndicats, coordinations… définira lui-même les paramètres de leur

assurance chômage, dont ils sont les meilleurs connaisseurs ».66 Par ailleurs, d’autres

décisions sont prises :

Encadrer le recours aux contrats intermittents pour combattre les abus et

supprimer la « permittence ».

Développer l’emploi et adapter la protection sociale pour mieux garantir les droits

des intermittents.

Concernant la CGT Spectacle, même si ce rapport reprend bon nombre de leurs

contributions, il persiste des contradictions et un point majeur de désaccord sur le fait de

conférer au niveau interprofessionnel la fixation d’un cadre financier pour les annexes 8

et 10. Elle prend acte par ailleurs des préconisations de la mission et veillera à la mise en

œuvre des mesures annoncées, notamment pour les artistes et techniciennes

demandé. Mais avec 440 jours d’indemnités à épuiser au régime général, elle n’est pas prête de faire valoir

ses droits à l’intermittence » ou encore «un intermittent en fin de droit qui n’aurait pas encore ses 507h

mais aurait fait quelques heures au régime général peut être basculé automatiquement dans ce régime.

Maintenant c’est un ordinateur qui gère les droits ». Cette mesure avait été imposée en 2003 aux

intermittents du spectacle, puis rapidement supprimée au vu de ses conséquences catastrophiques. 66 Interview de Hortense Archambault in http://www.telerama.fr/scenes/intermittents-il-n-y-aura-plus-de-

chantage-a-la-suppression-des-annexes-8-et-10 du 9 janvier 2015

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intermittentes qui peines à ouvrir des droits au congé maternité67. Néanmoins, elle

constate avec satisfaction l’inscription dans la loi, dès le premier trimestre 2015, du

régime spécifique des salariés intermittents (ce qu’elle demandait depuis 2007).

De son côté, pour la Coordination Nationale de Intermittents et Précaires, ces tables de

concertations ont pu mettre en avant les dysfonctionnements de l’assurance chômage en

signifiant pour le chômeur toujours plus de précarité et de pauvreté. Elle milite pour

réformer profondément le système de protection sociale afin de l’adapter à toutes les

formes d’activités discontinues ; elle rappelle que cette assurance chômage est pensée

pour l’emploi permanent, aux interruptions exceptionnelles, alors que depuis des

décennies le chômage de masse s’est installé et qu’aujourd’hui plus de 80% des

embauches se font en CDD, dont la durée moyenne est inférieure à un mois68. Elle

souligne qu’inscrire les annexes 8 et 10 dans la loi, n’empêchera pas le MEDEF de les

rendre inopérantes en les vidant de leurs contenus, comme il l’a fait avec l’annexe 4. La

question n’est pas de choisir le système d’indemnisation le moins cher mais le plus juste,

qui s’inscrirait dans une meilleure répartition des richesses.

L’un des points les plus importants de cette concertation a permis à l’Unédic de

reconnaître que les propositions de la Coordination Nationale des Intermittents et

Précaires, élaborées depuis 2003, ne sont pas plus coûteuses, et qu’un modèle vertueux

(mutualiste) peut être mis en place : « Ces tables auront permis de démontrer, une bonne

fois pour toute, que la réforme de 2003 n’a pas été économique – puisqu’elle coûte plus

cher, mais idéologique »69. Cette concertation a aussi prouvé que les organisations

exclues du dialogue paritaire avaient aussi des propositions viables et qu’il fallait peut -

être repenser le dialogue social afin d’assurer une véritable démocratie.

67 Communiqué de la CGT Spectacle du 7 janvier 2015 68 Communiqué de la CIP-IDF du 1er mars 2015 69 Communiqué de la CIP-IDF du 11 février 2015