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1 Fiches réalisées par Arnaud LEONARD (Lycée français de Varsovie, Pologne) à partir de sources diverses, notamment des excellents « livres du professeur » des éditions Nathan (dir. Guillaume LE QUINTREC)

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Fiches réalisées par Arnaud LEONARD

(Lycée français de Varsovie, Pologne) à partir de sources diverses, notamment des excellents « livres du professeur »

des éditions Nathan (dir. Guillaume LE QUINTREC)

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HMA – L’Empire byzantin

Approche scientifique Approche didactique

Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) :

Insertion dans les programmes (avant, après) :

Sources et muséographie : Ouvrages généraux : A. Ducellier, M. Kaplan, B. Martin, F. Micheau, Le Moyen Âge en Orient. Byzance et l’islam, Hachette supérieur, nouv. éd., Paris, 2006. A. Ducellier, Byzance et le monde orthodoxe, Armand Colin, coll. «U», Paris, 1997. DUCELLIER Alain, BALARD Michel (dir.), Constantinople 1054-1261. Tête de la chrétienté, proie des Latins, capitale grecque, Autrement, n° 40, Paris, janvier 1996. A. Ducellier, Le drame de Byzance, idéal et échec d’une société chrétienne, Hachette, coll. « Pluriel », 1976, nouv. éd., Paris, 1997. A. Ducellier, Les Byzantins, histoire et culture, Le Seuil, coll. « Points Histoire », Paris, 1988. M. Kaplan, Tout l’or de Byzance, Gallimard, coll. « Découvertes », Paris, 1998. M. Kaplan, Les hommes et la terre à Byzance du VIe au XIe siècle : propriété et exploitation du sol, éd. Sorbonne, 1992. (these, 1987) Gilbert Dagron, Empereur et prêtre. Étude sur le " césaropapisme " byzantin, Bibliothèque des histoires, 1996. Gilbert Dagron, Décrire et peindre, Essai sur le portrait iconique, Gallimard, « Bibliothèque illustrée des histoires », 2008 (réflexion historique et philosophique sur le portrait dans l’Antiquité et l’art byzantin qui éclaire le débat idéologique actuel sur les rapports entre le sacré et l’image). R. Mantran, Histoire d’Istanbul, Fayard, Paris, 1996. P. Lemerle, Histoire de Byzance, PUF, coll. « Que sais je ? », 13e éd., Paris, 1998. (1903-1989, par le fondateur, avec Robert Boutruche, de la collection "Nouvelle Clio") A. Guillou, La civilisation byzantine, Arthaud, coll. « Les grandes civilisations », Paris, 1990. A. Grabar, L’âge d’or de Justinien, de la mort de Théodose à l’islam, coll. «L’Univers des formes», Gallimard, Paris, 1966. (par un historien de l'art français d'origine russe 1896-1990 considéré comme l'un des fondateurs de l'histoire de l'art byzantin au XXe siècle). Documentation Photographique et diapos : M. Kaplan, Byzance, Dossier de la Documentation photographique, n° 7015, La Documentation française, Paris, 1993. Revues : Vladimir Vodoff, « Le millénaire de la nation russe », L’Histoire, n° 112, juin 1988. Revue L'Histoire, sur Byzance, n° 6, 47, 49, 5l Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : L’utilisation du qualificatif byzantin pour définir l’Empire romain d’Orient est récente. C’est un terme contemporain utilisé par les historiens. Les Byzantins eux-mêmes se sont toujours désignés comme Romains (d’où le mot « Roumi » employé par les Arabes et les Turcs). Au Moyen Âge et à l’époque moderne, les Occidentaux utilisaient le terme de «Grecs ». L'histoire de Byzance prend fin en 1453 (prise de Constantinople par les Ottomans) mais il est difficile de lui donner une date de naissance. La fondation de Constantinople est certes un acte fondateur (330) mais en fait, l'Empire romain continue. Les habitants de la « nouvelle Rome » se nomment eux-mêmes Romains et non Byzantins. Cet Empire a longtemps été considéré soit comme le modèle décadent d'un système politique et culturel autrefois brillant, soit comme la caricature d'un régime théocratique. L'historiographie récente offre une vision plus juste. C'est l'intégration combinée d'éléments romains, chrétiens, grecs et orientaux qui a fait l'identité de Byzance. Les aspects économiques et sociaux sont à la fois mal connus et peu originaux (économie principalement rurale, contraction des villes, développement des échanges avec le monde musulman). Leur présentation risque donc, au niveau scolaire, de faire double emploi avec la présentation de l'Occident médiéval. Les études dans ce domaine ont été renouvelées depuis les travaux de l'historien yougoslave Georg Ostrogorsky (1902-1976, dont la grande œuvre Histoire de l'état byzantin parue initialement à Munich en 1940 est aujourd'hui encore une référence) mais sont bien souvent en anglais. Les sources nouvelles proviennent

Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : Au collège (y compris dans les futurs programmes), l’étude est centrée sur le IXe s (XIIe s au Lycée). BO actuel : « Une carte permet de présenter l’Empire byzantin (+ le monde musulman et l’Occident chrétien) au IXe siècle et d’étudier l’évolution territoriale (de ces trois ensembles). Deux aspects sont privilégiés : l’héritage de Rome, le christianisme grec et sa diffusion. • Carte : l’Empire byzantin au temps de Justinien. • Repères chronologiques : l’évangélisation des Slaves par Cyrille et Méthode (IXe siècle) ; rupture avec Rome (1054) ; fin de l’Empire byzantin (1453). • Documents : Sainte-Sophie ; mosaïques de Ravenne. BO futur programme : 6e - LES EMPIRES CHRÉTIENS DU HAUT MOYEN ÀGE Les deux empires de l’orient byzantin et de l’occident carolingien, sont situés et caractérisés dans leurs dimensions politique

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surtout de la sigillographie, de la numismatique et de quelques actes nouveaux (Athos ; Pathmos). Il ne faut pas oublier que l’abondante production administrative de cet empire a été détruite. L’essentiel du renouvellement de la question provient donc du regard sur les sources : une vision moins marquée par l’idée d’un Etat responsable du mal être économique et nationaliste mais par une histoire plus culturelle. On admet désormais que l’expansion économique démarre lentement au milieu du VIIIe s et se poursuit jusqu’à la fin du XIVe s (évidemment sans comparaison avec la croissance d’aujourd’hui). Les aristocraties sont souvent l’image du pouvoir à l’échelle locale. Se concilier ces élites reste donc un enjeu pour le pouvoir central. Le concept de féodalisation ne peut s’appliquer à la société byzantine. Les relations de personne à personne existent dans cette société mais, le pouvoir impérial ne renonce pas à son contrôle sur la redistribution des terres et la justice n’est pas cédée aux seigneurs. L’Empire byzantin, multiséculaire, se présente comme l’héritier de l’Empire romain. La fonction impériale est une magistrature qui s’appuie sur une bureaucratie centralisée, tentaculaire pour l’époque, notamment dans le domaine fiscal. La culture antique se maintient mais les controverses religieuses ont partiellement sclérosé sa vitalité. La religion chrétienne est constitutive de l’Empire byzantin. L’Empire est le royaume de Dieu sur terre et l’empereur est son lieutenant. Il remplit ses obligations politiques et religieuses dans le cadre d’une théocratie, où la séparation entre spirituel et temporel, telle qu’elle existe en Occident, est inimaginable. Le fossé entre l’Église occidentale et orientale s’est creusé progressivement au cours des siècles : elles ont déjà, au début du XIe siècle, une langue et une pratique liturgique différentes, et ont connu des phases successives de désaccord et de réconciliation. Au XIe siècle, les divergences entre Église d’Orient et papauté sur la question du filioque, sur la liturgie et sur l’organisation de l’Église s’aggravent. Le patriarche de Constantinople Michel Cérulaire cherche à renforcer sa fonction vis-à-vis de l’empereur byzantin (il avait échoué à devenir empereur à cause d’un complot) et du pape. De son côté, le pape Léon IX, intronisé en 1049, fait preuve d’un zèle réformiste considérable. Voyageur infatigable, il multiplie les conciles nationaux. Depuis le printemps 1054, d’intenses débats opposent les légats du pape au patriarche. La mort du pape en avril rend caduc le mandat des légats. Malgré tout, Humbert, légat du pape, dépose une bulle d’excommunication sur l’autel de Sainte-Sophie en juillet 1054, avant d’être lui-même excommunié par le patriarche. La portée de cet épisode doit être relativisée. Aucun chroniqueur byzantin n’évoque l’évènement et sa validité est douteuse en raison de la vacance papale. Rappelons que l’appel de l’empereur Alexis Ier contre les Turcs trouve ensuite l’oreille attentive d’Urbain II en 1095 et mène à la croisade. Les contemporains n’ont pas eu la conscience de vivre un schisme ; la vraie rupture est le sac de Constantinople par les croisés latins en 1204. Le schisme de 1054 ne sera perçu qu’au XIIIe siècle comme le moment décisif de la rupture entre chrétiens d’Orient et d’Occident.

(empires chrétiens), culturelle (grec et latin) et religieuse (une religion, deux Églises). La caractérisation de chacun des deux empires se fait à partir d’exemples au choix : - de personnages (Justinien et Théodora, Irène…) ; - d’événements (le couronnement d’un empereur byzantin…) ; - ou d’oeuvres d’art byzantines (Sainte-Sophie, mosaïques, icônes …). L’étude débouche sur une carte de l’Europe où sont situées les chrétientés latine et orthodoxe. Connaître et utiliser les repères suivants − L’empire byzantin : IVe –XVe siècle Décrire quelques grandes caractéristiques de l’empire byzantin au IXe siècle Reconnaître une oeuvre d’art byzantine BO Seconde : « III - La Méditerranée au XIIe siècle : carrefour de trois civilisations – Les espaces de l'Occident chrétien, de l'Empire byzantin et du monde musulman – Différents contacts entre ces trois civilisations : guerres, échanges commerciaux, influences culturelles »

Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : I. Christianisme et civilisation byzantine Une carte présente d’abord les limites de l’Empire romain au IVe siècle et la ligne de partage tracée par Théodose en 395, délimitant les deux Empires romains d’Orient et d’Occident. Sont également indiquées l’étendue de l’Empire byzantin à l’avènement de Justinien, ainsi que les conquêtes de cet empereur. Il est ainsi possible de montrer que les limites de l’Empire byzantin au début du VIe siècle correspondent à peu près à celles de l’Empire romain d’Orient à la fin du IVe siècle, et que les conquêtes de Justinien se situent toutes dans les limites de l’Empire romain d’Occident, alors disparu depuis moins d’un siècle. Cette politique d’expansion vers l’Ouest correspond à la volonté de reconstituer un nouvel Empire romain. La conquête par Justinien de Ravenne, dernière capitale de l’Empire romain d’Occident, se comprend parfaitement dans la perspective d’une reconstitution de l’Empire romain. Elle permet à l’empereur de se dire unique héritier des deux parties de l’Empire divisé et explique pourquoi a été défini pour Saint-Vital un programme iconographique aussi complexe. Il faut cependant insister sur la fragilité de cette reconquête (527-564). Les

Activités, consignes et productions des élèves : Accompagnement Collège : « L’étude de l’Empire byzantin doit, comme l’indique le programme, se limiter à quelques thèmes. Plusieurs démarches sont possibles. Partir de Constantinople en s’appuyant sur les acquis de la classe de 6e permet de montrer la filiation avec l’Empire romain (Code Justinien) et la splendeur de la civilisation byzantine et de présenter le basileus (mosaïques de Sainte-Sophie et de Ravenne) sans pour autant entrer dans l’examen des structures du pouvoir et de l’économie. Pour l’orthodoxie, il est inutile, en classe de 5e, d’expliquer les raisons complexes du schisme ; il suffit d’évoquer le patriarche et sa soumission de fait au basileus, le rôle des icônes, le mariage des

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expéditions menées par le général Bélisaire ont été menées au coup par coup et dans une certaine confusion. Ainsi les progrès archéologiques laissent à penser que la reconquête de l'Italie, loin de recréer les conditions de la splendeur passée, fut dramatique. Les terres sont dévastées, les structures sociales bouleversées. Rome continue de décliner, et la Pragmatique sanction de 584 qui essaie de rétablir la classe sénatoriale, n'est d'aucun effet, faute de postulants. Par ailleurs, Justinien a fait le choix de reconstruire l'Empire méditerranéen mais au détriment de régions vitales. Il a négligé la défense de la frontière des Balkans face aux Slaves et celle de l'Orient face aux Perses. Capitale de l'Ostrogoth Théodoric, Ravenne est prise par les armées du général Bélisaire en 540, sous le règne de Justinien, à la suite de leur victoire sur les Lombards. Elle devient ainsi la capitale de l'Italie byzantine. Commencée en 525 sous les Ostrogoths, l'église Saint-Vital est donc achevée par les Byzantins en 548, sur le lieu même où serait mort le soldat Vital, martyr chrétien du IIe siècle. Un ambitieux programme iconographique à visée politique fut décidé pour l’abside de l’église Saint-Vital : il s’agissait, pour l’Empire byzantin, d’inscrire sa présence dans la dernière capitale de l’Empire romain d’Occident. L’objectif était donc d’effacer la division de l’ancien Empire romain et de montrer dans le même temps que cette volonté impériale était l’expression de la volonté divine. Cette conception d’un pouvoir impérial reflétant le pouvoir de Dieu est ancienne : dès le IVe siècle, sous le règne de Constantin, alors que l’Empire romain n’est pas encore définitivement partagé, Eusèbe de Césarée fait du pouvoir impérial un don de Dieu. Dans cette optique, si le pouvoir impérial est à l’image du pouvoir divin, l’empereur ne peut être que le seul à diriger l’Empire – et le monde, ce qui fonde l’universalisme byzantin. L’organisation de l’abside de l’église Saint-Vital reprend cette conception d’un pouvoir unique d’origine divine. Dans l’abside, partie de l’église réservée aux clercs et à l’empereur, derrière l’autel, une scénographie articulée en trois parties se déploie. Dans la partie haute, le Christ est représenté en maître du monde, assis sur le globe terrestre, entouré d’anges et de clercs (à droite saint Vital, à gauche un évêque). Sur la partie médiane, de part et d’autre de l’abside, deux autres mosaïques sont construites sur le même modèle : elles présentent Justinien et sa femme Théodora entourés des membres de leur cour. Si l'art de la mosaïque n'est pas né à Ravenne, il atteint ici son apogée. La technique employée est révolutionnaire : les tesselles sont des petits cubes de verre coloré (les smalts) et non de pierre. Leur utilisation permet d'alléger, donc d'agrandir la mosaïque mais aussi de varier les couleurs. Le fond doré est typique de l'art byzantin. Les tessons dorés sont inclinés de façon à réfléchir la lumière vers le fidèle. Intégrée à l'architecture, la mosaïque devient une « tapisserie somptueuse et inaltérable, tendue pour l'éternité » (L. Bréhier). Justinien est entouré de personnages à la fonction bien marquée : à gauche, un groupe d’officiers formant une escorte (dont l’un tient un bouclier orné du labarum – symbole du Christ, un chi et un rhô croisé, premières lettres de son nom en grec), puis deux fonctionnaires de l’administration impériale – celui de droite, barbu, représente sans doute Bélisaire, qui avait mené la campagne militaire en Italie. Les dignitaires du palais sont vraisemblablement des sénateurs reconnaissables à leur toge bordée de pourpre. Les trois personnages à droite sont des clercs – le plus à droite tient un encensoir rougeoyant, celui du centre une Bible à la couverture constellée de joyaux, celui de gauche, Maximianus (Maximien), évêque de Ravenne, en habits liturgiques, une croix. Maximianus dont le nom est écrit en latin, porte le pallium, écharpe blanche à croix noire. Entre Maximianus et l’empereur, la tête d’un personnage apparaît : c’est celle d’un dénommé Argentarius (Julien l’Argentier), qui permit le financement de l’église. L’empereur, la tête nimbée d’une auréole, porte le diadème et a revêtu la chlamyde de pourpre, tenue par le clavus broché d’or, qui était déjà le vêtement d’apparat des empereurs romains. Il dirige la procession (de la gauche vers la droite) lors de la consécration de l’église. Il porte le pain fermenté pour l’eucharistie. La place de l’empereur est significative : elle permet de montrer qu’il dirige tous ceux qui l’entourent. Il est au centre, est le seul à porter autant de pourpre (couleur réservée à l’empereur et à ceux qui le servent) d’or et de joyaux. Sa couronne et le nimbe, qui entoure sa tête et le désigne comme un personnage sacré, le rendent visuellement plus grand. Enfin, il est le seul dont le corps apparaisse entièrement, sans être masqué en partie par le corps d’un autre : la mosaïque est ainsi construite qu’il semble que Justinien se tienne en avant des autres. La mosaïque représentant Justinien et celle représentant le Christ sont

prêtres. On peut enfin aborder le rayonnement de la civilisation byzantine et la diffusion de l’orthodoxie (Cyrille et Méthode, rôle de l’alphabet cyrillique) qui marquent durablement les Balkans et l’Europe de l’Est. On peut, pour conclure, revenir à Sainte-Sophie ; ses minarets, et donc sa transformation en mosquée, rappellent la chute de Constantinople en 1453 et la fin de l’Empire byzantin. » Accompagnement Lycée : « Il convient de présenter rapidement le cadre géographique à partir de cartes, et d'expliciter les limites chronologiques du sujet (1095-1204). S'il faut éviter de dresser un tableau exhaustif conduisant à l'étude détaillée des trois civilisations du bassin méditerranéen, il est souhaitable d'en souligner les fondements religieux (catholicisme romain, islam, orthodoxie) et politiques. » Les leçons peuvent s’articuler autour de trois adjectifs : « romain, chrétien, oriental de langue grecque » selon la définition de M. Kaplan. L’Empire byzantin est, dans un premier temps, l’héritier de l’Empire romain, après 476. L’un des objectifs de ce chapitre est de faire comprendre aux élèves que ce que nous nommons aujourd’hui l’Empire byzantin était, pour ceux qui le peuplaient, l’Empire romain. Pour cela, nous pouvons privilégier deux thèmes : la capitale et l’empereur. L’étude de Constantinople permet d’établir un lien avec le chapitre consacré à l’Empire romain en 6e. Pour ce dernier, les instructions officielles demandent d’accorder un temps à l’étude de Rome et des monuments qui la caractérisent. Demander le même type de travail pour Constantinople, c’est permettre de comprendre que l’une est construite sur le modèle de l’autre. L’étude de l’institution impériale poursuit le même but. Que ce soit par la titulature, par le recours à des références iconographiques antiques (ivoire Barberini…) ou par la définition et la mise en scène du pouvoir (mosaïques de Saint-Vital de Ravenne…), l’empereur se dit, et est vu, comme le successeur des empereurs romains. Mais il est aussi un empire oriental comme le montrent ses limites à l’Est. Nous retrouvons cet aspect avec les costumes d’apparat de l’impératrice Théodora et le rite de la prosternation devant l’empereur (proskynèse) décrit notamment par Corippe, évêque et poète latin du VIe siècle lors de la réception de l’Avar Targitès (« Poème à la gloire de Justinien »). L’Empire byzantin est un Empire grec, son apogée se situant aux Xe et XIe siècles sous les empereurs macédoniens. Justinien, représenté sur les mosaïques de Ravenne, est

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donc élaborées de manière très similaire : même position centrale, même « différence » de taille, même cour constituée par ceux qui les servent et leur obéissent – anges et clercs pour le Christ, fonctionnaires, soldats et clercs pour Justinien. Le pouvoir de l’empereur, dans son unicité et son étendue, est donc présenté comme la version terrestre, humaine, de celui du Christ. Le Christ, du haut des cieux, règne sur la destinée des hommes et l’empereur les gouverne en son nom depuis ce monde. Cette interprétation est renforcée par la position de ces mosaïques : le Christ est représenté au plus haut de l’abside et domine l’empereur, qui lui-même domine les fidèles et le célébrant. Sa position est intermédiaire entre Dieu et les hommes. Le nimbe qu’il est le seul homme vivant à porter sur ces mosaïques renforce, aux yeux des Byzantins, la réalité de cette élection divine. Cet ensemble iconographique semble donc bien être une illustration du texte d’Eusèbe de Césarée : l’empereur est choisi par Dieu (le nimbe) pour diriger les hommes sur terre (la position médiane de la mosaïque, entre le Christ et les fidèles). Dans cette optique, il ne peut qu’être le seul à gouverner : les autres hommes ne peuvent que le servir (similitude de l’organisation des mosaïques). Dans le choeur de l’église, les deux mosaïques, celle de l’empereur Justinien et celle de l’impératrice Théodora, sont symétriques ; elles se font face. La composition rigoureuse et figée (les personnages, raides, sont tous alignés sur le même plan) de ces deux mosaïques accentue le caractère solennel de la procession. L'impression de froideur est cependant atténuée par l'éclat des couleurs, le fond doré et l'intensité des regards (les yeux sont grands et cernés de noir). L’impératrice Théodora porte le calice pour l’eucharistie, orné de pierres précieuses. Théodora porte un diadème ou une couronne sertie de joyaux et de pendentifs en perles. Ses vêtements drapés sont très raffinés et son manteau porte en bas la bande pourpre. Sur le bas de son manteau figure une broderie d'or des Rois mages. Elle est également nimbée. Ses dames de compagnie sont également richement vêtues. Par sa taille et sa place identiques à celle de l'empereur, cette mosaïque montre toute l'influence qu'exerçait Théodora sur son époux, ainsi que la légitimité de la dynastie. Elle était la fille du gardien des ours attaché à l’hippodrome de Constantinople, et danseuse. Pourtant, Justinien l’épousa. Elle fut vraiment l’impératrice, s’associant à toutes les décisions importantes de Justinien. Le Digeste fait partie d’un ensemble de textes dont le but était de rassembler la totalité du droit en vigueur dans l’Empire romain. Entre 529 et 534 sont ainsi rédigés le Code, qui rassemble les lois, le Digeste, constitué par la jurisprudence romaine, et les Institutes, manuel à l’usage des étudiants. Est ainsi compilée la totalité des lois et du droit romains. Justinien s’inscrit donc dans la lignée des empereurs romains, en reprenant le droit dont ils sont à l’origine, et en l’inscrivant – mais pour l’une des dernières fois – dans la langue de l’ancien Empire, le latin. C’est ce que montre aussi, dans la préface de l’empereur Justinien au Digeste, datée du 15 décembre 530, sa titulature, qui reprend des titres romains : « César, […] pieux, heureux, glorieux, vainqueur et triomphateur, toujours Auguste […]. » Pour les Byzantins, nul ne peut gouverner sans le consentement divin : celui qui perd le pouvoir prouve par là qu’il n’est plus le lieutenant de Dieu sur Terre, que Dieu l’a abandonné pour soutenir celui qui l’a chassé. C’est ce qu’illustre le récit que fait le moine Théophane du renversement d’Irène par Nicéphore en 802 : dans ce texte, sa chute est imputée à ses péchés, au mécontentement de Dieu. L’Epanagôgè jus græco-romanum a été élaboré entre 879 et 886, entre les règnes de Basile Ier (restaurateur de la puissance impériale) et de Léon VI. Ce recueil brosse l’esquisse d’une constitution et tente notamment de faire la lumière sur la répartition des pouvoirs au sein de l’Empire byzantin. C’est la meilleure évocation (y compris par la suite) des rôles respectifs du patriarche et de l’empereur. L’empereur byzantin (basileus) est le maître incontesté de l’Empire, qu’il contrôle dans tous ses domaines. Le texte décrit clairement l’empereur comme étant à la fois un chef militaire (à l’image de l’imperator romain), un magistrat (comme le princeps romain) et un chef religieux contrôlant toute l’Église chrétienne d’Orient. L’empereur doit garantir l’intégrité de l’Empire et conquérir de nouveaux territoires. Cette thématique est fondamentale pour un État qui vient de convertir la plus grande partie de l’Europe centrale, et qui doit faire face aux poussées hongroises, arabes et bientôt turques. L’empereur est l’héritier de Rome, il doit assurer la pérennité de l’Empire.

le dernier empereur à parler le latin et le grec. Constantinople est une ville avec des bâtiments romains, mais aussi grecs. L’Empire byzantin est un Empire chrétien de rite orthodoxe. Le christianisme grec est indissociable de la définition du pouvoir impérial. C’est pourquoi, dans presque tous les documents choisis pour montrer la romanité de l’Empire, des références au christianisme sont présentes. Les deux bâtiments religieux présentés (Saint-Vital de Ravenne et la basilique Sainte-Sophie) permettent de présenter les liens entre christianisme grec et conception du pouvoir impérial, et d’en faire la synthèse. La basilique Sainte-Sophie en est le monument le plus majestueux, les églises byzantines étant plutôt de petite taille. La séparation entre Église orthodoxe et Église chrétienne de rite romain s’est faite progressivement. La séparation définitive date de 1204. À cette date, l’incompréhension est à son comble, comme le montre le pillage de Constantinople par les croisés. Cette séparation est le résultat conjugué de conflits d’autorité entre le pape à Rome et le patriarche de Constantinople, de rites et d’une liturgie de plus en plus différenciés, et de l’invention de la langue slave pour traduire les textes saints en Europe centrale. Enfin, le christianisme orthodoxe est présenté à la fois dans sa relation au christianisme d’Occident et dans son rôle de propagateur de la civilisation byzantine hors de l’Empire. L’aspect culturel de la civilisation byzantine peut être un autre fil conducteur du chapitre. C’est la raison pour laquelle de grands documents iconographiques sont proposés afin que les élèves « voient » ce que sont une icône russe ou bulgare, des mosaïques, la basilique Sainte-Sophie, une église en Grèce… Le monastère d’Hosios Loukas, près de Delphes, est un important lieu de pèlerinage de Phocide. Il s’élève à proximité de la tombe d’un ermite thaumaturge local, saint Luc. Le succès du pèlerinage, dès la mort du saint en 953, nécessite la construction d’une vaste église, achevée en 1031, exemple classique d’architecture byzantine. Une autre église, dédiée à la Vierge, jouxte cet édifice. Les bâtiments monastiques (réfectoire, dortoirs) sont disposés autour des deux églises. Hosios Loukas domine la campagne de Phocide. Les moines s’y consacrent à la prière. Deux églises sont placées au centre de la cour du monastère et accolées : une église dédiée à la Vierge, appelée Panagia (érigée mi-Xe siècle), et le Catholicon dédié à saint Luc (début XIe siècle et vers 1100 pour les mosaïques intérieures). Les dépendances se situent sur les côtés de cette cour : cellules des moines sur le côté ouest, communiquant avec la cour par un couloir

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L’empereur a aussi des devoirs religieux. Modèle du chrétien, il est chargé de faire respecter les articles du dogme fixés par les Écritures et par les conciles. Il apparaît soumis à plusieurs obligations, comme celle de défendre la religion (« il doit maintenir d’abord toutes les prescriptions de la Sainte Écriture, ensuite les décisions prises par les sept saints conciles ») et de se conformer à ses principes (« l’empereur doit exceller en orthodoxie et en piété »). Il a aussi l’obligation morale de faire le bien. Si ses attributions religieuses sont complémentaires avec les attributions du patriarche de l’Église byzantine, il garde la primauté (césaropapisme), ce qui constitue une différence majeure avec le modèle d’organisation de l’Église d’Occident. Pouvoir spirituel et pouvoir temporel sont étroitement liés. Le patriarche est sous la tutelle de l’empereur, dont il subit l’autorité. Choisi par le basileus, il a pour fonction la lutte contre les hérésies et l’évangélisation (« ramener autant qu’il lui est possible à l’orthodoxie tous les hérétiques et de les réunir à l’Église »). « Image vivante et animée du Christ », il doit oeuvrer pour le salut des âmes et doit « s’exprimer sans peur devant l’empereur lorsqu’il s’agit de la vérité et de la défense des dogmes ». Le texte souligne que l’équilibre des pouvoirs entre le patriarche et l’empereur, ainsi que leur bonne entente, sont indispensables au bon fonctionnement de l’Empire. Au moment de la crise iconoclaste, à la fin du VIIIe siècle puis au milieu du IXe siècle, le pouvoir impérial a rétabli l’orthodoxie, en affirmant sa vocation à être l’interprète terrestre des volontés divines. La tradition romaine n’est certes pas oubliée : l’armée, le peuple et le Sénat continuent de jouer leur rôle dans la désignation de l’empereur, mais de manière formelle, et l’aspect religieux de la monarchie devient fondamental. La cité terrestre n’est que l’image terrestre de la cité divine et l’empereur occupe sur terre la place du Christ dans le royaume de Dieu (comparer avec la situation en Occident où, à partir de la réforme grégorienne, le pape s’affirme vicaire de Dieu sur terre et tente de soumettre à son autorité les empereurs qui contestent peu sa prééminence spirituelle). « Lieutenant de Dieu », le basileus communie sous les deux espèces et la tonsure qu’il reçoit nourrisson lui confère un caractère sacré qu’il garde toute sa vie, même s’il ne fait jamais partie du clergé. Le patriarche a autorité sur son Église et est au XIIe siècle le seul patriarche de l’Empire (d’où le titre de patriarche oecuménique). Mais il est très dépendant de l’empereur. En effet, le synode des évêques propose au choix impérial une liste de trois noms dans laquelle figure le candidat de l’empereur (si tel n’est pas le cas, le synode recommence son travail). Une fois élevé à la dignité épiscopale par un prélat, le candidat est élevé au patriarcat par l’empereur dans le Palais impérial, selon un cérémonial et un formulaire qui sont ceux de la promotion d’un fonctionnaire. Si le patriarche ne lui convient plus, l’empereur a toujours la possibilité de le faire destituer par un synode complaisant. Le christianisme grec a peu à peu investi les icônes, représentations peintes du Christ, de la Vierge ou d’un saint, du même pouvoir miraculeux que les reliques. Dans les premiers temps du christianisme, les images se sont développées dans un but pédagogique, avant que la recherche populaire d’un contact direct avec le divin ne leur donne une valeur réservée d’abord aux reliques. Cette pratique religieuse, d’abord individuelle, s’est peu à peu intégrée à la pratique publique : ainsi, en 717, lors du siège de Constantinople par les Arabes, la délivrance de la ville a été portée au crédit d’une icône de la Vierge menée en procession sur les murailles. Cette croyance en un pouvoir miraculeux des icônes est l’un des éléments qui distinguent l’orthodoxie du catholicisme. Autre différence, le mariage des prêtres, autorisé en Orient, interdit en Occident, ou leur aspect physique : les Orientaux sont barbus, les Occidentaux imberbes. La relation au pouvoir temporel diffère également : alors que le patriarche de Constantinople, promu dès 451 au deuxième rang de l’Église, après le pape, est nommé par l’empereur, auquel il reste soumis, le pape se veut indépendant du pouvoir des princes, et s’en dit même, après la réforme grégorienne, le dispensateur. Cette incompréhension débouche au XIe siècle sur le schisme de 1054. À la fin du XIe siècle, le début du mouvement des croisades accentue ce phénomène : les croisés occidentaux refusent de reconnaître la souveraineté de Constantinople sur les territoires anciennement byzantins repris aux Arabes. Cette rupture culmine avec la prise et le pillage de Constantinople par les Occidentaux le 13 avril 1204. Les Églises chrétiennes d'Occident et d'Orient ont des pratiques différentes. Les Orientaux ont conservé l'observance de la triple immersion, alors que les Latins, par réaction contre l'arianisme, n'immergent qu'une fois le sujet. Les Byzantins reprochent aux Latins de judaïser les pratiques (pain azyme). De même pour les

qui forme une galerie ouverte ; le réfectoire rectangulaire sur le côté sud, bâti au XIe siècle ; il y a aussi une cuisine et une grande citerne couverte. Le plan originel de l’église d’Hosios Loukas est en croix grecque ; des ajouts postérieurs en ont fait un plan basilical. L’édifice est surmonté d’un petit dôme. La décoration extérieure utilise la brique et des moellons de pierre, lui donnant ainsi un aspect bicolore. L’édifice est de petite taille. Dans les églises byzantines, mosaïques et peintures ont une signification particulière : loin d’être purement décoratives, ou même seulement didactiques, elles incarnent la splendeur du royaume de Dieu. Les décorations sont composées de mosaïques (à fond doré depuis le VIe siècle) qui représentent des figures religieuses hiératiques. On y trouve généralement un Christ Pantocrator et les représentations mariales sont privilégiées. Des icônes ornent les murs et en particulier l’iconostase. Au XIIe siècle, la peinture remplace souvent la mosaïque. Dans l’architecture orthodoxe, l’iconostase, sorte de cloison décorée d’images qui sépare la nef, réservée aux croyants, du sanctuaire où le prêtre célèbre l’eucharistie, apparaît au XIe et au XIIe siècles. Les fidèles orthodoxes n’assistent donc pas à l’eucharistie. Baptisé en 988, Vladimir, le Prince de Kiev, accepte que son Église soit subordonnée au patriarche de Byzance, toujours aux ordres de l’empereur. Il a épousé la sœur de Basile II, Anne, et les Russes fournissent des soldats à l’armée impériale. Enfin, on raconte qu’il a été émerveillé par la description de Sainte-Sophie faite par ses ambassadeurs et choisit la religion orthodoxe pour cette raison (cf. l’article de V.Vodoff, L’Histoire, juin 1988). Sa conversion est prouvée par la destruction des idoles, par son baptême et celui de son peuple dans le Dniepr. En effet, le prince Vladimir ordonne de « renverser les idoles, de les tailler en pièces et d’y mettre le feu ». Il organise ensuite son baptême, celui de sa famille puis celui de tout son peuple. Enfin, il décide de faire construire des églises. Son peuple est en accord avec sa décision puisque tous acceptent le baptême. On notera la similitude avec le baptême de Clovis : une épouse déjà chrétienne, un baptême collectif. Au XIIe s Au XIIe siècle, malgré son déclin progressif, l’Empire byzantin continue de fasciner. Le cosmopolitisme de sa capitale au carrefour des cultures occidentales et orientales, le faste impressionnant déployé autour du basileus et le raffinement architectural et artistique de ses réalisations monumentales

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orthodoxes, le célibat des prêtres occidentaux est une marque de manichéisme. Ces divergences concernent surtout la vie religieuse quotidienne des croyants et n'ont pas provoqué de véritables querelles dogmatiques. Elles ont pourtant entraîné à la longue un éloignement de mentalité des deux communautés qui se renvoient des accusations mutuelles. Pour les orthodoxes, l'Église de Rome est une monarchie soucieuse de puissance temporelle au détriment de la puissance spirituelle. Les Occidentaux reprochent aux orthodoxes d'être dominés par un pouvoir césaropapiste. Chacune est convaincue de défendre un christianisme authentique. Le christianisme grec s’étend aux peuples slaves : ils sont évangélisés et abandonnent le paganisme. La Vie de Cyrille et Méthode montre les deux frères choisis par l’empereur pour christianiser les Moraves dans leur langue, le slavon, à la demande de leur roi, Ratislav. C'est Ratislav, roi chrétien de Moravie, qui fait appel en 862 à l'empereur byzantin pour aider à la conversion de son peuple. Son royaume, situé aux limites est de l'Empire carolingien, avait pourtant déjà reçu des missionnaires francs venus de Bavière. Mais Ratislav voulait se débarrasser de la tutelle carolingienne. L'empereur Michel III et le patriarche Phôtios envoient en Moravie deux frères parlant le slavon, Cyrille (827-869, de son vrai nom Constantin) et Méthode (825-885). Issus d'une famille de hauts fonctionnaires byzantins de Thessalonique, ils avaient l'expérience de missionnaires. Les deux moines ont permis l'organisation d'une Église morave alors que la Moravie dépendait du patriarcat romain. Même si les Moraves finirent par préférer le catholicisme, on peut montrer le succès de l’orthodoxie dans le monde slave : Bulgares, Serbes, Russes se convertirent. Certains peuples devinrent membres de l’Empire (les Bulgares, les Serbes) : dans la conception universaliste du pouvoir byzantin, tous les peuples ont vocation à être convertis et inclus dans l’Empire. Cette évangélisation a été rendue possible par la création de l’alphabet cyrillique, permettant d’écrire en langue slave les principaux textes chrétiens. Cyrille met au point un alphabet glagolitique (du slavon glagol, « parole »), qui donnera naissance plus tard au cyrillique. Il leur permet de traduire en slave la Bible et les textes liturgiques, car devenir chrétien implique de connaître les enseignements des Écritures et d’être capable de suivre et d’organiser les différentes cérémonies religieuses. L’alphabet glagolitique est formé de 43 lettres, dont 24 viennent du grec et 3 de l’hébreu. Il a été conçu entre 842 et 864 et a été diffusé en Russie au Xe siècle lorsque ce pays a été converti à son tour par des missionnaires byzantins. Cette langue écrite permettait de lire l’Évangile et de dire la messe. Aujourd’hui, ce même alphabet ne comporte que 32 lettres (20 consonnes, 10 voyelles et 2 signes : un signe mou et un signe dur) et est utilisé dans toute la Russie, la Biélorussie, la Bulgarie, la Serbie, en Ukraine et en Géorgie. Les États nouveaux et les Églises slaves s’inspirent de Byzance (le titre de Tsar par exemple). II. Constantinople et l’héritage romain Constantinople fut fondée en 330 par l’empereur Constantin, sur le site de Byzance, colonie mégarienne, et sur le détroit du Bosphore, lieu de rencontre des routes terrestres et maritimes entre l’Europe et l’Asie. Le Bosphore offre une protection contre les agresseurs venus de la mer Noire et les Dardanelles contre ceux qui viendraient de Méditerranée. La presqu’île où s’est établie Constantinople est protégée du côté terrestre par deux murailles, celle de Théodose et celle de Constantin. Une ria de 11 km de long, dont l’entrée étroite est barrée par une chaîne qui empêche les navires de passer, la protège naturellement au nord-est : c’est la Corne d’Or. Sa façade donnant sur la mer de Marmara, au sud-est, offre les mêmes avantages. Notons que tout le périmètre maritime de la ville est doublé d’imposantes murailles qui rendent la ville encore plus inexpugnable. La ville sur le détroit de la mer Noire, pour être la capitale de l’Empire romain d’Orient, porte d’abord le nom de son fondateur (Constantinopolis). Au IVe siècle, elle porte aussi le nom de « deuxième Rome » avant de retrouver au VIIIe siècle son nom grec de Byzance. Avec la conquête turque, elle prend le nom d’Istanbul et sera capitale de l’Empire ottoman jusqu’en 1920. La cité médiévale de Constantinople a gardé les traces de son antique passé impérial, notamment la muraille de Théodose. La ville comporte plusieurs forums et un aqueduc, qui sont autant de traces de l’urbanisme romain. Constantinople se substitue très vite à Rome. Elle est, pour ses habitants, la Ville par excellence, la Polis, comme Rome, l’Urbs, l’était pour les Romains (c’est de

suscitent l’émerveillement des visiteurs et contribuent au rayonnement de la civilisation byzantine. L’historien byzantin Nicétas Choniatès présente, dans un texte qui rappelle un panégyrique, une image idéale des empereurs. Il insiste sur l’excellence de leurs qualités et sur l’assise divine de celles-ci : vigueur, sagesse et connaissance, ce qui lui permet d’être un juge infaillible. L’empereur a par ailleurs un rôle religieux primordial, puisqu’il définit les dogmes. Y est mentionné aussi l’impossibilité de toute opposition. Celle-ci est en effet impensable puisque les souverains tiennent leur pouvoir de Dieu lui-même. L’empereur cumule donc autorité politique et religieuse. Cette icône sur bois doré nous montre l’origine sacrée du pouvoir de Jean II Comnène et de son fils Alexis, debout sous la protection du Christ souverain, assis sur un trône et assisté de la Justice et la Clémence. Jean II Comnène (Basileus de 1118 à 1143) fut surnommé « le plus grand des Comnènes » en raison de sa politique qui amena à la fois la paix intérieure et des conquêtes à l’extérieur, notamment en Asie Mineure contre les Turcs. L’empereur et son fils – qui, en réalité, ne succéda pas à son père – sont vêtus de la pourpre impériale et gardent une position figée. Les auréoles qui entourent leurs visages rappellent le caractère sacré et héréditaire de leur pouvoir. Autour de ces personnages figurent des textes explicatifs écrits en grec, la langue officielle de cet empire et de la religion orthodoxe. L’empereur et son fils héritier sont divinisés par leur auréole ; ils sont protégés par le Christ qui légitime leur pouvoir par l’imposition de ses mains sur leurs têtes ; ils sont directement inspirés par la Clémence et la Justice. Ils sont donc tout-puissants et représentent les lieutenants de Dieu sur terre. Constantinople, vitrine du luxe et de la splendeur byzantine, est un objet de fascination pour tous ses visiteurs. Son charme et sa richesse lui seront fatals car ils attisent les convoitises : en 1204, la cité byzantine est mise sac lors de la 4e croisade, pillage qui porte un coup terrible à l’Empire byzantin. Benjamin de Tudèle, un voyageur juif espagnol, rédige en hébreu le récit de ses voyages, à l’intention de pèlerins juifs. Lui-même séjourne à Constantinople entre 1166 et 1171. La splendeur de Constantinople apparaît ici à travers la grandeur du palais, la richesse et le luxe développés par la capitale : pierreries, or, riches tributs, édifices surprenants. L’auteur insiste, par une série de superlatifs, sur le caractère exceptionnel de cette cité. Il mentionne enfin la richesse des Grecs habitant Constantinople. La ville est décrite par Al-Idrîsî, géographe

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cette manière que l’on indiquait en grec sa direction aux Turcs, « is tin polin », « vers la Ville », ce qui donna Istanbul). Constantin y construit un hippodrome, à l’image du Circus Maximus de Rome : il peut contenir entre 30000 et 50 000 spectateurs (cf le quadrige volé en 1204 par Venise). Autres éléments qui font de Constantinople une nouvelle Rome, les forums de Constantin, de Théodose, du Boeuf et d’Arcadius, reliés par une voie triomphale, la Mésé, qui conduit à la Porte Dorée, porte principale de la ville. L’aqueduc de Valens et le Sénat (qui, dès le VIIe siècle, a perdu son rôle d’assemblée délibérante pour devenir une simple dignité) sont aussi des références à Rome, tout comme le Grand Palais, équivalent du Palatin. Ce Grand Palais est le centre du pouvoir impérial, même s’il n’est pas le seul palais occupé par les empereurs (il sera d’ailleurs peu à peu supplanté par le palais des Blachernes, au Nord de la ville : le Grand Palais, abandonné, est déjà en ruines à l’arrivée des Turcs). À l’inverse de Rome, Constantinople est une ville chrétienne dès sa fondation : en témoignent les nombreuses églises (les Saints-Apôtres ou la basilique Sainte-Sophie, proche du Grand Palais). La reconstitution de Constantinople au XIIe s a été réalisée essentiellement à partir des textes du Xe siècle et on ne peut prétendre à l’exactitude archéologique. Seul l’emplacement de l’hippodrome est connu grâce à l’emplacement d’un obélisque. La Corne d’Or, large échancrure maritime qui sépare la cité du faubourg de Galata, permet aux bateaux d’accoster dans un site abrité et facile à défendre. Les comptoirs italiens ont préféré s’installer dans cette partie de la ville. Les marchands italiens peuvent ainsi bénéficier de ce carrefour commercial qu’est Constantinople, point de passage entre la mer Égée et la mer Noire, entre l’Europe (Balkans) et l’Asie (plateau Anatolien et au-delà, Levant). Constantinople demeure le grand carrefour commercial de la Méditerranée orientale. La basilique Sainte-Sophie est située dans la partie antique de la ville, à proximité du Grand Palais impérial, qui donne sur la mer de Marmara. Le second palais impérial est le palais des Blachernes, au nord de la ville, au bout de la Corne d’Or : il sert de demeure ordinaire aux empereurs depuis sa construction par Alexis Ier Comnène dans un faubourg de la ville antique, néanmoins situé à l’intérieur des remparts. L’église des Saints-Apôtres est au nord-ouest de la ville, à proximité des remparts de Constantin. Les quartiers italiens – vénitien, pisan et génois – sont concentrés au nord-est de la ville. Le quartier du palais impérial se trouve à l’extrémité Est de la ville, en face du Bosphore. Il rassemble le palais des empereurs, le Sénat, qui réunit les membres de l’aristocratie, l’hippodrome, centre des spectacles et des cérémonies impériales, et Sainte-Sophie. La domination de l’empereur se lit par la position centrale de la salle du trône et par la présence du Sénat et de l’hippodrome. Le lien entre politique et religion est symbolisé par la proximité de Sainte-Sophie. Comme le palais des Blachernes, l’église des Saints-Apôtres a disparu sans laisser de traces. Édifiée au VIe siècle, elle présente le plan du type de la croix libre (c’est-à-dire avec des branches saillantes) avec coupoles dont s’inspirèrent les architectes de la basilique Saint-Marc à Venise. La basilique Sainte-Sophie est l’un des symboles de l’étroitesse des rapports entre l’empereur et l’Église orthodoxe. La basilique, « gloire de l’Empire byzantin » est dédiée à Haghia Sophia (la Sagesse Divine, attribut du Christ). Fondée en 325 par Constantin sur la première colline de Constantinople, la basilique Sainte-Sophie est incendiée en janvier 532 lors de la sédition dite de Nika. Elle est rebâtie en moins de cinq ans à l’initiative de l’empereur Justinien qui l’inaugure en décembre 537. L’empereur Justinien chargea deux ingénieurs (et non des architectes) Anthémios de Tralles, mathématicien, et le géomètre Isidore de Milet de la construction pour résoudre le problème du poids de la coupole. Cette église, située face au Grand Palais est séparée de lui par la place de l’Augustéon, le forum constantinien. Son plan est celui d’une basilique romaine, édifice laïc servant à la justice, au commerce… Il a été repris par les chrétiens pour construire leurs églises et rassembler le peuple chrétien, mais surmonté d’une coupole. C’est une basilique à coupoles, à trois nefs avec atrium, narthex et exonarthe. Les églises byzantines, dont le modèle est Sainte-Sophie, symbolisent par leur plan la structure du monde : le carré au sol représente la Terre, surmonté par une coupole qui est l’image du ciel. La coupole s’effondre lors du tremblement de terre de 557 et est immédiatement reconstruite. Si Procope de Césarée en 561 peut la décrire « comme suspendu[e] depuis le Paradis, tenu[e] par une fabuleuse chaîne en or », c’est en raison de la série de 170 fenêtres situées au bas du dôme : la lumière qu’elles diffusent semblent détacher la

arabe au service de Roger, roi normand de Sicile, pour lequel il écrit une description du monde connu. Il s’attarde surtout sur le sentiment de grandeur qu’elle inspire : tout y semble plus vaste, plus riche, plus raffiné qu’ailleurs. Pour lui, Constantinople est incomparable, sinon à Rome. Eudes de Deuil est frappé par les palais impériaux, notamment par celui des Blachernes, et par la cathédrale Sainte-Sophie. Évaluée par un croisé occidental qui est aussi un religieux, la richesse de Constantinople réside dans ses palais, où abondent les matériaux précieux et les trésors, et dans ses églises, qui abritent de précieuses reliques. La richesse de la ville est autant matérielle que religieuse. On notera cependant que cette fascination est aussi teintée d’un certain mépris (sa richesse est à la mesure de ses vices, selon Eudes). L’hippodrome, édifice grandiose construit en marbre au Xe siècle, pouvait accueillir 40000 spectateurs. Il joue un rôle politique : le souverain y est élevé sur le pavois et il peut y dialoguer directement avec son peuple, lors de fêtes, anniversaires impériaux ou victoires. Une plaquette d’ivoire du VIe siècle (Musée chrétien de Brescia) représente l’empereur assistant à une course de char depuis sa loge de l’hippodrome, la cathisma. Ce document montre que, comme à Rome, les courses de chevaux sont importantes dans la vie de la ville : elles accompagnent jusqu’au XIIe siècle fêtes et cérémonies (couronnement, victoire…). L’empereur y paraît entouré des plus hauts dignitaires de l’Empire, symbolisés ici par les personnages placés de part et d’autre de l’empereur (comme souvent dans l’iconographie byzantine, la taille des personnages représentés est proportionnelle à leur importance officielle). Les trois personnages à la tribune sont, comme des Romains, habillés d’une toge. L’empereur assiste à une course de quadriges. Il tient le sceptre impérial. C’est ici que l’empereur est acclamé par le peuple au moment de son couronnement. Même si l’hérédité s’impose parfois, aucune famille ne peut prétendre à l’exclusivité de la fonction impériale. C’est la cérémonie qui sacralise l’empereur : acclamation à l’hippodrome, puis sacre par le patriarche de Constantinople. L’hippodrome est à Constantinople le seul endroit où le peuple peut entrer en contact avec le pouvoir central. C’est là que les différents dèmes ou associations expriment leur opinion sur la politique du gouvernement. Bien souvent, les dèmes (verts et bleus) revendiquent leurs droits avec beaucoup d’énergie. Lors de la révolte Nika de 532, Justinien a bien failli être

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coupole du reste de la construction. Sainte-Sophie paraît donc être une fenêtre ouverte sur le royaume céleste. C’est pour cette raison que les empereurs, pour leur couronnement et pour certaines grandes cérémonies religieuses, se placent au centre de la basilique, à l’aplomb du sommet de la coupole : ils montrent par là leur lien privilégié à Dieu, et la protection qu’il leur accorde. Procope de Césarée témoigne de son faste et de sa grandeur : « Personne ne pourrait se lasser d’un tel spectacle, mais ceux qui pénètrent dans l’église sont émerveillés par ce qu’ils

voient et, lorsqu’ils quittent cet endroit, la splendeur ressort de leurs paroles. » De nombreux éléments montrent l’intérêt accordé par Justinien à sa construction : Procope de Césarée en relève le coût exorbitant, l’importance du nombre des ouvriers, la richesse de sa décoration. Il reprend également le thème de l’élection divine, en relevant que le succès du chantier ne peut s’expliquer que par la faveur accordée par Dieu à Justinien. La virtuosité et la richesse de la décoration de ces églises, couvertes de marbres et illustrées de mosaïques à fonds dorés, mettent en évidence la ferveur religieuse qui règne dans l’Empire byzantin, où patriarche et basileus dirigent côte à côte une Église d’Orient dont les fastes fascinent tous les visiteurs étrangers. La coupole de la basilique, qui mesure 32 m de diamètre et symbolise la dimension cosmique de la puissance divine, est la plus grande du monde. Sainte-Sophie est restée, jusqu’à sa transformation en mosquée, la plus grande église de la chrétienté. Lors des cérémonies les plus solennelles, l’empereur se place à la verticale de la représentation du Christ Pantokrâtor qui orne la coupole. Le décor de mosaïques fut complété ou aménagé au cours des siècles. Le pillage de Constantinople par les croisés, en 1204, marque pour l’édifice le début du déclin. En 1453, le sultan Mehmet le Conquérant, à la tête des Turcs qui s’emparèrent de la ville, fit célébrer la prière du vendredi à Sainte-Sophie, y fit ajouter les minarets. Les mosaïques ont été peu à peu couvertes d’un enduit. Sainte-Sophie devient dès lors une mosquée, l’Aya Sofya Camii, privant ainsi le monde chrétien de son plus vaste édifice religieux. En réaction à cette perte, Rome entreprend de faire bâtir une nouvelle basilique : Saint-Pierre de Rome (à l’origine de la rupture de Luther qui trouva indigne que la papauté collecte des dons auprès des fidèles…). La mosquée a perdu sa fonction religieuse pour devenir un musée en 1934. L’enduit sur les mosaïques a été en partie enlevé. La mosaïque de la Vierge à l’Enfant entourée de Jean II Comnène et de l’impératrice Irène en est un bon exemple, puisque ce décor date du début du XIIe siècle (1118). Les inscriptions grecques précisent : « Jean fidèle empereur en le seigneur Christ, porphyrogénète et autocrate des Romains, Comnène » et « Irène la plus pieuse Augusta». La bourse, que tient Jean, et le parchemin, que tient Irène, symbolisent l’opulence et la justice dispensées par les souverains, devoirs soulignés dans l’Épanagogé. La titulature portée par l’empereur est intéressante car elle résume bien la nature du pouvoir impérial byzantin : il est basileus, terme grec qui désigne le roi et que l’Empire s’approprie après les victoires sur les Perses au début du VIIe siècle ; il est fidèle envers Dieu qui lui confère son pouvoir absolu comme le souligne le qualificatif d’autokrâtor ; ce pouvoir s’exerce sur l’Empire par excellence, le seul légitime et universel, le seul qui corresponde à la terre entière, l’Empire des Romains. Il est aussi porphyrogénète, c’est-à-dire « né dans la pourpre », ou plutôt dans la porphyra, salle du Palais impérial dallée de marbre rouge et réservée aux accouchements impériaux.

renversé et n’a dû son salut qu’au sang-froid de sa femme, Théodora. L’hippodrome mesurait 450 mètres de long et 120 mètres de large, dont 80 mètres de piste. Il pouvait contenir 40 000 spectateurs. L’Église orthodoxe est intimement liée au pouvoir impérial, dont elle dépend puisque le patriarche est nommé par l’empereur (rappelons toutefois la relative indépendance des moines dans ce système). Les moines disposent du monastère de Stoudios, qui s’est illustré dans la lutte contre l’iconoclasme. Nombreux sont les empereurs à s’être fait représenter sur les murs de la basilique (ainsi, Constantin IX et sa femme Zoé ou Léon VI). De telles mosaïques poursuivent le même objectif que celles de Saint-Vital de Ravenne : montrer la relation privilégiée entre l’empereur et Dieu. La mosaïque de Justinien et Constantin devant la Vierge à l’Enfant se trouve au-dessus du portail sud dans le narthex intérieur. Au centre, la Vierge tenant l’Enfant Jésus dans ses bras est assise sur un trône en forme de maison. Elle reçoit la prière de deux empereurs, à droite, l’empereur Constantin, et à gauche, l’empereur Justinien. Chacun présente à la Vierge et à l’Enfant deux constructions réduites, symbolisant les réalisations majeures de ces deux empereurs. Constantin offre une maquette de la ville de Constantinople symbolisée par les fortifications. Justinien offre la basilique Sainte-Sophie symbolisée par la coupole surmontée d’une croix. Quatre lettres sont inscrites de chaque côté de la Vierge et de Jésus. Il s’agit des premières et dernières lettres des mots grecs Mètèr Théou, « Mère de Dieu » : « M »,« P», «Θ», «Y».

Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :

Evaluation cohérente en fonction des objectifs :

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HMA – Mahomet et les débuts de l’Islam

Approche scientifique Approche didactique

Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) :

Insertion dans les programmes (avant, après) :

Sources et muséographie : La biographie du Prophète Mahomet, Ibn Hichâm (?-vers 834), Texte traduit et annoté par Wahib Attalah, Fayard 2004, 432 p. Ouvrages généraux : Alfred-Louis de Prémare (1930-2006), Les Fondations de l'islam. Entre écriture et histoire, Paris 2002, Seuil collection L'Univers historique. Jacqueline Chabbi, Le Seigneur des tribus. L’Islam de Mahomet, Paris, Noêsis, 1997, 725 p. (préface d’André Caquot) (glossaire, bibliographie commentée, index, cartes). François Déroche, Le Coran, 2ème édition mise à jour, Presses universitaires de France, QSJ ?, 2008 Hichem Djaït, La Vie de Muhammad, Révélation et Prophétie, t. 1, Ed. Fayard, 184 pages, 2007. Anne-Marie Delcambre, Mahomet, la parole d’Allah, Gallimard, coll. « Découvertes », 1987. Sabrina Mervin, Histoire de l’islam, doctrines et fondements, Flammarion, coll. « Champs Université », 2000. Nicolle Samadi, Islams, islam. Repères culturels et historiques pour comprendre et enseigner le fait islamique, Créteil, Scérén, « Histoire des religions », CRDP de Créteil / CDDP du Val-de-Marne, 2003, 308 p. Maurice Lombard, L’islam dans sa première grandeur, Flammarion, Paris, 1971 (ouvrage posthume, réédition 1989). Maxime Rodinson, Mahomet, Seuil collection politique, 1961, édition revue et augmentée, 1968. (par un historien et sociologue marxiste et orientaliste 1915-2004, une étude rationaliste qui essaya d'expliquer les origines économiques et sociales de l'islam). Documentation Photographique et diapos : Pascal BURESI, « Histoire de l’islam », Documentation photographique, n°8058, juillet-août 2007. Revues : L'Islam et le Coran: Un livre, une religion, des empires / Collectif, in LES COLLECTIONS DE L'HISTOIRE N° 30, Janvier-Mars 2006 : Mahomet, prophète et guerrier (Gabriel Martinez-Gros, Aux origines de l'islam, Mahomet : prophète, chef de guerre, homme d'État.), L'islam n'est pas né dans un désert ! (Joëlle Beaucamp, Françoise Briquel-Chatonnet, Christian Robin, Un siècle avant Mahomet, l'Arabie n'est pas un désert mais une terre déjà largement pénétrée par les grandes religions monothéistes, ouverte aux influences culturelles), entretien avec Alfred-Louis de Prémare (Qui a vraiment écrit le Coran ? Et quel est son contenu ? A quelle date a été établi le texte définitif ? Dans quelle mesure est-il héritier de la Bible hébraïque et chrétienne ? Pour répondre à ces questions, encore taboues dans le monde musulman, l'historien du monde arabo-islamique Alfred-Louis de Prémare remonte aux sources de l'islam.) L'HISTOIRE N° 272, Janvier 2003 (Les Arabes, de la Mecque aux banlieues de l'islam) / Collectif : Les TRIBUS DE L'ARABIE DÉSERTE (Christian Julien Robin, Qui sont les premiers Arabes ? Il y a 3'000 ans, des agriculteurs et des pasteurs nomades vivant aux marges du désert. Des tribus qui parlent des langues apparentées mais adorent chacune leurs dieux, sans avoir conscience d'appartenir à un même ensemble), Les ARABES, UN PEUPLE, UNE LANGUE, UNE RELIGION (Gabriel Martinez-Gros, Et l'ISLAM vint... La nouvelle religion fondée au VIIe siècle par Mahomet fait des tribus d'Arabie une communauté élue par Dieu. Un peuple est né, qui va bâtir un empire et diffuser la langue du Coran) Alfred Louis de Premare, « La Bible, le Coran et le savant », L’Histoire, n°274, mars 2003. « La vérité sur l’islam », L’Histoire, n° 260, décembre 2001. Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Lorsqu’il étudie Mahomet, l’historien se heurte au traitement des sources disponibles : le Coran et les source islamiques tardives. La tradition musulmane fait de Uthman ou Othman (644-656) le quatrième calife, celui qui ordonna vers 653 la recension du Coran, fixant les sourates considérées comme authentiques, écartant et détruisant celles considérées comme apocryphes. Certains historiens acceptent cette version, d’autres estiment qu’une datation plus tardive, sous les Omeyyades, serait plus probable, le Coran ayant été rédigé sur une période bien plus longue (les versions des VIIe-VIIIe s n’étant fixées en une version unique qu’au Xe s). Le paléographe François Deroche, de l'Ecole pratique des hautes études, ne croit pas que les textes aient été définitivement fixés sous le calife Othman. : "La tradition islamique affirme qu'il a voulu fixer le texte afin d'éviter les divergences dans sa récitation. Or l'écriture hedjazienne d'alors, trop imparfaite, ne permet pas d'empêcher ces divergences. Au mieux, elle offre un support minimal, acceptable par les différents lecteurs". Jacqueline Chabbi est convaincue que le Coran a été mis par écrit sous le calife Abd al-Malik, à Damas, à l'aube du VIII° siècle. Lorsque l'islam est devenu une civilisation d'écriture.

Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO actuel : « Le monde musulman (4 à 5 heures) L’essentiel est de présenter Mahomet, le Coran et la diffusion de l’Islam et de sa civilisation. • Carte : le monde musulman au VIIIe siècle. • Repère chronologique : l’hégire (622). • Documents : extraits du Coran. » Nouveau commentaire (socle) : « L’essentiel est de présenter l’Islam et sa civilisation. » Futur programme : « LES DEBUTS DE L’ISLAM (environ 10% du temps) Les musulmans sont abordés dans le contexte de la conquête et des premiers

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S’est également posé le problème de la transcription de l’arabe. Seules les voyelles longues étaient parfois notées et certaines consonnes étaient rendues par un même signe : ont été alors introduits les points diacritiques pour les différencier, permettant une lecture – orale en particulier – bien plus facile Le Coran est un corpus, une compilation de traditions dont certaines sont très anciennes. La diversité des autorités a conduit à une pluralité des interprétations du Coran jusqu’au Xe siècle et au-delà. Dans le Coran, le nom de Mahomet n’apparaît que quatre fois seulement, dont deux fois comme « envoyé de Dieu ». Le récit de sa vie n’est le fruit que de réinterprétations tardives et apologétiques compilées dans la seconde moitié du VIIIe siècle. L’histoire de Mahomet qui est désigné comme le prophète des musulmans relève d’autres livres que l’on nomme les sira dont la plus ancienne est celle rédigée par Ibn Ishâk (767). Il n’y a aucune mention dans le Coran des quatre compagnons de Mahomet : Abou Bakr, Omar, Othman et Ali qui sont aussi les fondateurs de l’Islam. Le nom de la Mecque n’apparaît qu’une seule fois, et il n’y a que très peu d’allusions aux batailles célèbres. Le nom de Médine où s’est installée la première communauté musulmane n’apparaît qu’une fois et par un texte très allusif. Le Coran est donc une source insuffisante pour faire une biographie de Mahomet. Les sources archéologiques font défaut pour la période où est né l’Islam car les fouilles ne sont pas autorisées. Par contre, il existe des documents concernant la période précédente : les documents épigraphiques du Yémen qui datent de la fin du VIème siècle de notre ère. Ces sources mentionnent l’existence d’un royaume juif yéménite mais aussi d’un royaume chrétien. Le Yémen est une vieille terre d’implantation du monothéisme. Les historiens ne possèdent aucun document sur les religions de l’Arabie centrale à l’époque de Mahomet, pour comprendre le paganisme pré-coranique les seuls documents sont le Coran et l’histoire sainte islamique qui est bien postérieure. L’historien doit sortir du cercle fermé des sources islamiques traditionnelles pour aller vers des sources plus vastes. Il faut élargir le domaine de recherche vers les territoires situés hors de la péninsule arabique (Syrie, Jordanie, Mésopotamie) et pour lesquels nous sommes mieux documentés. Ces données sont intéressantes pour situer la naissance de l’Islam. Et après la mort de Mahomet, des chroniques syriaque, grecque, arménienne, copte sont des sources littéraires très intéressantes sur les conquêtes arabes. Il faut donc dépasser la simple étude du Coran, élargir les sources mais aussi le contexte étudié : avant et après la vie de Mahomet afin de mieux comprendre la naissance de l’Islam et l’ancrer dans l’histoire. Alfred-Louis de PRÉMARE préconise surtout de placer ce « beau modèle » dans un contexte arabe plus large et plus ancien qui dépasserait le seul Hedjaz, méconnu, du VIIe siècle , ce que les manuels ne font évidemment pas, les Arabes semblant être sortis de nulle part, ce qui rejoint, comme le fait remarquer Oissila SAAIDIA, certains propos islamistes radicaux . Les conquêtes arabes ont longtemps été interprétées comme le résultat du fanatisme des soldats récemment convertis à l'islam, animés par le djihad. Mais les faits démentent cette analyse puisque cette expansion n'a pas été suivie de conversions forcées. Après la mort de Mahomet, ses héritiers se sont violemment opposés pour la succession. Les califes ont cherché par les conquêtes à unifier les Arabes autour d'un but commun et à donner naissance à un État dépassant le cadre de la péninsule. En ce sens, leur politique est impérialiste, les califes voulant étendre leur domination politique. Les conquêtes ont été relativement rapides (elles s'achèvent au VIIIe siècle) et les Arabes se sont trouvés confrontés au problème du gouvernement d'un vaste Empire. Ils se sont appuyés sur plusieurs modèles : les traditions des chefs de tribus dans l'Arabie préislamique, la théocratie médinoise exercée par Mahomet, l'exemple du basileus byzantin ou du souverain sassanide. La notion de djihad telle qu'elle est définie dans le Coran soulève bien des polémiques entre historiens et exégètes. Le terme djihad (ou jihad) vient du verbe jahada, définissant un effort important et constant vers un but difficile à atteindre. Deux conceptions du djihad ont coexisté. La première repose sur la division du monde en deux parties : celle du dar al-islam, territoire de l’islam, et celle du dar al-harb, domaine de la guerre contre ceux qui ne se sont pas convertis. Dans cette conception, les musulmans doivent, pour propager l’islam, combattre les infidèles, sauf si ces derniers croient à une religion monothéiste : ils peuvent alors avoir le statut de dhimmî, de protégé. Dans la première phase de conquête, le djihad fut offensif mais, dans le reste de l’histoire du monde musulman, il fut

empires arabes, dans lequel la tradition islamique est écrite (VIIe - IXe siècle). Quelques uns des récits de la tradition (Coran…) sont étudiés comme fondements de l’islam. L’étude commence par la contextualisation des débuts de l’islam. Elle est fondée sur des sources historiques, le récit d’un événement (la conquête de la Palestine—Syrie, de l’Égypte…) ou d’un personnage. Les textes (Coran, Hadiths et Sunna, Sîra) sont datés en relation avec ce contexte. Ils permettent d’aborder le personnage de Mahomet. Connaître et utiliser les repères suivants - L’Hégire : 622 Raconter et expliquer - Un épisode de l’expansion musulmane - Quelques épisodes de la tradition musulmane significatifs des croyances » Certains proposent d’introduire dans les pratiques enseignantes le mot Islams au pluriel pour prendre en compte la variété des comportements religieux et culturels et la diversité spatiale et temporelle des structures politiques et sociales. Prétendre que Mahomet recommande aux musulmans de convertir les non-musulmans par "le djihad" ne s'accorde pas avec le verset "point de contrainte en matière de religion" (Coran, sourate 2, verset 256). Les racines bibliques de l'Islam ne sont aussi guère mis en relief. Les cartes proposées sur l’expansion de l’Islam donnent une idée erronée du monde musulman les minorités (chrétiennes, coptes…) n’y figurant pas. D’où l’intérêt de travailler à grande échelle sur un plan de ville afin d’identifier les quartiers occupés par les différentes communautés.

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surtout défensif. Le Coran fait des appels sans équivoque à la lutte armée. Cependant ces appels concernent l'action de Mahomet contre les Médinois ou plus largement le territoire de l'Arabie. Il n'est pas question de guerre sainte. Au départ, le djihad signifie effort de guerre. D'ailleurs, les Arabes n'ont pas cherché à convertir les populations soumises mais à leur extorquer un tribut. En revanche, après les conquêtes, les Arabes ont interprété leurs victoires comme un signe du soutien d'Allah dans l'expansion de l'islam. La notion de djihad a alors pris le sens de « guerre légale » plutôt que « guerre sainte », comme un appel à une expansion universelle de l'islam, par les armes si nécessaire (Ducellier et Micheau, Les Pays d'Islam). Cependant le message religieux du combat ne peut pas être nié non plus. Le Coran promet bien le butin aux guerriers et le paradis dans l'au-delà. L’autre conception fait du djihad un combat intérieur, que doit mener tout musulman pour devenir un meilleur croyant : ce djihad a été qualifié de majeur. Restent les points de contact et les rapports entre les communautés. Du côté musulman existe le statut de dhimmi dont l’application dépend du contexte local et du pouvoir en place. Il autorise le maintien d’un nombre important de chrétiens en Orient et, dans une bien moindre mesure, en Italie du Sud et en Espagne. La sourate IX, 29 fonde la réflexion des juristes musulmans pour établir le statut des dhimmi. La dhimma est la « protection » accordée par la Loi musulmane aux « gens du Livre » (juifs et chrétiens) qui vivent sous domination de l’islam. Elle est parfois étendue à d’autres croyances religieuses (par exemple aux hindouistes après la conquête de la vallée du Gange). Pour continuer à pratiquer leur religion et obtenir le droit de gérer les affaires de leur communauté avec une certaine autonomie, les « minoritaires » paient un tribut particulier, la jizya ; ils sont frappés par un certain nombre de mesures vexatoires (des interdits vestimentaires par exemple), signe de leur soumission et de leur exclusion de la vie publique. Ils sont des sujets de seconde zone. Dans les faits, les situations sont très variables d’une époque ou d’une région à l’autre. La présence de nombreux minoritaires dans les grandes administrations califales aboutit à une application souple (chez les Fatimides d’Égypte par exemple), alors que la rigueur est la règle dans les territoires touchés par les mouvements de renouveau sunnite (par exemple, chez les Almoravides et plus encore chez les Almohades qui remettent en question l’existence du statut de dhimmi). Il faut donc se garder des généralités à leur égard, l’interprétation de leur statut dépendant moins d’une quelconque idée de tolérance que du contexte politique et des desseins du pouvoir musulman. En revanche, jusqu’à l’occupation de la Sicile, la Reconquête et les croisades, il n’existe pas de statut des minoritaires dans la chrétienté latine, qui emprunte au monde musulman les principaux traits du statut des mudéjars en Espagne et des paysans musulmans, très mal connus, dans les États croisés. Mais au XIIe siècle, de part et d’autre, la tendance générale est à l’exclusion et à la purge. En Espagne, les élites musulmanes fuient devant l’avance des chrétiens, qui substituent de nouvelles populations aux anciennes et ne soumettent que ceux qui n’ont pas pu fuir (paysans et artisans qui sont groupés dans les morerias à l’extérieur des enceintes urbaines ou qui habitent les zones rurales). À cette époque, les mozarabes passant sous domination chrétienne ne sont que des communautés résiduelles que le raidissement almoravide puis almohade a déjà fait fuir vers les royaumes chrétiens du Nord. Il n’y a que dans la Sicile normande que le maintien des anciennes communautés (grecques, musulmanes, juives) a une réelle consistance, les rois normands se servant des éléments utiles à leur puissance. Mais là encore, les musulmans ne sont pas tous traités à la même aune (il y a les élites qui fréquentent la cour, et les autres qui subissent régulièrement vexation et massacres, au gré des évolutions du pouvoir). Ils sont totalement chassés de l’île par Frédéric II, dans le premier tiers du XIIIe siècle. Ainsi, si l’arabisation des minorités en terre d’islam et les emprunts faits par les chrétiens à la civilisation arabo-musulmane ont créé des cultures particulières aux allures syncrétiques et ont suscité des échanges culturels (du monde arabe vers l’Occident, non dans le sens inverse), il ne faut en aucun cas en conclure que la tolérance est à la base de ces échanges inégaux. Et il faut se garder de généraliser ce qui ressort des contacts, bien réels, entre individus qui appartiennent toujours aux élites sociales de l’une ou l’autre religion. Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques :

Activités, consignes et productions des élèves :

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I. Conquêtes et écriture de la tradition islamique (VIIe - IXe siècle) Le Prophète meurt sans laisser d’héritier mâle, sans désigner de successeur et sans avoir eu le temps d’organiser un État solide. Au lendemain de la mort de Mahomet, de multiples rivalités surgissent entre Médinois et Mecquois, entre les membres de sa famille et ceux de la tribu des Qoraishites. La question de la succession est donc résolue par l’élection d’un lieutenant du prophète, le calife. Les trois premiers sont tous de vieux compagnons et disciples du Prophète. Abu Bakr (632-634), père d’Aïcha, l’épouse préférée de Mahomet, est le premier. Omar (Umar, 634-644), le second, conduit et organise les conquêtes sur les Byzantins et les Perses et forge un embryon d’administration. Le troisième est Othman (Utman, 644-656), un aristocrate de la tribu qoraishite à laquelle appartenait Mahomet. Il s’attire le mécontentement des membres de la famille du Prophète, notamment de sa veuve, Aïcha, et de son gendre et cousin, Ali. Il meurt assassiné en 656, ce qui constitue la première rupture véritable de la communauté des Croyants et la première guerre civile de l’islam (656-661) entre les partisans d’Ali et ceux de Moawwiya, chef du clan omeyyade, qui sort victorieux du conflit et obtient le califat (661-680). Après les Omeyyades (661-750), les Abbassides (750-1258) s’emparent du califat et fondent Bagdad (762), nouvelle capitale établie dans la région la plus prospère du monde musulman de cette époque, l’Irak. Au problème initial de succession, qui a donné naissance à des sectes dont les deux principales sont le shi’isme, qui rassemble les partisans d’Ali, et le sunnisme, qui soutient les Omeyyades, puis les Abbassides, s’ajoute très tôt l’impossibilité d’unir sous une même autorité effective l’immensité du monde musulman issu de la conquête dans lequel les Arabes deviennent très vite minoritaires. Dès le XIe siècle, l’histoire de l’islam est une histoire régionale. Une carte montre l'ampleur des conquêtes arabes : en un siècle, ils sont à la tète d'un immense empire qui va de l'Atlantique à l'Indus et qui n'est pas sans rappeler l'empire d'Alexandre. On donc diviser trois moments de l’extension du monde musulman : d’abord, les conquêtes réalisées sous la direction de Mahomet, jusqu’en 632, date de sa mort. Ces premières conquêtes constituent essentiellement un processus d’unification des tribus arabes, et une lutte contre celles qui refusent de reconnaître Mahomet à la fois comme chef et comme prophète. À la mort de Mahomet, seule une partie de la péninsule Arabique est musulmane. Puis, les conquêtes réalisées par les quatre premiers califes, installés comme Mahomet à Médine : Abû Bakr, Omar, Uthman et Ali. Ces quatre califes, qui règnent entre 632 et 661, défont les armées des empires perse et byzantin : le premier est entièrement démantelé et intégré au califat arabe, alors que le second voit lui échapper le contrôle de la Syrie, de l’Égypte, de la Mésopotamie et de la Tripolitaine. Abu Bakr doit maintenir la cohésion d'une communauté encore fragile. Il lance une série d'expéditions vers la Syrie, dans la pure tradition des razzias menées par les nomades. Face à la faiblesse de l'adversaire, les opérations de pillage deviennent de véritables conquêtes. Le Proche-Orient passe rapidement sous domination arabe. Ce succès s'explique par la sagesse et l'habileté des Arabes qui pratiquent une politique de tolérance à l'égard des peuples soumis et qui maintiennent le système administratif, fiscal et foncier dans les territoires conquis. L’assassinat d’Ali, quatrième calife et gendre de Mahomet, permet l’accession au pouvoir de la famille des Omeyyades (à laquelle Uthman, troisième calife, lui aussi assassiné, appartenait). Les califes omeyyades, dont la capitale est Damas, entreprennent, à la toute fin du VIIe siècle, la conquête des dernière provinces byzantines d’Afrique du Nord, avant que la défaite des Wisigoths en 711 ne leur ouvre les porte de l’Espagne (à l’exception d’une étroite bande au Nord de la péninsule, comprenant le pays des Basques et le royaume des Asturies). La conquête du Maghreb, menée depuis Kairouan, fut laborieuse en raison de la résistance des Byzantins et des Berbères. L'Espagne fut très vite prise aux Wisigoths, dès 711. Quant à la Gaule, elle n'échappa pas à des raids violents dans le Sud (Languedoc, Provence, vallée du Rhône). En 732, lorsque Charles Martel, maire du palais du royaume des Francs, repousse des Arabes à Poitiers, il s’agit plus de s’opposer à une razzia à l’intérieur du territoire franc que d’empêcher une conquête massive et concertée. La victoire de Charles Martel ne stoppa pas les expéditions, mais elle fut utilisée par la propagande carolingienne pour justifier la prise du pouvoir en 751 par Pépin le Bref. En réalité, les Arabes furent présents en Gaule jusqu'en 759. Enfin, en 750, les califes omeyyades sont renversés et remplacés par les califes abbassides qui fondent en 761 une nouvelle capitale, Bagdad. À partir de la fin du VIIIe siècle, leur pouvoir temporel

Il nous semble nécessaire de préciser certains partis pris. Tout d’abord, le nom du prophète de l’islam. Nous avons conservé l’usage de Mahomet, plutôt que Mohammed ou Muhammad, afin de respecter le choix fait par les programmes. En revanche, nous avons précisé qu’il s’agit de la forme francisée d’un nom arabe. De la même manière, on trouvera à la fois Allah et Dieu dans la mesure où Allah signifie en arabe Dieu (plus précisément Dieu par excellence, Dieu unique). Nous avons aussi fait le choix de ne présenter que des sources ou des bâtiments antérieurs au XVIIe siècle, afin de respecter les limites chronologiques du programme de 5e. Dans la même optique, nous avons rejeté toute photographie montrant des musulmans. Il s’agit de combattre l’idée, trop souvent répandue, que l’islam actuel est nécessairement identique à l’islam des origines. Cette conception est trop souvent attachée à l’étude des religions, en particulier révélées. Faut-il évoquer les schismes, intervenus parfois très tôt (ainsi entre sunnisme et chiisme) dans l’histoire de l’islam ?

