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1 FICHE DE LECTURE Antoine PROST : Douze leçons sur l’histoire (Paris, Le Seuil, 1996, 336 pp) Introduction (pp 7-11) - Jusqu’à la fin des 1980’s, la réflexion méthodologique sur l’histoire en France = jugée inutile. ! pour les historiens, l’épistémologie = une affaire pour les philosophes = adoption de la posture de l’artisan modeste + crainte de s’exposer à la critique des collègues auxquels ils paraîtraient vouloir apprendre leur métier # les historiens allemands se sentant tenus de définir concepts et schémas d’interprétation mis en œuvre dans leur ouvrage. - Changement de la conjoncture historienne = éclatement de l’historiographie française = 3 interrogations taraudant ses anciennes certitudes : . les tentatives de synthèse semblent désormais illusoires et l’heure est aux micro-histoires . vacillement de la prétention scientifique d’un Seignobos sous les coups d’un subjectivisme qui annexe l’histoire à la littérature, l’univers des représentations disqualifiant celui des faits . l’entreprise unificatrice de Braudel et des partisans d’une histoire totale, qui récapitulait en elle l’apport de toutes les autres sciences sociales, a débouché sur une crise de confiance => crise d’identité de l’histoire à force d’emprunter à l’économie, la sociologie, la linguistique, l’ethnologie leurs questions, concepts et méthodes

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FICHE DE LECTURE

Antoine PROST : Douze leçons sur l’histoire (Paris, Le Seuil, 1996, 336 pp)

Introduction (pp 7-11)

- Jusqu’à la fin des 1980’s, la réflexion méthodologique sur l’histoire en France = jugée inutile. ! pour les historiens, l’épistémologie = une affaire pour les philosophes

= adoption de la posture de l’artisan modeste + crainte de s’exposer à la critique des collègues auxquels ils paraîtraient vouloir apprendre leur métier # les historiens allemands se sentant tenus de définir concepts et schémas d’interprétation mis en œuvre dans leur ouvrage.

- Changement de la conjoncture historienne = éclatement de l’historiographie française = 3 interrogations taraudant ses anciennes certitudes : . les tentatives de synthèse semblent désormais illusoires et l’heure est aux micro-histoires . vacillement de la prétention scientifique d’un Seignobos sous les coups d’un subjectivisme qui annexe l’histoire à la littérature, l’univers des représentations disqualifiant celui des faits . l’entreprise unificatrice de Braudel et des partisans d’une histoire totale, qui récapitulait en elle l’apport de toutes les autres sciences sociales, a débouché sur une crise de confiance => crise d’identité de l’histoire à force d’emprunter à l’économie, la sociologie, la linguistique, l’ethnologie leurs questions, concepts et méthodes

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Chapitre I : L’Histoire dans la société française (XIX°-XX° s) (pp 13-32) L’Histoire = ce que font les historiens ! pas une essence éternelle, une idée platonicienne ! c’est une réalité elle-même historique, située dans le temps et l’espace : il n’existe pas une

histoire dont les caractères traverseraient immuables les vicissitudes du temps, mais des productions que les contemporains d’une époque donnée s’accordent à considérer comme de l’histoire

! avant d’être une discipline historique, l’histoire = une pratique sociale

2 niveaux de lecture ex : la célèbre Introduction aux études historiques de Langlois et Seignobos = au 1er niveau un discours de la méthode dont l’analyse des diverses formes de critique hist conserve un intérêt pour lui-même au 2nd niveau elle renvoie à un contexte intellectuel dominé par les sciences expérimentales à la Claude Bernard, tandis que la sociologie de Durkheim, prétendant appliquer aux faits sociaux une rigoureuse méthode expérimentale, menace la prétention scientifique de l’hist dans son fondement même. => parce que la visée scientifique de l’hist est aussi une façon de prendre position et sens dans une société donnée, l’épistémologie de l’histoire = elle-même en partie une histoire. •••• L’Histoire en France : une position privilégiée

- place éminente tenue par l’hist dans l’univers culturel & social des Français = un rôle jugé décisif cf Mitterrand en 1982 : « un peuple qui n’enseigne pas son histoire est un peuple qui perd son identité » Ce qui est faux, comme en témoigne l’exemple des USA où sentiment très vigoureux d’identité nationale alors que place marginale de l’hist dans l’enseignement. Reste que pour la déclaration de Mitterrand : personne n’a relevé l’erreur donc unanimité des Français. cf peu d’autres pays au monde où l’enseignement constitue 1 enseignement obligatoire dans toutes les sections et toutes les années de la scolarité obligatoire. •••• Les usages sociaux de l’hist au XIX° s - l’hist dans l’enseignement Secondaire Au XIX° s : l’hist obligatoire dès 1818 dans l’enseignement Secondaire, qui joue un rôle majeur dans la formation des élites. ! une tendance qui se dessine nettement : émancipation de l’enseignement de l’hist de la tutelle

des humanités pour conquérir son autonomie + la compréhension des ensemble politiques et sociaux qui tend à remplacer, au moins partiellement, la mémorisation des chronologies et l’énumération des règnes ⇒ double évolution des contenus et méthodes, due à la spécialisation progressive des profs d’histoire cf 1830 : création de l’agrégation d’hist # auparavant : enseignée par des profs de lettres donc un auxiliaire de l’étude des classiques grecs et latins Avec spécialisation, inversement de ce rapport : les textes classiques deviennent des sources au service de l’hist

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+ un enseignement qui pas neutre politiquement, d’autant qu’il s’ouvre progressivement aux siècles récents (et donc à la Révolution) : si ces défenseurs soutiennent qu’il peut développer l’amour de la religion et du trône, l’hist enseigne par définition que les régimes et les institutions changent = une entreprise de désacralisation politique

- les historiens dans le débat public : pq cette importance donnée à l’hist dans l’enseignement du XIX° s ? car existence à Paris de qq chaires d’hist au Collège de France, Normale ou la Sorbonne, dont les titulaires s’adressent à un public cultivé, qui vient nombreux en ce temps où les réunions publiques sont soumises à autorisation et la presse surveillée ! dans ces enceintes préservées, les leçons d’hist prennent véritablement une portée politique ! des gens comme Guizot, Michelet, Renan, Taine ou Tocqueville tiennent dans le débat

intellectuel de leur temps une place centrale … d’autant que la question qui domine la société française à l’époque est la question politique posée par la Révolution (une société « moderne » sans roi et sans dieu)

Reste qu’il s’agit d’une hist très littéraire, reposant sur des compilations et des chroniques, loin de l’histoire savante des historiens professionnels de la fin du siècle

- l’école allemande : Après 1870, l’école historique française adopte le modèle de l’érudition allemande Seignobos met les techniques de l’érudition allde au service d’une conception de l’hist héritée de la 1ère partie du XIX° : L’histoire = une propédeutique du social, de sa diversité, de ses structures et de son évolution elle apprend aux élèves que le changement est normal, leur montre comment les citoyens peuvent y contribuer ! dans une perspective progressiste et réformiste, à mi-chemin des révolutions et de

l’immobilisme, il s’agit bien, de faire de l’hist « un instrument d’éducation politique ». •••• Le XX° s : une histoire éclatée

- l’enseignement primaire : une hist autre Tant que le débat politique restait limité aux notables, l’hist concernait l’élite cultivée et n’avait de place que dans l’enseignement secondaire # avec la démocratie, la politique devient l’affaire de tous, et la question se pose de l’hist dans le Primaire. ! les républicains comptent sur l’hist pour développer le patriotisme et l’adhésion aux

institutions cf Lavisse : « l’amour de la patrie ne s’apprend ps par cœur, il s’apprend par le cœur »

- les péripéties du second XX° s : nombreuses réformes, nombreuses interrogations, preuve du caractère indispensable de l’hist aux yeux des Français ex : 1980, forte mobilisation médiatique entre autres événements, le 4 mars, pour son 400ème numéro, la revue Historia organise une journée de débats, avec la participation du ministre, d’hommes politiques comme M. Debré, E. Faure et d’historiens comme F.Braudel, E. Le Roy Ladurie

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Chapitre II : La profession historienne (pp 33-53) = unie par une formation commune, un réseau d’assoc et de revues, et la conscience nette de l’importance de l’histoire + des normes communes en dépit de prévisibles clivages internes. •••• L’organisation d’une communauté scientifique apparition de la profession historienne au tournant des 1880’s, avec véritable enseignement de l’hist par les facs de lettres cf les républicains arrivant au pouvoir, et volonté de réforme que soutient une génération de jeunes historiens, sensibles au prestige de l’historiographie allemande, et critiques v-a-v de l’amateurisme littéraire de la tradition française. 1876 : création de la Revue historique par G.Monod et G.Fagniez + nomination de E.Lavisse comme directeur des études d’histoire à la Sorbonne # affirmation d’une nouvelle histoire scientifique # jonction entre cette entreprise de scientifisation (normes méthodologiques) et la politique

universitaire des républicains lui assurant son cadre institutionnel (créations de postes, …) •••• Les Annales et l’histoire-recherche

- une revue de combat : double prééminence de l’hist fin XIX°s dans l’univers académique : . une fonction sociale primordiale : c’est par l’hist que la société française se pense elle-même . l’hist = un modèle méthodologique pour d’autres disciplines Or, une menace : l’émergence de la sociologie avec Durkheim et l’Année sociologique, qui propose une théorie d’ensemble de la société et par des méthodes + rigoureuses Mais la socio ne réussit à s’implanter dans les facs françaises, notam par absence de liens avec le Secondaire Reste modif de la profession, avec 3 facteurs :

a. l’engourdissement des facs de lettres, relativement vieillissantes et conservatrices b. la création du CNRS

c. la création des Annales(Annales d’histoire économique et sociale) par Marc Bloch et Lucien Febvre en 1929 = à la fois stratégie professionnelle et nouveau paradigme de la discipline la nouveauté = non dans la méthode (toujours travail sur les documents et citation des sources), mais dans les objets et les questions = critique de l’étroitesse des interrogations et du cloisonnement des investigations = refus de l’hist politique événementielle dominante, au profit d’une hist totale prenan en charge tous les aspects de l’activité humaine = ouverture vers les autres disciplines : socio, éco, géo, etc. = volonté d’une intelligibilité supérieure, de la synthèse mettant en relation les # facteurs d’une situation ou d’un problème, afin de comprendre le tout et ses parties à la fois. + enjeux stratégiques : « tout projet scientifique est inséparable d’un projet de pouvoir » # combat sur 2 fronts : à la fois contre la conception dominante de l’histoire, et revendication

pour l’hist d’une position privilégiée dans le champ des sciences sociales # la stratégie externes des Annales face aux autres sciences sociales conforte leur stratégie

interne face aux autres formes d’histoire

- l’institutionnalisation d’une école : création d’une VI° section à l’Ecole pratique des hautes études, pour les sciences éco et sociales ! elle devient en 1971 l’EHESS (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales)

