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61 Fesch et les arts liturgiques Bernard Berthod Conservateur du Musée d’Art religieux de Fourvière, Joseph Fesch est nommé archevêque de Lyon en juillet 1802 par le premier consul, son neveu. Il prend possession de son diocèse en décembre 1802 et Pie VII le crée cardinal au consistoire du 17 janvier 1803 (fig. 2). Il séjourne peu à Lyon, cependant il assume pleinement son épiscopat, s’en- toure d’excellents grands vicaires et accomplit en dix ans la restauration religieuse de son grand diocèse. En 1814, il quitte sa ville épiscopale à l’approche des troupes autrichiennes, puis après les « Cent jours », il se réfugie à Rome où il mène une vie retirée avec sa sœur, Madame Laetitia. C’est là qu’il meurt le 13 mai 1839, léguant la plus grande partie de ses biens et collections à la ville d’Ajac- cio. Quelques pièces de son mobilier liturgique sont restées dans son ancien diocèse, d’autres sont conservées au Musée Fesch d’Ajaccio 1 . Elles proviennent de commandes pour son quotidien, sa cathédrale, son diocèse, sa ville d’Ajaccio et la Grande Aumônerie, données directement ou léguées par testament. Toutes n’ont pas été retrouvées et des lieux restent à explorer 2 . Lorsqu’il arrive à Lyon, à la fin de l’année 1802, tout est à reconstruire, matériellement et aussi spi- rituellement bien qu’une foi vive couve sous la cendre, entretenue pendant les années sombres par le grand vicaire Linsolas. Il faut reconstituer le vestiaire et le mobilier liturgique des principales paroisses de la ville et en premier lieu celui de la primatiale, pillés en 1793. Ses revenus, pourtant considérables, ne suffissent pas pour tout aménager. Dans une lettre à son grand vicaire Courbon, datée du 28 germinal an XII (18 avril 1804), il déplore la nudité de l’église primatiale, cependant il est convaincu que « Dieu nous donnera les moyens d’y pourvoir » ; en effet, Dieu y pourvoit puisqu’il écrit quelques mois plus tard : « j’ai fait cette année des dépenses im- menses. J’ai été poussé par une main invisible, je n’ai pas pu résister. Je viens de m’apercevoir qu’il y a trop de luxe mais je ne suis plus dans le cas de le réformer, cela fait plaisir au pape, aux français et je m’en console » 3 . L’orfèvrerie Pour lui-même Passant en quelques mois de l’état quasi laïc à l’épiscopat puis au cardinalat, Joseph Fesch doit ac- quérir le matériel épiscopal nécessaire. En premier lieu les éléments de sa chapelle pontificale. Au moins trois crosses nous sont connues. Celle conservée à la primatiale, celle appartenant à la cathé- drale d’Ajaccio et une troisième donnée à Madame de Bavoz, l’abbesse de Pradines. Les crosses de Lyon et d’Ajaccio sont caractéristiques de l’époque ; elles ressemblent à celles figurées sur le Sacre de David et sur la toile de G. Rouget, représentant le mariage de Napoléon 1 er et de l’archiduchesse Marie-Louise d’Autriche 4 . Celle de Lyon va de paire avec sa croix archiépiscopale, toutes deux en argent et bronze doré, réalisées par Jean-Ange Loques (actif à Paris depuis 1798). La croix proces- sionnelle porte, gravés sur le nœud, les mots : don du card. Fesch à son église primatiale.