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s’affaiblit : les gouverneurs (émirs) les plus éloignés de Bagdad tendent à prendre leur indépendance et les émirats deviennent héréditaires. Au milieu du Xe siècle, cette division s’accompagne d’un rejet de l’autorité religieuse des Abbassides : le monde musulman compte alors trois califats rivaux, omeyyade, abbasside et fatimide. L’enthousiasme religieux a joué un rôle important dans l’expansion musulmane, expansion d’abord arabe, puis islamique (c’est un Berbère converti à l’islam qui conquiert l’Espagne). Cet enthousiasme apparaît dès les premières victoires musulmanes. Ainsi, après la mort de Mahomet, qui avait déjà donné une orientation militaire à l’expansion de l’islam, quelques milliers de Bédouins ont mis en déroute les armées des empires Byzantin et Perse. Si ces conquérants étaient d’excellents cavaliers, habitués à des guerres de razzia, ce n’est pourtant pas la supériorité militaire qui peut expliquer l’ampleur de leurs succès. Mais l’enthousiasme n’explique pas tout et on pourra préciser que les puissants adversaires des musulmans ont été aussi vaincus en raison de leur affaiblissement – dû aux guerres qui les ont opposés entre 590 et 630 – et à cause de l’oppression politique, fiscale et religieuse que ces empires exerçaient sur les populations qu’ils dominaient (par exemple, Byzance sur l’Église monophysite de Syrie). Les conquérants musulmans se sont montrés souvent plus tolérants avec les populations soumises. Pour les musulmans, le Coran (mot syriaque quran, « récitation ») est la « récitation » faite par le prophète Mahomet, sa « prédication », qui reprend le message de Dieu que lui aurait dicté l’archange Gabriel lors de sa révélation. Pour les musulmans, le Coran est incréé, parole de Dieu donnée à Mahomet qui n’est qu’un enregistreur, sans la déformer. Aussi le Coran dans son contenu ne peut être assimilé à la Bible qui est avant tout une construction de l’Homme, avec plusieurs auteurs, parfois compilation de traditions orales (Pentateuque). Le Coran est le message de Dieu, la parole même de Dieu, et non pas une oeuvre écrite sous l’influence divine comme la Bible. La Bible est une histoire, le Coran est un recueil de préceptes, de dogmes. La beauté et la perfection de la langue du Coran sont pour les musulmans un signe de son caractère divin. Puisqu’il s’agit de la parole de Dieu, le Coran dans sa version écrite est aussi un objet sacré : la calligraphie arabe est pour cette raison dotée d’une valeur particulière. Le Coran est un message religieux qui est également doté d’une portée politique, juridique et morale car il n’admet aucune distinction entre le sacré et le profane. Le texte s’organise en 114 sourates (chapitres), organisées (à l’exception de la Sourate de l’Ouverture) par ordre de longueur décroissante (pour en faciliter la mémorisation) et surmontées d’un titre. Il compte 6211 versets. Le prophète Mahomet l’aurait reçu par fragments depuis la première révélation (vers 610) jusqu’à sa mort. Ce message aurait été recueilli au fur et à mesure (et souvent mémorisé) par les proches du Prophète au cours de sa vie. D’abord conservés par la mémoire, ces fragments ont été rassemblés en chapitres ou sourates par ordre de longueur. Idiome de quelques tribus nomades, l’arabe accède au statut de langue écrite et sacrée grâce au Coran et commence alors, parallèlement à l’expansion de l’islam, sa structuration (codification grammaticale) et sa diffusion à une aire plus large. II. Mahomet La littérature traditionnelle islamique (Coran, Hadiths et Sunna, Sîra) est très importante, voire pléthorique, mais elle est tardive. Le Coran a été complété, par des traditions (Hadiths) qui sont à l’origine de la sunna, ensemble des faits et des gestes, des paroles et des prises de position imputés au prophète. Les Hadiths sont des récits courts des actes et des propos du prophète, rapportant ses conseils, ses rapports avec les autres, ses comportements en diverses circonstances, Ces récits d’épisodes de sa vie censés avoir été rapportés par les compagnons du prophètes (mais parfois forgés plus tardivement) furent transmis d’abord oralement. Dans la multitude de Hadiths recueillis, deux grands recueils du IXe s appelés chacun Sahih, « L’Authentique », sont réputés excellents : celui du Persan El-Bokhâri (810-870) et celui de Muslim. Les Hadiths comprennent de volumineux corpus de traditions relatant les faits et gestes de Mahomet (début de rédaction dans la seconde moitié du VIIIème siècle, les textes sont définitivement établis au IXème siècle). Ces textes répondent à un projet particulier qui est de montrer comment chacun des faits et gestes de Mahomet a une valeur normative, morale ou légale

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pour la communauté musulmane. Le Coran ne fournit que très peu d’indications sur Mahomet lui-même. Une Sîra est une biographie sacrée du prophète ; ces biographies se sont construites à partir des Hadiths. Le premier à avoir organisé les Hadiths qui parlaient de la vie de Mahomet est Ibn Ishaq (mort aux environs de 767), mais on ne le connaît qu’à travers des recensions postérieures et notamment celle d’Ibn Hisham. C’est la recension la plus crédible, elle date du IXème siècle, l’auteur a sélectionné et mis en forme les hadiths pour faire une Sîra du prophète (une vie de Mahomet). Mais l’historien doit rester prudent à l’égard de ces sources religieuses. Une biographie de Mahomet paraît donc très difficile. Né en Arabie an début du VIIe siècle, Mahomet était conducteur de caravanes. L'ange Gabriel lui révèle la parole divine. Chassés de La Mecque en 622, Mahomet et les croyants se réfugient à Médine. C'est l'hégire. Ils se retrouvent dépendants de l'hospitalité des musulmans médinois. Il a pour mission de convertir à l'islam les tribus arabes. Alors Mahomet, le Prophète, n'hésite pas à renouer avec l'ancestrale tradition des nomades : la razzia. Il devient le guerrier de Médine pour assurer la survie de sa communauté. L'islam se diffuse le long des routes caravanières. À sa mort en 632, il a gagné toute l'Arabie. Mahomet a donc réussi à unifier les tribus arabes autour d'une religion. A l'époque, nul ne peut deviner les conquêtes qui vont suivre. En 631, Mahomet lui-même échoue dans son expédition en Jordanie, au nord de l'Arabie. Pourtant il a donné l'exemple et laisse après lui une communauté de croyants organisée. Son double rôle de chef religieux et politique rend sa succession difficile, d'autant plus qu'il n'a pas désigné de successeur. Ses compagnons choisissent Abu Bakr comme calife (successeur et lieutenant). Cependant des divergences apparaissent entre les sunnites pour qui le calife doit être élu parmi les membres de la tribu du Prophète. Pour les chiites, il ne peut être qu'un membre de la famille de Mahomet. Pour les kharéjites, minoritaires, il doit être le plus pieux des musulmans, « fût-il un esclave noir ». Le texte de l’historien chrétien, Guibert de Nogent (1053-1124), est l’un des premiers textes occidentaux à s’intéresser au prophète musulman Mahomet. Il procède à partir d’informations orales, mais n’a lu aucun livre susceptible de le renseigner. Aucune tolérance n’apparaît dans ce texte qui rejette entièrement l’islam. III. L’apparition de l’islam La plus grande partie de la péninsule arabique – le nord et le centre – constitue un véritable « désert des déserts », incluant d’immenses étendues de sable et de rocailles ponctuées d’oasis isolées, tandis que le sud et l’ouest reçoivent des pluies et sont cultivables. Cette «Arabie heureuse » attire les convoitises des deux grands empires voisins : l’Empire byzantin et l’Empire perse. Le désert est sillonné de pistes caravanières venant d’Arabie du Sud, de Syrie ou de Mésopotamie, qui relient la péninsule à des contrées beaucoup plus lointaines. Les habitants de la péninsule arabique avaient des modes de vie différents. Certains étaient des nomades conduisant leurs troupeaux de dromadaires, de chevaux et de chèvres d’une oasis à une autre. Ces bédouins vivaient dans des conditions très dures. D’autres étaient des agriculteurs sédentaires dans les oasis ou des commerçants et artisans dans les petites villes marchés. Les bédouins étaient divisés en tribus descendant d’un ancêtre commun. La misère ou les guerres privées (vengeances) les poussaient parfois à la razzia, au pillage. Ces nomades avaient donc des habitudes guerrières qui ont trouvé leur exutoire dans les conquêtes qui ont constitué l’Empire musulman. Au début du VIIe siècle les Arabes étaient polythéistes. Superstitieux, ils vénéraient, au sanctuaire de la Kaaba à La Mecque, plus de trois cents idoles – dont le grand dieu Hobal, idole en cornaline rouge, Al-Lât, Al-’Ozza et Manât – qui attiraient de nombreux pèlerins. La Kaaba, qui signifie littéralement « cube », est le lieu de référence symbolique et spirituelle de la totalité des sanctuaires musulmans construits dans le monde. Temple anté-islamique, construit bien avant la naissance de Mahomet, cet édifice (15 mètres de haut, 10 mètres de large sur le petit côté et 12 mètres sur la façade) « accueille » la Pierre noire qui était à l’époque qui nous intéresse – et reste aujourd’hui - vénérée par tous les musulmans. Il est construit en pierre et recouvert d’une tenture noire (la kiswa). La pierre noire (vraisemblablement une météorite) enchâssée à l’angle était – est – aussi objet de culte. La Kaaba est le pôle (qibla) vers lequel se tournent tous les

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croyants lorsqu’ils prient Allah. Selon la tradition, la Kaaba aurait été construite, sur l’injonction de Dieu, par Abraham et son fils Ismaël autour de la Pierre noire envoyée par Dieu à l’emplacement de la première maison construite par Adam et détruite par le Déluge. La Pierre noire, fragment de la maison construite par Abraham d’après la Tradition islamique, la Sunna, aurait été confiée à Abraham par l’ange Gabriel (Djibril) et, de blanche, serait devenue noire en raison des péchés des hommes. C’est donc, pour les musulmans, la seule et unique maison de Dieu – les mosquées n’étant que de simples lieux de prière et de rassemblement des croyants. Enfin, Abraham aurait institué, toujours sur l’injonction de Dieu, le pèlerinage autour de cette maison. Mahomet, en retournant à La Mecque en janvier 630 à la fin de l’exil à Médine (débuté en 622 par l’Hégire) et en détruisant les idoles placées près de la Kaaba, aurait ainsi restauré le monothéisme originel. Chaque année, La Mecque, centre spirituel incontesté du monde musulman, accueille plusieurs millions de musulmans venus en pèlerinage. Ceux-ci perpétuent le rite anté-islamique de la ‘omra, qui consiste à tourner sept fois de suite autour du sanctuaire. Les pèlerins terminent leur périple en baisant la Pierre noire. Il faut montrer la proximité géographique des communautés juive et chrétienne et souligner que les Arabes – et notamment Mahomet – avaient une certaine connaissance des grandes religions monothéistes en raison des contacts noués avec les juifs et les chrétiens vivant en Arabie ou rencontrés lors des transactions commerciales. Si la période préislamique est souvent appelée la djahiliya (« l'époque sauvage »), c'est en référence au mode de vie païen des tribus sédentaires ou semi-nomades habitant les quelques zones hospitalières de l'immense plateau désertique de l'Arabie. Chaque tribu, elle-même composée de clans, vit principalement du commerce. Celle des Qurayshites voyait s'opposer les Hâshimites (d'où est issu Mahomet) et les Omeyyades, installés dans l'oasis de La Mecque. Clientélisme et razzias forment le quotidien de ces marchands. En quelques années, Mahomet parvient à transcender cette société fragmentée et à incarner tous les aspects du pouvoir (religieux, politique et social). Mais à sa mort, il laisse un problème considérable : comment désigner un successeur alors que rien n'a été prévu pour cela ? Les futures guerres fratricides de l'islam trouvent leur origine dans cette absence de règle successorale. Le rôle joué par l’ange Gabriel – qui apparaît dans le judaïsme et le christianisme – dans la naissance de l’islam et le statut de Jérusalem, troisième ville sainte de l’islam et première qibla, montrent que la religion musulmane se présentait non comme une rupture avec le judaïsme et le christianisme mais comme leur épanouissement. Ainsi, si Mahomet est le « Sceau des Prophètes », celui qui clôt la Révélation jusqu’à la fin des temps, le musulman doit également croire à des prophètes vénérés par les fidèles des deux autres religions monothéistes, notamment Abraham (Ibrahim), Moïse (Moussa), Joseph (Youssef), Jean (Hanna), Jésus (‘Issa). Néanmoins, les tribus juives furent expropriées et expulsées de Médine par les partisans de Mahomet, certaines furent tuées. On peut voir un signe de cette rupture avec les juifs dans le changement de la direction de la prière. En effet, si elle reste la troisième ville sainte de l’islam, Jérusalem ne sera plus la qibla ; c’est désormais vers La Mecque que les musulmans doivent se tourner pour prier. La nouvelle qibla est donc orientée vers La Mecque, et plus précisément vers la Kaaba, le temple sacré. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :

Evaluation cohérente en fonction des objectifs :

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HMA – Une ville musulmane (Damas, Bagdad…)

Approche scientifique Approche didactique

Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) :

Insertion dans les programmes (avant, après) :

Sources et muséographie : A partir du Xe siècle, un genre littéraire est très apprécié dans le monde musulman : les Maqâmât. Ce terme signifie littéralement « procès-verbaux de séances » et désigne des nouvelles, parfois dialoguées, qui sont une source précieuse pour la connaissance de la vie urbaine de l’époque. Al-Hariri de Basra (1054-1122) est l’auteur des Maqâmât les plus célèbres. Ouvrages généraux : Gérard Degeorge Histoire de Damas, 3tomes (Damas, des origines aux Mamluks ; Damas, des Ottomans à nos jours ; Damas, répertoire iconographique, éditions l'Harmattan, 1997. A. Ducellier, F. Micheau, Les Pays d’islam (VIIe-XVe siècle), Hachette supérieur, 2000. G. Peyronnet, L’Islam et la civilisation islamique. VIIe-XIIIe siècles, Armand Colin, Paris, 1992. C. Picard, Le monde musulman du XIe au XVe siècle, Armand Colin, Paris, 2001. Christian Heck (dir.), Moyen Âge, Chrétienté et Islam, Flammarion, coll. « Histoire de l’Art », 1996. D. et J. Sourdel, La Civilisation de l’islam classique, Artaud, Paris, 1968 (réédition en livre de poche, 1991). Y. Thoraval, Dictionnaire de civilisation musulmane, Larousse, Paris, 1995. Stierlin H., L'Architecture de l'Islam, Au service de la foi et du pouvoir, Gallimard, coll. « Découvertes », n° 443, 2003. Documentation Photographique et diapos : Françoise Micheau, Les Pays d’islam (VIIe-XIVe siècle), Dossier de la Documentation photographique, n° 8007, Paris, 1999. Revues : L'Islam et le Coran: Un livre, une religion, des empires / Collectif, in LES COLLECTIONS DE L'HISTOIRE N° 30, Janvier-Mars 2006 : Entretien avec Françoise Micheau: La conquête arabe, un projet impérial (En un siècle, partis d'Arabie, les musulmans conquièrent un immense empire qui s'étend de l'Espagne à l'Indus. Quel fut le moteur de cette irrésistible expansion ?), L'âge d'or de l'islam (Christophe Piccard, Du VIIIe au Xe siècle, la ville de Bagdad a été au coeur d'un extraordinaire bouillonnement de la pensée. Philosophie, médecine, géographie, astronomie: dans tous les domaines, la connaissance a progressé, encouragée par les califes, pour qui le savoir était un attribut du pouvoir. Bagdad fut à la source de bien d'autres "âges d'or") « Les Arabes », L’Histoire, Hors série n° 272, janvier 2003 dont J. Loiseau, « De Bagdad au Caire. Des bâtisseurs de villes », p. 52-55, Les plus grands savants du monde (Entretien avec Ahmed Djebbar, L'Occident doit à la science arabe les chiffres et l'algèbre, et aussi des connaissances renouvelées en médecine, en astronomie, en optique. Enfin, de grands savants comme Avicenne. Un âge d'or qui a duré 500 ans, du IXe au XIIIe siècle) Revue L'Histoire, sur l’islam n° 281. « La mosquée : plus qu’un lieu de culte », Textes et documents pour la classe, n° 748, 15 janvier 1998. La science arabe, TDC, N° 686, du 15 au 31 décembre 1994 Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : L'historiographie récente préfère parler des pays d'Islam plutôt que du monde musulman. L'Islam (avec une majuscule et non islam, avec une minuscule pour signifier la religion) désigne au départ un petit groupe d'Arabes convertis à une religion monothéiste révélée par le prophète Mahomet. Les conquêtes arabes des Vile et Ville siècles ont soudé ces hommes et les nouveaux convertis en une communauté musulmane. Malgré l'islamisation, l'unité politique fut de courte durée : au Xe siècle, l'Empire éclate en trois califats rivaux ayant pour capitale Bagdad, Cordoue et Le Caire. En fait, les pays d'Islam se caractérisent par leur extrême diversité et les particularismes provinciaux ont vite repris le dessus. Ainsi coexistent ou se chevauchent les périodes des Omeyyades, des Abbassides, des Seljukides, des Almohades, des Mamlouks et des Ottomans. La société musulmane médiévale est en majorité composées de paysans. Cependant, les villes y jouent un rôle plus important que dans la chrétienté latine. Si l’islam a vu le jour sur une terre désertique, c’est dans les villes, et grâce aux élites citadines, qu’il s’est répandu sur le double plan de la foi et de la culture. Il s’agit de comprendre les fonctions qu’elles assurent, et de relever l’existence d’une culture urbaine. Le fait urbain, étroitement associé au fait commercial, est au coeur de la

Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO actuel : « Le monde musulman (4 à 5 heures) L’essentiel est de présenter Mahomet, le Coran et la diffusion de l’Islam et de sa civilisation. On insistera davantage sur cette dernière et son rayonnement, abordés à partir de l’exemple d’une ville, que sur les constructions politiques qui résultent de l’expansion. • Carte : le monde musulman au VIIIe siècle. • Documents : une mosquée. » Nouveau commentaire (socle) : « L’essentiel est de présenter l’Islam et sa civilisation. A partir de l’exemple d’une ville, on insistera surtout sur ses caractéristiques et sur son rayonnement, notamment scientifique. Les constructions politiques qui résultent de l’expansion de l’Islam ne seront évoquées que pour montrer les ruptures qu’elles introduisent au

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civilisation musulmane. On estime aujourd’hui qu’à leur apogée, les villes de Damas, Cordoue, Le Caire ou encore Samarkand, comptent environ 500 000 habitants. Bagdad, elle, atteint le million d’habitants. Dans le Bassin méditerranéen, seule Constantinople peut rivaliser, par sa taille, avec ces cités. Venise, plus grande cité d’Occident au Xe siècle, compte alors seulement 50 000 habitants (et n’atteint 100 000 habitants qu’au XIVe siècle). La cité du Caire s’est développée sur la base de plusieurs noyaux urbains. Le premier noyau urbain, qui correspond aujourd’hui au vieux Caire, est Fustat, né lors de la conquête de l’Égypte par les Arabes, et qui est devenu rapidement un centre économique important. Deux autres noyaux urbains s’y agrègent au VIIIe siècle et font du Caire au XIIe siècle une des cités les plus importantes du monde musulman. Les califes de la dynastie abbasside furent de grands fondateurs de villes. Al Mansur (754-775) fut à l’origine de Bagdad. Capitale de l’islam de 762 à 1258, Il reste très peu de vestiges archéologiques de Bagdad à cause des pillages des Mongols qui l’assiégèrent en 1258 et de l’emploi généralisé de la brique crue dans les constructions. Ce sont donc surtout des sources littéraires qui ont permis de reconstituer Bagdad à son apogée. L’une des sources les plus détaillées est la description qu’en donne Al Ya’Qûbi, géographe du IXe siècle, grand voyageur, qui consacre le début de son Livre des pays à cette ville, considérée comme le coeur de l’Empire.

sein de la civilisation musulmane. » Futur programme : « LES DEBUTS DE L’ISLAM (environ 10% du temps) L’extension et la diversité religieuse et culturelle de l’Islam médiéval sont présentées au temps de l’empire omeyyade ou de l’empire abbasside. L’étude est conduite à partir de la vie urbaine (à Damas, Cordoue, Bagdad…) et/ou de personnages (Moawwiya et Ali, Haroun el Rachid…). Elle comprend la présentation d’une mosquée. Elle débouche sur une carte qui situe le monde musulman médiéval par rapport à ses voisins. Connaître et utiliser les repères suivants - L’extension de l’islam à l’époque de l’empire omeyyade ou abbasside sur une carte du bassin méditerranéen Décrire - Une mosquée (Médine, Damas, Cordoue…) - Une ville (Bagdad, Damas, Cordoue…) » BO Seconde : « III - La Méditerranée au XIIe siècle : carrefour de trois civilisations – Les espaces de l'Occident chrétien, de l'Empire byzantin et du monde musulman – Différents contacts entre ces trois civilisations : guerres, échanges commerciaux, influences culturelles »

Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Les califes de la dynastie abbasside furent de grands fondateurs de villes. Al Mansur (754-775) fut à l’origine de Bagdad. Capitale de l’islam de 762 à 1258, Bagdad est une des plus grandes villes du monde au Moyen Âge : étendue sur des kilomètres, elle était peuplée d’environ un million d’habitants. L’emplacement de la ville a été choisi pour sa situation, entre le Tigre et l’Euphrate, au croisement des axes routiers reliant la Syrie à l’Iran et le golfe Persique à la haute Mésopotamie. La ville a été construite en quatre ans, suivant un plan circulaire d’inspiration orientale (les villes parthes comme Ctésiphon). La description de Al Ya’Qûbi peut être complétée en évoquant l’extension ultérieure de la ville. En effet, bien que de dimension importante (diamètre de 3 km), la ville ronde d’Al Mansur se développa rapidement : faubourgs des artisans et des commerçants établis autour des rues partant des quatre portes, palais du fils d’Al Mansur sur la rive gauche du Tigre (quartier de Rusafa), palais et mosquées construits par les califes successifs déterminant de nouveaux quartiers. On peut expliquer la répugnance des califes à utiliser le palais d’un prédécesseur et le symbolisme du palais comme signe de puissance (un calife en fit ainsi construire trois en 10 ans !). Sous le califat de Haroun el Rachid, vers 790, le papier est fabriqué à Bagdad. La technique de fabrication du papier est introduite au Moyen-Orient par des ouvriers chinois faits prisonniers à la bataille du Talas, en 751. En Occident, la technique n’est introduite qu’au Xe siècle par les Omeyyades (au Maghreb et en Espagne l’usage du parchemin persiste cependant jusqu’au XIVe siècle). L’architecture et la décoration de la mosquée reçurent les influences des sanctuaires existants et s’en trouvèrent fortement enrichies. Le meilleur exemple, car le plus célèbre et le plus somptueux, est celui de la mosquée des Omeyyades construite à Damas par al-Walid Ier au début du VIIIe siècle. Les califes omeyyades régnaient alors sur un vaste empire qui s’étendait du Maghreb aux confins de l’Asie centrale et tentaient d’abattre l’Empire byzantin. Pour affirmer

Activités, consignes et productions des élèves : Accompagnement Lycée : « Il convient de présenter rapidement le cadre géographique à partir de cartes, et d'expliciter les limites chronologiques du sujet (1095-1204). S'il faut éviter de dresser un tableau exhaustif conduisant à l'étude détaillée des trois civilisations du bassin méditerranéen, il est souhaitable d'en souligner les fondements religieux (catholicisme romain, islam, orthodoxie) et politiques. Le coeur de la question est bien l'idée de carrefour de civilisations. À l'aide d'un petit nombre d'exemples et de documents librement choisis, il s'agit de mettre en valeur la diversité des contacts que développent ces différentes civilisations : affrontements guerriers (croisades, Reconquista, etc.), échanges commerciaux (comptoirs), influences culturelles (syncrétisme). Entrées possibles : un carrefour exemplaire : la Sicile, un espace de contacts : l'Andalousie, etc. »

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cette puissance, il convenait de dresser une mosquée dans la nouvelle capitale califale. L’ancienne basilique Saint-Jean, elle-même édifiée à l’emplacement du temple de Jupiter, fut confisquée aux chrétiens et détruite, mais les matériaux en furent gardés, notamment les colonnes. Des artistes byzantins, ou plutôt syriens formés à la tradition byzantine, furent appelés à travailler sur ce vaste chantier. Le plan et le décor de cette mosquée montrent leur influence, en particulier le plan basilical de la salle de prière et les riches mosaïques ornant la façade et les portiques de la cour. Pour marquer la suprématie de l’islam, religion des conquérants, dans une ville en majorité chrétienne, quatre minarets furent bâtis sur les tours romaines du temenos – l’aire sacrée – du temple. La mosquée des Omeyyades de Damas a servi de modèle à la plupart des mosquées dites de « plan arabe » construites dans les pays arabo-musulmans aux premiers siècles, telles la mosquée d’Ibn Tûlûn au Caire, la mosquée des Aghlabides à Kairouan, la mosquée de Cordoue. Le caravansérail est une sorte d’auberge qui sert de halte aux voyageurs. On y trouve aussi un marché où se vendent les produits apportés par les caravanes. Avec les souks, les caravansérails sont les grands pôles commerciaux du monde musulman. Le souk est un marché couvert situé au coeur de la ville, près de la mosquée du vendredi. Les marchands proposent leurs produits à la vente dans leurs ateliers ou dans des « magasins » (de l’arabe makhzan, makhazin au pluriel). Avec la conquête d’une partie du bassin méditerranéen, les mosquées se multiplièrent, soit par le remploi de bâtiments préexistants (ainsi la mosquée des Omeyyades à Damas réutilisant les colonnes et les arcades de la basilique byzantine), soit par la construction de nouveaux bâtiments (lorsque les conquérants s’arrêtaient dans un endroit inhabité, ils construisaient une mosquée et s’installaient autour). La mosquée, dans les premiers siècles de l’islam, reprend le plan de la maison du Prophète à Médine, qui était organisée autour d’une cour centrale et dont un des murs indiquait la direction de La Mecque. Toutes les mosquées ont la même structure de base. Elles se composent d’une cour, qui rappelle le temps où Mahomet et les premiers musulmans pratiquaient la prière en commun dans la cour de la maison du Prophète à Médine. Cette cour ouverte mène à un espace couvert – la salle de prière – dont la forme permet à de longues files de croyants menées par un imam de se tourner dans la direction de La Mecque pour prier. Le minaret (de l’arabe manara qui signifie « phare » car il portait une lanterne) est la tour depuis laquelle le muezzin lance son appel, pour chaque prière, aux quatre coins de l’horizon, récitant la profession de foi (dans les premiers temps de l’islam, l’appel à la prière se faisait du haut du toit de la salle de prière). Le muezzin était de préférence aveugle afin qu’il ne puisse pas voir les femmes dans les cours en contrebas. Les croyants se disposent en rangs parallèles au mur de qibla, en largeur puis en profondeur, de manière à bien voir l’imam et à répéter avec lui les prières. Cette nécessité a influencé le plan de la salle, plus large que profond. Le mihrab est une niche qui indique la direction de La Mecque. Cette niche vide symbolise l’inaccessibilité divine. Elle se trouve à proximité immédiate du minbar, chaire d’où prêche l’imam. La mosquée est le centre de la vie religieuse urbaine mais elle est aussi un lieu d’enseignement, un lieu où on débat de politique et où en rend la justice. Le minaret permet au muezzin de lancer l’appel à la prière. Avant de se réunir dans la salle des prières, les fidèles pratiquent leurs ablutions purificatrices autour de la fontaine. Ils se retrouvent tous le vendredi dans la salle des prières, sous la direction de l’imam, installé sur une chaire (le minbar, rappel du siège d’où Mahomet s’adressait à ses disciples). Le mihrab, une niche située dans un mur, indique aux croyants la direction de La Mecque. La culture musulmane est brillante. Ce prestige repose sur l’avance des savants musulmans dans tous les domaines du savoir, en particulier dans les sciences. Les souverains jouent un rôle important dans le dynamisme culturel musulman. Ce sont souvent des lettrés, qui financent artistes et savants. Ils se montrent très curieux de la philosophie antique. Les dirigeants du monde musulman accordent une grande importance au développement scientifique, artistique et culturel. Le calife al-Mamun (calife abbasside de 813 à 833) sollicite les empereurs byzantins et obtient par leur intermédiaire, grâce à de riches présents, des ouvrages de l’Antiquité grecque, qu’il fait traduire. Les califes abbassides construisent à

Les conquêtes des XIe-XIIe s. Au XIe siècle, l’unité du califat a disparu car l’empire musulman s’est fragmenté en plusieurs entités indépendantes. On y trouve des forces régionales dont certaines dynasties qui mettent fin au califat unique : c’est le cas des shi’ites fatimides qui s’emparent du pouvoir en Ifriqiya, se proclament califes (909), s’emparent de l’Égypte (969) puis du sud de la Syrie et des Lieux saints d’Arabie ; ou encore du prince omeyyade de Cordoue, qui prend également le titre de calife en 929 pour contrer le calife fatimide et défendre le sunnisme. Mais aussi des territoires soumis à de nouveaux conquérants convertis à l’islam, comme les Turcs ou encore les Berbères. Au XIIe siècle, l’islam politique comme religieux est donc très éclaté. À l’Est, le califat sunnite de Bagdad, de plus en plus contrôlé par les Turcs seldjoukides ; en Égypte, le califat chiite fatimide disparaît en 1171, et un émir sunnite, Saladin, établit au Caire le sultanat ayyubide, étendant son autorité sur l’Arabie et la Syrie ; enfin, au Maghreb et en Espagne, les souverains berbères almoravides puis almohades règnent. À l’ouest, al-Andalus (où le califat omeyyade a disparu officiellement en 1031, donnant naissance à plus de vingt royaumes de taifas ou « factions ») passe sous la domination des Berbères originaires de l’Occident maghrébin : les Almoravides (1086-1147), puis les Almohades (1147-1266) unifient sous leur autorité l’ensemble du Maghreb et al-Andalus (qui ne cesse de se rétrécir sous l’effet de la Reconquista). Le domaine fatimide, centré sur l’Égypte et Le Caire, s’étend jusqu’à la Syrie et aux Lieux saints de l’islam en Arabie. Enfin, l’Orient musulman est sous domination seldjoukide, mais ce vaste empire est lui-même divisé en de multiples principautés. Un calife mécène Septième calife abbasside, al-Mamun régna à Bagdad de 813 à 833. À la mort de son père Harun al-Rashid en 809, le pouvoir fut partagé entre son frère aîné al-Amin et lui-même. Mais, après quatre années d’une guerre civile acharnée et meurtrière, il s’imposa comme seul successeur. Toute la politique d’al-Mamun fut dictée par la volonté d’assurer l’unité et la grandeur d’un vaste empire, notamment par le contrôle personnel de l’administration et de l’armée, par la lutte contre toutes les formes de dissidence, par la reprise de la guerre contre l’Empire byzantin, par l’adoption du mutazilisme (école de théologie qui argumente en faveur de l’unicité divine par le recours à la philosophie grecque) comme doctrine officielle. Le soutien apporté par le calife al-Mamun aux sciences s’inscrit dans

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Bagdad en 832 une « Maison de la Sagesse », attenante au palais califal. Elle comporte un observatoire astronomique et une école supérieure et accueille un groupe de traducteurs et de savants chargés de recueillir et d’approfondir les connaissances collectées. Cela illustre le rôle de « mécènes » joué par les califes abbassides jusqu’au Xe siècle dans la diffusion de la science et la recherche intellectuelle. Les autorités politiques, l’aristocratie ou les riches négociants du monde musulman se font un devoir de promouvoir l’accès à la science : de nombreuses madrasas ou medersas (collèges, universités sous l’autorité religieuse), des universités et d’impressionnantes bibliothèques construites sur leur ordre, permettent un épanouissement scientifique sans pareil. L’art du livre, une des disciplines les plus prestigieuses de la culture musulmane, s’est principalement développé autour de la réalisation des manuscrits reprenant la récitation de Mahomet, livre sacré par excellence. L’interprétation de plusieurs hadiths du prophète a conduit à l’interdiction de la figuration d’êtres animés. Cela a conduit au développement de l’art de la calligraphie, de l’enluminure décorative et de la reliure, qui se sont particulièrement épanouis dans la confection du Coran. Cela permet de souligner l’importance de la religion dans le monde musulman et son rôle moteur dans le développement culturel et scientifique de l’islam. La science arabe s’appuie sur les connaissances acquises lors des siècles passés (Antiquité grecque, notamment) mais aussi sur celles d’autres civilisations (Inde, Chine…). Contrairement à ce qu’on a longtemps laissé entendre, le rôle des scientifiques musulmans ne se borne pas à celui d’intermédiaires : les connaissances recueillies servent de point d’appui à de nouveaux développements scientifiques. La civilisation arabe a recueilli l’héritage grec – qui a été perdu dans sa presque totalité en Occident – qu’elle s’est approprié en le complétant (notamment d’apports persans ou indiens) et en lui imprimant des marques propres. Les musulmans s’illustrent en géographie avec la figure d’al-Idrisi. Al-Muqaddasi, grand voyageur et géographe arabe du Xe siècle originaire de Palestine, nous a transmis une description détaillée du monde. Ses sympathies chiites sont évidentes, notamment envers le califat fatimide du Caire. Son oeuvre est remarquable par son extraordinaire accent de vécu, dont témoigne l’abondance des qualificatifs élogieux qui parent chaque aspect de la vie urbaine. Cette observation personnelle rend l’étude géographique vivante et concrète. Ils s’illustrent aussi en histoire. Ibn al-Athîr est l’un des plus grands historiens du Moyen Âge musulman. Bien qu’il ait été un moment volontaire du Jihad contre la troisième croisade et qu’il ait plusieurs fois voyagé à Bagdad, il a passé l’essentiel de sa vie à Mossoul. Son œuvre se caractérise par sa recherche d’universalité et son ambition. Plus objectif que la moyenne de ses contemporains, Ibn Al-Athîr nous livre une oeuvre toujours utile pour qui étudie la communauté musulmane médiévale. Ils sont aussi célèbres pour la qualité de leurs médecins. Au XIIe siècle, la médecine arabe a déjà une longue et forte tradition scientifique conservée dans de nombreux ouvrages. Ibn Sina, connu dans l’Occident médiéval sous le nom d’Avicenne, voit le jour en août 980 dans une famille persane. Passionné de sciences et de philosophie mais rétif à Aristote, il s’oriente vers les sciences médicales et écrit le Canon de la médecine dont la rédaction dura sept ans. Il veut faire mieux qu’Hippocrate et Galien réunis. Le Canon rassemble tout le savoir médical de l’époque, enrichi des observations de l’auteur. Il prescrit, en cas de maladie grave – conseil devenu célèbre – de soigner en urgence les symptômes avant de s’attaquer aux causes. Il donne des prescriptions pour préparer 760 médicaments. Célèbres aussi pour leurs connaissances en astronomie. La science arabe ne remet pas en cause la disposition géocentrique de l’univers mise en place par Ptolémée, dont la traduction de l’Almageste est réalisée en 825. La terre est ronde et immobile au centre de l’univers. Autour d’elle, la toile du ciel pivote avec des étoiles fixes les unes par rapport aux autres ; des cercles emboîtés tournent autour de la terre, d’autres cercles non centrés sur la terre (les Excentriques) et d’autres encore dont le centre est lui-même mobile dans l’univers (Les Épicycles) composent l’univers observable. Des observatoires sont mis en place à Bagdad et à Damas. L’astronomie est indispensable pour des raisons religieuses et pratiques : l’heure des prières, la direction de La Mecque, l’apparition du croissant lunaire indiquant le début du jeûne du ramadan. Le développement des astrologues n’a rien de très original tant l’idée qu’il existe

cette politique générale : élaborer une culture nouvelle, d’expression arabe, intégrant l’ensemble des héritages persans et hellénistiques. Par quels moyens ? En accordant de larges pensions aux savants qui trouvaient ainsi un moyen d’existence en favorisant les traductions du grec, du syriaque, du pehlvi en arabe, en enrichissant la bibliothèque de son palais (appelé en arabe « Bayt al-hikma » ou « Maison de la sagesse ») d’ouvrages nouveaux et en l’ouvrant aux hommes de sciences et de religion qui s’y réunissaient volontiers, en finançant les travaux scientifiques (notamment de longues séries d’observations astronomiques), en commandant des livres sur les sciences nouvelles (al-Khwarizmi écrit un traité d’algèbre à sa demande), en réunissant à sa cour traducteurs, lettres et savants, de toutes origines et de toutes confessions, pour de longues soirées de discussions et de controverses.

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une influence astrale et que l’homme peut la lire dans le ciel est répandue dans les milieux de cour (les astres influent sur les différentes parties du corps, c’est pourquoi les astrologues sont souvent aussi des médecins). En Occident, l’astrologie renaît au XIIe siècle par l’intermédiaire des traductions de traités arabes. Enfin, ils innovent dans les techniques d’irrigation. La maîtrise des techniques hydrauliques est vitale dans un environnement où l’eau est rare et précieuse. Ibn al-Razzaz Jazari est un des plus grands ingénieurs et mécaniciens du Moyen Âge. Ses travaux décrivent plusieurs types d’horloges à eau et de machines pour pomper l’eau. On lui attribue l’invention de la saqiya. La « pompe hydraulique » a été décrite par le savant vers 1206 dans son ouvrage « le Livre des Automates ». De l’eau se déverse dans un bassin. Elle s’écoule ensuite vers une roue à godets qu’elle actionne, mettant ainsi en mouvement une série d’engrenages (roues dentées). Ces engrenages ont une double action : ils font tourner un boeuf accroché à l’axe vertical (comme si le boeuf était la force motrice de l’ensemble) et actionnent une roue élévatrice où sont fixées des jarres, roue qui déverse de l’eau dans une rigole située en haut de l’automate. La civilisation musulmane disposait d’une réelle avance technique en matière d’irrigation. Après la prise de Tolède en 1085, les chrétiens ont le plus grand mal à préserver les systèmes d’adduction d’eau et d’irrigation. De nombreuses cultures périclitent faute d’entretien. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :

Evaluation cohérente en fonction des objectifs :

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HMA – Al Andalus au XIIe siècle, un espace de contacts ?

Approche scientifique Approche didactique

Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) :

Insertion dans les programmes (avant, après) :

Sources et muséographie : Ouvrages généraux : Pierre Guichard, L’Espagne et la Sicile musulmanes aux XIe et XIIe siècles, Presses universitaires de Lyon, 1990, 3e éd., 2000. P. GUICHARD, El Andalous, Hachette Littératures, 2001. R. Durand, Musulmans et Chrétiens en Méditerranée occidentale, Presses Universitaires de Rennes, 2000. D. Urvoy, Penseurs d’Al-Andalus, la vie intellectuelle à Séville et Cordoue au temps des empires berbères, PU Mirail, 1990. A. Rucquoi, L’Espagne médiévale, Les Belles Lettres, Paris, 2002. J. Vernet, Ce que la culture doit aux Arabes d’Espagne, Sindbad, 1985, 2e éd., 2000. L. CARDAILLAC (dir.) Tolède XIIe-XIIIe siècles. Musulmans, chrétiens et juifs : le savoir et la tolérance, Autrement, n° 5, Paris, février 1991. CARIOU D., la Méditerranée au XIIe siècle, PUF, coll. Que sais-je, 1997. G. Jehel, La Méditerranée médiévale de 350 à 1450, Armand Colin, coll. « Cursus », Paris, 1992. CARPENTIER J., LEBRUN F. (sous la dir. de), Histoire de la Méditerranée, Le Seuil, 1998. E. LEVI-PROVENÇAL, Histoire de l'Espagne musulmane, Maisonneuve et Larose, 1999. « Le mythe andalou », M.A.R.S. (Le Monde Arabe dans la Recherche Scientifique), revue éditée par l'Institut du monde arabe, n° 9,1998. Documentation Photographique et diapos : Revues : Les collections de L’Histoire, « L’Espagne », n° 31, avril-juin 2006 : Chrétiens, Juifs, musulmans... (Joseph Pérez, L'Espagne doit-elle pour autant être considérée comme un modèle de tolérance ?), Les Mozarabes: des chrétiens qui parlent l'arabe, La véritable histoire du Cid (Patrick Henriet, sur cette figure énigmatique de guerrier chrétien dans l'Espagne musulmane), Las Navas de Tolosa: Le grand choc (Denis Menjot, La victoire des armées des 5 royaumes chrétiens coalisés sonne le glas de la présence de l'islam en Espagne), "Reconquista" contre "Jihad": un même idéal de guerre sainte. L'Islam et le Coran: Un livre, une religion, des empires / Collectif, in LES COLLECTIONS DE L'HISTOIRE N° 30, Janvier-Mars 2006 : Comment être non-musulman en terre d'islam (Esther Benbassa, De fortes minorités juives et chrétiennes ont vécu dans les sociétés musulmanes après la conquête. Ces "peuples du livre" bénéficiaient d'un statut particulier, tout à la fois de protection et d'infériorité), Musulmans et chrétiens, l'entente cordiale (Pierre Riché, Les croisades ont tendance à faire oublier que de nombreux échanges ont existé entre chrétiens et musulmans au VIIIe siècle. De l'envoi par le calife de Bagdad d'ambassadeurs chargés de présents à Charlemagne à la coexistence pacifique entre les "gens du livre" dans l'al-Andalus) Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Une carte peut montrer la rapidité de la conquête musulmane dans la péninsule Ibérique. En 711, un chef berbère, Târiq ibn Ziyâd, franchit le détroit qui sépare l'Afrique de l'Espagne, à la tête d'une troupe de berbères islamisés. Il laisse son nom au rocher (Jebel Târiq ou Gibraltar). La conquête est facilitée par l'affaiblissement de l'emprise wisigothique dans la péninsule et par l'absence de soutien de la population locale. En 711, le roi Rodrigue est battu, Târiq ibn Ziyâd marche sur Cordoue, Tolède... Rapidement, la quasi-totalité de la péninsule est sous domination musulmane et une nouvelle province, al-Andalus, y est créée. Comme les Romains ou les Wisigoths avant eux, les musulmans délaissent les montagnes du Nord, réputées inhospitalières. Ils tentent quelques incursions au nord des Pyrénées, vers la Gaule. Le peuplement de l’Andalousie est une véritable mosaïque, où les conquérants musulmans ne sont qu’une faible minorité. L’énorme majorité de la population est formée d’Espagnols, notamment mozarabes, dont les communautés sont régies par les évêques. Les mozarabes sont les chrétiens qui ont accepté la domination de l’islam après la conquête du VIIIe siècle. Sur le plan religieux, on distingue trois espaces en Espagne : dans le Nord les chrétiens sont majoritaires, dans le Sud ce sont les musulmans même s’il subsiste de nombreux mozarabes. En revanche, dans les régions du Centre, les différentes communautés cohabitent sans qu’aucune ne soit dominante. Sur le plan politique l’Espagne est divisée en deux ensembles. Le Nord comprend plusieurs royaumes chrétiens, notamment la Castille et l’Aragon qui s’unit à la Catalogne en 1137. Le Sud appelé Al-Andalus

Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO Seconde : « III - La Méditerranée au XIIe siècle : carrefour de trois civilisations – Les espaces de l'Occident chrétien, de l'Empire byzantin et du monde musulman – Différents contacts entre ces trois civilisations : guerres, échanges commerciaux, influences culturelles » Le programme de Seconde s’articule autour de l’étude de quelques moments clés de l’Histoire aux fondements du monde contemporain. Le XIIe siècle en Méditerranée apparaît à ce titre capital : les trois civilisations qui la bordent sont à un tournant de leur histoire. On souligne l’évolution divergente des trois civilisations avec l’essor des chrétiens d’Occident, le déclin irrémédiable des Byzantins et le maintien de l’influence musulmane malgré des divisions. L’Occident chrétien occupe l’Europe du

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est aux mains des musulmans almoravides. En effet entre 1090 et 1094, Ibn Tachfine rétablit l’unité de l’Espagne musulmane. Les souverains almoravides sont les champions d’un islam austère, ils protègent la culture de l’Andalousie musulmane et la diffusent dans le Maghreb. La Reconquista est un bon exemple de la complexité des situations. Elle n’est pas une entreprise obstinée de huit siècles (711-1492) menée par les royaumes chrétiens du nord pour récupérer ce que l’invasion musulmane leur a ôté depuis 711, dans la mesure où la frontière entre islam et chrétienté est globalement stable entre le VIIIe et le XIe siècle. Elle s’inscrit en revanche dans l’expansion occidentale qui prend corps à partir des Xe et XIe siècles et participe donc d’une logique commune, fondée sur le développement et les progrès du système féodal en Europe, qui prend des formes différenciées sur chacun des fronts de l’expansion. Elle est l’une des phases de constitution du nouvel espace méditerranéen. La prospérité d’Al-Andalus repose sur le dynamisme de l’artisanat (métallurgie, textile) et les performances d’une agriculture disposant de moyens techniques modernes (moulins). La richesse vient aussi de la vitalité commerciale des villes : les marchands vivent dans l’aisance à Cordoue, le port d’Almeria est une plaque tournante du commerce méditerranéen entre l’Occident et l’Orient (Alexandrie, Syrie).

Centre et de l’Ouest, il se caractérise par la puissance de l’Église catholique, une société féodale hiérarchisée et un grand dynamisme des villes et des campagnes. L’Empire byzantin s’étend sur les Balkans et l’Anatolie et se caractérise par l’orthodoxie, son unité politique, son administration centralisée. Il connaît une crise économique et sociale. La civilisation musulmane domine le sud du bassin méditerranéen de l’Anatolie à l’Espagne. L’islam, une culture urbaine raffinée, une impossible unité religieuse et politique malgré un idéal universel en sont les principales caractéristiques. L’hostilité réciproque de ces trois civilisations s’explique surtout par les différences religieuses.

Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : I. La cohabitation des communautés Musulmans, chrétiens et juifs cohabitent en Espagne depuis le VIIIe siècle. Cette longue histoire explique l’originalité des relations entre les communautés. Datant de 960, la Bible de Saint-Isidore (Léon, bibliothèque de San Isodoro) contient 78 miniatures illustrant des passages de l’Ancien Testament. La miniature est le résultat du travail du miniator, peintre chargé de rehausser au rouge minium les lettrines et les passages importants d’un texte, et qui désigne par extension les représentations figurées illustrant un manuscrit (l’enluminure, qui contient la racine latine lumen, « lumière », est un terme plus générique qui désigne le décor des manuscrits, en même temps que l’art de créer ce décor). Même si la région a été épargnée par la conquête arabe, la Bible est fortement influencée par les traditions arabes. On remarque en particulier les entrelacs stylisés de l’arbre et les formes géométriques qui composent le feuillage, à l’opposé de toute influence naturaliste. Cette Bible mozarabe manifeste la tolérance accordée aux chrétiens installés en terre musulmane. Bénéficiant du statut de dhimmi, ils peuvent continuer à exercer leur culte. Les couleurs très vives, les lignes courbes, les motifs géométriques sont directement empruntés à l’art islamique. Autre exemple de style mozarabe : le manuscrit des Commentaires sur l’Apocalypse de saint Jean (Gérone). Ce manuscrit contient des Commentaires sur l’Apocalypse de saint Jean par le moine Beatus. Il date de 975 et est aujourd’hui conservé dans le Trésor de la cathédrale de Gérone. L’enluminure représente une église mozarabe stylisée avec en son centre, dans un arc outrepassé (en fer à cheval), un autel en forme de « T » sur lequel est posé un calice. Au-dessus de l’autel, des tentures embrassées. L’ensemble témoigne de quelques aspects de la liturgie mozarabe. Outre l’usage de l’arc en fer à cheval, typique de l’architecture mozarabe, on notera le schématisme du dessin qui est caractéristique de la peinture des manuscrits mozarabes. Cet art reflète bien les influences de l’art islamique dans les communautés chrétiennes de la péninsule Ibérique. Même pendant la Reconquista, les Aragonais reconnaissent le droit aux musulmans de continuer à habiter en territoire chrétien. Après la prise des villes musulmanes par les Aragonais, des traités de capitulation sont signés et fixent les conditions de la cohabitation entre les deux communautés. Celui de Tudèle est le seul de ces textes qui soit parvenu jusqu’à nous. La charte a été rédigée en 1119. À cette date, selon la carte, la ville vient d’être reprise par les chrétiens aux musulmans. Située dans la province actuelle de Navarre, Tudèle (Tudela) est une place forte fondée en 802 par les musulmans pour défendre le nord-est du royaume d’al-Andalus. Sa position stratégique sur un pont traversant l’Ebre fait d’elle un avant-poste musulman au rôle décisif face aux attaques des chrétiens de Pampelune ou de Castille. Les rois d’Aragon, soutenus par des seigneurs du sud

Activités, consignes et productions des élèves : Accompagnement Lycée : « Le coeur de la question est bien l'idée de carrefour de civilisations. À l'aide d'un petit nombre d'exemples et de documents librement choisis, il s'agit de mettre en valeur la diversité des contacts que développent ces différentes civilisations : affrontements guerriers (croisades, Reconquista, etc.), échanges commerciaux (comptoirs), influences culturelles (syncrétisme). Entrées possibles : un carrefour exemplaire : la Sicile, un espace de contacts : l'Andalousie, etc. » Les contacts entre les civilisations sont définis selon trois types de relations : les guerres, le commerce, le mélange des cultures. Au-delà de cette séparation en trois domaines, l’étude des contacts doit faire ressortir plusieurs grandes idées. Les civilisations ne sont pas fermées sur elles-mêmes mais entretiennent au contraire des liens qui s’intensifient au XIIe siècle. Ces relations sont loin de se limiter aux guerres, même si celles-ci en constituent un aspect essentiel. Le programme insiste particulièrement sur le syncrétisme culturel. Les terres de confrontation entre mondes musulman, chrétien et byzantin (Palestine franque, Espagne de la Reconquista, Sicile normande) sont en effet celles où s’épanouissent le plus nettement syncrétisme artistique et échanges culturels. Ces échanges particulièrement fructueux ont laissé leur trace dans l’architecture, la science et la littérature, et ont eu un impact formidable sur le destin de l’Occident.

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de la France, luttent avec ardeur au XIe siècle pour élargir leur domination aux dépens d’al-Andalus. Le roi Alphonse le Batailleur (1104-1134) réussit, après de longs combats, à prendre Tudèle en février 1119, après avoir conquis la ville de Saragosse. Tudèle devient alors un poste défensif pour la frontière sud du royaume de Navarre. Le roi Alphonse d’Aragon, qui vient de s’emparer de la ville, autorise les musulmans à « rester dans les maisons qu’ils ont à l’intérieur pendant un an », année au terme de laquelle ils devront s’installer dans les faubourgs de la ville. Il garantit aussi aux musulmans l’usage de leur mosquée et l’exercice de leur religion, la liberté de déplacement et le droit de garder tous les biens qu’ils possèdent. Il les place aussi sous la seule autorité de leurs juges (cadis) et d’un système juridique particulier : ils ont leurs propres tribunaux, leurs lois, leurs juges. Le roi chrétien accorde donc une large tolérance aux musulmans. En fait, le roi tente de préserver une partie des populations musulmanes en place car il en a besoin pour cultiver la terre et maintenir le commerce tant que la colonisation n’a pas produit ses effets. Mouvement de conquête militaire, la Reconquista est aussi un mouvement de repeuplement des zones enlevées aux musulmans par des chrétiens du Nord, car beaucoup de musulmans fuient devant l’avance chrétienne (en accord avec les prescriptions de la sharî’a qui leur déconseille fortement de vivre sous le joug infidèle) et que souvent les nouveaux maîtres les expulsent. Le maintien de ce statut dépend aussi de l’évolution des rapports avec les territoires frontaliers, demeurés sous domination musulmane. De manière tout à fait significative, le texte précise un peu plus avant : « Sous réserve que les Almoravides ne modifient pas le statut des mozarabes, les chrétiens maintiendront celui des Maures de Tudèle. » Roi de León et de Castille, mélomane averti, Alphonse X le Sage s’entoure de musiciens espagnols, maures ou français (comme le troubadour Giralt Riquier de Narbonne). Il fait écrire et composer des centaines d’hymnes et de chansons à la gloire de la Vierge Marie. Le Cantigas de Santa Maria (1250. Madrid, bibliothèque de l’Escurial) est écrit en galicien sur le modèle du zéjel (forme de poésie araboandalouse) et contient de nombreuses et superbes miniatures. Sur l’une d’elles, deux joueurs de luth sont représentés. Le luth est l’instrument traditionnel de la musique arabe. L’harmonie musicale rejoint l’harmonie entre les deux communautés. II. Les échanges culturels et les exemples de Tolède et Cordoue Un célèbre document (une partie d’échecs entre un chrétien et un musulman, manuscrit du Livre des jeux d’Alphonse X de Castille dit le Sage, XIIIe siècle, bibliothèque de l’Escurial, Madrid) met en scène un musulman et un chrétien jouant aux échecs sous une tente. Le Franc est reçu sous la tente du musulman. On identifie très facilement le musulman grâce à son turban. Le jeu illustre le mélange des influences. Il a existé dans tout l’Orient antique de nombreux « jeux de tables » simulant un combat et consistant à déplacer des pions sur un damier, mais il est impossible de donner une date de naissance au jeu d’échecs. La Perse du VIe siècle semble avoir été le cadre où le jeu a pris une forme suffisamment proche du jeu moderne (Échec vient du persan shâh, « roi ». Employé dans l’expression shâh mât, « le roi est mort », à l’origine de l’expression « échec et mat »). Mais c’est l’expansion arabe qui a assuré au jeu d’échecs une diffusion internationale et, à la fin du Xe siècle, l’élite de la société musulmane joue aux échecs et toute une littérature leur est consacrée. Rapporté d’Inde, le jeu pénètre en Occident aux environs de l’an mil par deux voies : l’une est septentrionale, les Scandinaves commerçant sur les bords de la mer Noire rapportant l’usage arabo-persan chez eux ; l’autre est méditerranéenne, par l’Espagne, la Sicile et l’Italie méridionale. Aux XIe et XIIe siècles, le jeu se diffuse dans les couches supérieures de la société occidentale, en dépit de l’hostilité de l’Église. Il devient un jeu de cour et suscite la rédaction de petits traités ou de recueils de parties comme en témoigne le Livre des jeux du roi de Castille Alphonse X (1252-1284). La miniature renvoie à ce jeu devenu courtois, auquel s’adonnent les serviteurs ou les proches du prince. Toutefois, dans la miniature, l’entente cordiale semble démentie en partie par le fait que lances et épée restent à portée de main de l’hôte arabe, montrant ainsi une certaine méfiance par rapport aux envahisseurs. L’Espagne, qui reçut le canal souterrain (qanat) d’Iran et la roue à eau (noria) de Syrie, donne l’exemple des transformations apportées par les conquérants : les activités agricoles ont été développées grâce à l’extension des surfaces irriguées et à l’introduction par les Arabes de produits nouveaux (artichaut, abricot, canne à sucre, coton, orange, riz, etc.).

Flux commerciaux, échanges intellectuels et artistiques autant que confrontations culturelles permettent d’introduire les élèves à des concepts géographiques et géopolitiques qui prennent tout leur intérêt dans le contexte actuel de la mondialisation des échanges. En termes de savoir-faire, leur analyse permet d’aborder une nouvelle fois l’analyse et la construction de cartes historiques (cette fois sous forme de « tableau » et en valorisant la notion de « flux »), de se familiariser avec les changements d’échelle (échanges à l’échelle régionale, locale et urbaine) et de s’initier à la confrontation critique de sources mettant en valeur des points de vue différents et souvent divergents. Les apports fructueux qui résultent de ces échanges doivent aussi permettre de donner une dimension civique à ce chapitre, qui met en relief de façon particulièrement nette l’importance de la tolérance et la richesse des apports de la mixité culturelle. L’analyse des rapports de force qui règnent dans la Méditerranée du XIIe siècle enrichit aussi la réflexion géopolitique menée avec les élèves sur les impacts multiformes des confrontations entre civilisations. L’Occident, fort d’un dynamisme nouveau, nourrit son essor économique au contact d’autres peuples, s’appuie sur eux pour redécouvrir des connaissances perdues et en tire un nouvel élan culturel et scientifique. Ce constat permet de trouver dans ce chapitre la matière à une transition vers le chapitre suivant, qui concerne la Renaissance, et à une réflexion plus générale sur certains ressorts de l’histoire de l’humanité. Il existe sans doute des manières plus contemporaines d’analyser les relations au sein de l’espace méditerranéen, en étudiant la colonisation au XIXe siècle ou la décolonisation au XXe siècle, mais il ne faut jamais oublier que c’est entre le Xe et le XIIIe siècle que se mettent en place les principaux traits des relations politiques, économiques ou culturelles entre les différents pays bordiers de la Méditerranée. Le XIIe siècle est un bon point d’observation des relations comme des mutations, qui permet de comprendre les fondements de la complexité des situations actuelles.

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La ville de Tolède, sur le Tage, est attestée depuis l’époque romaine, mais ne joue véritablement de rôle qu’après que les Wisigoths en eurent fait leur capitale. La période islamique de l’histoire de la ville (711-1085) est complexe. Elle est soumise aux Omeyyades de Cordoue au début du Xe siècle, avant de devenir une taifa après la chute du califat de Cordoue au milieu du XIe siècle. C’est alors qu’elle connaît son étendue la plus grande et son plus vif éclat culturel. Elle est conquise par les chrétiens en 1085. Le débat le plus important au sujet de l’histoire de Tolède concerne la question de l’arabisation et de l’islamisation de la ville après plus de trois siècles et demi de domination islamique. L’opinion selon laquelle la ville n’aurait jamais abandonné le catholicisme romain durant cette période est aujourd’hui plus que contestée. Il apparaît clairement qu’elle est « mozarabe », au sens non pas de « chrétienne soumise à un pouvoir islamique » mais « d’arabisée ». La faiblesse du christianisme local au moment de la Reconquête est un fait désormais peu contestable et l’empreinte laissée par l’arabisation très profonde. La période qui s’étend de 1085 à la fin du XIIIe siècle constitue la phase proprement mozarabe de l’histoire tolédane : l’arabe constitue la langue de l’expression écrite et aussi pendant longtemps de la communication orale alors que les musulmans sont une très petite minorité. Aux mozarabes présents au moment de la Reconquête s’en ajoutent d’autres venus du sud de la Péninsule, resté sous pouvoir musulman, notamment après l’installation des Almohades (1147). Ils assimilent peu à peu les apports des populations du Nord, Castillans et Francs en particulier. Après quatre siècles de domination musulmane, Tolède, ancienne capitale du royaume wisigothique, est reconquise par les chrétiens (Alphonse VI de Castille) en 1085. Elle retrouve alors son statut de capitale politique et religieuse chrétienne. En schématisant un peu la situation, la ville abrite désormais quatre communautés : – des musulmans, qui appartiennent à des milieux socialement peu favorisés, car les élites musulmanes ont fui lors de l’arrivée des chrétiens ; – des mozarabes, chrétiens arabisés qui parlent l’arabe et sont restés fidèles à leur religion sous domination musulmane ; – une importante communauté juive qui parle l’arabe au quotidien et dont l’élite intellectuelle produit dans cette langue les écrits scientifiques et philosophiques, l’hébreu étant alors réservé à la liturgie et éventuellement à la poésie ; – les chrétiens ibériques, arrivés au moment de la Reconquête, qui parlent le castillan et utilisent le latin pour la liturgie et certains actes de la pratique, ainsi que des « Francs », chrétiens venus du nord des Pyrénées. Jusqu’à la bataille de Las Navas de Tolosa (juillet 1212), Tolède est la ville frontière par excellence qu’Almoravides et Almohades cherchent à reconquérir et à partir de laquelle les expéditions chrétiennes vers le Sud s’organisent. Cette situation culturelle et linguistique explique en grande partie le rôle de Tolède dans l’histoire des traductions de l’arabe en latin : des savants chrétiens venus de diverses régions d’Europe (surtout Italie et Angleterre) trouvent dans cette ville les textes scientifiques arabes qu’ils recherchent ; mozarabes et juifs arabophones sont les intermédiaires indispensables à la traduction de ces textes en latin. Les traductions se font parfois « à quatre mains » : un arabophone chrétien ou juif traduit le texte de l’arabe en castillan, avant qu’un chrétien ne le traduise à nouveau du castillan en latin. Tolède est le grand foyer culturel de l’Espagne chrétienne au XIIe siècle. La ville de Tolède comprend des édifices des trois grandes religions monothéistes : des synagogues, des mosquées et des églises. L’impression générale est celle d’un mélange des communautés, puisque l’on trouve ces lieux de culte dans toute la ville. Santa-Maria-la-Blanca était la plus ancienne synagogue de Tolède. Construite en 1180, elle se situe dans le quartier juif à l’Ouest de la ville. Son architecture reprend des formes islamiques : murs blancs, frises à partir de motifs géométriques, arcs outrepassés. Elle utilise aussi des éléments gothiques comme les colonnes polygonales. L’architecture de l’enceinte qui protège Tolède et d’une porte du XIVe siècle est clairement marquée par l’influence musulmane : la porte est en forme d’arc lobé, surmontée de bas-reliefs ornementaux typiques de l’art musulman (arcs brisés et arcs polylobés) ; enfin, les créneaux surmontant les remparts sont typiques de l’architecture musulmane. Construite au XIVe siècle par l’ordre des Hospitaliers, cette porte est une réalisation de l’art mudéjar. L’art mudéjar (mot inventé en 1859) se développe à la fin du XIIIe et au XIVe siècle en Espagne, alors que la

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domination chrétienne sur la péninsule ibérique est durablement établie. Il désigne des formes artistiques aboutissant à la synthèse entre l’art hispano-mauresque et l’art occidental (roman et gothique). Il se caractérise par un art du décor particulièrement somptueux (reliefs en stuc, mosaïques florales, incrustations de céramiques, plafonds à stalactites), la présence de formes architecturales d’inspiration musulmane (arcs lobés, entrelacs géométriques)… L’art des mudéjars (population musulmane restée sous domination chrétienne après la Reconquête) reflète bien la part prise par l’esthétique islamique dans la civilisation chrétienne de la péninsule Ibérique. Les maîtres d’œuvre et artisans mudéjars, célèbres pour leur remarquable savoir-faire dans l’art de la construction, ont bâti pour les chrétiens de très nombreux palais, couvents et églises auxquels ils ont appliqué des schémas rigoureusement islamiques. L’église San Roman, qui existait peut-être déjà à l’époque wisigothique, comporte deux parties. L’une du XIIe siècle avec des arcs en fer à cheval et des baies, situées dans la partie supérieure de l’édifice, qui n’ont pas pour fonction d’en éclairer l’intérieur mais qui servent à alléger le mur. Cette partie est assez typique d’une première phase du style mudéjar tolédan. L’autre, de la première moitié du XIIIe siècle, est visible dans le chevet et les peintures murales dans lesquelles on trouve également des influences islamiques (les faux claveaux rouges et blancs sur les arcs des nefs et certains motifs végétaux dans les écoinçons des arcs par exemple). Au XIe s., Daniel de Morley oppose l’enseignement de ses maîtres tolédans à l’obscurantisme du savoir dispensé dans les écoles latines, notamment à Paris, qui repose uniquement sur l’autorité des auteurs antiques autorisés. Tolède apparaît comme un centre de traduction majeur qui permet aux savants de l’Occident d’entrer en contact avec des textes de savants arabes ou de l’Antiquité. Sous la direction des Arabes et des savants musulmans, un enseignement de qualité y est dispensé. Sous la domination musulmane (qui dure trois siècles), Tolède (Tulaytula pour les musulmans) est une ville où cohabitent chrétiens, juifs (qui sont installés à partir du IXe siècle dans un quartier séparé, à l’ouest de la ville) et musulmans. Elle compte environ 20 000 à 30 000 habitants et s’affirme comme un grand centre culturel, notamment grâce au mécénat du calife Al Ma’mun, qui s’entoure de savants et d’écrivains et promeut le développement artistique et culturel. Prise par les chrétiens (Alphonse VI de Castille et Leon) le 25 mai 1085, elle devient un des postes avancés des royaumes chrétiens dans leur lutte contre les Maures. À partir du milieu du XIIe siècle, Tolède redevient un grand centre culturel : elle compte de riches bibliothèques, accueille des savants polyglottes qui permettent l’accès aux textes des différentes cultures et accueille du fait de ces atouts des savants occidentaux avides de savoir. Les savants chrétiens qui affluent à Tolède cherchent d’abord l’accès aux textes grecs : les commentaires d’Ibn Rushd (Averroès, 1126-1198), concernant Aristote, sont particulièrement appréciés. Gérard est né à Crémone, en Lombardie, vers 1116. Il y fait des études scientifiques et philosophiques et se passionne donc pour les écrits des Grecs. N’en trouvant que des bribes, il décide de se rendre en Espagne où il sait, comme d’autres de ses contemporains, que la domination musulmane a laissé des livres en arabe qui contiennent une part essentielle des écrits scientifiques des Grecs. Au départ, il cherche l’Almageste de Ptolémée (savant grec du IIe siècle après J.-C. qui vécut à Alexandrie, auteur d’ouvrages mathématiques, géographiques, astrologiques et astronomiques), un traité d’astronomie d’un très haut niveau technique. Il a été traduit du grec en arabe sur l’ordre du calife abbasside al-Ma’amûn vers 827-828 et est devenu alors la principale référence de l’astronomie islamique. Arrivé à Tolède en 1141, Gérard est fasciné par le nombre d’ouvrages ignorés des Latins qui s’y trouvent : il s’y installe et apprend l’arabe. La mention de ce texte montre que Gérard de Crémone cherche en priorité des ouvrages ayant trait au quadrivium (la partie « scientifique » des arts libéraux sur lesquels se fonde encore l’enseignement médiéval) mais il ne néglige pas non plus les œuvres philosophiques. On lui prête aujourd’hui 87 traductions, nombre élevé qui laisse supposer qu’il animait sans doute une équipe de traduction. L’Espagne musulmane (l’Al Andalus) se rendit indépendante du califat de Damas sous le prince omeyyade Abd al-Rahman qui, réfugié en Andalousie, se proclama émir et fixa sa résidence à Cordoue en 756. Depuis 717, le gouvernement d’Al Andalus était installé à Cordoue, au détriment de Séville. Cette primauté de Cordoue fut donc confirmée par l’installation de la dynastie omeyyade, qui réunit

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sous son autorité toute l’Espagne musulmane. Elle est le bastion de la dynastie omeyyade et est une ville tout à fait considérable à la fin du Xe siècle : peut-être 200 000 habitants à cette époque et seconde ville du monde musulman d’alors, après Bagdad. D’où sa célébrité dans le monde arabe, et encore au XIIe siècle au moment où écrit le savant Idrîsî (vers 1100-vers 1164). À la fin du Xe siècle, la ville est ruinée par la guerre civile et les pillages ; au début du XIe siècle, après trois ans de siège (1010-1013), elle est mise à sac par les Berbères. Après les événements, Cordoue est réduite au rôle d’une taifa (en arabe, « morceaux, parties » ; on désigne ainsi les principautés issues du démembrement du califat de Cordoue, entre 1019 et 1031) mais elle garde un prestige lié à son passé, dont l’immense mosquée témoigne. La ville se soulève à plusieurs reprises contre le pouvoir berbère mais ne tombe définitivement aux mains des chrétiens qu’en 1236. Cordoue était une cité prospère. Le fleuve offrait une voie d’eau pour importer les denrées et matières premières nécessaires à l’alimentation et à l’industrie. Dans les plaines environnantes, le blé et les autres produits agricoles dont la ville avait besoin étaient cultivés sur des terres irriguées, exploitées grâce aux techniques importées du Proche-Orient. Parmi les activités artisanales de la ville, l’une était particulièrement renommée: Cordoue produisait un cuir de chèvre de grande qualité, utilisé dans la fabrication de chaussures réputées jusqu’en France ou en Angleterre. Les musulmans ont également introduit à Cordoue la fabrication de cuirs décoratifs, peints et dorés. Cordoue était aussi un carrefour routier et un marché où plusieurs régions échangeaient leurs produits. Quatre fonctions dominent à Cordoue : la fonction politique, la fonction commerciale, la fonction culturelle et enfin la fonction religieuse, symbolisée par la Grande Mosquée. La croissance de Cordoue s’explique en grande partie par son site. La ville est située dans la moyenne vallée du Guadalquivir. Son emplacement a été déterminé par un pont datant de l’époque romaine qui, pendant des siècles, fut un passage obligé pour de vastes régions. Parmi les avantages offerts par le site favorable de Cordoue, le Guadalquivir, les ruisseaux et les sources de la Morena fournissaient toute l’eau désirable, la vallée et les terrasses alluviales permettaient de riches cultures. La multiplication des quartiers en dehors de l’enceinte et les agrandissements successifs de la mosquée montrent le développement urbain et l’accroissement de la population. L’ancienne capitale de la Bétique romaine, Corduba, était une petite cité endormie à l’arrivée des musulmans. L’installation du gouverneur pour le compte des califes de Damas, en 716, a inauguré le développement de la ville : premiers travaux d’édilité, restauration du vieux pont romain, début des faubourgs sud. La croissance de la ville s’est accélérée au cours du Xe siècle quand Cordoue est devenue la capitale du royaume indépendant d’Abd al-Rahman III. En dehors de Al Madina, vingt-et-un quartiers se sont formés, dans toutes les directions, et des résidences califiennes comme Madinat az-Zahra et Madinat az-Zahira ont constitué le noyau de nouvelles villes. Cordoue se présente comme la ville islamique typique avec ses fonctions de base : religieuse, politique et économique. L’importance de la fonction religieuse apparaît dans la splendeur de la mosquée, construite, agrandie et modifiée entre 785 et 987, remarquable par ses dimensions (rectangle de 130 mètres de large sur 180 mètres de long) et la beauté de son mihrab. Le nombre de mosquées de quartier prouve également l’importance de cette fonction religieuse. Centre politique, Cordoue possédait un palais (al-Qasr ou Alcazar) situé face au Guadalquivir : résidence du calife, il abritait aussi ses serviteurs et les fonctionnaires. La fonction économique apparaît dans le grand marché (tisserands, marchands de soie et de lin, parfumeurs, droguistes, etc.), les caravansérails et la richesse des négociants. Cordoue était le foyer d’une brillante civilisation ; capitale de l’islam espagnol, elle rivalisait alors avec les villes musulmanes d’Orient et restait sans égale dans le monde occidental. Cordoue a un rayonnement culturel important grâce à la splendeur d’une mosquée qui fait l’émerveillement des musulmans et des chrétiens. Cette ville est aussi réputée pour ses savants illustres à une époque où la science musulmane est à son apogée. Commencée au VIIIe siècle, la Grande mosquée de Cordoue est constamment agrandie jusqu’au XIIe siècle. Elle occupe une place considérable au centre de la ville. Cette immense salle de prières est constituée de nefs perpendiculaires à la qibla, sur le modèle de la mosquée Al-Aqsa de Jérusalem. Les arcs outrepassés se caractérisent par une alternance de pierres blanches et rouges qui rappelle l’art

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byzantin, tandis que leur forme lobée les rattache à l’art musulman. Il se dégage une impression de calme, de sérénité renforcée par la sobriété de la décoration, composée de motifs géométriques et végétaux. À partir de 1523, une cathédrale est érigée au centre de la Grande Mosquée à l’initiative de l’évêque et du chapitre cathédral, en dépit des protestations de la municipalité. En 1526, Charles Quint déclare : « Ce que vous avez fait, on le trouve partout, ce que vous avez détruit était unique »… Construit entre 785 et 987, cet édifice associe des formes et des motifs d’origine orientale, romaine et wisigothique. Agrandie à trois reprises, parallèlement à la croissance de la ville, la grande mosquée a été tout d’abord édifiée par l’Omeyyade Abd al-Rahman Ier. L’édifice rectangulaire, en pierre, comprend onze nefs orientées nord-sud, perpendiculairement au mur de la qibla. Les nefs sont séparées par de fines colonnes de marbre, unies dans le sens longitudinal par deux rangées d’arcs très originaux, à claveaux alternés rouges et blancs. Les arcs inférieurs sont outrepassés – en fer à cheval –, ne jouant pas de réel rôle de support, et sont surmontés d’arcs en plein cintre de soutien. Cette disposition, unique en son genre, a permis la construction d’un vaste édifice reposant sur des piliers dont le faible encombrement donne aux fidèles une visibilité maximale. On parle de la « forêt de colonnes » de la mosquée de Cordoue. La salle de prière en compte environ 850, contre plus de 1 000 au départ. Elles ont été récupérées sur les ruines de monuments romains ou wisigothiques. Dans la partie la plus ancienne, les chapiteaux sont tous différents. Les colonnes sont de granit, de jaspe et de marbre. Les arcs dits « en fer à cheval » semblent se superposer sans fin. Comme ces arcades n'étaient pas très hautes, l'architecte, dont le nom est resté inconnu, a en l'idée de les assembler par deux, l'une au-dessus de l'autre, s'inspirant probablement de l'aqueduc romain de Los Milagros à Mérida. Les voussoirs sont tous semblables, peints en blanc et ronge. L'effet visuel est surprenant : l'espace semble fuir dans tontes les directions en se répétant à l'infini. Elle fut agrandie plusieurs fois mais la structure et l'harmonie ont été respectées. La salle compte 19 vaisseaux et 36 travées mais la hauteur n'est que de 11 mètres. Au fond se trouve un magnifique mihrab orné avec raffinement, construit au Xe siècle sous Al-Hakam II, fils d'Abd al-Rahman III. Le mihrab de la mosquée est surtout une niche en arcade, le mihrab évoque le toit d’une mosquée ou encore la voûte céleste. Une étude du mihrab de la mosquée de Cordoue peut permettre de remarquer quelques aspects de l’art islamique – arc outrepassé, arcs trilobés, utilisation de la mosaïque pour réaliser des décors végétaux ou calligraphiques –, expression artistique raffinée au service de la foi. Al- Idrîsî décrit avec émerveillement la Grande Mosquée de Cordoue, qu’il a sans doute visitée, et reste fasciné par les éléments de son architecture : les arcs superposés qui donnent l’impression d’une forêt d’arcades hautes de près de 6 mètres, le plafond à caissons ouvragés où l’on trouve des mosaïques dont on sait qu’elles ont été réalisées par des maîtres byzantins appelés pour l’occasion, qui ont su adapter les motifs au goût et aux exigences de l’islam. Entreprise par Abd al-Rahman Ier en 785, elle est agrandie une première fois par son petit-fils Abd al-Rahman II au milieu du IXe siècle, remaniée à partir de 962 par Abd al-Rahman III et encore agrandie sous le successeur de ce dernier, al-Hakam II, à partir de 961. À cette époque, la mosquée est une véritable oeuvre d’art et aussi un centre d’enseignement très renommé. Idrîsî est bien conscient de la situation de la ville à son époque. À la fin du Xe siècle et au début du XIe siècle, la ville est ruinée par la guerre civile et les pillages. Nombreuses sont les élites qui prennent le chemin de l’exil. Elles diffusent alors le savoir jusque-là farouchement gardé dans le palais des califes : tel est le cas des livres de la bibliothèque d’al-Hakam II. Les foyers de sciences se multiplient et ouvrent la voie aux traductions du XIIe siècle en pays chrétien. La ville de Cordoue, aux XIe-XIIe siècle, est un centre intellectuel très important avec plus de 70 bibliothèques où travaillent de grands savants ou philosophes. Abulcasis (Abu l-Qasim az-Zahravi, 936-1013) est un des plus grands chirurgiens arabes du Moyen Âge. Abulcasis naît à Cordoue, où il étudie la médecine et devient bientôt, du fait de ses talents, médecin de la Cour, auprès du calife Al-Hakam II. Riche de près de 1 500 pages, son ouvrage principal, connu sous le nom d’Al Tasrif (« La pratique »), est une encyclopédie médicale divisée en 30 traités. Le plus célèbre de ces traités est le dernier, exclusivement consacré à la chirurgie, qui a durablement influencé la médecine musulmane et occidentale. Il rassemble les descriptions de nombreux actes chirurgicaux et est agrémenté de schémas explicatifs, parmi lesquels près de 200 dessins d’outils chirurgicaux. Ces