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! grand développement, permettant dans 1960’s de relever le défi de la linguistique, de la socio et de l’ethno (structuralisme), la mettant en cause dans son insuffisance théorique et dans ses objets

! l’EHESS = au cœur d’un renouvellement mettant au 1er plan l’histoire des mentalités puis l’histoire culturelle, en empruntant aux autres sciences sociales leurs concepts et problématiques

! peu à peu glissement de la volonté de compréhension globale des premières Annales, attentive aux cohérences qui soudent l’éco, le social et le culturel, vers l’étude d’objets limités

ex : le Montaillou d’E. Le Roy Ladurie (1975), attestant ce déplacement des curiosités, la monographie intéressant moins que la fresque d’ensemble, l’événement devenant le « révélateur de réalités autrement inaccessibles », les mentalités étant privilégiées par rapport aux structures matérielles ! tendance au fractionnement des objets et des styles d’analyse

•••• L’éclatement de la profession

- pôles d’influence : 3 pôles : . le pôle universitaire : le + important , notam parce que conduit aux concours de recrutement, et qu’il maîtrise les thèses, les commissions de spécialistes et les carrières universitaires . l’EHESS renforcée du CNRS : elle peut délivrer des doctorats, les recherches y sont + libres, aucune contrainte pédagogique ne bride le désir d’explorer de nouveaux territoires ou de nouvelles démarches . 3ème pôle – cohérent : quelques grandes instituions (Ecole française de Rome, ou IEP de Paris

# des solidarités, mais aussi des enjeux, notam le contrôle des médias et l’accès au grand public (cf contrôle de la revue Histoire)

- un marché mal régulé :

double marché : . un marché académique, où la compétence scientifique est attestée par des travaux érudits . le marché grand public, où le verdict du + grand nombre est souverain ! un danger car évaluation + lente sur le 1er que sur le 2nd donc risque d’une contamination du

jugement scientifique par le jugement médiatique D’ailleurs, les soutenances de thèses ou les colloques, qui devraient constituer les moments mêmes de la confrontation scientif, sont aussi voire d’abord des manifestations de sociabilité où la bienséance l’emporte sur la rigueur et la recherche de vérité. = rareté d’un réel arbitrage scientif reconnu entre les différentes stratégies de pouvoir qui se déploient sous couvert du progrès de la science. =>l’hist = une pratique sociale tout autant que scientif, et l’hist que font les historiens, comme leur théorie de l’histoire, dépendent de la place qu’ils occupent dans ce double ensemble, social et professionnel.

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Chapitre III : Les faits et la critique historique (pp 55-77) Pour le public, l’hist se réduit svt à un squelette constitué de faits datés La grande différence entre l’enseignement et la recherche : dans l’enseignement les faits sont tout faits, dans la recherche il faut les faire. •••• La méthode critique dans l’enseignement, 2 temps : d’abord connaître les faits, ensuite les expliquer, les nouer dans un discours cohérent = dichotomie entre l’établissement des faits et leur interprétation … qui a été théorisée fin XIX° par l ‘école méthodique de Seignobos et Langlois

- les faits comme preuve : importance accordée par les 2 hommes au travail de construction des faits, dans le but de donner à l’hist un statut scientif ex : la Shoah = pas une opinion subjective ! nécessité d’un statut objectif, qui repose donc sur des faits (chambres à gaz, etc.) ! le souci des faits = l’administration de la preuve, et donc indissociable de la référence :

l’historien ne demande pas qu’on le croit sur parole, il donne au lecteur le moyen de vérifier ce qu’il affirme

= « les procédés d’exposition strictement scientifiques » de Monod : renvois aux sources, citations, notes de bas de page, …

- les techniques de la critique :

cf déjà Mabillon et son De Re Diplomatica en 1681 Distinction entre critique interne et critique externe : a. critique externe = elle porte sur les caractères matériels du document : papier, encre, écriture, sceaux, etc. auxiliaires précieux : la paléographie (sciences des vieilles écritures), la diplomatique (conventions des documents, notamment la titulatures – les titres du signataire et dans quel ordre – ou la sigillographie pour l’analyse des sceaux. ! discerner les docus authentiques des faux

Mais que le docu soit authentique ou non ne dit rien sur son sens ; d’ailleurs une copie de diplôme mérovingien faite 3 siècles après n’est pas authentique, mais pour autant pas nécessairement un faux.

a. critique interne = elle porte sur la cohérence du texte (compatibilité entre sa date et les faits rapportés, compatibilité entre ces faits et ce que l’on sait déjà sur la période, sur les docus analogues, …) ! 2 séries de questions : . la critique de sincérité portant sur les intentions, avouées ou non, du témoin . la critique d’exactitude sur sa situation objective => la 1ère attentive aux mensonges, la 2nde attentive aux erreurs

cf témoignages volontaires = écrits pour l’information de leurs lecteurs (chroniques, mémoires, rapports de préfets) # témoignages involontaires : correspondance privée, comptes d’entreprise, actes de mariage, … Reste que souvent nécessité de traiter les témoignages volontaires comme si involontaires Ex : les discours prononcés les 11 novembre devant les monuments aux morts = contenu svt pauvre et répétitif, mais intérêt des termes utilisés permettant de retrouver une mentalité, une représentation de la guerre, de la nation. # tout texte = codé par un système de représentations solidaire d’un vocabulaire

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•••• Fondements et limites de la critique : - l’histoire, connaissance par traces :

Pq pas d’hist sans critique ? Parce que l’histoire porte sur le passé, à ce titre elle est connaissance par traces. En effet : on ne peut définir l’histoire comme la connaissance du passé, parce que le caractère passé ne suffit pas à désigner un fait ou un objet de connaissance. ! tous les faits passés ont d’abord été des faits présents : entre eux, aucune différence de nature. ! On ne peut spécifier l’hist par son objet : l’astronomie étudie les astres, la démographie les

populations # l’hist peut s’intéresser aux astres comme aux populations = pas de faits historiques par nature comme il y a des faits chimiques ou démographiques Cf Signobos : « Est historique tout fait qu’on ne peut plus observer directement parce qu’il a cessé d’exister. Il n’y a pas de caractère historique inhérent aux faits, il n’y a d’historique que la façon de les connaître. […] Mais souvent les faits ont laissé des traces, quelquefois directement sous forme d’objets matériels, le plus souvent indirectement sous forme d’écrits. […] Ces traces, ce sont les documents, et la méthode historique consiste à examiner les documents pour arriver à déterminer les faits anciens dont ces documents sont les traces. Elle prend pour point de départ le document observé directement ; de là elle remonte, par une série de raisonnements compliqués, jusqu’au fait ancien qu’il s’agit de connaître. […] Toute connaissance historique étant indirecte, l’histoire est essentiellement une science du raisonnement. Sa méthode est une méthode indirecte, par raisonnement. » ! un fait = le résultat d’un raisonnement à partir de traces suivant les règles de la critique.

- pas de faits sans questions :

Dans le contexte de fin XIX° s, dominé par la méthode expérimentale de Claude Bernard, il fallait une légitimité scientifique : Problème : Alors que le chimiste observe directement les phénomènes, l’historien doit se contenter d’observations indirectes, donc moins fiables. ! importance accordée par les historiens de l’époque à la publication systématique et définitive

de docus critiqués = rêve d’un répertoire exhaustif de tous les textes dispos, mis à la dispositions des historiens après un toilettage critique = l’idée d’acquis définitifs Mais naïveté d’un enchaînement simple : document -> critique -> fait En fait, il n’y a pas faits sans questions, sans hypothèses préalables : l’histoire n’est pas une pêche au filet On ne trouve jamais la réponse à des questions qu’on ne s’est pas posées

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Chapitre IV : Les questions de l’historien (pp 79-100) L’hist ne peut se définir ni par son objet, ni par des docus : on peut faire l’histoire de tout (y compris l’histoire de l’histoire) C’est donc la question qui construit l’objet historique, en procédant à un découpage original dans l’univers sans limites des faits et docus. •••• Qu’est-ce qu’une question historique ?

- questions et documents : avec la question de l’historien, il y a une idée des sources et des docus qui permettront de la résoudre, c-a-d une première idée de la façon dont on pourrait s’y prendre pour les traiter = une question armée, qui porte en elle des procédures de recherche possibles ! il faut déjà être historien pour pouvoir poser une question historique

+ c’est ce qui fonde les documents, les sources cf Marc Bloch : « avant Boucher de Perthes, les silex abondaient, comme de nos jours, dans les alluvions de la Somme. Mais l’interrogateur manquait et il n’y avait pas de Préhistoire. » = primat de la question sur le document # 2 csq : . on ne peut faire de lecture définitive d’un document : l’historien peut toujours réinterroger les docus avec d’autres questions ou les faire parler avec d’autres méthodes . du fait de la solidarité entre question/docu/procédure de traitement, le renouvellement du questionnaire entraîne un renouvellement des méthodes et /ou du répertoire documentaire

cf XIX° s : primat des traces écrites #XX°s : intérêt pour la vie matériel donc interrogation des fouilles archéologiques, intérêt pour les rites, les symboles, les cérémonies afin d’atteindre les pratiques sociales et culturelles : d’où statues de la Républiques, monuments aux morts, cloches de villages devenant documents. + puisque les questions s’enchaînent les unes aux autres, puisque les curiosités se déplacent, puisque la vérif/réfutation des hypothèses engendre de nouvelles hypothèses au sein de théories qui évoluent : la liste des questions n’est jamais close, comme celle des faits. # il faut toujours réécrire l’histoire

- la légitimité des questions :

les questions légitimes pour les historiens = celles qui font avancer la discipline = combler des lacunes, auquel cas l’histoire d’un énième village comblerait-elle vraiment une lacune ? ! la véritable lacune n’est pas un objet supplémentaire dont l’histoire n’a pas été faite, mais des

questions auxquelles il n’y a pas de réponse. Or les questions se renouvellent, et des lacunes s’effacent parfois sans avoir été comblées.