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Fesch et les arts liturgiques

Bernard BerthodConservateur du Musée d’Art religieux de Fourvière,

Joseph Fesch est nommé archevêque de Lyon en juillet 1802 par le premier consul, son neveu. Il prend possession de son diocèse en décembre 1802 et Pie VII le crée cardinal au consistoire du 17 janvier 1803 (fig. 2). Il séjourne peu à Lyon, cependant il assume pleinement son épiscopat, s’en-toure d’excellents grands vicaires et accomplit en dix ans la restauration religieuse de son grand diocèse. En 1814, il quitte sa ville épiscopale à l’approche des troupes autrichiennes, puis après les « Cent jours », il se réfugie à Rome où il mène une vie retirée avec sa sœur, Madame Laetitia. C’est là qu’il meurt le 13 mai 1839, léguant la plus grande partie de ses biens et collections à la ville d’Ajac-cio. Quelques pièces de son mobilier liturgique sont restées dans son ancien diocèse, d’autres sont conservées au Musée Fesch d’Ajaccio 1. Elles proviennent de commandes pour son quotidien, sa cathédrale, son diocèse, sa ville d’Ajaccio et la Grande Aumônerie, données directement ou léguées par testament. Toutes n’ont pas été retrouvées et des lieux restent à explorer 2.Lorsqu’il arrive à Lyon, à la fin de l’année 1802, tout est à reconstruire, matériellement et aussi spi-rituellement bien qu’une foi vive couve sous la cendre, entretenue pendant les années sombres par le grand vicaire Linsolas. Il faut reconstituer le vestiaire et le mobilier liturgique des principales paroisses de la ville et en premier lieu celui de la primatiale, pillés en 1793.Ses revenus, pourtant considérables, ne suffissent pas pour tout aménager. Dans une lettre à son grand vicaire Courbon, datée du 28 germinal an XII (18 avril 1804), il déplore la nudité de l’église primatiale, cependant il est convaincu que « Dieu nous donnera les moyens d’y pourvoir » ; en effet, Dieu y pourvoit puisqu’il écrit quelques mois plus tard : «  j’ai fait cette année des dépenses im-menses. J’ai été poussé par une main invisible, je n’ai pas pu résister. Je viens de m’apercevoir qu’il y a trop de luxe mais je ne suis plus dans le cas de le réformer, cela fait plaisir au pape, aux français et je m’en console » 3.

L’orfèvrerie

Pour lui-mêmePassant en quelques mois de l’état quasi laïc à l’épiscopat puis au cardinalat, Joseph Fesch doit ac-quérir le matériel épiscopal nécessaire. En premier lieu les éléments de sa chapelle pontificale. Au moins trois crosses nous sont connues. Celle conservée à la primatiale, celle appartenant à la cathé-drale d’Ajaccio et une troisième donnée à Madame de Bavoz, l’abbesse de Pradines. Les crosses de Lyon et d’Ajaccio sont caractéristiques de l’époque ; elles ressemblent à celles figurées sur le Sacre de David et sur la toile de G. Rouget, représentant le mariage de Napoléon 1er et de l’archiduchesse Marie-Louise d’Autriche 4. Celle de Lyon va de paire avec sa croix archiépiscopale, toutes deux en argent et bronze doré, réalisées par Jean-Ange Loques (actif à Paris depuis 1798). La croix proces-sionnelle porte, gravés sur le nœud, les mots : don du card. Fesch à son église primatiale.

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Nous connaissons deux croix pectorales, d’un modèle classique de la fin de l’ancien régime, dorée et sans gemmes, avec une bélière articulée, que l’on retrouve sur le portrait peint par Appiani5 (fig. 5). L’une est conservée à Lyon (fig. 4), l’autre à Ajaccio. Le poinçon de la croix lyonnaise est malheu-reusement illisible ; celle déposée à Ajaccio est l’œuvre de l’orfèvre Nicolas-François Demoget qui réalise aussi une boîte pour les ampoules des saintes huiles.