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illustrations représentent différents types de scalpels, de trépans, de curettes, de forceps, de crochets… pour la pratique de la chirurgie et de l’obstétrique. Il révèle la maîtrise des médecins musulmans dans les domaines de la chirurgie oculaire, des trépanations et de l’obstétrique. Ces illustrations ont été reprises et dans de nombreux manuscrits postérieurs. Cet ouvrage fut traduit en latin près d’un siècle et demi après sa parution par Gérard de Crémone et son influence fut telle qu’il resta inscrit au programme de médecine de l’université de Montpellier pendant près de cinq siècles. Le texte présenté ici donne une description pratique de la technique de l’amputation et doit servir à l’enseignement de cette pratique aux jeunes médecins. Le premier traitement appliqué est l’administration de médicaments. Suit l’amputation si les médicaments restent sans effet. Le texte est clairement structuré selon un processus scientifique et rationnel : à la description des causes de la gangrène succède l’évocation des différents traitements possibles, envisagés sous leurs aspects pratiques. Ces traitements sont décrits avec précision et les différents cas de figure possibles sont envisagés (« Si une hémorragie survient au cours de votre travail… »). Ils laissent apparaître un véritable souci du patient et une parfaite étude de l’acte décrit. Ce texte atteste de l’incontestable avance de la médecine musulmane au XIIe siècle, à une période où la médecine occidentale en est encore à ses balbutiements. Shemuel Ha-Naguid est un personnage très représentatif de la communauté juive d’Espagne. Tout en continuant à professer sa foi (contre le versement d’un impôt spécial), il considérait la culture arabe comme un modèle à imiter. Grand poète, auteur d’ouvrages de droit et de théologie, formé dans les derniers temps de la splendeur cordouane, Shemuel Ha-Naguid occupa des fonctions administratives importantes à Grenade. Son existence correspond à une période de tolérance qui fut remise en question dans la deuxième partie du XIe siècle, lorsque des tribus musulmanes plus fanatiques (Almoravides puis Almohades) prirent le pouvoir en Andalousie et démembrèrent le califat de Cordoue. Doué de tous les talents, médecin et juriste, Ibn Rushd est le principal philosophe musulman de l’Occident. Ibn Ruschd est né à Cordoue dans l’Espagne musulmane. Issu d’une grande famille de juristes, fidèles serviteurs du régime almoravide, il perpétue la tradition familiale au service des émirs almohades en qualité de juge (cadi) de Séville (1169) puis de grand cadi à Cordoue (1180). Parallèlement, il s’exerce à la médecine, devenant même le médecin personnel de l’émir almohade, Abu Yaqub Yusuf (1163-1184). Il a écrit des traités de droit, de médecine, de physique, de grammaire mais aussi d’astronomie et de théologie qui s’inscrivent dans le courant rationaliste qui se développe à la suite de la révolution almohade (depuis 1146). Mais l’essentiel de son activité d’écrivain est de caractère philosophique : il est un grand commentateur de l’œuvre d’Aristote. Il veut retrouver la pureté de la philosophie d’Aristote en éliminant les diverses interprétations de ses prédécesseurs musulmans et des commentateurs grecs. Dans ses commentaires, il développe une interprétation personnelle de l’oeuvre du philosophe qu’il s’efforce de concilier avec sa foi en l’islam (le principe aristotélicien de l’éternité du monde met en cause l’idée de création du monde dans le temps qui est l’un des fondements des religions prophétiques, judaïsme, christianisme et islam). L’idée que l’on retrouve sans cesse dans l’oeuvre d’Averroès est que la connaissance rationnelle est nécessaire et même obligatoire pour le croyant. Il considère que philosophie et religion relèvent de domaines séparés et refuse donc de les opposer. Il affirme pour l’intellectuel le droit de penser librement. C’est son oeuvre philosophique qui lui vaudra une grande célébrité dans les universités du monde chrétien, au point qu’il est appelé « le Commentateur » (sous-entendu « d’Aristote »). Yaqub al-Mansur, fils et successeur de l’émir Yusuf, le comble encore de ses faveurs, puis lui retire sa protection entre 1195 et 1197, au plus fort de la guerre avec les chrétiens (bataille d’Alarcos en 1195), sans doute pour se concilier les ulémas (théojuristes) andalous, utiles à la mobilisation des énergies et très hostiles au philosophe pourtant issu de leurs rangs. Les livres d’Averroès sont brûlés à Cordoue en 1197. Peu de temps avant sa mort, il rentre en grâce mais n’en profite guère. Sa réputation de médecin et juriste est établie tant chez les musulmans que chez les chrétiens. En revanche, son oeuvre de philosophe a été bien reçue en Occident alors qu’elle est occultée en terre d’islam. Il doit son influence posthume à des juifs et à des chrétiens. C’est aussi Cordoue qui accueille le médecin et théologien juif Maimonide (1135-1204). La splendeur de Cordoue semble avoir marqué ses contemporains puisque de

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nombreux hommes de lettres l'évoquent dans leurs écrits (Ibn Hazm, Al-Bakri, Al-Idrisi, Ibn Hawqal...). Ils avancent tous des statistiques : il y aurait eu à Cordoue plusieurs centaines de mosquées (de 400 à 1 600 !), plus de 80 000 échoppes, environ 200 000 habitations dont 30 000 à 60 000 réservées à l'aristocratie et aux hauts fonctionnaires, des hôpitaux, des bains publics, la bibliothèque du calife composée de 400 000 ouvrages. Si les chiffres se contredisent souvent, ils témoignent néanmoins de l'admiration suscitée par Cordoue. Sa population nombreuse, son dynamisme, son éclat intellectuel impressionnent. Le géographe Al-Idrisi, né au Maroc en 1100, a fait ses études à Cordoue, qu’il appelle « ville des lumières ». Les découvertes de la science antique sont donc transmises au monde occidental enrichies de commentaires qui les réactualisent. Les savants chrétiens apprennent également beaucoup des traités de médecine et d’astronomie arabes. La découverte de tous ces textes aura des conséquences considérables dans l’évolution scientifique de l’Occident, en retard dans ces domaines face au monde musulman. Ils seront à l’origine du renouveau intellectuel et artistique que connaîtra l’Occident à la fin du Moyen Âge. III. Une hostilité toujours perceptible et les enjeux de la Reconquista Pierre le Vénérable veut traduire le Coran pour mieux démontrer que l’Islam est une religion hérétique et pour faire reculer son influence. Ce document démontre que les contacts culturels restent marqués par l’hostilité entre les religions. Dans la ville de Tolède, il existe des quartiers réservés : un quartier juif s’est constitué au Sud-Ouest de la ville. À partir de 1100, la Reconquista progresse. En 1125, l’archevêque de Compostelle, Diego Gelmirez, persuade les chevaliers espagnols que la reconquête est une guerre sainte au même titre que la libération du Saint-Sépulcre, bien qu’elle n’ait pas valeur de pèlerinage : mourir sur le Tage devient aussi glorieux que mourir sous Jérusalem. Les croisés d’Espagne reçoivent l’absolution de tous leurs pêchés. Diego Gelmirez instrumentalise encore le mythe de Jérusalem en usant d’une géographie pour le moins étonnante : le plus court chemin pour « le Sépulcre du Seigneur » passe par Cordoue et Séville ! Les chrétiens parviennent à contrôler le port d’Almeria tout au sud de la péninsule (1147-1157). Cette guerre prend la dimension d’une croisade, elle entraîne la radicalisation des musulmans sous l’impulsion des Almoravides puis des Almohades, qui prônent le Jihad pour sauver Al-Andalus. L’intolérance réciproque s’installe. La Reconquista aboutit en 1212 à la bataille de Las Navas de Tolosa qui marque le recul définitif des musulmans d’Espagne. La progression des armées chrétiennes aux dépens des musulmans s’accompagne d’une politique destinée à pérenniser l’emprise du conquérant sur ses nouveaux territoires. Les fueros accordés prévoient des conditions avantageuses pour les colons chrétiens tout en préservant quelques droits pour les mudéjars et les juifs dont la présence est indispensable à la mise en valeur du territoire. La violence n’est pas absente de la frontière. Les musulmans sous domination chrétienne peuvent posséder la terre et commercer. Ils sont reconnus par la justice. Mais l’organisation ternaire de la justice, qui oblige les plaignants à se faire accompagner de témoins d’autres communautés, ne peut faire oublier la prédominance évidente accordée aux chrétiens. Les mudéjars peuvent pratiquer leur culte et paient un tribut en échange de leur statut. La hisba est une police des moeurs qui se préoccupe en tout premier lieu du marché, lieu des échanges, et de la fraude, que surveille un magistrat spécifique (le muhtasib). Les premières ébauches de ce type de traité datent du IXe siècle ; les plus anciens conservés dans leur forme la plus achevée sont andalous et datent du XIe siècle. Celui d’Ibn Abdun, qui date du début du XIIe siècle (vers 1130), est remarquable. Notable de Séville, alors soumise aux Almoravides (1091-1147), ce juge montre une grande méfiance à l’égard des nouveaux maîtres de la région (les Almoravides), comme envers les juifs et les chrétiens, condamnés à une stricte ségrégation. On voit que les relations entre les différentes communautés sont loin d’être pacifiques et tolérantes même si les contacts au quotidien peuvent être nombreux. Le passage sur la circoncision révèle moins une ignorance des pratiques chrétiennes qu’une volonté de convertir, y compris par la force, les chrétiens de la ville. La défiance est de règle, comme l’indique le passage sur la médecine. Le juge vise à interdire les contacts quotidiens entre les représentants des différentes communautés, ce qui prouve qu’ils existent. Il

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prohibe aussi la vente de livres scientifiques aux juifs et aux chrétiens, bien conscient du retard scientifique occidental que certains savants commencent à vouloir combler à cette époque en Espagne. Tolède est la ville où le Coran fut traduit en latin. Pierre le Vénérable est le neuvième abbé (de 1122 à 1156) de la puissante abbaye de Cluny. Il a laissé une oeuvre très importante, liturgique, épistolaire, hagiographique mais aussi polémique. C’est à cette dernière catégorie qu’appartiennent divers traités contre les hérétiques, contre les juifs et contre les Sarrasins qui visent à régler leur compte à tous ces « déviants » mettant en péril la chrétienté, selon lui. Sarrasin est le nom donné par les Occidentaux aux musulmans. Il dérive du mot arabe charqîyyîn, qui signifie « oriental », et désigne une tribu du nord de la péninsule Arabique. La traduction en latin du Coran, entreprise pour la première fois à son initiative, s’inscrit dans son ecclésiologie de défense et d’illustration du christianisme. Arrivé en Espagne en 1142 pour visiter certaines abbayes clunisiennes, il rencontre sur les bords de l’Èbre (Tolède) des traducteurs scientifiques et leur commande alors la traduction d’une série de textes relatifs à l’islam, dont le Coran. Il convient de ne pas faire de contresens ni d’anachronisme dans l’interprétation de cette entreprise. Contrairement aux traductions contemporaines ou postérieures, qui visent à accéder à un corpus scientifique que les Latins ont conscience d’ignorer et révèlent un intérêt pour le monde et la langue arabes, la traduction du Coran est une oeuvre polémique. Si Pierre le Vénérable explique bien sa volonté de mieux connaître l’islam, il ne s’agit pas d’une quelconque curiosité irénique ou désintéressée : son seul but est de trouver dans le texte sacré des musulmans les arguments pour confondre l’islam, considéré comme la somme de toutes les hérésies. Il s’agit donc de le combattre. L’équipe de traduction comporte quatre personnes : deux traducteurs scientifiques versés dans l’astronomie, l’Anglais Robert de Ketton et le Slave Hermann de Carinthie auxquels sont adjoints Pierre de Tolède, probablement un mozarabe, et un Sarrasin. Cette méthode de traduction dite « à quatre mains » ou « à deux interprètes » est la mieux connue : mozarabes ou juifs arabophones traduisent de l’arabe en langue vulgaire (castillan ou catalan) un texte arabe qu’un ou plusieurs clercs transcrivent en latin. La présence d’un Sarrasin, signalée ici, est sans doute rare dans la mesure où les musulmans demeurés sous le joug chrétien ne sont pratiquement jamais des intellectuels. Il est donc sans doute difficile de trouver un arabophone musulman en mesure de donner des précisions utiles sur la phase arabovulgaire de la traduction. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :

Evaluation cohérente en fonction des objectifs :

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HMA – Charlemagne, empereur d'Occident

Approche scientifique Approche didactique

Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : En quoi l’Empire carolingien (et les 46 années du règne de Charlemagne) marque une rupture dans le haut Moyen Age ? Pourquoi commence-t-il à être appelé Europe, par opposition à l’Empire byzantin et au monde musulman ? Parmi tous les personnages historiques, Charlemagne apparaît comme celui dont la figure demeure brouillée par le mythe et la poésie, et cela malgré l’abondance de sources contemporaines qui nous le font mieux connaître. Roi barbare ou héritier des césars romains, chevalier ou tyran, allemand ou européen : les portraits ne manquent pas pour définir l’empereur Charles.

Insertion dans les programmes (avant, après) :

Sources et muséographie : Les sources, peu nombreuses mais variées (annales, récits historiques, vies de saints et vestiges archéologiques), permettent de reconstituer la période. En majorité ecclésiastiques, elles sont à prendre avec précaution, à cause de leur partialité et des erreurs chronologiques, mais elles montrent la vitalité culturelle du haut Moyen Age malgré les troubles politiques. Ouvrages généraux : Pierre Riché, Les Carolingiens, une famille qui fit l’Europe, Hachette, 1983 (1997). Pierre Riché, De Charlemagne à Saint Bernard : culture et religion, Paradigme, coll. « Varia », Caen, 1995, 223 p. Renée Mussot-Goulard, Charlemagne, coll. « Que sais-je ? », n° 471, PUF, Paris, 1998. Philippe Depreux, Charlemagne et les Carolingiens 687-987, Talandier, Paris, 2002, 159 p. L. Halphen, Charlemagne et l’Empire carolingien, Albin Michel, 1995. M. Balard, Ph. Genêt, M. Rouche, Le Moyen Âge en Occident, Hachette Université, Paris, 1990. S. Lebecq, Les origines franques (Ve-IXe siècles), Nouvelle histoire de la France médiévale, coll. « Points-Histoire », Le Seuil, Paris, 1990. Werner K.-F, Les Origines, in Histoire de France sous la direction de Jean Favier, Fayard, 1984, chapitres X à XVII. Une excellente somme des connaissances sur cette période. Jean Favier, Charlemagne, Fayard, Paris, 1999 (réimpr. 2002), 769 p. Robert Folz (1910-1996), Le Couronnement impérial de Charlemagne : 25 décembre 800, (1964) Gallimard, coll. « Folio / Histoire », Paris, 1989, 348 p. Henri Pirenne (1862-1935), Mahomet et Charlemagne, Presses universitaires de France, coll. « Quadrige / Grands textes », Paris, 1937 (réimpr. 1992, 2005), 224 p. Documentation Photographique et diapos : Revues : L. Joffredo, « Charlemagne », TDC n° 778, 15-30 juin 1999. Pour la description très précise du palais d’Aix et de ses fonctions, voir les pages 20 à 23. « Comment Charlemagne gouverne son empire » L'HISTOIRE N°328, février 2008 ; au IXe siècle, les Carolingiens sont à la tête d'un empire de près d'un million de km2. Sans langue commune ni capitale unique, rassemblant des territoires disparates, cet empire n'est ni centralisé ni unifié. Il est pourtant une réalité Michel Rouche, « Roland à Roncevaux », L’Histoire, n°3, juillet-août 1978. Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Le haut Moyen Age du Ve au Xe siécle est une période importante de peuplement de l'Europe. Les différentes invasions ont contribué à lui donner sa physionomie actuelle. Les Germains ont repris des éléments romains comme les titres de comtes, ducs, venant de l'Empire romain tardif et le latin, langue de l'écrit, mais ils en ont aussi apporté de nouveaux. De ce mélange est née la société médiévale. Quelques traits dominent la période : - le rôle croissant du clergé qui, très structuré, sert de relais à l'administration royale. Gardien de la foi et du salut, il perpétue le souvenir de l'Empire romain garant de la paix civile. Par le sacre, il donne aux rois leur pouvoir. Il prend en charge les pauvres et l'enseignement, maintient le latin comme langue écrite (on lui doit la plupart des sources sur cette période). Les évêques remplacent les magistrats du Bas-Empire romain qui ont fui vers les campagnes, ils dirigent les villes, toujours capitales des cités, mais devenues des centres religieux ; - le morcellement du pouvoir politique car, pour les Germains, l'idée d'empire est inconnue, seule la valeur guerrière compte. Le roi est un chef de guerre qui doit mener ses hommes à la victoire. Sa succession se fait entre tous ses fils, ce qui provoque des guerres fratricides pour récupérer la totalité de l'héritage paternel

Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO actuel : « Après avoir rappelé la naissance des royaumes barbares (ce qui permet d’évoquer Clovis et le royaume des Francs), les élèves étudient l’organisation et le partage de l’Empire de Charlemagne. • Carte : l’Empire carolingien. • Repères chronologiques : baptême de Clovis (496) ; couronnement de Charlemagne (800) ; partage de Verdun (843). • Documents : Aix-la-Chapelle ; les Serments de Strasbourg. BO futur programme : 6e - LES EMPIRES CHRÉTIENS DU HAUT MOYEN ÀGE Les deux empires de l’orient byzantin et de l’occident carolingien, sont situés et caractérisés dans leurs dimensions politique

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Les périodes d'unification, donc de paix civile, sont toujours l'œuvre d'un seul roi et sont précédées du massacre des rivaux de sa parentèle ; - la vassalité qui apparaît, reposant sur des relations d'homme à homme avec serments devant témoins, remplace les liens administratifs romains ; - l'importance des campagnes est accrue au détriment des villes car la richesse vient de la terre, source de nourriture à une époque de refroidissement du climat. Les villae, grands domaines fonciers, vivent en autosuffisance. Les échanges commerciaux, réduits à cause des invasions, ne concernent que des produits de luxe (soieries, épices...) apportés par des « Syriens » (Byzantins). Selon Henri Pirenne, il existe s un rapport étroit entre l'expansion de l'Islam - conquête arabe et la formation du Moyen Age occidental. En 1922, il écrit sur le sujet un article, "Mahomet et Charlemagne" dans la Revue belge de philologie et d'histoire qui aura un certain retentissement. L'article se conclut par « Sans l'Islam, l'Empire franc n'aurait sans doute jamais existé, et Charlemagne sans Mahomet serait inconcevable. » Dès lors, il va enchainer articles, colloques et conférences pour appuyer sa thèse mais n'écrira que tardivement, peu avant sa mort en 1935, son ouvrage synthétisant toutes ses recherches et portant le titre de son premier article, Mahomet et Charlemagne. Le livre aura une publication posthume, en 1937. Dans cette thèses sur les origines, il développe deux idées principales : * Une continuation de la civilisation méditerranéenne après les invasions germaniques ; les peuples dits "barbares" se romanisent tant que la Méditerranée a pu jouer son rôle d'unité politico-économique et culturelle. L'empire romain fondé sur une structure de cités et dont le commerce est centré sur la Méditerranée est donc peu touché par les invasions barbares du Ve siècle. La culture romaine peut se maintenir au bord de la Méditerranée, le rayonnement de Constantinople prenant le relai de Rome. * La conquête musulmane en Afrique du Nord, en Occident (Espagne, Corse, Sardaigne et sud de l'Italie) et en Orient rompt l'unité méditerranéenne, sépare l'Orient de l'Occident. La Méditerranée occidentale n'est plus le lieu d'échange entre Europe, Afrique et Orient mais est devenue une mer musulmane. L'Occident est alors obligé de vivre en vase clos, le pouvoir politique remonte vers le nord de l'Europe occidentale, l'État franc va se développer et une économie purement terrienne va naitre. Les historiens ont longtemps débattu de la thèse de Pirenne. Aujourd'hui, si on reconnait que la conquête arabe et l'expansion de l'Islam réduisit l'influence de l'empire romain d'Orient, les raisons d'une bascule vers le nord de l'économie par l'arrivée de l'Islam est beaucoup plus discutée. Ainsi à la fin des années 1960, Jacques Le Goff et Jean-Noël Biraben avancent l'hypothèse que la peste qui ravagea les ports de Méditerranée et les villes du sud de l'Europe ont joué un plus grand rôle dans ce basculement. De plus les contacts commerciaux en Méditerranée ne cessèrent jamais. Les historiens avancent aussi comme cause du développement nord-européen au Moyen-Age une paix relative, une cohésion religieuse et une période climatique favorable. Grâce à l’appui du pape, Charlemagne peut porter le titre impérial romain trois siècles après le dernier empereur romain, continuer la politique de conquêtes des Mérovingiens (notamment de Clovis) et unifier une partie de l’Occident. Selon R. Mussot-Goulard, « entre la période mérovingienne, novatrice mais troublée, et le milieu du IXe siècle marqué par les invasions scandinaves, le règne de Charlemagne apparaît comme la réussite de l’unification d’un large territoire qui s’étend de l’Elbe à l’Ebre ». L’organisation carolingienne s’appuie sur l’aristocratie laïque et les évêques. Les services centraux sont renforcés (les missi dominici). Eginhard, biographe et contemporain de Charlemagne, écrit en latin en imitant Suétone. Eginhard est né vers 770 dans la vallée du Main. D’abord élevé à l’abbaye de Fulda, il est accueilli à la cour de Charlemagne et formé par Alcuin. L’oeuvre consacrée à Charlemagne (Vie de Charlemagne) n’est pas objective. C’est un panégyrique à la façon antique. Il est tout à la gloire de Charlemagne et de la dynastie carolingienne. C’est aussi un moyen de ternir la réputation des Mérovingiens. Charlemagne, fils de Pépin le Bref, est le souverain carolingien le plus marquant

(empires chrétiens), culturelle (grec et latin) et religieuse (une religion, deux Églises). DÉMARCHES La caractérisation de chacun des deux empires se fait à partir d’exemples au choix : - de personnages (Charlemagne …) ; - d’événements (le couronnement de Charlemagne …) ; - ou d’oeuvres d’art carolingiennes (la chapelle d’Aix, orfèvreries…). L’étude débouche sur une carte de l’Europe où sont situées les chrétientés latine et orthodoxe. CAPACITES Connaître et utiliser les repères suivants − L’empire carolingien sur la carte de l’Europe au IXe siècle − Le couronnement de Charlemagne : 800 Décrire quelques grandes caractéristiques de l’empire carolingien au IXe siècle Reconnaître une oeuvre d’art carolingienne Il s’agit d’aider les élèves à prendre conscience que l’Empire carolingien veut fait renaître l’Empire romain d’Occident tombé en 476. Ainsi, Charlemagne est un empereur chrétien et romain comme le manifeste son couronnement à Rome par le pape Léon III à la Noël de l’an 800.

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par la longévité de son règne (46 ans), son charisme, ses conquêtes militaires et ses réformes. Le principal fait du règne est le couronnement impérial. Présenté comme une restauration de l'Empire romain d'Occident, il semble cependant que Charlemagne ait pu considérer ce titre d'empereur comme confié à lui seul. Il n'envisage de le transmettre que le jour où il ne lui reste plus qu'un fils, Louis, qu'il couronne empereur en 813. Après sa mort en 814, son règne apparaît vite comme un âge d'or perdu et la légende s'empare de lui. La figure de Charlemagne, empereur mythique à la barbe fleurie (fausse, car il ne portait que la moustache), survécut dans les chansons de geste (la Chanson de Roland, la Chanson des Saisnes), comme infatigable défenseur de la foi et de la justice. Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Charlemagne est à la fois roi des Francs, seigneur suzerain, conquérant, père de l’Europe et « empereur Auguste ». Parmi tous ces titres, c’est en tant qu’empereur d’Occident qu’il est le plus connu. I. Charlemagne, chef de guerre et grand administrateur Les rois mérovingiens finissent par être renversés et remplacés par une nouvelle dynastie, les Carolingiens. Bien que Pépin le Bref détienne, en tant que maire du palais, la réalité du pouvoir, renverser le dernier roi mérovingien (Childéric) n’est pas chose facile : à la jalousie, à l’opposition des autres grandes familles franques, il faut ajouter l’hérédité du pouvoir dans la dynastie mérovingienne. Pour réussir, Pépin (mort en 768) a dû faire appel au pape Étienne II. Élu roi des Francs en 751, il est sacré par le pape à Saint-Denis en 754. La même année, Ravenne est prise par les Lombards et l’Empire byzantin hésite à intervenir. Le pape demande l’aide des Francs. En contrepartie, il obtient la souveraineté sur ce que l’on appelle les États du pape. En 754, Pépin (que les chroniqueurs nommeront « le Bref » en raison de sa petite taille) est devenu le plus sûr garant de l’intégrité du « patrimoine de saint Pierre » contre les dangers de l’ennemi lombard ; nanti du titre de « patrice (protecteur) des Romains », il reçoit l’onction sacrée de la main du pape : la royauté franque est donc depuis lors de droit divin. LE ROI DES FRANCS Eginhard brosse le portrait de l’empereur. Le personnage a frappé ses contemporains par sa taille (« sept pieds », plus d’1,90 m), sa longévité (72 ans). Charlemagne est grand, d’une forte corpulence. Ses qualités physiques sont indéniables. Il a un visage avenant. Il aime l’équitation, la chasse, la natation, prendre les eaux pour soigner ses rhumatismes. Il aime à recevoir jusque dans sa piscine. Il est profondément chrétien. Il se rend fréquemment aux offices et fait construire la basilique d’Aix-La-Chapelle. Il marque aussi par les nombreux voyages qu’il impose à ses proches et les campagnes militaires. Son autorité et son sens du gouvernement sont incontestés. Il est issu d’une famille réputée d’Austrasie. Sa facilité à s’exprimer et sa curiosité insatiable lui ont permis d’attirer la sympathie des intellectuels. Il s’applique à apprendre les langues étrangères, il parle le latin correctement, il apprend le calcul, l’écriture, etc. Le premier portrait de Charles que l’on peut tracer et le premier titre dont il s’enorgueillit est celui de rex Francorum, le roi des Francs. Sa puissance, il la tient d’une nation qui, dans la seconde moitié du VIIIe siècle, reste sur le continent européen le seul ensemble politique barbare issu de la dislocation de l’Empire romain. Ce dernier demeure certes une référence en bien des domaines, notamment culturel. Cependant, jamais Charles ne renie ses origines barbares, cultivant la simplicité d’une vie parfois rustre, le goût de l’engagement physique, de la guerre et de la chasse, et le respect de traditions ancestrales. Les rares représentations qui nous sont parvenues montrent un personnage portant une épaisse moustache, compromis entre la tradition barbare et le modèle romain. Il comprend le latin, mais, peu instruit, il le parle mal, préférant le dialecte mosello-rhénan de sa famille (la lingua teudisca). Il se marie quatre fois selon le rite catholique romain, mais s’autorise quelques concubines et de nombreux bâtards, conformément aux mœurs franques. Enfin, s’il goûte aux plaisirs de la culture latine, il ne néglige pas pour autant l’histoire de son peuple et les poèmes germaniques dont il commande la transcription. En somme, Charles est encore un barbare. Mais le roi des Francs appuie son pouvoir sur un lien nouveau qui l’unit à l’Église. Charles, sacré « par l’autorité apostolique » en même temps que son père, hérite donc d’une distinction dont il tire un grand prestige. On tient son

Activités, consignes et productions des élèves : Nous avons peu de représentations de Charlemagne. C’est pourquoi la statuette équestre (24 cm de haut) du IXe siècle conservée au musée du Louvre (et qui vient du trésor de la cathédrale de Metz) est célèbre. Elle était à l’origine dorée. Son intérêt réside dans les attributs impériaux : la couronne, le globe que tient l’empereur, et le manteau impérial. Le cheval date du IVe siècle et le cavalier du IXe siècle. On ne sait si elle représente Charlemagne ou Charles le Chauve. Elle montre un empereur franc avec les insignes du pouvoir mais qui garde un aspect romain (toge, représentation équestre). Les arguments qui plaident pour une représentation de Charlemagne viennent de la comparaison avec la description de l'empereur dans la Vie de Charlemagne d'Eginhard, chroniqueur franc : grand (1,92 m), massif, ventru, un cou très court, portant une moustache épaisse (et non la barbe), avec une voix aiguë. Une tablette en ivoire du IXe siècle (musée du Bargello, Florence) montre un soldat carolingien terrassant un ennemi. Ce document nous permet de décrire un fantassin de l’armée de Charlemagne. Ce soldat est protégé par un casque, des jambières et une tunique de cuir et de métal : la « brogne ». La nuit, en campagne, il s’enroule dans sa cape. Le grand bouclier rond le protège des coups et il attaque avec la lance. Ici, on le voit en train de menacer, peut-être d’exécuter un ennemi. La victoire du soldat ne fait aucun doute : il est debout, bien droit, alors que l’ennemi est à terre, vaincu. Peut-être ce dernier demande-t-il grâce ? Enfin, la scène est enfermée dans un arc roman, les chapiteaux des colonnes sont cependant corinthiens. Le texte relatant le couronnement de Charlemagne est un «classique ». On pourra faire précéder le questionnement par l’identification des personnages («Charles»: Charlemagne; le «Très Saint pape»). Le questionnement permet alors de retrouver dans le texte les gestes du pape (« de ses propres mains, il couronna Charlemagne », « il oignit de l’huile sainte le roi Charles

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royaume pour un État « biblique », dont le roi exerce un sacerdoce et dont les peuples étrangers qu’il a sous son autorité s’honorent d’être désormais les « esclaves des Francs ». Cette force morale est d’autant plus grande que la réputation de cette nouvelle dynastie qu’on qualifiera plus tard de « carolingienne » est immense : si Pépin, vainqueur des Lombards et conquérant de l’Aquitaine, inspirait le respect de tous, son père Charles Martel est resté dans la mémoire de l’Occident comme le sauveur de la Chrétienté face à l’invasion sarrasine, à Poitiers en 732. Depuis les palais d’Austrasie, et surtout ceux des vallées de la Meuse et du Rhin, berceau de la famille, les Carolingiens règnent sur un immense territoire ici ou là vide d’hommes. Il faut se représenter le pays comme une gigantesque forêt aux densités faibles (la France dans ses contours actuels ne comprendrait pas plus de 12 millions d’âmes), trouée de villes peu peuplées (6 000 habitants à Metz, 4 000 peut-être à Paris !) et de domaines agricoles parfois vastes. De ces riches villæ d’Austrasie, les prédécesseurs de Charles, propriétaires fonciers ou simples gestionnaires (les « maires du palais ») pour les rois mérovingiens, ont tiré une puissance matérielle qui leur permet d’entretenir une clientèle de vassaux fidèles, rétribués généralement en biens d’Église. LE CHEF DE CLAN Le gouvernement du roi des Francs s’exerce sur des hommes plus que sur une terre. Durant le haut Moyen Âge, les notions d’État et de res publica, si essentielles à Rome, sont floues. Le royaume des Francs est une propriété personnelle du roi qui, à sa mort, la divise en parts égales entre ses fils. De même, les rapports qu’il établit avec les fortiores (les grands du royaume) sont des liens personnels qui obligent les uns et les autres à la fidélité mutuelle. Déjà en usage sous les Mérovingiens, ce lien vassalique est peu à peu marqué par un rite qui s’organise autour du serment prêté sur des reliques sacrées, du geste des mains que le vassal place entre celles de son seigneur, voire, en certains cas, de l’établissement d’un acte écrit (convenientia) qui conforte l’engagement. Charles va développer cette institution jusque-là privée et l’incorporer au fonctionnement de son royaume. Multipliant les liens qui l’unissent aux vassi dominici (vassaux du maître), il s’arroge le « droit de ban », qui lui permet de punir celui qui n’obéit pas, et la gratia, dont il use pour récompenser les plus loyaux ; mais surtout, il encourage ses vassaux à procéder de même avec leurs subordonnés. Ainsi est tissé, de proche en proche, un réseau d’hommes libres, dont la tête est le roi. En 789, celui-ci impose en outre à tous les habitants du royaume, dès l’âge de douze ans, un serment à l’imitation de ceux que les Romains prêtaient à l’empereur. Le système n’est pas sans danger. Bientôt complété par la remise au vassal d’un coûteux « bénéfice » (généralement une terre) qui lui permet de maintenir ses droits et devoirs, ce don l’encourage aussi à prétendre toujours plus. De surcroît, ces liens personnels, vite contractualisés, font perdre à l’homme libre l’idée d’une appartenance à un État et d’une obéissance, in fine, à un souverain trop lointain. Il n’empêche, durant le règne de Charles, l’institution fonctionne tant bien que mal. Mais le gouvernement d’un territoire de plus d’un million de kilomètres carrés requiert sans cesse habileté et autorité. Charles emprunte à la fois à l’organisation de la Gaule romaine et aux traditions de commandement des Francs les structures qui vont régir son royaume. Il n’y a pas là de grandes innovations. L’administration locale s’appuie sur un réseau de circonscriptions, les pagi (les pays), dans lesquelles des comtes exercent, par délégation, l’autorité royale, ou sur des missatica, régions plus vastes sillonnées par les missi dominici (envoyés du maître), qui font exécuter les ordres du roi et rapportent à celui-ci les observations de ses lointains sujets. Ce sont là des héritages antiques, mais rénovés et intégrés à un gouvernement qui doit encore beaucoup aux usages barbares. Ainsi, afin de maintenir le plus de contacts possible avec ses sujets, le roi convoque à chaque printemps les assemblées constituées autour des comtes dans un plaid général (placitum generale), proche dans sa forme des rassemblements de tribus germaniques. Des décisions politiques y sont débattues, « consenties » par les hommes libres présents et enregistrées dans des capitulaires. Au centre de l’État royal, le palais (palatium), itinérant jusqu’en 794, ressemble encore à celui des royaumes barbares. Tantôt à Herstal, à Worms, à Mayence ou ailleurs, il comprend la famille du roi, des hauts clercs et les grands du royaume requis pour leur haute valeur, mais aussi de jeunes aristocrates, parfois fils de chefs vaincus, venus là pour s’initier à l’art du bon gouvernement.

»). Le titre que prend Charlemagne est « empereur, très pieux auguste, couronné par Dieu » : il est bien l’héritier des empereurs romains (« auguste »), il tient son pouvoir de Dieu (la monarchie franque est de droit divin) et sa mission est d’étendre la religion chrétienne en Occident. Il a été couronné en la basilique Saint-Pierre « le jour de Noël», le 25 décembre de l’an 800. Son couronnement a eu un grand retentissement dans tout l’Occident. Il faut faire remarquer aux élèves l’inversion des rituels du couronnement par rapport aux empereurs byzantins : le sacre par le pape puis l’acclamation par l’armée. Les « fidèles Romains » sont les chrétiens, parce qu’ils sont restés fidèles au pape. Le couronnement de Charlemagne (miniature du IXe siècle figurant dans le sacramentaire de Jumièges) : Charlemagne est placé au centre. Revêtu des habits impériaux, il est couronné par une main sortant des nuages, manifestant ainsi l’origine divine et sacrée du pouvoir impérial. L’empereur est entouré de deux clercs, reconnaissables à leur tonsure, le bénissant d’une main et tenant de l’autre l’évangile. Tous trois sont représentés avec des auréoles, symbolisant leur sainteté. Le palais d’Aix-la-Chapelle permet de faire découvrir aux élèves le patrimoine en tant que source historique. Le palais est doté de multiples fonctions. Son étude permet de concrétiser les notions de capitale, de centre du pouvoir, d’organisation de l’Empire. Elle permet également d’illustrer la notion de «mise en scène » du pouvoir, déjà utilisée dans le premier chapitre sur l’Empire byzantin dans l’étude de l’église de Ravenne et de la basilique Sainte-Sophie de Constantinople. Charlemagne veut rivaliser avec les empereurs byzantins en construisant une nouvelle capitale. Impressionné par Ravenne, ancienne capitale impériale, et par Pavie, capitale lombarde, Charles fait édifier dès 794 un palais à Aix-la-Chapelle, où il résidera souvent après l'an 800. L'ensemble est imité des palais byzantins avec une entrée monumentale, siège de la garnison et tribunal, une grande salle de réception avec la chapelle en face, les deux édifices étant rattachés entre eux par un double couloir. Siège du gouvernement, c'est aussi une résidence agréable avec piscine en plein air, thermes d'eau chaude et ménagerie. Ce lieu de naissance de la renaissance carolingienne en devient aussi le centre. L’étude sur Aix-la-Chapelle permet de montrer que c’est une capitale à la fois politique, religieuse et

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Ces administrations locale et centrale souffrent cependant d’une insuffisance grave de personnel et relaient mal les ordres du palais. À son apogée, le royaume de Charles ne dispose que de 3 000 agents environ ! Le roi a beau régner en despote, faire preuve parfois d’une sévérité exemplaire, les oppositions à son gouvernement existent bel et bien, des rébellions même se déclarent (celle du comte de Thuringe en 785, ou celle de Pépin le Bossu, bâtard du roi, en 792). Alors les armes parlent... LE CONQUÉRANT La représentation du Charlemagne conquérant domine l’imagerie post-carolingienne. Elle traduit une réalité : la guerre demeure une institution majeure sur laquelle le roi fonde sa puissance. Toujours dans le cadre des liens d’homme à homme, le vassal devient un miles, un soldat appelé par le comte, lui-même convoqué au ban de l’ost (l’armée, de hostis, l’ennemi). Chaque printemps, durant l’essentiel de son règne, Charles, en un endroit déterminé par lui en fonction de ses objectifs militaires, rassemblera ses troupes, équipées et armées par les vassi dominici, pour quatre à cinq mois d’une expédition qui s’achèvera avec les travaux agricoles. Si l’armée permanente se révèle plutôt réduite (5 000 soldats), l’effectif engagé en moyenne à chaque campagne avoisine vraisemblablement les 30 000 à 40 000 hommes. Disciplinée, endurante, pourvue d’un armement de métal, cette armée, dont le fer de lance est une cavalerie puissante et très mobile, utilise un efficace réseau de stratae (routes) pour traverser rapidement le royaume et relier monastères et abbayes, qui sont autant de dépôts d’armes et de relais fortifiés. Par l’épée, Charles a considérablement repoussé les limites de son royaume, justifiant cette dilatatio par la seule nécessité de la guerre. À la fois pour protéger des frontières sans cesse menacées, faire triompher la parole du Christ dans des contrées païennes, mais aussi pour tenir en main les familles aristocrates en leur promettant le butin des campagnes. L’expansion du royaume des Francs s’est exercée selon deux grands axes. Au sud, l’Italie et l’Espagne faisaient jadis partie intégrante de l’Empire romain. En restaurant l’autorité pontificale en Italie (pour mieux la contrôler aussi) par l’élimination de la menace lombarde en 774, il renoue symboliquement le lien fort qui unissait Rome à la Gaule. L’intervention au-delà des Pyrénées participe sans doute de cette même nostalgie implicite de confondre l’aire d’influence franque avec l’Empire modèle : l’échec de l’expédition de 778, parachevé par le très célèbre épisode de Roncevaux, fait durablement renoncer le roi des Francs à dominer l’Andalousie sarrasine. À l’est, l’armée carolingienne fait mieux que les légions romaines. L’annexion de la Bavière et la victoire sur les Avars, barbares de l’actuelle Hongrie, repoussent l’antique limes loin le long du Danube. Vers la Germanie et au-delà, l’inlassable guerre contre des Saxons imperméables à la civilisation romaine mobilise toutes les énergies conquérantes de Charles trente années durant ! Conduites par le roi lui-même, les entreprises de soumission des Saxons, tantôt sur le mode de la brutalité, tantôt sur celui de la clémence, illustrent les difficultés éprouvées à imposer le christianisme aux barbares. Conversions forcées, massacres de chefs vaincus (4 500 Saxons sont exécutés à Werden en 782 !), capitulaire draconien instaurant un régime de terreur n’ont pas réduit leur esprit de résistance. Alors est mise en place une politique plus habile et profitable, définie par une omniprésence dissuasive de l’armée, par la séduction et la vassalisation de la noblesse saxonne et par l’octroi à la Saxe d’un régime administratif plus souple. C’est un empereur guerrier qui cherche à étendre toujours plus loin les limites de son Empire. Au nord-est, après de nombreuses luttes, il soumet les Saxons et étend ses conquêtes jusqu’à l’Elbe. Dans le sud-ouest pyrénéen, la frontière de l’Empire est fixée à l’Èbre après de rudes combats contre les Sarrasins. En 778, en effet, Charlemagne, rappelé par une révolte des Saxons, repasse les Pyrénées à Roncevaux. Son arrière-garde est surprise et massacrée par les Basques le 15 août 778. Cet épisode inspira la Chanson de Roland et participa à rendre légendaire le règne de Charlemagne. Après l’échec de l’expédition de 778 et la destruction de l’armée franque à Roncevaux, Charlemagne se lance à la conquête des terres au-delà de la Germanie. La soumission des Saxons (profondément attachés à leurs croyances) lui demande trente ans. Il utilise parfois la force et la violence, parfois il recommande la clémence. Eginhard parle de 4500 Saxons exécutés en 782 mais ce chiffre ne peut être vérifié. À l’intérieur de ses frontières, l’Empire carolingien se forge progressivement une identité propre, distincte de celle de l’Empire byzantin ou du monde musulman. On commence à parler d’Europe. La guerre est l’une de ses principales préoccupations : elle servait à conquérir de

culturelle. Charlemagne habite à Aix avec sa famille et la cour. C’est de là qu’il gouverne tout le reste de l’Empire. Aix est bien la capitale politique de l’Empire. La chapelle est le bâtiment le plus prestigieux du palais. Charlemagne a voulu construire un monument richement décoré à la gloire de Dieu et faire d’Aix la capitale religieuse de l’Empire. Aix-la-Chapelle témoigne de la « renaissance » carolingienne. L’empereur a toujours porté une grande attention à la culture écrite. Il impose la restauration de l’orthographe traditionnelle et encourage la copie de livres par les moines pour créer des bibliothèques. La bibliothèque et les ateliers pour recopier les manuscrits montrent l’intérêt que portait l’empereur à l’instruction et son souci de faire d’Aix une capitale culturelle. Aix est la capitale de l’Empire et Charlemagne y réside les vingt dernières années de sa vie. Cette ville est située près de la Saxe qu’il est en train de conquérir. Il entreprend alors des travaux importants. À l’origine, c’était une villa que fréquentait déjà Pépin le Bref. Aix devient résidence régulière à partir de 794. Le pape Léon III consacre l’édification en 805. Aix-la-Chapelle est surnommée la « Nouvelle Rome » ou la « Nouvelle Byzance ». Ces expressions manifestent l’influence esthétique de Rome et de Byzance pour la décoration du palais mais aussi la volonté politique de faire d’Aix-la-Chapelle une capitale de grande envergure. Charlemagne y installe sa cour ainsi que son trésor, ses archives, une école de grand prestige appelée l’école palatine. Le marbre – dont la Gaule est dépourvue – et le porphyre vert ont été acheminés à grands frais depuis les ruines antiques de Rome et de Ravenne jusqu’à Aix. Des relevés archéologiques ont permis de retrouver avec précision les vestiges des édifices et d’en faire une reconstitution. Le visiteur arrivant au palais de l’empereur franchit d’abord le porche d’entrée, gardé par une garnison de soldats. C’est ici que Charlemagne rend la justice depuis une fenêtre donnant sur l’extérieur (tribunal royal). Après l’entrée, s’élèvent vers le nord des bâtiments à fonction politique, et vers le sud des bâtiments à fonction religieuse, dont la chapelle. Ces deux ensembles sont reliés par une longue galerie de 120 mètres de long de chaque côté de l’entrée du palais. Ainsi Charlemagne exprime-t-il dans l’architecture sa manière d’être empereur chrétien d’Occident. Le premier bâtiment construit à Aix n’est pas la chapelle mais les thermes, vestiges d’une ville romaine appelée Aquae Granni, encore très fréquentés au VIIIe siècle. Charlemagne, perclus de rhumatismes, apprécie très tôt la vertu curative des eaux et

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nouveaux territoires et à maintenir la sécurité de l’Empire (cf. les marches tenues par des marquis). L’armée de Charlemagne est plutôt réduite, environ 5 000 soldats, mais cet effectif peut monter jusqu’à 30 000 ou 40 000 hommes à chaque campagne, qui dure quatre à cinq mois. Elle est très disciplinée. La guerre est, pour Charlemagne, le fondement de sa puissance. C’est aussi un moyen de protéger les frontières, de diffuser le christianisme et de tenir en main les familles aristocratiques. L’équipement et le cheval de bataille sont à la charge des guerriers et coûtent très cher. Seuls les aristocrates sont cavaliers. Le monogramme de Charlemagne : c’est sa signature sur les documents impériaux. Les lettres du nom CAROLUS et les barres qui les relient étaient tracées par les clercs. L’empereur traçait la dernière barre horizontale. Charlemagne, si l’on en croit Eginhard, est resté analphabète, malgré ses efforts pour s’approprier la lecture et l’écriture. Les barres croisées rappellent la lettre « χ » du Christ, comme sur les mosaïques de Ravenne (cf aussi les plissés des vêtements qui rappellent Byzance). L’Empire de Charlemagne est centré sur l’Austrasie, entre Seine et Rhin, avec Aix-la-Chapelle comme capitale et il est éloigné du centre de gravité méditerranéen. Il est composé du royaume franc, d’autres terres conquises par Charlemagne et de marches. Il déborde largement à l’est des anciennes frontières de l’Empire romain. C’est un territoire comparable à l’Europe du traité de Rome. Charlemagne introduit dans l’Empire de nouvelles méthodes de gouvernement et d’administration. Charlemagne est soucieux de bâtir une administration efficace en s’appuyant sur un personnel fidèle. Il est tout puissant car il se situe au sommet de l’organisation. Au niveau central, il s’appuie sur des proches, laïques et clercs qui résident à Aix-la-Chapelle. Sur le plan local, l’empereur confie aux comtes, issus de la haute aristocratie, les affaires militaires, la justice et les finances des comtés. Charlemagne découpe son empire en comtés ; dans les zones moins « pacifiées », il crée des duchés (à caractère militaire) dirigés par des ducs ou des « marches ». L’empereur exige que les comtes deviennent ses vassaux et peut les déposer. Les guerriers, jurant fidélité aux comtes, sont indirectement vassaux de Charlemagne. À la fin du IXe siècle, la fonction comtale devenue héréditaire donne naissance à des dynasties de plus en plus puissantes. Pour contrebalancer l'aristocratie, il s'appuie sur l'Église, en soutenant les évêques qu'il nomme, en dotant les principales abbayes et en plaçant les abbés sous son autorité. Pour la surveillance générale dans les comtés et les évêchés, l’empereur nomme des inspecteurs, appelés missi dominici, les « envoyés du seigneur ». Ceux-ci, au nombre de deux, un clerc (un évêque ou un abbé) et un laïc (un comte), parcourent la circonscription assignée par l’empereur. Ils sont chargés de publier dans les comtés les décisions royales et d’en vérifier l’application (d’où l’importance de la caroline minuscule pour rédiger les rapports). Ils réunissent autorités locales et population, écoutent les doléances des uns et des autres, examinent et jugent au nom de l’empereur dont ils sont « les yeux et les oreilles ». Le souverain quant à lui, convoque au mois de mai le plaid qui réunit les grands de l’Empire. Les liens d’homme à homme entre l’empereur et les grands laïcs et ecclésiastiques y sont renouvelés, garantissant ainsi la paix de l’Empire. L’empereur y reçoit des informations, transmet des règles de conduites classées en articles ou capitula. L’ensemble de ces règles est appelé capitulaires. Le souci constant de Charlemagne a été d’établir une règle générale de conduite pour ses sujets en tenant compte des usages différents dans chaque partie de son Empire. Il a donc eu une action législative importante. Les capitulaires répondent à deux objectifs majeurs. Le premier est de fournir un aide-mémoire permanent aux missi dominici dans leurs tâches administratives. L’inlassable répétition des ordres et interdictions contenus dans les textes montrent en effet à quel point les serviteurs du roi et les administrés pouvaient se révéler oublieux. En outre, ces actes, aussi hétéroclites dans leur forme et leurs contenus soient-ils, manifestent le constant souci de Charlemagne d’établir une règle générale de conduite à l’usage de ses sujets. On ne peut évidemment pas parler de code civil, comme celui qu’avait pu édicter l’empereur byzantin Justinien, mais de tentatives législatives qui, au-delà des cas particuliers et des intérêts individuels, visent à régler, unifier et consigner par écrit les rapports entre le pouvoir et les sujets. II. Charlemagne, un empereur romain et chrétien Les circonstances du couronnement nous sont connues par plusieurs sources dont

fait procéder à la restauration des bâtiments. Il fait construire deux bains : le bain privé de l’Empereur et le grand bain public, capable de rassembler plus de cent invités selon Eginhard. Devant le palais, deux bâtiments rectangulaires servent d’habitation et de bains aux domestiques du palais. La chapelle est le premier édifice proprement carolingien. La chapelle palatine était située en face du palais impérial, avec un double couloir reliant les deux édifices. On y retrouve l'influence de l'art des chapelles byzantines d'Italie : Saint-Vital de Ravenne a inspiré le plan du bâtiment. Les colonnes de marbres antiques viennent aussi de Ravenne. Les chapelles voûtées en arc en plein cintre à deux étages, la coupole ainsi que des images du Christ et des saints (visages et drapés) s'inspirent de Byzance. Charlemagne y fut enterré en 814 et les empereurs y furent couronnés jusqu'au XVIe siècle. C'est le seul vestige du palais. Il est formé d’un choeur de forme octogonale et de deux transepts nord et sud. Avant d’entrer dans la chapelle par l’ouest, les fidèles se rassemblent dans un atrium de grande dimension, espace ouvert bordé d’un portique. Le passage de cet espace ouvert vers la chapelle se fait par un narthex ou vestibule couvert qui a l’aspect d’une tour de défense avec une passerelle de bois. L’ensemble a une trentaine de mètres de haut. La chapelle est dédiée à la Vierge. Son choeur octogonal sépare les deux bras du transept d’orientation Nord-Sud. Cette chapelle est construite sur deux étages. Les offices religieux sont célébrés au rez-de-chaussée. Le trône du souverain, qui renfermait des reliques, est installé au premier étage face à l’autel, en haut de cinq marches pour manifester sa grandeur et la dignité de sa fonction. L’emplacement au premier étage permet à l’empereur de suivre les cérémonies en surplombant l’assemblée. Seul le Christ, représenté sur la mosaïque de la coupole de la chapelle, se trouve au-dessus de lui. L’empereur, situé entre le Christ et les hommes, se place comme intermédiaire entre les deux, à l’instar des empereurs byzantins. L’utilisation du chiffre 8 dans la construction de la chapelle et la symbolique liée à la Résurrection du Christ montrent la ferveur de Charlemagne. Il veut se référer à la Jérusalem idéale. Son trône est bâti à l’imitation de celui de Salomon (cf. les paroles de Justinien au moment de consacrer Sainte-Sophie). À l’opposé de cet ensemble religieux s’élève un très grand bâtiment : la salle de réception ou salle des audiences dont les murs sont décorés de peintures. C’est là qu’il recevait doléances et ambassades. Chaque année, il réunissait lors des plaids les comtes dans cette même galerie afin de maintenir le plus de contacts possible avec ses sujets. Tout à

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Les Annales royales et le Liber Pontificalis, traduit par R. Mussot-Goulard : « Le 25 avril 799, une émeute a soulevé, à Rome, une partie de l’aristocratie et de la

population romaine contre le pape, dont la moralité est suspectée. Maltraité,

mutilé et humilié, Léon III chercha refuge à Paderborn auprès du roi des Francs.

Charlemagne l’écouta puis le fit reconduire à Rome avec honneur : il restait le

pape à ses yeux. Connaissant l’événement, prenant de nouveaux renseignements,

il se donna le temps de méditer, pendant tout l’hiver, sur ce que serait sa

conduite. Au mois d’août 800, à l’assemblée de Mayence, il fit connaître sa

décision de se rendre en Italie pour faire établir l’innocence du pape. » L'idée de l'instauration d'un empire est probablement envisagée à ce moment-là. Ce doit être une restauration de l'Empire romain, mais adapté par des lettrés de la cour de Charlemagne à l'opinion qu'ils ont du pouvoir impérial. Il faut envisager : - une conception romaine : l'empereur est le souverain suprême du monde civilisé (voir le globe de la statuette). A cette date, c'est l'empereur d'Orient qui l'incarne depuis 476 ; - une conception religieuse : l'empereur doit être le chef temporel d'un empire chrétien, protecteur de l'Église, responsable du salut de son peuple ; - une conception territoriale : l'empereur est celui qui domine plusieurs royaumes. Charlemagne à l'époque remplit tous ces critères. Il a acquis la majeure partie de l'ancien Empire d'Occident, en pratiquant la christianisation forcée comme en Saxe. A Byzance, l'impératrice Irène a déposé son fils pour régner à sa place. La dignité impériale en Orient étant détenue par une usurpatrice, les lettrés de la cour préparent activement la restauration de l'Empire romain en Occident par une propagande qui compare Charles à Constantin et au roi David. Le pape a pris l'initiative de la cérémonie selon le rite byzantin pour le 25 décembre 800 à Saint-Pierre de Rome. Charlemagne arrive en Italie en novembre et le 23, il est reçu par le pape avec tous les honneurs. Le 23 décembre se tient l’assemblée chargée d’écouter la défense du pape. Celui-ci, rétabli dans sa dignité, couronne Charlemagne deux jours plus tard. Cependant, il conserve le titre de roi des Francs et des Lombards qu’il porte depuis 774. En le couronnant empereur, le pape s'attribue un pouvoir qui mécontente Charlemagne, lequel refuse de dépendre de la papauté. C'est pourquoi, en 813, il couronne lui-même son fils, Louis, à Aix-la-Chapelle, en terre franque et sans l'accord du pape. Il existe trois versions de cet événement, parfois contradictoires : celle d'Eginhard, celle des Annales du Regnum Francorum, et la version qui vient de l'abbaye bavaroise de Lorsch et qui est plus complète et plus proche de la réalité. Elle met en valeur deux raisons du couronnement impérial : l'extension du territoire et la faiblesse du pouvoir impérial à Byzance. L’« EMPEREUR AUGUSTE » Durant tout son règne, le fils du prestigieux Pépin est convaincu d’accomplir une mission dans un cadre universel. Les clercs, tout à sa propagande, réinterprètent sans cesse la vie du roi et y discernent en toutes circonstances, même les plus défavorables, l’intervention de Dieu. Dans la société chrétienne du VIIIe siècle, imprégnée d’atmosphère biblique, le souverain est perçu à l’image des rois de l’Ancien Testament, Samuel, Moïse, mais surtout David. Élu par le Seigneur pour préparer l’établissement ici-bas de la Cité de Dieu telle qu’elle fut imaginée par saint Augustin, Charles s’emploie à être un guide (rector) des fidèles dans la voie du salut. Or le titre d’empereur ne s’impose pas forcément. Sa portée, aux yeux d’un germanique dans la langue duquel le mot n’existe pas, est mal définie. De plus, la dignité n’existe à l’époque que pour les souverains byzantins, seuls ayants droit des césars romains depuis le partage de l’Empire, et particulièrement de Constantin, le premier empereur chrétien. Céder au rêve nostalgique de restaurer l’Empire romain ne va quand même pas jusqu’à s’emparer d’une dignité réservée au seul basileus d’Orient. Le couronnement de Rome est-il un coup d’État mûri par Charles ? Ou un traquenard du pape finalement consenti par le roi ? Peut-être les deux. Comme il y a un empereur d’Orient, il y a donc désormais un empereur d’Occident. Mais s’il est une différence essentielle entre le couronnement de l’empereur byzantin et celui de Charles, c’est dans l’inversion des rituels qu’il faut la trouver. Selon le rituel byzantin, les acclamations de l’armée précèdent la consécration par le pape, réduit alors au rôle de simple mandataire du peuple. En couronnant Charles de sa propre main, Léon III affirme la suprématie de l’Église et l’exclusivité pontificale sur l’octroi de la dignité impériale. Cette inversion, dont Charles, dit-on, était fort mécontent, allait régir pour longtemps les rapports entre l’Église et le pouvoir temporel en Occident. Est roi ou empereur celui que Dieu, par la main du pape ou

côté se trouve une tour fortifiée dont le troisième étage abritait le Trésor. La garnison de l’empereur loge dans la galerie ouest. Charlemagne et sa famille étaient installés dans des appartements à l’écart, de manière fort simple, d’après les témoignages de l’époque. Il allait à la messe dans la chapelle aussi souvent qu’il le pouvait, parfois la nuit. Ce qui rappelle les monuments romains : le grand espace central comme une basilique, les colonnes, les arcs cintrés, l’absence de décoration intérieure et la couleur ocre. Ce qui rappelle les monuments byzantins : A l'extérieur, la forme polygonale de la chapelle s'inspire de Saint-Vital de Ravenne et la tour-coupole, au-dessus, rappelle Sainte-Sophie. A l'intérieur, l'image du Christ s'apparente aux icônes byzantines. Les colonnes proviennent de Ravenne. Les formes voûtées avec alternance de pierres noires et de pierres blanches font penser à Sainte-Sophie. Les trois niveaux, la lumière venant par le haut… L’EMPEREUR À LA BARBE FLEURIE Il reste de Charles un portrait à brosser, non moins important : celui du roi légendaire. Déjà de son vivant, l’empereur fait l’objet d’une dévotion exceptionnelle. Sa mort, en 814, à l’âge extraordinaire pour l’époque de 72 ans, amorce une longue période où le culte de Carolus Magnus (devenu Charlemagne) verse dans l’hagiographie et le merveilleux, et brouille la réalité du souverain. Le triomphe posthume du « phare de l’Europe, qui répand une lumière plus resplendissante que le soleil », est largement lié à la nostalgie de ces temps heureux que regrette l’historien Nithard vers 845 : « La paix et la concorde régnaient en tous lieux... C’était alors partout l’abondance et la joie, c’est maintenant partout la misère et la tristesse. » Le siècle qui suit la mort de Charles est en effet marqué par le partage de son empire et son affaiblissement sous les coups de boutoir des invasions normandes, sarrasines et hongroises. Divisée par les héritages et les prétentions féodales, l’Europe de la fin du premier millénaire vit dans le souvenir d’un règne qui savait imposer l’unité et la justice. Sur un grand nombre de représentations, Charlemagne est ce personnage de vieillard sage, « à la barbe chenue », portant écu et bannière aux armes frappées à la fois des aigles germaniques et des fleurs de lys. Ni la partie allemande, ni la partie française de l’Occident n’en font donc en apparence l’objet d’une revendication « nationale ». Cependant, la dynastie allemande des Ottoniens (du nom de son fondateur, Otton

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d’un archevêque, désigne comme tel. Une préséance qui ne sera brisée qu’en 1804, lorsque Napoléon se couronnera lui-même... LE « PHARE DE LA CHRÉTIENTÉ » Charles, dont la piété exemplaire n’est plus à démontrer, même si elle a été exagérée par ses thuriféraires, est rector du peuple chrétien, mais il est aussi defensor des Églises, une mission inséparable de son pouvoir royal. À ce titre, il se veut le grand réorganisateur du clergé. Ce dernier est, au VIIIe siècle, dans une situation difficile. Impuissant à enraciner la foi chez des peuples encore suspects de paganisme, le haut clergé, « plus adroit à cheval, aux exercices armés et à l’arc qu’à célébrer le rituel chrétien », peine à extraire le bas clergé de sa précarité et de son ignorance. Charles, se comparant au roi biblique Josias, qui avait la haute main sur la vie religieuse de son royaume, assène alors une législation au clergé par l’Admonitio generalis de 789, qui fixe les bases de l’enseignement des prêtres et de la vie monastique. L’État et l’Église se pénètrent réciproquement. Si le haut clergé participe largement au gouvernement, il est aussi soumis au bon vouloir du roi. Les clercs dirigent la politique de renovatio de Charles et sa propagande, mais ils sont aussi astreints, comme tous ses sujets, au serment d’allégeance. Enfin, si l’institution de la dîme contribue à entretenir les biens de l’Église, ceux-ci sont souvent sollicités et arbitrairement offerts en bénéfice à des vassaux. En outre, le roi, sans ménagement, intervient constamment dans la législation canonique, voire dans les affaires théologiques. La couronne du sacre, attribuée à Charlemagne, est en fait celle du Saint-Empire romain germanique réalisée au Xe siècle par les premiers Ottoniens, pour rappeler l’héritage carolingien. L’Empire carolingien est chrétien (cf. la conversion des Saxons). De plus, comme à Rome, Charlemagne crée le denier. En 781, Charlemagne décide d'unifier les anciennes monnaies. Faute d'or, il crée une nouvelle monnaie, le denier d'argent. En demandant de tailler 240 deniers dans une livre d'argent (409 g), il inaugure un système monétaire qui durera en France jusqu'à la Révolution : 1 livre = 20 sous, 1 sou = 12 deniers. Seul le denier en argent est frappé, le sou et la livre ne sont que des monnaies de compte. Aujourd'hui encore, le mot argent est utilisé pour la monnaie. L'empereur y est représenté de profil, couronné de lauriers et portant une toge. Si les titres Imperator et Augustus rappellent les anciens empereurs romains, le mot Romanorum (des romains) ne figure pas, le titre « empereur des Romains » étant réservé en principe à l'empereur byzantin. La volonté de l'empereur de restaurer l'ancien Empire romain est contrebalancée par l'envie de ménager Byzance que Charles ne souhaitait pas affronter. En 812, l'empereur byzantin le reconnaît empereur. III. Charlemagne, un empereur européen Charlemagne tente d’unifier cet espace disparate constitué de nombreux pays, de lois et de coutumes différentes en imposant le latin, le denier d’argent, en unifiant les poids et mesures, en consignant les lois en usage. Les marches sont les limites de cette Europe. Les habitants du royaume, puis de l’Empire, n’ont pas conscience d’être européens. Ils se considèrent comme Celtes bretons, Slaves, Francs, Aquitains, ou Italiens. En revanche, Charlemagne et ses successeurs se sont entourés de conseillers et d’intellectuels de toute l’Europe et nous ont légué l’esquisse d’une civilisation commune. LE PÈRE DE L’EUROPE Charles connaît son immense royaume parce qu’il l’a vu. L’empereur a voyagé dans cette Europe, beaucoup en Italie et en Aquitaine, peu en Bourgogne et en Neustrie. Certes, il n’a séjourné qu’une fois en Aquitaine et quatre fois en Italie, il n’a fait que traverser la Bourgogne et néglige de plus en plus la Neustrie. Mais il est le seul souverain, avant Napoléon peut-être, à avoir sillonné l’Europe de l’Espagne à l’Elbe et de Rome à la Frise. Il confie bien à ses très jeunes fils les gouvernements de l’Italie et de l’Aquitaine, mais se réserve la direction générale de ces royaumes de sous-ordre. De son vivant déjà, on le désigne Pater Europæ, Père de l’Europe. Les vainqueurs à Poitiers sont alors dénommés Europenses par un chroniqueur espagnol. Ces Européens sont peu à peu assimilés aux Francs, puis aux chrétiens de langue romane. Mais quelle réalité à l’Europe au VIIIe siècle ? La notion, d’origine grecque, n’avait que peu de densité chez les Romains, dont l’Empire avait été partagé non

Ier) distingue vite en Charlemagne une figure spirituelle tutélaire qui justifie la renaissance de l’autorité impériale en 962. Otton III, dit-on, lorsqu’il fit procéder à l’ouverture du tombeau à Aix, vint adorer la dépouille de Charles, assise sur son trône, comme vivante, n’ayant en tout cas pas subi les atteintes de la corruption. Apothéose de ce culte édifiant, la canonisation de l’empereur intervient en 1165, voulue par Frédéric Ier, le « nouveau Charlemagne ». Les restes du « saint », enchâssés dans un reliquaire, font alors l’objet d’un culte liturgique de grande ampleur. Vénéré et prié en Allemagne, Charlemagne est davantage chanté en France. Il accomplit, sous la plume des poètes et des clercs, un parcours mythologique des plus prodigieux. Dans les chansons de geste, qui racontent les temps héroïques d’une nation en devenir, il incarne d’une manière très mouvante un personnage selon les exigences du moment. Élu « roi de Saint-Denis » lorsque l’abbaye s’impose dans le royaume, Charlemagne devient, au temps des croisades, un roi-chevalier bataillant en Espagne ou accomplissant même un pèlerinage à Jérusalem, mais aussi un tyran coléreux et cruel lorsque les conflits entre l’aristocratie féodale et le souverain ternissent la figure royale. Bien qu’issus d’une dynastie qui mit un terme à la période carolingienne, les rois capétiens continuent de porter le titre de rex Francorum, tout du moins jusqu’à Philippe Auguste, premier rex Franciae (roi de France, donc) ; et ils puisent dans la mémoire de Charlemagne une légitimité historique lorsqu’ils prétendent à la couronne impériale : Philippe Auguste, François Ier, Louis XIV, et jusqu’à Napoléon lui-même, invoquent le glorieux « ancêtre » pour justifier leurs entreprises d’expansion. Avec le XVIIIe siècle des Lumières et le XIXe siècle des nations, Charlemagne est perçu positivement en Allemagne et plus négativement en France. Vieux souverain absolutiste aux yeux de Voltaire, il séduit toutefois les romantiques dans leurs rêves européens. Mais, après 1870, l’empereur « germain » ne figure plus au panthéon de la IIIe République que sous l’image d’un souverain paternel et « républicanisé » que popularisent les manuels scolaires. Aujourd’hui encore, ce « sacré Charlemagne » est une figure double. Symbole d’une Europe en construction (chaque année, un prix Charlemagne récompense un de ses artisans), il continue pourtant de faire l’objet de revendications à caractère « national » : lorsque, l’an dernier, son sarcophage est envoyé à Berlin afin d’y être restauré, comment ne pas voir dans ce voyage vers la nouvelle capitale allemande le symbole de la renaissance d’un pays ?