# jamais un travail définitif : il faut toujours reprendre l’hist en tenant compte des nouvelles questions et des nouveaux acquis

# toute histoire est en même temps une histoire de l’histoire # pour être pleinement légitime, une question doit s’insérer dans un réseau d’autres

questions, parallèles ou complémentaires, assorties de leurs réponses possibles entre lesquelles le travail sur les docus permettra de choisir.

# La question historique = celle qui s’inscrit dans une théorie Ex : la biographie : Pleinement légitime quand primat de l’hist politique fin XIX°. # évacuée avec les Annales lui déniant tout intérêt, car ne permettant pas de saisir les grands ensembles écos et sociaux

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Puis fin de l’espoir d’une hist synthétique, totale et intérêt croissant de comprendre à partir de cas concrets des fonctionnements culturels, religieux, sociaux. ! dans ce contexte nouveau, réhabilitation de la biographie : elle cherche moins à déterminer

l’influence d’un grand homme sur les événements qu’à comprendre à travers l’individu l’interférences de logiques et l’articulation de réseaux complémentaires.

+ derrière l’enjeu scientif, des enjeux de pouvoir : affrontements de groupes en débats théoriques afin d’accaparer l’hégémonie scientif sur la profession, qui entraîne avantages matériels et symboliques (postes prestigieux, etc.) + insertion de la profession dans une société globale •••• L’enracinement social des questions historiques

- pertinence sociale et pertinence scientif : Toutes les productions historiques ne sont pas également recevables d’un pt de vue scientif Cf des ouvrages remplissant une fct de divertissement : aux yeux des chercheurs, c’est une histoire anecdotique, s’intéressant aux vies privées des princes d’antan, aux crimes restés obscurs, aux épisodes spectaculaires. -> c’est la profession historienne qui décide de la recevabilité de telle ou telle histoire et détermine ses critères d’appréciation D’autres questions présentent une pertinence sociale Cf commémorer le débarquement de Normandie par des articles ou émissions TV ! tout est connu, mais il est utile de l’exposer ou le rappeler à la société

+ des questions pertinentes à la fois socialement et scientifiquement … ce qui n’est pas seulement affaire de chance : les historiens comme individus et comme groupe ne sont pas extérieurs à la société dans laquelle ils vivent ! les questions qu’ils posent, même quand ils les jugent purement scientif, sont toujours

colorées par les pbs de leur temps.

- historicité des questions historiques : Toute question hist = posée hic et nunc, par un homme situé dans un société Ex : Michelet ou Augustin Thierry = en plein romantisme, donc l’hist se centre sur le peuple comme héros collectif, et fait une place au détail pittoresqe, à la « couleur locale » Puis l’Ecole méthodique, revendiquant le détachement des contingences sociales pour une hist purement scientif, mais qui pose les questions de la nation et des instituions, c-a-d les grandes questions politiques du temps •••• L’enracinement personnel des questions historiques

- le poids des engagements : cf génération d’historiens qui ont donné sa pleine légitimité à l’hist ouvrière : Madeleine Rebérioux (Jaurès), Michelle Perrot (la grève), R.Trempé (mineurs de Carmaux), … = génération de la Libération et de l’apogée du parti communiste ! tous les historiens ne sont pas engagés, mais l’intérêt professionnel pour l’évolution de la

collectivité = un facteur favorable à l’engagement + l’engagement : pas le seul mode d’implication de l’historien comme personne

- le poids de la personnalité : Tout métier intellectuel met en jeu la personne même ! nécessité d’une prise de conscience, d’une élucidation .. que ce soit pour les engagements

politiques, religieux, sociaux. Certes cela permet d’aller + vite et + loin dans la compréhension, mais risque d’étouffer la lucidité sous le bouillonnements des affects. Manque de « recul » ? Cf bicentenaire de la Révolution montrant que 2 siècles ne suffisent pas à refroidir les passions

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! le recul nécessaire ne vient pas de l’éloignement dans le temps, mais d’une mise à distance par la méthode critique

Reste travail d’élucidation de ses motivations, qui s’apparente à une ascèse personnelle : Le recul que crée l’hist est aussi recul par rapport à soi-même. Il n’en résulte pas qu’il faille traiter son discours comme simple opinion subjective : C’est précisément pour atteindre une meilleure rationalité que l’historien doit élucider ses implications # l’objectivité ne peut provenir du point de vue de l’historien, car il est nécessairement situé

donc subjectif # mieux vaudrait parler d’impartialité et de vérité … qui ne peuvent être laborieusement

conquises que par la démarche de l’historien.

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Chapitre V : Les temps de l’histoire (pp 101-123) Ce qui distingue la question de l’historien et la met à part de celle du sociologue ou de l’ethnologue = sa dimension diachronique •••• L’histoire du temps

- un temps social : le temps de l’hist = ni le temps physique ni le temps psychologique pas le temps physique car pas le temps des horloges, divisible à l’infini en unités rigoureusement identiques, pas un cadre extérieur disponible pour toutes les expériences pas le temps psychologique : certes il lui est comparable par son caractère vécu, avec des segments d’intensité variables, l’historien comptant parfois en journées parfois en mois, années ou davantage. Mais ces fluctuations dans le déroulement du temps historique sont collectives : elles ne dépendent pas de la psychologie de chacun, on peut les objectiver. # un temps social, avec des repères dans le temps communs aux membres de la même société

Mais toutes les sociétés n’ont pas le même temps : le temps des historiens est celui de notre société occidentale contemporaine

- l’unification du temps : l’ère chrétienne : le temps de notre hist = ordonné, c-a-d qu’il a une origine et une direction ! il permet de ranger les faits et les événements de façon cohérente et commune

Attendre le XIX° siècle pour que l’ère chrétienne, datée de la naissance du Christ, l’emporte dans la chrétienté et l’impose au monde entier comme référence commune par l’expansion des empires coloniaux. ! abandon d’une conception circulaire du temps qui était extrêmement répandue (Chine, Japon,

Empire byzantin, …) Après l’effondrement de l’Empire romain, on data par référence aux diverses autorités : les souverains dataient à partir du début du règne, et les moines à partir de la fondation de leur abbaye ou par abbatiat. Quant aux hommes ordinaires : temps structuré par les travaux des champs et la liturgie, donc temps cycliques. ! 2 grandes raisons à ce que s’insère dans le calendrier unique de l’ère chrétienne ces temps

cycliques pluriels: - volonté de trouver une concordance entre les divers temps, de ranger les uns par rapport aux

autres les règnes des souverains des diverses parties du monde connu = lente émergence de la notion d’hist universelle cf Philippe Ariès : « ni l’hellénisme ni même la latinité n’ont eu l’idée d’une histoire universelle, saisissant en un seul ensemble tous les tempes et tous les espaces. Au contact de la tradition juive, le monde romain, christianisé, a découvert que le genre humain avait une histoire solidaire, une histoire universelle : moment capitale où il faut reconnaître l’origine du sens moderne de l’Histoire ; il se situe au III° siècle de notre ère. » ! rôle décisif de l’histoire dans cette émergence : il faut des historiens, des chroniqueurs pour

qu’émerge cette idée d’une communauté de l’humanité toute entière, par cette volonté récapitulative.

- la nécessité de faire coïncider le calendrier solaire, hérité des Romains, avec le calendrier

lunaire, hérité du judaïsme, et qui organisait la vie liturgique. Car Pâques, fête majeure du christianisme, ne tombe pas au même moment chaque année. D’où grandes difficultés à dater à parti de la Passion du Christ comme les chrétiens avaient

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logiquement commencé à le faire (comment ajouter des an ées qui ne commencent pas au même moment ?) Cf rôle de Bède le Vénérable, moine anglais du début du VIII°, qui opte pour un comput fondé sur la naissance du Christ.

# un changement majeur : la chrétienté avait des préoccupations calendaires car il lui

fallait diviser l’année en temps liturgiques. Mais le calendrier est cyclique, n’impliquant pas l’ère.

# Tant qu’on date par règnes et pontificats, le récit historique se déploie selon une logique additive, rangeant les faits rapportés à leur place sans nécessairement les hiérarchiser

# L’hist suppose une logique narrative, causale, liant les faits les uns aux autres, donc l’ère lui fournit un carde indispensable.

Mais elle n’est pas pleinement le temps des hommes, car elle reste le temps de Dieu.

- un temps orienté : proposer un temps qui conduise jusqu’à nous = prétention inouïe = une laïcisation du temps cf sous Révolution française avec tentative de faire du début de la République l’événement fondateur d’une ère nouvelle supplantant la naissance du Christ

= changement non seulement de l’origine du temps mais aussi son terme. = remplacement d’un temps qui conduit à la fin du Monde par un temps qui conduit à eux En effet, pour la chrétienté : entre le Christ et le Jugement Dernier, le temps des hommes est celui de l’attente du retour de Dieu = un temps sans épaisseur et sans consistance propre # le temps moderne : porteur de différences irréversibles = un temps qui ne se répète jamais et dont tous les moments sont uniques Tournant : milieu XVI° siècle avec émergence d’un progrès possible Cf Vasari proposant une histoire ds peintres et sculpteurs : les modernes renouent avec l’Antiquité mais sont capables de faire mieux = le retour aux sources est un dépassement Puis accélération avec la Révolution et triomphe du temps du progrès. # Avec le tragique XX° siècle, pas même optimisme que le XIX° : l’avenir peut être pis, au moins provisoirement •••• La construction historique du temps

- temps, histoire et mémoire : particularités du temps des historiens : le va-et-vient permanent entre le passé et le présent, et entre les différents moments du passé = l’opération de l’histoire ! une temporalité propre, comme un itinéraire sans cesse parcouru avec ses repères, ses

passages, délicats ou faciles ! l’historien met le temps à distance de travail et le jalonne pour ses recherches, lui donne une

structure 2 caractéristiques à ce temps objectivé :

. il exclut la perspective téléologique, qui cherche dans l’après la raison de l’avant. Sa direction n’est plus définie « par rapport à un état idéal, situé en dehors d’elle ou à son

terme, et vers lequel elle s’orienterait » (K Pomian, l’Ordre du temps) … même si le temps dans la construction historique comme dans la représentation social reste facteur de nouveauté, a un mouvement et une direction

. il permet le pronostic (non la prophétie, qui annonce la fin des temps) # objectivé, mis à distance, orienté vers un avenir qui ne le régit pas rétroactivement, mais dont

on peut discerner les lignes probables d’évolution, le temps des historiens partage ces caractères avec celui de la biographie individuelle

# la différence = la mise à distance dans l’objectivation # celui des souvenirs garde une charge affective inévitable, inexorablement infléchi, remanié en fonction des expériences ultérieures qui l’ont investi de significations nouvelles