Pour la cathédraleLe 5 prairial an XI (24 mai 1803), Fesch offre à sa cathédrale pour 3000 francs d’argenterie sacrée ainsi qu’un calice de l’orfèvre parisien Jean-Charles Cahier, acheté 750 francs et un ensemble de burettes par Pierre Paraud, orfèvre à Paris (1800-1815) (fig. 3). Le cardinal a également participé au don d’un ostensoir monumental commandé à Jean-Charles Cahier pour le chapitre primatial par l’impératrice ; la somme allouée par Joséphine, 6000 francs, se révèle insuffisante, aussi l’oncle complète-t-il « pour ne pas priver ses chanoines d’une si belle œuvre »6. Le soleil est soutenu par un ange cariatide montrant de son index droit la custode entourée de nuées d’où ruissellent des pampres et des épis de blé7 (fig. 6). Par testament, le cardinal montre encore son attachement à sa cathédrale en lui léguant un beau calice accompagné d’un service de burettes en argent doré de Pierre Paraud8.

Pour la grande aumônerieLe grand Aumônier de l’Empire est amené à réorganiser la Grande Aumônerie ; c’est ainsi que sont aujourd’hui conservées au Mobilier national et au Musée de l’Union des Arts décoratifs de Paris plusieurs pièces commandées à Jean-Charles Cahier pour les Tuileries : deux ampoules aux saintes huiles et une croix processionnelle en vermeil ; le grand aumônier commande également

Fig. 1 Burettes et plateau, argent, Odiot, Paris, 1803-1804. Lyon, musée de Fourvière. © P. Verrier

Fig. 2 Buste du cardinal Fesch, marbre, Joseph Chinard, vers 1810. Primatiale Saint Jean-Baptiste, Lyon. © S. Pretto, Lyon

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un bénitier portatif et deux encensoirs, non localisés, pour une somme de 4325 francs 9. Comme grand Aumônier, il reçoit en dons plusieurs objets liturgiques, en particulier une croix pectorale en diamants, à l’occasion du couronnement de l’Empereur10. En revanche, pour le baptême du roi de Rome, il préfère un vase de Sèvres d’une valeur de 24 000 francs à un rochet de dentelle « qu’il a déjà »11.

A Ajaccio

La cathédrale et la maison d’éducation qu’il crée, reçoivent dons et legs. Une des crosses est conservée à la cathédrale. La Maison d’éducation, devenu le Musée Fesch présente au public plusieurs pièces d’orfèvrerie. Les poinçons de garantie des vases sacrés indiquent qu’ils ont été réalisés entre 1798 et 1809 et les orfèvres sont parisiens comme Jean Ange Loques, Joseph Nicolas Boulanger ou lyonnais comme Antoine Michel, veuve Michel. J. N. Boulanger est l’auteur d’un bougeoir et d’un plat. Les orfèvres lyonnais, d’un nécessaire d’administration et d’un plat. A ces pièces, s’ajoute une croix d’autel portant les armes du prélat à la manière « révolutionnaire » : les initiales du pontife, J et F timbrées du chapeau pontifical ; elles sont semblables à celles gravées sur les burettes de Fourvière12. Le testament fait mention de quelques legs à la cathédrale d’Ajaccio : « ...un étui contenant un calice

Fig. 3. Calice, argent doré, Pierre Paraud, Paris. Primatiale Saint Jean-Baptiste, Lyon. © S. Pretto, Lyon

Fig. 5. Portrait du cardinal Fesch, huile sur toile, Andrea Appiani, 1807. Primatiale Saint Jean-Baptiste, Lyon. © CDAOA Rhône

Fig. 4. Croix pectorale, argent doré, orfèvre non identifié. Primatiale Saint Jean-Baptiste, Lyon. © S. Pretto, Lyon

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en 1822, elle reçoit des mains de Monsieur Courbon, le fidèle vicaire général, une crosse ayant appartenu au prélat 13.

La paramentique

Pour lui-mêmeIl achète, dès son arrivée à Lyon, cinq rochets chez Musmont pour 1140 francs, une chasuble de damas d’argent brodé d’or (800 francs), un chaperon de pluvial (200 francs), un devant d’autel et une étole pastorale.