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en un nord européen et un sud africain, mais selon une coupure Oriens-Occidens. La conquête par les Arabes de la rive sud de la Méditerranée a réactivé la réalité de l’Europe : leurs vainqueurs à Poitiers sont alors dénommés Europenses par un chroniqueur espagnol. Ces Européens sont donc peu à peu assimilés aux Francs, puis aux Chrétiens de langue romane. Charles, « père » de ce populus christianus, gouverne logiquement l’Europe. Or les habitants du royaume n’ont guère conscience d’appartenir à un ensemble homogène. Agrégat de peuples disparates, le territoire de Charles comprend une infinité de « pays », de langues, de lois. C’est contre cette réalité des particularismes que le roi veut imposer le rêve nostalgique des clercs de voir renaître un empire qui, par-delà les frontières décidées par les partages successoraux, unirait les peuples de l’aire non seulement franque, mais chrétienne. Avec persévérance, il cherche à promouvoir le latin, seule langue de communication possible dans le royaume, à instituer une noblesse rassemblée par des liens spirituels, à unifier les poids et mesures, à réformer la monnaie afin d’imposer le denier d’argent frappé à son seul nom, à recueillir et consigner enfin les nombreuses lois en usage, transmises jusqu’alors par tradition orale. Une tâche titanesque, parfois vaine. Si ceux qui font partie de l’Europe de Charles ne sont pas toujours clairement identifiés, en revanche ceux qui ne peuvent en faire partie sont évidemment désignés par les contemporains. Les Celtes bretons (« semblables à des bêtes sauvages »), les « Infidèles » (Sarrasins) au sud, les Slaves (slavi, car ils ne sauraient être que des « esclaves ») à l’est sont définitivement ignorés, à défaut d’être dangereux pour la sécurité du royaume. Cette sécurité est l’obsession du roi. Bornant les limites de son « Europe », Charles les « marque » par des seuils et les fortifie. Des « marches », sortes de provinces-tampons, sont instituées et placées sous le commandement de comtes établis comme marchiores (marquis ou margraves). Des fortifications à l’est, puis un réseau de provinces ecclésiastiques dirigées par des archevêques fidèles maintiennent, militairement et spirituellement, l’autorité du roi aux marges de son Europe. Sous le règne de Charles, les principales lignes de force du continent sont donc fixées. Son centre de gravité, contrairement aux précédentes grandes civilisations antiques, se place très au nord. La Gaule y occupe le premier plan, et, plus encore, l’Austrasie des Carolingiens. C’est là qu’en 794 Charles décide d’établir son palais, d’en faire un centre définitif, une « nouvelle Rome », ou plutôt une « nouvelle Byzance » : Aix-la-Chapelle. La cour fait venir des ambassades, celles du calife de Bagdad ou des rois anglo-saxons, et des papes qui, jusqu’alors, n’avaient jamais franchi les Alpes. En accomplissant de si longs voyages pour rendre hommage au Magnus rex (Grand roi), tous viennent honorer le souverain le plus important de l’Occident chrétien. C’est à l’Irlande, l’Italie, l’Espagne que Charlemagne emprunte des éléments vivifiants. Il ramène de son voyage en Italie, Pierre de Pise qui lui apprend la grammaire, Paul Diacre et Paulin d’Aquilée. Théodulf Espagnol et Alcuin, moine anglais, sont les réorganisateurs de l’enseignement dans l’Empire carolingien. Alcuin est anglo-saxon, Paul Diacre et Pierre de Pise italiens, Dungal irlandais, Théodulf et Agobard espagnols, Angilbert franc. C’est la première « renaissance européenne » qui unit le christianisme et la grande culture romaine antique retrouvée. « L’Europe a pris forme dans ce très court moment de calme et d’unité » (environ 40 ans), selon Georges Duby. A cela s'ajoute une renaissance artistique : le décor architectural et la sculpture sont calqués sur l'art byzantin. L'influence irlandaise se manifeste dans l'usage croissant des enluminures de manuscrits et l'influence byzantine dans le décor à mosaïques, les drapés et les églises. Les constructions religieuses évoluent selon les besoins de la piété populaire (grandes églises, cryptes et déambulatoires pour abriter les reliques). L’Empire carolingien se caractérise aussi par la Renovatio regni Francorum ou Renaissance carolingienne. Ce renouveau de la culture se manifeste par la volonté politique de l’empereur de promouvoir les études. L’école du palais accueille les fils de la haute aristocratie et les forme à leurs futures fonctions politiques et administratives. Charlemagne fait venir à Aix-la-Chapelle des érudits d’origine diverses, tels que Pierre de Pise, le Franc Eginhard, le Lombard Paul Diacre, ou encore Alcuin, diacre originaire de York. Par son Admonitio generalis de 789, Charlemagne ordonne la création d’une école dans chaque cathédrale ou monastère de l’Empire. Destinés avant tout à la formation des clercs et des fonctionnaires de l’État, ces écoles profitèrent aussi à beaucoup d’autres enfants. Pour disposer d'administrateurs compétents et pour réformer l'Église (religieux ignares de la liturgie, ne sachant pas le latin, vivant en concubinage et vendant les

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sacrements), Charlemagne favorise les études en créant l'école du palais, que dirige le célèbre Alcuin et en créant des écoles près des cathédrales et des monastères. L'enseignement classique, surtout le latin, est remis à l'honneur, après avoir été délaissé à la fin du VIIe siècle. La langue latine, désormais langue du clergé, est une langue morte. Les écoles voulues par Charlemagne se trouvent dans les monastères et les évêchés. On y enseigne les psaumes, l'écriture, le chant, le calcul et la grammaire. les églises et monastères servent la gloire de Charlemagne. Ils sont les théâtres de la « renaissance carolingienne », ce renouveau intellectuel qui prend appui sur la vivacité des écoles épiscopales et des scriptoria, véritables conservatoires de la culture antique. Charles a donné l’impulsion nécessaire de cette renovatio, distribuant des consignes pour développer l’enseignement ecclésiastique (d’où l’image d’« inventeur de l’école » que la mémoire populaire lui a attribuée), commandant manuscrits et ouvrages d’art et s’entourant d’une académie de maîtres qui contribueront à son « éducation » personnelle. Il est intéressant de constater qu’à Aix, cette « nouvelle Athènes » où les lettrés et leur souverain s’affublent de noms antiques (David, Homère, Flaccus...), les proches « conseillers culturels » appelés par le roi sont souvent originaires de contrées très périphériques où avaient subsisté des traces de culture antique : Alcuin est anglo-saxon, Paul Diacre et Pierre de Pise italiens, Dungal irlandais, Théodulf et Agobard espagnols. En somme, au-delà des frontières de son empire, Charles a déjà une vision large de l’Europe culturelle ! De plus, « sans les copistes du VIIIe et IXe siècles, la plupart des auteurs antiques dont nous possédons aujourd’hui le texte, ne nous serait connus au mieux que de nom » affirme Philippe Depreux. La copie des manuscrits est longue et minutieuse. Le copiste écrit sur du parchemin, peau de bête séchée et tendue puis découpée et reliée avec soin. Il trace des lignes afin d’écrire droit, puis commence la copie. Il doit être instruit car il faut savoir lire et écrire et maîtriser le latin. La minuscule caroline résulte d’une longue recherche graphique durant les VIIe et VIIIe siècles. À la fin du VIIIe siècle, une Bible en 5 volumes conservée aujourd’hui à la bibliothèque municipale d’Amiens, est exécutée pour l’abbé Maurdramne, mort en 780. Elle est considérée comme le premier ouvrage écrit en minuscule caroline. Ce type graphique s’impose à toute l’Europe sous le règne de Charlemagne et avec elle le latin. Enfin, on peut évoquer l’importance de l’Empire en Europe de l’Est (karol a donné krol, roi en slave). À la mort de Charlemagne, cet Empire ne sera pas partagé selon la coutume franque parce que les autres héritiers meurent avant Louis le Pieux. Louis le Pieux en 817 associa à l'Empire son fils aîné, Lothaire. Lors des partages successifs qu'il élabora, Louis le Pieux prévoyait une vie communautaire entre ses fils, tous rois mais restant sous l'autorité de leur frère Lothaire, associé à l'Empire avec le titre d'empereur. En réalité, deux des fils de Louis le Pieux, Louis le Germanique et Charles le Chauve, se sont unis par les serments de Strasbourg pour se protéger de Lothaire. Au traité de Verdun, en 843, l’Empire carolingien est divisé en trois royaumes. Dès la fin du IXe siècle, des aristocrates (ducs, comtes) qui ne sont pas carolingiens, accèdent au pouvoir. En 888, après la mort de Charles le Gros, Béranger Ier accède au trône d'Italie. Au Xe siècle, la dynastie carolingienne disparaît, soit faute de descendants (en 911 en Germanie) soit écartée du pouvoir (987, Hugues Capet en Francie). L’analyse déclin du pouvoir royal doit dissocier les causes des grandes invasions (Normands venus du Nord, les Sarrasins au Sud et les Hongrois venus de l’Est) pour que celles-ci ne masquent pas les faiblesses internes de l'Empire, à savoir les problèmes de succession et l'indépendance grandissante des comtes. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :

Evaluation cohérente en fonction des objectifs :

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HMA – L’Eglise et les femmes au Moyen Age

Approche scientifique Approche didactique

Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) :

Insertion dans les programmes (avant, après) :

Sources et muséographie : La difficulté a construire une histoire mixte est souvent invoquée au nom de l’invisibilité des femmes dans les sources. Ceci n’est qu’en partie vrai car à partir du XIIe les images de femmes sont désormais très nombreuses et permettent de mieux les saisir dans leurs activités quotidiennes. Ouvrages généraux : Dalarun Jacques, « Dieu changea de sexe, pour ainsi dire ». La religion faite femme, XIe-XVe s., Paris, Fayard, 2008 (médiéviste de réputation internationale, a dirigé l’édition du Moyen Âge en lumière, Fayard 2002) KLAPISCH-ZUBER Christiane, « Masculin/féminin », dans Dictionnaire raisonné de l’Occident médiéval, J. Le Goff et J.-Cl. Schmitt dir., Paris, Fayard, 1999, p. 655-668. Histoire des femmes, Georges Duby et Michelle Perrot, T 2, Le Moyen âge, sous la direction de Christiane Klapisch-Zuber, Plon, 1991 DALARUN Jacques, BOHLER Danielle et KLAPISCH-ZUBER Christiane, « La différence des sexes », dans Les tendances actuelles de l’histoire du Moyen Âge en France et en Allemagne, J.-Cl. Schmitt et O.G. Oexle dir., Paris, Presses Universitaires de la Sorbonne, 2002, p. 561-582. Genders and Others Identities in the Middle Ages. The Interplay of Differences, S. Farmer et C. Braun Pasternack éd., University of Minnesota Press, Minneapolis, 2002. Documentation Photographique et diapos : Revues : BÜHRER-THIERRY Geneviève, LETT Didier et MOULINIER Laurence, « Histoire des femmes et histoire du genre dans l’occident médiéval », Historiens et Géographes, 392, 2005, p. 135-146. Jacques Le Goff, « Le Christianisme a libéré les femmes », L’Histoire n° 245, juillet-août 2000 Georges Duby, La femme, l’amour et le chevalier, L’Histoire n° 1, mai 1978 RÖCKELEIN, Hedwig, «Entre société et religion : l’histoire des genres au Moyen Age en Allemagne », in Les tendances actuelles de l’histoire du Moyen Age en France et en Allemagne, Paris, 2002, p. 583-594. LAUWERS Michel, « L’institution et le genre. À propos de l’accès des femmes au sacré dans l’Occident médiéval », Clio, Histoire, Femmes et Sociétés, 2, 1995, p. 279-317. Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Être chrétien au Moyen Âge, c'est participer aux rites prescrits par l'Église, vivre an même rythme, celui des fêtes religieuses, avoir une conduite de vie conforme à l'idéal de l'Évangile. Mais l'emprise de l'Église est-elle bien réelle ? Cette question a été relancée par l'historiographie contemporaine, qui considère que la christianisation moyenâgeuse s'est révélée superficielle et que l'enracinement profond du dogme date en fait du XIXe siècle. Telle qu’elle se structure entre l’Antiquité tardive et le haut Moyen Âge, la religion chrétienne ne faisait pas la part belle aux femmes : assimilées à Ève, l’alliée du Serpent, elles étaient exclues du sacerdoce et cantonnées dans une position mineure au sein de l’Église. Pourquoi, à la fin du Moyen Âge, la religion s’est-elle féminisée, par une adhésion plus forte des femmes à la foi et à la pratique, par une féminisation du discours religieux, par une alliance ambiguë du prêtre et de la dévote communiant dans une religion de la Mère et du Fils ? Pourquoi, selon l’audacieuse expression de Michelet, « Dieu a-t-il changé de sexe, pour ainsi dire » ? Au tournant des XIe et XIIe siècles, au temps de la réforme dite grégorienne, la tradition interdisait aux femmes de pénétrer dans certains sanctuaires ; mais se met en place une triade Marie, Ève et Madeleine où, entre les deux premières images, antinomiques, s’ouvre par la troisième l’interstice d’un accès au salut au prix de la pénitence. C’est l’époque de la fondation du monastère mixte de Fontevraud où les hommes étaient soumis aux femmes. Le vrai retournement survient au XIIIe siècle avec François d’Assise qui, célébrant des allégories féminines telle « dame Pauvreté », se présentant lui-même en mère de ses fils spirituels, offre aux femmes une icône à laquelle

Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO actuel : « Sans omettre les évolutions, le XIIIe siècle est choisi comme observatoire privilégié. L’Église est présentée comme une structure et un acteur essentiels de l’Occident médiéval. Elle participe à son expansion (évangélisation, pèlerinages, croisades). L’enracinement social et les manifestations de la foi sont étudiés à partir des monuments et des oeuvres d’art. • Carte : diffusion de l’art roman et de l’art gothique. • Repères chronologiques : la première croisade (1095) ; Bernard de Clairvaux (XIIe siècle) ; François d’Assise (XIIIe siècle). • Documents : une abbaye ; une cathédrale. » Socle : Ajout à la fin du commentaire « L’étude de l’organisation interne de l’Église est menée en relation avec la société médiévale : elle montre que la prépondérance pontificale s’impose dans un cadre de lutte avec les pouvoirs politiques, et que les différents clergés (séculier, régulier) contribuent à l’encadrement de la société. »

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s’identifier. Claire d’Assise, de son côté, échappe à ces jeux d’inversion pour atteindre à une vision de l’humanité au-delà des genres. Aux XIVe et XVe siècles, une floraison de saintes de très modeste renommée, surtout en Italie, marque ce mouvement de féminisation du religieux. Leur parole se fait entendre, telle celle d’Angèle de Foligno. Elles se mettent à jouer la Passion du Christ par les places et les rues, telle Claire de Rimini. Elles fédèrent la mémoire des cités et accèdent enfin à une écriture autonome où s’exprime leur désir d’explorer les mystères de la foi avec toute la force de leur raison. La recherche historique s’est articulée autour de plusieurs pôles : - un pôle littéraire qui a survalorisé l’amour courtois, les troubadours du midi de la France, ainsi que Marie de France et Christine de Pisan. Plusieurs approches dominent : l’étude des genres dans les grands monuments de la littérature médiévale ; l’étude des grandes figures de la littérature féminine, mystiques, troubadoures, femmes de lettres de la fin du Moyen Age, etc ; mais aussi, l’étude de la construction des genres et le « gender trouble », transsexualité, travestissement, etc… - l’histoire sociale L’histoire sociale a certainement joué un rôle moteur dans l’introduction de l’histoire des femmes dans l’historiographie médiévale, notamment à travers les nombreuses études d’histoire urbaine, soutenue par une grande masse archivistique - l’histoire de l’Eglise et de la spiritualité au sens large. L’histoire religieuse a développé plusieurs aspects de l’histoire des femmes, d’une part un aspect presque institutionnel à travers l’histoire des nombreux couvents féminins et de leurs activités à toutes les époques (ici la bibliographie est vraiment immense), d’autre part un aspect plus « biographique » avec les très nombreuses études portant sur les femmes célèbres de l’Eglise, notamment Hildegarde de Bingen, mais aussi toutes les mystiques, plus ou moins connues (par exemple celles de Helfta), enfin les femmes de pouvoir versées dans la spiritualité. Dans ce champ, ce sont probablement les études sur la transmission écrite des mystiques ou des béguines qui fournissent les études les plus novatrices sur le genre, grâce à des projets interdisciplinaires où on trouve des historiens, des philologues du latin médiéval et des spécialistes de littérature. Mais si la recherche sur les mystiques peut paraître comme un des domaines les plus avancé en matière de recherche sur le genre, elle comporte néanmoins un immense problème qui reste celui de la réelle qualité d’auteures de ces femmes qui ont rarement consigné elles-mêmes leurs écrits. Mais, hormis en Allemagne, les chercheurs se sont peu intéressés à l’histoire des femmes de l’Antiquité tardive et du haut Moyen Age. On discerne encore deux grandes tendances, d’une part celle qui s’intéresse aux femmes de pouvoir, aux « fortes femmes », d’autre part celle qui considère avant toute chose l’exploitation des femmes, ce qu’on peut caractériser comme « l’écriture héroïque » contre « l’écriture tragique », certains thèmes pouvant participer des deux catégories à la fois, comme par exemple les sorcières, à la fois héroïnes et persécutées. Globalement, il faut bien dire que l’impact des études sur le genre en histoire médiévale est vraiment très mince, ce qui n’est pas tout à fait étonnant puisqu’on en est encore à publier des synthèses qui ignorent absolument la problématique de l’histoire des femmes. L’histoire des femmes et du genre reste bien souvent une sous-catégorie de l’histoire de la famille et reléguée dans le domaine « privé ». Compte tenu de ce panorama, il semble que les approches les plus prometteuses aujourd’hui en matière d’histoire du genre sont les projets interdisciplinaires : en Allemange, dès 1996, Hans-Werner Goetz et Hedwig Röckelein ont publié un volume qui portait sur les « réseaux de relations entre femmes » qui mettait au centre du propos les relations des femmes entre elles, dans le but de découvrir s’il existe vraiment des « espaces féminins » au Moyen Age, et des distinctions substantielles de comportement masculin/féminin, ce qui était déjà une vraie thématique du genre. Ils concluaient qu’il n’existe nulle part d’espace (réel ou métaphorique) qui soit exclusivement réservé aux femmes. Quelles que soient les sources considérées, ce n’est ni l’espace féminin ni les liens des femmes entre elles qui dominent le discours : la question du genre est toujours dominée par des aspects plus importants comme le rang social, le fait d’être marié ou pas, l’âge ou l’appartenance à une génération, l’intention religieuse, morale ou littéraire de l’auteur. Les considérations de genre se cachent derrière des intérêts plus

Accompagnement : « Il n’est pas envisageable de proposer une histoire chronologique de l’Église médiévale. L’Église est présentée comme l’élément fédérateur de l’Occident chrétien en montrant que son autorité s’exerce aussi bien dans le domaine religieux et politique que dans la vie privée de chacun. » Futur programme : « LA PLACE DE L’ÉGLISE On fait découvrir quelques aspects du sentiment religieux. La volonté de l’Eglise de guider les consciences (dogmes et pratiques, lutte contre l’hérésie, inquisition…) et sa puissance économique et son rôle social et intellectuel (insertion dans le système seigneurial, assistance aux pauvres et aux malades, universités…) sont mises en évidence. L’étude est conduite à partir: - de l’exemple au choix d’une abbaye et de son ordre religieux masculin ou féminin ; - de l’exemple au choix d’une oeuvre d’art: statuaire, reliquaire, fresque, chant… ; - de l’exemple au choix d’un grand personnage religieux, homme ou femme. Raconter quelques épisodes de la vie d’un grand personnage religieux, homme ou femme »

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puissants. On a l’impression que pour les auteurs du Moyen Age, alors qu’une attitude différente est affichée envers chaque genre – on ne juge pas de la même manière les actes d’un homme et d’une femme, etc… - cette différence d’attitude n’est pas problématisée. C’était déjà cette approche interdisciplinaire qui guidait une publication de 1991, émanant de l’université de Bochum, où on ne décide pas dès le départ qu’on peut savoir où sont les femmes et comment les circonscrire, mais qu’on se pose la question de la construction de la femme en tant que genre. On peut rapidement la liste des thèmes les plus souvent rencontrés dans l’espace germanique en matière d’histoire des femmes (surtout) et du genre (un peu) : Capacité juridique et le droit de propriété des femmes Mariage, famille et maternité Les femmes dans l’Eglise – avec développement sur l’oppositon virgo/matrona, place de Marie Monastères féminins Mouvements religieux féminins : les cathares mais surtout les Béguines Education, formation, production littéraire et artistique – où la littérature mystique joue un grand rôle Souveraines et femmes d’exception (avec jubilée pour certaines reines/impératrices comme Theophano) Sans doute un peu en recul aujourd’hui : Magie et sorcellerie Travail des femmes Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : I. La femme au Moyen Age Si la société médiévale reste fondamentalement masculine, les femmes, dont l’image et la place évoluent, jouent un rôle essentiel dans le processus civilisateur. « En ma folie, je me désespérais que Dieu m’ait fait naître dans un corps féminin. » Cette réflexion de Christine de Pizan (vers 1364-vers 1430) dans Le Livre de la Cité des Dames (1405) illustre à merveille l’ambiguïté ou l’ambivalence du statut féminin au Moyen Âge : si elle met bien au jour, quoique de manière allusive, l’état de dépendance et de soumission auquel furent généralement réduites les femmes, elle révèle en même temps une prise de conscience et une protestation qui témoignent, a contrario, d’une certaine autonomisation ! Une image contradictoire Ève impure ou Vierge Notre-Dame, matrone ou dame des tournois… Dans les mentalités médiévales (mais c’est sans doute vrai de toute civilisation à toute époque), les images de la femme sont multiples et parfois contradictoires. Descendante d’Ève – cette figure de l’impureté et du péché responsable de l’expulsion du Paradis terrestre –, la femme est associée à la chair et au péché. Mais le XIIe siècle est aussi celui de l’essor du culte rendu à la Vierge Marie. Placée au-dessus de tous les saints, médiatrice de sagesse et de salut, Marie s’oppose à Ève, comme la virginité à la sensualité, l’esprit au corps, l’idéal au péché. À cela s’ajoute le fait que la plupart des œuvres d’art consacrées à la Vierge la représentent en compagnie de l’Enfant Jésus, ce qui contribue à identifier la femme à la mère. La femme rachetée par la mère Car la maternité est alors une étape essentielle dans la vie de toute femme. Si celle-ci ne peut rester chaste, elle se doit au moins de procréer, et de le faire dans la douleur, afin de racheter la faute d’Ève et, ce faisant, les péchés de l’humanité tout entière. Souvent au péril de sa vie. Le nombre de femmes qui meurent en couches est considérable, ce que résume une formule usitée au XIIe siècle : « Toute femme arrivée au moment des couches a d’ordinaire la mort à sa porte. » Contrairement à ce qu’on a pu croire à une certaine époque, le Moyen Âge a bien connu l’attachement maternel : la naissance d’un enfant réjouit tout le foyer (on comptait environ sept enfants par famille), et les indices archéologiques comme les œuvres d’art (celles qui sont consacrées à Marie, mais aussi à sa mère, sainte Anne) sont là pour témoigner de l’amour que la mère portait à ses enfants. C’est elle qui leur transmet les valeurs, leur fait la lecture (pour le milieu noble) et les instruit des rudiments de la religion, mais elle participe aussi à l’éducation des adolescentes et prépare la future jeune femme à l’entrée dans le monde des adultes, qui se fait généralement dès l’âge de 12 ans !

Activités, consignes et productions des élèves : Au Moyen Age chaque monastère, outre la Bible, avait son « livre de base », sorte de manuel qui servait à l'instruction et à l'« édification » de la communauté. Dans les couvents de femmes, ce livre avait souvent comme titre « le jardin des délices » (Hortus Deliciarium), expression empruntée au Cantique des Cantiques, ce livre de l'Ancien Testament où se trouve évoquée la « scène du fiancé qui accueille sa bien-aimée dans un jardin où elle peut admirer et goûter toutes sortes de délices ». Au couvent, c'est le Christ qui est le fiancé. Le Hortus Deliciarum d'où est extrait ce document a été composé au XIIe s., au couvent du Mont-Sainte-Odile en Alsace, par l'abbesse Herrade de Landsberg et ses moniales ; ce manuscrit a donné une réputation universelle au couvent. C'était un gros volume de 255 feuilles de parchemin dans le format de nos grands journaux (55 cm sur 37 cm) avec 69 feuillets de moindre dimension intercalés. L'ensemble était illustré de 344 miniatures, véritables chefs-d'œuvre aux couleurs vives occupant un quart de l'espace total. Certaines d'entre elles, comme celle-ci, occupaient une page entière. Ce précieux manuscrit a brûlé lors du bombardement de Strasbourg en 1870. Il a été reconstitué dans les années 1980 grâce à des copies dispersées dans le monde entier. Le document représenté ici était annoté en latin, en écriture protogothique. Grâce à ces annotations, nous savons que les échelons principaux, à compter du bas, représentent la chasteté, la tempérance, l'humilité, l'obéissance, la patience, la foi et la charité. Les chrétiens qui, suivant leur place dans la société, devraient pratiquer Tune ou l'autre de ces

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Le mariage : servitudes et libertés Le temps du mariage suit ainsi aussitôt celui de l’enfance. Pour l’Église, le couple doit être consentant. Mais, dans la réalité, il s’agit davantage d’un contrat d’intérêts passé entre deux familles, et plus la jeune fille est de bonne condition, moins elle aura de liberté de choix. Clairement défini comme monogame et indissoluble, le mariage ne crée pas pour autant uniquement de l’oppression, même si le sentiment amoureux est rarement la condition première pour mener à bien une vie conjugale. Avant tout, dans la noblesse, la femme est la représentante de la position sociale du mari : elle est sa vitrine, mais aussi sa conseillère. Christine de Pizan, dans le Livre des Trois Vertus, précise même que l’épouse peut devenir le guide spirituel de l’homme pour son propre salut. Pour devenir de bonnes épouses, les femmes de l’aristocratie peuvent s’instruire dans des manuels d’éducation, comme le Speculum dominarum (le miroir des dames) écrit par Durand de Champagne pour la reine Jeanne de Navarre, épouse de Philippe le Bel. Ces manuels témoignent de l’importance de la dame de la noblesse, vue comme un modèle de rigueur et de moralité pour toutes les femmes. Aux XIVe et XVe siècles, certaines femmes possèdent des biens propres, bijoux, argent, etc. D’ailleurs, dans toute l’Europe, à la fin du Moyen Âge, les grandes familles pratiquent généralement la gestion séparée des biens de l’épouse et du mari. Toute femme peut disposer d’un personnel et d’appartements privés pour sa propre liberté d’action. Mais le couple se doit au moins de partager le lit conjugal. La valeur émancipatrice du travail Dans la bourgeoisie, si gouverner la maison reste sa principale activité, et si elle demeure soumise à son mari à qui elle doit respect, obéissance et fidélité, la femme n’en connaît pas moins une certaine promotion par le travail. En 1268, dans son Livre des métiers, Étienne Boileau, prévôt de Paris en 1261 sous Saint Louis, établissant la liste des métiers parisiens, nous apprend que, sur cent métiers, vingt-six sont ouverts aux femmes. Environ 1,5 % des médecins sont des femmes, même si elles n’ont pas accès à l’Université : l’indispensable sage-femme (la « ventrière ») apprend le métier par la pratique. En 1351, une ordonnance de Jean le Bon fixe pour les femmes, notamment dans l’artisanat, des salaires largement inférieurs à ceux des hommes : au XIVe siècle, une femme gagne par jour 12 deniers, un homme, 16 en hiver et 20 en été. Il n’en reste pas moins que le travail confère à la femme une certaine importance. En ville, elle exerce essentiellement des activités dans l’artisanat textile (peignage, cardage, filage), dans la cordonnerie, dans la vente ou dans les arts, comme Jehanne la Verrière qui réalisait des vitraux. À la campagne, elle s’occupe de la tonte des moutons, de la moisson, des vendanges, de la surveillance du troupeau, sans oublier le travail au jardin (« la terre natale des femmes » selon Abélard), très utile pour nourrir et soigner la famille. Ainsi Le Ménagier de Paris, ouvrage écrit par un anonyme parisien au XIVe siècle, est un véritable manuel d’éducation de la jeune femme, avec ses nombreuses recettes de cuisine, mais aussi ses « leçons » de bonne conduite. La femme dans la vie publique Dans l’aristocratie, certaines circonstances peuvent favoriser une forme d’émancipation féminine : veuve ou momentanément séparée de son mari, comme lors des croisades, la femme peut devenir chef de famille, et détentrice de seigneuries, de fiefs, voire de royaumes. Mais déjà au VIIe siècle, Bathilde, veuve de Clovis II, avait exercé le pouvoir au nom de son fils aîné, Clotaire III, avant de se retirer au monastère de Chelles. Et, en 1226, à la mort de son mari Louis VIII, la reine Blanche de Castille, mère de douze enfants, veuve à trente-huit ans, garde le royaume pour son fils Louis IX, futur Saint Louis. Mais malgré ses capacités à gouverner, la femme ne peut accéder à la tête de l’État que pour une période transitoire : la loi salique l’éloigne en effet de la succession directe et du trône, à la différence d’autres pays occidentaux. Cela explique que l’iconographie médiévale présente surtout la femme de l’aristocratie durant le temps des loisirs : la danse (parfois jugée scandaleuse), la musique, les festins, les spectacles, et autres distractions. Cet amour du divertissement est chanté par le poète Eustache Deschamps : « Elles désirent les cités/les doux mots qu’on leur dit/les fêtes, les marchés et le théâtre/lieux de délices qui leur permettent de s’ébattre. » Une reconnaissance littéraire Dès le XIIe siècle apparaît la fin’amor, qui établit un nouveau type de relation amoureuse, faite de générosité et de sublimation du désir. La femme devient la

vertus, essaient de s'élever jusqu'à la couronne de la vie éternelle. Mais ils succombent le plus souvent aux différentes tentations figurées de chaque côté de l'échelle par un détail concret. Ce sont de bas en haut : pour les gens du monde et les chevaliers, des chevaux, des voitures, des gens de guerre, des villes, de beaux vêtements ; pour la religieuse, le luxe du siècle et le prêtre séducteur ; pour le clerc, le repas plantureux et sa maîtresse dont la robe cache une partie de l'église ; pour le moine l'argent et la richesse ; pour le reclus un lit moelleux ; pour l'ermite, les soins excessifs prodigués à son jardin. Seule la septième et principale vertu, la charité, protégée par les anges contre les flèches des diables, atteint le paradis.

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domina, l’épouse du seigneur, et le vassal, son amant. À travers une construction de l’esprit assez complexe sont mises à l’honneur les prouesses chevaleresques pour la dame, suzeraine à laquelle est rendu un véritable culte. Si des jeux réels furent élaborés dans les cours d’amour, il faut garder à l’esprit que la fin’amor fut avant tout un jeu poétique, et la promotion féminine qu’il établissait demeura largement fictive. Il n’en reste pas moins que la fin’amor s’inscrit dans un contexte général où la femme – de l’aristocratie – joua un rôle important, comme commanditaire et destinataire (les romans de Chrétien de Troyes pour Aliénor d’Aquitaine), mais aussi comme auteur. Ainsi, dans la seconde moitié du XIIe siècle, Marie de France, première grande poétesse française, écrit ses Lais, nouvelles relatant des épreuves amoureuses. Un siècle plus tard, Christine de Pizan, admirée par le roi Charles V en personne, fait des lettres son métier. Veuve à 25 ans, elle s’insurge contre la misogynie des propos du Roman de la Rose, le best-seller de l’époque, et développe une réflexion autour de la condition féminine. Dans son œuvre allégorique, Le Livre de la Cité des Dames, elle crée un royaume, Féménie, dirigé par Raison, Justice et Droiture. Dans la cité, de nobles dames peuvent se libérer par les loisirs, leurs conversations et l’écriture. Disposant d’un scriptorium avec artisans, Christine de Pizan livra même ses idées sur l’iconographie de ses manuscrits. Mécènes et bienfaitrices Quand elle n’écrit pas elle-même, la femme de l’aristocratie fait souvent écrire. La commande d’œuvres, notamment de manuscrits enluminés, est fréquente de la part des dames des XIVe et XVe siècles, désireuses de beauté et d’édification morale. Jeanne d’Évreux, reine de France, troisième femme de Charles IV, est connue pour son amour des livres. Elle commande au célèbre Jean Pucelle son Livre d’heures (certainement l’un des plus beaux de cette époque), ainsi que plusieurs objets précieux pour l’abbaye de Saint-Denis : deux statues de la Vierge, une châsse dite de la Sainte-Chapelle, une statue d’or de saint Jean et une couronne royale. Elle se préoccupe également de son vivant de l’exécution de son gisant pour son futur tombeau. À la fin du XVe siècle, Anne de France, fille aînée de Louis XI, se lance, en accord avec son époux, le duc de Bourbon, Pierre II de Beaujeu, dans une politique de travaux d’art, avec un grand artiste, le Maître de Moulins. On peut encore citer les bienfaitrices de noble naissance comme la reine Jeanne de Bourgogne, femme de Philippe V le Long, qui, en 1319, patronne la fondation de l’hôpital Saint-Jacques-aux-Pèlerins, laquelle avait déjà reçu l’aide de sa propre mère, Mahaut d’Artois. Une influence profonde L’image du Moyen Âge, ces « temps obscurs » d’avant la Renaissance, a longtemps été celle d’un monde brutal et sauvage, exclusivement religieux et guerrier, et donc profondément misogyne. Comme toutes les caricatures, celle-ci n’est pas totalement fausse. Sans doute, la société médiévale a-t-elle été une société essentiellement masculine. Sous l’influence de la religion (ou y trouvant comme une légitimation), qui voit en elle un être excessif et dépendant en raison de sa faiblesse physique et morale, elle réserve à la femme une position inférieure et véhicule d’elle une image volontiers négative. Il n’en reste pas moins qu’une étude plus approfondie des textes et des indices archéologiques tempère cette vision univoque et révèle que la femme, surtout il est vrai dans les classes élevées, joua entre le VIIIe et le XVe siècle un rôle social et culturel non négligeable, contribuant notablement à la « civilisation des mœurs ». II. Les représentations de la femme par l’Eglise Le Moyen âge est une époque contradictoire. Les discours sur la femme et les images qui la montrent sont nombreux et variés. La représentation imposée est souvent sans nuances. Elle est infiniment défavorable aux femmes. Ici, comme ailleurs dans l’histoire des femmes, le regard porté sur les femmes est masculin. Il est de plus celui d’une couche particulière de la société : les clercs. D’autres sources, mais aussi une approche différente de la religiosité, permettent de construire une réalité plus diverse. La construction des rapports entre les hommes et les femmes ne peut se réduire à l’image que nous en renvoient les clercs. Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer la femme est omniprésente au Moyen âge. Elle l’est dans le discours, elle l’est par les images. Elle l’est surtout grâce à l’Église, grande pourvoyeuse de représentations sociales au Moyen âge. Une idée majeure structure l’ensemble de ces représentations : la femme est du

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côté du péché. Le Moyen Âge est marqué par une forte distinction et une hiérarchie entre les deux sexes légitimées par la Bible. La femme doit être soumise à l’homme car Ève est une création seconde et une création dérivée : l’homme a été créé avant la femme ; cette dernière procède de lui et n’est pas à l’image de Dieu ; c’est Adam qui a nommé la femme après la Chute dont Ève est rendue responsable. Parmi beaucoup de miniatures, il en est une qui se présente comme un commode résumé de la pensée de l’Église à l’égard de la femme. Il s’agit de la reproduction d’un épisode biblique, la tentation d’Adam et Ève qui se trouve dans un psautier du XIIIe siècle. L’image est classique, Ève tend à Adam le fruit défendu. Au milieu, les séparant, l’arbre de la connaissance et le serpent qui enroule ses anneaux tout le long du tronc. C’est dans la figuration de l’animal que réside toute l’originalité de cette miniature : le serpent a figure féminine. Pour le « pauvre » Adam, le péché est ainsi doublement offert à sa tentation : par Ève et par le serpent auquel l’artiste a donné le joli visage d’une femme. Le point de vue est exclusivement masculin. Or ces miniatures pouvaient être utilisées à des fins éducatives : les psaumes servaient aux enfants à apprendre le latin et à construire des phrases que l’on pouvait ensuite adapter pour raconter l’histoire décrite par ces miniatures ; on apprenait ainsi, avec les premiers rudiments de la langue, le danger que pouvait constituer le sexe féminin. Ainsi dans la plupart des représentations figurées, les femmes sont-elles montrées comme pécheresses. Dans « la gueule de l’Enfer », ce sont des femmes qui servent de pâture au loup, symbole des tortures de la géhenne. Cependant, même ici on aurait tort de croire qu’elles y sont représentées comme des « actrices de l’histoire ». C’est toujours dans un rapport aux hommes que leur culpabilité est établie. Elles ne sont pas sujet commettant un péché, mais un moyen de pécher offert à l’homme. Ce sont des clercs qui forgent pour d’autres clercs et pour des laïcs, les représentations figurées autour d’une image centrale de la femme tentatrice et pécheresse. La Bible devient le réservoir essentiel des stéréotypes féminins sur lequel se fonde la peur du sexe féminin. Pourtant le caractère univoque de beaucoup de discours et d’images ne doit pas cacher une réalité plus nuancée. L’Église qui paraît si misogyne a également valorisé des pratiques et des rôles qui contredisent cette apparence. III. Les réalités de la vie quotidienne des femmes La religion offre aussi aux femmes une autre voie possible de valorisation sociale, en leur permettant d’entrer dans les monastères, de créer des fondations, et parfois même de rendre compte par écrit de leur expérience. C’est le cas notamment d’Hildegarde de Bingen, la Prophétesse du Rhin, née à la fin du XIe siècle. Entrée à l’âge de 8 ans au service du Seigneur, devenue abbesse bénédictine de Disboden et de Rupertsberg, près de Mayence, elle ose prendre la parole, exposant son interprétation scientifique de l’univers dans des traités de médecine et de sciences naturelles et composant des œuvres religieuses où elle évoque ses visions mystiques (Le Livre des œuvres divines). Ses écrits circulent, ses lettres sont lues par les plus grands du royaume, tels Aliénor d’Aquitaine, des empereurs, des évêques. C'est uniquement pour protéger la femme d'un trop grand pouvoir de son mari que l'Eglise a fait du mariage un sacrement au XIIe s. Les représentations du mariage sont rares au Moyen âge. Il faut dire que dans la hiérarchie de la pureté, telle que les clercs l’établissent, les femmes mariées arrivent en dernier ; après les veuves et loin derrière les vierges. Néanmoins il existe des images du couple. Ainsi cette sculpture représentant Hugues de Vaudémont et sa femme. Tandis qu’Hugues tient le bâton du pèlerin, son épouse l’enlace tendrement dans des retrouvailles d’après croisade. Cette sculpture est contemporaine du mouvement qui a fait du mariage un sacrement. Dans son souci de réguler tout à la fois les mœurs de l’aristocratie et la propension « naturelle » de la femme à pécher, le discours des clercs valorise l’amour conjugal. L’Église par l’horreur qu’elle professe à l’égard du charnel, entend privilégier dans le couple l’accord des volontés, le consentement mutuel, lequel institue à ses yeux le mariage. Devant les devoirs que celui-ci impose, elle proclame l’homme et la femme égaux. Certes on sait peu de choses sur ce qui pouvait se passer dans les autres couches de la société. Mais ceci est finalement de moindre importance devant cette attitude désormais massive de l’Église à l’égard du mariage. Le Moyen âge voit se développer de nouveaux cultes. Parmi ceux-ci l’importance de celui rendu à Marie est largement établie. À partir du XIe siècle, le culte de la

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Vierge s'affirme, Marie étant montrée dans son rôle de mère. Les fidèles la voient surtout comme une femme sensible qui a de la compassion à l'égard de tout être humain. Mais il faut constater que c’est dans son rôle de mère, et de mère du Christ, que la femme est ici valorisée. Pourtant, on aurait tort de croire que c’est dans ce seul rôle que des femmes furent l’objet d’un culte religieux. Ainsi que le note Jacques Le Goff : « Pendant les premiers siècles du Moyen âge, le modèle masculin de la sainteté : c’est la figure de l’évêque […] ensuite s’impose la sainteté des abbesses, telle Hildegarde de Bingen, grande abbesse rhénane du XIIe, grande mystique, mais aussi grande savante rationnelle hardie, dont l’autorité et le prestige ont été très forts à cette époque. » Au fur et à mesure que l’on s’avance dans le Moyen âge, les représentations des femmes dans leur quotidien se multiplient. Certaines conduisent à remettre en cause des préjugés largement établis. Sur cette miniature, un vieil homme est couché, sans doute malade. À droite de l’image, une servante. Elle tient dans ses bras un récipient et paraît attendre les ordres de sa maîtresse. Celle-ci, assise au coin du feu, remue une cuillère dans un vase. Un détail dément l’idée qu’il pourrait s’agir de l’accomplissement d’une tâche ménagère : un livre est ouvert sur ses genoux. La lecture, très attentive, est destinée à la réalisation d’une potion médicamenteuse. Cette image et bien d’autres contredisent le stéréotype d’une femme écartée des activités les plus prestigieuses par excellence : la lecture et … l’écriture. Dans la Bologne universitaire des XIIIe et XIVe siècles, la demande de livres était forte. Les sources livrent les noms de nombreuses femmes miniaturistes et calligraphes. Elles devaient sans doute travailler en famille, avec leur mari ou leur père. Mais le fait est que, pour apprendre le métier il leur a bien fallu, au préalable, apprendre à lire et à écrire. Jeanne d’Arc est incontestablement la femme la plus connue du Moyen âge. Pourtant, c’est une autre femme, Christine de Pisan qui par sa destinée et ses écrits est à même de mieux représenter le caractère contradictoire de cette époque. Fille d’un astrologue de Charles V, elle reçoit une éducation soignée. Elle devient savante et se mêle de politique en un temps où les querelles dynastiques ne paraissent relever que des hommes. Elle rédige un poème à la gloire de Jeanne d’Arc, convaincue, avant bien des hommes, de la justesse de son action. Enfin, rompant avec le lyrisme et l’introspection de ses premiers poèmes, elle met à jour dans le Livre de la Cité des Dames les stéréotypes sur lesquels se fonde l’abaissement des femmes. Et dans une époque qui semble tant en manquer elle s’appuie sur Raison et Droiture. « Leur esprit ... est-il capable ? Je souhaite vivement connaître la réponse, car les hommes affirment que les femmes n’ont

que de faibles capacités intellectuelles. Elle (Raison) me répondit : «... si c’était

la coutume d’envoyer les petites filles à l’école et de leur enseigner

méthodiquement les sciences, comme on le fait pour les garçons, elles

apprendraient et comprendraient les difficultés de tous les arts et de toutes les

sciences tout aussi bien qu’eux. (...) » Il faut mettre un pluriel à féminin, c’est-à-dire de montrer l’extrême hétérogénéité du groupe des femmes. On sait combien, pour les femmes médiévales, le critère d’âge et de position dans le cycle de vie et dans la parenté, est prédominant : elles sont tour à tour, « fille de », « épouse de », « veuve de », identités qui impliquent des statuts, des rôles sociaux et un pouvoir très différents. De la même manière, les rapports sociaux de sexe varient profondément en fonction du milieu social considéré dans chaque segment de la société en opposition à une autre catégorie : pour les chevaliers, la masculinité se comprend comme le contraire de la féminité et comme la domination par la violence sur les autres (hommes et femmes). Notons enfin qu’il existe au Moyen Âge une contradiction majeure entre la condamnation sans appel de l’homoaffectivité ou l’homoérotisme et la survalorisation d’un monde profondément homosocial.

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Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Ainsi une étude attentive du Moyen âge apporte-t-elle des surprises quant à la place des femmes dans les sociétés médiévales. Cela conduit Jacques Le Goff à affirmer dans un article au titre volontairement provocateur : « Le christianisme a libéré les femmes ». Au Moyen âge, le fait religieux est capital pour comprendre le rôle, le statut et la représentation des femmes dans la société. Les clercs assignent à chacun et à chacune une place dans la société. Ils le font en raison d’une vision du monde et de la société étroitement dépendante du christianisme. Mais c’est aussi au nom de valeurs chrétiennes que s’opèrent des transformations majeures qui assurent plus d’égalité entre les sexes. De telles observations sont de nature à remettre en cause la vision de l’histoire conçue sur le mode d’un progrès linéaire de la situation des femmes dans l’histoire. Dans un contexte médiéval de survalorisation de la chasteté, on ne peut faire l’économie d’une réflexion sur ce que Ann McNamara a appelé la « question de l’homme » (Herrenfrage) ou une crise d’identité masculine dans le cadre de la réforme dite grégorienne, avec la victoire du célibataire sur l’homme marié dans la lutte pour le pouvoir : « Peut-on être un homme sans déployer les plus évidents attributs biologiques de la masculinité ? ».

Evaluation cohérente en fonction des objectifs :

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HMA – Le monachisme

Approche scientifique Approche didactique

Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) :

Insertion dans les programmes (avant, après) :

Sources et muséographie : Ouvrages généraux : Marcel Pacaut, Les Ordres monastiques et religieux au Moyen Âge, Nathan Université, Paris, 1993. M. PACAUT, Les Moines blancs. Histoire de l'ordre de Cîteaux, Paris, Fayard, 1993 DALARUN (Jacques), François d’Assise ou le pouvoir en question. Principes et modalités du gouvernement dans l’Ordre des frères mineurs, Bruxelles, 1999 (Bibliothèque du Moyen Age, 15) (médiéviste de réputation internationale, a dirigé l’édition du Moyen Âge en lumière, Fayard 2002). Léon PRESSOUYRE, Le Rêve cistercien, coll. « Découvertes », Gallimard, n° 95. Davril Anselme, Palazzo Eric, La Vie des moines au temps des grandes abbayes, Hachette, 2000. Jean Chélini, Histoire religieuse de l’Occident médiéval, Hachette, Paris, (1968) 1991. Michel Mollat (1911-1996), Les Pauvres au Moyen Âge, Hachette, Paris, 1978. Suire E., Vocabulaire historique du christianisme, Armand Colin, 2004. Jacques Berlioz (dir.), Moines et religieux au Moyen Âge, Paris, Points Seuil, 1994 (recueil d'articles de L'Histoire) Jacques PAUL, Le Christianisme occidental au Moyen Âge, Paris, Armand Colin, 2004 A. VAUCHEZ, La Spiritualité du Moyen Âge occidental (VIIIe-XIIIe), Paris, Points Seuil, 1994 (ch. 3 et 4, p. 68-168) J.-M. Mayeur, C. et L. Pietri, A.Vauchez et al. (sous la dir. de), Évêques, moines et empereurs in Histoire du christianisme : des origines à nos jours, vol. 4, Desclée, Paris, 1995. Merdrignac Bernard, La Vie religieuse en France au Moyen Âge, Nathan, coll. «Université», 1993. Documentation Photographique et diapos : A.Vauchez, « Chrétiens du Moyen Âge », Documentation photographique, n° 6104 (déc. 1989) Revues : « L’Église médiévale », Textes et documents pour la classe, n° 898, 15-30 juin 2005. « L'Âge d'or des grandes abbayes », L'Histoire, n° 217, janvier 1998. Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Pour la période du Moyen Âge central (fin XIe - XIIIe s), on s'intéressera aux transformations du monachisme (institutions, économie, enjeux spirituels et intellectuels, etc.) dans le contexte de la Réforme de l'Eglise et des mutations religieuses. Seront privilégiées les nouvelles expériences monastiques (semi-érémitisme, réclusion féminine, ordres mendiants) avec une attention particulière au mouvement cistercien. Futur programme : « LA PLACE DE L’ÉGLISE On fait découvrir quelques aspects du sentiment religieux. La volonté de l’Eglise de guider les consciences (dogmes et pratiques, lutte contre l’hérésie, inquisition…) et sa puissance économique et son rôle social et intellectuel (insertion dans le système seigneurial, assistance aux pauvres et aux malades, universités…) sont mises en évidence. L’étude est conduite à partir: - de l’exemple au choix d’une abbaye et de son ordre religieux masculin ou féminin ; - de l’exemple au choix d’une oeuvre d’art: statuaire, reliquaire, fresque, chant… ; - de l’exemple au choix d’un grand personnage religieux, homme ou femme. Décrire une abbaye et expliquer son organisation »

Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO actuel : « Sans omettre les évolutions, le XIIIe siècle est choisi comme observatoire privilégié. L’Église est présentée comme une structure et un acteur essentiels de l’Occident médiéval. Elle participe à son expansion (évangélisation, pèlerinages, croisades). L’enracinement social et les manifestations de la foi sont étudiés à partir des monuments et des oeuvres d’art. • Carte : diffusion de l’art roman et de l’art gothique. • Repères chronologiques : Bernard de Clairvaux (XIIe siècle) ; François d’Assise (XIIIe siècle). • Documents : une abbaye » Socle : Ajout à la fin du commentaire « L’étude de l’organisation interne de l’Église est menée en relation avec la société médiévale : elle montre que les différents clergés (séculier, régulier) contribuent à l’encadrement de la société. »

Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques :

Activités, consignes et productions des élèves :

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I. Le développement du monachisme la naissance du monachisme marque une étape originale et, par bien des aspects, décisive dans l’histoire du christianisme antique et d’une société désormais marquée par le christianisme. Nous suivons cette expérience spirituelle de ses origines orientales (Egypte, Palestine, Syrie) à sa diffusion en occident où l’apparition du monachisme gaulois en Aquitaine, avec Martin de Tours, est largement documentée par Sulpice Sévère, qui, en rapport avec Paulin de Nole, Aquitain lui aussi, adapte l’ascèse à une modalité aristocratique et la fonde sur le culte des saints. Dans une toute autre perspective, le monachisme provençal, appuyé sur les textes de Jean Cassien, est lieu de débat théologique en particulier avec Augustin qui, depuis l’Afrique, engage le débat sur la Grâce. Le monachisme est né en Orient où, très tôt, des chrétiens avaient choisi de vivre à l’écart de leur communauté, soit dans la solitude totale (anachorétisme), soit en communauté (cénobitisme). Notons que le monde byzantin ne connaît pas l’équivalent des ordres religieux tels qu’on les trouve en Occident et le mouvement monastique est marqué par une très grande diversité : moines gyrovagues (qui se déplacent perpétuellement et que l’on cherche à stabiliser) ; vie anachorétique, dont saint Antoine est le type ; vie cénobitique, où les moines vivent en commun sous la direction d’un supérieur appelé higoumène ; formes de vie mixtes, qui mélangent anachorétisme et cénobitisme… L’Occident a suivi le mouvement avec retard. Les premières règles ont été rédigées au IVe siècle, certaines traduites de modèles orientaux, d’autres originales comme celle de saint Augustin, de Benoît de Nursie (début du VIe siècle), de saint Colomban. Mais c’est surtout sous les Carolingiens que s’est imposée la règle de saint Benoît, grâce à Benoît d’Aniane. Depuis Louis le Pieux, la règle bénédictine est suivie dans tous les monastères de l'Empire carolingien. Le succès de cette règle s'explique surtout par son contenu à la fois spirituel et pratique qui bannit les excès : l'humilité, l'obéissance et le silence sont les vertus du moine. C'est par un emploi du temps très concret, partagé entre le travail et la prière qu'il peut atteindre ces vertus. La règle bénédictine réalise la synthèse d’une longue expérience chrétienne en matière de spiritualité et de vie communautaire. On y retrouve l’influence des grands auteurs chrétiens, presque jamais cités, et surtout des Écritures, qui elles, apparaissent comme une référence régulière. La règle répond au but de son auteur : « constituer une école au service du Seigneur ». Outre l’organisation de la communauté, la règle propose une norme d’ascèse monastique, nourrie par une doctrine centrée sur la personne du Christ. Beaucoup de points sont laissés à la libre appréciation de l’abbé. À la fois souple et précise, cette règle, rédigée à une époque de dissolution de la société, explique la remarquable solidité de la communauté bénédictine. Plus ou moins respectée, elle a influencé la vie de milliers d’hommes à travers l’ordre fondé par saint Benoît. La journée d’un moine bénédictin montre l’application stricte de la règle bénédictine suivie par les Cisterciens. Prime est la première heure de la journée. Les heures canoniales (matines, laudes…) sont carillonnées par les cloches de l’abbatiale et rythment aussi le temps des paysans. La devise des moines, Ora et labora, est mise en pratique à travers l’importance du nombre d’heures consacrées à la prière et au travail. On peut faire observer qu’il y a deux repas et que l’horaire imposé comprend environ 4 heures pour les prières, 4 heures pour les lectures, 7 heures de travail manuel et intellectuel, 8 heures pour le sommeil interrompu pour chanter les matines. La tradition monastique, au XIIe siècle, est à la fois ancienne et tout à fait vivante. L’ordre de Cluny, fidèle à la règle de saint Benoît, réformé au Xe siècle, domine l’Europe entière, mais il n’est pas le seul : Chartreux, Grandmontains (deux ordres nés autour du XIe siècle) suscitent également des vocations. Tous ces ordres se définissent d’abord par l’observance d’une règle, plus ou moins contraignante, léguée par leur fondateur. Un monastère est l’ensemble des bâtiments où vit une communauté de moines. On y trouve des lieux de prière, des bâtiments communautaires et des lieux de travail. L’abbé est en principe élu par la communauté des moines, mais, dans la réalité, cela variait selon les périodes et les monastères. Située non loin de Maçon, Cluny est la plus connue des abbayes bénédictines. Elle ne dépendait que de Rome et eut la chance de voir se succéder à sa tête une série d'abbés de grande valeur. Parmi eux, Pierre le Vénérable, abbé de 1122 à 1156, promulgua définitivement les statuts de l’ordre et se mit au service du pape Innocent III. Esprit très cultivé, il s'efforce de développer les études, traduit le Coran en latin afin de mieux réfuter l'islam tout comme il réfuta le manichéisme

Accompagnement : « Il n’est pas envisageable de proposer une histoire chronologique de l’Église médiévale. L’Église est présentée comme l’élément fédérateur de l’Occident chrétien en montrant que son autorité s’exerce aussi bien dans le domaine religieux et politique que dans la vie privée de chacun. Les monuments et les oeuvres d’art ne doivent pas être considérés comme des illustrations. Ils sont au centre du programme. Les représentations de l’abbaye disent, de Cluny à Cîteaux, le sens de la vie et de la prière des moines. L’étude des édifices religieux permet enfin d’analyser les pratiques religieuses pour lesquelles ils ont été édifiés. Ainsi, dans cette partie du programme comme dans l’ensemble de l’enseignement de l’histoire au collège, les oeuvres ne doivent pas être d’abord analysées d’un point de vue formel. Il est essentiel d’expliquer prioritairement aux élèves leur sens et leur fonction. » Le monastère est choisi comme document patrimonial en classe de cinquième. L’étude est placée dans la séquence sur l’Eglise au Moyen Âge. On ne précise pas un monastère en particulier ce qui laisse le choix à l’enseignant. Les exemples développés dans les manuels présentent 3 caractéristiques communes : - Un site capable de suggérer l’isolement. - Une architecture préservée des restructurations tardives pour contextualiser l’étude patrimoniale : Le vocabulaire des formes est appliqué à l’architecture romane ou gothique. - Un plan type qui traduit l’adaptation du monument à un genre de vie monastique.

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et le judaïsme. Dans la controverse entre clunisiens et cisterciens, il fut l'adversaire de saint Bernard. Cluny exerça un rôle de premier plan dans la chrétienté médiévale. L'abbaye fut le centre de la réforme monastique en Occident et groupa dans sa mouvance jusqu'à 1400 maisons avec plus de 10 000 moines formant l’« empire de Cluny ». Elle joua également un rôle important dans l'évolution artistique ; son abbatiale (1088-1250), chef-d'œuvre de l'art roman fut la plus grande église de la chrétienté (183 m de long) jusqu'à la construction de la nouvelle basilique Saint-Pierre de Rome au XVIe s. Cependant l'afflux des richesses amena, dès la fin du XIIe s,, la décadence de l’ordre clunisien et suscita la réforme de Cîteaux. II. La réforme religieuse A la fin du XIe siècle, l’Église, omniprésente, entend, après s’être réformée, encadrer l’essor de l’Occident et en tirer profit. La construction de nombreuses cathédrales et le développement du monachisme témoignent de ses succès. Elle réaffirme son autorité sur le monde laïc en imposant la « Paix de Dieu » et en encourageant le départ en croisade pour éviter les débordements d’une aristocratie violente. Les constructions magistrales qu’elle fait réaliser pour son compte et qui permettent l’épanouissement de nouvelles formes d’art (art roman, notamment) témoignent de la puissance et de la confiance retrouvée d’une Église catholique qui a su tirer parti des inquiétudes millénaristes et du dynamisme économique retrouvé de la société de l’Occident médiéval. L’Occident est au coeur de la querelle des investitures qui met aux prises Empire et Papauté. Face au pouvoir grandissant des rois et des empereurs, l’Église de Rome affirme son projet de monarchie pontificale en développant la Réforme grégorienne. Définissant les principes de l’indépendance de l’Église et de la supériorité du spirituel sur le temporel, le pape de Rome se heurte aux prétentions et prérogatives des rois. Les 27 propositions du Dictatus Papae de 1075 (Grégoire VII) montrent la volonté du pouvoir pontifical de prendre le pas sur les puissances temporelles. Le pape devient le représentant de Dieu sur terre, son pouvoir s’étend sur le spirituel comme sur le temporel. Le nouveau principe de la théocratie pontificale s’affirme. Pour affirmer son pouvoir, le pape s’appuie sur la donation de Constantin. L’empereur, avant de s’installer à Byzance, aurait alors délégué tous ses pouvoirs au pape Silvestre, notamment de gouverner sur tout l’Occident. On découvre au XVe siècle que c’est un faux élaboré à l’époque carolingienne. Le Dictatus Papae tente d’établir la nomination des papes par les seuls cardinaux, au détriment des princes. Le pouvoir du pape est renforcé par sa capacité à attribuer les sièges des évêchés et à nommer les prélats. Les Dictatus papae de 1075 ont la particularité de ne jamais avoir été publiées. Ces 27 « déclarations sans appel » ont été dictées par le pape Grégoire VII, grand législateur, à la communauté des chrétiens en 1075. En pleine réforme de l’Église catholique, celui-ci manifeste la volonté d’avoir la suprématie sur le pouvoir des « princes », à savoir des souverains temporels – empereurs et rois, notamment en matière religieuse. Les deux premiers articles présentent l’origine de ce pouvoir papal. Les articles 3 à 6 insistent sur la supériorité de ces décisions en matière religieuse, dans quelque État que ce soit, en particulier pour l’investiture des évêques détenue par le pape seul. Les articles suivants vont plus loin, puisqu’ils précisent la prééminence du pape sur les souverains les plus puissants, y compris les empereurs qu’il peut déposer. C’est ce qui arrive à Frédéric II, empereur germanique excommunié par le pape en 1227, mais aussi à Philippe Ier, roi de France, exclu de la première croisade en raison de son excommunication. À la fin du XIIIe siècle, par sa richesse matérielle, par son administration, par la cohérence de sa doctrine, par son contrôle de la majorité des lieux de la vie intellectuelle et artistique de l’époque, par son influence sur les esprits, par le prestige de ses saints et les victoires des armées chrétiennes contre les païens, les hérétiques ou les musulmans d’Espagne, l’Église catholique a atteint l’apogée de sa puissance. L’époque voit l’institution s’avancer vers des voies nouvelles. La canonisation des laïcs (le premier laïc est canonisé au XIIe siècle) annonce de nouveaux modèles de sainteté, hors du clergé, plus portée sur une vie spirituelle personnelle, intérieure. La lutte avec Frédéric II, si elle a été menée au nom de la théocratie a finalement obligé l’institution à reconnaître le principe de la séparation des pouvoirs temporels et spirituels. Louis IX, au nom même de ce principe issu de l’Évangile, n’hésitera pas à s’opposer au pape. L’autonomie de la sphère politique par rapport au religieux prend naissance dès cette époque.

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Le tympan de Conques illustre en partie le programme de réforme qui agite alors l’Église. Les mauvais clercs (simoniaques et nicolaïques) sont damnés tout comme les seigneurs belliqueux ou les rois impies. Seul un roi trouve grâce aux yeux des sculpteurs, encore est-il mené au Paradis par un prêtre qui lui prend la main comme à un enfant ! À partir des XIe et XIIe siècles, l’enrichissement de la société occidentale rejaillit aussi sur l’Église. Or l’appétit des richesses est diamétralement opposé à l’idéal de pauvreté et de charité évangélique que l’Église a cherché à vivre jusque là. L’objet est de présenter les figures de deux réformateurs majeurs de l’Église catholique aux XIIe et XIIIe siècles. L’ardeur spirituelle radicale de saint Bernard et de saint François correspondent à des attentes et des thèmes importants de la société de l’époque. Les deux figures retenues sont emblématiques d’un mouvement qui travaillait la société en profondeur, comme en témoigne l’étonnant succès de leurs ordres. On peut donc commencer par exposer le besoin de réformes avant de présenter les deux personnages et la réaction de l’institution face à cette évolution. Mais si l’action de saint Bernard s’est déployée dans le cadre du monachisme occidental traditionnel, saint François a affirmé son ordre en partie par opposition à cette tradition. Créée en 1098 par Robert de Molesmes et des moines soucieux d’observer la règle de saint Benoît dans sa pureté, l’abbaye de Cîteaux se trouve en Bourgogne, près de Dijon. Les moines de cette abbaye s’écartent à l’époque du modèle clunisien pour retrouver la pureté de la règle bénédictine, et la grande pauvreté inhérente à l’état monastique. Celle-ci est largement négligée à l’époque (plaisanteries, discours frivoles, plats nombreux et riches). Issu d’une famille de moyenne noblesse, le chevalier Bernard de Fontaine (futur saint Bernard de Clairvaux) devient moine à Cîteaux en 1113. Bernard (1090-1153) s’enflamme pour cette réforme : alors que la communauté religieuse de Cîteaux doit se disperser faute de prospérité, Bernard entraîne avec lui un groupe de jeunes nobles bourguignons pour fonder l’abbaye de Clairvaux, bientôt suivie de nombreux autres établissements. Il dénonce le luxe dans l’Église et cherche à polémiquer en donnant au clergé régulier et à l’ordre cistercien en particulier une primauté sur le clergé séculier, alors que son interlocuteur, l’archevêque de Sens, en est un des hauts dignitaires. Il fut abbé de Clairvaux jusqu’à sa mort. L’ordre cistercien a bénéficié du zèle de Bernard et a connu un rapide développement. À l’austérité et à la pauvreté originelles prônées par l’ordre, Bernard ajoute la mise en valeur de la pureté et le refus de toute diversion de l’esprit. Placés directement sous l’autorité du pape, les moines cisterciens rejettent tout superflu, recherchent le « désert » (c’est-à-dire l’isolement, l’éloignement du siècle) et souhaitent trouver les moyens de leur subsistance par le travail et non par les revenus de la propriété foncière. Les moines s’installent donc dans des lieux reculés, aux confins des diocèses et des seigneuries, dans des zones à défricher. Un ordre se forme au milieu du XIIe siècle. Aux XIIe et XIIIe siècles, la congrégation cistercienne se diffuse dans tout le royaume. Chaque monastère est autonome tout en restant attaché à l’une des cinq abbayes mères (Cîteaux, La Ferté, Pontigny, Morimond et Clairvaux). Voyageur infatigable, Bernard commence en 1125 à parcourir l’Occident chrétien. Il joue un rôle politique important, s’engageant avec passion dans toutes les affaires de l’Église ou de la société : conseiller du pape et du roi de France Louis VII, c’est lui qui lance en 1145 la seconde croisade. Il favorise la méditation de l’Écriture et des Pères de l’Église par le retrait et le silence du cloître. Insistant sur le dépouillement nécessaire de l’art monastique, il fonde une esthétique cistercienne qui, sobre à l’extrême, porte l’homme « des choses visibles aux invisibles ». Axée sur les mystères de l’humanité du Christ, assez affective, sa méditation a marqué tout le Moyen Âge par le relais du courant franciscain. L’austérité n’empêche pas l’amour des lettres. Bernard et l’ordre de Cîteaux cultivent un raffinement littéraire remarquable : le style alerte et vif des documents conservés en témoigne. La copie des manuscrits, très développée dans les abbayes clunisiennes, continue d’être encouragée, mais saint Bernard, quoique fin lettré, écrivain, orateur, se méfie d’une science qui peut éloigner le moine de Dieu. L’architecture cistercienne se caractérise par son dépouillement et son austérité. Le complexe monastique regroupe des lieux d’habitation et de prière mais aussi de travail manuel avec des terres sur des zones très étendues et des granges pour leur exploitation. L’abbaye de Noirlac, dans le Cher, fondée par saint Bernard présente la

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disposition habituelle des bâtiments composant une abbaye cistercienne. Le cloître, au centre, favorise la prière et le recueillement : les moines y déambulent en silence, sans se croiser. L’église abbatiale très sobre est orientée est-ouest ; un escalier la fait communiquer avec le dortoir situé à l’étage afin que les moines descendent facilement la nuit pour chanter les matines. Le monastère s’organise autour du cloître. Autour de ce jardin carré, sont disposés successivement l’église, puis la sacristie, qui est une petite pièce attenante où sont rangés tous les objets nécessaires au culte. À côté de la sacristie, la salle capitulaire, puis le parloir et le chauffoir forment un côté du cloître. Un autre côté est constitué par le dortoir, le réfectoire, la cuisine et le cellier. On pourra présenter l’unité organique, qui, dans la pensée des moines, ordonne l’architecture du monastère. Celui-ci est conçu comme un abrégé de la Création, réalisant l’harmonie entre le corps (chauffoir, cuisine, cellier, lavabo), l’âme (église) et l’intellect (salle capitulaire, parloir, salle de travail, bibliothèque). Au centre de tout cela, le cloître, jardin délicatement travaillé, rappelle le premier jardin où l’homme et Dieu se promenaient ensemble avant le péché originel. Le monastère est, comme l’église de pierre, à la fois le lieu de la rencontre avec Dieu et une figure de l’humanité déjà sauvée par Dieu, restaurée dans l’unité de son être. L’abbaye de Fontenay est située en Bourgogne, au nord de Cîteaux. Elle appartient à l’ordre cistercien. Les bâtiments de l’abbaye de Fontenay sont disposés de façon classique. L’église abbatiale est le bâtiment principal ; une porte permet d’accéder aisément au cloître carré situé au centre de l’abbaye et un escalier en vis la relie au dortoir de façon à permettre aux moines de se rendre rapidement à l’église dès l’aube pour chanter les matines. Les autres bâtiments s’articulent harmonieusement autour du cloître, rappelant l’unité organique de l’abbaye à travers les différents travaux des moines qu’ils soient intellectuels ou manuels. Il est possible de montrer la prospérité économique de ces abbayes ayant su mettre en oeuvre des techniques très productives en matière de culture et d’élevage. En témoignent encore les immenses granges cisterciennes souvent éloignées des abbayes, servant à stocker le grain. L’église, le cloître et la chapelle sont consacrés à la prière ; le dortoir et le réfectoire servent à l’habitation ; le colombier, la forge et les moulins sont destinés à l’exploitation de l’abbaye. Les lieux strictement réservés aux moines sont le dortoir, le chapitre, le scriptorium, le logement des abbés. Sont prévus pour l’accueil des visiteurs la porterie, le réfectoire. Enfin, le travail manuel se répartit entre la cuisine, le moulin, la forge, la boulangerie. Le dortoir communique avec l’église car les moines vont prier au milieu de la nuit. L’église abbatiale est le lieu où les moines célèbrent les offices religieux. La nef de l’abbatiale est couverte d’un large berceau brisé renforcé par des arcs doubleaux qui renvoient sur les collatéraux. Le choeur est plat et laisse discrètement passer la lumière. L’ensemble de l’église reste relativement sombre et dépouillé de sculpture ou décoration figurative hormis les quelques feuillages qui ornent les chapiteaux. Une porte donne sur le cloître. De forme carrée, le cloître de Fontenay, construit en 1150, est une galerie couverte, construite en pierre. Sa décoration est extrêmement sobre et épurée. Il comporte de grandes arcades en plein cintre, séparées en deux arcs plus petits qui s’appuient sur des colonnades assez lourdes. La voûte du cloître quant à elle est à croisée d’ogives, ce qui fait dire à Jean-Pierre Willesme que ce style constituerait « une sorte de transition entre l’art roman et le premier art gothique ». Les moines se promènent dans le cloître en silence, sans se croiser afin de favoriser le recueillement et la prière. L'étude de l'abbaye de Sénanque présente plusieurs objectifs : observer une abbaye de style roman, comprendre comment l'architecture est ici le reflet de l'idéal cistercien, enfin par une étude de cas, faire vivre les moines dans un lieu précis. L'abbaye cistercienne de Sénanque est fondée en 1148 à 30 km kilomètres à l'est d'Avignon. La nature hostile qui entoure l'abbaye rappelle la lutte éternelle entre le bien et le mal. Les moines cisterciens mettent rapidement en valeur ce site sauvage. Ils assèchent la vallée, endiguent la rivière et défrichent les terres environnantes. Par le dépouillement de son architecture et la simplicité de son décor, l'abbaye est un superbe exemple de l'art roman. Saint Bernard souhaite un retour au décor simple dans les églises et les monastères. Il refuse le luxe, la couleur, les figures qui éloignent de Dieu. Il s'agissait en fait d'une réaction à l’encontre des abbayes clunisiennes. Les chapelles permettaient aux prêtres de la communauté de célébrer tout au long de l'année des messes privées pendant le temps de lecture des autres religieux. Les chapelles sont des copies réduites de la grande abside. Un schéma permet d'évoquer la voûte en berceau dont la solidité

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nécessite la construction de contreforts. Les flèches montrent la répartition de la poussée sur plusieurs piliers. À noter que sur les chantiers, les murs sont souvent construits par des ouvriers locaux tandis que les voûtes sont confiées à de petites équipes itinérantes spécialisées, les Lombards par exemple. La salle capitulaire est avant tout la salle de réunion de l'abbaye dans laquelle la communauté se rassemblait après la messe ou lors des grandes occasions. Toute cérémonie débutait par le commentaire d'un chapitre de la règle de Saint Benoît, c'est pour cela que l'on appelait ce lieu la salle du chapitre. C'est aussi là que l'on accomplissait et ratifiait les actes importants de la vie du monastère, comme l'élection du nouvel abbé. Une vue générale de l'abbaye permet de comprendre l'ordonnancement du bâti, le plan est conforme aux autres abbayes médiévales. Les bâtiments s'organisent autour du cloître dont l'église borde un des côtés. À Sénanque, à cause des contraintes du terrain, l'église est orientée au nord. On peut ensuite identifier les différentes salles nécessaires à la vie des moines (salle capitulaire, dortoir, etc.). Les moines travaillent dans le scriptorium qui est la seule pièce chauffée du monastère. Le cloître est au centre du monastère, les moines empruntent ses galeries plusieurs fois par jour pour se rendre à l'église, ils y lisent et méditent. Quatre galeries, supportées par des colonnes géminées, courent autour d'un préau de forme carrée et forment le cloître. Entièrement fermé, ce cloître sert de cadre aux occupations domestiques ou aux activités intellectuelles. Les galeries sont empruntées plusieurs fois par jour par les moines lorsqu'ils se rendent à l'église. A Sénanque, les chapiteaux du cloître sculptés sont les seuls éléments qui égayent le décor de l'abbaye. L'abbaye de Sénanque, par son caractère dépouillé (cadre austère, façade sans sculpture, chapiteaux au décor sobre) est donc conforme aux volontés de saint Bernard : c'est un lieu qui favorise la méditation. Le XIIIe siècle voit la naissance des ordres mendiants, actifs dans les villes et partisans d’une pauvreté radicale, par opposition aux excès de l’époque. François Bernadone (vers 1182-1226) est un jeune bourgeois d’Assise, fils d’un riche marchand, qui mène d’abord une vie facile et aisée. Il se convertit à l’âge de 25 ans, rompt avec son milieu familial, se fait ermite, et adopte un mode de vie austère. Son charisme et sa prédication lui attirent de nombreux disciples. Cet esprit de pauvreté totale a longtemps retenu François Bernardone de fonder un ordre doté d’une règle : selon lui, l’Évangile seul suffisait. Sous la pression des disciples que son extraordinaire popularité lui attire, et sous le conseil du pape Innocent III lui-même, il consent à accepter un règlement, à la rédaction duquel il ne prend d’ailleurs qu’une faible part. Ce fils de marchand, esthète (il parle couramment français, connaît les premiers développements de l’amour courtois dont s’inspirent les poèmes qu’il écrit notamment à « Dame Pauvreté »), désire s’identifier tout à fait au Christ. Il vit donc pauvrement au milieu du monde, exhortant ses contemporains à la conversion avec une douceur et un talent oratoire célèbres. Les Fioretti, « fleurs » composées dans les années qui suivent sa mort, racontent ses exploits, et notamment les prêches qu’il aurait adressés aux animaux : aux oiseaux comme la fresque de Giotto de 1296-1297 (église supérieure de Saint-François, Assise) le montre, mais aussi au loup de Gubbio. Giotto (1267-1337) a peint sur les murs de l'église supérieure d'Assise des scènes racontant la vie légendaire de saint François selon le récit laissé par saint Bonaventure. À travers ces événements, s’exprime le souvenir d’un François désireux d’évangéliser tous les aspects de l’homme et de la Création, afin que tout sur terre rende grâce à Dieu, dont la gloire est manifestée par la beauté du monde et de l’homme. L’influence des ordres mendiants est considérable dès le XIIIe siècle jusqu’à la fin du Moyen Âge. Prêcheurs (ordre des Dominicains) et mineurs (Franciscains) suppléent en partie le clergé séculier dans les tâches essentielles, la prédication et l’enseignement, surtout dans les villes en pleine expansion. Ils se heurteront au milieu du XIIIe siècle à ce clergé séculier à propos des universités. L’ordre dominicain appelé aussi ordre prêcheur, est fondé par le chanoine castillan Dominique de Guzman au début du XIIIe siècle. Celui-ci, grand prédicateur, acquiert renommée et prestige grâce à l’austérité et à la pauvreté de sa vie. Il attire vite nombre de jeunes désirant mener une vie de pauvreté et de prédication. Le pape Honorius III reconnaît l’ordre dès 1216 et lui confère ses statuts favorisant ainsi son expansion rapide dans toute l’Europe. Les dominicains, tout comme les franciscains nés à la même époque, installent leurs couvents au cœur des villes afin d’y être plus proches des fidèles et faciliter la

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transmission du message chrétien. La prière et la prédication sont deux activités essentielles des dominicains. III. Le rôle social, économique et culturel Moines et convers défricheurs (Enluminure du XIIe siècle. Bibliothèque municipale, Dijon). Le moine se reconnaît à sa tonsure et à son habit monastique, composé d’un scapulaire (vêtement de travail long) et d’une tunique de tissu plus clair comportant une capuche, tenus à la taille par une ceinture de corde. Il s’agit d’un cistercien, moine « blanc » dont le vêtement n’est pas teint (par opposition aux moines « noirs » clunisiens). L’autre homme, vêtu d’une tunique courte et portant des cheveux mi-longs, est un frère convers, c’est-à-dire un laïc qui a choisi de vivre sa vie religieuse au service des moines, dans un autre état que le statut monacal. L’organisation de ce type de vie laïque au service du monastère est propre à l’ordre cistercien. Le travail renvoie aux défrichements, dont les cisterciens sont les champions, qui se traduisent souvent par des gains de terres sur la forêt (c’est ce que montre la miniature) ou sur les marécages. Figures : Suger (1081-1151) est à la fois abbé de Saint-Denis et conseiller des rois Louis VI et Louis VII, ce dernier lui confiant même la régence du royaume pendant la deuxième croisade (1147-1149). Il tient donc particulièrement à donner l’exemple d’un seigneur entreprenant et minutieux, portant par écrit les droits et devoirs des nouveaux tenanciers en matière d’impôts, de réquisition militaire et de justice. On le voit dans une charte de franchise concédée en 1145 par Suger. Ce type de document atteste des défrichements en cours puisqu’il s’agit d’octroyer aux habitants d’une « ville neuve » des droits et des exemptions particuliers, en particulier celle de la taille. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :

Evaluation cohérente en fonction des objectifs :

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HMA – Art roman, art gothique

Approche scientifique Approche didactique

Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : S’ils sont à manier avec prudence et sans rigidité, les termes de « roman » et de « gothique » n’en aident pas moins à saisir l’évolution de l’architecture religieuse médiévale.

Insertion dans les programmes (avant, après) :

Sources et muséographie : Ouvrages généraux : Henri Focillon (1881-1943), L'art des sculpteurs romans : recherches sur l'histoire des formes, Paris, PUF, 1931. Henri Focillon, Arts d’Occident : Le Moyen Âge roman, le Moyen Âge gothique, Éditions Armand Colin, 1938, Le Livre de poche, LGF, 1988. L'Art roman, DURLIAT Marcel (1917-2006), Paris : Citadelles et Mazenod, 1997. (Coll. « L'art et les grandes civilisations »). L'Art gothique, ERLANDE-BRANDENBURG Alain, Paris : Citadelles et Mazenod, 2004 (Coll. « L'art et les grandes civilisations »). Éditions Zodiaque, Collectif : 200 volumes sur l'art roman. Documentation Photographique et diapos : Colette Deremble, L’Art et la foi au Moyen Âge, Dossier de la Documentation photographique, n° 7040, 1997. Jérôme Baschet, La chrétienté médiévale. Représentations et pratiques sociales, Paris, Dossiers de la Documentation photographique, 4e trimestre 2005, n°8047 Revues : L'église médiévale, Du roman au gothique, Xavier Dectot, TDC, N° 898, du 15 au 30 juin 2005 Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Il peut être bon de rappeler en premier lieu que l’opposition art roman/art gothique date du XVIe siècle, et qu’elle est donc postérieure à ces mouvements, qui traduisent une évolution technique continue, voire simultanée. Au moment où les derniers édifices romans voient le jour, l’art gothique connaît alors son « âge d’or », appelé art rayonnant, aux XIIIe et XIVe siècles selon les États européens concernés. On pourra donc insister sur la continuité entre les deux mouvements, continuité évidente si l’on insiste sur « le sens et la fonction des oeuvres architecturales ». De ce point de vue, l’unité de l’art médiéval est très claire. Une sensibilité artistique différente, un souci esthétique plus marqué, des orientations spirituelles neuves : s’il convient de ne pas les opposer, il est clair que l’art gothique se distingue du roman à plus d’un titre. Tous ces caractères apparaissent d’abord grâce à un progrès technique qui mérite d’être expliqué, car il révolutionne le monument dans ses dimensions en offrant à l’architecte une liberté extraordinaire, liberté à nouveau mise au service des récents développements de ce qu’on nomme alors « la reine des sciences » : la théologie. Roman, gothique… il n’est guère de termes qui, en histoire de l’art, soient plus directement évocateurs pour l’homme contemporain. Chacun sait, ou croit savoir, que les églises romanes sont petites, sombres, avec des voûtes en berceau et des arcs en plein cintre, quand celles de l’époque gothique sont grandes, claires, voûtées d’ogives et rythmées par des arcs brisés, et que l’époque gothique succède brutalement à l’époque romane le 14 juillet 1140 (jour de la pose de la première pierre du chevet de l’abbaye de Saint-Denis) ou le 31 décembre 1200 (dernier jour du XIIe siècle), selon les goûts ! La réalité, on s’en doute, est bien plus complexe, comme en témoignent, parmi d’autres, les premières travées du chevet de la cathédrale de Laon, édifiées dans le troisième quart du XIIe siècle et dont les tribunes, portées par des arcs brisés, s’ouvrent par des arcs en plein cintre. Une histoire de mots Le problème principal vient de ce que « roman » et « gothique » ne sont pas des termes employés au Moyen Âge mais des inventions plus tardives. Le mot « gothique » est inventé par les artistes italiens de la Renaissance pour désigner l’art du siècle antérieur, auquel ils s’opposent, et qu’ils accusent, entre autres maux, d’être étranger, en l’occurrence allemand. Par extension, le mot en viendra à s’appliquer à tout l’art médiéval. Le terme « roman » n’apparaît que bien plus tard, au XVIIIe siècle, et encore, dans un contexte tout différent, celui des

Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO actuel : « Sans omettre les évolutions, le XIIIe siècle est choisi comme observatoire privilégié. L’Église est présentée comme une structure et un acteur essentiels de l’Occident médiéval. Elle participe à son expansion (évangélisation, pèlerinages, croisades). L’enracinement social et les manifestations de la foi sont étudiés à partir des monuments et des oeuvres d’art. • Carte : diffusion de l’art roman et de l’art gothique. • Documents : une abbaye ; une cathédrale. » Futur programme : « LA PLACE DE L’ÉGLISE On fait découvrir quelques aspects du sentiment religieux. La volonté de l’Eglise de guider les consciences (dogmes et pratiques, lutte contre l’hérésie, inquisition…) et sa puissance économique et son rôle social et intellectuel (insertion dans le système seigneurial, assistance aux pauvres et aux malades, universités…) sont mises en évidence. L’étude est conduite à partir: - de l’exemple au choix d’une église romane et une cathédrale gothique, dans leurs dimensions religieuse, artistique, sociale et politique ; - de l’exemple au choix d’une oeuvre d’art: statuaire, reliquaire, fresque, chant… ; Connaître et utiliser les repères suivants − L’âge des églises romanes : Xe - XIIe siècle

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philologues qui l’utilisent pour désigner l’ensemble des langues dérivant du latin. Le premier à appliquer le terme à l’art est un érudit normand, Charles de Gréville, en 1818, établissant un parallèle, dont on sait aujourd’hui qu’il est faux, entre la période chronologique et la zone géographique de naissance des langues romanes et l’intense activité architecturale du XIe siècle. Deux termes ne suffisent guère plus qu’un seul à rendre compte d’un foisonnement artistique qui dura cinq siècles. Pourtant, pour imparfaits qu’ils soient, ces deux mots n’en recouvrent pas moins avec une certaine justesse deux phases essentielles de la création artistique médiévale en Europe occidentale. Pendant longtemps, les historiens de l'art ont opposé un art roman, produit d'une société soumise à un Dieu effrayant, et un art gothique emprunt d'un optimisme triomphant d'une société glorifiant le Créateur. On identifiait simplement le style roman à la forme de ses arcs, à son élévation modeste et à sa voûte en berceau ; or de nombreux édifices de l'époque romane adoptent très tôt la croisée d'ogives. L’observation attentive des bâtiments dément la thèse de la rupture : au XIIe siècle, en effet, pendant la phase expérimentale du gothique, des éléments romans subsistent dans les nouvelles cathédrales ; au sud de l'Europe, il existe bel et bien une continuité du roman au XIIIe siècle : la cathédrale d'Albi présente une silhouette très massive et peu de vitraux alors que les cathédrales du nord connaissent l'élan gothique ; Colette Deremble évoque plutôt une «mutation du roman en gothique». En Angleterre, l'art roman n'arrive qu'au XIIIe siècle et persistera jusqu'au XVe dans l'est de l'Europe. D'autre part, les premiers édifices gothiques apparurent vers les années 1130-1150 en Île-de-France. C'est pourquoi ce style est appelé par ses contemporains en latin francigenum opus ou « art d'origine française », « art français ». Le mot « gothique » fut utilisé à la période romantique pour nommer cette architecture a posteriori, dans une acception péjorative. L'art gothique était l'art des Goths, autrement dit des « barbares » qui auraient oublié les techniques et les canons romains. Un certain nombre d'historiens de l'art réfutent aujourd'hui ce jugement et montrent que l'architecture gothique n'est pas en rupture avec l'architecture romane. Deux âges romans Nikolaus Pevsner distingue le premier art roman, de l'an mil à la Première Croisade vers 1100, et le roman classique, de 1100 au triomphe du gothique vers 1200. Gabrielle Demians D'Archimbaud identifie un premier âge et un deuxième âge roman, de part et d'autre du milieu du XIe siècle. Le terme d'art roman définit, en histoire de l'art, la période qui s'étend de 1030 à la moitié du XIIe siècle, entre l'art préroman et l'art gothique. Il a été forgé en 1818 par l'archéologue normand Charles de Gerville et est passé dans l'usage courant à partir de 1835. L'art roman regroupe aussi bien l'architecture romane que la sculpture ou statuaire romane de la même époque. L'expression recouvre une diversité d'écoles régionales aux caractéristiques différenciées. Il n'a pas été le produit d'une seule nationalité ou d'une seule région mais est apparu progressivement et presque simultanément en Italie, en France, en Allemagne et en Espagne. Dans chacun de ces pays, il a des caractéristiques propres (par exemple : l'utilisation de pierres différentes dans chaque région), bien qu'avec une unité suffisante pour être considéré comme le premier style international, avec un cadre européen.