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- le travail sur le temps. La périodisation le premier travail de l’historien = la chronologie, c-a-d ranger les événements dans l’ordre du temps le second travail = la périodisation Tous les découpages ne se valent pas : il faut constituer des ensembles relativement cohérents, afin de substituer à la continuité insaisissable du temps une structure signifiante ! la question est d’articuler ce qui change et ce qui subsiste ! la périodisation permet de penser à la fois la continuité et la rupture : continuité à l’intérieur

des périodes, ruptures entre elles ! le découpage comporte une part d’arbitraire ; en un sens toutes les périodes sont des périodes

de transition ! reste que la périodisation ouvre la voie à l’interprétation, rendant l’histoire sinon déjà

intelligible du moins pensable Cependant, la période prend l’allure d’un cadre contraignant, d’un carcan qui déforme la réalité. L’enseignement contribue à ce durcissement, à la pétrification des périodes historiques + l’historien ne reconstruit pas la totalité du temps à chaque recherche, recevant un temps qui a déjà été travaillé : Haut Moyen-Age, Renaissance, Lumières, etc. + les périodes ne s’institutionnalisent pas seulement par l’enseignement et la langue : rôle aussi des structures universitaires (chaires et diplômes affectés à des périodes qu’ils consolident). Avantages de la période : intérêt scientifique véritable car signale que la simultanéité dans le temps n’est pas juxtaposition accidentelle mais relations entre des faits d’ordre divers Inconvénients : .la clôture de la période sur elle-même interdit d’en saisir l’originalité : pour comprendre la religion romaine il faut sortir de la période romaine . reproche d’une unité factice entre des éléments hétérogènes. Cf historiens utilisant des expressions comme l’évolution sociale « en retard » sur l’évolution éco ! en un même moment du temps tous les éléments observés ne sont pas au même stade

d’évolution

- la pluralité des temps : en fait, chaque objet historique a sa propre périodisation Mais on ne peut tenir cette position jusqu’à ses extrémités sans dissoudre le temps en une pluralité de temps sans cohérence ! la négation absolue de la période comme unité dynamique d’un moment serait une démission

de l’intelligence qui renoncerait à la synthèse Quels moyens de rendre cette contradiction féconde ? Cf la hiérarchisation des temps qui articule les temps différents les uns par rapport aux autres Ex : la thèse de Fernand Braudel sur la Méditerranée : 1ère partie = le cadre géographique et matériel 2ème partie = l’économie 3ème partie = les événements politiques ! 3 temporalités étagées : le temps long des structures, le temps des cycles et conjonctures, le

temps court événementiel Reste que des présupposés logiques implicites : l’échelonnement braudélien de l’hist immobile à l’hist rapide = une prise de parti sur l’importance respective des différents pans de la réalité étudiée et sur le sens des causalités … en faveur de la longue durée

# importance décisive du travail sur le temps dans la construction de l’hist : pas seulement une mise en ordre, un rangement chronologique, ni une structuration en périodes, mais aussi une hiérarchisation des phénomènes en fct du rythme auquel ils changent

# le temps de l’hist = ni une ligne droite ni une ligne brisée faite d’une succession de périodes, ni même un plan : les lignes qu’il entrecroise composent un relief

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Chapitre VI : Les concepts (pp 125-143) •••• Des concepts empiriques

- 2 types de concepts : . 1er niveau = toutes les désignations d’époque, svt hermétiques au profane (tenures, ban, fermier, …) = désignation de leur nom propre des réalités aujourd’hui sans équivalent ces termes ont un contenu concret indiscutable… avec des degrés de généralisation ex : concept d’officier moins général que celui de bourgeois puisque celui-ci englobe officiers du roi et des villes mais aussi bien d’autres personnages ! le passage du mot au concept = une pluralité de significations et d’expériences

. 2ème niveau : les périodes et les processus très rare que les contemporains d’une époque aient eu conscience de l’originalité du moment vécu au point de le nommer ex : pour parler de la Belle Epoque, il faut avoir traversé la guerre 14-18 et vivre un temps d’inflation exceptions : les guerres et les grands mvts populaires : la Révolution a été nommé sur-le-champ Pour les évolutions + ou – profondes de l’éco, des mentalités, etc = rarement senties sur le moment et conceptualisées Reste que cette distinction de 2 niveaux de concepts n’entraîne pas nécessairement des différences logiques, car toujours le même type d’opération intellectuelle : la généralisation

- de la description résumée à l’idéaltype : les vrais concepts permettent la déduction ex : l’homme = un animal raisonnable = association de 2 concepts : du concept d’animal on déduit que l’homme est mortel, etc. du second qu’il est capable de connaissance et de moralité. # les concepts de l’hist : construits par une série de généralisations successives, et définis par l’énumération d’un cert nbre de traits pertinents relevant de la généralité empirique (non de la nécessité logique) ex : cité antique : regroupe un ensemble de traits pertinents empiriquement constatés, bien qu’avec des nuances, dans l’Antiquité gréco-latine et qui entretiennent les uns avec les autres des rapports stables # une description résumée, où abstraction incomplète et qui ne peut s’affranchir de toute

référence à un contexte localisé et daté # cette impossibilité de définir les concepts hist entraîne leur caractère nécessairement

polysémique et leur plasticité : dans la mesure où ils constituent des outils de comparaison, et pour qu’ils puissent susciter ainsi une « intelligibilité comparative »(J-C. Passeron), les concepts sont cependant un peu plus que des descriptions résumées. ! ils incorporent un raisonnement et réfèrent à une théorie = des idéaltypes selon Max

Weber = d’abord un lien entre des traits concrets avant leur collection juxtaposée ex : crise d’Ancien Régime = lien de causalité entre des phénomènes climatiques, des productions agricoles, des prix, des comportements démographiques + un parti pris en matière de découpage du réel

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# les concepts = des abstractions auxquelles les historiens comparent la réalité, raisonnant sur l’écart entre les modèles conceptuels et les réalisations concrètes, d’où dimension comparative

# l’abstraction de l’idéaltype transforme la diversité empirique en différences et similitudes qui font sens, faisant ressortir à la fois le spécifique et le général

- les concepts forment réseau :

parce qu’ils sont abstraits et réfèrent à une théorie les concepts forment réseau ex : le fascisme -> « Vichy était-il fasciste ? » pour résoudre, il faut une série de comparaisons entre l’idéaltype du fascisme et la réalité historique concrète du régime de Vichy, qui impose la rencontre d’autres concepts solidaires ou opposés comme démocratie, libertés publiques, totalitarisme, classe, nation, racisme, etc. # la conceptualisation opère une mise en ordre du réel hist … relative et toujours

partielle # les réalités hist ne se conforment jamais pleinement aux concepts, la vie déborde sans

cesse la logique et dans la liste des traits pertinents rationnellement organisés qui constituent un concept, il en est toujours qui manquent au rendez-vous ou présentent une configuration non prévue

•••• La mise en concepts de l’histoire

- les concepts empruntés : Grande consommation par l’hist des concepts des autres sciences sociales cf l’hist politique, qui emprunte bcp au droit constitutionnel et à la science politique : régime parlementaire, parti de cadres, masse, etc. # ces emprunts sont possibles par l’usage proprement historique de la détermination : en passant

à l’hist, les concepts subissent un assouplissement décisif, perdant en rigueur pour recevoir immédiatement une spécification

# un usage déterminé, contextualisé, soumis à l’interrogation diachronique # ce qui explique la prétention de l’hist à une cert hégémonie dans l’univers des disciplines, car

l’échange est à sens unique

- historiser les concepts de l’hist : = les replacer dans une perspective elle-même historique affirmation qui a plusieurs sens : . le premier vise l’écart entre la réalité et le concept, ce qui est déjà un précepte de la méthode critique (la critique d’interprétation de Seignobos) . un des éléments de la construction du temps de l’hist : la signification passée des mots demande à être traduite dans un langage compris aujourd’hui, et inversement la signification des concepts actuels doit être redéfinie si l’on prétend traduire le passé à travers eux ! la permanence d’un mot n’est pas celle de ses significations, et le changement de ses

significations ne coïncide pas avec celui des réalités qu’il désigne ! inversement les changements de terminologie ne constituent pas un indice de changement

matériel

# les concepts = des outils avec lesquels les contemporains mais aussi les historiens s’efforcent de faire prévaloir une mise en ordre du réel et de faire dire au passé sa spécificité et ses significations

# ni extérieurs au réel, ni collés à lui comme des signes parfaitement adéquats aux choses, ils entretiennent avec les réalités qu’ils nomment un écart, une tension où se joue l’hist : en même temps qu’ils reflètent le réel, ils lui donnent forme en le nommant

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Chapitre VII : L’histoire comme compréhension

(pp 145-168) •••• Autoportrait de l’historien en artisan

- l’histoire comme métier cf textes d’historiens sur l’histoire = récurrence du vocabulaire artisanal ! la métaphore artisanale revient trop souvent pour n’être que simple modestie : cela

traduit le sentiment très fort qu’il n’y pas de règle qu’on puisse appliquer automatiquement et systématiquement

! en fait la complexité de l’hist comme pratique renvoie à la complexité de son objet

- les hommes, objets de l’histoire : 3 traits caractérisent l’objet de l’hist : . il est humain : même une hist du climat s’intéresse en fait aux conséquences pour les groupes humains . il est collectif : pour qu’un individu intéresse l’hist, il faut qu’il soit représentatif ou bien qu’il ait eu sur le destin des autres une influence vérifiable, ou encore que sa singularité permet de faire ressortir les normes et habitudes d’un groupe en un temps donné . il est concret : « le bon historien ressemble à l’ogre de la légende. Là où il flaire la chair humaine, il sait que là est son gibier » comme l’écrit Marc Bloch

- l’histoire et la vie : cf Lucien Febvre, dans une conférence à L’ENS insistant sur la nécessité de vivre, de se mêler à la vie, intellectuelle mais aussi pratique, pour bien faire de l’histoire Quel est le rapport entre la vie de l’historien et l’hist qu’il écrit ? •••• La compréhension et le raisonnement analogique

- explication et compréhension Le fait de prendre pour objets des hommes concrets entraîne un mode d’intelligibilité spécifique Cf Dilthey théorisant cette opposition entre le mode d’intelligibilité des hommes (sciences humaines) et celui des choses (sciences de la nature) : la démarche de la science proprement dite = recherche des causes et vérification des lois ! elle est déterministe : les mêmes causes produisent les mêmes effets, ce que disent

précisément les lois #sciences humaines : ce qui rend les conduites humaines intelligibles, c’est qu’elles sont rationnelles, ou du moins intentionnelles ! l’action humaine = un choix d’un moyen en fct d’une fin ; on ne peut l’expliquer par

des causes et des lois mais on peut la comprendre ! l’histoire n’est pas une science car il n’y a de science que du général, alors que l’hist

traite d’événements originaux qui ne se rencontrent jamais 2 fois strictement identiques