Pour la primatiale Saint-JeanAyant reconstitué le chapitre primatial, il commande à Bousquet père & fils les mozettes bordées d’hermine des chanoines de Saint-Jean pour la somme de 1590 francs 14. Le 5 prairial an XI ( 24 mai 1803), il offre à la cathédrale une chasuble blanche et cinq aubes en dentelles.Le jour de Pâques 1805, il célèbre pontificalement devant leurs majestés impériales. Il a commandé pour cette occasion, à un grand atelier parisien, un ensemble pontifical blanc en drap d’argent lamé, brodé d’un décor de palmettes et de lys en fils et cannetilles d’or. Il reste aujourd’hui quatre pièces de cet ensemble, une chasuble, deux dalmatiques et un pluvial15 (fig. 7). On ne sait malheureusement pas si ce pontifical était conçu pour le rite lyonnais avec 33 pièces ou pour le rite romain avec un nombre réduit de vêtements. Il subsiste également une chasuble portant le même décor sur un fond de soie mauve lamée or (fig. 8) et une mitre ainsi qu’une paire de sandales et de bas liturgiques en soie rouge (fig. 9). Le Musée Fesch d’Ajaccio conserve plusieurs éléments du pontifical blanc ; ce qui laisse à penser que le pontifical a été divisé ou qu’un second pontifical ait été confectionné par le même brodeur, pour Ajaccio. On connaît également l’existence d’un pontifical rouge commandé en 1804 ; hors d’usage en 1839, il est remplacé par un ensemble commandé par Mgr de Pins16. Plu-sieurs pièces légués par testament n’ont pas été retrouvées. Trois aubes ornées de dentelle au point d’Angleterre, un grand ciboire en argent doré, les ciseaux, un anneau cardinalice orné d’un saphir17 ; des quatre mitres brodées de différentes couleurs, on ne connaît que la violette. Mgr de Pins est informé de l’exécution du legs par le comte Herculaï (sic)18. Il s’agit en fait du comte Hercolani, prince romain et comte d’Empire dont la famille est liée avec la famille impériale, un Hercolani ayant épousé une belle-fille de Lucien Bonaparte, prince de Canino19.

Pour AjaccioOutre plusieurs pièces d’un pontifical blanc de même facture que celui de Lyon, le Musée Fesch conserve un ensemble de treize chasubles et sept ensembles pontificaux ainsi que des pontificalia. Le testament indique que le grand établissement d’études d’Ajaccio doit hériter d’une partie des vê-tements liturgiques présents à Rome au moment du décès du cardinal. Le roi Joseph, comte de Sur-villiers, sélectionne un ensemble important de paramentique qui arrive à Ajaccio en deux temps. Un premier lot est envoyé en 1843 et arrive le 24 avril, un second, le 3 juillet 1851. Odile Bianco en donne la liste et Christine Aribaud en fait la description20. A l’examen de ce corpus, on constate que les vêtements proviennent de deux origines géographiques : la France et sans doute Lyon et Rome. De France, au moins huit chasubles et un pluvial taillés dans des étoffes tissées à Lyon à la fin du XVIIIe siècle. De Rome, six ensembles pontificaux de même facture et datables du début du XIXe siècle ainsi que deux chasubles vertes. Les pontificalia sont aussi romains. Une mitre orfrayée et une mitre cardi-nalice blanche pour la chapelle papale21. Trois jeux de dalmaticelles, blanches, rouges et violettes, des sandales et bas liturgiques blancs et rouges, des gants blancs et rouges ainsi que dix cingules dont

d’argent, les burettes, une soucoupe…». Un article de L’Ami de la Religion et du Roi fait état d’un legs plus étendu à l’établissement de la rue Fesch d’Ajaccio « un service à saint Chrème, des boîtes aux saintes huiles, un bougeoir d’argent, une croix pectorale sans relique et une croix pectorale dite de saint François de Sales ».