− L’âge des églises gothiques : XIIe – XVe siècle Décrire une église »

Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Un blanc manteau d’églises « Trois années n’étaient pas écoulées dans le millénaire que, à travers le monde entier, et plus particulièrement en Italie et en Gaule, on commença à reconstruire les églises, bien que pour la plus grande part celles qui existaient aient été bien construites et tout à fait convenables. Il semblait que chaque communauté chrétienne cherchait à surpasser les autres par la splendeur de ses constructions. C’était comme si le monde entier se libérait, rejetant le poids du passé et se revêtait d’un blanc manteau d’églises. Presque toutes les églises épiscopales et celles de monastères dédiées aux divers saints, mais aussi les petits oratoires des villages étaient rebâtis mieux qu’avant par les fidèles. » Ainsi parle, vers 1040, le moine Raoul Glaber. Il est vrai que toute l’Europe, à partir des années 950, est

Activités, consignes et productions des élèves : Accompagnement : « Il n’est pas envisageable de proposer une histoire chronologique de l’Église médiévale. L’Église est présentée comme l’élément fédérateur de l’Occident chrétien en montrant que son autorité s’exerce aussi bien dans le domaine religieux et politique que dans la vie privée de chacun. Les monuments et les oeuvres d’art ne doivent pas être considérés comme des illustrations. Ils sont au centre du

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prise d’une véritable frénésie de construction alors que, comme le confirme Raoul Glaber, les églises sont en bon état, contrairement à ce que l’on a longtemps affirmé (les destructions dues aux Normands ayant été très exagérées). L’architecture de cette époque, quoique encore très marquée par le style carolingien, fait preuve d’un grand esprit d’innovation. La cathédrale de Clermont-Ferrand, construite dès avant la fin du millénaire, est ainsi la première à proposer pour le chevet un type de plan qui devait avoir un retentissement durable dans l’ensemble de la chrétienté : le déambulatoire à chapelles rayonnantes. Imitée de manière avouée par Saint-Aignan d’Orléans, la cathédrale de Clermont est le premier de ces grands chantiers romans dont l’ambition sera perçue bien au-delà des limites du diocèse ou de la principauté. C’est cependant la personnalité de Guillaume de Volpiano qui va le plus marquer la première moitié du XIe siècle. D’origine italienne, promoteur de la réforme de la règle bénédictine voulue par Cluny, il sera successivement abbé de Saint-Bénigne de Dijon, de Notre-Dame de Bernay, dans l’Eure, et de Saint-Germain-des-Prés, à Paris. Dans chacun de ces édifices, il lance (ou poursuit, dans le cas de l’abbaye parisienne) un vaste chantier. Si la formule de Dijon – celle d’une monumentale rotonde prolongeant l’église à l’est – ne fut guère reprise tant elle paraissait ambitieuse, la construction de Bernay, en revanche, marqua profondément la Normandie et les solutions qu’elle proposait furent reprises par les grands chantiers de la région, comme celui, contemporain, de Notre-Dame de Jumièges ou ceux, plus tardifs, de la Trinité et de Saint-Étienne de Caen. Deux autres recherches majeures, intimement liées, rythment cette première moitié du XIe siècle. L’une est attachée à la multiplication des messes et à la mise en place d’une liturgie complexe, notamment sous l’influence clunisienne. Ainsi s’impose l’idée d’une délimitation de plus en plus nette de l’espace liturgique, qui s’appuie sur une division verticale de l’édifice, avec la mise en place de cryptes permettant souvent de rattraper les inégalités du terrain, mais aussi de surélever l’autel majeur, et surtout de chapelles hautes susceptibles de devenir, comme à Saint-Martin-du-Canigou, de véritables églises supérieures. Le même besoin entraîne, à Saint-Philibert de Tournus ou à Notre-Dame de Jumièges, des recherches sur la composition de la partie occidentale de l’église, signalée par une façade monumentale et tripartite qui abrite, en son sein, une chapelle haute, souvent dédiée aux archanges. I. L’art roman L’architecture romane apparaît dans les régions méridionales puis s’étend rapidement. Une carte met en évidence deux traits majeurs : la notion de foyer d'apparition ou de développement de l'art roman et l'extension maximale de ce style en Europe. Le terme roman fut employé au XIVe siècle par référence à l'architecture du monde romain. Un premier âge roman s'est élaboré dans les dernières années du Xe siècle, surtout dans les régions qui ont échappé à la forte emprise de l'art carolingien, puis un second âge roman, qui correspond à la maturité de ce style apparaît dans le dernier tiers du XIe et s'épanouit au XIIe siècle. Pendant tout le XIIe siècle, la coexistence des deux styles n'est pas rare. Son innovation essentielle est l’adoption d’une voûte en pierre en berceau pour recouvrir la nef de l’église. Sur les bas-côtés est souvent construite une voûte d’arêtes. Cette architecture repose sur un jeu d’équilibre des volumes et des poussées. Pour renforcer l’édifice, des contreforts extérieurs sont ajoutés. Les ouvertures restent rares pour des raisons de solidité. Ce sont des églises relativement sombres. La basilique de Vézelay, en Bourgogne, construite entre 1120 et 1140, est un des chefs-d’oeuvre de l’art roman en France. La basilique de Vézelay a été édifiée dans l’Yonne, sur le lieu d’un important pèlerinage à Marie-Madeleine. Saint Bernard y prêcha la deuxième croisade en 1146. La troisième croisade en part en 1190. Bâtie sur un modèle typiquement bourguignon dont le premier prototype fut Anzy-le-Duc, elle s’en distingue par la largeur de ses volumes et son élévation particulièrement remarquable et soignée. La nef centrale est couverte de voûtes d’arêtes ; elle est caractéristique de l’art roman tandis que le choeur est gothique. Sa nef principale, longue de dix travées séparées par des arcs doubleaux polychromes, s’élève sur deux étages par de grandes arcades en plein cintre. Des fenêtres hautes donnent à l’édifice une luminosité exceptionnelle, en permettant un éclairage direct de la nef par de larges baies. Les arcades sont soutenues par des piliers cruciformes et des colonnes engagées aux chapiteaux sculptés. Une archivolte décorée souligne les arcades. Elle offre une perspective

programme. Leur architecture et leur décor sculpté ne sont pas d’abord destinés, comme on l’a cru longtemps, à l’enseignement des humbles mais, conçus par des théologiens, ils expriment une vision de Dieu et des hommes qu’il faut expliquer. L’étude des édifices religieux permet enfin d’analyser les pratiques religieuses pour lesquelles ils ont été édifiés. Ainsi, dans cette partie du programme comme dans l’ensemble de l’enseignement de l’histoire au collège, les oeuvres ne doivent pas être d’abord analysées d’un point de vue formel. Il est essentiel d’expliquer prioritairement aux élèves leur sens et leur fonction. » Les monuments et les oeuvres d’art sont au centre de cette question. Plus qu’un prétexte ou une simple illustration, ils constituent des points de départ pour une analyse descriptive à laquelle on donnera progressivement un sens (Saint-Sernin de Toulouse, Noirlac, Notre-Dame de Reims). Dans cette optique, les problèmes architecturaux et artistiques n’ont d’intérêt que s’ils contribuent à faire comprendre aux élèves l’évolution de la vision de Dieu par les hommes du Moyen Âge, et l’enracinement social des pratiques religieuses. L’apogée du roman Ainsi se trouvent établis, dès les environs de 1050, les grands principes de l’architecture religieuse romane : les édifices devaient être monumentaux et rigoureusement ordonnés en fonction de la liturgie. Restait un problème majeur, celui du couvrement. Jusqu’alors, les églises n’étaient voûtées que sur leurs bas-côtés, le vaisseau central, plus large, étant, quant à lui, charpenté. Les recherches des architectes, en accroissant la portance des berceaux, permettent, dès la seconde moitié du XIe siècle, d’abandonner la charpente visible au profit de la voûte. À Saint-Jacques de Compostelle comme à Sainte-Foy de Conques, à Saint-Sernin de Toulouse ou dans l’église aujourd’hui disparue de Saint-Martin de Tours, ce choix a cependant une conséquence majeure, qui n’est sans doute pas pour peu dans la réputation d’obscurité de l’architecture romane : le vaisseau central a une élévation à deux niveaux, de larges tribunes assurant le contrebutement des voûtes, et la lumière naturelle ne vient que du chevet et des fenêtres basses des bas-côtés. Toutefois, l’ampleur de ces églises leur permet de rester très claires. Les recherches sur le couvrement se poursuivent dans les premières décennies du siècle suivant, certaines églises anglaises ou normandes (ainsi de la Trinité de Lessay ou de Saint-Georges, à Saint-Martin de Boscherville) introduisant rapidement un nouveau type de

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particulièrement harmonieuse et lumineuse et s’ouvre sur un choeur gothique parfaitement intégré à l’ensemble. La décoration – chapiteaux, alternance de couleurs – y est particulièrement riche. Les chapiteaux sont ornés de scènes rappelant les épisodes les plus significatifs de l’Ancien et du Nouveau Testament. Ils font office d’outils « pédagogiques » dans un monde où l’écrit est encore rare. Héritier de l’art romain, l’art roman lui emprunte ses plans basilicaux et son réalisme iconographique. Il est aussi cependant fortement influencé par l’Orient : on y retrouve parfois un répertoire décoratif inspiré de ces régions, des plans en croix grecque ou encore des coupoles byzantines. L’importance des coûts de construction et des efforts engagés pour la construction des églises, ainsi que le caractère monumental de celles-ci témoignent du rôle fondamental de la religion dans l’Occident chrétien. Saint-Sernin de Toulouse permet de présenter l’un des chefs-d’oeuvre de l’architecture romane. L’ampleur du plan avec déambulatoire, qui se poursuit avec le transept, et les doubles collatéraux dans la nef, l’extraordinaire équilibre du chevet dont les courbes calmes créent un effet puissant, la tour, qui, par son élan donne un certain dynamisme à cette architecture paisible, attestent de la maîtrise de l’architecte. L’emploi simultané de la pierre et de la brique, puis de la brique seule lorsqu’on s’avance vers l’ouest, ajoute à l’édifice un caractère pittoresque qui n’est pas négligeable. Une simple description des formes de l’édifice permet d’introduire une explication de la fonction et du symbole constitué par chaque partie du bâtiment. Le plan de Saint-Sernin est, à quelques variations de détails près, celui de la plupart des églises de son temps. Les éléments essentiels en sont le plan en forme de croix latine, dérivé de celui de la basilique romaine auquel se serait superposée l’expression du mystère de la crucifixion par le développement du transept. L’église de pierre dessinant la croix est ainsi le reflet de l’Église de chair constituée par les fidèles réunis : celle-ci, selon une image de saint Paul ne forme qu’un seul corps, qui s’identifie au Christ (1 Cor 12, 27). L’église de pierre est aussi le lieu où par le sacrement de communion le chrétien reçoit le corps du Christ. C’est ici pour les chrétiens que l’homme et Dieu se rencontrent et s’unissent : l’architecture est bien là au service de la théologie pour dessiner un espace sacré chargé de sens. Rappelons en outre qu’à cette époque la croix n’a pas la connotation doloriste que les siècles suivants lui donneront : elle est avant tout le symbole glorieux de la victoire du Christ sur la mort, et donc du salut de l’humanité. Significativement, c’est à la tête du corps de pierre que se concentre le sacré : le choeur, réservé au clergé, est le lieu de la célébration de l’Eucharistie, qui pour les catholiques non seulement rappelle le sacrifice du Christ, mais engendre également la présence réelle du Sauveur. Ce choeur est orienté vers le Levant : la présence de Dieu illumine le monde, chassant les ténèbres, et la résurrection du Christ dont veut témoigner l’Eucharistie fait espérer la venue du jour éternel, du retour définitif du Christ. Les fidèles, entrés par l’Occident, demeurent dans la nef tournés vers le Levant, et vers cette perspective eschatologique. Autour du choeur, un déambulatoire permet aux croyants de circuler face aux absidioles, petites chapelles consacrées à divers saints. Il est peut-être nécessaire de rappeler que l’immense majorité de la population à l’époque où cette église a été construite, n’habite pas dans des bâtiments de pierre. Il faut imaginer leur sentiment en pénétrant dans un lieu comme celui-là : la ferveur religieuse, que la multiplication des symboles intensifie, se double d’une forte impression physique. La voûte en berceau de la nef est peinte, décorée de motifs géométriques, de feuillages, de scènes religieuses. La pierre est habitée : les chapiteaux abritent une population plus ou moins mythologique, très présente à Saint-Sernin. La technique de la construction romane, directement héritée de l’Antiquité, s’est beaucoup affinée en peu de temps : les dimensions de Saint-Sernin en témoignent. II. L’art gothique Né au milieu du XIIe siècle dans le Bassin parisien, l'art gothique s'est développé partout en Europe à la fin du Moyen Âge. Le terme gothique est apparu à la Renaissance, terme méprisant qui fait référence aux envahisseurs goths. La carte de l’art gothique révèle une plus forte concentration, surtout pour l’art gothique dit primitif, du XIIe siècle. Son berceau, lié à la personnalité du célèbre abbé de Saint-Denis, Suger (qui se fait le théoricien de cette architecture de lumière), et à la centralisation capétienne, fait de l’Île-de-France un lieu privilégié incontestable de cette diffusion (les plus célèbres sont Paris, Reims, Chartres, Amiens, Bourges, Saint-Denis ; citons aussi Canterbury). Ici, les édifices gothiques se

voûte, posée sur des ogives, dotée d’une plus grande capacité de portance et promise à l’avenir que l’on sait. C’est pourtant ailleurs que les architectes romans innovent. Dans la quête de monumentalité d’abord. La construction, entre 1088 et les années 1120, de la troisième église abbatiale de Cluny, avec ses 150 mètres de long, fixe ainsi pour cinq siècles, jusqu’à l’achèvement de Saint-Pierre de Rome, un modèle insurpassé de gigantisme. D’autre part, la communication avec l’extérieur fait l’objet d’un intérêt de plus en plus marqué. On ne se contente plus de simples portes mais on perce dans le mur de larges portails qui reçoivent un décor sculpté encore assez simple, à la fin du XIe siècle, à la porte Miègeville de Saint-Sernin de Toulouse ou à la porte des Orfèvres de Saint-Jacques de Compostelle, mais qui va vite devenir imposant, notamment dans le Midi, à Moissac ou à Conques, et en Bourgogne, à Autun, à Vézelay ou, là encore, à Cluny. La naissance du gothique Pendant ce temps, dans la région parisienne, quelques chantiers, notamment celui de la priorale clunisienne de Saint-Martin-des-Champs, ouvrent la voie à une nouvelle conception de l’architecture fondée sur une plus grande respiration des masses, sur la continuité de l’espace architectural (que, ne l’oublions pas, les clôtures de chœur et de chapelles continuent à diviser) et, surtout, sur l’union de tous les arts – architecture, sculpture, orfèvrerie et arts de la couleur – au service d’une même cause, la louange de la création divine. Cet art nouveau, qu’un document allemand du XIIIe siècle appelle opus francigenum et que nous nommons « gothique », trouve son manifeste dans la reconstruction, par l’abbé Suger, de l’église abbatiale de Saint-Denis. Tandis qu’à la façade les statues-colonnes permettent à la sculpture de prolonger les portails et de les ouvrir sur la ville, au chevet l’architecte a profité des possibilités de la voûte d’ogive pour supprimer ou presque les éléments marquant la division entre les déambulatoires, les remplaçant par des fines colonnettes en délit, tandis que les chapelles rayonnantes, largement ouvertes sur l’intérieur, sont percées de vastes baies qui, par le biais de leurs vitraux, font jouer la lumière dans le sanctuaire. Tout au long de la deuxième moitié du XIIe siècle, l’architecture gothique reste avant tout un art local, celui de l’Île-de-France et, dans une moindre mesure, de la partie continentale du monde Plantagenêt. En même temps que sont lancés les grands chantiers de ce premier art gothique, qui est avant tout un art de cathédrales, à Senlis, à Laon, à Bourges, à Sens, au Mans ou à Poitiers, d’autres régions explorent d’autres voies. Il importe, en ce domaine, de ne pas se laisser aveugler par la

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localisent dans les grandes villes ; étroitement liés au pouvoir laïc dès son origine, il n’est pas étonnant qu’ils aient inspiré l’art profane, comme le beffroi de Bruges ou la Ca d’Oro à Venise. Cette extension à toute la chrétienté témoigne de la vigueur des échanges culturels entre les religieux. On peut commencer l’étude par une rapide comparaison avec Saint-Sernin, afin de décrire l’évolution architecturale. L’élancement gothique est d’abord le résultat de l’usage de la clé de voûte, qui répartit mieux le poids de la voûte et de la toiture dans les colonnes (dès le début du XIIe siècle) et des arcs-boutants (1180), beaucoup plus efficaces que les contreforts romans, et qui permettent de multiplier les audaces. On rappellera que ces découvertes sont largement empiriques, fruits de multiples observations et tentatives dont notre époque conserve peu de traces. A la fois plus hauts et plus légers, la concentration maximale des forces se fait en un point précis, la croisée d'ogives et les arcs-boutants permettent un contre-butement extérieur de ces forces. Cela a permis de faire disparaître les tribunes et d'agrandir les fenêtres hautes. Le triforium, que l'on peut considérer comme une galerie, est une réminiscence de la tribune. Ce document permet de rappeler que les cathédrales gothiques ont parfois dérié les lois de l'équilibre. L’architecte est à l’époque le chef d’une maîtrise d’artisans spécialisés : conception et construction sont collectives. Ceci ne va pas sans erreurs : ainsi le 28 novembre 1284, à peine construites, les voûtes de la cathédrale de Beauvais s'effondrent. Le premier ouvrage issu d’un modèle « abstrait », conçu personnellement par l’architecte Brunelleschi, est la cathédrale de Florence au XVe siècle : à ce titre, il apparaît révolutionnaire. Ces découvertes permettent de changer de proportions dans la construction. On pourra mesurer les dimensions des deux édifices proposés grâce à l’échelle des plans fournis. Les cathédrales, plus vastes, plus travaillées, sont aussi plus onéreuses : on pourra achever la comparaison entre les deux périodes romane et gothique en étudiant les cartes de leurs diffusions. L’art roman, plus diffus dans la localisation, est d’inspiration plus méridionale. Il est encore issu du monde féodal, tandis que la cathédrale est une production de la ville. Quelques pôles ressortent là où, finalement, certains féodaux s’imposent déjà (Bourgogne, Aquitaine, Normandie, Poitou). Tandis que l’art roman recherchait avant tout l’harmonie et l’équilibre des volumes, l’art gothique, sans trahir la période précédente, tend à exprimer l’élan de l’âme vers Dieu. Les tours élevées, le motif récurrent des portails et des niches répétant l’arc gracieux pointé vers le ciel, la dominante de la ligne verticale servent ce projet. À cette fin, le développement de l’église en hauteur, l’élargissement des fenêtres ne semblent plus connaître de limites. À l’extérieur, le bâtiment devient monument : tandis que de nombreuses façades romanes restent relativement dépouillées, ne sachant employer l’espace du mur, la façade gothique se construit rationnellement et déploie tous les ornements possibles. Une profusion excessive caractérisera d’ailleurs la période tardive, celle du « gothique flamboyant ». Notre-Dame de Reims est la cathédrale du sacre des rois de France en souvenir du baptême de Clovis. À Notre-Dame de Reims, un équilibre heureux est réalisé entre la richesse du décor et la clarté de l’ensemble : le nombre impressionnant de statues ne nuit pas à la lisibilité de la façade, notamment grâce à une organisation géométrique rigoureuse. L’espace intérieur, par son élévation, par son organisation harmonieuse en étages distincts, par sa luminosité graduelle porte le visiteur à la contemplation de la transcendance, sans jamais l’écraser. Sans rien perdre de la richesse symbolique du roman, l’art gothique gagne en majesté et en complexité ; il rend l’idée de Dieu immédiatement présente par la puissance de l’impression qu’il produit. Les maîtres d’oeuvre ont pu être influencés par les constructions rationnelles des philosophes et des théologiens : l’époque est celle des «sommes» théologiques, dont la plus célèbre, celle de saint Thomas d’Aquin tente une synthèse magistrale des idées chrétiennes. Le paradis y est présenté comme le lieu de la vision béatifique de Dieu ; la vérité y est une lumière qui irradie et transfigure celui qui la connaît. On peut rappeler que les récits du Nouveau Testament présentent l’Esprit Saint (troisième personne divine) comme une flamme (Ac 2, 3), tandis que dans l’Ancien Testament, l’image du feu dévorant, purificateur, désigne régulièrement Dieu. L’art de la cathédrale gothique, souvent appelé « art de la lumière », bientôt qualifié de « flamboyant », appartient bien à cette culture. L’élan vigoureux de la cathédrale gothique est aussi un élan de confiance, souvent empreint de tendresse, vers un Dieu qui appelle à lui l’humanité entière.

conception évolutionniste de l’art qui demeure en grande partie la nôtre : ces constructions, que l’on regroupe généralement sous l’appellation de « roman tardif » ne sont pas plus « rétrogrades » que ne le sera le gothique du XVIe siècle sous prétexte qu’il tardera à adopter le goût italien ! Pour ne prendre qu’un exemple, Saint-Gilles-du-Gard manifeste dans sa façade un esprit d’innovation, en l’occurrence une conception monumentale de l’accès des fidèles, que l’on ne retrouve, à la même époque, ni à Chartres, ni à Paris, ni à Saint-Denis, ni à Senlis, ni à la collégiale de Mantes, dont les tentatives en ce domaine paraissent au contraire bien timorées. Le XIIIe siècle, âge d’or du gothique du Nord Peu après 1200, cependant, les principes de construction énoncés à Saint-Denis et développés dans le domaine royal français semblent s’imposer assez rapidement à l’ensemble de l’Europe occidentale, sans que l’on ait pour autant, d’ailleurs, d’unification stylistique totale, l’architecture du nord de l’Allemagne restant, par exemple, fidèle à son goût pour des murs particulièrement épais jusque fort tard dans le siècle, y compris pour des bâtiments dont les textes nous disent, par ailleurs, qu’ils ont été voulus en opus francigenum. L’art d’Île-de-France, lui, est marqué par une course à la monumentalité, avec des façades de plus en plus puissantes, soulignées, à partir des années 1220, par des galeries hautes figurant les rois de Juda, ancêtres de la Vierge, et des vaisseaux centraux de plus en plus larges et de plus en plus élevés. Cette recherche de l’exploit impose aux architectes une évolution technique permanente qui permettra, sous l’impulsion d’un commanditaire exigeant, le roi Louis IX, de porter à son comble la volonté de suppression du mur qui, au fond, sous-tend l’architecture gothique depuis sa naissance. S’appuyant sur un édifice bas extrêmement puissant et quasiment aveugle, la Sainte-Chapelle du Palais de la Cité, à Paris, rejette totalement les éléments de soutènement à l’extérieur, au profit du verre et de la sculpture. Sous l’influence de saint Louis, durant près d’un siècle et demi, se développe l’architecture gothique rayonnante, dont le canon est défini à la Sainte-Chapelle. Le goût de la prouesse architecturale n’en reste pas moins présent, malgré quelques accidents, dont l’ampleur doit néanmoins être nuancée, tel l’effondrement des voûtes du chœur de la cathédrale de Beauvais en 1284. Un autre architecture gothique : le gothique méridional Il est pourtant une forme de gothique qui se déploie, à partir de la fin du XIIIe siècle, en proposant d’autres solutions, non moins

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Cette confiance en Dieu et en l’homme est issue de la spiritualité du XIIe siècle, largement portée sur le mystère de l’Incarnation par lequel Dieu se fait homme. Significativement, Notre-Dame de Reims voit son portail orné non plus d’un Jugement dernier, mais du couronnement de la Vierge ; il est également renommé pour son ange au sourire, chef-d’oeuvre de la sculpture médiévale. Celle-ci se dégage lentement des traditions romanes. Le développement va dans le sens de la simplicité, de l’harmonie et de la clarté, en même temps que se renouvellent les thèmes iconographiques, notamment dans les vitraux. Au foisonnement d’êtres imaginaires, à la flore capricieuse, aux animaux grouillants, succèdent des personnages animés plus proches de l’homme, qui gardent les mystères impénétrables des réalités qui les habitent. Des compositions claires et harmonieuses déroulent l’histoire sainte sur les cathédrales, des Prophètes à l’Apocalypse, constituant des sommes théologiques, la Bible des illettrés. Le couronnement de la Vierge Selon le mystère catholique, la Vierge Marie est la première créature à entrer dans la gloire divine. Tout comme Salomon fait de sa mère Bethsabée une reine, le Christ après sa résurrection continue d’honorer sa mère selon la loi de Moïse : devenu roi lui-même, Il lui offre le trône de l’Univers. Marie préfigure l’humanité sauvée par le Christ, introduite par lui dans la parenté et la gloire de Dieu. Le destin de tout baptisé est de devenir « saint, prophète et roi » : c’est cette royauté qui est exaltée sur le portail de Reims. La Vierge y est représentée dans un geste caractéristique de la piété médiévale : la tête légèrement inclinée, les mains jointes en signe d’hommage, elle est bien la « femme pleine de grâce » de l’Évangile. Le XIIe siècle voit se développer une intense spiritualité mariale. Sans l’adorer, les chrétiens vénèrent la Vierge : selon l’Évangile, elle est aussi celle qui intercède pour l’humanité auprès de son Fils. Un grand nombre de cathédrales gothiques portent son nom. L’ange au sourire Statue anonyme du portail septentrional de la façade principale, cette statue est l'une des 2 303 figures sculptées qui ornaient la cathédrale. Cette statue permet d'évoquer l'ange, intermédiaire entre Dieu et les hommes. Saint Augustin a défini les principales fonctions des anges : « tournés à la rois vers Dieu qu'il glorifie et vers un monde visible dans lequel il intervient ». Selon les Écritures, l’ange est un être spirituel, « messager » de Dieu selon l’étymologie, qui « voit la face du Père » et intervient auprès des hommes. Le christianisme médiéval dota peu à peu chaque homme et chaque femme d'un ange veillant spécialement sur lui ou sur elle, c'est « l'ange gardien ». Les anges ont un attribut distinctif, les ailes. Celui de Reims a une attitude profondément humaine que le sculpteur a traduit par la tète inclinée, le geste de la main, les plis de la robe et surtout le magnifique sourire. On remarquera l’équilibre gracieux de cette statue célèbre : la courbe légère de la tunique continuée par le mouvement de l’aile permettant de mettre en valeur une tête légèrement inclinée, souriante, penchée sur les passants. L’ensemble illustre le naturalisme, la grâce, la profonde humanité de la statuaire gothique. L'ange au sourire est devenu durant la Première Guerre mondiale le symbole de la ville martyre des bombardements allemands. La grande rosace de la façade occidentale et un vitrail représentant un roi Le développement des verrières dans le monument gothique devait naturellement donner une place nouvelle au vitrail. On peut en rappeler la technique : morceaux de verre colorés dans la masse et réunis par des points de plombs. Par rapport à l’époque antérieure, déjà riche d’oeuvres remarquables, le dessin s’affine, les couleurs se diversifient (quoique le bleu et le rouge continuent à dominer), les compositions prennent de l’ampleur. Rosaces et vitraux concourent à la même œuvre didactique que les sculptures des portails. La grande rosace présentée ici participe à la dévotion mariale déjà évoquée : ici, c’est la Création, hommes et anges, qui glorifient la mère de Dieu, conformément à la parole de l’Évangile : «tous les âges te diront bienheureuse». Cette grande rosace, prouesse technique remarquable, magnifique dentelle de verre est le joyau de l’édifice gothique; elle illustre à nouveau l’importance caractéristique de la lumière dans cette architecture aérienne. Le roi d’Israël représenté sur le vitrail est un ancêtre du Christ, « fils de David » selon les Écritures. Il est ici représenté sous les traits d’un roi du XIIIe siècle dont il porte tous les attributs : la couronne, le sceptre et la fleur de lys. L'étude de Notre-Dame de Chartres permet de saisir tous les éléments de l’art gothique. Celle que Péguy surnommait « l'inaccessible reine » a servi de modèle

monumentales que celles du rayonnant, mais sans doute trop éloignées de Paris pour avoir reçu, avant une période récente, l’attention des historiens de l’architecture. À Barcelone, avec Santa Maria del Mar et la cathédrale, à Rodez, à Auch, à Albi, c’est une tout autre conception de l’espace qui est proposée. Le verre y tient beaucoup moins de place dans le vaisseau central, dont l’éclairage direct se trouve réduit à rien ou presque au profit d’immenses arcades qui ouvrent sur les bas-côtés largement éclairés. Le fait que la plupart de ces églises aient conservé leurs clôtures de chœur (souvent de véritables chefs-d’œuvre de la sculpture) nous aide à comprendre combien ce choix de très hautes arcades permet, malgré le maintien de la partition horizontale entre les divers espaces liturgiques de l’église, d’obtenir une dilatation de l’espace architectural. C’était là l’une des recherches majeures de l’architecture rayonnante où, hormis les édifices n’ayant qu’une seule fonction et où le nombre de personnes admises était très restreint, telle la Sainte-Chapelle, la diffusion de la lumière se heurte rapidement aux partitions horizontales de l’édifice. Du « decorated style » à l’architecture flamboyante Pendant ce temps, les architectes anglais exploraient une tout autre voie. Alors que les architectes français utilisent nervures, doubleaux et autres remplages avant tout pour leur fonction architecturale, leurs confrères d’outre-Manche, au contraire, choisissent de les dissocier de plus en plus manifestement de l’architecture et de leur confier une fonction décorative. On voit ainsi, notamment, les nervures se disposer en éventail sur l’ensemble de la surface des voûtains ou, comme à la cathédrale de Wells, le jubé conçu comme la juxtaposition tête-bêche de deux gigantesques arcs brisés. C’est sans doute dans ces recherches des architectes anglais du XIVe siècle (le decorated style puis le perpendicular style) que prendra racine le goût des XVe et XVIe siècles pour une architecture extrêmement décorative, cultivant les effets, appelée « flamboyante » depuis le XIXe siècle en raison de l’impression de flammèches que donne, dans les remplages, la succession des soufflets et des mouchettes. En Italie, cette architecture, assez éloignée de la pratique encore marquée par le roman des architectes locaux, semble avant tout avoir été le fait d’architectes d’origine germanique.

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à beaucoup d'autres cathédrales. Il s’agit de comprendre le style gothique aussi bien en ce qui concerne l'architecture que le décor, et de le lier à l'art urbain. L'accent est tout particulièrement mis sur les vitraux ; en effet les hasards de l'histoire font qu'à Chartres a été conservé le plus vaste ensemble de vitraux médiévaux au monde ce qui en fait un lieu d'exception. Cette étude permet enfin d'illustrer l'apparition d'une nouvelle forme de piété. On peut aussi rapidement rappeler l'histoire de cette cathédrale. En 1194, un incendie détruit les trois quarts de la ville de Chartres et endommage très sévèrement la cathédrale construite au XIIe siècle par l'évêque Fulbert, pour abriter la tunique que l'on disait avoir été portée par la Vierge au moment de l'Annonciation. Un nouvel édifice gothique est entrepris ; il est en partie achevé vers 1220 grâce aux donations des fidèles, des princes et des rois comme Philippe Auguste ou Richard Cœur de Lion. Élevée sur une butte qui domine la ville, la cathédrale est vraiment le cœur de la cité. Il faut donc associer l'art gothique à l'art urbain. Au XIIIe siècle Chartres connut une grande période de prospérité, de nombreux artisans travaillaient le cuir et le drap et les habitants s'installent en dehors des remparts où de nombreux moulins transforment en farine le blé de la Beauce. Cette richesse, les dons des pèlerins ou celui exceptionnel de Philippe Auguste en 1210 permirent de poursuivre l'embellissement de la cathédrale. À Chartres s'établit au XIIe siècle une école épiscopale. De toute l'Europe, les étudiants accourent pour assister à l'enseignement des maîtres. Leur présence donne naissance à un artisanat et un commerce du livre et « dynamise » l'économie locale. Les vitraux de couleur correspondent à un besoin mystique, cher au Moyen Âge, pour qui la lumière éblouissante des verrières était la plus pure manifestation de Dieu (à Chartres il faut insister sur la beauté des bleus). Le vitrail remplace la fresque et laisse passer la lumière. Les artistes, pour la plupart itinérants, sont très nombreux à participer à la construction d'une cathédrale comme celle de Chartres. Ces images livrent aussi le miroir de la société médiévale : on y voit, outre la vie du Christ et de la Vierge, l'Église célébrer la liturgie, les chevaliers combattre, les artisans au travail. Ces deux vitaux proviennent d'une grande verrière où quatorze vitraux de forme circulaire représentent la passion du Christ. La forme circulaire imposée par le cadre a permis à l'artiste de ployer les corps, ce qui dramatise encore ces scènes. La première scène évoque la crucifixion du Christ : celui-ci, représenté cloué sur la Croix, le torse violemment projeté en avant, incline la tète sur l'épaule droite en signe de souffrance. Trois personnages accompagnent le Christ. La seconde scène évoque la déposition de la Croix avant la mise au tombeau : le corps du Christ est porté sur les épaules d'un homme, tandis que l'un des personnages se prosterne. Certes, une part de l'argent vient des dons des pèlerins, mais quarante-deux vitraux ont été offerts parles métiers, ils y exposent la vie de leur saint patron et s'y représentent accomplissant diverses tâches, comme les marchands de vin (XIIIe siècle) transportant leurs tonneaux vers la ville. Il s'agit certes quasiment d'une « publicité » pour les professions représentées mais surtout de donner au travail humain une portée mystique : le geste laborieux devient un acte quasi liturgique III. L’unité artistique Il s’agit de présenter les croyances et les pratiques religieuses à travers les oeuvres d’art qu’elles ont inspiré. L’horizon de l’humanité chrétienne est alors dominé par la perspective du Jugement dernier, qui confère à chaque acte de l’existence une portée eschatologique. On peut donc commencer par l’étude d’un tympan, qui permet de présenter deux aspects de l’action de l’Église : imposer sa vision de la société et enraciner sa conception de la vie dans l’au-delà. Le tympan rappelle à chaque homme l’importance du jugement en jouant sur la peur de l’Enfer. Il insiste aussi sur le rôle médiateur du clergé, dont on retrouve beaucoup de représentants à la droite du Christ. C’est en suivant les préceptes de l’Église que le fidèle pourra sauver son âme. Enfin, il s’agit de montrer que la vie dans l’au-delà est plus importante que la vie ici-bas. Le tympan de Saint-Lazare d’Autun figure le Jugement dernier. Le retour définitif du Christ, la résurrection des morts et le Jugement dernier sont des principes de la foi chrétienne. Si l’interprétation théologique du Jugement, différemment présenté par les Évangiles, reste de l’ordre du mystère, la sensibilité médiévale entretient de cet évènement une image sévère. Les peintures de l’enfer abondent, aussi bien dans la sculpture que la peinture ou la littérature.

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Par la terrifiante condamnation des vices qu’elles illustrent, elles ont une fonction politique évidente. Cependant, la spiritualité connaît une évolution, et le XIIIe siècle voit apparaître des Christs miséricordieux. Celui d’Autun, apparaissant les mains ouvertes dans la glorieuse lumière figurée par la mandorle, n’est déjà plus le juge au bras levé de Conques. À Reims, c’est la perspective paradisiaque de l’union entre le Créateur et la créature qui domine, avec le couronnement de la Vierge. À Autun, comme sur les autres tympans romans, le souci didactique est clair. La composition est simple, s’ordonnant autour du Christ en majesté. À sa droite, les apôtres et les portes du ciel, figurées par des voûtes en plein cintre, comparables à celles de l’église. Saint Pierre, qui possède les clés du paradis, se tient devant les portes du ciel. À la gauche du Christ, la pesée des âmes divise l’humanité ; une partie rejoint l’enfer. Dans le registre supérieur, figure Marie, qui selon la tradition catholique n’a pas connu la mort, mais a rejoint son fils dans la gloire. Dans le registre inférieur, les défunts sont dirigés vers l’enfer ou le paradis. La présence de nombreux anges illustre l’Apocalypse : « le Christ apparaîtra accompagné de tous ses anges », et « ils rassembleront les élus aux quatre coins de l’horizon ». Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Les bâtisseurs des cathédrales vont employer des éléments d'architectures au service d'une conception religieuse nouvelle qui repose sur l'idée que « Dieu est lumière » et que la lumière est une manifestation divine. Les nouvelles techniques de construction (la voûte sur croisée d'ogives et les arcs-boutants) permettent d'élever les édifices et d'alléger les murs. Les vitraux introduisent la lumière qui de Dieu pénètre jusqu'aux clercs puis jusqu'aux fidèles.

Evaluation cohérente en fonction des objectifs :

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HMA – La cathédrale au Moyen Age

Approche scientifique Approche didactique

Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) :

Insertion dans les programmes (avant, après) :

Sources et muséographie : Ouvrages généraux : G. Duby (1919-1996), Le temps des cathédrales, L'Art et la société (980–1420), Gallimard ,1976 (une série d’émissions inspirée de cette étude fut diffusée au début des années 1980). H. Focillon, Arts d’Occident : le Moyen Âge roman, le Moyen Âge gothique, Le Livre de poche, LGF, 1988. Documentation Photographique et diapos : C. Deremble, L’Art et la foi au Moyen Âge, Dossier de la Documentation photographique, n° 7040, avril 1997. Revues : Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Le Temps des cathédrales est d’abord l’une des œuvres historiques les plus généreuses qui soit. Ce n’est pourtant pas la méthode historique que l’on admire dans ce livre devenu un classique. Il y aurait beaucoup à redire en ce domaine : la démarche, loin d’être rigoureuse, fait encore grincer les dents des historiens de l’art qui la trouvèrent impressionniste. Quant à la chronologie, elle semble artificiellement découpée en trois périodes, comme s’il y avait toujours un événement ou une création qui entraînait la fin d’un art et le passage à un autre. Au temps des monastères (980 - 1130) succède ainsi le temps des cathédrales (1130-1280) que suivra le temps des palais (1280-1420). Si ces reproches académiques sont justifiés, Le temps des cathédrales n’en demeure pas moins un grand ouvrage d’histoire dont la puissance d’évocation et la liberté de ton demeurent inégalées. Cette sociologie de la création artistique médiévale qui oscille en effet entre histoire et roman permet de replacer l’ensemble des hautes productions de l’Occident médiéval dans « le mouvement général de la civilisation ». L’historien nous offre des clefs pour pénétrer cet univers des formes aussi complexe que fascinant, pour comprendre l’architecture, la sculpture ou les vitraux à une époque où l’art pour l’art n’existe pas, où tout est hommage, prière à Dieu et où l’artiste s’efface devant son Créateur. Ce parcours nous montre donc comment la féodalité transféra des mains des rois à celles des moines le gouvernement de la production artistique avant que celle-ci ne s’épanouisse au cœur des villes, dans les cathédrales qui deviennent les centres d’innovations majeurs au temps de la renaissance urbaine. La dernière partie nous montre comment au XIVe siècle l’initiative de l’art revint aux grands princes et s’ouvrit aux valeurs profanes. Peut alors s’épanouir la peinture qui devient pour des siècles l’art majeur de l’Europe.

Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO actuel : « Sans omettre les évolutions, le XIIIe siècle est choisi comme observatoire privilégié. L’Église est présentée comme une structure et un acteur essentiels de l’Occident médiéval. Elle participe à son expansion (évangélisation, pèlerinages, croisades). L’enracinement social et les manifestations de la foi sont étudiés à partir des monuments et des oeuvres d’art. • Carte : diffusion de l’art roman et de l’art gothique. • Documents : une cathédrale. » Futur programme : « LA PLACE DE L’ÉGLISE On fait découvrir quelques aspects du sentiment religieux. La volonté de l’Eglise de guider les consciences (dogmes et pratiques, lutte contre l’hérésie, inquisition…) et sa puissance économique et son rôle social et intellectuel (insertion dans le système seigneurial, assistance aux pauvres et aux malades, universités…) sont mises en évidence. L’étude est conduite à partir: - de l’exemple au choix d’une église romane et une cathédrale gothique, dans leurs dimensions religieuse, artistique, sociale et politique ; - de l’exemple au choix d’une oeuvre d’art: statuaire, reliquaire, fresque, chant… ; Connaître et utiliser les repères suivants − L’âge des églises romanes : Xe - XIIe s − L’âge des églises gothiques : XIIe – XVe s Décrire une église »

Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : I. Le siège de l’évêque et un quartier religieux L’évêque, ou épiscope (la fonction est déjà mentionnée dans le Nouveau Testament), est à l’origine le pasteur d’une Église locale, et son représentant auprès des autres Églises. Choisi par les notables et les prêtres, accepté par le pape dont il reçoit l’ordination sacerdotale, il possède des fonctions multiples : sociales (organisation de la charité envers les plus démunis), économiques,

Activités, consignes et productions des élèves : Accompagnement : « Il n’est pas envisageable de proposer une histoire chronologique de l’Église médiévale. L’Église est présentée comme l’élément fédérateur de l’Occident chrétien en montrant que son autorité s’exerce aussi

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culturelles. À la tête du clergé séculier, l’évêque, ayant reçu la plénitude du sacerdoce, se voit charger comme successeur des apôtres, d’une partie de l’Église universelle, c’est-à-dire d’un diocèse. Il est responsable des ordinations sacerdotales, de la formation des clercs, de l’enseignement et de la discipline dans son diocèse. Les insignes de sa dignité sont importants : la mitre, la crosse, la croix pastorale, l'anneau porté au majeur droit depuis le VIIIe siècle. L'aspect de la mitre a varié en fonction des traditions nationales. Certains y voient la figuration de l'Ancien et du Nouveau Testament. Chaque évêque, considéré comme un successeur des apôtres, exerce un pouvoir analogue à celui du pape sur une portion de territoire (dont les limites se calquent souvent sur d'anciennes provinces romaines), le diocèse, qu'il administre a l'aide de quelques ecclésiastiques, les chanoines. Certains évêques sont responsables d'une province réunissant plusieurs évêchés, ce sont les archevêques. L'évêque, délègue une partie de ce pouvoir aux curés qui ont la charge des fidèles dans la paroisse. L'évêque est un personnage puissant (il a l'autorité sur de nombreux monastères et dispose d'un tribunal), il est à la tète de grandes richesses et perçoit la dîme. Être évêque est une fonction très convoitée par les fils de grandes familles. On peut rappeler que l'installation des évêques a commencé sous Constantin (au IVe siècle). Ces clercs séculiers ont joué un rôle important en Occident, surtout lors des invasions des IVe et Ve siècles, puisqu’ils ont permis de maintenir le christianisme, principalement dans les villes. De nouveaux sièges ont été créés au fur et à mesure de la christianisation de l'Occident, avec une période particulièrement active entre le VIIe et le XIIe siècle. L’évêque est le seul à disposer de la totalité des sacrements. Entre le Ve et le Xe siècle, il a été amené à déléguer progressivement une partie de ses pouvoirs, car, à l’intérieur du territoire sur lequel il veille, le diocèse, les églises se sont multipliées dans les bourgs et les campagnes. Elles sont devenues des paroisses, succursales qu’il a confiées à des curés. La cathédrale reste l’église-mère. Elle affirme sa prépondérance par sa monumentalité. Et aussi par une animation intense, car à son ombre vit et s’active une foule de clercs. D’abord, les chanoines du chapitre, qui forment le conseil de l’évêque, et ont pour mission essentielle d’accomplir la prière au nom de l’Église du diocèse, au cours des sept offices quotidiens qui sanctifient le déroulement du temps (les « heures »). Mais s’y trouvent aussi tous les personnels qui travaillent à l’officialité (tribunal ecclésiastique), à la chancellerie (administration), dans les bureaux financiers, à la bibliothèque et aux archives, à l’école cathédrale. Et encore celui de l’hôtel-Dieu (l’hospice). Ces bâtiments ont la plupart du temps disparu. L’isolement actuel des cathédrales nous empêche d’imaginer la vie intense qui animait alors ce quartier, véritable cité dans la cité. Le quartier cathédral L’hôpital au Moyen Âge est un établissement charitable destiné à secourir les pauvres, les malades, les pèlerins, pratiquant moins les soins médicaux que l’hospitalité. Fondation pieuse, parfois de taille infime (à partir de deux lits), l’hôpital est placé sous la tutelle de l’évêque, gardien du bien des pauvres, bénéficiant de certains privilèges attachés aux biens ecclésiastiques (inaliénabilité, soustraction aux dîmes et aux impôts, droit de sépulture et d’asile). Souvent, le personnel est composé de frères et de soeurs, formant des sortes de congrégations religieuses sous la direction d’un recteur nommé par l’évêque ou par un patron laïc, élu par la communauté. L’hôpital est doté de possessions immobilières qu’il exploite directement ou non, reçoit des quêtes et des legs pieux. Du XIIIe au XVe siècle, on assiste à une concentration hospitalière dans de grands ensembles nommés hôtels-Dieu. L’hôtel-Dieu a toujours été situé près de la cathédrale dont il dépendait ; à Paris, il a été reconstruit à partir de 1165 à côté de Notre-Dame de Paris, encore en chantier à l’époque. À la fin du Moyen Âge, les autorités municipales prennent de plus en plus en charge ces établissements. II. La construction Une miniature du XIIIe siècle (BNF, Paris) montre un chantier de cathédrale au XIIIe siècle. Il évoque à la fois la prospérité de l’époque, et l’aspect collectif que revêt la construction de ces monuments. C’est tout le peuple de Dieu qui participe à la gloire de sa maison, selon l’image, relativement vérifiée, que les chroniqueurs ont voulu garder de ces évènements. D’un balcon, le roi assiste à la scène et montre du doigt la cathédrale à un visiteur. Tandis qu’un pèlerin, reconnaissable à son bâton et à sa besace, entre

bien dans le domaine religieux et politique que dans la vie privée de chacun. Les monuments et les oeuvres d’art ne doivent pas être considérés comme des illustrations. Ils sont au centre du programme. Les cathédrales affirment la montée en puissance de la ville et l’affirmation du pouvoir épiscopal. Leur architecture et leur décor sculpté ne sont pas d’abord destinés, comme on l’a cru longtemps, à l’enseignement des humbles mais, conçus par des théologiens, ils expriment une vision de Dieu et des hommes qu’il faut expliquer. L’étude des édifices religieux permet enfin d’analyser les pratiques religieuses pour lesquelles ils ont été édifiés. Ainsi, dans cette partie du programme comme dans l’ensemble de l’enseignement de l’histoire au collège, les oeuvres ne doivent pas être d’abord analysées d’un point de vue formel. Il est essentiel d’expliquer prioritairement aux élèves leur sens et leur fonction. » La société médiévale est une société religieuse. L’Église lui fournit les cadres de sa culture et les fins de son action. Ces cadres et ces fins, issus du christianisme se donnent comme perspective l’édification de la cité céleste dans la cité terrestre, l’union du ciel et de la terre, de l’homme et de Dieu. L’image de cette union peut être présentée par celle de la cathédrale (de Paris par exemple). Elle illustre aussi bien la place centrale qu’occupe l’institution dans la société de son temps que le projet chrétien dont elle se réclame.

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dans la cathédrale, le clergé en procession en fait le tour. Au premier plan, les artisans taillent des blocs de pierre, sculptent des statues, font du ciment pour assembler les pierres. Au sommet de la cathédrale, on aperçoit le système de levage à poulie qui permet de hisser les pierres. L’ensemble donne une impression voulue d’effervescence, de dynamisme, de renouveau. La cathédrale de Laon se dresse sur une colline au coeur de la ville ; c’est le siège de l’évêque du diocèse. Commencée vers 1150-1155, sa construction précède de quelques années celle de Notre-Dame de Paris qu’elle inspire. L’édifice est achevé en 1205. Les dimensions du vaisseau central sont exceptionnelles. La cathédrale s’élève sur quatre étages, du chevet à la façade ouest. La cathédrale est autant un symbole de prestige et de puissance qu’un lieu liturgique et administratif. L’édifice en pierre de taille est très imposant et adopte un plan en croix latine. La découverte d’une série de techniques ingénieuses, comme la voûte à croisée d’ogive et l’arc-boutant, qui caractérisent l’art gothique, permet de gagner en élévation grâce à une meilleure répartition du poids. L’édifice s’allonge et s’élève vers le ciel, la luminosité s’accroît. L’art du vitrail peut enfin trouver sa pleine expression. La cathédrale de Laon offre une décoration assez austère. Les vitraux forment l’essentiel du projet ornemental. C’est l’architecture qui décore l’édifice. La cathédrale de Laon appartient au groupe des premières réalisations gothiques d’Europe, avec l’abbatiale de Saint-Denis, commencée par l’abbé Suger vers 1135, la cathédrale de Sens, commencée vers 1128-1130 et achevée vers 1165, ou encore la cathédrale de Noyon, qui s’inspire de Saint-Denis, dont le choeur et le transept sont élevés entre 1150 et 1185. La cathédrale (du latin cathedra qui signifie chaire) est l’église principale d’un diocèse où se trouve le siège (cathedra) de l’ecclésiastique qui le dirige, l’évêque. Des éléments révèlent le souci d’élévation : – d’une part, l’élévation de la nef sur quatre étages qui offre la séquence suivante, en partant du sol : grande arcade, tribune biforée (deux ouvertures), triforium (galerie de circulation placée au-dessus des tribunes, à trois ouvertures) et fenêtres hautes ; – d’autre part, les voûtes d’ogives sexpartites (à six quartiers). La lumière entre par les nombreuses ouvertures que permet ce type d’architecture : ouvertures latérales dans l’élévation de la nef, du choeur et de l’abside, lesquels reçoivent la lumière filtrée par des vitraux ; on remarque plus particulièrement la rosace centrale de l’abside et encore les ouvertures ménagées dans l’élévation du choeur. La hauteur sous voûte est de 24 mètres (34 mètres à Notre-Dame de Paris). Il s’agit d’une cathédrale, c’est-à-dire de l’église de l’évêque du diocèse de Laon. Comme souvent dans les églises chrétiennes, la cathédrale de Laon est orientée vers l’est, vers Jérusalem et vers le soleil levant, symbole de la Résurrection. Le plan en forme de croix évoque la crucifixion de Jésus dont les bras s’étendent sur le transept et la tête repose dans le choeur. Située entre l’entrée et le choeur, la nef est le lieu où se tiennent les fidèles. Les clercs officient dans le choeur où se trouve l’autel principal et où l’on célèbre la messe. On notera que la nef est séparée du choeur par un vaste transept que domine à la croisée une tour lanterne. Un des éléments clés des cathédrales gothiques correspond aux quatre étages de la nef percés de nombreuses ouvertures qui laissent passer la lumière. Au fond de l’abside une rosace est ornée d’un vitrail multicolore. Les colonnes renforcent l’élévation. Espace symbolique en raison de sa forme et de sa fonction, la cathédrale est le lieu où se retrouvent les chrétiens pour suivre l’office divin. Lieu de culte, la cathédrale n’a en elle-même pas d’autres fonctions, sinon de symboliser aussi dans l’espace la présence de l’évêque et de servir, comme n’importe quelle église, de lieu d’asile. Mais au XIIe siècle, nombreuses sont les écoles qui fleurissent à l’ombre des cathédrales, en raison de la vocation d’enseignement des clercs. Les écoles cathédrales de Paris (arts libéraux et théologie), de Chartres (arts libéraux surtout) ou de Laon sont particulièrement renommées alors. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :

Evaluation cohérente en fonction des objectifs :

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HMA – Les croisades

Approche scientifique Approche didactique

Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : L’apparition de l’islam et le schisme chrétien ont abouti à la mise en place de nouveaux rapports de force dans le Bassin méditerranéen. L’islam poursuit son expansion aux dépens du monde byzantin, tandis que l’Occident, fort de son dynamisme, se lance dans un nouveau type de combat qui la met aux prises avec le monde musulman : la croisade. Les affrontements et heurts entre les civilisations n’entravent en rien les échanges pacifiques entre elles. Croisades et Reconquista jouent même souvent un rôle d’accélérateur dans le brassage commercial et culturel qui est déjà à l’oeuvre depuis de longs siècles dans la Méditerranée.

Insertion dans les programmes (avant, après) :

Sources et muséographie : Ouvrages généraux : Demurger Alain, Croisades et croisés au Moyen Age, Champs histoire, Flammarion, 2006 (spécialiste de l'histoire des croisades, des ordres militaires). Alain Demurger, Les Templiers, une chevalerie chrétienne au Moyen Age, Points Seuil, (2005) 2008. Alain Demurger, La croisade au Moyen Âge, Nathan Université, coll. « 128 », Paris, 1998. Pierre Aubé, Jérusalem 1099, Actes Sud, 1999 (un spécialiste du Moyen Âge central et des croisades). Pierre Aubé, Un croisé contre Saladin. Renaud de Châtillon, Fayard, 2007. Jonathan Riley-Smith, Atlas des croisades, Autrement, Paris, 1996. (un des meilleurs spécialistes de l’histoire des croisades). Jean Flori, Guerre sainte, jihad, croisade. Violence et religion dans le christianisme et l'islam, Paris, 2002, éd. du Seuil : Point Histoire (par un spécialiste des XIe et XIIe siècle siècles, de la chevalerie et des idéologies guerrières). Jean Flori, Pierre l'Ermite et la première croisade, Paris, (éd. Fayard), 1999. Jean Flori, Bohémond d'Antioche, chevalier d'aventure, Paris, (éd. Payot), 2007 Claude CAHEN (1909-1991), L'Orient et l'Occident au temps des croisades, Aubier, 1983. (par un spécialiste du monde musulman qui restitue les croisades dans le contexte d'une histoire méditerranéenne). Georges Tate, L’Orient des Croisades, Gallimard, coll. « Découvertes », Paris, 1991. Jean Richard, Histoire des croisades, Fayard, 1996. Michel Balard, Croisades et Orient latin. XIe-XIVe siècles, Armand Colin, coll. « U », Paris, 2003. Amin Maalouf, Les Croisades vues par les Arabes, J.-C. Lattès, Paris, 1984. Cécile Morrisson, Les Croisades, PUF, QSJ ?, 1969, nouvelle édition : 2006 René Grousset (1885-1952), L’Epopée des Croisades, Paris, Plon, 1939 et Histoire des croisades et du royaume franc de Jérusalem, 1934-1936 (constamment réédités, comptent encore parmi les ouvrages de référence sur les Croisades, tant par leur richesse que par la beauté classique de leur style ; très marqués par l'utopie colonialiste des années 1920-1930). Documentation Photographique et diapos : G. Tate, Les Croisés en Orient, Dossier de la Documentation photographique, n° 7019, Paris, 1993. Revues : « Le Temps des Croisades », Les collections de l’Histoire, Hors-série n° 4, février 1999. M. Balard, «Le Sac de Constantinople», L’Histoire, n° 268, septembre 2002, p. 44-45. « Enquête sur les Templiers », L’Histoire, n° 198, avril 1996. « Paix et guerre en Méditerranée », L’Histoire, n° 157, juillet 1992. Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Les croisades du Moyen Âge sont des pèlerinages armés prêchés par le pape. La vision traditionnelle identifie l'époque des croisades à la période 1095-1291, du concile de Clermont à la prise de Saint-Jean-d'Acre, et se limite aux expéditions qui ont eu la Terre Sainte pour objectif et l'Orient pour théâtre d'opérations. Dans la définition large, toutes les guerres contre les Infidèles et les hérétiques, sanctionnées par le Pape qui y attache des récompenses spirituelles et des indulgences, sont des croisades. La Reconquista, croisade de la péninsule ibérique, en fait ainsi partie. Les dates sont alors beaucoup plus larges et mènent jusqu'à la bataille de Lépante (1571) dans la seconde moitié du XVIe siècle. C'est la définition dite traditionnelle qui est retenue ici.

Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO actuel : « Sans omettre les évolutions, le XIIIe siècle est choisi comme observatoire privilégié. L’Église est présentée comme une structure et un acteur essentiels de l’Occident médiéval. Elle participe à son expansion (évangélisation, pèlerinages, croisades). L’enracinement social et les manifestations de la foi sont étudiés à partir des monuments et des oeuvres d’art. • Carte : diffusion de l’art roman et de l’art gothique. • Repères chronologiques : la première

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Le 27 novembre 1095, à Clermont, le pape Urbain II lance un vibrant appel à la chrétienté : il faut aller libérer Jérusalem et les Lieux saints de la tutelle des musulmans. À compter de là et jusqu'au milieu du XIIIe siècle, les croisades se succèdent, la dernière se soldant par la mort de Saint Louis. En réalité, les choses sont moins simples qu'il n'y paraît : Urbain II n'a jamais employé le mot « croisade », pour commencer. Et le Moyen Âge tout entier est travaillé par des mouvements collectifs, des pèlerinages exaltés, des guerres saintes, qui rendent la notion de croisade très difficile à appréhender. Aujourd'hui encore, elle suscite des débats houleux parmi les historiens. Que faut-il pour qu'il y ait croisade ? Un contexte - favorable - de réforme, un pape inspiré, l'idée de la libération des Églises d'Orient, la guerre sainte, le pèlerinage pénitentiel, la rémission des péchés et Jérusalem. De cet amalgame (divin, car inspiré par Dieu) naît la croisade : une idée neuve, un objet historique nouveau. A tout lecteur contemporain des Evangiles, le terme milites Christi est une contradiction dans les termes quel peut alors être le sens des croisades ? La réponse à cette question excite un intérêt d’autant plus vif à une époque où la guerre religieuse apparaît dans d’autres religions que le christianisme et que l’interrogation relative au rôle des religions dans les conflits se pose de façon de plus en plus aiguë. Outre cette question, essentielle pour l’histoire des religions, se pose la question de ce que furent les croisades pour l’Occident chrétien qui les mena ainsi que pour ses victimes. Personne n’ignore le récit du sac de Jérusalem, qui commença par un bain de sang et un pillage en règle, avant de s’achever dans la dévotion, faute de victimes et de butin disponibles. Réduire les croisades à ce triste épisode n’éclaire cependant pas davantage le lecteur. Pourquoi partir à l’autre bout du monde connu en dépit des risques encourus ? Pourquoi se faire moine soldat ? Pourquoi s’accrocher à une terre hostile pendant deux siècles ? Si fanatisme il y eut de part et d’autre, le simple succès de l’appel à la guerre sainte, qui n’avait jamais fait partie des traditions occidentales, est déjà révélateur de l’identité des croisés. Il suffit de se souvenir que jamais les Byzantins, qui menèrent pourtant une vraie guerre défensive multiséculaire, ne se considérèrent comme des milites Christi et ce en dépit du rôle de l’Eglise dans l’Empire. A en croire les récits d’Anne Comnène, ils comprenaient d’ailleurs assez mal les motivations des Francs débarqués en Orient avec cette idée saugrenue de milites Christi. Ils avaient appelé des mercenaires après Manzikert, ils voient fondre sur l’Orient des conquérants dont beaucoup, sans préjudice de motifs moins avouables, croyaient sincérement à l’absolution par la guerre. Sans méconnaître les préoccupations politiques et économiques, il faut rappeler que la croisade est d’abord un phénomène religieux qui s’inscrit dans le mouvement long de l’expansion de la chrétienté, du VIIe au XIIIe siècle. Certains historiens ont vu dans le développement économique de villes commerçantes comme Venise, Bari, Gènes… les causes matérielles des croisades. Si cet aspect prend une place croissante dans les croisades ultérieures, en particulier celle de 1204, ce sont les motifs idéologiques et religieux qui ont été ici les plus importants. La croisade de 1095 résulte d’un double courant : la tradition des pèlerinages et l’idée nouvelle d’une guerre pour Dieu. Jusqu’au XIIe siècle, on ne dissocie d’ailleurs pas les deux termes, chacun visant la pénitence du chrétien. La croisade est le prolongement d’un vaste mouvement de pèlerinage vers la Terre sainte qui s’amplifie au XIe siècle. Les dangers du voyage et l’hostilité des Turcs seldjoukides justifient l’équipement armé des pèlerins. L’innovation de la croisade par rapport au pèlerinage armé réside dans l’esprit de guerre sainte. Il s’agit pour le peuple chrétien de reconquérir la Terre sainte des mains des « infidèles ». Les croisades en Orient comme la Reconquista en Espagne manifeste l’expansion de l’Occident chrétien. Urbain II définit au concile de Clermont la notion même de croisade – on disait alors « voyage de Jérusalem ». C’est, d’après le pape, un pèlerinage en armes placé sous l’autorité de l’Église (un légat représentera le pape), inauguré par une bulle pontificale. C’est aussi un appel à lutter contre les infidèles. Cet appel de Clermont a eu un retentissement considérable grâce aux relais joués par les évêques, ce qui explique dans un premier temps le succès populaire de la croisade sous la houlette de quelques prédicateurs, dont le plus célèbre est Pierre l’Ermite. Cette croisade dite « des pauvres », écrasée près du Bosphore dès l’année suivante, sera relayée par la croisade dite des « barons ». Si pour les premiers croisés,

croisade (1095) ; Bernard de Clairvaux (XIIe siècle) ; François d’Assise (XIIIe siècle). • Documents : une abbaye ; une cathédrale. » Socle : Ajout à la fin du commentaire « L’étude de l’organisation interne de l’Église est menée en relation avec la société médiévale : elle montre que la prépondérance pontificale s’impose dans un cadre de lutte avec les pouvoirs politiques. » Dans les futurs programmes, les croisades sont séparées de l’Eglise et rattachées à d’autres formes de contacts (ce qui rappelle le programme de Seconde). « L’EXPANSION DE L’OCCIDENT L’expansion de l’Occident, d’abord économique (développement du commerce, affirmation des marchands et des banquiers) est aussi religieuse et militaire (Reconquista, croisades). Elle se concrétise dans le développement de villes. L’étude est conduite à partir : - d’un exemple au choix d’un circuit commercial et de ses pôles ou d’une famille de banquiers ou de marchands ; - d’un exemple au choix d’une grande ville et de son architecture ; - d’un exemple au choix de l’expansion de la chrétienté occidentale. Connaître et utiliser les repères suivants − Première croisade : 1096-1099 − Les espaces de l’expansion de la chrétienté sur une carte de l’Europe et de la Méditerranée, XIe– XIVe siècle Raconter et expliquer un épisode des croisades ou de la Reconquista. » BO Seconde : « III - La Méditerranée au XIIe siècle : carrefour de trois civilisations – Les espaces de l'Occident chrétien, de l'Empire byzantin et du monde musulman – Différents contacts entre ces trois civilisations : guerres, échanges commerciaux, influences culturelles »

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l’indulgence – c’est-à-dire la rémission par l’Église des peines temporelles – avait son importance, pour les nobles et les chevaliers l’esprit d’aventure, la soif de richesses, mais aussi le fait de ne plus pouvoir se battre librement en Occident à cause des institutions de paix incite au départ vers ces terres lointaines. À la veille des croisades, le monde musulman a une vision très limitée de l’Europe latine et un peu moins étroite de l’Empire byzantin dont il a conquis une partie ; l’Occident ne connaît presque rien du monde musulman et guère plus du monde byzantin. On a longtemps affirmé que dans l’histoire d’un Occident profondément barbare, les croisades auraient été un événement soudain permettant à l’Europe de sortir brusquement de sa léthargie économique, grâce à l’ouverture de la Méditerranée au commerce des cités maritimes italiennes, et de la barbarie, en s’abreuvant à la culture orientale. On sait désormais que cette vision est schématique et fausse : la croisade, qui s’inscrit dans un contexte de profond renouvellement politique, social et religieux, ne naît pas de l’appel de Clermont (1095). Dès le Xe siècle, l’essor économique européen est en marche (cf. l’expansion des cités maritimes, Amalfi, Venise, Pise et Gênes dans une moindre mesure à cette haute époque). La domination de la Méditerranée change de mains aux Xe-XIe siècles, passant de celles des marins-soldats byzantins et des pirates musulmans à celles des cités maritimes italiennes. Après avoir été, au début du XIe siècle, à l’apogée de sa puissance militaire et territoriale, Byzance entre, dans la deuxième partie du siècle, dans une période de crise. L’héritier de l’Empire romain d’Orient voit ses frontières menacées de toutes parts par de nouveaux protagonistes des territoires méditerranéen, balkanique et anatolien. La dynastie des Comnènes, qui règne sur des terres réduites aux régions helléniques, doit solliciter l’aide de l’Occident pour espérer pouvoir redresser sa situation militaire, aggravée encore par des difficultés économiques internes. L’islam, lui, semble, au XIIe siècle, au sommet de son expansion territoriale dans le Bassin méditerranéen : son influence, après des siècles de conquêtes et de razzias, s’étend de l’Espagne à la vallée de l’Indus. Le monde musulman impressionne par l’activité de ses villes, par le dynamisme de ses marchands, par le niveau de ses savants et le raffinement de sa civilisation. Mais les divisions internes du monde musulman (entre chiites et sunnites notamment) commencent à représenter un obstacle à la poursuite de son expansion, qui semble partiellement s’essouffler. L’Occident chrétien, qui apparaît encore au XIe siècle, comme un monde « barbare » au regard des civilisations qui l’entourent, commence à cette période à se distinguer et à s’affirmer : son essor démographique, le renouveau de son Église et son dynamisme économique font de lui la civilisation la plus conquérante et lui permettent de prendre la tête du commerce méditerranéen. Malgré des conflits internes, l’Occident latin met en oeuvre son expansion militaire tant dans la péninsule Ibérique qu’en Orient. Cette expansion s’appuie sur une domination commerciale de plus en plus grande et s’accompagne d’un transfert de savoirs qui permet à l’Occident de réaliser une véritable révolution culturelle qui se développe au XIIIe siècle. Les quatre premières croisades (XIe-XIIIe siècles) Il existe deux types de routes pour les croisades : routes de terre et routes de mer. Cette carte permet de noter qu’à la fin du XIe siècle, aucun des chefs croisés ne songe à emprunter la voie maritime, qui devient plus courante à partir de la troisième croisade. Les routes terrestres passent par l’Europe centrale, longeant la plaine danubienne pour atteindre la péninsule balkanique, puis franchir les Détroits soit à Constantinople, soit plus à l’ouest (les Dardanelles), et ensuite rejoindre les plateaux de l’Anatolie et déboucher par les passes du Taurus dans la plaine cilicienne et de là gagner Antioche, porte de la Syrie dont elles longent les côtes pour atteindre ensuite Jérusalem. Une variante s’offre aux croisés venant du Midi et de l’Italie qui rejoignent Durazzo (Dyrrachium) sur la côte albanaise (par voie de terre ou en traversant l’Adriatique depuis Bari), pour gagner ensuite Thessalonique, Héraclée et la route d’Andrinople qui mène à Constantinople ; de là, on rejoint l’itinéraire précédent (ou bien on traverse en bateau l’Égée pour rejoindre la côte syrienne). Les voies maritimes montrent la prééminence dans un premier temps d’une traversée par Gênes et l’Italie du Sud, avant que Venise ne devienne le point de départ de la quatrième croisade.

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On dispose de peu d’images du XIIe siècle représentant un affrontement guerrier entre Occident et islam. La mosaïque provenant de l’église Sainte-Marie-Majeure à Rome (XIIe siècle. Italie, Vercelli, musée Leone) est un fragment du pavement de la cathédrale originelle de Sainte-Marie-Majeure, illustrant des épisodes de la Bible et des scènes profanes. Bien que difficile d’interprétation, un détail représente un combattant chrétien croisant le fer avec un musulman, représenté ici sous des traits plus africains qu’arabes. Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : I. La croisade, une expédition militaire En 1095, le pape Urbain II appelle les chrétiens d’Occident à partir en croisade pour protéger les chrétiens d’Orient et pour délivrer Jérusalem. On ne connaît l’homélie prononcée par Urbain II à l’issue du concile de Clermont que par des témoignages de chroniqueurs. Robert le Moine est l’un d’eux. Il s’appuie sur les récits des chevaliers ayant participé à la croisade et sur sa propre expérience. On peut comparer utilement cette version au témoignage de Foucher de Chartres. Foucher de Chartres assiste sans doute au discours pontifical, prononcé le 27 novembre 1095, et il en restitue la substance. Foucher de Chartes a vécu l’aventure de la première croisade à laquelle il participe en 1096. Il devient le chapelain de Baudouin de Boulogne, frère de Godefroy de Bouillon et premier roi de Jérusalem, se fixant dans la Ville sainte où il meurt en 1127. Il compose une Historia Hierosolymitana entre 1100 et 1127, destinée aux chevaliers occidentaux qu’il veut inciter à se croiser et à s’installer dans les États latins. Il rapporte dans ce texte, plusieurs années après les faits, le discours tenu à Clermont par le pape Urbain II. Il s’agit donc d’un témoignage indirect sur l’événement : le discours pontifical a été réécrit longtemps après avoir été prononcé, pour s’intégrer à l’histoire des croisades rédigée par Foucher de Chartres. Le pape Urbain II lance, à l’issue du concile de Clermont, en 1095, un appel aux « Francs de tout rang, gens de pied et chevaliers, pauvres et riches ». Il leur demande de constituer une expédition armée pour aller aider les chrétiens d’Orient face à la menace musulmane. Les Byzantins, menacés depuis 1067 par l’avancée des Turcs seldjoukides, ont demandé lors du concile de Plaisance l’aide militaire de l’Occident, au nom de la solidarité entre chrétiens. Il semble en effet que des récits alarmistes de pèlerins revenus de Terre sainte et les interventions de Byzance, qui tente de monnayer une intervention d’armées occidentales pour l’aider à repousser l’avance turque en échange d’une union des Églises (séparées depuis le schisme de 1054), aient poussé le pontife à lancer cet appel. L’appel du pape est aussi lancé dans un contexte de réforme de l’Église chrétienne entamée avec Léon IX (1049-1054) et Grégoire VII. Il demande plus qu’une simple aide militaire : il lance un combat de la chrétienté contre l’islam et fixe pour but la délivrance de Jérusalem (non mentionnée directement dans ce texte), mettant ainsi au point le concept de croisade, véritable « pèlerinage en armes ». Dans ce climat de réforme, la papauté entend réaffirmer son pouvoir sur l’Église mais aussi sur le monde laïc. Le pape assigne une mission nouvelle aux chevaliers chrétiens qui doivent désormais mettre leur ardeur au combat au service du Christ : ils deviennent des milites Christi, des chevaliers du Christ. Face aux succès musulmans qui menacent la chrétienté, le pape se pose en protecteur du monde chrétien. Il veut délivrer le Saint-Sépulcre et les Lieux saints de l’emprise musulmane. Les évêques auxquels le pape s’adresse (« les hérauts du Christ » dans l’extrait) doivent relayer cet appel. Le vœu de croisade est lié à des avantages spirituels (la rémission totale des péchés) et aussi matériels (suspension des dettes et immunité des biens des croisés par exemple). Le pape Urbain II promet aux croisés l’indulgence plénière, c’est-à-dire la rémission des peines terrestres encourues pour ses pêchés (la croisade est donc conçue comme un acte de pénitence). Le croisé bénéficie d’autres privilèges, matériels, eux : sa famille, ses biens et lui-même sont placés sous la protection de l’Église ; il ne peut temporairement faire l’objet de procédures judiciaires et est exempté de tout prélèvement du roi et de son seigneur. Les obligations contractées par le croisé à son départ devaient cependant être honorées à son retour : les richesses de ceux qui n’en ont pas été capables sont tombées dans l’escarcelle de l’Église. Notons enfin que si la papauté avait donné à la croisade un but purement religieux, les « barons » et Baudouin Ier parviennent à évincer le parti clérical et à imposer une monarchie laïque dans un cadre féodal totalement importé.

Activités, consignes et productions des élèves : Accompagnement : « Il n’est pas envisageable de proposer une histoire chronologique de l’Église médiévale. L’Église est présentée comme l’élément fédérateur de l’Occident chrétien en montrant que son autorité s’exerce aussi bien dans le domaine religieux et politique que dans la vie privée de chacun. Les monuments et les oeuvres d’art sont au centre du programme. » Accompagnement Lycée : « Le coeur de la question est bien l'idée de carrefour de civilisations. À l'aide d'un petit nombre d'exemples et de documents librement choisis, il s'agit de mettre en valeur la diversité des contacts que développent ces différentes civilisations : affrontements guerriers (croisades, Reconquista, etc.), échanges commerciaux (comptoirs), influences culturelles (syncrétisme). Entrées possibles : un carrefour exemplaire : la Sicile, un espace de contacts : l'Andalousie, etc. » Dans la Jérusalem médiévale, c’est en premier lieu par les édifices sacrés que la présence des différentes communautés religieuses se manifeste dans l’espace. Autour des lieux saints se groupent les fidèles des trois religions, formant des quartiers qui révèlent une forme de ségrégation. Le plus ancien vestige religieux de la ville est juif. Le mur occidental du site du Temple, surnommé mur des Lamentations (aujourd’hui « Mur occidental »), correspond au dernier vestige du temple qu’Hérode avait dressé sur le mont Moriah à Jérusalem. Détruit par Titus en 70, il est devenu un lieu de pèlerinage et de prière pour tous les juifs. Au IVe siècle ap. J.-C., la mère de l’empereur Constantin, Hélène, fait déblayer le soubassement d’un forum érigé par Hadrien en 135 sur l’emplacement présumé du tombeau du Christ. L’empereur Constantin y fait alors construire plusieurs édifices dont le Saint-Sépulcre, qui est le seul encore en état au XIe siècle, au nord-ouest de Jérusalem. Le règne de l’empereur Constantin inaugure la période chrétienne de la ville. En 326, sa mère Hélène fait édifier la basilique du Saint-Sépulcre. Pour cela, les

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Robert le Moine, à la différence de Foucher, met clairement en avant la destination. Robert insiste sur la destruction des Lieux saints et leur souillure par les musulmans ; il est moins question d’aide à l’empereur byzantin. Les arguments utilisés ici sont sans doute plus à même de soulever l’enthousiasme des masses chrétiennes d’Occident. Conçue comme une mission divine, cette croisade mêle enthousiasme populaire et victoire militaire. En 1095, les chrétiens sont peu nombreux à Jérusalem. Mais le flux des pèlerins d’Occident vers la Ville sainte n’a jamais cessé en dehors de rares périodes de crises. Les monuments chrétiens ne sont pas détruits par les Arabes musulmans, mais l’absence d’entretien entraîne leur ruine. La prise de Jérusalem lui donne un retentissement considérable, amplifié par des récits élaborés a posteriori. Avant le départ des chevaliers, la « croisade populaire » menée par Pierre l’Ermite est entièrement décimée après son passage par Constantinople par les Turcs Seldjoukides Comme les musulmans, les chrétiens témoignent de la violence qui accompagne la prise de Jérusalem. Le 15 juillet 1099, les armées de Godefroi de Bouillon parviennent à s’emparer de la ville après un siège de plus de 40 jours. Elle devient alors la capitale du royaume de Jérusalem. L’armement des combattants : les enluminures permettent d’évoquer les méthodes de combat des adversaires musulmans et chrétiens. Les croisés utilisent des catapultes et des tours mobiles dans l’armement. Ces armes étaient particulièrement importantes lors des sièges (on protégeait les tours mobiles des flèches enflammées en les recouvrant de peaux de bêtes encore ensanglantées). On constate aussi que les chevaliers chrétiens sont lourdement équipés (casques, cottes de maille, armures) et qu’ils utilisent épées et archers. Les combattants musulmans apparaissent, par contraste, équipés de façon beaucoup plus légère : pas d’armure ni de cotte de maille, un sabre pour toute arme, ce qui leur conférait une plus grande mobilité. Les chrétiens assiègent la ville en construisant des tours de bois qu’ils avancent contre la muraille. Les musulmans et les juifs sont massacrés ou chassés. Jérusalem devient une ville strictement latine. Le comportement des croisés après la prise de Césarée est d’une extrême violence à l’égard de la population musulmane : « on massacra un si grand nombre (…) que les pieds de ceux qui tuaient baignaient dans le sang des morts ». Des familles entières sont massacrées. Les croisés semblent guidés par la seule cupidité et l’appât du gain. Le comportement barbare des croisés est attesté par de nombreux témoignages tant chrétiens que musulmans et a durablement marqué les esprits, creusant pour longtemps le fossé entre islam et chrétienté. La Chronique est l’oeuvre d’un chevalier français, écrivant en latin, qui aurait participé aux sièges d’Antioche et d’Édesse avant de prendre Jérusalem. C’est une source inépuisable d’informations sur le déroulement de la croisade malgré une certaine désinvolture narrative. Observateur remarquable, le chevalier écrit pour ses contemporains et ses compagnons d’aventure. Visiblement mal accueillis, les croisés éprouvent de grandes difficultés à s’approvisionner en nourriture et en eau. Devant Jérusalem, la soif les contraint même à « boire leurs chevaux », c’est-à-dire à en boire le sang. Le comté d’Édesse (fin 1097-1144) est chronologiquement le premier État fondé par Baudouin Ier de Boulogne, frère de Godefroi de Bouillon, aux dépens d’un prince arménien qui avait fait appel à ses services pour contrer l’avancée musulmane. Puis sont créés la principauté d’Antioche (1098-1268 fondée par le fils du duc normand de Sicile, Bohémond Ier), le royaume de Jérusalem (1099-1187 créé par Godefroi de Bouillon, duc de Basse-Lorraine) et, plus tardivement, le comté de Tripoli (1109-1289 avec à sa tête Raimond IV de Toulouse). En 1191, lors de la troisième croisade, Richard Coeur de Lion s’empare de Chypre. Mais c’est le royaume de Jérusalem (1099-1187) qui devient rapidement l’élément dominant au sein de cet ensemble de seigneuries latines : son souverain est souvent sollicité pour trancher les différends opposant les comtes et princes de la Palestine franque. Les croisés transposent dans leurs États l’organisation féodale en vigueur dans leurs terres d’Occident : des princes ou des comtes se voient attribuer des fiefs dont ils ont la responsabilité, devenant ainsi hommes liges du roi de Jérusalem. Pour défendre leurs territoires, véritables enclaves en terre musulmane, les

temples de Vénus et de Jupiter sont détruits pour mettre au jour « le véritable et très saint témoignage de la Résurrection du Sauveur », selon Eusèbe de Césarée. Constantin offre marbres et colonnes et, en 335, l’église, d’une cinquantaine de mètres de longueur et qui possède cinq nefs, est consacrée. Du IVe au VIIe siècle, elle connaît un très grand succès, devenant un lieu très important de pèlerinage pour les chrétiens. En 638, le calife Omar s’empare de Jérusalem et dégage le site du Temple. Le sépulcre du Christ est, avec le Saint Suaire, la seule relique de la Résurrection. C’est un tombeau creusé dans le roc qui fut prêté par Joseph d’Arimathie pour qu’y soit déposé le corps du Christ le soir du Vendredi, et qui fut retrouvé vide par les Apôtres au matin de Pâques. Authentique ou pas, le Saint-Sépulcre est conforme aux données de l’Évangile et est chargé d’une forte valeur symbolique depuis le début du IVe siècle. C’est pour commémorer la mort sur la Croix et la Résurrection, et préserver cette relique unique, que la basilique est construite sur le tombeau du Christ. L’édifice a été de nombreuses fois altéré : tremblement de terre au IXe siècle, incendie qui précède une destruction totale par le calife Hakim en 1009. Lors de la prise de la ville, le calife Al-Hakim chasse chrétiens et juifs. La période d’intolérance pendant ce califat d’Al-Hakim n’empêche pas la reconstruction partielle du bâtiment par les Byzantins en 1048 (basileus Constantin IX). À partir de 1071, les Turcs Seldjoukides s’emparent de la ville. La domination franque s’accompagne au XIIe siècle d’une importante restauration et reconstruction. Le Dôme du Rocher ou mosquée al-Sakhra (Qubbat al-Sakhra) domine l’espace sacré de l’esplanade du Temple de Salomon. Édifié par le calife Abd al-Malik entre 687 et 691 sur les ruines du Temple, le Dôme du Rocher, improprement appelé aujourd’hui mosquée d’Omar, est le plus ancien monument musulman conservé. L’édifice, de plan octogonal, se compose d’une salle à coupole centrale et d’un double déambulatoire. Les céramiques polychromes qui ornent les parois en pierre sont du XVIe siècle. La signification traditionnelle de l’édifice (comme point de départ du voyage nocturne du Prophète vers le ciel) est postérieure à sa construction ; à l’origine le monument symbolise tout simplement la gloire de la dynastie omeyyade et, par le choix de son emplacement, la victoire de l’islam sur le judaïsme et sur le christianisme. Entre 705 et 715, la mosquée al-Aqsa est érigée à proximité. Jérusalem (al-Quds, la Sainte) est un des trois lieux saints de l’islam avec La Mecque et Médine. C’est vers elle que les musulmans font leur prière jusqu’en 624.