Certes un débat épistémologique daté = contexte du scientisme fin XIX° Cf les lois scientifiques ont perdu leur caractère purement déterministe et la physique moderne est devenue probabiliste

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Reste que la science moderne continue à se définir par des procédures de vérification/réfutation rigoureuses dont l’hist est incapable Cependant l’hist ne prétend pas être une science comme la chimie … mais importance de la notion de compréhension : # elle vise à particulariser un mode de connaissance qui, pour être différent, n’en est ni

moins légitime ni moins rigoureux ni moins vrai, dans son ordre, que la connaissance objective des sciences de la nature

- compréhension et ordre du sens :

ce qui constitue l’objet de l’hist, de ce pt de vue = pas le fait qu’il soit singulier Pour formuler une loi, le physicien fait abstraction de toutes les conditions concrètes dans lesquels se produit le phénomène pour ne retenir qu’une situation expérimentale, abstraitement réduite à quelques paramètres ! en dehors de l’espace artificiel du labo, il n’y a que des faits singuliers

ce qui constitue l’objet de l’hist = pas le fait qu’il se déploie dans le temps non plus cf Cournot notant que les registres des loteries publiques : une succession de coups singuliers mais sans constituer une histoire, car « les coups se succèdent sans s’enchaîner, sans que les premiers exercent aucune influence sur ceux qui les suivent » … contrairement aux échecs. ! ce qui comptent = l’enchaînement des faits non la succession : cette influence des faits

les uns sur les autres passe par la conscience des acteurs qui perçoivent une situation et s’y adaptent, en fct de leurs objectifs, de leur culture, de leurs représentations.

! Toute histoire implique des significations, des intentions, des volontés, des peurs, des imaginations, des croyances

! La singularité que défendent les historiens = celle du sens # la notion de compréhension vise à conférer aux sciences de l’homme une

respectabilité scientifique, une légitimité égales à celles des sciences proprement dites

# entre la science et la simple opinion, il existe des modes de connaissance rigoureux qui prétendent à une vérité

On mutile svt la notion de compréhension en réduisant son champ de validité à la recherche des motifs qui gouvernent les conduites, des intentions et des mobiles qui déterminent les actions des hommes En fait, la compréhension spécifie + largement le mode d’intelligibilité de l’hist (et de la socio et anthropologie) en tant qu’elle porte sur des comportements investis de sens et de valeurs, même quand les hommes sont sans prises sur eux et se contentent de s’adapter à la situation.

- expérience vécue et raisonnement analogique : Pour y parvenir, pas une méthode que l’on pourrait décrire mais plutôt une sorte d’intuition reposant sur l’expérience de l’historien

# le propre de la compréhension = enracinement dans le vécu du sujet # tandis que les sciences de la nature procèdent par connaissance objective et

abstraite, les hommes comme objets des sciences de l’esprit n’apparaissent qu’à travers l’expérience vécue de chacun

# pas de méthode historique : certes une méthode critique pour établir les faits rigoureusement mais l’explication historique est celle que tout un chacun pratique quotidiennement.

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# L’historien procède par analogie avec le présent, transférant au passé des modes d’explication qui ont fait leurs preuves dans l’expérience sociale quotidienne de tout un chacun

•••• L’histoire comme aventure personnelle

- Histoire et pratiques sociales : L’historien comprend à travers ses pratiques sociales Ex : la présidence de réunions interministérielles en apprend davantage sur la décision gouvernementale que la lecture du Journal Officiel Certes l’historien ne peut être successivement ministre, moine, chevalier, paysan, banquier ! il s’appuie sur l’expérience d’autrui qui l’introduit dans la compréhension des univers

qu’il ignore + inversement, + il est historien, + il trouve riche l’actualité car le transfert fonctionne dans les 2 sens ! l’explication du passé se fonde sur les analogies avec le présent mais elle nourrit à son

tour l’explication du présent

- l’histoire comme amitié (Henri Iréné Marrou) « bien » comprendre suppose une certaine forme de connivence, de complicité avec l’autre ! cet effort qui mobilise l’intelligence implique des zones + intimes de la personnalité :

on ne peut rester indifférent à ceux que l’on comprend ! impossibilité d’une histoire entièrement froide, aseptisée, sous peine de faire une

histoire morte, qui ne comprend rien et n’intéresse personne ! une part irréductible d’affectivité … ce qui pose 3 problèmes : 1. celui des limites morales de la compréhension historique : expliquer en profondeur

c’est au moins implicitement excuser selon B. Bailyn qui prend l’exemple des pères de la Constitution américaine qui avaient des raisons compréhensibles pour ne pas abolir l’esclavage

cf aussi Primo Lévi qui ne conçois pas qu’on puisse comprendre Hitler 2. celui de l’objectivité, ou plutôt de l’impartialité (cf + loin) : devoir de lucidité de

l’historien qui se doit de comprendre aussi profondément l’ensemble des partenaires et situations qu’il analyse : les soldats du front comme les états-majors et l’arrière

3. celui de la légitimité de la transposition : comment s’assurer qu’on s’est mis à la place de ceux qu’on étudie ?

= pb de la vie quotidienne accru pour l’hist car distance dans le temps ! risque de l’anachronisme psychologique comme le disait Lucien Febvre.

- l’histoire comme histoire de soi :

l’historien reste lui-même, il re-pense, re-constitue dans son esprit l’expérience humaine collective dont il fait l’hist. ! ce qu’il expose ce sont ses pensées à lui, c’est la façon dont lui-même se re-présente le

passé (et non les pensées et motifs des personnages étudiés) Robin G. Collingwood (The Idea of History) insiste sur ce point : Pour l’historien les activités dont il étudie l’histoire ne sont pas un spectacle à regarder, mais des expériences à vivre de bout en bout dans son propre esprit # ces activités sont objectives, c-a-d connues par lui, seulement parce qu’elles sont aussi

subjectives, parce qu’elles sont ses propres activités

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# l’hist est selon Collingwood « connaissance du passé dans le présent, la connaissance personnelle qu’à l’historien de son propre esprit en tant qu’il renouvelle et revit au présent une expérience passé »

# en ce sens il n’y a d’histoire que de choses pensées au présent par l’historien # on peut dire que toute histoire est connaissance de soi-même # mais en même temps l’historien découvre qu’il peut se mettre à la place

d’innombrables personnages différents, en quelque sorte il récapitule en lui-même une bonne partie de l’humanité

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Chapitre VIII : Imagination et imputation causale

(pp 169-187) la compréhension accorde à l’imagination 1 place essentielle dans construction de l’hist Mais l’imagination = pas seulement un rôle dans la construction des faits hist ! c’est elle qui préside à la recherche des causes, à l’explication historique, en un sens qui ne

s’oppose plus à la compréhension comme l’explication « scientifique » au précédent chapitre, mais qui la prolonge.

•••• A la recherche des causes

- causes et conditions : qq distinctions : svt opposition entre causes superficielles et causes profondes, celles-ci étant + globales et plus difficiles à apercevoir = ce qui renvoie à une hiérarchie des causes qui n’a pas de place dans les sciences : dans la logique déterministe, une cause est cause ou non, sans degré. ! Autre distinction : causes finales / causes matérielles / causes accidentelles . causes finales : relèvent de l’intention, de la conduite jugée en termes de rationalité . causes matérielles : données objectives expliquant l’événement (mauvaise récolte, hausse du prix du pain, …) # plutôt que de causes, parler plutôt de conditions : elles ne déterminent pas au sens strict

l’événement ou la situation mais on peut penser que sans elles ce ne se serait pas produit = ces conditions l’ont rendu possible voire probable . causes accidentelles : svt le fait du hasard, bref contingentes, et servent de déclencheur

En hist, la compréhension ne suffit pas si on ne soucie pas de construire à partir d’elle une explication + systématique en analysant situation initiale, identifiant les divers facteurs et en pesant les causes. # recours à une explication rationnelle qui réduit la distance séparant l’hist et la science

Mais illusion de réduire tout à fait cette distance car : . les conduites humaines relèvent de l’ordre du sens . la complexité des enchevêtrements de causes, qui est infinie en hist # l’hist ne s’explique pas complètement, mais elle s’explique : si elle s’expliquait entièrement,

elle serait entièrement prévisible # l’hist n’est ni totalement déterminée, ni totalement aléatoire

- rétrodiction :

L’hist = remonte de l’effet à la cause (tandis que la science descend de la cause à l’effet) L’hist ne voit que des effets, chaque fois différents, et tente de remonter aux sources = retrodiction … qui leste la recherche des causes d’un élément de stabilité : le point d’arrivée est donné donc risque amoindri d’une construction intellectuelle délirante Ce qui a son importance du fait du recours de l’historien à l’imagination lors de ce processus •••• L’expérience imaginaire

- écrire l’histoire avec des si : Comment comprendre pourquoi les choses se sont passées sans se demander si elles auraient pu se passer autrement ? # imaginer une autre histoire = le seul moyen de trouver les causes de l’histoire réelle

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- l’expérience imaginaire : cf Raymond Aron dans Introduction à la philosophie de l’histoire : « Si nous cherchons la cause d’un phénomène, nous ne nous bornons pas à additionner ou à rapprocher les antécédents. Nous nous efforçons de peser l’influence propre de chacun. Pour opérer cette discrimination, nous prenons un des antécédents, nous le supposons, par la pensée, disparu ou modifié, nous tâchons de construire ou d’imaginer ce qui se serait passer dans cette hypothèse. Si nous devons admettre que le phénomène étudié aurait été autre en l’absence de cet antécédent, nous concluons que cet antécédent est une des causes d’une partie du phénomène. » •••• Fondements et implications de l’imputation causale