Les cadeauxA Fourvière, le cardinal offre une paire de burettes et son plateau, en vermeil du maître orfèvre parisien Odiot (fig. 1). Cet ensemble, datable par la forme des armoiries et le poinçon de l’or-fèvre des premières années de son pontificat, est en lien avec la réouverture au culte de l’antique sanctuaire marial, le 19 avril 1805. Très attaché au monastère de Pradines, il soutient Madame de Bavoz dans son projet de restauration de l’ordre bénédictin ; lorsqu’elle en devient l’abbesse

Fig. 6. Ostensoir dit de l’impératrice, argent doré, Pierre Paraud, 1806. Primatiale Saint Jean-Baptiste, Lyon. © CDAOA Rhône

Fig. 7. Chasuble, drap d’argent, filé or, cannetilles, paillettes. 1805. Primatiale Saint Jean-Baptiste, Lyon. © Pierre Aubert.

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trois de couleur. Par comparaison, on peut attribuer les broderies, surtout celles de la mitre orfrayée aux religieuses passionnistes de Corneto. Le testament fait mention de quelques legs à la cathédrale d’Ajaccio : « … une chasuble de soie violette. De même au grand établissement d’études qu’on est en train de construire à Ajaccio22 ... une chasuble blanche brodée, une aube brodée or et soie et la moitié des ornements sacrés exécutés par les religieuses de Corneto23 et qui se trouveraient chez ces reli-gieuses après ma mort » 24. Parmi les chasubles conservées aujourd’hui au Musée Fesch et provenant de ce legs, l’une d’elles, en drap d’argent brodés de fils d’or est très proche de celles de Pradines et fait penser qu’elles proviennent du couvent des passionnistes de Corneto.

Des cadeauxPar testament, le cardinal lègue de nombreux objets liturgiques à son diocèse de Lyon, ainsi qu’à diverses institutions d’Ajaccio. Au Grand séminaire Saint-Irénée, il lègue sa « grande chasuble rouge, garnie de ganses d’or et l’amict assorti... 3 aubes ornées de dentelles, de qualité inférieure à celles déjà citées » 25. Au petit séminaire de l’Argentière sa « riche chasuble violette avec le manipule et l’étole assortis » 26. « Aux religieuses Bénédictines de Pradines, [il] lègue deux chasubles, une blanche brodée, l’autre rouge, choisies par mes légataires testamentaires » (fig. 10). Elles sont plus simples que celles conservées à la primatiale tout en s’inspirant de leur décor avec cannetilles et ornements en réverbère 27. Enfin « A la maison-mère des Religieuses de Saint-Joseph de Lyon, [il] laisse deux chasubles, une rouge de tous les jours, l’autre ornée de revers vert et gris » 28. L’autre moitié des vêtements liturgiques de Cornetto ainsi que ceux qui restent au palais Bonaparte de Rome doivent aller à l’église qui recevra sa sépulture 29.

La légende

La mémoire du cardinal Fesch est restée si vivante qu’un grand nombre de souvenirs apocryphes lui est attribué. C’est le cas d’une belle chasuble conservée à la Grande-Église de Saint-Étienne, ornée de broderies de soie polychrome datant du milieu du XVIIe siècle et remontées sur un satin blanc ; cette chasuble a pu être portée par le prélat, d’autant qu’il avait beaucoup de goût pour les pièces anciennes, cependant rien ne l’atteste si ce n’est la tradition orale 30. On compte plusieurs calices qui auraient été utilisés par lui. Il est souvent difficile de démontrer le contraire, sauf si les poinçons permettent de dater

Fig. 8 Chasuble, soie violette lamée or, filé or, cannetilles, paillettes. Vers 1805. Primatiale Saint Jean-Baptiste, Lyon. © S. Pretto, Lyon

Fig. 9 Sandales liturgiques, soie, filé or, cannetilles, vers 1805. Primatiale Saint Jean-Baptiste, Lyon. © Pierre Aubert