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seigneurs chrétiens président aussi à la construction de plusieurs forteresses comme le Krak des Chevaliers, en Syrie, les châteaux de Margat et de Saone. Comme en Occident, ils servent de résidence, de base administrative et économique au seigneur et à sa famille. Les ordres militaires jouent aussi un rôle essentiel tant dans les opérations de combat que dans le maintien de certaines positions. Au XIIe siècle, ils disposent de moyens importants qui leur permettent de construire et d’entretenir de nombreux châteaux : Chastel Blanc ou Safed pour les Templiers, le Krak (à 40 km à l’ouest de Homs, en Syrie) ou Chastel Rouge pour les Hospitaliers. De tels ouvrages fortifiés parsèment les États latins d’Orient, notamment vers l’intérieur, à la fois pour faire face à d’éventuelles attaques musulmanes, mais aussi pour accueillir et protéger les pèlerins. L’historiographie de la fin du XIXe et du début du XXe siècle a voulu démontrer que les châteaux étaient disposés selon des lignes défensives précises. Il n’en est rien, d’autant moins que nombre de châteaux et forteresses ont été construits sur des sites occupés antérieurement par les Byzantins et les musulmans. Dominant la campagne alentour, ces imposants châteaux sont placés sous la responsabilité des ordres militaires, comme les Templiers ou les Hospitaliers ou Chevaliers teutoniques (ordre hospitalier, puis militaire, formé d’aristocrates allemands). Créés à la suite des croisades, les ordres des Hospitaliers (assistance matérielle) et des Templiers (sécurité des routes) se mettent au service des pèlerins venus visiter les sanctuaires. Ces deux ordres de moines-chevaliers à caractère militaire deviennent rapidement des puissances politiques. Fondé en 1120 à Jérusalem, la « milice des pauvres chevaliers du Christ » est le premier des ordres religieux militaires. L’ordre est plus connu par le nom de sa maison principale située à côté du Temple de Salomon, à Jérusalem. Sa mission consiste en la protection des pèlerins. Les Templiers se sont très vite engagés dans la défense des États latins de Terre sainte formés à l’issue de la première croisade. Avec l’ordre des Hospitaliers (fondé en 1113), ils jouent un rôle essentiel dans la survie de ces États, constituant une ébauche d’armée permanente. Les chevaliers teutoniques sont un ordre religieux de chevalerie. Créé par des bourgeois allemands lors de la prise d’Acre, ils ont d’abord pour but de servir les pèlerins de la Terre sainte. Pour cela, ils étendent bientôt leurs possessions en Palestine, mais aussi en Allemagne, devenant l’une des principales puissances de l’Empire germanique (le maître de l’ordre a rang de prince). Ils participent au mouvement vers l’Est, s’étendant jusqu’à la Lituanie (construction du château de Malbork au XIIIe siècle ; plus grande enceinte fortifiée d’Europe). Le Krak des Chevaliers est un excellent exemple de ces châteaux conçus pour défendre les États latins d’Orient, ici le comté de Tripoli. Construite sur un éperon rocheux, cette forteresse montre tout l’art militaire des Occidentaux. Édifiée sur le modèle du double rempart épousant les replis du relief, doté d’un impressionnant donjon, elle ne permet l’accès que du côté muni d’une barbacane. Le Krak est ceint d’un rempart extérieur construit au XIIIe siècle, époque à laquelle les défenses intérieures ont été renforcées. Il est pris par les Mamelouks en 1271, après un siège d’à peine plus d’un mois. Les principales cités, comme Tripoli ou Acre, sont fortifiées. Les marchands italiens tirent parti du soutien qu’ils procurent aux croisés et installent leurs comptoirs dans les ports de la côte syrienne. Des « colons » chrétiens suivent les croisés et s’installent durablement dans ces États latins d’Orient. Les populations musulmanes sont dépossédées et soumises au nouveau pouvoir. Elles gardent la liberté de pratiquer leur religion jusqu’au XIIIe siècle, période à laquelle se met en oeuvre une politique de conversion forcée. Constantinople est un point de convergence des croisés jusqu’à la troisième expédition, lors de laquelle Richard Coeur de Lion et Philippe-Auguste choisissent la voie de mer pour rallier la Terre Sainte. À partir de la troisième croisade, les croisés prennent la direction de la Terre Sainte par bateau, la route terrestre étant trop lente et peu sûre. Le transport par mer est une nouvelle occasion d’enrichissement pour les grands ports italiens qui fournissent aux croisés navires et ravitaillement. Le comté d’Édesse est le premier des États croisés du Levant, fondé dès mars 1098 par Baudouin de Boulogne. Dénué de façade maritime, ce qui l’empêche de recevoir des secours occidentaux par voie de mer, il subit très tôt les attaques des Turcs. En 1144, après un siège de quatre semaines, la ville d’Édesse tombe aux mains de Zengi, l’atabeg de Mossoul et d’Alep (et père de Nur al-Din qui a ressuscité et mené à grande échelle le jihad). C’est le premier grand revers franc et cet événement, suscitant une émotion considérable en Occident, déclenche la

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deuxième croisade. Antioche, sur l’Oronte, est conquise sur Byzance par les Arabes au VIIe siècle, reconquise par les Byzantins à la fin du Xe siècle et reprise au XIe siècle par les musulmans. Gouvernée par un émir turc au moment de la première croisade, elle est assiégée par les Francs de l’automne 1097 au 28 juin 1098, date à laquelle ils s’en emparent. Selon les accords négociés avec Alexis Ier Comnène, la ville aurait dû être restituée aux Byzantins, mais le prince Bohémond de Tarente, venu d’Italie du Sud, s’en saisit en écartant un autre prétendant, Raymond IV de Saint- Gilles, comte de Toulouse. Très disputée entre Francs et Byzantins, et entre Francs même, la ville est prise par les troupes du sultan mamelouk Baybars en 1261. Le royaume de Jérusalem est créé après la prise de la Ville sainte en 1099 : les chevaliers croisés imposent leur volonté aux ecclésiastiques et à la papauté qui souhaitent que le pouvoir sur la ville soit confié au patriarche latin de Jérusalem. Le conseil des barons choisit Godefroy de Bouillon qui prend le titre, non de roi, mais d’avoué du Saint-Sépulcre (dans les seigneuries ecclésiastiques de l’Occident chrétien, l’avoué est un seigneur laïc nommé par le pouvoir religieux pour gérer matériellement et accomplir les tâches indignes du pouvoir ecclésiastique). Mais le pouvoir religieux est vite marginalisé et Baudouin, frère de Godefroy, lui succède en 1100 et est couronné roi à Bethléem. Baudouin Ier est donc le véritable fondateur du royaume de Jérusalem. Il conquiert la côte et s’impose de l’autre côté du Jourdain. En 1187, à la suite de la bataille de Hattin, Saladin conquiert la totalité du royaume, à l’exception de Tyr. Évincé d’Antioche par Bohémond de Tarente, le comte Raymond de Saint-Gilles s’empare de Tartous (Tortose), sur la côte, en 1102. Il s’intitule alors comte de Tripoli même s’il n’a pas encore conquis la ville. Située un peu plus au sud, elle ne tombe qu’en 1109. Le comté est constitué d’une étroite plaine côtière indispensable à la survie des États latins dont la défense côté terre est assurée par une série de forteresses, Chastel Blanc, Chastel Rouge, Montfort et surtout le Krak des chevaliers qui commande la route de la Syrie centrale (plaine de la Bekaa). Il demeure entre les mains des héritiers de Raymond de Saint-Gilles jusqu’en 1187, puis passe aux descendants du prince d’Antioche. Les forteresses tombent les unes après les autres entre 1260 et 1277 et la ville de Tripoli est prise par le successeur de Baybars en 1289. À ces quatre États, il convient d’ajouter le royaume de Chypre. L’île de Chypre est une étape stratégique pour la navigation vers le Levant. Richard Coeur de Lion s’en empare en 1191 alors qu’elle est sous l’autorité d’un usurpateur byzantin, Isaac Comnène. Il la vend à Guy de Lusignan, roi de Jérusalem déchu. Elle devient alors une étape importante dans le commerce méditerranéen et les Génois y reçoivent de nombreux privilèges commerciaux. Tous les États latins d’Orient se sont constitués indépendamment. Leur faiblesse stratégique apparaît sans difficulté. Ces États sont très morcelés, l’application du modèle féodal n’allant pas dans le sens de l’unité des territoires mais bien dans celui de leur division. Les Byzantins cherchent à reprendre Antioche et Édesse. Ces États latins disparaissent progressivement au fur et à mesure de la reconquête musulmane, conduite dans un premier temps par Nûr-al-Din et par Saladin. Quand Saladin (d’origine kurde) unifie l’Égypte fatimide et le califat abbasside, les États latins d’Orient ne sont plus que des îlots de latinité encerclés par des musulmans soucieux de reconquérir les territoires perdus de l’Umma. Les routes maritimes permettent d’approvisionner les quelques ports assiégés pendant presque un siècle. Ce n’est qu’en 1187 que le chef musulman Saladin, qui a alors établi son pouvoir sur l’Égypte et entend réunifier le Proche-Orient à son profit, entreprend de la reprendre aux Francs et se lance à la reconquête des États latins d’Orient. La victoire qu’il remporte contre les croisés à Hattin (1187) près du lac de Tibériade (en Galilée) est décisive (on imposa un jeûne dans tout l’Occident pour pleurer cette défaite chrétienne) et lui permet de s’emparer dans la foulée de Jérusalem. Saladin accorde la vie sauve et la liberté aux habitants contre la somme de 10 dinars par personne (rançon dont furent exemptés les plus pauvres des habitants). La prise de Jérusalem est un tournant dans les croisades puisque désormais les croisés ne reprendront plus jamais pied dans la ville. Les récits arabes de cette victoire musulmane prennent bien soin de relier l’événement à la prise de la ville par les croisés en 1099. Ibn al-Athîr montre à loisir la mansuétude de Saladin, qu’on rapproche inévitablement de la furie et de la cruauté des croisés en 1099. Après avoir laissé la tempérance l’emporter sur la passion, Saladin entend purifier la Ville sainte des souillures liées à l’occupation croisée. Il rétablit

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le Dôme du Rocher et la mosquée al-Aqsa dans leurs fonctions primitives. Enfin, il règle le sort des chrétiens de souche qui sont distingués des Francs venus avec la croisade. Alors que les seconds doivent tout abandonner et payer le prix de leur liberté sous peine d’esclavage, les premiers retrouvent leur situation antérieure de dhimmis. Finalement, Saladin apparaît comme un souverain sage, évitant le massacre qui aurait ruiné son image et renforçant aussi sa légitimité. Le texte donne l’image d’un islam magnanime, sinon tolérant. Le royaume de Jérusalem est alors réduit à une étroite bande côtière. Une troisième croisade (1189-1192) est prêchée en 1189 par le pape Grégoire VIII à la suite de la prise de Jérusalem ; celle-ci réunit les plus puissants souverains d’Occident : l’empereur germanique Frédéric Barberousse qui meurt noyé en chemin, Philippe II Auguste roi de France et Richard Coeur de Lion roi d’Angleterre. Partis de Vézelay en 1190, ils se heurtent à Saladin, Salâh ad Din (1137-1193), sultan d’Égypte, de Syrie et de Mésopotamie, qui unit derrière lui la plupart des musulmans dans le « djihad », la guerre sainte. Acre tombe aux mains des croisés en 1191, mais le roi d’Angleterre signe une trêve avec Saladin en 1192, comme le montre la miniature de 1394 représentant Saladin au camp de Richard Coeur de Lion. Les Francs obtiennent la côte avec Tyr et Jaffa, ainsi que l’accès libre aux lieux saints, tandis que Saladin garde l’intérieur des terres en Syrie et Palestine. Acre prend alors un rôle décisif au sein de la Palestine franque, dont les territoires sont réduits à une étroite bande côtière. Elle en est la capitale effective, centre économique majeur : elle offre le meilleur mouillage de toute la côte orientale du fait de son site protégé, qui rend le port accessible quel que soit le temps ou la saison. Les principales pistes caravanières du Proche-Orient y aboutissent, les commerçants de la région en ayant fait leur débouché maritime. Elle sert très souvent de point de débarquement pour les armées des croisés, mais aussi pour les pèlerins qui y voient un accès facile vers les lieux saints et notamment le tombeau du Christ. D’où l’implantation d’ordres religieux militaires chargés d’assurer la protection de ces pèlerins. Par ailleurs, elle est idéalement placée, à la limite entre le monde oriental et occidental, pour être une place de commerce de premier ordre. On voit que les Italiens – pisans, génois et vénitiens – y détiennent des quartiers spécifiques proches du port. Enfin, les remparts démontrent l’insécurité permanente de ces implantations chrétiennes en Orient. Acre est reprise et pillée par les Mamelouks en 1291 II. La croisade, un pèlerinage et de nombreux échanges La dimension religieuse de la croisade est rappelée par le rôle mobilisateur du clergé et la correspondance des dates avec la passion du Christ. Le croisé porte une tunique marquée de la croix. La propagande religieuse et l’iconographie autour des croisades : deux points de vue. Une vision chrétienne des croisades : Pour l’anonyme, la prise de Jérusalem s’apparente à un miracle. Les processions religieuses et les actes de contrition semblent avoir autant d’importance militaire que les dispositifs qui permettent d’assiéger les villes. L’intervention divine permet d’«entrer dans Jérusalem y adorer le Sépulcre de notre Seigneur ». Une miniature illustre l’épisode de la prise de Jérusalem. On y reconnaît « les deux tours de bois et plusieurs autres machines » qui ont servi à l’assaut. Aux fenêtres d’un Saint-Sépulcre à l’architecture imaginaire, l’artiste place des épisodes de la vie du Christ : la flagellation, le chemin de croix, la Passion, la mise au tombeau, etc., insistant ainsi sur le pèlerinage au tombeau du Christ. L’enluminure du manuscrit chrétien assimile le combat des croisés à la Passion du Christ, qui apparaît sur les vitraux d’une église située en arrière-plan. On reconnaît les différentes étapes de la Passion : le Christ devant Pilate, la flagellation, le chemin de croix, la crucifixion, les saintes femmes devant le corps du Christ. Apparaissent aussi sur le côté gauche la naissance du Christ et l’Ascension. Cette présence du Christ en arrière-plan du document rappelle à la fois la dimension religieuse essentielle de Jérusalem et met en évidence la valeur sacrificielle et pénitentielle du combat des croisés. Une vision musulmane du djihad musulman : La reconquête de Jérusalem en 1187 par Saladin est, elle aussi, dotée d’une dimension religieuse forte dans l’enluminure musulmane qui y fait allusion. Saladin apparaît en effet la tête entourée du nimbe flammé théoriquement réservé dans l’iconographie musulmane aux prophètes et symbole de la grâce divine. Ce nimbe de feu désigne

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un personnage illuminé de l’aura divine (sur le même principe que l’auréole dans le monde chrétien), faveur confirmée par la présence de l’ange. La vivacité des couleurs utilisées ici reflète le goût du monde musulman pour l’usage de couleurs vives aussi bien dans l’habillement que dans l’art ou l’architecture. Afin d’appuyer l’étude de ces deux miniatures, il peut être intéressant de lire avec les élèves des textes racontant la prise de Jérusalem du point de vue chrétien et du point de vue musulman Selon Foucher de Chartres, une cohabitation harmonieuse existe entre les communautés franques et musulmanes dans les États latins d’Orient. L’auteur évoque des mariages entre Occidentaux et Orientaux, parle de mariages entre Francs et une Syrienne ou une Arménienne, de la conversion au christianisme d’une « Sarrasine » et du multilinguisme qui règne dans les États latins d’Orient. Il évoque aussi les propriétés (terres et demeures) que possèdent les Francs dans la région et leur attachement à ces domaines. À la suite du succès de la première croisade, certains croisés choisissent de s’installer durablement en Terre sainte, afin de défendre les Lieux saints : une véritable « société coloniale » se met en place, rapidement renforcée par l’arrivée de nouveaux venus occidentaux. III. Un fossé d’incompréhension qui se creuse. Les auteurs musulmans expliquent la chute de Jérusalem par la défaite turque devant Antioche et par les dissensions entre les Turcs et les Fatimides d’Égypte. C’est un argument classique utilisé pour provoquer une réaction d’unité face aux Infidèles. C’est l’appel à la guerre sainte fait par un lettré musulman, Al-Sulamî, qui s’inquiète des divisions du monde arabe face au déferlement des Occidentaux. Il interpelle essentiellement les souverains musulmans, qu’il rend directement responsables de l’avancée des croisés. Il lance donc un appel au djihad, guerre sainte que tout musulman doit mener contre les infidèles. Ses arguments sont surtout d’ordre religieux. Le massacre des habitants et le pillage des richesses de Jérusalem prouvent, selon les auteurs, que les chrétiens sont sanguinaires et cupides. Ibn Al-Athîr, un des plus grands historiens du Moyen Âge musulman évoque les causes de la première croisade. Vivant à Mossoul au XIIIe siècle, il est volontaire pour la guerre sainte contre la troisième croisade. Il passe surtout sa vie à écrire une histoire des musulmans depuis leurs origines. Dans ce passage, il considère que les motivations des Francs ne sont pas seulement religieuses. Ce sont plutôt les motivations classiques de la guerre : la conquête territoriale et les pillages. Le roi de Sicile est responsable selon lui d’avoir détourné la guerre de la Tunisie vers la Syrie et Jérusalem. Ibn Al-Athîr nous présente un roi normand prompt à préserver ses bonnes relations avec les princes d’Afrique et qui n’hésite pas à manipuler le roi Baudoin. De cette manière, l’auteur enlève toute dimension religieuse à la croisade, qui n’est plus qu’une simple aventure organisée par un roi manipulateur. L’auteur ne semble pas connaître (ou ne souhaite pas évoquer) le rôle pourtant crucial du pape Urbain II. L’auteur propose une autre interprétation qui lui permet de rendre responsable de la croisade le califat fatimide du Caire. Mal accepté par les sunnites, le califat chiite au Caire est d’autant plus contesté que la majorité des populations d’Égypte reste sunnite. De plus, le calife du Caire multiplie les accords avec les Byzantins afin de se prémunir contre les sunnites. La querelle entre sunnites et chiites resurgit ici au détour d’un texte historique. Les divisions du monde musulman semblent profondes, au point d’amener un historien sunnite à faire porter la responsabilité de l’attaque des Francs sur d’autres musulmans. L’islam, généralement tolérant envers les autres religions du Livre, durcit ses rapports avec les dhimmis après l’agression des croisés en Syrie et la Reconquista espagnole. Les relations entre communautés sont marquées par la méfiance consécutive aux massacres perpétrés par les Latins. Ces relations furent beaucoup moins nombreuses qu’en Espagne à la même époque. À la description idéalisée de Foucher de Chartres répond la vision pessimiste et sans concession d’Usama Ibn Munqidh. L’Histoire de Jérusalem de Foucher de Chartres débute en 1095 par l’évocation du concile de Clermont et s’achève en 1127, date de la mort du chroniqueur. L’auteur, chapelain de Baudouin de Boulogne, comte d’Édesse puis roi de Jérusalem, décrit l’intégration rapide des croisés en Orient. Cette

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description ressemble fort à une justification téléologique et théologique de la conquête et de ses exactions, comme en témoigne l’allusion au jardin d’Éden. Ousama Ibn Mundidh, prince syrien qui termina sa vie au service de Saladin, fait preuve de beaucoup de dédain pour la plupart des Francs, récemment arrivés, et pas encore « civilisés » au contact des musulmans. L’auteur a pourtant entretenu des relations amicales avec certains Occidentaux, dont des Templiers. Un document célèbre évoque un épisode tragi-comique qui révèle la supériorité de la médecine arabe sur la médecine franque. Les Francs pratiquent une médecine fondée sur des causes religieuses ou mystiques. De son côté, Ousama propose un diagnostic rationnel fondé sur l’observation de signes cliniques. La médecine arabe utilise des traitements chirurgicaux et une pharmacopée raisonnée qui contraste avec la médecine franque, inadaptée et disproportionnée. Si les Francs ont apporté au monde musulman la «voile latine», les tours franques, et l’armement en général, le flux des échanges culturels part principalement de l’Orient musulman vers l’Occident latin. Les musulmans disposent d’une avance scientifique considérable. Fille aînée de l’empereur Alexis Ier (1081-1118), Anne Comnène brigue en vain la couronne impériale. L’échec de ses ambitions politiques lui vaut une retraite forcée au couvent. Elle entreprend alors d’écrire la chronique du règne de son père, l’Alexiade. Anne y montre le fossé séparant les Byzantins des croisés et dépeint les Latins comme des êtres courageux mais incultes. Elle emprunte à l’Antiquité nombre de références et de techniques d’écriture. Le cadre mental d’Anne Comnène est profondément gréco-romain : allusions à la suprématie impériale romaine sur le reste du monde, au « char impérial ». Elle utilise également des termes antiques pour qualifier les ennemis de l’Empire byzantin : les Scythes n’existent plus au XIIe siècle. L’auteur doit plutôt évoquer les poussées slaves au nord de l’Empire byzantin. De même, les « Celtes » sont sans doute les Normands qui s’emparent alors des possessions byzantines d’Italie du Sud. Pour Anne Comnène, Bohémond de Tarente, fils du roi normand de Sicile, est le prototype du barbare. Il n’est qu’un soldat de basse extraction, sa famille n’ayant pas l’ancienneté de la noblesse byzantine. Sa participation à la croisade n’est motivée que par l’enrichissement et le désir d’accroître ses possessions. Anne Comnène a très bien vu que les chrétiens d’Occident sont autant des adversaires que des alliés contre les musulmans. Les craintes d’Anne Comnène se vérifient un siècle plus tard, lorsque les croisés se présentent devant la double ligne de fortifications qui défend Constantinople, à bord des navires armés par Venise. La quatrième croisade (1202-1204) est détournée et conduit au pillage de Constantinople par les croisés et les Vénitiens, le 13 avril 1204. L’Égypte est la destination initiale de la quatrième croisade mais elle n’y parviendra jamais. C’est l’aboutissement d’une dérive progressive de l’idéal de la croisade. Les relations entre Byzantins et Latins ont toujours été marquées du sceau du soupçon. En 1183, les Byzantins n’ont pas hésité à s’allier à Saladin. En 1202, les croisés attaquent Zara, ville chrétienne, pour satisfaire les Vénitiens. Les croisés de cette 4e expédition n’ont pas réuni la somme suffisante pour régler les frais de passage dus aux Vénitiens. Le fils de l’empereur byzantin Isaac II l’Ange, Alexis IV, sollicite l’aide des croisés pour récupérer le trône dont il a été évincé : ces derniers acceptent et prennent une première fois Constantinople en 1203, donnant le pouvoir à celui qui devient Alexis IV. Le nouvel empereur a pris des engagements qu’il ne peut tenir auprès des croisés et des Vénitiens (parmi lesquels l’attribution d’une somme de 200 000 marcs, l’union des Églises et l’entretien d’une armée de 10 000 hommes au service des croisades), les caisses du trésor étant vides. Les émeutes anti-latines se multiplient et fournissent aux croisés les prétextes de leur politique : ces derniers pillent alors Constantinople pour leur propre compte. En dépit des protestations du pape Innocent III, ils mènent une attaque maritime contre les murailles de la Corne d’Or et parviennent finalement à prendre la ville au bout de 4 jours. Pendant 3 jours, elle est mise à sac : les vainqueurs détruisent l’autel de Sainte-Sophie, en arrachent les pierres précieuses, profanent les tombeaux impériaux pour dépouiller les cadavres de leurs ornements précieux, détruisent les statues de bronze qui décoraient la ville, incendient des bâtiments, tuent… Il en résulte un partage de l’Empire à leur profit : c’est la naissance des États latins de Grèce, et les Byzantins se réfugient à Nicée. Les Vénitiens se voient attribuer les villes littorales situées sur la côte Adriatique, qui leur permettent le contrôle de la route maritime vers Constantinople. La rupture entre les deux parties de la chrétienté est désormais

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consommée. Nicéphore Choniatès a fait sa carrière au service de l’État byzantin et de secrétaire impérial, il devint logothète (une sorte de ministre). Il quitte Constantinople après la prise de la ville par les Latins et s’installe à Nicée en 1206-1207 où il fréquente les milieux de la cour (réfugiée dans cette ville). Il est l’auteur d’une Histoire divisées en 21 livres d’après les règnes des empereurs. C’est une continuation d’Anne Comnène (fille d’Alexis Ier, auteur de l’Alexiade, récit apologétique du règne de son père) et de Jean Zonaras (chef de la chancellerie impériale et commandant des gardes du corps du même Alexis Ier, qui se retire au monastère pour écrire une chronique universelle jusqu’en l’an 1118) pour la période 1118-1206. Anne Comnène décrit avec méfiance l’arrivée des Francs cupides et grossiers au moment de la première croisade ; Nicephore Choniatès confirme cette impression, témoignant de l’impossible rencontre entre l’Occident latin et l’Orient grec. Le pillage de Constantinople lui semble d’autant plus horrible que ce sont des chrétiens qui mettent à sac une ville chrétienne fondée par le premier empereur chrétien. Anne Comnène souligne l’impétuosité du « tempérament gaulois », la soif inextinguible de richesses des Francs en dépit des croix rouges qu’ils arborent. Dans le récit proposé ici, on les voit passer à l’acte. Déjà peu enthousiastes du passage des croisés dans leurs terres, les empereurs du XIIe siècle n’ont en outre rien retiré des premières croisades. L’évolution des relations entre l’Empire byzantin et Venise est à l’origine du sac de 1204. Les Vénitiens ont accepté de transporter les croisés vers la Terre sainte, mais ces derniers ne peuvent payer le prix de leur passage. Le doge suggère alors un détour par Constantinople dont les changements diplomatiques menacent directement les intérêts économiques de sa ville. Les croisés acceptent et même s’il y en eut pour s’indigner de ce qui fut alors fait, on perçoit bien que l’ardeur franque n’est pas étrangère à un siècle de relations difficiles et conflictuelles avec les Grecs qui sont aussi considérés comme des hérétiques déloyaux et versatiles. Robert de Clari, auteur au début du XIIIe siècle d’une Conquête de Constantinople, est un simple chevalier, qui n’a pas su interpréter le détournement de la croisade contre l’Empire grec. Il regrette l’accaparement des trésors de Byzance par les chefs de la croisade. Robert de Clari n’est pourtant pas revenu bredouille puisqu’il donna d’importantes reliques à l’abbaye de Corbie. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : La première croisade a abouti à la création des États latins d’Orient. Les autres croisades avaient pour objectif d’aider ces États à contenir les offensives musulmanes. La perte de Jérusalem en 1187 puis en 1244, la disparition progressive des États latins montrent l’échec des Croisades.

Evaluation cohérente en fonction des objectifs :

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HMA – La Sicile et Palerme, espace de contact et d'échanges au XIIe s

Approche scientifique Approche didactique

Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : En Sicile, les Normands ont imposé leur domination sur une région qui a été successivement dominée par Byzance et par le monde musulman. Ils règnent sur une île qui, plus que nul autre lieu du Bassin méditerranéen, est à la croisée des civilisations chrétienne occidentale, byzantine et musulmane.

Insertion dans les programmes (avant, après) :

Sources et muséographie : Ouvrages généraux : Pierre Aubé, Roger II de Sicile. Un Normand en Méditerranée, Payot, coll. « Biographies », Paris, 2001. (un spécialiste du Moyen Âge central). Pierre Aubé, Les Empires normands d’Orient, XIe-XIIIe siècles, 1983. Rééditions, Perrin, 1999, et en poche chez Hachette Pluriel et dans la collection Tempus, 2006. Henri Bresc, Geneviève Bresc-Bautier (sous la dir. de), Palerme. 1070-1492. Mosaïque de peuples, nation rebelle : la naissance violente de l’identité sicilienne, Autrement, Paris, 1993. (spécialiste de la Sicile médiévale et des relations entre les trois monothéismes en Méditerranée, durant la période du Moyen Âge central et du bas Moyen Âge). P. Guichard, L’Espagne et la Sicile musulmanes aux XIe et XIIe siècles, Presses universitaires de Lyon, 3e éd., Lyon, 2000. R. Durand, Musulmans et Chrétiens en Méditerranée occidentale, Presses Universitaires de Rennes, 2000. Jean-Marie Martin, Italies Normandes, XIe-XIIe siècle, Hachette Littérature, VQ, 1994 (un des meilleurs spécialistes de l’Italie médiévale) Aziz Ahmad, La Sicile islamique, Publisud, Paris, 1990. Documentation Photographique et diapos : Revues : MARTIN J.-M., « les Normands rois de Sicile », l’Histoire, n°226, 1998. Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : La Sicile a d’abord été conquise par les Byzantins, qui dominent l’île de la moitié du VIe siècle jusqu’au IXe siècle. La désintégration de l’Empire byzantin fragilise la situation de l’île, sur laquelle les musulmans réussissent à imposer leur domination au cours du IXe siècle. Les apports musulmans en Sicile vont être nombreux et leur empreinte durable : dans le domaine agricole, de nouvelles cultures sont introduites (riz, coton, canne à sucre…) et le développement de systèmes d’irrigation permet de rapides progrès ; l’exploitation des métaux ou encore du soufre favorise aussi l’essor économique et Palerme, au carrefour des grandes routes commerciales entre Orient et Occident, devient la capitale de l’île. L’arrivée en Méditerranée de mercenaires normands va remettre en cause la domination musulmane sur l’île, fragilisée par des luttes intestines entre émirs. À force de succès, Robert de Hauteville, dit le Guiscard (le rusé), et son frère Roger parviennent à accumuler les richesses. Palerme tombe en 1072. Ils achèvent pour leur compte, en 1091, la conquête de la Sicile, des Pouilles, de la Calabre et de Naples. Le pouvoir reste cependant fragmenté entre les nobles normands. Mais Roger II, fils de Roger Ier, réussit l’unification du royaume et le porte à son apogée, faisant de lui une entité politique solidement constituée. Les rois normands ont su bâtir un pouvoir solide en faisant preuve de pragmatisme et en le mettant en scène grâce à la construction de monuments spectaculaires. Ils ont mis en place un système féodal qu’ils tiennent bien en main. Ils favorisent l’immigration de Grecs de Calabre et de Lombards d’Italie du Nord pour contrebalancer l’influence démographique des musulmans de l’île. En 1130, les Normands de Sicile obtiennent de l’antipape Anaclet II le titre royal : pour la première fois, Midi et Sicile sont fondus en un ensemble unique qui s’étend des Abruzzes à Malte. La cour de Guillaume II (1166-1189), sur laquelle il assoit son gouvernement, est composée d’hommes aux compétences très diverses : vassaux, hommes politiques, techniciens, grecs au début, puis lombards, arabes, et même anglais. La monarchie siculo-normande développe au XIIe siècle une forme de pouvoir s’appuyant sur un consensus imposé par le souverain et maintenu grâce au syncrétisme culturel. La présence des trois civilisations a laissé une empreinte durable sur l’île, véritable creuset culturel.

Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO actuel : « BO Seconde : « III - La Méditerranée au XIIe siècle : carrefour de trois civilisations – Les espaces de l'Occident chrétien, de l'Empire byzantin et du monde musulman – Différents contacts entre ces trois civilisations : guerres, échanges commerciaux, influences culturelles »

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Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : I. Un pays et une capitale où cohabitent chrétiens et musulmans Sous les rois normands, les musulmans jouissent d’une grande liberté. Leur présence se manifeste par l’existence de mosquées et de souks. Ils possèdent des privilèges non négligeables. Les chrétiens s’inspirent de certaines de leurs coutumes, notamment le voile pour les femmes. Guillaume Ier et Guillaume II parlent couramment l’arabe, leur entourage est polyglotte et les traducteurs nombreux. Guillaume II est le mécène de médecins et d’astrologues dont certains sont musulmans. Roger II, avant lui, s’entoure de savants et de lettrés musulmans. Des musulmans sont même intégrés à l’armée et permettent le développement de nouvelles techniques (tours mobiles pour mener les sièges). Guillaume II attire des scientifiques musulmans parce que leurs connaissances en astronomie et en médecine sont très supérieures à celles des savants chrétiens. Tout cela explique qu’à la cour, on parle ainsi aussi bien latin qu’arabe. L’illustration d’un manuscrit (XIIe s, Berne, Bürgerbibliothek ; cf aussi la miniature représentant des médecins et astrologues sarrasins à la cour du roi Guillaume II) met en évidence le cosmopolitisme qui règne à la cour du roi Guillaume II de Sicile. Les notaires grecs, latins et arabes de la chancellerie établissent les actes dans les langues des différentes communautés qui peuplent l’île. Outre les indications écrites (de gauche à droite, notarii greci, notarii saraceni et notarii latini), le costume, le couvre-chef et la présence ou l’absence de barbe permet d’identifier l’origine des notaires : les Grecs portent une barbe taillée en pointe, les musulmans une sorte de turban et les Latins sont glabres. Les notaires instrumentent selon les cas en latin, en arabe ou en grec. La monarchie normande a créé une structure administrative complexe. L’administration financière de la Sicile et des provinces continentales est coiffée par le dîwân (dohana, douane) qui rédige en arabe les listes de vilains et les descriptions des confins des terres. La chancellerie grecque, dont le rôle s’amenuise au cours du XIIe siècle, renvoie à l’importance des hellénophones en Sicile. Quant au latin, il est utilisé pour la rédaction des actes à destination des sujets occidentaux et du monde occidental en général. Les documents de la chancellerie témoignent de la volonté du roi de manifester son autorité auprès de toutes les catégories de sujets. Notons que l’hébreu était aussi utilisé. Roger II consulte les nombreux traités des géographes arabes et fait appel à un musulman, al-Idrisi (vers 1100-vers 1164), pour rédiger un traité de géographie. Originaire de Ceuta, il est le plus célèbre des géographes arabes du Moyen Âge, à défaut d’être le mieux connu. Il quitte la péninsule Ibérique après la chute de Saragosse (1118) et, après un long périple, il se fixe en Sicile, à la cour du roi normand Roger II. À la demande de ce dernier, il rédige à partir de 1154 son grand ouvrage de géographie, Kitab Rujar ou « Livre de Roger » (Bibliothèque nationale, Paris). Il s’agit de la description d’une carte et d’une sphère en argent du monde, qu’il a lui-même établies. Son originalité est de décrire l’Europe comme une entité géographique à part entière (et non plus comme une région limitrophe du dar al-islam) et la Méditerranée, lieu de confrontation par excellence à son époque, en détail. Selon les derniers éditeurs du texte, il s’agit de la « première géographie de l’Occident ». À l’origine orientée sud-nord, elle représente avec une certaine précision les terres parcourues par les commerçants ou les voyageurs musulmans, notamment sur le pourtour de la Méditerranée et de la péninsule arabe. Le nord de l’Europe et l’Afrique restent plus floues. On peut remarquer la place disproportionnée laissée à la Sicile. Ce type de carte se veut également décoratif, d’où les dessins, souvent imaginaires, que l’on remarque à l’intérieur des continents. La supériorité des musulmans en géographie est favorisée par les échanges maritimes très intenses qu’entretiennent les Arabes avec l’Asie, l’Occident et l’Afrique de l’Est. Le texte témoigne du prestige de la science arabe auprès des souverains chrétiens, qui font aussi appel à des médecins et à des astronomes musulmans. Ibn Djubayr est un musulman d’Espagne né à Valence en 1145 qui s’est réfugié dans le royaume de Grenade suite à l’avancée de la Reconquista. Fils de notable musulman, il a reçu une éducation soignée et devient secrétaire du gouverneur almohade de Grenade. Il quitte Grenade en février 1184 et entreprend la rédaction de ce journal de bord (ribal ou rihla) dans le double but de témoigner de sa foi et d’offrir aux pèlerins musulmans un « guide » de voyage. Il nous livre dans son récit de voyage un précieux témoignage sur les pays chrétiens et musulmans qu’il

Activités, consignes et productions des élèves : Accompagnement Lycée : « Le coeur de la question est bien l'idée de carrefour de civilisations. À l'aide d'un petit nombre d'exemples et de documents librement choisis, il s'agit de mettre en valeur la diversité des contacts que développent ces différentes civilisations : affrontements guerriers (croisades, Reconquista, etc.), échanges commerciaux (comptoirs), influences culturelles (syncrétisme). Entrées possibles : un carrefour exemplaire : la Sicile, un espace de contacts : l'Andalousie, etc. » Origine des mots et expressions suivants : • Abricot : du catalan abercoc, emprunté à l’arabe al barqouq, « fruit précoce », qui désignait un fruit venu de Chine acclimaté par les Arabes en Syrie. • Alambic : de l’espagnol alambique, par dérivation de l’arabe Al anbiq, « vase à distiller ». • Alcool : de l’arabe al Kohol, « antimoine pulvérisé ». Mot transmis par les écrits latins des alchimistes. • Algèbre : du latin médiéval algebra, dérivé de l’arabe al djabr, « réduction ». • Algorithme : dérivé du nom du mathématicien et savant arabe Alkharezmi, inventeur de cette méthode de calcul, et du grec arithmos, « nombre ». • Almanach : de l’arabe d’Espagne al-mânakh, dérivé du syriaque l-manhaï, « tables du temps publiées au début d’une année lunaire ». • Chiffre : de l’arabe sifr, « zéro », par l’intermédiaire de l’italien sifra et du latin médiéval cifra. • Coton : de l’italien cottone (du génois, plus précisément), emprunté à l’arabe qutun. • Douane : de l’italien doana, emprunté au persan diwan, « registre de comptabilité ». • Échec : vient du persan shâh, « roi ». Employé dans l’expression shâh mât, « le roi est mort », à l’origine de l’expression « échec et mat ». • Magasin : de l’arabe makhâzin, « entrepôts, lieux de dépôt, bureaux ». • Raquette : de l’arabe râhat, « paume de la main » ; sens dérivé lié au développement du jeu de paume au XVe siècle. • Sucre : de l’italien zucchero, emprunté à l’arabe soukkar, mot originaire des Indes (carkarâ, « grain ») transmis par le persan. • Zénith : de l’arabe samt, « chemin », dans l’expression samt arrâs, « chemin au-dessus de la tête ». Al samt, « le chemin », est aussi à l’origine du mot français « azimut ». L’étude étymologique de ces mots souligne l’importance des apports de la civilisation

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a traversés. Son voyage le conduit notamment en Égypte, à La Mecque, en Syrie, dans la Palestine franque et en Sicile. Il revient en Espagne en avril 1185. Il entreprendra en 1189 un autre voyage à La Mecque pour remercier Dieu d’avoir permis à Saladin de reconquérir Jérusalem. Il découvre donc la Sicile en 1184, alors que celle-ci est sous domination normande. Son admiration pour la tolérance du monarque normand Guillaume II (1168-1189) demeure teintée d’ambiguïté, car les chrétiens byzantins puis normands ont mis fin à l’ère de la Sicile islamique. Si la cour des Normands est extraordinaire, c’est que les musulmans y ont leur place. Malgré leur infériorité politique, ils demeurent, pour Ibn Jubayr, les garants de la civilisation, d’un mode de vie exemplaire (parure des femmes à l’imitation de celles des femmes musulmanes). Les populations musulmanes ont des quartiers qui leur sont réservés (« ils ont des faubourgs qu’ils habitent seuls ; à l’exclusion des chrétiens ») et des mosquées où elles peuvent pratiquer librement leur culte. Jubayr est sensible au fait que ses co-religionnaires sont respectés dans cette ville. L’auteur distingue deux catégories de musulmans : ceux qui vivent à la cour, dans l’entourage du roi, et qui jouent un rôle important au sein de l’administration royale ; tous les autres, qui vivent dans les villes et surtout les campagnes. Les seconds ont gardé des mosquées, possèdent leurs institutions et sont gouvernés par une aristocratie proche du pouvoir normand. Dans les campagnes, l’introduction des structures féodales par les Normands a réduit beaucoup de musulmans au statut de « vilains » : ils sont enregistrés sur des listes et paient tribut (jizya à laquelle s’ajoutent toutes les taxes féodales). La condition des tributaires est plus favorables dans les villes où ils vivent de l’artisanat et du commerce. La plus vaste communauté est à Palerme, où elle est exemptée de jizya et où les activités du souk sont très lucratives. Ibn Jubayr s’émerveille surtout de la situation favorable de ses coreligionnaires à la cour. Roi chrétien, le roi normand ne peut évidemment pas tolérer une pratique ouverte de l’islam à sa cour, où beaucoup de musulmans sont des convertis de façade qui continuent de pratiquer leur religion en secret. Mais le fait de peupler la haute administration d’infidèles demeure tout à fait exceptionnel. On ne trouve rien de semblable en péninsule Ibérique où les élites musulmanes ont fui bien davantage qu’en Sicile devant l’avancée des chrétiens. II. Des monuments et objets symboles du syncrétisme culturel normand. Les rois normands, qui ont conquis la Sicile à la fin du XIe siècle, font de leur capitale, Palerme, la vitrine d’une construction politique originale. Les monuments et la vie dans les quartiers de la ville et à la cour des rois normands traduisent le mélange des civilisations byzantine, musulmane et latine. La majesté des rois de Sicile s’est exprimée dans l’architecture, les décors ou encore les supports écrits, pour lesquels les souverains ont indifféremment recours au latin, au grec et à l’arabe qui reflètent à la fois la culture des conquérants normands et les héritages grec et arabe qu’ils ont su assimiler. Dans la première période de leur installation en Italie du Sud, les chevaliers normands habitent dans des forteresses à tours ou dans des donjons, c’est-à-dire dans des habitations typiques de la noblesse féodale de leur époque. Mais les Hauteville qui accèdent à la royauté choisissent un autre standard : celui des demeures impériales. Ils sont en mesure de réaliser leurs ambitions architecturales avec un luxe inouï jusqu’alors, en raison de leurs énormes moyens économiques mais aussi de leur situation dominante dans une région où s’entremêlent les cultures latine, byzantine et islamique. Le palais de la Zisa, palais suburbain disposant d’un jardin, est essentiellement l’oeuvre de Guillaume Ier qui souhaite ainsi rivaliser avec le palais construit par son père Roger II intra muros. C’est un édifice cubique à trois étages qui réunit divers principes de la tradition architectonique arabe profane. Les pièces d’habitation sont disposées autour de la partie centrale dédiée à l’apparat. Le confort du palais est remarquable et il dispose d’installations sanitaires tout à fait exceptionnelles pour l’époque. En revanche, contrairement aux palais islamiques centrés sur les cours intérieures, le palais de la Zisa s’ouvre sur un jardin du côté de sa façade orientale dont les porches d’entrée présentent aussi une inspiration arabe. On notera en outre des réminiscences de l’architecture occidentale contemporaine, en particulier la tour et les créneaux, purement décoratifs ici, qui achèvent l’édifice dans sa partie supérieure. La Chapelle palatine, située dans le palais des rois normands à Palerme, a été élevée sur l’ordre de Roger II de Sicile entre 1129 et 1143. Dédiée à l’apôtre Pierre et voulue par Roger II au lendemain de son couronnement,

musulmane au monde occidental. Le rôle des langues italienne et espagnole dans la transmission de ces termes met aussi en évidence le rôle de plaque tournante joué par les grandes villes italiennes et espagnoles dans ces échanges commerciaux et culturels. À travers l’échantillon de mots présenté ici, les apports du monde musulman semblent particulièrement importants dans le domaine mathématique (chiffre, algèbre, algorithme) et, plus généralement, scientifique, mais aussi dans le domaine commercial (nouveaux produits découverts par l’Occident, comme l’abricot, le coton… et techniques commerciales, comme la douane, le magasin) ou culturel (jeux comme les échecs ou la raquette).

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elle est l’exemple le plus achevé du style mixte normand. Cette chapelle regroupe des éléments décoratifs des trois civilisations méditerranéennes. Son architecture reflète le type traditionnel de la basilique, très influencé cependant par les formes grecques, telle la croix inscrite surmontée d’une coupole. L’intérieur de la chapelle se compose de sept parties : la nef centrale, les deux nefs latérales, les deux transepts, le carré central et le presbyterium, chaque partie étant recouverte d’une façon différente. La voûte de la nef comporte des stalactites de bois doré et des alvéoles peintes : ce décor est inspiré du monde islamique tout comme d’autres éléments architecturaux (les arcs en tiers point ou les colonnes d’angle) ou de décor. Le plafond est richement décoré de motifs géométriques en bois, provenant du travail d’artistes arabes. Les motifs géométriques du dallage sont un emprunt à l’art musulman tout comme le plafond à caissons de bois. Le décor de mosaïque est l’exemple le plus révélateur de l’influence byzantine. Il est réalisé par des artisans d’Italie méridionale. Les mosaïques surmontées d’inscriptions en grec rappellent l’influence byzantine, tandis que les scènes de l’Évangile sont commentées en latin. Au fond, au-dessus du choeur, le Christ bénissant a une attitude figée caractéristique de l’art byzantin. L’annulaire et l’auriculaire de sa main droite sont repliés, ce qui rappelle, par allusion au chiffre 2, la nature à la fois humaine et divine du Christ. Il s’agit d’un Christ « pantocrator », c’est-à-dire tout-puissant, selon la tradition orthodoxe. Cette chapelle palatine manifeste la synthèse artistique de la Sicile au XIIe siècle. L’influence byzantine en Sicile s’exprime surtout au niveau artistique. Ibn Djubayr développe tout un paragraphe pour décrire une église chrétienne – église dite de l’Antiochien, car édifiée par Georges d’Antioche, amiral de Roger II de Sicile – ornée à la manière byzantine, ce qui le surprend beaucoup. L’église Sainte-Marie, appelée aussi la Martonara, est construite aux alentours de 1143 par le Grand Amiral (ou Émir des Émirs) de Roger II, Georges d’Antioche, un Grec de Syrie arabophone qui remercie ainsi la Vierge de l’avoir protégé des périls de la mer. La mosaïque, réalisée par des artistes grecs, représente le couronnement du plus illustre des souverains normands de Sicile, Roger II (1111-1154), qui a eu lieu dans la cathédrale de Palerme dans la nuit de Noël 1130. Elle révèle l’influence byzantine : hiératisme des personnages, dédicace au roi Roger en grec. Le roi Roger est couronné par le Christ, à la façon des empereurs byzantins. Son costume royal s’inspire de la tradition vestimentaire impériale. Il est ici représenté vêtu de l’habit impérial byzantin et de l’étole de légat apostolique. La couronne qui lui est remise porte des pendants de perles : c’est le kamelaukion, couronne finement martelée et incrustée de pierres précieuses, portée depuis le VIe siècle par les empereurs byzantins et d’usage courant en Italie du Sud à cette époque (elle est portée par les princes lombards et normands, par les papes et les cardinaux). Les historiens ont longtemps cru que cette couronne (aujourd’hui dans le trésor de la cathédrale de Palerme) appartenait à une femme (à Constance, fille de Roger II). Sur la mosaïque, le roi n’est pas couronné par le pape mais directement par le Christ : c’est une façon d’affirmer qu’il est directement investi par Dieu et de soustraire ainsi la cérémonie – et plus généralement son règne – à l’influence pontificale. Dans la réalité, Roger II a été oint par un envoyé spécial du pape Anaclet II et la couronne royale lui a été remise des mains du prince de Capoue. Roger II entend, sur le modèle du basileus, s’adjuger des pouvoirs religieux importants et ne pas donner prise aux prétentions pontificales sur son royaume. Toutefois, il reste un roi chrétien : à la différence des empereurs byzantins, son visage n’est entouré d’aucune auréole. De plus, cette image est réservée à un usage privé, puisqu’elle se trouve dans une église monastique et familiale, contrairement aux mosaïques de Monreale. Signalons d’ailleurs qu’à côté de ce panneau se trouve un autre panneau de mosaïque représentant Georges d’Antioche prosterné devant la Vierge et que la coupole centrale de l’édifice représente le Christ Pantokrâtor. Ici donc, il ne s’agit pas directement d’une oeuvre de propagande royale, puisque le commanditaire n’est pas le roi, mais l’un de ses officiers. Le complexe religieux de Monreale (1174-1189) est un exemple éloquent de l’architecture religieuse sicilienne. L’église a une triple vocation, portée par le mécénat royal : église monastique, cathédrale, église-mausolée. En 1174, le jeune roi de Sicile Guillaume II décide de fonder une abbaye bénédictine à Monreale, à cinq kilomètres de Palerme. Cette vocation monastique initiale explique la présence du cloître aux doubles colonnes et aux chapiteaux sculptés, de vingt-six arcs par côté. En 1183, alors que l’ensemble architectural n’est pas encore achevé, le pape Lucius III élève l’église au rang de cathédrale, faisant ainsi de

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Monreale le siège d’un nouvel évêché. Dans la bulle, le pape souligne le caractère exceptionnel de l’édifice, n’hésitant pas à écrire qu’« une telle oeuvre n’a pas été réalisée par un roi depuis l’Antiquité et porte les hommes à l’admiration ». Cette magnificence s’explique sans doute par le fait qu’il s’agit d’une fondation royale (le monastère est flanqué d’un palais royal directement relié à l’abside de l’église) et qu’elle a en outre dès l’origine une vocation de mausolée des Hauteville : le roi Guillaume II y fait transporter la dépouille de son père, Guillaume Ier. La forme architecturale, traditionnelle, est celle de la basilique paléochrétienne à trois nefs avec colonnes et chapiteaux antiques provenant de monuments romains païens. Trois composantes historiques se mêlent ici. La première est latine occidentale et est révélée par un plan orienté ouest/est, ce qui rappelle que l’État normand appartient d’abord à l’Occident latin. La seconde est byzantine orientale, comme en témoigne quelques éléments architecturaux, telles les plaques de marbre et les mosaïques par exemple, qui reproduisent et adaptent des programmes byzantins et rappellent donc les liens avec Byzance dont la conquête arabe n’a nullement effacé la trace. La troisième est arabo-musulmane et se manifeste dans les motifs islamiques des décorations de l’abside et du cloître. La cathédrale de Monreale est un exemple très complet d’art siculo-normand. Elle constitue la deuxième surface de mosaïque religieuse au monde (6 340 m2) après la basilique Saint-Marc de Venise. L’architecture de Monreale mêle avec brio différentes influences artistiques : sur un plan et des formes architecturales de base d’inspiration occidentale se greffent un décor d’inspiration arabo-islamique et des éléments de mobilier et d’architecture byzantins. Le Christ tout puissant (Pantocrator) est représenté dans l’abside, comme dans les églises byzantines. Il tient dans sa main une bible écrite en grec et en latin. Le Christ domine les figures de la Vierge sur le trône, les saints, les apôtres et les anges. L’influence musulmane s’exprime en particulier dans la décoration extérieure de l’abside de la cathédrale de Monreale. Les murs sont ornés d’une marqueterie de marbres et de pierres de couleur qui composent des motifs d’entrelacs et des arcatures aveugles, caractéristiques des décorations musulmanes. Dans le cloître, vaste quadrilatère aux proportions d’une parfaite harmonie, les arcades en arc brisé (taillées dans la pierre volcanique) et leur décor de motifs géométriques sont d’inspiration arabe, comme les 228 colonnettes jumelées (ou géminées) qui les soutiennent (ornées de mosaïques marquetées géométriques, de spirales et d’anneaux et d’autres décors polychromes). Le cloître de l’église de Monreale s’inspire aussi de ceux des monastères de l’Occident chrétien : un jardin carré entouré d’une galerie soutenue par de fines colonnes aux chapiteaux sculptés. Les chapiteaux historiés de ces colonnes semblent emprunter à l’art roman ou profane leurs scènes variées (dragons ailés orientaux, acrobates, guerriers de la geste occidentale, motifs ornithologiques fantaisistes…). Dans la cathédrale de Monreale se trouve une mosaïque de la fin du XIIe siècle représentant Guillaume II (1166-1189) offrant la cathédrale de Monreale à la Vierge. Cette mosaïque est tout d’abord une scène de dédicace : le roi, qui a fait bâtir le complexe monastique de Monreale, à partir de 1174, offre l’église à la Vierge à laquelle elle est dédiée. Mais, de manière beaucoup plus originale, elle exprime la volonté de Guillaume II de représenter son pouvoir ainsi que lui-même de son vivant. De ce point de vue, il s’inspire du programme iconographique mis en place par son grand-père Roger II dans l’église de la Martonara, mais il va beaucoup plus loin : il se fait représenter comme souverain consacré et comme donateur dans un édifice public et solennel (cette église, érigée en cathédrale en 1183), en un lieu privilégié de l’église puisque l’image du roi est à la limite de la zone réservée aux images saintes. On notera aussi que le roi porte quelques-uns des attributs liturgiques impériaux byzantins qui sont autant d’insignes de la royauté normande depuis Roger II : la couronne d’or à pendentifs (le kamelaukion, l’un des couvre-chefs réservés à Byzance à l’empereur régnant et à son fils qui doit lui succéder), les chaussures de pourpre, le loros (longue et large bande d’étoffe précieuse portée autour du cou par les empereurs byzantins, héritière du pallium)… L’ensemble constitue sans conteste une oeuvre de propagande politique. La monnaie du roi Roger II (tari) est un bon exemple de syncrétisme. La croix est latine mais l’inscription est en grec et annonce la victoire du Christ. La partie périphérique de la pièce contient une inscription en arabe. Ce document montre combien la Sicile est au carrefour de trois mondes.

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Certains vêtements et attributs du roi mêlent aussi ces différentes influences, comme par exemple les couronnes à pendentifs ou les chaussures de pourpre qui renvoient à Byzance. Des éléments musulmans, qui concernent le cérémonial ou encore la symbolique, sont aussi empruntés aux Fatimides d’Égypte. Le manteau de couronnement de Roger II est conservé à Vienne, au Kunsthistorisches Museum. Le manteau est un bon exemple de l’influence musulmane. Il a été réalisé par l’un des tiraz (ateliers) de la cour du roi Roger II, l’atelier de broderie. L’inscription en caractères coufiques (l’écriture coufique est une écriture arabe de style calligraphique, caractérisée par une base horizontale sur laquelle se greffent verticalement des signes anguleux et rigides ; elle est utilisée en ornementation et aussi pour la copie du Coran), bien visible dans la partie inférieure du manteau pour lequel elle forme une sorte de liseré, reproduit en arabe une série d’éloges qui magnifient la royauté de Roger II : « Exécuté dans le tiraz royal où la félicité, l’honneur, le bien-être et la perfection, le mérite et l’excellence ont leur demeure. Qu’on puisse là jouir du bon accueil,

de riches profits, de grandes libéralités, d’une haute splendeur, de la réputation,

de la magnificence comme de la réussite des voeux et des espérances ; puissent

les jours et les nuits s’y écouler dans le plaisir sans fin ni changement, dans

l’honneur, la fidélité, l’activité diligente, la félicité et la longue prospérité, la

soumission et le travail qui convient.

Dans la ville [la capitale, Palerme] de Sicile, l’an 528. » Le système de datation est musulman (Hégire) et renvoie à l’année 1133-1134 de l’ère chrétienne. Le couronnement de Roger II ayant eu lieu à Noël 1130, ce manteau (qui pèse 50 kg !) n’a pas été réalisé pour cet événement. Vêtement d’honneur ou d’apparat, il devient un élément essentiel de la garde-robe des empereurs du Saint-Empire romain au XIIIe siècle. En effet, la fille de Roger II, Constance, épouse en 1186 Henri VI (le fils de Frédéric Barberousse) qui reçoit la couronne impériale en 1191. Son fils et successeur Frédéric II porte probablement ce manteau le jour de son couronnement impérial à Rome, en 1220. III. Une cohabitation parfois difficile Pourtant la tolérance royale a ses limites. La cohabitation entre les communautés n’est pas toujours harmonieuse. La situation des musulmans de Sicile évolue dans la seconde moitié du XIIe siècle. L’immigration importante d’Italiens, les départs ou les conversions de musulmans et le climat d’affrontement généralisé en Méditerranée contribuent à rompre l’équilibre particulier de la Sicile normande et à marginaliser la communauté musulmane. Progressivement, l’occidentalisation de l’île apparaît de plus en plus marquée. Dès la fin du règne de Roger II, des persécutions religieuses sont déclenchées contre les musulmans. Des pogroms sont perpétrés en 1160-1161 contre les populations musulmanes. Un autre déchaînement de violences contre elles a lieu lors de la crise de succession qui suit la mort de Guillaume II en 1189 : les musulmans de Palerme sont massacrés et entrent en rébellion pendant 5 ans. Les troubles se multiplient sous le règne de Tancrède (1189-1194) où de nombreux musulmans convertis font défection, alors que le pouvoir s’homogénéise en devenant de plus en plus latin et en expulsant sa clientèle arabe. L’appareil d’État, désormais, ne montre plus trace de l’ancienne symbiose qu’il réalisait autrefois : l’arabe disparaît des documents et des titres. Cette évolution s’achève au XIIIe siècle par la déportation des musulmans de Sicile à Lucera (Pouilles) par Frédéric II. Si la trace de la présence musulmane a persisté jusqu’à nos jours, elle se limite au domaine artistique. Ibn Djubayr révèle dans sa description de la Sicile de Guillaume II que l’attitude envers les musulmans oscille entre tolérance et défiance. L’auteur déplore la sujétion des musulmans et craint leur progressive acculturation (« Quelques restes de leur foi »). L’auteur évoque des « humiliations », un « état misérable » et la « réduction à la condition de tributaire » des musulmans. Selon l’auteur, cette situation de soumission aux autorités normandes pousse certains à se convertir au christianisme. Le sentiment d’insécurité prévaut dans la communauté musulmane de Palerme. Ibn Jubayr est conscient que la plupart des musulmans cachent leur foi au souverain. L’entourage chrétien des souverains est souvent hostile aux faveurs dont bénéficient certains musulmans de la part du roi. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :

Evaluation cohérente en fonction des objectifs :

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HMA – La seigneurie aux XIIe et XIIIe s.

Approche scientifique Approche didactique

Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) :

Insertion dans les programmes (avant, après) :

Sources et muséographie : Ouvrages généraux : Dominique Barthélemy, L’Ordre seigneurial (XIe-XIIe siècle), Nouvelle histoire de la France médiévale, Volume 3, Le Seuil, coll. «Points Histoire », Paris, 1990. BONNASSIE, Pierre, "Seigneurie", in Les Cinquante mots-clés de l'histoire médiévale, Toulouse, Privat, 1981, pp. 180-184. P. Contamine, M. Bompaire et al., L’économie médiévale, Armand Colin, 3e éd., Paris, 2003. G. Duby, L’Économie rurale et la vie des campagnes dans l’Occident médiéval, 2 volumes, Flammarion, Paris, 1990. M. Balard, J.-P. Genet, M. Rouche, Le Moyen Âge en Occident, Hachette Éducation, 1992 (2003). C. Gauvard, A. de Libera, M. Zink (sous la dir. de), Dictionnaire du Moyen Âge, PUF, Paris, 2002. R. Fossier, Le Moyen Âge. L’éveil de l’Europe, 950-1250, t. 2, Armand Colin, Paris, 1986 (2001). R. Fossier, La Société médiévale, Armand Colin, coll. «U», Paris, 1992. Biget J.-L, Boucheron P., La France médiévale, t.1 : VI-XIIe siècle ; T. 2 : .XII-XVe siècle, Hachette Supérieur, coll. « Les Fondamentaux», 1999 et 2000. M. Kaplan, dir., Le Moyen Âge. XIe-XVe siècle, Bréal, coll. «Grand Amphi », Paris, 1994. J. Le Goff, La Civilisation de l’Occident médiéval, Flammarion, coll. «Champs», Paris, 1984 (1997). M. Bourin, R. Durand, Vivre au village au Moyen Âge. Les solidarités paysannes Xie-XIIIe siècles, Messidor, Temps actuels, 1984. R. Delort, La Vie au Moyen Âge, Le Seuil, coll. « Points Histoire », Paris, 1982. R. Delort, Le Moyen Âge. Histoire illustrée de la vie quotidienne, Edita, 1972. G. Fourquin, Histoire économique de l’Occident médiéval, Armand Colin, coll. «U», Paris, 1979. R.-S. Lopez, Naissance de l’Europe, Ve-XIVe siècles, Armand Colin, Paris, 1962. Documentation Photographique et diapos : « Vivre au Moyen Age », Documentation photographique, n° 6050 « La Vie paysanne au Moyen Âge », Documentation photographique, n° 6007, 1973. Revues : « Spécial Moyen Âge », L'Histoire, n° 283, janvier 2004. Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Une seigneurie est une institution médiévale et moderne occidentale assurant l'encadrement économique et judiciaire des populations par un individu ou une personne morale n’exerçant pas nécessairement la souveraineté. La seigneurie est une réalité distincte du fief, qui est l'un des modes d'exercice de la seigneurie, avec l’alleu. La seigneurie est un ensemble de terres, c’est-à-dire de propriétées foncières, de droits et de redevances. Elle est dans une certaine mesure, l'héritière de la villa de l’Antiquité tardive en même temps que la résultante de l'éparpillement du pouvoir public avant l'an Mil. La seigneurie est le cadre privilégié par lequel l’aristocratie médiévale assure sa prééminence sociale, économique et politique. La limitation des prérogatives seigneuriales est l'un des biais par lequel le pouvoir des États s'affirme à la fin de l'époque médiévale et durant l'époque moderne. Au Xe siècle, l’unité politique de l’Occident, assurée par l’Empire carolingien, a disparu. Dans un monde d’insécurité marqué par les invasions et la disparition de l’autorité publique, le pouvoir se recentre sur des territoires réduits : la puissance appartient à celui qui a des terres et des paysans qu’il protège par un château. Les royaumes, vers l’an mil, sont en effet des mosaïques de pouvoirs locaux. Dans ce monde rural, la terre est la richesse par excellence : ces cellules de pouvoir que sont les châtellenies sont aussi des « seigneuries ». Ce sont les lieux de vie et de travail des paysans. L’étude de l’organisation de la seigneurie peut être le point de départ pour permettre de souligner l’importance de la terre, qui assure la richesse et le pouvoir. On précisera que la seigneurie peut être laïque

Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO actuel : « Les cadres politiques et la société Il s’agit, non d’étudier en détail, mais de montrer la diversité et l’évolution des structures politiques de l’Occident médiéval (féodalité, royaumes, Empire). Chevaliers et paysans sont décrits dans le cadre quotidien des campagnes. • Repères chronologiques : les grands défrichements (XIe - XIIIe siècles) • Documents : un château fort, le Roman de Renart. » Socle : Nouveau commentaire « Chevaliers et paysans sont décrits dans le cadre quotidien des campagnes, dont les progrès techniques sont évoqués. L’important est de montrer que la société est fondée sur les liens personnels et qu’elle est dépendante des récoltes. » Dans les futurs programmes, on sépare la seigneurie de la féodalité (que l’on associe à l’affirmation de l’Etat) :

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mais aussi ecclésiastique. Il s’agit de mettre l’accent sur les rapports dominants-dominés, sur la diversité de la communauté villageoise, sur les obligations des paysans. Leurs différents statuts ne sont qu’évoqués. Il est difficile d’estimer la population de l’Europe occidentale au Moyen Âge. 22 millions au XIe siècle ? Les densités sont faibles et inégales selon les régions. Ce qui est sûr, c’est l’immense étendue de la forêt. On en a une idée grâce à l’étude minutieuse des textes médiévaux menée par C. Higounet. Paléobotanique et palynologie commencent à préciser la place du monde sauvage. Cette forêt, le paysan en a besoin. Les produits de la cueillette (fruits, baies, champignons, racines…) apportent un complément vital à l’alimentation paysanne. Entre le XIe et le XIIIe siècle, on assiste à un essor du monde rural : plus d’hommes (les rares chiffres dont nous disposons et les données archéologiques nous permettent de constater une augmentation de la durée de la vie (cimetières), des taux de natalité qui s’élèvent), de meilleures conditions techniques, une extension des terres cultivées. Un amélioration du climat pourrait être à l’origine de ce démarrage. Au XIIIe les rendements céréaliers ont augmenté (6, 8 pour un), l’alimentation s’est diversifiée. Les origines de la seigneurie Une position historiographique ancienne voyait dans le démembrement de la villa du bas Empire l'origine de la seigneurie. Aujourd'hui, on attribue plutôt à un remembrement du grand domaine un rôle moteur dans le développement de la seigneurie. Ce remembrement est difficile à observer, par suite du manque de sources, mais on peut tenter de distinguer plusieurs mouvements. Dans la zone méditerranéenne, on observe un mouvement de concentration des propriétés dès le Xe siècle notamment au détriment des alleux paysans. En Italie du Nord, le mouvement est particulièrement noté dans la remise de propriétés paysannes aux églises à cause de la pratique du prêt sur gage. En Catalogne, le mouvement se fait au profit non seulement des églises mais aussi de l'aristocratie des comtes et vicomtes. En Italie centrale et méridionale, le phénomène majeur est celui de l’incastellamento étudié par Pierre Toubert[5] : la population se rassemble dans des ensembles fortifiés qui deviennent les sièges d'autorités seigneuriales. Ailleurs, le mouvement de concentration est plus tardif : il s'observe en Mâconnais ou dans l’Empire au XIe siècle, puis au XIIe siècle avec la constitution des seigneuries cisterciennes ou prémontrées, même si ces dernières présentent des différences avec d'autres seigneuries monastiques, notamment dans le mode d'exploitation en faire-valoir direct. Les conquêtes paysannes du XIIe siècle Selon Georges Duby, le XIIe siècle voit la progression de la situation du paysan vis-à-vis du seigneur. Il distingue pour cela trois phénomènes : la persistance de l’alleu paysan, notamment l’alleu « clandestin », créé à la faveur des défrichements, la division des tenures entre plusieurs héritiers, cause de l’affaiblissement des impositions seigneuriales et la conquête de privilèges collectifs par les communautés paysannes. Il observe à cette époque une diminution de la rente foncière, notamment par l'affaiblissement des redevances pour les tenures, et une difficulté des seigneurs à prélever efficacement les nouvelles formes d'imposition dues à la seigneuries banales. Dans le contexte de communications difficiles du moyen Âge, le seigneur est forcé de recourir à des intermédiaires, qui diminuent d'autant le montant des prélèvements. Tout ceci explique selon Duby le rééquilibrage des profits seigneuriaux sur la réserve, exploitée en faire-valoir direct. La réserve rassemble bien souvent les meilleures terres de la seigneurie, quand elle ne rassemble pas la majorité des terres seigneuriales, comme en Angleterre. Elle est exploitée par des groupes d'ouvriers agricoles, qui ne disposent que d'une micro-tenure et dépendent donc du travail accordé par le seigneur dans sa réserve.

« PAYSANS ET SEIGNEURS La seigneurie est le cadre de l’étude des conditions de vie et de travail des communautés paysannes et de l’aristocratie foncière ainsi que de leurs relations. La France est le cadre privilégié de l’étude, située au moment où le village médiéval se met en place. L’étude est conduite à partir : - d’images tirées d’oeuvres d’art, d’hommes et de femmes dans les travaux paysans ; - de l’exemple d’une seigneurie réelle (et non de son schéma virtuel) avec le château fort, un village et son organisation ; - d’images ou des récits médiévaux au choix témoignant du mode de vie des hommes et des femmes de l’aristocratie. Connaître et utiliser les repères suivants − La naissance du village médiéval : Xe – XIe siècle − d’une seigneurie Décrire quelques aspects − d’un village médiéval, − du travail paysan au Moyen Âge, − du mode de vie noble.

Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : I. Un microcosme de la société médiévale La vie dans la seigneurie est organisée autour de trois pôles vers lesquels convergent la plupart des routes : le château, l’église paroissiale et la communauté paroissiale. Le plan de la seigneurie de Wismes, près d’Amiens,

Activités, consignes et productions des élèves : Accompagnement : « L’état de la documentation fait apparaître l’extrême diversité des situations économiques et sociales et de leur évolution

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datant du XIVe siècle, nous présente une seigneurie « type », dans le Nord de la France, apparaissant souvent sous la forme d’une reconstitution dans les manuels scolaires. L’église est la maison de Dieu, souverain maître et juge ; elle rassemble à ses pieds les morts de la communauté. À partir du Xe siècle, le réseau des églises paroissiales est solidement établi. Cimetières et prières contribuent à rassembler les fidèles. Le château (héritier d’une implantation protohistorique ou création plus récente due aux impératifs de la défense et à la désagrégation des pouvoirs politiques) occupe une position centrale ; le moulin banal, le four banal et le gibet rappellent à chacun que le seigneur est le détenteur du droit de ban. Le moulin est ici un moulin à vent, dont l’apparition en Occident daterait d’environ 1180, selon J. Le Goff. À côté des prairies communes, de petits enclos entourent certaines habitations et marquent les limites des courtils et des vergers. La forêt marque les limites du terroir ou finage et représente une ressource d’appoint appréciable. Cependant, le défrichement était selon l’abbé Suger une oeuvre de chrétien ; dans Le Moyen Âge, une imposture, J. Heers explique ainsi qu’il ne faut pas opposer la ville à la campagne, mais le monde structuré, là où l’homme, créature de Dieu, est présent, au monde instructuré (forêts, marais…), domaine des démons. Ces trois pôles illustrent la division de la société médiévale. La société médiévale idéale La société, constituée de trois ordres aux fonctions distinctes, est présentée comme un modèle idéal. L’affirmation au début du XIe siècle par les évêques Gérard de Cambrai et Aldabéron de Laon d’une idéologie trifonctionnelle – ceux qui prient, ceux qui combattent, ceux qui travaillent – coïncide, selon Georges Duby dans Les Trois Ordres ou l’imaginaire du féodalisme, avec la mise en place de la féodalité. Ce schéma idéologique ne trouve que peu d’écho dans la société médiévale d’alors. L’illustration de la chronique de Worcester (qui présente le roi Henri Ier d’Angleterre tourmenté jusque dans son sommeil par les revendications de chaque groupe de la société) permet d’aborder la constitution de la société médiévale telle qu’elle était analysée au XIIe siècle. Le Régime des Princes est une œuvre composée en 1279 par Gilles de Rome, précepteur du roi Philippe le Bel. C’est un « miroir des princes », c’est-à-dire un livre destiné à l’éducation des fils du roi, genre littéraire très apprécié depuis le XIIe siècle. Traduit au XVe siècle, il a été copié à de nombreux exemplaires, d’abord pour de jeunes aristocrates, puis pour de riches marchands. La page d’ouverture d’une copie de 1450 exécutée pour l’échevinage de Rouen résume en bonne partie l’ouvrage : on y voit rassemblés les trois ordres de la société médiévale. Deux d’entre eux apparaissent sur une enluminure : ceux qui combattent et ceux qui prient. Sur deux autres enluminures situées sous cette illustration figurent ceux qui travaillent (paysans et commerçants). L’ouvrage en lui-même est composé de trois parties consacrées au gouvernement de soi, de sa famille et de son royaume. La féodalité Les historiens donnent deux sens au mot féodalité : dans le sens le plus restreint du terme, elle désigne l’ensemble des liens tissés entre hommes dans le monde aristocratique (octroi de fiefs, relations de vassalité). Dans un sens plus large, le mot désigne l’ensemble des relations de dépendance qui structurent l’ensemble de la société médiévale de l’Occident chrétien. Issue de la recommandation du haut Moyen Âge, la féodalité s’inscrit à partir du Xe siècle dans un nouveau contexte : celui du morcellement de l’autorité publique. La féodalité apparaît dès lors comme une structure politique fondée sur des solidarités volontaires et privées recentrant l’autorité publique sur de petits territoires. Pour accroître leurs biens et leur puissance, les vassaux prêtent hommage à plusieurs seigneurs : les hiérarchies de fidélités s’en trouvent brouillées, les conflits d’intérêts nombreux entraînant de multiples guerres privées (hommage lige…). Le félon est le vassal qui ne respecte pas ses obligations envers son seigneur. La société médiévale de l’Occident est donc parcourue par un réseau de liens d’homme à homme qui créent entre les différentes parties de la population une série d’obligations réciproques. Les nobles sont les « protecteurs des églises » et « défendent les petits du peuple ». Détenteurs du pouvoir militaire, ils sont responsables de la sécurité de leurs sujets. En retour, les paysans, « ceux qui travaillent », leur fournissent « la

dans le temps. Il faut donc analyser des exemples et éviter de présenter seigneurie et château-fort comme des « modèles ». La société peut être étudiée à partir des rapports « dominants dominés » en prenant en compte toutes les contraintes que les uns font peser sur les autres. Les paysans ne sont pas présentés dans leur cadre juridique mais dans celui de leur travail. L’étude des défrichements peut, par exemple, permettre de mieux appréhender les diversités ainsi que le rôle de chacun : volonté des seigneurs, mais aussi souhait d’autonomie des paysans. À travers le Roman de Renart, les élèves découvrent les mentalités médiévales, les structures sociales et leur satire. » Autour d’une problématique générale : « La société médiévale est une société hiérarchisée. Qu’est-ce que cela signifie ? », on se propose d’étudier la société médiévale dans sa diversité et ses évolutions. Il s’agit tout d’abord de présenter la société féodale en insistant sur la place de choix tenue par les chevaliers et en évoquant la vie dans un château fort. Puis d’étudier les rapports de domination entre seigneurs et paysans, la vie dans les campagnes (également décrite sous l’aspect des progrès qui s’accomplissent aux XIIe et XIIIe siècles). L’étude du Roman de Renart fournit l’occasion d’aborder à la fois une oeuvre majeure de la littérature médiévale et une critique de la société de ce temps.