- passé, présent et futur du passé : l’expérience imaginaire repose sur une manipulation du temps : la construction d’évolutions irréelles pour trouver les causes des évolutions réelles implique une mise à distance, le parcours du temps par l’imagination … voir porter sur le temps elle-même : Défaite de l’Allemagne en 1918 si entrée en guerre des USA + tardive ? ! l’historien reconstruit par l’imagination un moment passé comme un présent fictif par rapport

auquel il redéfinit un passé et un futur. Mais le passé et le futur de ce passé n’ont pas la même texture : Cf concept de champ d’expérience = celui des hommes du passé est la présence pour eux de leur passé, à la fois rationnel et irrationnel, enjambant la chronologie et sautant des pans entiers du temps # concept d’horizon d’attente = la présence pour eux du futur : un futur qui ne se découvre jamais dans son ensemble mais qui se laisse complètement appréhender par éléments successifs ce futur est fait d’anticipations, d’alternatives possibles, d’espoirs et de craintes # avantage pour l’historien = il connaît l’évolution ultérieure # mais grand risque : la connaissance rétrospective de ce qui était le futur pour les hommes

passés risque de pervertir la reconstitution de l’horizon d’attente et de le rétrécir, voire de rendre l’historien aveugle aux possibilités que recélait la situation

ex : la débâcle de l’armée française en 40 = pas inéluctable (cf forces en présence, rythmes de production de chars de la France, moral des troupes, etc.) # échapper à l’illusion rétrospective de la fatalité (R.Aron)

- possibilités objectives, probabilités, fatalité : # cette construction imaginaire probabiliste = ce qui permet à l’hist de concilier la liberté des

acteurs et l’imprévisibilité du futur, avec la mise en évidence et la hiérarchisation des causes qui conditionnent leur action

# reconstituer dans l’horizon d’attente du passé des possibilités objectives qui étaient seulement - et inégalement - probables

= un respect de l’incertitude fondamentale de l’événement + cette construction des évolutions irréelles tient compte de ce que l’historien peut savoir des régularités sociales, des règles de l’expérience (Max Weber) = la manière dont les hommes ont l’habitude de réagir à des situations données. ! le + difficile = assigner à chaque possibilité objective un degré de probabilité adéquat, qui

fonde la hiérarchie des causes ! Il reste quelques chose de subjectif car la balance avec laquelle sont pesées les causes n’a été

vérifiée par aucun service des poids et mesures Cependant, par la construction intellectuelle d’explications et la recherche des causes, quelque recul a été pris par rapport à l’intuition romantique ou humaniste de la compréhension Mais le statut de l’hist = apparaît encore bien fragile

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Chapitre IX : Le modèle sociologique

(pp 189-211) le prestige de la science dans notre société a conduit historiens, mais aussi sociologues et anthropologues à se réclamer de procédures + rigoureuses Mis en cause par Seignobos qui affirmait que les sciences sociales opèrent non sur des objets réels mais sur les représentations qu’on se fait de ces objets, les sociologues ont contesté ce pt de vue au nom de la science positive. •••• La méthode sociologique

- Le refus du subjectivisme : Cf Simiand refusant l’imagination analogique telle qu’on la vue précédemment L’hist doit selon lui se donner des objets tels qu’elle puisse en faire une science = se détourner des faits uniques pour se prendre aux faits qui se répètent, éliminer l’individuel pour étudier le social # Simiand refuse l’interprétation psychologique des conduites par des motivations # Il refuse aussi la façon des historiens de dégager le caractère unique d’une société à

une période donnée et de montrer les liens d’interdépendance qui unifient tous les aspects de cette société (le Zusammenhang de l’historio allemande) … car cela implique de situer l’originalité de chaque composante donc une étude comparative

# La proposition des sociologues positivistes récuse le souci historisant du concret : le concret est toujours unique or il n’est de science que du général, c-a-d de l’abstrait

# Il faut construire des faits sociaux ou politiques abstraits

- l’exemple du suicide : cf l’œuvre connu de Durkheim : il n’y a pas d’actes + individuel et psychologique que le suicide et pourtant Durkheim construit le suicide en fait social ! recours à des séries statistiques sur 6 pays, qui font apparaître de grandes différences

stables entre pays ! explications par des facteurs sociaux (la religion, les protestants se suicidant + que les

cathos, la situation de famille, les célibataires se suicidant + que les gens mariés, ….)

- les règles de la méthode : pour Durkheim, la méthode des science sociales est l’expérimentation indirecte ou comparative, donc proche de la médecine expérimentale de Claude Bernard = chercher si l’absence d’un fait s’accompagne de celle d’un autre ou inversement si la présence de l’un s’accompagne toujours de l’absence de l’autre = méthode expérimentale a posteriori … ce qui oblige à sortir d’une seule période et d’un seul pays

# le point décisif = construire des faits sociaux qui se prêtent à la comparaison # le fait social doit être tiré de données, qui sont extérieures aux individus, qui

leur sont imposées du dehors, ce qui signifient qu’elles sont collectives # la comparaison systématique suppose une construction préalable : on ne peut

comparer un taux de suicide des hommes en All et celui des femmes en Autriche

•••• La méthode sociologique appliquée à l’histoire

- De la typologie aux statistiques : Cf Simiand condamnant certains types d’hist :

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. l’histoire politique et individuelle (relevant des intentions donc du psychologique) . la monographie car valorisant l’unique ! l’histoire se contenterait de critères simples du type absence/présence, qu’elle

croiserait pour définir des typologies # cf J. Meuvret étudiant la crise économique de l’Ancien Régime : = tentative de traduire l’évolution de faits sociaux par des courbes comparables (courbe du prix du blé qu’accompagne celle de la mortalité alors que celle de la natalité est inverse) + statistiques pour mesurer les co-variations, c-a-d déterminer si elles sont fortes ou non

# méthode très intéressante car les historiens ont longtemps rechigné à recourir à un minimum d’élaboration statistique pour l’administration de la preuve

- la construction des indicateurs :

l’hist quantitative a suscité dans second 1/3 du XX° une adhésion très forte chez les historiens français L’argument consistant à dire que tout n’est pas quantifiable n’est pas pertinent, car toute étude hist comporte un volet social donc collectif donc nombré ou nombrable ! en fait surtout difficulté, inégale, à construire des indicateurs sur lesquels raisonner de

façon comparative cf la religion -> un fait social -> la pratique religieuse -> indicateurs comme l’assistance à la messe, la communion pascale, etc. -> une typologie (cathos pratiquants, cathos saisonniers, non pratiquants) •••• Les limites de la méthode sociologique

- les limites épistémologiques : impossibilité de prétendre au statut de lois universelles car impossibilité d’extraire totalement de tout contexte historique les réalités concernées # l’affirmation sociologique est toujours également historique car elle porte sur des réalités

indissociables de contextes déterminés # validité uniquement sur les espaces et temps de ces contextes

- les domaines privilégiés :

en second lieu le raisonnement sociologique n’est pas utilisable dans l’hist des événements proprement dits # les causes finales échappent entièrement à la quantification # 2 modes de raisonnement historique : . le premier s’intéresse aux enchaînement dans le déroulement du temps : il traite des événements et s’organise selon l’axe du récit . le second aux cohérences au sein d’une société donnée dans un temps donné : il s’attache aux structures et relève du tableau # les 2 s’entrecroisent évidemment # le grand apport de la démarche socio : permettre de penser avec rigueur les cohérences qui

soudent une société les domaines privilégiés : la démographie hist, l’hist éco, l’hist des groupes sociaux, l’hist politique en analysant par exemple la géographie électorale, l’hist des mentalités si on s’attache aux bibliothèques ou aux testaments comme sources, etc . # cette histoire, qui est passée un peu de mode = une hist qui administre la preuve de ses dires,

permettant de saisir des structures et de les comparer entre elles

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Chapitre X : L’histoire sociale

(pp 213-236) l’histoire sociale = un bon exemple pour voir comment s’unissent la structure et l’événement, l’analyse des cohérences et la recherche des causes •••• Guizot : classes et lutte des classes

- un exemple: l’émergence de la bourgeoisie : 1828 : cours de Guizot à la Sorbonne sur l’émergence de la bourgeoisie sa thèse : quand le régime féodal se fut assis les possesseurs de fiefs éprouvèrent de nouveaux besoins, et pour les satisfaire, un peu de commerce et de d’industrie reparut dans les villes Mais extorsions des seigneurs sur les bourgeois, qui au XI° siècle procèdent à l’affranchissement des communes en vue de défendre leurs intérêts. ! l’affranchissement crée une classe nouvelle, qui ensuite s’accroît et se renouvelle avec

l’apparition ou le renforcement de nouveaux métiers (professions libérales, etc.) ! une lutte des classe qui sert de dynamique à la naissance de la modernité

- la classe sociale :

triple définition de la bourgeoisie par Guizot : . définition par le droit, les institutions : certes des bourgeois existaient avant l’affranchissement, mais l’insurrection a permis la consolidation d’un groupe, a servi de révélateur . définition par énumération de personnages composant la classe : marchands, négociants, avocats, etc. . la stabilité diachronique dans le changement : la bourgeoisie n’est pas immuable, son évolution interne entraîne une évolution de sa place dans la société ! la notion de classe sociale conjugue au singulier une réalité plurielle, transformant une

collection de réalités individuelles en un acteur collectif ! Guizot tient avec la classe sociale un acteur qui a des intentions et des stratégies ! L’histoire devient l’histoire de la lutte des classe entre elles ! Compromis entre l ‘événement et la structure : l’acteur collectif échappe à l’anecdote et se

situe d’emblée à un niveau de généralité et de stabilité qui concerne l’ensemble de la société ! Mais les acteurs collectifs agissent une histoire : la composition de la classe, sa place dans

l’Etat et la société, les structures mêmes de cet Etat et de cette société se transforment sous l’action des classes en lutte

•••• Labrousse : le fondement éco des classes sociales

- un exemple: la crise de l’éco française à la fin de l’Ancien Régime : = sa thèse où construction très élaborée des groupes sociaux : utilisation de catégories fines comme fermiers, propriétaires exploitants, propriétaires non exploitants, salariés, etc. ! il distingue des types de revenus, se situant à la jointure de l’économique et du social,

au point précis où le mouvement des prix et des quantités produites prend la forme concrète de ressources déterminées

! constitution de groupes sociaux à partir des façons diverses et inégales qu’ils ont de s’insérer dans l’économie

! la psychologie ne joue aucun rôle, les aspects juridiques et institutionnels n’interviennent que dans la mesure où ils règlent l’affectation des revenus

! les groupes sociaux = déterminés par leur position objective dans le champ éco Reste que postulat : la hausse des revenus entraîne la satisfaction et leur baisse le mécontentement Encore faut-il que les contemporains aient conscience de l’évolution de leur situation.