NUOVA

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l’objet ultérieurement à son séjour en France, c’est le cas d’un calice du Musée de Fourvière, dû à l’or-fèvre parisien Alexandre Thierry qui insculpe en 1823. De même, la chasuble violette en lamé d’argent, citée plus haut, n’a certainement pas été utilisée par le prélat pour la célébration furtive du mariage de Napoléon Bonaparte et de Joséphine de Beauharnais, la veille du sacre, le 1er décembre 1804. Pour cette cérémonie très intime, le cardinal s’est contenté de passer une étole au cou. Plus spectaculaire et plus tenace est la légende du pontifical en velours rouge de la primatiale. En effet, pendant des décennies, on s’est plu à penser que cet ensemble pontifical en velours rouge avait été taillé dans des tentures provenant du décor de Notre-Dame de Paris, pour le sacre de l’Empereur et aurait été une libéralité de ce dernier envers l’Église de Lyon 31. Nous avons démontré ailleurs que cette tradition ne pouvait tenir,

1 H. Fisquet, La France pontificale, Lyon, s.d. ( 1865), p. 605.2 En particulier les sacristies de deux églises romaines dont il a été titulaire successivement  : Santa Maria della Vittoria (1803) et San Lorenzo in Lucina (1822).3 J.-B. Vanel, Bulletin historique du diocèse de Lyon, Lyon, 1923, p. 126.4 Peint en 1811, Musée du Château de Versailles. 5 La crosse et la croix pectorale ont été léguées par testament. « A la vénérable Église primatiale de Lyon, je lègue...ma crosse de primat et d’évêque, le tout en argent doré... ma croix pecto-rale pour reliques », § 7, Testament du cardinal Fesch, Rome, Archivio di Stato, Notarii capitolini, Augusto Appollini, 1839, vol. 609, 34r° à 63v°.6 Lyonnet, Le cardinal Fesch, Lyon, 1841, t. I, p. 425. Non loca-lisée.7 A. Michalon et M. Méras, « Le trésor de la cathédrale Saint-Jean », Monuments historiques, Paris, 1978, n° 116.8 «  A la vénérable Église primatiale de Lyon, je lègue mon grand calice en argent doré, avec sa patène, les deux son-nettes ». § 7, Testament du cardinal Fesch, Rome, op. cit. Le calice porte sur le revers du pied les mots : DON DU CARDI-NAL FESCH A SON EGLISE PRIMATIALE, RECU EN 1841, UN AN APRES LA MORT DE SON EMINENCE.9 A. Dion-Tenenbaum, «  Jean-Charles Cahier et l’orfèvrerie religieuse », L’orfèvrerie au XIXème siècle, XIème Rencontres de l’Ecole du Louvre, Paris, 1994, p. 19-20. 10 Localisation inconnue. Lyonnet, op. cit., t. I, p. 410. 11 A. Maze-Sencier, Les fournisseurs de Napoléon 1er et des deux impératrices, Paris, 1893, p. 353.12 B. Berthod, Pie VII à Lyon 1804-1805, Lyon, Musée de Four-vière, 1986, p. 15. Les armoiries ayant été abolies, les évêques constitutionnels et ceux nommés avant 1804 blasonnent en utilisant leurs initiales. Fesch fait de même jusqu’au couron-nement de l’empereur. Après décembre 1804, il prend l’aigle impérial « d’or sur fond d’azur, empiétant un foudre chargé d’un écu d’argent avec un F de sable  »  ; il utilise pour ses mandements pastoraux, un saint Jean-Baptiste de carnation avec l’agneau à ses pieds et la croix tenue de la main droite. M. Francou, « Un cardinal archevêque de Lyon d’origine bâloise, Joseph Fesch », Archives Héraldiques Suisses, 1997, II, p. 145-147.13 L’abbesse l’utilise pendant plusieurs années, puis, après la promulgation romaine restreignant les privilèges prélatices des abbesses, elle est offerte au mariste Pierre Bataillon, évêque titulaire d’Enos et vicaire apostolique d’Océanie (+