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! ici aurait pu prendre place une analyse culturelle, sur la perception des mvts éco par les populations concernées

! Labrousse postule que le réel, ce qui a été perçu, c’est la moyenne mobile des prix, qui lisse les accidents conjoncturels # différences entre Guizot et Labrousse : . Guizot construisait des la classe en agrégeant des individus concrets # Labrousse part de données déjà abstraites, collectives cf ses sources = les mercuriales des prix, c-a-d des séries relevées sur les marchés, des moyennes et non des prix concrets payés par tel ou tel # les prix de Labrousse = des faits sociaux construits pour permettre les

comparaisons comme les suicides de Durkheim . le temps de Labrousse obéit à une périodisation éco et non politique … et c’est un temps cyclique, à plusieurs rythmes, celui des cycles éco emboîtés # le temps du progrès de Guizot . l’événement a changé de statut : il est devenu conjoncturel : ce n’est plus l’action de tel ou tel personnage ni l’affrontement de tel ou tel groupe comme chez Guizot

! l’événement = l’accident qui rompt la continuité linéaire des courbes (cf pointe de flambée des prix après une mauvaise récolte)

# chez Labrousse, les conduites des acteurs collectifs animés voient leur

intentionnalité fondée objectivement dans des données qui résultent naturellement des mvts éco

# le politique s’emboîte directement dans le social, qui s’emboîte lui-même dans l’éco

# une explication globale et cohérente, au prix de qq simplifications # fascination du paradigme labroussien sur des générations d’étudiants car il

satisfaisait 3 exigences intellectuelles : . l’exigence de synthèse . l’exigence d’explication causale, décrivant l’action irrépressible de grands mvts objectifs . exigence scientifique : procédures robustes d’administration de la preuve

L’historiographie française du 2ème 1/3 du XX° = dominée par l’hist sociale ainsi entendue Cf Goubert, Chaunu, Braudel, Le Roy Ladurie, Corbin, … •••• Le déclin du paradigme labroussien

- paradigme labroussien et marxiste : son apogée correspondait à un contexte de prestige du PCF et de l’Union Soviétique et son socialisme scientifique Avec l’effondrement des pays soviétiques, c’est une déroute des concepts qui paraissent liés peu ou prou avec le marxisme… alors même que concept de lutte des classes = utilisés par conservateurs (Guizot) + attaques des sociologues, doutant par exemple du concept de classe ouvrière, parlant + volontiers de segmentation de cette classe.

# la notion de classe aujourd’hui demande à être reconstruite, elle est recevable au terme d’une élaboration historique

D’ailleurs chez Guizot ou Labrousse, la lutte des classes était le moteur du changement politique, mais aussi social, donc répondant à des motivations transparentes : les groupes sociaux luttent pour améliorer leur position relative ! danger de réductionnisme

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- paradigme labroussien et « nouvelle » histoire : inconvénient de cette démarche : = peu de place laissée à la liberté des acteurs = pt de vue fataliste valorisant les conditions

# remise à l’honneur par une nouvelle histoire d’une analyse + concrète où l’échelle a changé

= la micro-histoire, qui, dans un cadre assez limité pour être scruté finement, analyse les pratiques sociales, les identités et les relations, les trajectoires indiv ou familiales, etc. # réhabilitation des acteurs # paradigme labroussien qui, à réduire le politique au social et le social à l’éco, s’interdisait de comprendre que des écos voisines s’accommodent de sociétés très différentes, et des sociétés voisines de régimes politiques différents

Dans cette évolution des intérêt hist, grand rôle des autres sciences sociales : Cf après âge d’or des Annales, la contestation est venue de l’ethnologie + encore que de la socio, avec Lévi-Strauss ! face à ce défi, Braudel a revendiqué pour l’hist le domaine de la longue durée et des structures

(d’où les autres sciences sociales apparaissaient comme des sciences du temps court et du moment présent)

! on ne conçoit plyus désormais d’hist sociale qui ne prennent en compte les pratiques sociales concrètes, l’univers des représentations et des créations symboliques, des rites et des coutumes

! des réalités collectives qu’il serait toujours possible de construire comme des faits sociaux … mais, dans la nouvelle histoire, la description anthropologique et l’analyse des fonctionnements l’emportent sur l’explication et la recherche des causes

! avec la déception des paradigmes globaux (marxiste ou structuraliste) qui convient au deuil des espérances collectives, c’est la renonciation à tenir un discours sur l’ensemble de la société et son évolution

! l’hist sociale n’a pas été remplacée

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Chapitre XI : Mise en intrigue et narrativité

(pp 237-262) •••• Du tout aux parties l’hist ne procède pas des parties au tout, ne se construit pas en assemblant des éléments appelés faits la métaphore artisanale reprend sons sens : l’artisan ne conçoit jamais une pièce indépendamment d’un ensemble ! de même pour l’historien : le tout commande les parties

- récits, tableaux, commentaires :

a. les récits se caractérisent comme un parcours dans le temps -> un fil chrono pas d’objets historiques exclus, que ce soit l’hist éco ou des mentalités ex : Le Désir de rivage d’Alain Corbin, qui analyse l’évolution des représentations du littoral ! le récit = convient à l’explication des changements, impliquant une recherche des causes et

des intentions b. le tableau = le mode d’exposé hist qui dégage les cohérences, répondant à la question :

« Comment les choses étaient-elles ? » ! convient à l’analyse des particularités, sur ce qui assure l’unité de son objet

+ là encore pas d’exclusions cf Georges Duby et son Dimanche à Bouvines, où le récit de la bataille laisse vite place à la bataille comme point d’entrée de questions telles que qu’est-ce était la guerre, ou la paix au début du XIII° s ? = la bataille est en qq sorte « dé-narrativisée »

c.le commentaire = un essai sur d’autres textes pris dans leur contexte ex : Penser la Révolution française de François Furet # naturellement les récits comportent des tableaux et inversement

- l’hist comme découpage d’une intrigue :

l’hist part d’une question cf + haut pour le travail de construction de l’objet historique, le découpage de l’objet = choix en partie arbitraire … mais c’est de cette clôture et de cette organisation du texte hist autour de la question qui le structure que rend compte le concept d’intrigue •••• L’intrigue historique

- l’intrigue comme configuration : la mise en intrigue = le découpage de l’objet, le choix des limites chrono, la définition de l’évolution que l’on veut expliquer ex : l’hist du mariage e nFrance du Début XX° aux 1960’s = on pose la question du passage du mariage contrôlé par les familles au mariage d’amour Et si borne de fin = 1990’s : cette hist deviendrait celle de la crise d’une institution # le découpage chrono = aussi un parti interprétatif

+ la mise en intrigue = le choix des acteurs ex : l’hist de 14-18 = pas la même si prise en compte de l’arrière, des femmes, ou limitation aux soldats + la mise en intrigue = la distance focale car on peut toujours raconter avec + ou – de détails # la mise en intrigue = l’acte fondateur par lequel découpage d’un objet particulier dans la trame

événementielle infinie de l’hist # ce choix implique davantage = il constitue les faits comme tels

ex : Verdun = selon que l’on fait une hist seulement démographique de la guerre 14-18 (dans ce cas Charleroi et la Marne = pertes + grandes) ou bien une histoire sociale et politique (énorme valeur symbolique), le fait prend une signification bien différente et change de valeur

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- l’intrigue et l’explication narrative : cf distinction entre récits et tableaux Dans le cas des récits, l’hist = une intrigue au sens littéraire du terme : l’hist raconte et c’est en racontant qu’elle explique

- l’explication narrative et les tableaux : comme l’objet construit par l’historien est dynamique, il y a une intrigue y compris chronologique au sein même de la description d’une structure ! toute hist est narrative parce qu’elle inclut du changement

+ on peut parler de narrativité pour l’aspect synchronique du tableau car : . toujours recours au raisonnement naturel pour les explications aussi bien diachroniques que synchroniques . toujours question du changement dans le temps qui est implicite : quand un grand-père explique comment était son village avant la guerre, il dit tout ce qui a changé depuis ! sans point de comparaison diachronique, l’analyse synchronique est impossible ! l’intrigue minimale dans un tableau = le passage du passé au présent

•••• L’intrigue comme synthèse

- la synthèse discursive : en dernière instance, le récit prend donc le pas sur le tableau

# en d’autres termes, l’événement, au sens de ce qui a changé, prend le pas sur la structure

# la structure pour un historien = toujours précaire, provisoire, comme minée de l’intérieure par l’événement

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Chapitre XII : L’histoire s’écrit (pp 263-282) différence entre un texte hist et un texte journalistique = présence d’un apparat critique, des signes extérieurs évidents comme les notes de bas de page rôle de la référence infrapaginale = signe tangible de l’argumentation, la preuve n’étant recevable que si elle est vérifiable Reste que autres différences entre le texte d’hist et les autres •••• Les caractères du texte historique

- un texte saturé : le plan d’un livre d’hist = à la fois le canevas d’une narration et celui d’une argumentation Et, + spécifique, il est bourré de faits, de précisions Quant aux lacunes, l’historien les assume : soit en argumentant leur peu d’importance pour son propos, soit en les signalant comme lacunes à combler par les recherches ultérieures + Comme il faut bien traiter un sujet, l’historien sait qu’il s’est livré à un découpage et argumente pour le justifier, bien que ses recherches lui aient montré tous les sujets connexes qu’il aurait pu traiter. ! entre la recherche hist proprement dite et l’ouvrage issu de cette recherche, il existe des

différences fortes

- un texte objectivé et autorisé : Second trait du texte d’hist = il met entre parenthèses la personnalité de l’historien L’ouvrage achevé donne à lire uniquement des énoncés objectivés, le discours anonyme de l’hist = il est écrit du pt de vue de l’Hist elle-même cf plusieurs signes qui le rappellent, notamment les nombreux renvois à d’autres historiens qui signalent que son texte prend place dans une sorte d’hyper-texte collectif qu’il vient compléter sur certains points ou contredire ou renouveler sur d’autres. ! pour faire autorité, le discours de l’historien doit être autorisé non seulement par le savoir dont

il se dit détenteur mais par l’inscription de ce savoir dans le grand oeuvre de la corporation savante.

- un texte feuilleté :

3ème trait = le texte hist se déploie sur 2 niveaux distincts : . le niveau du discours de l’historien = son intrigue et son argumentation, donc un texte continu, structuré, maîtrisé . ce discours est sans cesse interrompu par des références, des citations = des fragments d’autres textes, empruntés soit à d’autres historiens soit à des documents d’époque. ! le texte de l’historien comprend la parole d’un autre ou de plusieurs autres, une parole

découpé, démembrée, reconstruite par l’historien qui la réemploie à la place qu’il a choisie en fct des nécessités de son propre discours

! double effet de la citation : un effet de vérité : elle sert de certification ou de confirmation un effet de réalité : la réalité du temps mis à distance

! garantie de la vérité et de la réalité du dire de l’historien, la citation confirme son autorité et son savoir

•••• Les problèmes de l’écriture historique

- le pensé et le vécu : le texte hist = de l’ordre de la connaissance donc un savoir qui se déploie et s’expose, qui explique et argumente, qui recourt à des concepts et donc relativement abstrait sans quoi aucune prétention à une certaine scientificité Et pourtant, l’historien cherche à faire que son lecteur se représente ce dont il parle. = une nécessité pédagogique, mais aussi pour une raison logique :

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les concepts hist = des concepts empiriques, des descriptions abrégées, leurs particularité étant de ne pouvoir être totalement dissociés des contextes qu’ils désignent

# l’élève ou le lecteur ne peuvent les manier sans une connaissance de leur contenu concret

# nécessité de joindre à l’élaboration intellectuelle du texte hist une évocation + parlante du réel que le lecteur est invité à se représenté

# la question de l’écriture de l’hist = d’ordre épistémologique et non littéraire cf procédés pour « donner de la chair aux mots » :

* usage de détails apparemment inutiles, recours à la couleur locale * l’écriture au présent : Jacques Rancière montre le propre du récit hist consiste à s’écrire au présent, afin de nier la différence entre raconter et expliquer = un récit dans la forme du discours

Reste que l’hist = aussi un genre littéraire

- dire juste avec des mots : l’historien doit représenter et faire comprendre le passé, n’ayant pour atteindre cet objectif que des mots ! le problème = trouver le mot juste

Il doit surtout sonner de la même façon pour le lecteur que pour l’auteur Or, les mots sont chargés de toute une culture De ce pt de vue, l’écriture de l’hist n’est qu’un cas particulier de toute écriture Mais des difficultés spécifiques, nées de la distance qui sépare le passé du présent Car l’historien dit le passé avec les mots du présent … alors que le sens des mots dérive au fil du temps. Si le lecteur est sur ses gardes pour l’hist ancienne (il sait que le « paysan » du Moyen-Age n’a rien à voir avec l’exploitant agricole actuel), le risque d’anachronisme est grand pour les périodes + récentes. Ex : le terme « ouvrier » pour le début du siècle et aujourd’hui = des réalités bien différentes ! la solution naturelle = la nécessité d’un commentaire en marge du récit, une sorte de méta-

texte qui donne le sens des termes (notes de bas de page, description intégrée au texte, incise lors du 1er emploi du terme)

! mais à son tour le méta-texte s’écrit avec des mots qui posent les mêmes problèmes ! aucune solution théorique : dans la pratique, une succession de compromis inégalement

heureux # l’hist ne peut se passer d’un travail qui est d’ordre littéraire, avec les spécificités d’un

genre particulier

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Conclusion : Vérité et fonction sociale de l’histoire

(pp 283-306) pour qui entreprend d’écrire sur l’hist = 2 positions valorisantes : soit celle du novateur, soit celle du démystificateur. La posture démystificatrice doit bcp à 2 courants du dernier 1/3 du XX° s : * Michel Foucault, qui voyait partout à l’œuvre des dispositifs de pouvoir et analysait le discours des historiens comme une entreprise d’autorité par laquelle ils imposeraient à leurs lecteurs leur vision du monde * le linguistic turn américain, qui appliqua aux écrits de l’hist les méthodes d’une critique littéraire renouvelée par la psychanalyse, la linguistique et la sémiotique ! disparition de la frontière entre histoire et fiction, en substituant la question de celui qui parle à

la question de ce dont il parle ! les historiens ne « construisent pas un savoir que d’autres pourraient utiliser, ils génèrent un

discours sur le passé » = toute hist se réduit à un propos d’auteur •••• Histoire et vérité

- les effets du désenchantement : cette épistémologie du désenchantement invite les historiens au double deuil de l’histoire totale et de l’hist vraie Et donc l’abandon des grandes synthèses. Certes les historiens récusent le relativisme absolu et continuent à croire que ce qu’ils écrivent est vrai, mais ils croient à des vérités partielles, provisoires ! la synthèse n’apparaît pas seulement comme illusoire ou impossible, la croyance qu’elle

implique d’un sens possible d’une totalité le rend dangereuse ! productions de textes ciselés brillant par l’érudition, la culture théorique et l’ingéniosité

méthodologique … mais sur des sujets infimes ! la question de la fonction sociale d’une histoire qui a renoncé à dire quelques chose sur nos

problèmes actuels apparaît clairement - objectivité, vérité, preuve :

Les vérités de l’hist sont relatives et partielles pour 2 raisons fondamentales : . les objets de l’hist = toujours pris dans des contextes et ce que dit l’historien est toujours référé à ces contextes -> les régularités de l’histoire = pas des lois universelles . les objets de l’hist = toujours construits à partir d’un pt de vue lui-même historique : cf enracinement scientifique, social, personnel des questions de l’historien cf mise en intrigue et écriture

# l’hist tend vers l’objectivité mais ne saurait l’atteindre # parler davantage de distanciation et d’impartialité

cf comparaison de l’historien et du juge La question du régime de vérité de l’hist déborde celle de l’impartialité et du désintéressement de la recherche ! c’est aussi une question de méthode : la vérité en hist c’est de qui est prouvé ! De ce que l’hist n’a pas de méthode spécifique, il ne résulte pas qu’elle n’a pas de méthode ! Existence de procédures, qu’on eput classer en 2 groupes et qui reposent sur 2 types de

preuves (preuve factuelle et preuve systématique) : 1. l’investigation = la méthode utilisée pour établir les faits, les enchaînements, les causes et responsabilités Dès lors la différence entre le juge et l’historien réside uniquement dans la sentence, l’historien étant + libre, la connaissance échappant aux contraintes de l’action Mais il n’est pas dispensé de présenter ses preuves, et en ce sens toute histoire doit être factuelle

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2. la systématisation : elle intervient toutes les fois que l’historien énonce des vérités qui portent sur un ensemble de réalités (ex : les anciens combattants de l’entre-2-guerres étaient pacifistes) ! les méthodes qui permettent de valider les systématisations sont inégalement rigoureuses : la + faible consiste à apporter des exemples à l’appui : la validité de l’exemplification repose sur le nombre et la variété des exemples proposés et est donc elle-même inégale la + forte repose sur la construction d’indicateurs quantifiables et la validation statistique … la qualité des conclusions dépendant pourtant de la construction des indicateurs utilisés et de la validité des données à partir desquelles ils sont construits # ou bien toutes les méthodes se valent et l’hist n’est plus qu’interprétations, pts de vue

subjectifs, ou bien il y a des vérités en hsit et elles dépendent de la rigueur des méthodes •••• Une fonction sociale ambiguë

- histoire, nation, civisme : L’histoire produite à fin XIX° remplissait une fct sociale évident de fournir à la nation son légendaire et son identité + un second engagement : faire comprendre le fonctionnement politique et social d’une nation ou d’un peuple, expliquer comment les forces sociales et politiques se constituent, comment les décisions sont prises … = un projet civique et républicain # l’hist = à la fois facteur de cohésion et une fct critique

Cette fct sociale n’a pas été affectée par la montée de l’hist des Annales : pour former des citoyens conscients il était utile d’expliquer la réalité des forces profondes notamment éco qui gouvernent l’évolution sociale # changement quand repli de l’hist sur des sujets + limités, avec comme ambition de décrire des fonctionnements + subjectifs, des représentations+ personnelles ou qui n’ont pas prise directe sur l’évolution macro-sociale ! ce basculement résulté, mi 1970’s, d’une double évolution de l’hist et de la société : une hist qui perd ses certitudes une société saisie par la croissance et brusquement coupée de ses racines ! le rapport de l’une et l’autre au passé se retourne

- Histoire, identité, mémoire :

L’hist traditionnelle s’était construite sur une continuité : le passé était encore à l’œuvre dans le présent, et donc l’histoire éclairait naturellement le présent # ensuite, l’hist se construit sur la conscience aiguë chez les historiens d’une coupure radicale + la société qui leur demande de ressaisir ces objets perdus, dans leur authenticité vécue + que dans leur structuration logique ! inversion du rapport de l’hist et de la mémoire : ! l’hist traditionnelle s’emparait de la mémoire nationale et républicaine pour la structurer et

l’enraciner dans une continuité longue # l’hist actuelle est mise au service de la mémoire, comme le traduit bien l’injonction du devoir de mémoire adressée aux historiens et qui définit leur fct sociale présente Or histoire et mémoire s’opposent terme à terme # faire l’histoire était se libérer de la mémoire, mettre en ordre ses souvenirs, les replacer dans

des enchaînements et des régularités, les expliquer et comprendre, transformer en pensé un vécu affectif et émotionnel

# l’hist tradi ne libérait pas seulement le citoyen en lui donnant les clefs de la compréhension du présent, elle l’affranchissait de la tutelle des souvenirs : l’hist était libération du passé

Aujourd’hui, un immense mvt commémoratif qui saisit notre société

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Nous sommes submergés par un patrimoine proliférant, qui n’est plus constitutif d’une identité commune, mais se fragmente en une multitude d’identités locales, catégorielles, professionnelles, dont chacune exige d’être respectée et cultivée # l’hist nationale a cédé la place à une mosaïque de mémoires particulières # l’inventaire ou la collection, qui conservent pieusement la trace du passé sans en dégager

nécessairement le sens, acquièrent une légitimité supérieure # un enjeu énorme : le culte du passé répond à l’incertitude de l’avenir et à l’absence de projet

collectif Or il n’y a pas de projet collectif possible sans éducation historique des acteurs et sans analyse historique des problèmes Notre société de mémoire pense que sans histoire elle perdrait son identité # il est + juste de dire qu’une société sans histoire est incapable de projet # défi pour les historiens : transformer en histoire la demande de mémoire : c’est en fonction de

la vie qu’il faut interroger la mort disait Lucien Febvre # le devoir de mémoire : rappeler un événement ne sert à rien, même pas à éviter qu’il ne se

reproduise, si on ne l’explique pas # il faut comprendre, et on découvre alors des complexités incompatibles avec le manichéisme

purificateur de la commémoration # on entre surtout dans l’ordre du raisonnement, qui est autre de celui des sentiments, et +

encore de celui des bons sentiments La mémoire se justifie à ses propres yeux d’être moralement et politiquement correcte, et tire sa force des sentiments qu’elle mobilise # l’histoire exige des raisons et des preuves