1877) ; D. Buenner, Madame de Bavoz, abbesse de Pradines, Lyon, 1961, p. 423, note 53 et 54.14 J.-B. Vanel, op. cit., p. 114-115.15 Le pluvial est remanié après 1814. Les attributs impériaux brodés sur le chaperon ont été remplacés par le cerf ailé des Bourbon entouré du « cri » sur philactère : Espérance. Le tra-vail est confié à la maison lyonnaise Barban et Masson. Cf. B. Berthod, E. Hardouin-Fugier, Paramentica, tissus lyonnais et art sacré, 1800-1914, Lyon, 1992, p. 144-149.16 Voir infra et note 15.17 § 7, Testament du cardinal Fesch, Rome, op. cit.18 Lyon, archives diocésaines, fonds de Pins, vol. 63, 375.19 Une fille de sa seconde épouse Alexandrine de Bleschamps et de M. de Vauberty.20 O. Bianco, Les Ornements liturgiques du cardinal Fesch, Ajaccio, 2008, p. 12-16 et p. 118-219.21 A la chapelle papale, tous les prélats portent la mitre blanche ; celle des cardinaux est en damas blanc ornée d’ une pigna. B. Berthod, P. Blanchard, Trésors inconnus du Vatican, cérémonial et liturgie, Paris, 2001, p. 244-246.22 Qui deviendra le Musée Fesch.23 Monastère de religieuses passionnistes, fondées par saint Paul de la Croix en 1771. Fesch possédait une villa tout près. Corneto, rebaptisée Tarquinia en 1872, est située en Étrurie, à environ 100 Km au nord de Rome.24 § 12, Testament du cardinal Fesch, Rome, op. cit.25 § 8, Testament du cardinal Fesch, Rome, op. cit.26 § 9, Testament du cardinal Fesch, Rome, op. cit.27 § 10, Testament du cardinal Fesch, Rome, op. cit. La légende locale veut qu’elles aient été portées par le cardinal lors des tournées de confirmation, ce qui parait peu vraisemblable, à la lecture du testament et selon l’usage même de la fonction, le pontife conférant le sacrement de confirmation vêtu du pluvial. 28 § 11, Testament du cardinal Fesch, Rome, op. cit.29 « Legs du cardinal Fesch », L’Ami de la Religion et du Roi, Journal ecclésiastique, politique et littéraire, t. 102, Paris, 1839, p. 39-40. L’église près de laquelle il est enseveli est précisé-ment celle de Corneto où est aussi enterrée Madame Laetizia. 30 Je remercie Mgr Bruno Martin, de la Société des Prêtres de Saint Irénée, curé de la Grande-Église. 31 P. Arizzoli Clémentel, « Joseph, cardinal Fesch and the litur-gical vestments of Lyon », The Age o f Napoleon, New York, Metropolitan Museum, 1990, p. 135-147.32 B. Berthod, É. Hardouin-Fugier, Paramentica, op. cit., p. 144-146.

Fig 10 Chasuble, soie, filé or, canetilles, paillettes. Abbaye de Pradines (Loire). © B. Berthod

les tentures du sacre étant de velours bleu chargée d’abeilles d’or collés et que le pontifical a été com-mandé par l’administrateur apostolique du siège primatial, Mgr Jean-Paul Gaston de Pins à la maison de broderie A. Petit en 1839 et livré en 1841 ; commande appuyée par une lettre au préfet : « la primatiale, écrit l’administrateur apostolique, étant privée d’un ornement pontifical depuis longtemps, celui de 1804 étant hors de service » 32.

La qualité des pièces conservées et leur nombre attestent l’intérêt de Fesch pour la vie liturgique de son Église et sa magnificence ; la minutie de son testament souligne son attachement à sa ville natale et à sa ville épiscopale ; les légendes qui entourent, encore aujourd’hui, certains objets montrent qu’il n’a pas été oublié.