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richesse, le vêtement », en donnant aux nobles et aux prêtres le résultat de leur travail. Les hommes d’Église, eux, en échange de la protection des nobles et de la nourriture fournie par les paysans, prient pour le salut des deux autres ordres, assurant ainsi leur « protection spirituelle ». Le Roman de Renart Le Roman de Renart et les miniatures qui l’accompagne offrent un contact avec une oeuvre fondamentale de la période étudiée, évocation littéraire de la société féodale des XIIe et XIIIe siècles. C’est au XIIIe siècle avec Jehan Bodel (le Jeu de saint Nicolas) et Adam de la Halle (le Jeu de la Feuillée), que rire et dramatisation sont associés dans l’utilisation de la langue vulgaire ; déjà il est ici question du père, des amis, des voisins bien réels. Fabliaux et contes d’animaux abondent alors. Écrit de 1171 à 1250, le Roman de Renart est une œuvre savante de clercs très cultivés qui se sont inspirés de la littérature latine ancienne et médiévale, de la littérature française épique et courtoise mais aussi des contes oraux et du folklore. Ce n’est pas une composition homogène : des parties indépendantes ou branches, d’auteurs différents, sont réunies par un enchaînement narratif assez lâche. Les auteurs – plus de vingt, le plus souvent anonymes – enchaînent fabliau et parodie de la chanson de geste et du roman exotique, satire violente et grossière, et épopée héroï-comique. La verve des auteurs s’est exercée volontiers aux dépens de diverses catégories sociales, dont les comportements sont reflétés par ceux des animaux qui les représentent : le roi Noble, les grands féodaux courtisans que sont Ysengrin et ses amis pour les laïcs, ou l’âne Bernard pour le clergé. Cette oeuvre caustique est une parodie, et une satire du monde chevaleresque et courtois, un reflet des contradictions de la société médiévale dans ses différentes dimensions (la féodalité, la vie rurale, l’univers du clergé des campagnes…). À l’ordre hiérarchique du château et de la cour seigneuriale, à l’idéal courtois succèdent l’esprit de la ville, de la rue, du partage du pouvoir, sa contestation, ses misères, ses moeurs. Tout au long de l’ouvrage, l’image de Renart varie sans cesse. Il peut être un bandit, un clerc dévoyé, une incarnation du démon ou un seigneur. Dans cet extrait, il se retrouve face au roi Noble, image du roi juste et respecté. Il peut aussi bien personnifier la méchanceté que la ruse. Il préfère partir en croisade pour échapper à la potence à laquelle l’a condamné le roi Noble. Grâce à la Branche IX, on peut souligner que le Roman de Renart est une oeuvre qui dénonce en particulier la bêtise, la cupidité, la peur, la lâcheté. Certaines parties de l’ouvrage montrent l’intelligence de Renart l’emportant sur la force brutale d’Ysengrin et la puissance de Noble, d’autres présentent des animaux triomphant des hommes : Renart réduit ici le paysan Liétard à une position de dominé à qui il est interdit de chasser sans l’accord du seigneur, et devient, dans la Branche XVI le suzerain de Bertaut lors d’une parodie de l’hommage chevaleresque. Dans la littérature médiévale, le paysan est toujours représenté de manière très négative tant sur le plan physique que sur le plan moral. Il est laid, sale (Aucassin et Nicolette), fourbe et menteur (dans de nombreux fabliaux). II. Un lieu marqué par des rapports de domination Mode d’exploitation du sol, la seigneurie est aussi le domaine sur lequel le pouvoir du seigneur, devenu maître du droit de ban, s’est étendu (« ordonner, contraindre et punir »). Selon les lieux et les époques, la situation est complexe : dans certaines régions, des communautés paysannes sont restées indépendantes de la seigneurie « foncière » (appartenance de la terre au seigneur). Parfois, le droit de ban ne recouvre pas exactement les limites d’une seigneurie : il peut appartenir à un autre seigneur que celui qui possède la terre. On examinera surtout sa dimension foncière et « banale ». Il nous faut aussi remarquer en préliminaire que la seigneurie peut être laïque ou ecclésiastique : une église, un monastère, peuvent posséder des terres et exercer les mêmes pouvoirs qu’un seigneur laïc. La seigneurie comprend la réserve, près du château seigneurial, réservée à l’usage du seigneur mais mise en valeur grâce aux travaux des paysans. Le reste du domaine est divisé en petites exploitations, les tenures, concédées à des paysans (tenanciers) en échange de redevances en nature ou en argent (cens) et de corvées. La Complainte des vilains de Verson est un conte satirique du XIIe siècle, dans lequel les corvées et les redevances dues par les paysans au cours de l'année sont

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décrites. Les renseignements fournis par ce petit poème sont confirmés par le cartulaire de l'abbaye du Mont-Saint-Michel dont le village dépendait. La satire est donc proche de la réalité. II faut remarquer que l'année est jalonnée par le paiement des redevances. Les redevances exigées en nature sont souvent les plus lourdes. La fin du texte montre les vilains en proie aux tracasseries des subalternes du seigneur. Ainsi la fournière (l'épouse de celui qui cuit le pain) est « moult orgueilleuse et fière » et s'arrange toujours pour que le pain du paysan soit toujours « tout cru et mal atouré ». La communauté villageoise est composée de paysans libres (les vilains) et de serfs (attachés à la terre et au seigneur). Le mot « serf » vient du latin servus qui, dans l’Antiquité classique, désignait l’esclave. En effet, dans les sociétés de l’Europe occidentale, le servage s’est lentement substitué à l’esclavage entre le VIIIe et le XIe siècle. Dans l’Europe féodale, il situe une grande partie de ceux qui travaillent dans une dépendance héréditaire à l’égard des maîtres du sol ; il met à la disposition de ceux-ci d’importantes réserves de main-d’oeuvre gratuite. Il apparaît ainsi comme une des bases de l’économie seigneuriale. Les serfs du XIe ou du XIIe siècle sont, pour une part, les descendants des esclaves du haut Moyen Âge. Leur statut se caractérise par l’absence de liberté et une étroite dépendance personnelle. Le serf est la propriété d’un autre homme qui l’achète, le vend ou le lègue. Cette dépendance est héréditaire, permettant au maître de disposer à sa guise des enfants des serfs. Ceux-ci doivent non seulement un service gratuit à leur maître mais sont également soumis à des taxes : le chevage (taxe personnelle sanctionnant leur dépendance), la mainmorte (taxe prélevée sur la succession), le formariage (taxe que le serf doit payer s’il veut se marier en dehors du groupe des dépendants de son propriétaire, qui risque ainsi de voir ses droits sur la descendance supprimés). Les crises des XIVe et XVe siècles ont pour conséquence de réduire à presque rien le nombre des serfs en Europe occidentale. Les revenus d’un seigneur La Charte de l’évêché de Paris fournit l’occasion de montrer qu’à côté des seigneuries laïques, il existe des seigneuries ecclésiastiques. Dans le cadre de la seigneurie de Marnes, chaque tenure est composée d’une terre cultivable et d’une habitation. En échange de cette tenure, chaque famille paysanne doit verser une redevance en argent (ex : 6 deniers de cens à la saint Rémi pour l’arpent d’habitation) et une redevance en nature (ex : un setier d’avoine à la Nativité de la Vierge, 1/4 de setier de froment et deux chapons à la fête des morts pour ce même arpent). L’étude de la seigneurie de Puimoisson dans les Basses Alpes en 1338 menée par G. Duby, montre que les seigneurs, y compris les ecclésiastiques, s’intéressent au budget de leur seigneurie (dîme, aumônes, hospitalité, entretien des églises) et donc à l’économie. En tant que seigneur, l’évêque Odon exerce le droit de ban sur l’ensemble des habitants de son domaine. En contrepartie de la protection des habitants, il détient le pouvoir de commander, de juger et de punir. L’exercice de ce pouvoir différencie très nettement les seigneurs détenteurs du droit de ban, puissants et enrichis, et ceux qui ne le possèdent pas, restant au niveau de simples seigneurs fonciers ou petits vassaux. Si les censiers (registres où sont inscrites les charges paysannes) témoignent des charges (redevances et corvées) fixées par la coutume, elles peuvent varier d’une époque et d’une seigneurie à une autre. Le château fort En 1120, Lambert d’Ardres décrit le château d’Ardres (près de Calais), encore en bois, réduit à un donjon sur motte mais répondant à un souci de confort évident. Le texte présente le château comme un lieu de vie destiné à abriter à la fois la famille du seigneur et ceux qui la servent. Ainsi peuvent vivre dans le donjon le seigneur, sa femme et ses enfants (les enfants dorment à plusieurs dans un même lit, selon leur sexe) ainsi que les panetiers, les échansons, les filles suivantes, les cuisiniers et les aides de cuisine. L’architecture du donjon – symbole du pouvoir seigneurial à préserver absolument – prévoit bien entendu l’abri de la garnison, la présence de guetteurs et de sergents. Enfin, granges, celliers et greniers permettent de recevoir et conserver les produits du domaine. Les fonctions du château fort sont multiples. La fonction militaire est primordiale. Il s’agit non seulement de défendre le territoire, mais également le donjon, symbole du pouvoir seigneurial ; ceci rend nécessaire l’abri d’une garnison, de corps de garde. Cet aspect militaire est bien entendu visible dans l’architecture du château. C’est dans la pièce de réception, une grande salle (aula), que se laisse voir la fonction politique. La puissance du propriétaire s’y

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manifeste lors de banquets importants ; là a lieu la tenue du conseil et l’investissement des vassaux ou chevaliers ; le seigneur y rend la justice lors de plaids en vertu du droit de ban. Enfin, le château sert d’habitat au seigneur et à son entourage (appartements privés ou camera ; chapelle ou capella, desservie par un chapelain). Les premières constructions de châteaux en pierre se situent aux environs du milieu du Xe siècle. Cependant, ce n’est qu’au XIe siècle que les édifices militaires en pierre se multiplient. Ces châteaux en dur sont d’abord le fait des seigneurs les plus fortunés, car ils nécessitent des ouvriers qualifiés encore rares. La plupart des premiers châteaux à motte ont été construits selon le même principe : élevés sur un tertre artificiel entouré d’un fossé et couronné sur un sommet aplani par une palissade, la chemise, enceinte semi-circulaire, formant basse-cour. La construction du château de Bonaguil date du XIIIe siècle mais ce que l’on en voit aujourd’hui est plus tardif : détruit en grande partie pendant la guerre de Cent ans, il est reconstruit à la fin du XVe siècle. Bonaguil représente l’ultime château fort de la fin du Moyen Âge qui a conservé une partie antérieure à la guerre de Cent Ans et a vu la construction (de 1480 à 1520) d’une grande partie de l’édifice encore visible aujourd’hui. À Bonaguil, le donjon de forme polygonale (comme celui de Gisors ou d’Ortenbourg) est la marque d’une transition entre les donjons quadrangulaires et les donjons cylindriques, beaucoup plus efficaces (économie de matériaux, meilleure vision pour la défense, meilleure parade aux béliers de l’agresseur même si les salles intérieures sont plus difficiles à aménager, et surtout meilleure résistance de la base du donjon). Bonaguil, comme Château-Gaillard en Normandie, annonce l’apogée du système de défense passive qui s’est affiné avec le temps. Désormais, l’assaillant doit franchir successivement un ouvrage avancé, ou barbacane, protégé par un fossé, puis une première enceinte plus élevée garnie de tours donnant accès à la basse-cour, la chemise elliptique, protégeant le donjon et entouré de douves ou fossés plus profonds. La défense continue de s’améliorer : les mâchicoulis (petites galeries permanentes en pierre) sont aménagés de trous qui permettent des tirs ou des jets plongeants (pierres, poutres, huile bouillante, poix enflammée) pour détruire ou incendier les échelles des assaillants et ralentir ainsi au maximum l’assaut. Ces mâchicoulis remplacent les hourds en bois beaucoup plus vulnérables. De même, les ponts-levis rudimentaires à chaînes sont remplacés par un système plus performant, constitué de deux flèches en madriers, relevant grâce à des contrepoids les extrémités du tablier ; enfin les archères connaissent un ébrasement plus large pour s’adapter à l’arbalète, l’arme de siège par excellence. Cette évolution s’explique par les progrès des moyens techniques d’attaque : l’artillerie à jet (engins à ressort comme les balistes, catapultes, arbalètes, trébuchets lançant des projectiles de 150 kg à 150 mètres, ou mangonneaux projetant des roches, boulets de pierre, pots de résine pour enflammer les hourds) ; les beffrois (tours carrées en bois roulant sur des madriers à étages protégés contre les traits enflammés par des peaux humides ou des mottes de terre) ; le bélier (longue poutre à tête renforcée montée sur roues ou en balancier) ; le mantelet (bouclier à roulettes). À la fin du XVe siècle et au début du XVIe siècle, l’utilisation de la poudre et de l’artillerie à feu commence à concurrencer véritablement les armes à jet, ce qui oriente différemment l’architecture militaire et nous amène vers les châteaux de la Renaissance, et notamment ceux de la Loire. Les éléments du château de Bonaguil encore intacts aujourd’hui sont : le donjon et, dans une large mesure, le mur d’enceinte et les meurtrières. En revanche, le pont-levis a été détruit, ainsi qu’une partie de la barbacane et des tours d’enceinte et, dans une large mesure, les merlons et les créneaux. Le droit de ban et les exigences du seigneur s’étendant, de vives résistances paysannes se font jour. On en a des échos dans les chroniques et les actes de l’époque. Elles sont souvent la simple expression de la lutte pour la vie de ces paysans qui vivent au bord de la famine et pour lesquels toute taxe nouvelle, toute limitation des droits d’usage pour la forêt par exemple sont des abus qui menacent leur existence. Les révoltes sont rares avant les jacqueries du XIVe siècle. La forme habituelle de la résistance des paysans à leur seigneur est plutôt le braconnage, le refus de payer les taxes en nature, le sabotage des corvées… On en a pourtant un exemple avec une révolte de paysans normands à la fin du Xe siècle racontée par le chroniqueur et poète Wace. Les paysans veulent pouvoir couper du bois selon leurs besoins, ils veulent aussi pouvoir pécher et chasser : il s’agit de droits que le seigneur se réservait. La phrase qui montre la raison de la

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répression très violente appliquée par le comte : «de ses droits le dépouilleraient, lui comme les autres seigneurs ». Le seigneur veut protéger ses privilèges ainsi que ceux de sa catégorie sociale. III. Un lieu de vie pour les paysans On étudie le paysan producteur mais aussi le paysan dans sa vie quotidienne, sa sociabilité et ses mentalités. Les miniatures figurant dans les calendriers ou les psautiers permettent de décrire les activités des paysans. Une miniature du Psautier de la Reine Marie (début du XIVe siècle, British Library, Londres) représente la corvée. Les enluminures illustrent les mois – ici, il s’agit du mois d’août – au cours desquels les prières sont récitées. En dehors des « prébendiers », nourris, logés et vêtus par le seigneur et qui forment l’équipe permanente sur la réserve, le seigneur exige des redevances en travail de la part des paysans détenant des tenures. Les tenanciers représentés sur ce document fournissent la corvée sur la réserve du seigneur. Courbés vers le sol, ils coupent à la faucille des épis de blé sous le contrôle d’un agent seigneurial qui lui, se tient droit, et les domine, appuyé sur un bâton et tenant en main une baguette de commandement. En janvier, les paysans curaient les fossés avec une houe. En février, ils fumaient les terres (mettre de l'engrais). En mars, ils taillaient les vignes à la serpe. En avril, ils tondaient les moutons. En juin, ils fauchaient l'herbe avec une faux. En juillet, ils moissonnaient à la faucille. En août, ils battaient le blé au fléau. En septembre, ils semaient à la volée. En octobre, ils foulaient le raisin aux pieds dans une cuve. En novembre, ils ramassaient des glands pour nourrir les porcs. En décembre, ils tuaient les cochons. Les travaux des champs sont rythmés par les saisons. Juin est le mois où le paysan fauche les prés. Juillet, c’est la moisson, travail rude pour le paysan qui coupe avec une faucille la gerbe à mi-hauteur, ce qui laisse assez de chaume pour la pâture des troupeaux ou pour le toit des habitations. En septembre, vient le temps des vendanges – un paysan à la hotte bien chargée, appuyé sur une canne, apporte la récolte à un autre vigneron qui, debout dans une cuve, foule aux pieds les grappes de raisin pour en extraire le jus. Décembre est, comme janvier, un temps de repos et de réjouissances. Ici on tue le porc, soit pour le manger à Noël, soit pour mettre la viande au saloir et la conserver. On y trouve les trois activités fondamentales du cycle agricole : culture des céréales, culture de la vigne et élevage du porc. Les Histoires de Raoul Glaber, moine bourguignon qui a vécu de la fin du Xe siècle à 1049 environ, fournissent l’occasion de souligner la condition difficile du paysan qui, non seulement mène une vie de rude labeur, mais dont la situation est fortement précaire face aux catastrophes naturelles. C’est dans les dernières années de sa vie que Raoul Glaber a composé une Histoire où il prétendait rapporter tout ce qui s’était passé d’important en Occident depuis l’an 900 jusqu’en 1044. Il s’agit ici de la famine de 1033 due à de mauvaises conditions climatiques, des inondations. Les hommes, après s’être nourris de bêtes sauvages et d’oiseaux, en viennent à manger de la chair humaine. Dans cette compilation, Raoul Glaber utilise des sources historiographiques assez limitées, mêle les anecdotes authentiques et les invraisemblances flagrantes, évoque les prodiges de l’An Mil et ceux de l’an 1033 mais se réfère de façon très intéressante au témoignage de ses contemporains. Au Xe siècle, le rendement de la culture des céréales est très faible : au mieux trois grains récoltés pour un planté. Se nourrir est la préoccupation principale des paysans. «L’Occident médiéval est d’abord un univers de la faim. La peur de la faim et trop souvent la faim elle-même le tenaillent. » (J.Le Goff). Il faudra le rappeler quand on étudiera Le Roman de Renart… Le texte de Raoul Glaber nous raconte la situation précaire des paysans à la merci des aléas du climat. L’alimentation des paysans se compose des plantes qu’il cultive et des animaux qu’il élève : céréales, viande de porc (elle était séchée et conservée dans du sel pendant des mois). Mais le complément nécessaire vient de la cueillette en forêt. L’enclos qui entoure la maison paysanne est le seul espace sur lequel on répand de l’engrais naturel car il est rare, c’est aussi le potager dont on prend particulièrement soin et qui produira les légumes (choux, pois…). On se ferait cependant une idée fausse si on représentait tous les paysans européens de cette manière. Il y a eu tout au long du Moyen Age des paysans propriétaires fonciers, parfois organisés en communauté : les allodiers

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d'Aquitaine, les montagnards basques ou béarnais, les hommes libres d'Appenzell, de Westphalie ou de Frise, les francs-tenants anglais, et les emphytéotes italiens. Ils ne forment cependant que des groupes épars et peu représentatifs de la société médiévale. Si les difficultés souvent matérielles (surtout au moment de la soudure) sont réelles, les historiens s'accordent à dire que les conditions de vie des paysans étalent moins pénibles qu'on a pu le croire. Loin des images d'Epinal qui montrent des serfs affamés sous le joug du seigneur oppresseur, les villages médiévaux offrent aux paysans un cadre de vie sécurisant dans lequel s'épanouissent des solidarités nouvelles. Il faut faire remarquer que sur les documents iconographiques, la représentation des paysans n'est pas très réaliste, leurs vêtements devant être usés et déchirés. Cette approximation s'explique par le fait que la plupart de ces documents étaient destinés non à donner une image réaliste de la paysannerie mais à illustrer des ouvrages (traité d'agronomie) pour une population riche et cultivée. De plus, il n’y a pas d’histoire immobile des campagnes, du moins sur le temps long. L’accent doit être mis sur les progrès techniques, sur les liens entre l’essor agricole et l’essor démographique. Les progrès techniques ont permis une nette amélioration des rendements. Le progrès tient à la diffusion de techniques agricoles connues parfois depuis l’Antiquité. Moulins à eau puis à vent se multiplient permettant d’épargner de la main-d’oeuvre utilisable ainsi pour d’autres travaux. Comme l’a montré G. Duby, on est passé de la civilisation du bois avant l’An Mil à celle du fer ; de la même façon que la charrue dispose de parties métalliques telles que le coutre ou le soc, la plupart des instruments agraires possèdent une partie métallique (la faucille, la hache). La charrue, utilisée dès l’époque romaine et connue pendant le Haut Moyen Âge en Occident, se diffuse au nord de la Loire. Elle permet un meilleur travail de la terre que l’ancien araire car elle ne se contente pas d’« égratigner » le sol. Le collier d’épaule permet de mieux utiliser la force des chevaux que le collier de cou car leur effort n’est pas freiné par leur étranglement. De grands défrichements ont lieu entre le Xe et le XIIIe siècle. Si, vers 900, la forêt – principalement composée de chênes et de hêtres – occupe plus de la moitié de l’Europe occidentale, elle a très nettement diminué vers 1300. Progrès les plus spectaculaires réalisés par l’agriculture médiévale, les défrichements ont permis de cultiver de vastes étendues gagnées sur la forêt mais aussi sur les landes, les marécages, les fonds de vallées humides et les bords de mer. L’aire des défrichements couvre toute l’Europe occidentale. Ces défrichements ont pour origine l’essor démographique qui a rendu nécessaire l’extension des terres cultivées ; ils ont été possibles grâce aux progrès de l’outillage (remplacement progressif de l’araire par la charrue, amélioration de l’outillage en fer). Les grands défrichements se sont déroulés en trois étapes principales du Xe au XIIIe siècle. Si la première vague (Xe et XIe siècles) est due à des initiatives individuelles et dispersées, la seconde (XIIe siècle), qui marque l’apogée du mouvement, a été conduite par les seigneurs et l’Église intéressés par les ressources qu’ils pouvaient tirer des nouvelles parcelles. Cette deuxième vague a abouti à la création de villages entiers (« villeneuves », « villefranches », « bastides », « fertés », « issarts »…) de forme caractéristique (habitat groupé, plan souvent géométrique) et de terroirs en openfield, aux parcelles régulières. Enfin, la troisième vague de défrichements, qui n’est pas allée jusqu’à la fin du XIIIe siècle, a été plus modeste, la quasi-totalité des terres « intéressantes » ayant été mises en valeur. En autorisant l’extension des terres cultivées, ces grands défrichements ont permis de faire reculer les famines et ont favorisé le passage à l’assolement triennal. Le roulement des cultures sur trois ans se répand en Europe occidentale, elle est de règle à la fin du XIIIe siècle dans les régions du Nord. Une même parcelle connaît en trois ans la succession de blé d’hiver (semé en automne), de blé de printemps (semé en mars) et de repos (jachère) : les cultures sont diversifiées, l’espace cultivé au cours d’une année étendu et la terre peut se reconstituer pendant la jachère un an sur trois. Le terroir est divisé en trois soles, d’où l’expression « assolement triennal », et il n’est l’apanage que des terres les plus fertiles, où l’esprit communautaire prédomine (par exemple le Bassin parisien). En revanche, il est biennal dans les régions plus méridionales. Ce mode d’assolement présente l’inconvénient de laisser une plus grande surface de terres en jachère, et donc d’être moins productif. La sole des blés concerne la partie de l’exploitation (1/3) consacrée aux céréales d’hiver comme le froment et le seigle, c’est-à-dire les céréales semées avant les grands froids qui passent l’hiver en

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terre. La seconde sole (1/3), dite sole de « mars », est consacrée aux céréales de printemps, semées en principe en mars comme l’orge et l’avoine. Enfin la troisième sole est laissée en jachère, donc au repos, après avoir fourni des céréales d’hiver pendant une année et des céréales de printemps pendant l’autre année. À une époque où la terre manque d’engrais (jusqu’aux révolutions agricoles du XVIIIe siècle en Angleterre et du XIXe siècle en France) et s’épuise vite, il faut la laisser sans culture à intervalles réguliers, de façon à permettre la reconstitution d’humus. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :

Evaluation cohérente en fonction des objectifs :

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HMA – Les chevaliers dans la chrétienté occidentale

Approche scientifique Approche didactique

Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : D’abord simple corps de combattants à cheval, la chevalerie devient, au cours du Moyen Âge, un ordre de guerriers d’élite réservé à la noblesse.

Insertion dans les programmes (avant, après) :

Sources et muséographie : Ouvrages généraux : FLORI Jean, Chevaliers et chevalerie au Moyen Âge, Paris : Hachette, 1998. (Coll. « La Vie quotidienne ») (2ème éd. 2004). FLORI Jean, Richard Coeur de lion, le roi-chevalier, Paris, (éd. Payot), 1999. FLORI Jean, La Chevalerie, Paris : Jean-Paul Gisserot, 1998 (Coll. « Bien connaître »). Dominique Barthélemy, La Chevalerie, Fayard, 2007, 536 pages LE ROCH MORGÈRE Louis, LE ROCH Martine, Richard Cœur de Lion, roi d'Angleterre, duc de Normandie 1157-1199, Caen : Archives du Calvados, 2004. Documentation Photographique et diapos : Revues : « L’aventure des chevaliers », Les Collections de l’Histoire, n° 16, juillet 2002. Revue L'Histoire, sur la chevalerie, nos 97, 116, 121 La chevalerie, TDC, N° 908, du 15 au 31 janvier 2006 (par Jean Flori, Centre d’études supérieures de civilisation médiévale, Poitiers) Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : La notion de chevalerie n’est pas simple à définir. Pas plus d’ailleurs que le mot chevalier. Ces deux termes se sont en effet chargés, au fil du temps, de connotations diverses (sociales, idéologiques, religieuses, culturelles même) qui ont fini par prévaloir, reléguant du même coup le concept initial au second plan. Il en est résulté un « imaginaire » qui, dans la pensée commune, a parfois totalement oblitéré la réalité fluctuante propre aux divers stades de son évolution. Ainsi, les réalisateurs de films dits « historiques » reproduisent le plus souvent les miniatures tardives des XIVe et XVe siècles. L’historien, lui, peut assez aisément éviter de commettre ce « péché d’anachronisme » lorsqu’il s’agit d’éléments purement matériels. Le risque est plus grand, en revanche, au niveau des comportements, aspirations et mentalités des chevaliers dans la société de leur temps. Ceux-ci ont évolué, lentement, sous des influences diverses. À la fin du Moyen Âge, au terme de cette évolution, la « Chevalerie » est devenue une institution, une idéologie, voire un mythe, et n’a plus guère de traits communs avec la notion originelle. Sa dimension militaire, fondamentale, n’a pas totalement disparu, mais a cédé le pas aux connotations sociales, honorifiques et nobiliaires, sous les influences parfois rivales des cultures ecclésiastiques et profanes. Si l’on ne peut confondre la féodalité, la noblesse et la chevalerie, cette dernière se caractérise par quelques traits distinctifs de l’ordre de ceux qui combattent : l’importance du métier militaire et de tout ce qui y prépare ; la sacralisation par l’Église de l’entrée en chevalerie (adoubement) ; le style de vie et l’idéal chevaleresque : le guerrier devient aussi un gentilhomme qui joint à sa bravoure une foi ardente, un code d’honneur et un dévouement absolu à sa dame. Le château fort est le lieu majeur de cette vie du chevalier. Au cours du XIe siècle, le nombre de guerriers que les textes qualifient de chevaliers augmente. Spécialistes du combat à cheval, guerriers rattachés à un seigneur dont ils défendent le territoire, c’est un groupe socioprofessionnel qui prend forme, lié à un mode de vie, à des valeurs « chevaleresques ». Dès le XIIe s., c’est un groupe qui se ferme. À la fin du Moyen Âge, noblesse et chevalerie sont indissociables. La chevalerie est une réalité sociale et politique, un imaginaire aussi où se projette la société guerrière du Moyen Âge et qui a évolué au cours de la période étudiée.

Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO actuel : « Les cadres politiques et la société Il s’agit, non d’étudier en détail, mais de montrer la diversité et l’évolution des structures politiques de l’Occident médiéval (féodalité, royaumes, Empire). Chevaliers et paysans sont décrits dans le cadre quotidien des campagnes. • Cartes : carte politique de l’Occident au XIIIe siècle • Documents : un château fort; le Roman de Renart » Socle : Nouveau commentaire « Chevaliers et paysans sont décrits dans le cadre quotidien des campagnes, dont les progrès techniques sont évoqués. L’important est de montrer que la société est fondée sur les liens personnels et qu’elle est dépendante des récoltes. » Dans les futurs programmes, on sépare la seigneurie de la féodalité (que l’on associe à l’affirmation de l’Etat) : « PAYSANS ET SEIGNEURS La seigneurie est le cadre de l’étude des conditions de vie et de travail des communautés paysannes et de l’aristocratie foncière ainsi que de leurs relations. La France est le cadre privilégié de l’étude, située au moment où le village médiéval se met en place. L’étude est conduite à partir : - de l’exemple d’une seigneurie réelle (et non de son schéma virtuel) avec le château

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La chevalerie au Moyen Âge repose sur l'estime et les ménagements qu'ont entre eux des guerriers nobles, alors même qu'ils s'affrontent. Certes, elle s'accompagne aussi de proclamations et de discours sur la protection des églises, des pauvres ou des femmes, de la Gaule et de la Germanie antiques jusqu'à la France du XIIe siècle. Les défis en combat singulier, les accords entre vainqueurs et captifs, les rites d'adoubement, les jeux et les parades et toute la communication politique des rois et des seigneurs, font l'essence de la chevalerie. Les guerriers " barbares " de l'Antiquité classique et tardive, les Gaulois et les Francs, acquièrent ainsi une dimension " préchevaleresque ". Mais c'est à l'époque de Charlemagne que son statut et son équipement font du guerrier noble un vrai chevalier. Et c'est au milieu du XIe siècle que le comportement chevaleresque se développe par une mutation décisive : on l'observe ensuite dans les guerres de princes, les tournois et même au cours des croisades, mais toujours avec des limites. Nulle part cependant il ne s'épanouit davantage que dans les romans arthuriens du XIIe siècle.

fort, un village et son organisation ; - d’images ou des récits médiévaux au choix témoignant du mode de vie des hommes et des femmes de l’aristocratie. Connaître et utiliser les repères suivants − La naissance d’une seigneurie Décrire quelques aspects du mode de vie noble. Futurs programmes : « FEODAUX, SOUVERAINS, PREMIERS ÉTATS L’organisation féodale (liens « d’homme à homme », fief, vassal et suzerain) et l’émergence de l’État en France qui s’impose progressivement comme une autorité souveraine et sacrée. La France est le cadre privilégié de l’étude. Décrire et expliquer le système féodal comme organisation de l’aristocratie, puis comme instrument du pouvoir royal Accompagnement : « L’état de la documentation fait apparaître l’extrême diversité des situations économiques et sociales et de leur évolution dans le temps. Il faut donc analyser des exemples et éviter de présenter seigneurie et château-fort comme des « modèles ». La société peut être étudiée à partir des rapports « dominants dominés » en prenant en compte toutes les contraintes que les uns font peser sur les autres. On explique la féodalité en insistant sur les relations d’homme à homme, le lignage et les solidarités à partir de documents iconographiques. L’étude des défrichements peut, par exemple, permettre de mieux appréhender les diversités ainsi que le rôle de chacun : volonté des seigneurs, mais aussi souhait d’autonomie des paysans. À travers le Roman de Renart, les élèves découvrent les mentalités médiévales, les structures sociales et leur satire. »

Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : I. Des militaires au service de l’aristocratie Origines et fonction de la chevalerie Les mots qui désignent les chevaliers soulignent leur fonction guerrière et leur condition sociale relativement humble : dans le latin de l’Empire romain, militia désigne l’armée et, par extension, une fonction de service public ; les milites accomplissent cette forme de service qui, au Moyen Âge, perd son caractère public et tend à se privatiser. Avant le XIIe siècle, on ne peut pas encore traduire milites par chevaliers, car le terme s’applique aussi bien aux cavaliers qu’aux fantassins. Dans les langues vernaculaires du XIIe siècle, il évoque le guerrier, sans connotation de rang social élevé. Le mot allemand Ritter, à l’origine du français reître, ne donne pas des premiers chevaliers une image bien reluisante, pas plus que l’ancien anglo-saxon cniht, qui désignait un serviteur, parfois armé, plus proche du garçon d’écurie que du noble. En provençal, en espagnol et en ancien français, c’est le cheval qui est pris comme référent sémantique : chevalier s’applique au guerrier capable de combattre à cheval. Le mot n’évoque d’abord aucune autre connotation, sinon celle du service armé, domestique, vassalique ou mercenaire.

Activités, consignes et productions des élèves : Il s’agit de présenter la société féodale en insistant sur les liens qui unissent les hommes dans un Occident où le pouvoir des rois est réduit face à celui des grands seigneurs. Texte sur un chevalier modèle au début du XIIe siècle : Ansoud de Maule D’après l’Histoire ecclésiastique du moine Ordéric Vital, début du XIIe siècle. Le moine Ordéric Vital entre au monastère de Saint-Evroult d’Ouche en 1085 et en rédige ensuite l’histoire dans laquelle on trouve de multiples petites biographies comme celle d’Ansoud de Maule (non loin de Mantes-la-Jolie). On voit ici sa carrière militaire (avec sa formation de chevalier

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Le niveau social des milites n’est donc en rien comparable à celui de la noblesse. Aux XIe et XIIe siècles, les chevaliers « ordinaires » sont, pour la plupart, issus des rangs de la paysannerie. Ils s’en distinguent seulement par leur profession : le métier des armes. S’ils ne peuvent plus l’exercer, ils cessent d’être milites et retournent à leur état de rustici. Un bon nombre des chevaliers de château (milites castri) sont des serviteurs armés du seigneur, formant son escorte ou sa garnison. Même en France, au XIIe siècle, on connaît encore des serfs qui deviennent chevaliers. L’exercice des armes les rend libres, mais d’une liberté viagère, conditionnelle, liée à leur profession. Jusqu’au milieu du XIIIe siècle, on ne saurait donc confondre chevalerie avec noblesse, liberté, exercice d’une fonction publique ou richesse. Ce n’est ni une classe sociale, ni un statut juridique, ni un état, ni un ordre. C’est, pourrait-on dire, la « corporation honorable des guerriers d’élite » dont les seigneurs et les princes détiennent le commandement ; les milites ordinaires constituent leurs « mains armées ». Noblesse et chevalerie demeurent ainsi distinctes tout au long du Moyen Âge, même si le prestige militaire et social du chevalier, soutenu par la littérature, renforce ses traits aristocratiques. La chevalerie reste donc longtemps relativement ouverte. Elle tend toutefois à exclure les non-nobles par des exigences juridiques précises. La chevalerie apparaît au XIe siècle comme une catégorie de la société féodale réunissant les spécialistes du combat cavalier, qui est alors devenu le seul véritablement efficace. Si le terme miles est utilisé pour distinguer ceux qui sont, par profession, des combattants, ce mot latin permet également de signifier que les chevaliers, auxiliaires militaires rassemblés autour des maîtres du pouvoir, aident ces derniers à défendre le territoire et à maintenir la paix. Si, en dehors du royaume de France, les chevaliers ont longtemps occupé une position subordonnée à l’égard des couches supérieures de l’aristocratie, en France, la chevalerie s’est rapidement transformée en caste héréditaire, s’est rapprochée de la noblesse – noblesse et chevalerie étaient nettement distinctes à l’origine – et s’est progressivement sacralisée sous l’influence de l’Église et des croisades. Comme le montrent les miniatures (BNF, Paris, XIIe siècle...), à l’origine, le chevalier est un combattant professionnel et son équipement le prouve. Il est lourdement armé. Il dispose d’armes offensives comme sa longue lance en bois (jusqu’à 3 mètres environ) achevée par une pointe métallique, ainsi qu’une large épée, très solide et souvent décorée. Il possède également des armes défensives : le haubert, longue cotte de mailles ; un grand casque, le heaume ; l’écu, un bouclier. La miniature du XIIe siècle nous fait voir la violence des combats de chevaliers (lances brisées, chevaux morts, hommes ensanglantés). Le coût de cet équipement explique que la chevalerie est un ordre qui devient rapidement fermé. Les gentilshommes pauvres restent écuyers toute leur vie, ce qui explique qu'il y ait deux sortes d'écuyers : ceux qui sont dans un état transitoire avant de devenir chevaliers et les plus pauvres qui le restent toute leur vie. La fonction militaire L’armement et les méthodes de combat spécifiques de la chevalerie en font un corps de combattants d’élite, la « reine des batailles ». Il convient pourtant de relativiser son rôle réel dans la guerre médiévale. Sa prépondérance est probablement moins absolue dans les faits que dans les récits historiques ou littéraires. Plusieurs faits inclinent à cette conclusion. Les opérations militaires médiévales consistent moins en charges de cavalerie qu’en sièges ou assauts de forteresses. Les acteurs principaux sont les archers, arbalétriers, piétons, sapeurs et ingénieurs. L’artillerie, au XVe siècle, accroît encore l’importance de ces spécialistes. Jusqu’au XIIIe siècle au moins, les grandes batailles rangées, où règnent les chevaliers, sont rares : les princes répugnent à risquer toutes leurs forces dans de tels affrontements massifs. D’ailleurs, même dans ces « batailles champel », l’archerie prépare la charge, l’infanterie tient les lignes et parachève la victoire. C’est pour avoir négligé ou méprisé leur apport que la chevalerie française fut souvent mise à mal à la fin du Moyen Âge, par exemple à Crécy (1346) ou à Azincourt (1415). Tout au long du Moyen Âge, les chevaliers ont parfois mis pied à terre pour combattre parmi les fantassins. C’est le cas à Bourgthéroulde (1124), Lincoln (1141), Crécy (1346), Poitiers (1356), etc. Ils participent surtout à des opérations de razzia, à des chevauchées destinées à piller un territoire, à secourir une place assiégée ou à tenter une sortie. C’est là, surtout, que la rapidité et la puissance de leurs interventions sont irremplaçables. Il ne faut donc pas surestimer leur part dans la guerre, même si leur prestige était immense.

loin de chez lui, dans les armées normandes du duc Robert Guiscard au début de la conquête normande de l’Italie du Sud), son mariage à l’initiative de son père, l’importance de la préparation de sa succession à la tête de la seigneurie qui revient au fils aîné (les autres vont chercher fortune ailleurs), la retraite au monastère, avec l’accord de sa femme, à la fin de sa vie et sa mort sereine sous l’habit monastique. Ce petit noble normand incarne chez Ordéric l’idéal du chevalier chrétien, valeureux au combat, respectueux de ses parents et de l’Église, chaste dans la vie conjugale. Ce texte développe les qualités qu’un bon chevalier doit posséder, tant sur le plan physique qu’au niveau du comportement quotidien et religieux. On le présente déjà comme un soldat vaillant et fidèle. Soucieux de préserver l’histoire de ses ancêtres pour mieux les célébrer, il se montre réfléchi et surtout d’une moralité exemplaire. Dans la société féodale, le chevalier est présenté comme un modèle de perfection, garant d’un ordre social immuable. Il lui apparaît comme indispensable de se mettre sous la protection de l’Église. La vie de Guillaume (1145-1219), chevalier anglais, maréchal d’Angleterre, comte de Pembroke, seigneur des marches de Gillis et d’Irlande, nous est connue grâce à une chanson écrite peu après Bouvines (la Chanson de Guillaume le Maréchal). Guillaume a servi fidèlement les Plantagenêts et combattu Philippe Auguste. Cet écrit témoigne de la vulgarisation rapide d’une littérature d’éloge profane, puisqu’il fut composé – grâce aux souvenirs de son suivant d’armes – en l’honneur d’un héros de la guerre chevaleresque mais seigneur de moyenne grandeur. Toute l’éducation du futur chevalier est une préparation au combat. Il est d’abord page puis écuyer (« Guillaume fut écuyer (…) huit ans entiers »), chez un parent ou un seigneur ami de la famille. Ayant achevé son éducation militaire, le jeune homme est fait chevalier (« Là fut fait chevalier Guillaume le Maréchal ») par le rite de la remise des armes, l’adoubement (« Le chambellan lui ceignit l’épée »). L’épée, qui est l’arme du chevalier par excellence, prend sa part dans la cérémonie de l’adoubement. La violence des combats de chevaliers se retrouve dans l’extrait de L’Histoire de Guillaume le Maréchal nous présentant une chevauchée. On peut relever le vocabulaire explicite utilisé dans le texte : « tout ravager », « ils brûlèrent tout le pays », « détruire sa terre », « chevaliers abattus et pris », « le roi d’Angleterre détruisit (…) tout ce qu’il put atteindre », « ravageant les environs ». La chevauchée complète une autre forme du service militaire dû par le vassal à son

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Ainsi, certaines batailles furent perdues par leur faute, dans un excessif souci de prouesse, préférant l’exploit, personnel ou collectif, à l’efficacité d’ensemble des armées (Mansourah ou Crécy par exemple). Rares furent les cas où ils parvinrent à triompher seuls, sans l’appoint des piétons et des archers. Le conservatisme dans les méthodes de combat et la fidélité à l’idéal de prouesse leur fit retarder la nécessaire adaptation au monde moderne, marqué par l’apparition des armées de mercenaires, la prépondérance de l’infanterie et le rôle croissant de l’artillerie (au XVIe siècle). Mais il ne faut pas, à l’inverse, lui imputer tous les déboires des armées. Car si, tout au long du Moyen Âge, aucune bataille ne fut remportée par la chevalerie seule, aucune ne fut non plus remportée sans elle. Le perfectionnement des armes défensives des chevaliers et le renforcement de leur caractère élitiste accentuent la dimension ludique de la guerre, et en réduisent les risques par l’adoption de règles déontologiques. Elles constituent les fondements des futures « lois de la guerre » qui s’élaborent entre le XIIe et le XVe siècle. Ainsi en est-il du traitement des vaincus. Dans les charges, malgré leurs armures, les chevaliers risquaient bel et bien leur vie, vulnérables à la lance du chevalier, à la dague et aux armes d’hast (armes munies de hampes) du piéton ou au carreau de l’arbalétrier. Après assaut ou réduction par la famine d’une place forte, ils pouvaient d’être passés au fil de l’épée pour avoir refusé la reddition honorable. Pourtant, peu à peu, le sort des vaincus s’améliore. Dès le XIIe siècle, on ne pratique plus guère l’extermination des populations vaincues ou leur réduction en esclavage, sauf aux marges de l’Occident chrétien. Au cours du siècle, l’usage s’impose de ne pas tuer les chevaliers vaincus. On préfère les mettre en prison et les libérer contre rançon. Cette pratique diminue le nombre des morts, améliore le sort des captifs qu’il faut maintenir en bon état, mais accroît les occasions de conflits : la guerre devient une activité rentable. Le montant de la rançon dépend, bien sûr, du rang social du captif. Elle peut atteindre des sommes colossales pour des rois ou des grands princes (100 000 marcs d’argent pour Richard Cœur de Lion en 1194), mais se réduit à quelques livres pour les petits chevaliers. Les effectifs de la chevalerie, surévalués par les chroniqueurs, donnent lieu à débats entre historiens. Aux XIe et XIIe siècles, on peut accepter une proportion d’un chevalier pour 7 à 12 piétons. La chevalerie constitue donc une élite très minoritaire dans les armées médiévales, ce qui n’entame nullement sa prééminence réelle et surtout admise. Les sergents à cheval, plus rarement les écuyers, combattent également montés. Tous les autres guerriers sont des fantassins. La hiérarchie est reflétée par le montant des soldes : vers 1200, un sergent à cheval touche deux fois plus qu’un piéton, un chevalier quatre fois plus. Même hiérarchie dans le partage du butin : jusqu’au XIVe siècle, la part du chevalier est le double de celle d’un sergent à cheval, le quadruple de celle d’un piéton. Les vainqueurs prennent possession de l’équipement du vaincu, auquel s’ajoutent la rançon et le pillage. Une scène d’hommage vassalique. Le texte de Galbert de Bruges retrace de manière vivante chacun des moments de cette cérémonie : l’engagement d’homme à homme, le serment de fidélité et l’investiture. Des miniatures (Heidelberg, XIVe siècle…) décrivent ce rituel fondamental de la société féodale. L’hommage se déroule en plusieurs étapes, fixées aux Xe et XIe siècles. Le vassal, tête nue et sans arme, s’agenouille devant aux pieds de celui qui deviendra son « maître » (dominus). Il place ses deux mains jointes entre les mains de celui-ci («ses mains étant jointes dans celles du comte qui les étreignit »). Le seigneur le relève, lui donne un « baiser de paix » sur les lèvres en lui donnant l’accolade, geste rétablissant des rapports d’égalité entre les contractants. Puis le vassal prête serment de fidélité, d’abord sous forme d’une promesse, puis sur la Bible ou sur des reliques d’un saint, ce qui confère un caractère sacré au serment. Il prend donc Dieu à témoin en se reconnaissant « l’homme » de son seigneur (aveu). Par ce geste, il « engage sa foi » et manifeste son allégeance envers le pouvoir supérieur du suzerain sous la protection duquel il se place. C’est alors que le seigneur, lui plaçant dans la main un objet symbolique (par exemple des épis de blé qui symbolisent la terre reçue en fief, un gant, un bâton ou une lance), l’investit de son fief (« le comte lui donna les investitures ») et l’accepte comme « garçon de service » (vassus). L’hommage est un lien d’homme à homme qui implique de la part du vassal plusieurs obligations d’ordre politique et domestique, ainsi que des obligations dites féodales ou « réelles ». Il reçoit un fief en échange de sa fidélité. À partir du XIe siècle en France, il est exceptionnel que le vassal ne soit pas le feudataire de son seigneur. Le seigneur attend de son vassal un dévouement total. La société féodale repose

seigneur, l’ost. Or, si elle est un service de guerre en principe plus bref (deux jours par exemple), elle peut prendre la forme non seulement d’une patrouille ou d’une opération de police, mais également d’une expédition punitive ou d’une opération de pillage sur un territoire voisin. Les principaux ennemis sont ici les Français. Les Anglais sont plus ordonnés et obtiennent donc la victoire. Ils détruisent, pillent les terres, les villages de France. Il ne faut y voir là aucune brutalité anormale ou extraordinaire et les Anglais sont légitimés par l’auteur du texte. Après l’adoubement et avant de prendre la direction de la seigneurie familiale à la suite de leur père, les jeunes chevaliers se mesurent dans des tournois, type d’affrontement en vogue au XIIe siècle dans l’Occident chrétien. Le tournoi est la forme idéale d’entraînement à la guerre. À l’époque de Guillaume le Maréchal, le tournoi n’est pas un duel – ce qu’il va devenir au XIVe siècle – mais une cohue, dans laquelle des équipes (régionales ou nationales), ayant chacune leurs couleurs et leur capitaine, s’affrontent. La lance permet de désarçonner l’adversaire et le combat se termine souvent à l’épée. Le vainqueur reçoit un prix (couronne), l’admiration des spectateurs et plus particulièrement de la dame dont il a défendu les couleurs. Mais au-delà de la gloire, les jeunes chevaliers recherchent l’argent. Les tournois sont en effet des sources de revenus appréciables (confiscation des armes, des chevaux, voire rançon versée par le vaincu) ; ils apparaissent comme le seul lieu où les chevaliers peuvent s’enrichir aussi vite que les marchands et, pour cela, intéressent particulièrement les cadets de famille noble sans fortune. Guillaume le Maréchal a été un « champion » en matière de tournois. Le tournoi décrit est une véritable bataille (ici, le combat se poursuit jusque dans les rues de villages) où s’affrontent des troupes entières, et qui se solde par des morts et des blessés. Face à cette situation, et sur l’entremise de l’influence religieuse, le tournoi devient de plus en plus un divertissement, voire un spectacle mettant aux prises quelques combattants en présence d’un prince et de sa cour. Les tournois La pratique de la charge exige force et habileté individuelles, cohésion et discipline collectives. Tout cela ne peut s’acquérir que par un entraînement assidu. Ni les exercices physiques, ni les jeux d’escrime, ni la quintaine ne remplacent sur ce plan le tournoi, dont on connaît mal les origines. Sa faveur ne cesse de croître dès son apparition, dans la seconde moitié du XIe siècle, jusqu’à la fin du Moyen Âge. Il est particulièrement prisé des jeunes, turbulents et instables,

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donc sur des relations de fidélité personnelles entre les seigneurs. L’hommage crée en réalité une « parenté supplémentaire » (M. Bloch). Les chevaliers créent un climat d’insécurité dans les campagnes occidentales des IX-XIe siècle. Les Moralia in Job font partie des textes les plus fréquemment copiés dans les scriptoria monastiques. Oeuvre de Grégoire le Grand au VIe siècle, cet ouvrage est un commentaire du livre de Job. Les enluminures illustrent souvent une scène de razzia, inspirée par Satan mais opérée par un seigneur et ses gens d’armes. Après une période d’instabilité liée principalement aux diverses invasions qui ont touché l’Occident chrétien durant les IXe et Xe siècles, l’Église tente de restreindre la violence de l’époque. Dans un premier temps, le concile de Charroux en 989 vise à limiter les vengeances et les guerres privées ; de plus, l’Église soustrait certaines catégories sociales (enfants, femmes, pèlerins inermes, clercs, paysans et marchands) aux violences de ces guerres. Les guerriers contrevenant à la « paix » encouraient l’excommunication. L’Église a donc d’abord tenté de rappeler à l’ordre la noblesse en condamnant sa violence lors de plusieurs conciles. Ces efforts restant vains, les évêques prennent alors l’initiative de réunir des assemblées de paix : les participants s’engagent, face à Dieu, à respecter tout une série d’interdits et à observer une paix inviolable. Le « serment de paix » imposé par l’Église a pour but de canaliser la violence aristocratique et d’y mettre fin (pour sept ans, selon les termes du serment). Ces « pactes de paix » concernent d’abord la grande noblesse, puis s’étendent aux chevaliers et sont un moyen, pour l’Église, de canaliser la violence aristocratique tout en réaffirmant avec force son autorité sur le monde laïc. Ce mouvement est complété, au concile d’Arles (1037-1041) puis de Narbonne (1054) par la mise en place de la « Trêve de Dieu », qui impose aux chevaliers de ne pas combattre lors des grandes fêtes chrétiennes (Avent, Carême, Noël, temps pascal, etc.) ni certains jours de la semaine (du samedi, puis du mercredi soir au lundi matin). Raoul Glaber dans sa description souligne à juste titre les principaux caractères de l’évènement : l’action conjointe des évêques, des abbés, des princes, l’existence d’une liste d’interdits, de condamnations (à mort, d’excommunication, d’exil) et de promesses positives jurées par les participants. Ceci témoigne de l’influence croissante du christianisme dans la société. Les assemblées paroissiales jugent, en présence d’autorités ecclésiastiques qui disposent de moyens coercitifs, les contrevenants à la trêve. La volonté pacificatrice de l’Église catholique rencontre aussi l’intérêt bien senti des chanoines par exemple, qui en échange du pardon obtiennent un alleu, permettant ainsi d’agrandir leurs domaines. L’Église parvient à diffuser ses valeurs dans la société violente de la féodalité. Le site médiéval de Charavines, en Isère, sur les bords du lac de Paladru, est occupé au début du XIe siècle puis abandonné. Il a été protégé par les eaux du lac qui l’ont recouvert et les archéologues y ont fait des découvertes importantes. Occupé par des familles de « chevaliers paysans », il nous laisse les vestiges de maisons d’un village de cette époque. Les matériaux nécessaires à cette maison : le toit est fait de chaume, les murs sont faits de clayonnages recouverts de terre séchée, la palissade est en bois ainsi que la charpente de la maison. Celle-ci était sans doute construite par le paysan et sa famille, ses voisins (même si l’élévation des lourdes poutres de la charpente devait nécessiter un système de poulies) et non par des artisans spécialisés. II. Des gentilshommes dotés d’un idéal chrétien Dès le milieu du XIIIe siècle, on ne peut plus guère y entrer que par naissance ou décision royale d’anoblissement. La « noble corporation des guerriers d’élite à cheval » se mue ainsi en « corporation élitiste des guerriers nobles ». Après 1300, cette dimension sociale et honorifique s’accentue alors même que son rôle militaire tend à diminuer sur le champ de bataille. Elle traduit un rang social élevé, un honneur suréminent, une décoration que tous les nobles n’atteignent pas. Certains historiens estiment que la chevalerie se réfugie dans un monde imaginaire, celui de l’idéologie, où elle joue les premiers rôles. À la fin du Moyen Âge, le mot chevalier en vient à désigner un grade nobiliaire sans cesser de s’appliquer à l’exercice au moins théorique d’une fonction armée. Les aspects culturels et idéologiques l’ont emporté sur les aspects fonctionnels. Les ordres laïcs de chevalerie accentuent encore ces aspects honorifiques et y ajoutent des dimensions diplomatiques. La chevalerie, pendant ce temps, devient une institution, un modèle culturel se nourrissant de ses propres valeurs exaltées

cadets de famille ou pauvres chevaliers, en quête d’aventures, de bonnes fortunes ou simplement de subsistance. Les rois et les princes y prennent également part, à la tête de véritables équipes de tournoyeurs professionnels, dont les meilleurs (tel le fameux Guillaume le Maréchal, au XIIe siècle) peuvent parfois se hisser, par leur prouesse, à un rang social très élevé, généralement par le biais d’un riche mariage. Les tournois présentent quatre traits principaux qui expliquent leur succès : un aspect utilitaire d’entraînement aux combats de la guerre ; une dimension ludique qui en fait un jeu mais aussi un sport de professionnels dont le but est de vaincre pour la gloire et le gain ; un enjeu socio-économique : les chevaliers sans fortune y cherchent l’occasion de capturer un adversaire pour en tirer rançon, s’emparer du même coup de son équipement fort coûteux, se faire remarquer et embaucher par les princes, ou même – qui sait ? – séduire une riche héritière ; un caractère festif, qui en fait un spectacle rassemblant des foules considérables. Ces quatre éléments cristallisent des valeurs exaltées par les romans courtois et arthuriens, dans lesquels les tournois occupent une place de choix. Occasion, pour les meilleurs, d’obtenir prix de vaillance, louanges, renommée, admiration et faveurs des dames. Les plus réputés peuvent dans une certaine mesure être comparés, à notre époque, aux vedettes de la chanson, du cinéma ou du sport ! Le tournoi-mêlée domine jusqu’à la fin du XIIe siècle. C’est une guerre véritable, mais codifiée, opposant deux camps parfois inégaux, constitués par affinité. Le terrain d’affrontement est un espace ouvert à proximité d’une ville : il comprend village, champs et bosquets propices aux embuscades. Les charges y sont massives et collectives comme à la guerre. Mais le but n’est pas de tuer, seulement de vaincre et de capturer l’adversaire. S’il y a parfois des morts et souvent des blessés, c’est toujours par accident. L’aspect collectif de l’engagement n’exclut pas la prouesse individuelle : les participants élisent le meilleur d’entre eux. Le tournoi constitue ainsi un creuset social, développant le compagnonnage et assurant la cohésion sociale, unissant princes et chevaliers dans une mentalité corporatiste et élitiste, dans un type de comportement empreint d’un réel complexe de supériorité. La littérature courtoise s’empare de ce thème, glorifie l’exploit individuel, exalte l’amour « courtois » qu’il fait naître chez les dames, accroissant à son tour la valeur du chevalier. Le tournoi prend alors des aspects plus mondains. Pour les rendre moins meurtriers, on emploie parfois, au XIVe siècle, des lances dites « à plaisance », dont

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par la littérature qui, à son tour, influence les mentalités et contribue à la formation de l’idéologie chevaleresque, élément culturel majeur de la société médiévale. Au cours du XIIe siècle, la morale particulière de la chevalerie, qui s’exprime dans les oeuvres de la littérature médiévale en langue vulgaire, s’est imposée à l’ensemble de l’aristocratie européenne. À la base de cette morale se situent la vaillance et la loyauté ; à ces deux vertus majeures s’ajoutent la largesse, c’est-à-dire le mépris du profit, et la courtoisie. L’idéal chevaleresque est le reflet de cette société du XIe siècle, voire du début du XIIe siècle, où les guerres privées ravagent encore certaines contrées de l’Occident, malgré l’existence d’institutions de paix. L’entrée en chevalerie Dans les annales et les chroniques antérieures au XIe siècle, les plus anciennes mentions de remise des armes, en particulier de l’épée, concernent des empereurs, des rois, puis des princes au moment où ils atteignent l’âge des responsabilités. Il ne s’agit pas ici d’adoubement, mais d’une sorte de cérémonie d’investiture ou d’intronisation liée au sens symbolique de l’épée, signe d’exercice des pouvoirs de justice, de police et de coercition armée. Les bénédictions sur l’épée prononcées dans ces cérémonies de couronnement seront par la suite (à partir du XIe siècle) réutilisées pour les guerriers partant en campagne, puis plus tard pour les adoubements, faisant ainsi glisser sur la chevalerie de nombreux traits de l’éthique royale. On ne connaît pas de rituel d’adoubement de chevaliers « ordinaires » avant le milieu du XIIe siècle. Il se confond sans doute avec la simple remise des armes comme « outils de travail », marquant leur entrée, par recrutement seigneurial, dans l’exercice légitime de leur profession. Celle-ci implique pour eux les devoirs ordinaires des soldats : obéir à leur patron-seigneur et le servir par les armes. S’il s’agit, en revanche, d’un châtelain ou d’un grand seigneur, l’entrée dans la carrière s’insère dans un ensemble bien plus vaste de fonctions, de services et de rapports de pouvoir que nous traduisons généralement par le terme générique de « féodalité ». Tous impliquent l’action guerrière, mais ils la dépassent singulièrement. En d’autres termes, par la remise des armes, le guerrier est admis à agir dans le cadre des fonctions qui lui incombent compte tenu de son rang. Il s’agit donc d’un acte déclaratif public d’ordre professionnel, et non d’une promotion sociale ou honorifique. Contrairement à ce que l’on a longtemps cru, la chevalerie, aux XIe et XIIe siècles, n’est pas une confrérie égalitaire dans laquelle on entre par un adoubement promotionnel qui serait une collation d’un titre ou d’un grade. C’est une corporation inégalitaire, avec ses patrons et maîtres (les princes et sires recruteurs) ; ses compagnons (les chevaliers de base) ; ses apprentis (les juvenes, bachelers, écuyers, valets, servant « pour armes » dans l’entourage des sires) ; ses saints patrons (Georges, Démétrius, Mercure, etc.) ; ses outils spécifiques, armes défensives (heaume, haubert, écu) et offensives (épée, lance) ; son rituel d’entrée (l’adoubement, à la fois rite initiatique et de passage faisant d’un jeune un adulte, et d’un civil un guerrier). Cette corporation, on l’a dit, demeure ouverte jusqu’à la fin du XIe siècle. Mais avant cette date, contrairement à ce que l’on a longtemps répété après Marc Bloch, la chevalerie ne confère nullement la noblesse. Grâce à ses qualités physiques, à son courage et à ses aptitudes au combat, le nouveau chevalier de base entre cependant en contact avec la société aristocratique qu’il sert. S’il défend bien son seigneur, il peut espérer recevoir un bénéfice, une terre, voire une noble épouse (il ne deviendra pas noble pour autant, mais ses descendants le seront car la noblesse se transmet par la mère). Cet espoir d’ascension sociale, si largement présent dans la littérature du XIIe siècle, disparaît peu à peu lorsque la noblesse réserve la chevalerie à ses fils et la transforme en caste, exigeant, pour l’adoubement d’un jeune, la preuve que quatre de ses ancêtres au moins furent eux-mêmes nobles et chevaliers. Cette fermeture ouvre une crise profonde dans la société médiévale en durcissant les clivages et les exclusions. Les meilleures descriptions d’adoubement chevaleresque nous sont fournies par les textes du XIIe siècle. La plupart des éléments connus par la suite y figurent déjà, et ces descriptions, destinées à plaire au public des cours seigneuriales, ont l’avantage de mettre l’accent sur ce qui lui importait le plus. Les aspects religieux révélés par la liturgie, que l’on pourrait croire essentiels, y figurent peu, voire pas du tout. Certes, les armes ont pu préalablement faire l’objet d’une bénédiction. On sait que l’épée, au moins dans certains cas, avait été auparavant déposée sur

la pointe est remplacée par une couronne crantée. La joute individuelle, à l’intérieur des lices (aspect tardif), souvent au cœur des villes, devant tribunes, prend alors le pas sur le tournoi-mêlée. Au XVe siècle, des barrières séparent les combattants, et les cuirasses de joute, renforcées côté gauche, peuvent dépasser 50 kg. Le rôle des dames, dont les champions portent les couleurs, s’amplifie. Elles leur distribuent parfois le prix selon le verdict des hérauts d’armes, spécialistes de l’héraldique, devenus indispensables depuis que les chevaliers en armures ne peuvent plus être distingués que par leurs armoiries. Le tournoi, à la fois sport, entraînement et fête, traduit mieux que la guerre la mentalité et les valeurs chevaleresques. Il permet d’affermir les règles, coutumes et mœurs transposées dans la guerre elle-même. La bataille d’Azincourt (25 octobre 1415) Elle est l’illustration funeste de la dérive d’une chevalerie française fort éloignée de ses fonctions premières et n’en ayant conservé que les traits idéologiques caricaturaux. Malgré leur supériorité numérique, les Français furent sévèrement battus et massivement exterminés pour plusieurs raisons : une hypertrophie de l’avant-garde, due au fait que tous souhaitaient se réserver la gloire d’une victoire prévisible ; le choix de faire combattre à pied la quasi-totalité de la chevalerie, à l’exception des ailes ; des chevaliers trop lourdement armés du « blanc harnois », qui furent vite épuisés par une marche sur un sol détrempé. Par ailleurs, on peut incriminer l’option de ne pas préparer l’attaque par un tir nourri des arbalétriers, relégués au second plan. Enfin, il faut noter l’efficacité très supérieure des archers anglais polyvalents, qui tuèrent les chevaux de la cavalerie de secours, achevant ou capturant les chevaliers blessés. Par ses origines, sa formation, ses qualités, ses exploits et son destin hors du commun, Richard Cœur de Lion représente, dès le Moyen Âge, l’archétype du chevalier. Richard Cœur de Lion (1157-1199) est le fils cadet d’Henri II Plantagenêt et d’Aliénor, duchesse d’Aquitaine et ex-reine de France. Face aux rois de France se réclamant de Charlemagne, la dynastie Plantagenêt met l’accent sur la dimension chevaleresque d’Arthur, dont elle se dit héritière. Aucune cour n’a d’ailleurs mieux glorifié la chevalerie et exalté ses vertus. La jeunesse d’un fier combattant Le jeune Richard apprend très tôt l’art de la guerre dans les opérations de « pacification » menées contre les barons d’Aquitaine, jaloux de leur indépendance et rebelles à l’autorité du roi. Dans ces combats répétés, il acquiert

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l’autel pour y être bénite ; les auteurs ecclésiastiques en déduisent que, ayant « pris leur épée de l’autel », les chevaliers devraient par-là même se sentir des devoirs envers l’Église ; il est très probable que cette perception demeure un vœu pieux. Ces aspects religieux et liturgiques n’ont guère retenu l’attention des épopées. L’adoubement y reste foncièrement laïc. Il reste aussi ouvert : les textes signalent des personnages qui ne sont manifestement pas nobles mais qui, par leur courage au combat et leur fidélité, sont « adoubés ». Dans ce cas, la cérémonie est des plus sobres : on leur remet seulement des armes. Elle prend par la suite des traits fastueux (et coûteux) lorsqu’elle devient purement nobiliaire. Mais au XIIIe siècle, l’Église a marqué de son empreinte la noblesse (cf. la cérémonie de l’hommage), mais aussi la chevalerie, comme le montre la cérémonie de l’adoubement : rite de passage de l’adolescence à l’âge adulte initialement profane, cette cérémonie a pris progressivement un caractère plus religieux – après une veillée de prières dans la chapelle ou l’église, le chevalier reçoit heaume, haubert, écu et bannière, puis son épée, bénie auparavant par un prêtre et les étriers, éperons et le destrier (cheval de guerre, à différencier du palefroi, le cheval qui ne sert qu’à se déplacer). L’adoubeur ou parrain lui donne alors un coup du plat de la main sur la nuque, appelé paumée ou collée. Puis le chevalier monte à cheval et s’en va frapper de sa lance un mannequin : c’est la quintaine. La vaillance guerrière a été dès lors réorientée au service des pauvres, de la défense de la paix en Occident et des croisades en Orient, donc des justes causes. La chevalerie devient une mission et l’on y entre désormais comme chevalier du Christ. Une chanson de geste du XIIe siècle, écrite par Raoul de Cambrai, décrit l’adoubement. L’idéal chevaleresque fait de chaque chevalier un personnage hors du commun. Ici, le heaume donné à Raoul est celui de Roland, le neveu de Charlemagne. Son épée a demandé sept ans du travail d’un forgeron. Son cheval est le « plus rapide sous le ciel ». Église et chevalerie Au fil du temps, l’adoubement prend aussi une teinte sacramentelle. Avant le Xe siècle, l’Église ne s’intéresse guère aux milites, guerriers subalternes des châtelains. Elle en perçoit la menace à propos des conflits entre seigneuries voisines, dans lesquels elle est elle-même impliquée. Dans les assemblées de paix (Paix de Dieu), l’Église menace d’excommunication les guerriers qui se livrent au brigandage et surtout ceux qui lui portent atteinte. La remise des armes, en revanche, retient toute son attention, car il s’agit alors de personnages qui détiennent le pouvoir de la société seigneuriale, et dont elle a tout à attendre ou à craindre. Les rituels du sacre royal en témoignent ; ils sont lourdement chargés de déclarations éthiques demandant à Dieu qu’il aide le roi dans les divers aspects de sa mission : bonne justice, fidélité à la foi, protection des églises, défense de ses intérêts, assistance aux pauvres et aux faibles. L’empereur est d’abord le défenseur attitré. Mais l’éclatement politique et la multiplication des conflits qui accompagnent le déclin du pouvoir central et l’essor des principautés (vers l’an mil), obligent à trouver d’autres défenseurs. Au XIe siècle, l’Église de Rome recrute ainsi des « soldats de Saint-Pierre » (milites sancti Petri), guerriers mercenaires. Les riches monastères ou les églises sont menacés par les Normands, Hongrois et Sarrasins (jusqu’au XIe siècle au moins), mais aussi par les seigneurs du voisinage contestant, à tort ou à raison, les donations faites par leurs ancêtres, ou désireux d’imposer les taxes, redevances et « coutumes ». Pour se défendre (le port des armes étant interdit aux clercs et aux moines), ces établissements doivent recruter. Certains rémunèrent directement des guerriers, les milites ecclesiæ ; d’autres, plus nombreux encore, confient à un seigneur laïc la charge lucrative de leur protection armée (advocati ou defensores ecclesiæ). C’est pour eux que l’Église, s’inspirant des bénédictions du sacre royal, compose des rituels d’investiture, longtemps considérés, à tort, comme des rituels d’adoubement. Leur fonction de défenseurs des églises permettait aisément de valoriser et même de sacraliser leur combat sous les bannières du saint patron. Très riches en bénédictions, ces rituels rappellent la dignité et les devoirs de la mission. À partir du XIIe siècle, certains de leurs éléments ont été réutilisés pour des adoubements de chevaliers ordinaires. La prédication de la croisade par Urbain II en 1095, peut être considérée comme une tentative de la papauté de prendre le commandement d’une nouvelle chevalerie, qui se mettrait désormais à son service dans le contexte de la lutte pour le dominium mundi initiée par la réforme grégorienne. L’échec de cette tentative conduit à la formation des ordres religieux militaires, à commencer par celui des Templiers en 1119, ces moines-croisés pour lesquels

sa réputation de guerrier et son surnom de « Cœur de Lion ». Richard, au lendemain d’une grave maladie du souverain Henri II, reçoit l’Aquitaine. Il semble d’abord devancé par son frère aîné (Henri le Jeune), couronné roi d’Angleterre en 1170. Mais leur père se rétablit et n’entend pas se laisser dépouiller de son autorité. Il garde entre ses mains la totalité des pouvoirs dans tout son « empire Plantagenêt », ne laissant à ses fils Henri, Richard, Geoffroy et Jean que des titres vides de sens et des moyens financiers très réduits. Cette condition de dépendance humiliante devenant vite insupportable, les quatre frères se révoltent, soutenus par leur mère. Vaincus en 1174, ils doivent se soumettre, tandis qu’Aliénor est maintenue captive en Angleterre jusqu’à la mort de son mari en 1189. Pour occuper ses fils domptés pour un temps, Henri II envoie Richard guerroyer en Aquitaine, afin de mater des révoltes seigneuriales ; il confie son aîné Henri le Jeune à son homme de confiance, Guillaume le Maréchal, tenu pour le meilleur chevalier du monde. Henri participe à de nombreux tournois, est instruit, dirigé et parfois sauvé par son mentor. Il y gagne une solide réputation de chevalier tournoyeur, qu’il conservera jusqu’à sa mort, survenue à Martel en 1183. L’Histoire de Guillaume le Maréchal brosse de lui cet éloge funèbre : « À Martel, mourut, ce me semble, celui qui unit en lui, ensemble, toute la courtoisie et la prouesse, la débonnaireté et la largesse ». Ces vertus chevaleresques que l’on reconnaît à Henri le Jeune sont par la suite illustrées par son cadet Richard, devenu roi en 1189. Il personnifie l’image parfaite du « roi-chevalier ». Le trouvère Ambroise justifie son récit par la nécessité de publier les vertus chevaleresques du roi : « Il convient que soit racontées la courtoisie et la prouesse qu’il fit alors, et sa largesse ».). L’incarnation de la chevalerie Selon Raoul de Houdenc, qui rédige son Roman des eles de courtoisie quelques années plus tard, Largesse et Courtoisie sont les deux ailes de Prouesse. La courtoisie est une vertu spécifique de la chevalerie : elle consiste, dit-il, à honorer et protéger l’Église, écarter l’orgueil et la vantardise, aimer la joie, les chansons et les dames, se garder de l’envie, ne pas médire et aimer « de cœur ». L’auteur entend donc par « courtoisie » le savoir-vivre d’un chevalier désireux de bien se comporter à la cour. Au sens classique du terme, cette vertu ne semble pourtant pas manifeste chez Richard. Certes, il sait recevoir et se pique de poésie : lors de sa captivité au retour de la croisade, il compose en ancien français une « rotrouenge », chant ou complainte qui nous a été conservée. Il s’entoure de poètes qui sont

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Bernard de Clairvaux rédige son Éloge de la nouvelle chevalerie. L’évolution de l’adoubement La tentative de l’Église d’infuser ses valeurs dans l’idéologie de la chevalerie se traduit par la cléricalisation de l’adoubement, à partir du premier tiers du XIIe siècle. De nombreux auteurs s’efforcent, dans des œuvres didactiques ou poétiques (par exemple L’Ordène de Chevalerie), de donner des divers aspects de cette cérémonie une interprétation allégorique spiritualisante. Tous les rites y prennent alors une signification religieuse, voire mystique. Le bain du chevalier est comparé au baptême ; sa ceinture blanche doit l’écarter de toute luxure ; ses éperons symbolisent le courage et l’ardeur qu’il lui faut avoir pour Dieu ; son épée, la droiture et la loyauté qui doivent le pousser à défendre la religion, le pauvre et le faible. Vers 1230, Lancelot du Lac utilise la même interprétation symbolique pour montrer que le chevalier doit être à la fois le seigneur du peuple et le serviteur de Dieu. L’aspect aristocratique de l’adoubement se renforce au cours du XIIIe siècle. La noblesse étant maintenant acquise par le seul droit de naissance, tous les nobles ne sont plus tenus, comme jadis, de se faire adouber. L’adoubement devient alors une « décoration » supplémentaire interdite aux roturiers. Seule la dispense royale, véritable lettre d’anoblissement, autorise un non-noble à être « fait chevalier ». La plupart des nobles et beaucoup de roturiers pratiquent pourtant le métier des armes et combattent en chevaliers sans en avoir le « titre ». L’adoubement glisse alors de plus en plus vers une signification honorifique et promotionnelle. Aux XIe et XIIe siècles, on adoubait souvent à la veille d’une bataille pour disposer de guerriers à cheval plus nombreux. Aux XIVe et XVe siècles, on le fait plus fréquemment après la bataille, récompensant ainsi par l’octroi d’un titre honorifique les nobles guerriers à cheval. On comprend que la cérémonie soit ici abrégée, réduite à son rite principal, transformant la colée en accolade. L’aspect militaire de l’adoubement, cependant, ne disparaît pas. La corporation s’est seulement aristocratisée, muée en caste élitiste, non seulement sur le plan professionnel mais aussi social. La valeur morale et religieuse de la cérémonie ne s’est pas renforcée pour autant, et l’on peut même considérer la formation des ordres laïcs de chevalerie, à partir du XIVe siècle, comme une tentative de redonner un lustre moral que la chevalerie réelle avait perdu aux yeux de beaucoup. L’idéologie chevaleresque Qu’est-ce que la chevalerie ? Ce concept, on l’a vu, a considérablement évolué au cours des temps. Dans son acception latine antique, militia désigne la force armée au service de l’État romain. Dès le début du Moyen Âge, l’affaiblissement de la notion d’État a conduit à la privatisation de la fonction publique et au renforcement du caractère aristocratique de la fonction militaire. Sous l’Empire carolingien, entre les mains des seigneurs qui la dirigent, la militia prend des connotations sociales qui la rapprochent de la vassalité, de la féodalité, de la noblesse, sans que l’on puisse toutefois la confondre avec aucune de ces notions. Dans le même temps, du ixe au XIe siècle, l’évolution économique et sociale de l’Europe conduit au renforcement de la prééminence du cavalier, qui devient alors le guerrier par excellence. La militia, dans son acception guerrière, se confond avec la cavalerie lourde. Ce caractère élitiste se renforce encore, au cours du XIe siècle, avec l’évolution technique de l’armement offensif et surtout défensif. Certes, il serait naïf de faire naître la chevalerie de la seule méthode de la lance couchée, qui se répand alors ! Les chevaliers ne combattent pas toujours à cheval ni seulement avec la lance. L’adoption de cette méthode par l’élite de la cavalerie est pourtant significative. Elle symbolise ce qui distingue désormais la chevalerie de tous les autres guerriers, fussent-ils à cheval. Elle s’accompagne de la formation progressive d’un comportement commun, ébauche d’un code déontologique fondé sur la notion d’honneur, qui va, dans une certaine mesure, humaniser les « lois de la guerre ». Dans le même temps, l’Église tente de lui donner une mission et une éthique. Ainsi s’ébauchent, du XIe au XIIIe siècle, les traits que nous considérons aujourd’hui comme majeurs et caractéristiques de la chevalerie. Il convient d’en apprécier la portée en examinant, dans la réalité plus que dans la fiction, le comportement des chevaliers durant les guerres. La littérature n’est toutefois pas à négliger. Elle exalte l’aventure, les vertus de prouesse, largesse et courtoisie, et contribue à forger le thème du parfait chevalier, supérieur au clerc, modèle culturel. Il ne sera supplanté, plusieurs siècles plus tard, que par celui d’« honnête homme ». C’est dire la puissance de

parfois des chevaliers vaillants, comme le fameux Bertran de Born, qui ne le ménage pas toujours, le poussant sans cesse à la guerre. Mais son peu d’intérêt pour les femmes (il était plutôt homosexuel) le place en marge du « discours courtois sur l’amour », où la femme est exaltée. La largesse, tenue pour vertu majeure du chevalier (surtout s’il est de haut rang !) est chantée par ceux qui en vivent : dépendants et courtisans, poètes et romanciers. Elle consiste à mépriser l’argent, à le dépenser, le dilapider par des legs à l’Église et des aumônes aux démunis, mais surtout par des dons aux pauvres chevaliers qui, pour survivre, ont besoin de ces libéralités en argent, habits, étoffes, chevaux et armes, et plus encore en entretien direct, par l’embauche. Ces dépenses somptuaires lient celui qui reçoit à celui qui donne et renforcent la solidarité de classe unissant dans un même groupe aristocratique, la chevalerie, ceux qui pratiquent la largesse et ceux qui en vivent. Richard, par goût mais aussi par calcul, sait user de cette vertu qui accroît sa renommée et lui sert de propagande. Ainsi, sitôt débarqué à Acre, il débauche des chevaliers français en leur offrant des salaires très supérieurs à ceux qu’ils recevaient jusqu’alors du roi de France. Il éblouit par ses largesses, et l’on comprend qu’une telle libéralité soit regrettée lors de son départ : « Celui qui aurait été présent lors de son départ aurait vu les gens qui pleuraient tendrement en l’accompagnant, priaient pour lui, et regrettaient sa prouesse, sa valeur et sa libéralité. »). Quant au terme de « prouesse », il désigne tout acte qui valorise son auteur et suscite admiration et envie. Vertu chevaleresque par excellence, elle allie force physique, science du combat, vaillance morale et courage indomptable jusqu’à la témérité, au mépris de la peur toujours présente. Ambroise, parmi d’autres, insiste sur cette vertu de « Richard, le preux roi d’Angleterre, si expert en bataille et en art militaire »). Il en fait preuve dans de nombreuses batailles, en particulier à Arsouf et à Jaffa, qu’il parvient à arracher à Saladin, s’attirant ainsi l’estime de son rival musulman. Saladin admirait en effet la vaillance de Richard, sa grande prouesse et son grand cœur. Peu avant le départ du roi, il invita l’archevêque de Canterbury et lui demanda de comparer ses mérites à ceux de Richard. L’évêque brossa du souverain Plantagenêt ce portrait : «De mon seigneur, je peux bien vous dire que c’est le meilleur chevalier du monde, et le meilleur guerrier, large et plein de qualités ».). La réponse de Saladin traduit son admiration pour les vertus chevaleresques du roi et sa désapprobation devant sa démesure : « Et il

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l’idéologie chevaleresque qui se forge au XIIe siècle. La chevalerie devient alors un mode de vie, une éthique, un modèle social et moral, bientôt un mythe. La constitution d'un idéal chevaleresque doit beaucoup à la diffusion d'une littérature nouvelle en langue vulgaire, en opposition au latin savant. Ainsi, à partir du XIIe siècle, l'écrivain Chrétien de Troyes crée le modèle du parfait chevalier Lancelot ou Perceval à travers ses romans. C'est par ce biais que l'idée de chevalerie s'est alors transmise. Ce ne sont pas les petits chevaliers rapaces et cruels que la postérité a retenus du monde féodal mais une certaine idée de l'honneur, de la bravoure, de champion de la bonne cause. Ainsi, Perceval se donne pour mission de rapporter à la cour du roi Arthur le vase sacré ayant contenu le sang du Christ versé sur la Croix, le Graal. La conduite d'un bon chevalier doit être charitable : ne jamais tuer un adversaire vaincu qui demande grâce, conseiller ceux qui sont dans la détresse. Il doit aussi fréquemment prier. La courtoisie, née dans les cours méridionales, a profondément inspiré l’idéal chevaleresque au XIIIe siècle ; le chevalier doit aimer une femme belle et vertueuse mais inaccessible car mariée (même si le mariage reste office de famille, le mariage chrétien s’impose). C’est pour elle qu’il réalisera les prouesses les plus audacieuses (comme Lancelot pour la reine Guenièvre). L’amour devient le mobile de l’action chevaleresque et les chevaliers transfèrent à la dame élue l’aide et la fidélité dues aux seigneurs. Ainsi, à côté des devoirs envers le seigneur, des devoirs ont été établis envers la femme aimée, que le chevalier prétend séduire par sa vaillance, sa largesse et sa loyauté. Renart le goupil est au contraire est le modèle du chevalier anti-courtois. La « nouvelle chevalerie » du XIIIe s est parfaitement incarnée par saint Louis. III. Des seigneurs puissants Au XIIIe siècle, certains nobles n’ont pu se maintenir dans la noblesse ; en revanche, les chevaliers, de plus en plus souvent détenteurs des attributs du pouvoir, dotent de tours leurs demeures et jugent les paysans. Vers 1280, la distinction a cessé d’être faite entre les nobles et les chevaliers. Dès lors, les chevaliers sont passés devant les nobles non adoubés. À la fin du XIVe siècle, la fusion est totale mais l’entrée dans la noblesse et la chevalerie, « crise oblige », est plus difficile.

lui répondit : Je sais que le roi a beaucoup de vaillance et de hardiesse, mais il se lance si follement au combat ! Tout grand prince que je sois, je préférerais avoir avec mesure largesse et jugement plutôt que hardiesse démesurée. ». À l’efficacité de l’action collective, il semble bien en effet que Richard ait préféré l’exploit individuel procurant gloire et louanges de ses pairs. En cela, son comportement est bien celui d’un chevalier, toujours prêt à sauter le premier sur ses armes et à charger à la tête de ses compagnons, en quête de « chevalerie », d’exploit mémorable accompli dans une charge. Ses conseillers, particulièrement les clercs, lui reprochent en vain cette excessive témérité. Une fin héroïque Ce goût de l’exploit le conduit à s’enthousiasmer pour tout acte guerrier hors du commun. Cela lui coûta la vie en avril 1199 : tandis qu’il assiégeait, à Châlus, un château défendu par quelques soldats, il vit derrière les créneaux un arbalétrier qui, muni d’une poêle à frire, parait les traits qui lui étaient adressés avant de délivrer le sien. Richard s’approcha, mal protégé, et pour applaudir à cet exploit. Un carreau d’arbalète l’atteignit entre le cou et l’épaule. Il en mourut huit jours plus tard, dans les bras de sa mère Aliénor. Gaucelm Faidit, troubadour contemporain de Richard, composa peu après une complainte sur la disparition de ce modèle de chevalerie : « Mort est le Roi, et mille ans ont passé depuis qu’il y eut et qu’on vit un homme aussi preux, et il n’y aura jamais homme pareil à lui, si libéral, si puissant, si hardi, si prodigue, et je crois qu’Alexandre, le roi qui vainquit Darius, ne donna ni ne dépensa pas autant que lui ; et jamais Charlemagne ni Arthur n’eurent plus de valeur ; car, pour dire la vérité, il sut de par le monde se faire craindre des uns et aimer des autres. ».

Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :

Evaluation cohérente en fonction des objectifs :

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HMA – Venise et Bruges au Moyen Age

Approche scientifique Approche didactique

Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) :

Insertion dans les programmes (avant, après) :

Sources et muséographie : Grande exposition présentée par l'Institut du monde arabe sur Venise et la mer (octobre 2006-avril 2007). Ouvrages généraux : Philippe BRAUNSTEIN, Robert DELORT, Venise, portrait historique d'une cité, Le Seuil, (1971) 1988. Frederic C. Lane, Venise, une République maritime, John Hopkins University Press, 1973, Flammarion, 1985 Jean-Claude Hocquet, Venise au Moyen Age (Les Belles Lettres, 2003) Jean-Claude Hocquet, Venise et la mer : XII°-XVIII° s (Fayard, 2006) Elisabeth Crouzet-Pavan, Venise, une invention de la ville (XIIIe-XVe siècle), coll. « Époques », Champvallon, 1997 Elisabeth Crouzet-Pavan, Venise triomphante, les horizons d'un mythe, Albin Michel, 1999. Réed. poche, Albin Michel, coll. « Bibliothèque de l'évolution de l'humanité », 2004 René Burlet et André Zysberg, Venise : la Sérénissime et la mer, Gallimard, coll. « Découvertes », n° 396, 2000. S. Roux, Le Monde des villes au Moyen Âge, XIe-XVe siècles, Hachette supérieur, 1994. J. Heers, La Ville au Moyen Âge, Fayard, Paris, 1990. Documentation Photographique et diapos : Jean-Claude Hocquet, Venise et Bruges au Moyen Âge, Dossier de la Documentation photographique, n° 8011, Paris, 1999. (spécialiste du sel et de Venise à l'époque médiévale). « L’homme et la ville au Moyen Âge », Documentation photographique, n° 6061, 1982. « Marchands et métiers au Moyen Âge », Documentation photographique, n° 6009, 1974. « Vivre au Moyen Age », Documentation photographique, n° 6050 Revues : « Venise invente le capitalisme », L’Histoire, n° 239, janvier 200, p. 41. « Venise la magnifique », L’Histoire, n° 208, mars 1997. J. Boutier, «Venise un empire sur la mer», L’Histoire, n° 106, Paris, décembre 1987, p. 28-37. Vivre dans une ville au Moyen Âge, TDC, N° 734, du 15 au 30 avril 1997 Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Dès la fin du Xe siècle, on constate un renouveau urbain. C’est l’essor de l’agriculture qui provoque un trop-plein d’hommes à employer et un surplus de marchandises à échanger. Des marchés apparaissent au voisinage des châteaux, des abbayes, nouveaux centres du pouvoir. La ville liée à l’origine au monde rural développe rapidement des activités et une société spécifiques. Beaucoup d’habitants acquièrent un certain degré de liberté par rapport au seigneur qui leur accorde des chartes de franchises. Un corps politique urbain se constitue, en marge de la féodalité. L’expansion du grand commerce vient nourrir la croissance urbaine. Elle se fait à partir des ports flamands et italiens. Petit à petit, le progrès commercial gagne l’intérieur des États où s’établissent des foires. Si l’essor des villes et l’essor du grand commerce sont liés, l’expansion urbaine doit également beaucoup aux campagnes environnantes et aux échanges régionaux. Il existe par ailleurs des types de villes médiévales d’origines et d’urbanisme divers. On peut rappeler que la ville est une entité étrangère à la définition de la société médiévale donnée par Adalbéron de Laon au XIe siècle. Être reconnu « bourgeois » implique certaines conditions et offre des avantages politiques, économiques et sociaux. On insiste sur les origines de la ville et, à partir des métiers, on évoque la diversité et la hiérarchie de la société urbaine. S'il est impossible de chiffrer réellement l'essor urbain avant le XIIIe siècle, la prise en compte du cadre matériel (surface enclose, villes neuves), permet d'attester d'une formidable croissance. Les historiens estiment qu'à la veille de la grande peste en 1347, un européen sur cinq habite en ville. Il s'agit non seulement de faire découvrir quelques aspects physiques des villes du Moyen Age, mais aussi de souligner le rôle du mouvement communal qui bouscule la société d'ordre du monde féodal. La ville représente rapidement un espace de liberté où se déploie une formidable activité artisanale et commerciale. Les villes cessent donc d'être essentiellement des centres de consommation pour devenir aussi des centres de production ce qui selon Jacques Le Goff participe à la « genèse de

Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO actuel : « Les cadres politiques et la société L’analyse de l’essor urbain et économique prend appui sur la description de deux ou trois villes (Venise, Bruges, Bourges, par exemple). • Cartes : routes commerciales et foires de Champagne (XIIIe siècle). • Repères chronologiques : la Grande Charte (1215) • Documents : plan, palais et édifices municipaux des villes choisies comme exemples. » Socle : Nouveau commentaire « On s’appuiera sur l’étude d’un ou deux exemples significatifs : une ville appartenant au patrimoine européen (Venise, Bruges, Bourges, etc.) ou une ville marchande médiévale proche de l’établissement et dont on étudie les activités, l’organisation spatiale et les relations avec d’autres régions. » Dans les futurs programmes, la ville n’est plus rattachée au cadre de vie de la société mais à l’expansion économique. « L’EXPANSION DE L’OCCIDENT L’expansion de l’Occident, d’abord

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l'État moderne » Dans le cadre du développement du commerce, l’Italie et la Flandre ont bénéficié de l’expansion la plus précoce et la plus forte, ce qui explique leur rôle économique dominant, le rayonnement de leurs principales villes : Venise, Gênes, Florence comptent près de 100 000 habitants ; Gand et Bruges, environ 50 000 habitants. On peut s’arrêter sur le rôle joué par les marchands génois dans les échanges entre la Méditerranée orientale et la Flandre. Il s’agit également de souligner la complémentarité des routes maritimes du Sud et du Nord (Hanse), des voies maritimes et terrestres. Enfin, il convient d’insister sur l’importance des foires de Champagne, situées à l’intersection de l’Europe du Nord et de l’Europe du Sud. Ces foires forment un cycle couvrant presque toute l’année. Grâce à l’intervention et à la protection des comtes de Champagne, elles connaissent une grande prospérité aux XIIe et XIIIe siècles. À la fin du XIIIe siècle, les marchands itinérants cèdent la place aux négociants banquiers sédentaires organisés en puissantes compagnies (Tolemei, Frescobaldi). Le commerce en Méditerranée a une organisation centralisée. Les marchandises convergent de tous les horizons vers le bassin méditerranéen avant d’être redistribuées. Caravaniers et marins arabes apportent d’Orient les produits les plus précieux, soieries et épices tant convoitées en Occident. Grâce aux croisades, les villes d’Italie assoient leur domination sur le commerce méditerranéen, s’enrichissant du transport des croisés et des nouveaux privilèges commerciaux obtenus par la conquête (Antioche, Acre). Naples, Amalfi, Bari et surtout Venise ont très tôt armé une flotte leur permettant de commercer avec Constantinople et les musulmans. À Alexandrie, ils échangent bois et armes achetés en Europe occidentale contre les produits d’Orient. Puis, ils gagnent Constantinople où ils disposent d’un quartier réservé. Ils y complètent leur cargaison d’épices, de soieries, de produits de luxe, revendus par la suite en Occident. Le commerce maritime permet également le développement des villes de l’intérieur comme Florence, Padoue, Sienne, ou Milan. La Flandre est au XIIe siècle le second foyer économique de l’Occident derrière l’Italie du Nord. S’y développent des villes comme Bruges, Gand, Douai, Arras où s’installent des banquiers et les correspondants des compagnies de commerce italiennes. Les hommes d’affaires du Nord et du Midi se rencontrent aux grands carrefours de routes, dans des villes étapes. Ainsi, naissent les grandes foires, dont les plus fréquentées sont celle de Champagne : Troyes, Lagny, Châlons, Provins, Bar-sur-Aube. L’expansion commerciale et politique de Venise au détriment de l’Empire byzantin témoigne de l’expansion de l’Occident. Comme Amalfi, Venise est une ville, une cité maritime, qui se développe beaucoup à partir du Xe siècle. Ce développement est institutionnel (fonctions et pouvoirs du doge), commercial (techniques commerciales), urbanistique et artistique (basilique Saint-Marc). Cet essor la rend de plus en plus indépendante du pouvoir impérial dont elle dépend en théorie, la transforme en alliée avant d’en faire une rivale et même une ennemie de l’Empire. Son commerce est très florissant et fondé sur l’audace de ses marchands tant sur terre que sur mer. Elle se lance à la conquête de la Méditerranée orientale et s’installe durablement en Terre sainte à l’issue de la première croisade, devenant le principal acteur et bénéficiaire de la quatrième.

économique (développement du commerce, affirmation des marchands et des banquiers) est aussi religieuse et militaire (Reconquista, croisades). Elle se concrétise dans le développement de villes. L’étude est conduite à partir : - d’un exemple au choix d’un circuit commercial et de ses pôles ou d’une famille de banquiers ou de marchands ; - d’un exemple au choix d’une grande ville et de son architecture ; Décrire quelques aspects de l’activité d’un marchand et d’un banquier d’une ville commerçante » Accompagnement : « Cette question a pour objectif de mettre en évidence la division politique de la chrétienté. La carte politique du XIIIe siècle montre la naissance de l’Europe moderne. Il suffit, en les caractérisant globalement, d’insister sur les grands ensembles : émergence des royaumes de France et d’Angleterre, effacement relatif du Saint-Empire, puissance des villes et des principautés. L’état de la documentation fait apparaître l’extrême diversité des situations économiques et sociales et de leur évolution dans le temps. Les marchés s’élargissent et l’usage de la monnaie se développe alors même que la société reste essentiellement rurale. L’essor urbain et économique est présenté à partir des exemples de villes (plan, palais, édifices municipaux, etc.). Le programme suggère trois exemples. L’étude de Venise, ville patrimoniale par excellence, permet de montrer les liens avec l’Orient (mondes byzantin et musulman) et d’utiliser les acquis des leçons sur l’Église (les croisades, l’art, etc.). Il n’y a pas de « modèle » de la ville médiévale et l’on veille pour ces approches à utiliser de véritables documents datés et non des reconstitutions. L’autonomie urbaine s’affirme par le mouvement communal et une organisation sociale particulière, mais aussi dans les différentes formes de solidarité et par un art de vivre et une culture spécifiques (rôle des universités). »

Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : I. La diversité des villes médiévales L’Occident médiéval a connu depuis l’an mil un irrésistible essor des villes. Ralentie par les crises des XIVe et XVe siècles, cette urbanisation fonde une société qui se construit tout au long du Moyen Âge, marquée par des manières de vivre originales et tournée durablement vers la modernité. Selon Régine Pernoud (Histoire de la bourgeoisie en France, Le Seuil, coll. « Points Histoire », Paris, 1981), le terme «bourgeois » serait apparu pour la première fois dans une charte du comte d’Anjou Foulques Nerre en 1007, établissant un bourg franc à proximité de l’abbaye de Beaulieu, près du célèbre château de Loches. Le comte y déclare inaliénable un territoire défini aux confins de cette abbaye, affranchit tous ses habitants de servitude, interdit même à l’abbé

Activités, consignes et productions des élèves : Cette étude transporte les élèves du monde des campagnes à celui des villes, du grand commerce, de la bourgeoisie, des marchands, des artisans et des ouvriers. Cette étude permet de réinvestir ce qui a été vu sur le monde byzantin et musulman à travers les liens commerciaux et politiques tissés par les grandes villes marchandes ainsi que de revenir sur les acquis des leçons sur l’Église (croisades, églises, etc.).

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de les soumettre à l’impôt. Nous retrouvons cette idée dans la charte de franchise de 1197, où le comte de Blois autorise les habitants de Châteaudun à ne verser aucune taille et à abandonner le statut de serfs. Cela permet de comprendre le vieil adage allemand selon lequel « l’air de la ville rend libre ». Les bourgeois obtiennent ici « une commune », le droit de s’associer et de s’organiser pour gérer la communauté urbaine. Le nombre d’échevins est fixé dans le cas présent à douze. Si les bourgeois obtiennent des garanties financières, des statuts, parfois même des garanties judiciaires, ils relèvent toujours du seigneur puisque la ville reste « fille de seigneurie ». Ainsi se réunit-on toujours à la semonce du bailli (représentant du seigneur), doit-on fidélité, défense de la place (« les habitants seront tenus envers moi au service militaire ») et même maintien de l’ordre dans la ville par une loi commune ou keure en Flandre (elle réglemente la vie communautaire des citadins et sanctionne par des peines toute exaction). Même si la charte est un gage de pérennité et malgré ces avantages obtenus, le seigneur reste omniprésent. DES VILLES ET « MERVEILLES » : Le monde de la ville par Chrétien de Troyes Auteur en langue vulgaire le plus célèbre du XIIe siècle. Perceval, ou le Conte du Graal, roman inachevé en octosyllabes, fut composé à la demande du comte de Flandre Philippe d’Alsace. Dans un passage, Chrétien de Troyes décrit l’arrivée de Gauvain dans une ville qui dispose de sa propre administration municipale : maire et échevins assurent une prospérité industrieuse. Les activités économiques évoquées par l’auteur sont multiples. On trouve dans la ville à peu près toutes les activités artisanales ou « industrielles » de l’époque : des forgerons fabriquent des armes en métal, des bourreliers et selliers des harnachements en cuir pour les chevaux, des orfèvres des objets en métal précieux, etc. Les métiers du textile, ici le drap (tissu de laine), sont cités avec précision (foulons, tisserands, peigneurs et tondeurs). Escavalon est aussi une ville commerçante, comparée à une « foire perpétuelle » où les marchands viennent vendre leurs marchandises et où les changeurs facilitent les opérations financières. Le chevalier du Perceval de Chrétien de Troyes (vers 1180) est ébloui en découvrant la ville, car voici rassemblés tous les plaisirs et tous les biens désirables, en dehors de ceux qu’apportent les combats. Cet émerveillement est celui des commencements, des débuts du nouveau monde urbain qui naît ou renaît dans un Occident rural, seigneurial et terrien depuis des siècles. Débuts d’un long et complexe développement dont nous sommes les lointains héritiers, car notre monde est devenu celui des villes, monde qui, à présent, rêverait plutôt de campagne et de nature sauvage que de l’accumulation des hommes et des produits. Dans cette histoire, les temps médiévaux peuvent être présentés sous plusieurs éclairages. L’un consisterait à distinguer les questions qui se posaient déjà aux citadins, tout au moins dans les très grandes villes, dès le XIIIe siècle, et qui ne nous dépayseraient guère : comment se loger quand les loyers sont chers ? Comment gagner sa vie lorsque l’embauche se fait rare et que les salaires sont bas ? Ou encore, pour ceux qui sont bien établis dans leurs quartiers, qui y jouissent d’une bonne réputation et d’une honnête aisance, comment assurer la sécurité des biens et des personnes quand la ville fait affluer tant de pauvres et de mendiants qui font peur ? Mais essayons plutôt de discerner les particularités et les différences d’avec notre monde. Les villes médiévales ont posé et tenté de résoudre les problèmes que l’on vient d’évoquer à leur manière, avec les moyens et les idées de leurs sociétés. Les temps médiévaux représentent ici au bas mot cinq siècles, soit une bonne vingtaine de générations successives depuis l’an mil : c’est une grande période dans l’histoire urbaine. S’entrecroisent donc le « temps long », celui des lentes mutations qui affectent par exemple l’histoire des bâtiments, celle des manières de vivre et notamment de l’hégémonie de la religion chrétienne, et le « temps bref », celui des guerres et des crises, celui des hommes. Il ne faut sacrifier ni l’un ni l’autre. Comme toute histoire, celle des villes médiévales reste tributaire de ses sources. Même en élargissant les champs d’enquête, en ajoutant aux textes écrits les images et les résultats des fouilles archéologiques, nos connaissances documentées ne répondent pas toujours à nos curiosités légitimes. En particulier, les sources chiffrées laissent à désirer jusqu’au XIIIe siècle, et ensuite, même plus abondantes, elles demeurent souvent lacunaires et partielles. DE LA CITE A LA VILLE Qu’est-ce qu’une ville au Moyen Âge ? Une agglomération de plusieurs milliers

Les mots de la ville Le mot bourg, d’origine germanique, signifie à l’origine château fort. Au Moyen Âge, il désigne l’agglomération de maisons et d’hommes qui vivent des échanges commerciaux ou de l’artisanat. De ce mot est dérivé, au XIIe siècle, celui de bourgeois, pour désigner l’habitant du bourg devenu ville. Tous les habitants n’avaient pas ce titre : il fallait, pour l’acquérir, résider ou posséder en ville. Le mot bourgmestre, dans les villes du Nord, désigne le premier magistrat de la ville, celui qu’on nomme ailleurs le maire, c’est-à-dire le plus grand (major). Le faubourg désigne le bourg hors de la ville. Au XIIe siècle, on écrivait « fors bourg », c’est-à-dire bourg du dehors. Au XIVe siècle, le fors a été compris comme faux et a donné faubourg, qui évoque les quartiers hors les murs en général moins densément peuplés et bâtis que ceux du cœur de la ville. La banlieue correspond à l’espace d’une lieue autour de la ville, espace où cette dernière exerce son ban, c’est-à-dire son autorité (administrative et judiciaire le plus souvent). Cette mesure d’une lieue n’est pas précise, sa longueur variant selon les régions entre deux et cinq kilomètres. Le plat pays s’étend hors les murs. Le terme évoque la rase campagne, la plaine, par opposition aux lieux accidentés ou fortifiés. La ville ici est donc vue comme espace militairement sécurisé. C’est l’enceinte qui traduit ces fonctions militaires et définit ce qui est dans les murs (intra muros), dans la ville, donc protégé, et ce qui est hors les murs (extra muros). Fermée ou ouverte, la ville affiche son rang ou ses fonctions dans des appellations. On nomme cité, au Moyen Âge, la ville où réside l’évêque. Parmi toutes les villes du royaume de France, on distingue les « bonnes villes » des autres. Elles seules comptent, elles peuvent organiser leur défense, discuter directement de l’impôt qu’elles répartissent entre leurs citoyens, gérer leurs affaires et relayer la politique royale qu’elles appliquent. L'Université L’Université a désigné les assemblées de métiers urbains en général puis, plus précisément, l’association des maîtres et étudiants. Ces associations se sont fait reconnaître des privilèges (notamment celui de se gérer collectivement) au cours du XIIIe siècle, à Paris, mais aussi à Bologne ou à Oxford. Au cours des XIVe et XVe siècles, bien d’autres universités furent créées, l’Église et le gouvernement royal ayant besoin de personnes compétentes et instruites. Tout l’enseignement au Moyen Âge fait partie des charges de l’Église, y compris donc

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d’habitants installés sur un territoire restreint souvent défini par une enceinte, vivant d’activités autres que rurales et organisés collectivement pour gérer leurs affaires. La ville, c’est donc un cadre matériel, c’est une communauté, c’est un ensemble socio-économique. La ville, ou plutôt les villes, car il y en a de toutes sortes. Leur diversité tient à de multiples raisons. Elle tient d’abord à leurs origines. Dans les régions les plus romanisées au sud de la Loire, le legs antique est important : arènes et théâtres, aqueducs et ponts, mais aussi des traditions urbaines qui conservent les habitudes du commerce, l’emploi de l’écrit et l’expérience de la gestion municipale. Au nord, où la romanisation fut plus superficielle, des villes neuves naissent là où les marchands passent régulièrement à cause d’un pont, d’un carrefour de routes obligé, d’un port sur une rivière : ainsi de Douai sur la Scarpe. Ces bourgs s’enracinent auprès d’autres agglomérations, souvent au pied du château, aux portes du monastère qui attirait les pèlerins ou à côté de la cité (la ville de l’évêque), qui a maintenu depuis le haut Moyen Âge une réelle présence urbaine, comme à Tours, l’abbaye de Saint-Martin ou à Toulouse, celle de Saint-Sernin. Au cours des XIe et XIIe siècles, ces noyaux d’urbanisation prospèrent, et la ville s’affirme quand elle est capable de construire une enceinte protectrice qui permettra de réunir ces bourgs par l’urbanisation des espaces intercalaires. Si toutes les villes n’ont pas investi dans une coûteuse muraille de pierre (en France, l’emmuraillement systématique est imposé par Charles V dans sa politique de reconquête au cours de la seconde partie du XIVe siècle), on peut dire que pour les hommes du Moyen Âge, la ville est un espace clos, et c’est ainsi qu’ils la représentent. Au XIIIe siècle, des villes sont fondées selon un plan et un programme entièrement dominés. On en trouve des exemples dans la Guyenne, là où le royaume capétien touche aux possessions anglaises. Elles sont baptisées de noms de villes illustres, Florence, Grenade, Bologne ou de celui qui en a assuré la réalisation, comme Beaumarchais (du nom du sénéchal Étienne de Beaumarchais) ou Libourne (du nom du sénéchal anglais Robert de Leyburn). Avec leur beau plan régulier, leurs rues droites et leurs arcades, elles témoignent de la vie idéale pour les hommes d’alors. Mais peu de bastides parviennent à atteindre leur développement espéré. En fait, leurs fonctions militaires l’emportent sur toute autre considération. Toutefois, elles prouvent que les rois et les seigneurs savent trouver de véritables constructeurs de villes, capables de dresser des plans complets et de les faire réaliser. FORTUNES MARCHANDES ET FONCTIONS NOUVELLES Les villes médiévales se caractérisent par la diversité de leurs fonctions. Aux anciennes fonctions religieuses et militaires (au XIVe siècle encore, Froissart, comme d’autres chroniqueurs, associe forteresse et ville) s’ajoutent d’importantes fonctions économiques, artisanales et commerciales. La ville est le monde des marchands. L’historien Henri Pirenne, jadis, en avait fait le critère unique de sa définition : ces hommes nouveaux, encore commerçants itinérants (les pieds-poudreux), auraient créé les villes en rupture avec le monde rural et féodal qui les a rejetés dans un premier temps ; les autres fonctions ne seraient qu’accessoires. Depuis, les historiens ont fortement nuancé cette vision des origines de l’essor urbain, sans remettre en cause cependant l’importance vérifiée du dynamisme créateur du grand commerce dans l’histoire des villes. En Flandre, là où Pirenne avait porté ses enquêtes, l’impulsion de départ (Xe-XIe siècles) est donnée par le commerce local et par un artisanat textile campagnard qui ne produit pas encore des beaux draps de laine pour l’exportation. Le rôle des pouvoirs politiques supérieurs, celui des comtes de Flandre, est important dans l’essor économique de toute la région : ils sont le moteur des grands travaux de conquête des sols et d’aménagement des voies de circulation. Quand cette première mise en valeur a porté ses fruits, alors seulement se tissent les relations du grand commerce international qui apportent les conditions de la pleine réussite. Enfin, les fonctions politiques, administratives, judiciaires s’épanouissent dans les grandes villes et les capitales provinciales. C’est là un des chemins de la réussite sociale pour tous les étudiants qui viennent chercher à l’Université leurs grades de maître ès arts, de licencié ou de docteur. Paris, Orléans, Toulouse, Montpellier ou Avignon ont leurs écoliers et leurs maîtres qui animent, parfois trop au gré des bourgeois, la vie citadine. Avant le XIIIe siècle, impossible de trouver des chiffres pour fonder les estimations des populations urbaines. Mais par la suite, les listes fiscales, les censiers, ces registres où les seigneurs consignaient la liste de leurs hommes et les

l’enseignement supérieur, dispensé par les maîtres des facultés : Arts Libéraux, Théologie, Droit, Médecine. Les gens d’école sont tous des clercs, c’est-à-dire qu’ils relèvent de la justice ecclésiastique et qu’ils ne payent pas d’impôts. Protégées par la Papauté et le roi, les Universités ont connu aux XIIIe et XIVe siècles un bel épanouissement. Mais, à la fin du Moyen Âge, leur rôle diminue au profit des collèges qui encadrent les étudiants et leur dispensent également un enseignement. Ces collèges désignaient auparavant des maisons charitables accueillant gratuitement, pour les loger et les nourrir, des étudiants pauvres et méritants (comme celui de la Sorbonne). Ils ne devinrent que progressivement des établissements d’enseignement à part entière. Universités et collèges nés dans les villes, où ils sont en partie les héritiers des écoles cathédrales, ont apporté aux villes une clientèle nombreuse, parfois turbulente, et une vie intellectuelle intense. En revanche, ils ont peu laissé de constructions spécifiques (certains collèges cependant, comme celui de Beauvais Dormons à Paris, financèrent de beaux bâtiments), mais leur présence a animé et influencé des villes (Orléans et ses étudiants en droit civil, Montpellier et ses médecins) ou des quartiers de villes : à Paris, toute la rive gauche fut nommée quartier de l’Université. L'eau dans la ville Les villes sont nées des chemins et des fleuves. La rivière et ses bords aménageables forment les traits favorables de la plupart des sites urbains. Parcourus par des embarcations de toutes sortes, ces « chemins d’eau », naturels ou aménagés, servent aussi aux industries médiévales (teintureries, tanneries) et aux nombreux moulins établis au fil de l’eau ou près des arches des ponts. La rivière est aussi lieu de pêche de poissons, nécessaire dans ces vieilles sociétés chrétiennes où l’on fait maigre souvent dans l’année, et lieu de loisirs divers. La rivière sert enfin à l’approvisionnement en eau pour l’alimentation et les besoins de la vie quotidienne. Les porteurs d’eau qui la puisent la vendent aux bourgeois. S’ajoute au puisage direct dans la rivière l’apport des eaux des puits que l’on trouve dans les cours et les jardins des maisons, celles des citernes ou celles des sources que, dans les grandes villes, des canalisations acheminent jusqu’à des fontaines publiques. Mais la rivière reçoit aussi les eaux usées : elle sert d’égout que le courant n’assainit pas suffisamment. C’est pourquoi très tôt des règlements tentent de protéger la qualité des eaux (interdiction d’abreuver les bêtes aux abords de la fontaine, d’y faire des lavages),

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revenus qu’ils en attendaient, autorisent des estimations en ordres de grandeur. Des indices indirects, comme le nombre de couvents mendiants établis aux portes des villes, les appuient parfois : on sait en effet que les frères Prêcheurs et les frères Mineurs choisirent de s’établir dans les villes et que plus la ville était importante, plus grand était le nombre de couvents mendiants. Mais en tout état de cause, les chiffres, répétons-le, sont à manier avec d’infinies précautions. ASPECTS DE LA VILLE C’est ce rassemblement d’hommes et de constructions dans un territoire restreint qui frappe les visiteurs du Moyen Âge. Tant de gens, tant de métiers, tant de maisons et de palais, d’églises et de monastères réunis en un seul lieu constituent une « merveille ». L’enceinte avec ses tours, ses portes fermées la nuit, délimite la ville et la sépare de la banlieue et du plat pays. Dans les murs, la communauté qu’est la ville est matérialisée par des grands édifices et des constructions à usage collectif : les halles, qui entourent l’espace du marché de leurs bâtiments, où, au premier étage, les marchands peuvent enfermer le soir leurs stocks tandis que le rez-de-chaussée, souvent une galerie, abrite les marchandises de la pluie et du soleil ; les ponts et leurs boutiques, passages obligés car les villes se sont installées près des cours d’eau, lieux d’intense et de continuelle circulation ; les puits et les fontaines, où les citadins viennent s’approvisionner en eau, où l’on discute et commente rumeurs et nouvelles ; et surtout l’hôtel de ville, la maison commune, où siègent les magistrats élus ou co-optés qui gèrent les affaires de la ville. Plus la cité est prospère, plus elle entend s’affirmer et plus les bâtiments sont beaux. Une architecture civile urbaine s’épanouit dont on garde les monuments, datant de la fin du Moyen Âge le plus souvent, au style gothique aussi savant que celui des églises. Car l’autre forme des bâtiments collectifs où la ville s’illustre d’abord est l’architecture religieuse : la cathédrale, les églises paroissiales, les églises des monastères et des couvents, les hôpitaux et maisons-dieux qui hébergent les pauvres, les pèlerins et les malades. Les hommes du Moyen Âge se représentaient une ville d’abord par cette marque monumentale : Paris est comme une « forêt de clochers ». Le village n’a qu’une ou deux constructions religieuses, la ville en rassemble dix, vingt, à ne savoir où porter ses dévotions. Ensuite seulement, les voyageurs ou les poètes notent les palais princiers et les beaux hôtels des grands de ce monde. LA MAISON ET LA RUE Les villes étonnent enfin par le grand nombre et la variété des maisons particulières. Celles-ci se présentent souvent serrées les unes contre les autres, s’étirant en profondeur à partir de la rue. Belles demeures et petites maisons voisinent. C’est que le riche, le « gros », dont le grand et bel hôtel concrétise la puissance et la haute dignité, ne cherche pas à s’isoler des « menus », des « petits », au logis plus sommaire. La ville est un creuset où viennent se mêler toutes les conditions sociales, tous les « états » comme on disait alors. La densité de l’habitat varie selon les villes et selon les quartiers des grandes cités. Dans ces dernières, l’habitat est plus serré dans les parties centrales, là où se concentrent les activités, tandis qu’aux abords de l’enceinte et dans les zones plus éloignées du cœur commerçant, le tissu urbain est plus lâche et aéré. Au moins dans les très grandes villes, la croissance rapide de la population urbaine nourrit une forte demande en logement et le marché foncier connaît une importante montée des prix (achat et location). Alors, l’espace, rare et cher, est au maximum utilisé : les maisons sont partagées entre plusieurs familles, des étages sont ajoutés, on construit dans les cours et les jardins. Les rues organisent l’espace urbain, reliant l’espace public et l’espace privé de la demeure. Elles sont étroites, encombrées par l’avancée des auvents, l’encorbellement des maisons, les enseignes pendantes et par tout ce que les citadins y entreposent, y laissent ou y déversent, accaparant la voie comme espace complémentaire de leur boutique ou de leur maison. Les ordonnances municipales témoignent bien de l’effort persévérant pour discipliner les citadins, mais elles n’évoquent que leurs défaillances, jamais les moments où chacun a respecté les règles et balayé devant sa porte. Les mesures d’assainissement et de dégagement, le nettoyage par des services collectifs municipaux ou l’installation de « conduits de merderons » ont été tardifs et sporadiques. Le réseau des rues, lui, s’organise progressivement avec ses « grandes rues », artères commerçantes attirant les tavernes et aboutissant aux portes des villes, ses voies secondaires, rectilignes parfois, sinueuses souvent, ses venelles et ses culs-

de ne pas laisser s’installer trop en amont des activités salissantes, de punir ceux qui déversent les ordures dans le fleuve. À lire la documentation restante, plus que l’alimentation en eau, c’est le rejet des eaux salies et la pollution des cours d’eau qui préoccupent les autorités. De même dans la maison, les textes n’évoquent jamais de problème pour se procurer de l’eau ou pour la stocker, mais parlent des conflits entre voisins pour les gouttières qui se déversent contre un mur et le détériorent, du rejet des eaux de cuisine dans une cour alors qu’elles devraient se vider dans la rue. Dans l’espace public comme dans l’espace privé, la question n’est pas d’en avoir, mais comment s’en débarrasser. Ce document est un acte notarié qui fixe les règles de fonctionnement d’une compagnie de commerce vénitienne. Ces compagnia (dont le premier exemple date de 1109) unissent plusieurs associés d’une même famille pour une durée limitée (en général renouvelable). Chaque associé apporte une part de capital plus ou moins importante et le travail est partagé solidairement, selon les engagements pris. Les profits (ou pertes) sont partagés entre les contractants en fonction des investissements qu’ils y ont réalisé. La compagnia évoquée ici est créée en 1179 pour un an et associe deux marchands vénitiens installés dans l’Empire byzantin, Domenico Sisinulo et son neveu Vitale Voltani. Un autre document est un contrat de colleganza classique entre marchands vénitiens. Les Italiens, commerçants internationaux actifs depuis longtemps, ont su développer des techniques de ventes ou d’associations très au point. Ici, le contrat associe deux marchands apportant respectivement deux tiers et un tiers du capital, ce qui leur permet d’investir dans des parts de bateau. Celui qui investit le moins est chargé de faire fructifier ce capital en l’emportant avec lui, par mer, à Thèbes. Les profits seront partagés à égalité entre les deux. Notons que ce type d’association comporte un risque autre que commercial : en raison de la présence très fréquente de pirates en Méditerranée, les bateaux circulent en convois, les mudas, encadrés par des soldats.

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de-sac. Au cours du XIIIe siècle, elles acquièrent un nom fixe, évoquant soit un métier, soit une église, soit le nom d’un habitant ou d’une enseigne. À ce moment, l’espace est dominé : on s’y repère pour peu qu’on se renseigne auprès des habitants, car il n’y a aucune plaque ou nom inscrit sur les murs. Toutefois, ce cadre matériel, connu par des textes réglementaires ou des actes fonciers, éclairé par les travaux d’archéologie urbaine, est difficile à apprécier. Comment y vivait-on, où était le seuil de l’insupportable, de la nuisance ? C’est dire qu’il ne faut pas juger seulement selon nos critères, mais en reliant ce cadre matériel à la société qui l’a construit et qui y vit. LE MONDE DE L’ARGENT À la différence de la campagne, l’argent en ville est indispensable dans la vie quotidienne : pour la nourriture, le gîte, le vêtement, pour le bois de chauffage, la chandelle. La plupart des citadins gagnent cet argent par leur travail payé en monnaie, leur salaire. Leur pauvreté ou leur aisance dépend ainsi et du marché du travail (trouver de l’embauche) et du marché des produits de base, à commencer par celui du pain. Lorsque les clercs et gens d’Église dénoncent la ville comme dominée par l’argent corrupteur de la morale chrétienne, ils discernent bien une des originalités du monde urbain. Mais ils fustigent surtout le petit boutiquier, qui trompe les clients sur les prix ou les poids. Nul ne mesure bien encore les contraintes et les conséquences d’une vie entièrement conditionnée par l’usage de la monnaie. Or, c’est là l’essentiel. En effet, tous les citadins dépendent des prix, de la monnaie et de ses « remuements », des lois du marché, et d’abord la masse des petits gens de métier, clercs pauvres ou immigrants sans ressources fixes. Pis, au début du XIVe siècle, les villes découvrent la pauvreté laborieuse, celle des travailleurs qui ne peuvent nourrir leur famille avec leur salaire. Cette majorité de citadins ne peut compter sur des possessions campagnardes d’où tirer une part de l’approvisionnement domestique, comme peuvent le faire les bons bourgeois. En cas de flambée des prix du grain, l’émeute est toujours possible. Les autorités séculières le savent et interviennent. Elles s’efforcent d’assurer l’approvisionnement des villes, de peser sur les prix du grain. La ville affamée peut être dangereuse. La charité individuelle ou collective, organisée par l’Église, est vite débordée en cas de disette ou de brusque augmentation de la population nécessiteuse lors des guerres qui font refluer vers la ville intra-muros les ruraux chassés de leurs villages. SOLIDARITES URBAINES Comme à la campagne, l’individu isolé a peu de chances de réussite, et qui n’a ni parents ni amis est suspect. Mais beaucoup sont des villageois venus en ville chercher un sort meilleur, et ils ont souvent rompu leurs vieilles attaches familiales. À la ville se fondent de nouvelles familles qui s’allient, notamment par les mariages, et qui se soutiennent, car souvent les personnes d’un même « pays » cherchent à se regrouper dans une même rue. Il se crée ainsi une solidarité de quartier qui est aussi une protection, tout inconnu y étant signalé, informé, guidé et surveillé. L’espace dominé par ce voisinage est celui du quotidien. Il s’intègre à celui plus vaste de la paroisse, c’est-à-dire au Moyen Âge de toute la vie. Le réseau des paroisses s’est mis en place à la fin du XIIe et au XIIIe siècle, quand la croissance des villes a obligé l’évêque et les grands monastères à modifier les anciens cadres, à faire construire de nouvelles églises, à partager les revenus paroissiaux accrus avec l’augmentation du nombre des paroissiens. Une géographie religieuse au maillage contrasté s’est ainsi fixée pour plusieurs siècles, avec, dans le cœur ancien des villes, de toutes petites paroisses et, dans les zones en cours d’urbanisation, de plus vastes. Ce cadre a servi également pour la levée des taxes, aides et autres demandes financières des autorités civiles. Plus tard, à la fin du Moyen Âge, des circonscriptions administratives propres à la ville se mettront en place, quartiers à fonctions militaires (pour assurer la garde des portes et remparts) servant aussi de cadres fiscaux. À ces groupements d’habitants fondés sur une base territoriale se mêlent ceux liés au métier et à la sociabilité religieuse. Les corps de métiers, ou corporations, s’organisent à partir du XIIe siècle, regroupant les gens qui exerçaient une même activité, d’abord dans les métiers de l’alimentation. Peu à peu, ces associations se donnent des règles qui sont enregistrées, puis adaptées dans les siècles suivants. Les statuts fixent normes de fabrication, obligations de l’apprentissage, devoirs et charges du métier envers la ville ou le pouvoir royal, et révèlent la hiérarchie interne : les maîtres possédant boutique ou atelier, reconnus par leurs pairs (à la fin du Moyen Âge par la confection d’un chef-d’œuvre), les valets ou compagnons qui ont la compétence technique mais pas les moyens financiers de

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s’installer comme maîtres, et les apprentis. Trois ou quatre maîtres, dits souvent jurés, sont élus ou nommés pour veiller à la bonne application des statuts, punir les contrevenants, représenter le métier à l’extérieur. Cet encadrement, qui a été jugé un carcan nuisible aux progrès techniques, a apporté aussi une protection et une dignité aux artisans et aux travailleurs salariés. Toutes les activités urbaines n’en bénéficient pas. Nul encadrement sécurisant pour les manœuvres, hommes de peine, domestiques et serviteurs de toutes sortes. Une autre forme d’association et de solidarité est la confrérie. Les corps de métier en avaient une qui incluait les femmes, les jeunes, les serviteurs ; d’autres confréries se fondaient sur une dévotion à un saint, à la Vierge, ou encore elles réunissaient des pénitents ou des pèlerins. Chacune avait ses statuts qui fixaient les conditions d’entrée (parrainage et cotisation), précisaient les activités communes (offices, banquet annuel), prévoyaient l’aide pour les confrères dans le besoin (maladie, vieillesse, accident) et garantissaient de belles funérailles. Au sein de la confrérie se côtoyaient clercs et laïcs, hommes et femmes, gens de diverses conditions sociales. On s’y faisait des relations, on pouvait y trouver des appuis en cas de nécessité. LES RYTHMES DE LA VILLE Temps de travail et temps de repos alternent, définis par la semaine, terminée par le dimanche, jour où tous les chrétiens doivent interrompre leur travail et se consacrer à leur devoir religieux. Là, villes et campagnes vivent au même rythme, l’Église œuvrant pour imposer partout ce jour de repos. Au long de l’année, les grandes fêtes (Pâques, Noël) reconstituent encore cette communauté, et s’y ajoutent les fêtes particulières qui sont autant de jours chômés et occasions d’offices religieux, de processions et de réjouissances. À ces fêtes régulières s’ajoutent les fêtes extraordinaires que les grandes villes connaissent quand elles reçoivent leur souverain, quand elles célèbrent une naissance ou un mariage princiers. Elles étaient soigneusement organisées et les villes y investissaient de grosses sommes, indices de leur importance politique. Le cas des entrées royales le montre. Le programme établi à l’avance comprend une rencontre première entre les édiles municipaux qui apportent les clefs, et le roi qui, les recevant, confirme à cette occasion les libertés de la cité. Le cortège formé par l’entourage du souverain, les magistrats et leur suite parcourt ensuite la ville, nettoyée et décorée pour la circonstance. Des arrêts sont ménagés : ici l’on joue une saynète historique, là on fait une pantomime. Les fontaines déversent du vin, et les citadins massés le long des rues acclament le roi et son cortège. Puis ce beau monde va banqueter, tandis que les gens ordinaires, dans les rues pavoisées, boivent, dansent et, le soir, allument flambeaux et torches pour prolonger la fête. Moments exceptionnels, éblouissants, où tous les habitants sont fiers de leur ville, heureux de ces réjouissances abondantes et gratuites, temps de fête et de loisir bien plus variés et attractifs que ceux offerts par la vie au village. Le temps du travail, lui aussi, se différencie peu à peu de celui, ancien, des campagnes. Là l’innovation est d’importance. Certes la journée de labeur se définit par le lever et le coucher du soleil, encadrant les heures où il n’est pas besoin de s’éclairer pour faire son ouvrage. Mais si beaucoup de villes continuent à suivre le temps de l’Église, marqué par les sonneries des cloches religieuses, celles qui, comme les villes drapantes de Flandre, ont une importante population ouvrière cherchent à mieux mesurer, donc à mieux calculer et contrôler le temps du travail salarié. Des cloches laïques, installées par les magistrats municipaux, marquent le début de la journée, le moment du repas de midi et la fin de la journée de labeur, et interdisent ainsi que les maîtres écourtent la pause de la mi-journée ou que les compagnons poussent à l’accroissement de leur temps de travail, afin d’augmenter leurs salaires. La mise au point d’horloges mécaniques, mesurant des heures égales été comme hiver, renforce cette évolution, car ces instruments permettent de calculer plus rationnellement cette drôle de marchandise que les villes découvrent, temps des marchands, temps des salariés, temps des laïcs. VILLE DANGEREUSE, VILLE ATTIRANTE Les contacts et échanges que la ville favorise, les savoirs anciens et nouveaux qu’elle offre, les règles de la vie en commun qu’elle impose, tout cela se mêle pour pousser au dynamisme et à la modernité. À l’aube des Temps Modernes, le monde urbain attire, mais il commence à être critiqué. Vieilles rancœurs de l’Église et craintes sociales et politiques des autorités laïques devant des citadins prompts à la révolte se conjuguent. On le voit dans les jugements portés sur les maux qui affligent particulièrement les hommes qui vivent dans les grandes cités.

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À en croire les prédicateurs, les citadins passent leur temps à la taverne où ils boivent, jouent et sombrent dans le péché. On peut bien les suivre quand ils disent que les tavernes sont très nombreuses et très fréquentées, mais on peut arguer de l’importance de ces lieux de sociabilité : lorsque le logis est petit, la rue, la taverne, l’étuve offrent aux citadins la possibilité de se reposer, de se distraire, d’être entre amis, bref rien qui n’offense la morale de l’époque. Que la prostitution, le jeu ou les violences dues ou non à la boisson soient aussi mêlés à ces formes de sociabilité est indéniable. Comme il est certain que les temps troublés de la mi-XIVe à la mi-XVe siècle ont accru désordres et délinquances. Les mendiants, les vagabonds, les pauvres ont toujours fait peur. On leur impute le péché d’envie, le désir de vol, de meurtre, de haine, d’autant plus dangereux que la ville en rassemble un grand nombre. À la fin du Moyen Âge, les municipalités comme les rois et les princes cherchent à endiguer cette violence que les guerres et les crises ont exacerbée. Le retour de la paix, la reprise économique font plus à cet égard que les mesures d’enfermement de pauvres et d’expulsion des « étrangers » à la ville. Les moments de crise, les temps d’émeute ou de répressions ont beaucoup frappé les gens du Moyen Âge qui les ont décrits et, à leur suite, les historiens. Mais ils font négliger qu’il y avait aussi d’autres moments, bien plus longs, où ces malheurs étaient écartés, où la violence était contenue. Et c’est dans ces moments-là que s’élabore une autre manière de vivre, plus policée, plus ouverte et plus stimulante que celle des campagnes. Les citadins la nommèrent urbanité et en firent un des modèles de civilisation. Au seuil des Temps Modernes, lorsque les villes reprennent leur croissance, le modèle avait un bel avenir devant lui. II. Venise La naissance de Venise demeure un mystère tant sa situation géographique locale, dépourvue d’assise rurale (aucune culture n’est possible dans la lagune), et son site ingrat, où l’on ne trouve qu’eau et boue, demeurent peu propices à toute installation humaine et surtout à tout développement urbain. Mais sa position, au débouché de la plaine lombarde sur la mer Adriatique et d’une région anciennement peuplée et active, ouverte sur la Méditerranée et proche des cols alpins, peut sembler a posteriori favorable. De même, son site présente à l’origine les avantages d’un refuge pour les populations romanisées de la région fuyant des terres envahies par les Lombards à la fin du VIe siècle. Les évolutions politiques et économiques de Venise sont favorisées par sa position entre l’Empire d’Occident (ressuscité par les Carolingiens à la fin du VIIIe siècle) et l’Empire d’Orient (de la tutelle politique duquel Venise se dégage progressivement). Entre le VIIIe et le XIIe siècle, le site définitif de Venise se fixe sur l’archipel du Rialto, ses institutions se précisent et son expansion commerciale prend forme. Au XIIe siècle, le doge, élu, s’engage par serment à ne pas sortir des limites qui lui sont imparties ; le Conseil des Sages prend des décisions qui ont effet exécutif ; le clergé en tant que tel est exclu de la vie politique… Signalons enfin que du point de vue architectural, la ville actuelle est différente du XIIe siècle, même si, dès cette époque, plusieurs repères actuels existent déjà : un palais ducal (l’actuel date de la fin du XVIe siècle) autour duquel se concentre l’habitat, la basilique Saint-Marc (consacrée en 1094), le Rialto qui est alors un pont en bois (1180) et un lieu de marché… La vue actuelle montre l’intérêt exceptionnel du patrimoine monumental vénitien. Sur la Piazzetta se dressent deux colonnes portant les symboles de Venise : le lion, emblème de saint Marc, protecteur de la ville, et saint Théodore, premier patron de Venise. Au point de jonction de la Piazzetta et de la place Saint-Marc s’élève le campanile, de 95 mètres de haut, qui s’est effondré en 1902 mais a été reconstruit entre 1903 et 1912. Il contenait les cloches de la ville et servait de phare pour guider les marins vers la lagune. Le palais des Doges, chefd’œuvre du gothique vénitien, était la résidence du doge et le siège du Grand Conseil. Enfin, la célèbre basilique Saint-Marc se signale par ses coupoles, ses portails dorés, ses mosaïques. La représentation d’Ignazio Danti, conservée au musée du Vatican, est contemporaine du célèbre plan de Venise peint par Jacopo de Barbari en 1500. Au premier plan, des couvents occupent les îlots de Saint-Georges et de la Giudecca. On repère sur la peinture et le plan les différents quartiers. L’Arsenal est reconnaissable au nord-est avec ses deux bassins et ses vastes bâtiments de briques où travaillaient environ 3 000 ouvriers à la fin du XVe siècle. On pouvait y construire une galère par jour. La place Saint-Marc, centre politique, administratif et religieux, était reliée au Rialto,

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quartier des affaires, où l’on trouvait changeurs et banquiers. Venise au coeur des échanges méditerranéens Au Xe siècle, le commerce vénitien est déjà prospère et comparable dans ces formes à celui d’autres villes italiennes, comme Amalfi. Les privilèges impériaux byzantins (surtout ceux d’Alexis Comnène, fin XIe et début XIIe siècle) et la participation de Venise aux croisades en font la plus grande place de commerce d’Occident. Elle profite en effet de sa position d’intermédiaire entre le monde occidental (aux limites duquel elle se situe), le monde byzantin (dont elle a longtemps dépendu), le monde slave (qu’elle atteint par l’Istrie et la Dalmatie puis la mer Noire) et enfin le monde islamique (qu’elle touche par la Sicile jusqu’à la conquête normande, puis par la Syrie et l’Égypte). Son commerce, fruit de l’association étroite entre marchands et marins, se déroule donc essentiellement dans l’Adriatique et la Méditerranée orientale, jusqu’à la mer Noire. Le commerce méditerranéen passe sous la domination des cités d’Italie du Nord au XIIe siècle. Les villes italiennes (et plus particulièrement les ports de Venise, Gênes et Pise) acquièrent entre 1150 et 1350 un rôle central et moteur dans le commerce méditerranéen, prenant ainsi le relais des villes d’Orient, dont l’influence est en recul. Point de rupture de charge entre les voies maritimes méditerranéennes et les routes commerciales terrestres de l’Occident, elles irriguent l’Occident en produits méditerranéens et le font participer à leur exceptionnelle expansion économique. Parmi elles, c’est Venise qui s’affirme comme la puissance principale. 1) Une ville au coeur des échanges méditerranéens Soumise à l’Empire byzantin depuis le haut Moyen Âge, Venise entretient avec lui des liens étroits et complexes. Son doge porte des insignes souverains qui évoquent Byzance et, au IXe siècle, sa flotte collabore volontiers avec la flotte byzantine pour éradiquer la piraterie slave et musulmane en Adriatique. Au XIe siècle, alors que Byzance commence à s’affaiblir, la flotte vénitienne est devenue plus puissante et aide encore loyalement l’Empire grec attaqué par les Normands. Les avantages douaniers obtenus par les Vénitiens en échange de cette aide (privilège d’Alexis Comnène en 1082) en font désormais les alliés de Byzance, alors même que les marchands grecs ne peuvent plus faire face à la concurrence vénitienne. Les influences dans l’art et l’architecture (mosaïques, miniatures, basilique Saint-Marc…) comme les objets byzantins se multiplient à Venise. Le XIIe siècle est décisif car les Vénitiens s’infiltrent partout en Orient, de Constantinople à l’Épire, à la Thessalie et à la Grèce, par voies de mer ou de terre. Les Byzantins, de plus en plus hostiles aux Vénitiens, prennent la mesure de leur dépendance à leur égard et réagissent en tentant de renégocier les privilèges commerciaux (1122), puis en confisquant les avoirs commerciaux vénitiens dans l’Empire (1171). Cette mesure désastreuse pour la République, dont l’effet cesse en 1184, nourrit l’hostilité mutuelle et est l’une des motivations des Vénitiens lors du détournement de la quatrième croisade vers Constantinople. Il s’agit pour Venise de porter un coup fatal à l’Empire, qui la mette à l’abri des réactions byzantines contre ses marchands. Les chevaux de bronze doré symbolisent le poids des références byzantines dans Venise et aussi l’évolution de ses rapports avec Byzance. À l’issue de la quatrième croisade, l’empereur est chassé, l’Empire dépecé, Venise s’assurant les 3/8 de la capitale avec les meilleurs quais, ainsi que les côtes, les îles Ioniennes, une grande partie du Péloponnèse et des Cyclades, et le doge s’intitulant pompeusement dès lors « seigneur du quart et demi de l’Empire byzantin ». Arrachés à l’hippodrome de Constantinople, les chevaux témoignent de cette victoire vénitienne dont ils sont le symbole le plus apparent et qui, en tant que tel, sont placés sur le monument le plus prestigieux et le plus emblématique de la ville. Une miniature permet de dresser un portrait général de la ville. Elle rappelle d’abord le site original de Venise. L’architecture de la ville mêle les influences byzantines aux apports de la chrétienté d’Occident. Venise commerce avec toute la Méditerranée, mais le coeur de ses échanges est constitué d’un triangle qui la relie à Constantinople et à l’Égypte. Elle est aussi le débouché du trafic provenant de l’Europe du Nord-Ouest. Venise occupe donc une position de carrefour entre la Méditerranée orientale et l’Occident chrétien. La basilique Saint-Marc de Venise (1063-1094) est un modèle de l’influence byzantine en Italie du Nord. La première église est édifiée au IXe siècle pour accueillir les reliques du saint patron de la ville, saint Marc, ramenées d’Alexandrie. En 1063, l’église est reconstruite sur le modèle de l’église des

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Saints-Apôtres de Constantinople : plan en croix grecque, cinq coupoles byzantines, colonnades de marbres et de mosaïques polychromes. La riche décoration intérieure, tout comme celle du tympan, se compose de mosaïques à fond doré exécutées par des artistes byzantins. Le retable de La Pala d’Oro, dans la basilique, est un devant d’autel commandé à des artistes de Constantinople par le doge Pietro Orseolo (976-978). Elle est constituée d’un épais panneau de bois revêtu de feuilles d’argent et d’or, incrustées de pierres précieuses et d’émaux. L’effigie du doge Ordelafo Falier (1102-1118) figure sur un détail de La Pala d’Oro et a remplacé celle de l’empereur byzantin Manuel Comnène (1143-1180) au XIIe siècle. Ce changement, intervenu soit après la confiscation par Manuel Comnène de tous les avoirs vénitiens dans l’Empire (1184), soit après la prise de Constantinople en 1204, marque le rejet de la domination de Byzance. Ce n’est plus l’empereur, mais le doge qui incarne le pouvoir de Venise. C’est aussi la générosité personnelle d’Ordelafo Falier qui se trouve ainsi célébrée puisqu’il a largement contribué à restaurer ce célèbre retable en 1105. La façade a été l’objet de nombreuses modifications depuis le XVe siècle. Le monument reflète parfaitement le destin de Venise : d’abord sujette de l’Empire romain d’Orient, elle puise son inspiration architecturale dans le modèle byzantin avant de réaliser un programme de décoration grâce au pillage de la capitale impériale. Les chevaux de Saint-Marc de Venise forment la pièce maîtresse du butin de guerre du doge Dandolo. Ils ont été pris à l’hippodrome de la capitale byzantine. Apporté de Constantinople en 1204, le quadrige est placé cinquante ans plus tard devant la façade de la basilique Saint-Marc – il s’agit d’une copie, les vrais se trouvant abrités dans l’église. 2) Les causes de la prospérité vénitienne. La miniature permet de retrouver surtout les facteurs de la prospérité de la ville : le rôle des marchands et l’activité du port liée au trafic maritime avec l’Orient. Pour remercier Venise de son aide dans la guerre contre les Normands, Alexis Comnène accorde en 1082 aux marchands vénitiens d’importants privilèges commerciaux : le libre commerce dans tout l’Empire, un quartier réservé à Constantinople. Ces privilèges marquent une étape décisive dans l’ascension commerciale des Vénitiens et dans le passage du commerce byzantin aux mains des Italiens. Par un chrysobulle, c’est-à-dire un édit de l’empereur scellé d’une bulle d’or et attaché par des lacets de soie, Alexis Comnène accorde aux marchands vénitiens une franchise de taxes sur tout le territoire de l’Empire ainsi qu’un quartier et des entrepôts à Constantinople. Si l’empereur concède des avantages aussi conséquents aux Vénitiens, c’est qu’il ne peut guère plus se passer d’eux. Après s’être emparés de l’Italie du Sud, les Normands de Robert Guiscard menacent directement le coeur de l’Empire, la flotte de guerre vénitienne devient indispensable à sa sauvegarde. L’essor commercial de Venise est également favorisé par le mouvement de croisade. La ville n’a certes pas participé aux premières expéditions croisées, mais à partir de 1122-1124, elle aide les rois de Jérusalem et obtient ainsi des comptoirs à Tripoli et à Tyr. Anciens vassaux de Byzance, les Vénitiens ont su tirer partie de leurs avantages commerciaux au niveau géopolitique et ont pu ainsi s’emparer de Constantinople en 1204. La puissance vénitienne irrite les empereurs byzantins. Ils s’appuient donc sur un mouvement populaire de réaction contre les Latins pour confisquer les biens des Vénitiens en 1171, et laissent se perpétrer un grand massacre en 1182. D’autre part, l’élargissement des privilèges commerciaux à Pise et Gênes donne un prétexte aux Vénitiens pour s’emparer de la capitale de l’Empire en 1204. Venise devient progressivement une puissance impériale, capable d’annexer des territoires. Après 1204,Venise s’adjuge une part de la Thrace, les îles de l’Égée et de la mer Ionienne, le Péloponnèse. Si tous les territoires passés sous domination vénitienne ne sont pas occupés, les Vénitiens occupent et peuplent la Crète, pivot de leur empire. La mer Noire leur est maintenant ouverte, alors que le chrysobulle de 1082 avait exclu cet espace des privilèges commerciaux. La puissance vénitienne s’étend donc sur toute la Méditerranée, du détroit de Gibraltar (et au-delà vers l’Atlantique) aux États latins d’Orient et à la mer Noire. Dotées de flottes militaires, les routes parcourues par ces commerçants joignent tous les ports importants de cette zone, mais particulièrement des possessions vénitiennes, notamment dans l’Empire byzantin où Venise détient un quasi monopole, mais aussi à Chypre et sur les rives de la mer noire. Ces routes permettent un échange

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constant entre les produits d’Europe du Nord (bois, draps…), d’Orient (épices, coton…) ou d’Afrique (or, esclaves…). Les marchands italiens sont très dynamiques au XIIe siècle. Ils perfectionnent des techniques depuis longtemps en usage en Méditerranée. Un texte décrit le fonctionnement d’une des formes d’association commerciale apparues en Italie, la compagnie. Celle-ci regroupe plusieurs associés d’une même famille, qui se partagent l’investissement, les risques et les bénéfices. Ils se répartissent les tâches en allant diriger les différentes succursales de la compagnie dans l’Empire byzantin qui est à l’époque le coeur du commerce vénitien. Les livres de comptes se rationalisent et les contrats d’association permettent aux détenteurs de capitaux de s’engager dans des opérations très profitables. Les risques des expéditions sont amortis par divers procédés de participation. Contrairement à d’autres types de techniques commerciales (commenda, colleganza), la compagnie est marquée par la solidarité familiale (un oncle à son neveu…). Le système de la «commande» permet à un négociant qui s’embarque pour une expédition commerciale de recevoir des capitaux de plusieurs mandataires. De même, les navires sont souvent divisés en parts que détiennent plusieurs propriétaires, permettant ainsi aux armateurs de ne pas risquer leur mise sur un seul vaisseau. Ces méthodes sont à l’origine d’un capitalisme marchand qui permet aux Italiens de dominer la Méditerranée. III. Bruges Du XIIe au XIVe siècle, Bruges a été au coeur des relations maritimes, commerciales et financières des pays de l’Europe occidentale. La ville était un pôle majeur du trafic de l’Europe du Nord-Ouest (Flandre, Angleterre, Hanse germanique). Le port de Bruges étant non seulement le dernier port de mer pour les Hanséates avant la traversée de la Manche, mais aussi le point d’aboutissement des caboteurs venant de La Rochelle et de Bordeaux, il est devenu le point de rencontre des marchands de l’Europe septentrionale et méridionale. À partir du XVe siècle, la ville a décliné à cause de plusieurs facteurs : ensablement de l’estuaire du Zwin, difficultés de l’industrie textile et enfin rupture avec Maximilien d’Autriche, qui a favorisé Anvers. Bruges est très bien située au sud du vaste delta du Rhin, de la Meuse et de l’Escaut, face à l’Angleterre. Mais, pour lutter contre l’ensablement du Zwin et s’adapter au tonnage supérieur des navires hanséatiques, la ville a dû créer l’avant-port de Damme (dam signifie « barrage ») en 1180, puis celui de l’Écluse (Sluis), situé plus au nord sur le Zwin, en 1260. Bruges a été reliée à Damme puis à l’Écluse par un canal. Les marchandises étaient acheminées en ville par de grosses barques et déchargées par des grues en bois. Bruges a connu une extension sensible entre les XIIe et XIIIe siècles. À partir du XIe siècle, la population a augmenté rapidement (environ 50 000 habitants à la fin du XIIIe siècle) et la petite ville, née autour du château des comtes de Flandre, s’est développée : de nouveaux murs d’enceinte en pierre ont été construits entourant des superficies croissantes, allant de 86 à 460 hectares. Le tracé des canaux correspond aux fossés qui ont entouré les remparts successifs. La principale production de Bruges est celle du drap. Véritable assise de la ville comme matière d’échange, les draps étaient vendus dans toute l’Europe. Contrairement aux étrangers, les bourgeois de Bruges possèdent le « privilège » de ne pas payer de droits sur les marchandises et de pouvoir acheter et vendre dans la ville. Bruges s’organise, comme la plupart des villes flamandes, autour d’une Grand Place où se trouvent les principaux bâtiments (dont le beffroi) et les plus belles demeures de la ville. Les deux halles, commencées en 1248 en même temps que le beffroi, abritent le commerce des draps de laine. Avant la construction de l’hôtel de ville, elles servaient également d’hôtel de ville. Situé au-dessus des halles, le beffroi a été édifié en trois temps, reflétant par excellence l’art gothique profane. Il renfermait la cloche que l’on sonnait pour donner l’alarme et pour convoquer les bourgeois ; les archives et le sceau de la ville y étaient déposés ; il était aussi utilisé comme prison. Le beffroi incarne le symbole de l’affirmation urbaine, de la toute relative indépendance du pouvoir urbain vis-à-vis du pouvoir des comtes de Flandre. Il représente la richesse, la puissance, la sécurité de la ville. La charte communale énonce les libertés et avantages accordés à la communauté. La charte communale donne aux bourgeois de Bruges la possibilité d’administrer eux-mêmes la ville dans certaines limites. Le comte nomme les échevins (parmi les bourgeois de Bruges), conserve le droit de justice pour les délits concernant

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les monnaies et les crimes commis contre l’Église, dispose d’un droit de regard sur les règlements. Les échevins peuvent établir des impôts et édictent les règlements urbains. Dans leurs rapports avec le comte de Flandre, le bourgmestre et les échevins de la ville de Bruges défendent les privilèges juridiques et fiscaux qu’ils ont conquis. Leur indépendance est protégée des interventions du comte par les articles 1 et 67 de la charte. À partir du XIIIe siècle, les quais sont construits, empierrés, des entrepôts édifiés. Ici, on voit une grue de déchargement comme il en existait quelques-unes à cette époque. Elle est installée au centre de la ville au port aux vins. L’habillage de bois cache poulies et filins. Elle est mobile sur son axe pour prendre les tonneaux dans les chalands et les déposer sur le quai. La roue est actionnée par des jeunes garçons qui marchent sur place à l’intérieur. Sur les quais, on voit les manutentionnaires qui récupèrent les fûts ; un jaugeur qui vérifie l’exactitude de la mesure du tonneau, un valet qui soutire du vin dans des tasses qu’il donne au marchand habillé de fourrure. Celui-ci la tend au seigneur (épée) pour qu’il la goûte. Deux chevaux attendent pour emporter le tonneau. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :

Evaluation cohérente en fonction des objectifs :

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HMA – Paris au XIIIe s

Approche scientifique Approche didactique

Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) :

Insertion dans les programmes (avant, après) :

Sources et muséographie : Ouvrages généraux : Nouvelle histoire de Paris : t.2, De la fin du siège de 885-886 à la mort de Philippe Auguste de Jacques Boussard , 1976 (1997) et t.3 Paris de Philippe Auguste à la mort de Charles V (1223-1380) de Raymond Cazelles, 1975 (1994) Jean Favier, Paris : deux mille ans d’histoire, Fayard, 1997. Paris, Bernard Valade (dir.) et Alfred Fierro, Michel Fleury, Guy-Michel Leproux et al., Citadelles et Mazenod, 1999. Histoire et dictionnaire de Paris, Alfred Fierro, Paris : Robert Laffont, 1996. L’histoire de Paris par la peinture, Georges Duby (dir.) et Guy Lebrichon. – Paris : Belfond, 1988, Citadelles et Mazenod, 2008. Documentation Photographique et diapos : Revues : Paris : La traversée des siècles / Collectif, in LES COLLECTIONS DE L'HISTOIRE, Hors série N° 9, Octobre 2000 : Naissance d'une capitale d'exception (Jean Favier, Imaginons Oxford et Cambridge en plein Londres ou Washington dans Manhattan. C'est ce qui se dessine au XIIIe siècle sur les bords de la Seine, autour de la cité héritée des Gaulois: une capitale d'exception, à la fois ville royale, carrefour économique et centre culturel), Le petit monde de la Place de Grève (Jean Favier, Dans le dense lacis des ruelles médiévales, la place de Grève, à l'emplacement de l'actuel Hôtel de Ville, apparaît comme la seule digne de ce nom. C'est là que, sous l'oeil vigilant d'une armée d'agents municipaux, sont débarquées les marchandises qui approvisionnent la ville. Là encore que les provinciaux viennent chercher un emploi. Là aussi que, face au pouvoir royal, la bourgeoisie parisienne affirme son autonomie) Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : L’Occident chrétien est caractérisé par élan dont témoigne Paris. L’essor économique s’appuie sur les campagnes et dynamise les villes, qui commencent à bénéficier des libertés communales. Les cités maritimes italiennes constituent le fer de lance de ce mouvement d’autonomie politique qui s’accompagne d’une vitalité commerciale faisant de la Méditerranée leur domaine privilégié. Au même moment, certains régimes monarchiques se centralisent et s’unifient (France, Sicile) et permettent aux rois de prendre la tête de la pyramide féodale. Paris s’affirme comme capitale à partir du règne de Philippe Auguste. Il faut mettre en avant les qualités de Paris qui ont permis le choix comme capitale, en particulier son rôle de carrefour économique et intellectuel. À la fin du XIIIe siècle, l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés, le Louvre, l'abbaye Saint-Martin, le Temple et la Bastille se situent en dehors des murailles. Accompagnement : « L’essor urbain et économique est présenté à partir des exemples de villes (plan, palais, édifices municipaux, etc.). L’autonomie urbaine s’affirme par le mouvement communal et une organisation sociale particulière, mais aussi dans les différentes formes de solidarité et par un art de vivre et une culture spécifiques (rôle des universités). » Accompagnement : « L’intitulé du chapitre déborde ici explicitement le temps fort du programme de 5e que constitue le XIIIe siècle ; inscrit sur le long terme, il invite en fait à aller à l’essentiel : deux à trois séances seulement doivent en effet y être consacrées. Deux thèmes sont privilégiés : la constitution territoriale du royaume et l’affirmation de l’État, inséparable au moins jusqu’au XIIIe siècle de la personne du roi. Ces deux thèmes peuvent être abordés en plusieurs temps, notamment en étudiant l’oeuvre de Philippe-Auguste : « rassembleur de terres », le roi est en effet conduit par l’extension considérable du domaine royal à mettre en place une

Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : Ce thème se rattache à deux chapitres : celui sur l’essor urbain et celui sur la centralisation du pouvoir en France BO actuel : « Les cadres politiques et la société L’analyse de l’essor urbain et économique prend appui sur la description de deux ou trois villes (Venise, Bruges, Bourges, par exemple). • Cartes : routes commerciales (XIIIe siècle). • Documents : plan, palais et édifices municipaux des villes choisies comme exemples. » Socle : Nouveau commentaire « On s’appuiera sur l’étude d’un ou deux exemples significatifs : une ville appartenant au patrimoine européen (Venise, Bruges, Bourges, etc.) ou une ville marchande médiévale proche de l’établissement et dont on étudie les activités, l’organisation spatiale et les relations avec d’autres régions. » Dans les futurs programmes, la ville n’est plus rattachée au cadre de vie de la société mais à l’expansion économique. « L’EXPANSION DE L’OCCIDENT L’expansion de l’Occident se concrétise dans le développement de villes. L’étude est conduite à partir d’un exemple

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amorce de centralisation. L’État se renforce, avec ses hommes, les légistes, avec ses institutions (Parlement, Cour des Comptes) installées à Paris. Une description du Paris de Philippe-Auguste aide les élèves de la classe de 5e, sensibles au récit, à fixer cette évolution dans leur mémoire. »

au choix d’une grande ville et de son architecture » BO actuel : « Le Royaume de France (Xe-XVe siècles) : l’affirmation de l’État Il ne s’agit pas d’examiner tous les aspects de l’histoire de la France pendant ces six siècles. L’étude est centrée sur la constitution territoriale du royaume et l’affirmation de l’État.

Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Trois facteurs expliquent son essor continu du XIe au XVe siècle : la volonté royale, l’activité économique, le rayonnement intellectuel et religieux. La Cité devient rapidement le coeur politique et religieux du royaume avec la construction de Notre-Dame en 1163, celle de la Sainte-Chapelle de 1246 à 1248 et l’agrandissement du Palais royal sous Philippe le Bel (1285-1314). La plus grande ville d’Occident au XIIIe siècle est de dimension restreinte : le long de l’axe formé par les rues Saint-Jacques et Saint-Martin, la ville s’étend sur environ 2 km 400 tandis que le long de la Seine, d’une muraille à l’autre, la distance est de 2 km. On peut comparer avec les dimensions du Paris actuel. Monstre urbain sans commune mesure avec les grandes villes d’Italie et de Flandre, Paris atteint sans doute 200 000 habitants au début du XIVe siècle. Les fonctions de Paris sont économiques, politiques et intellectuelles. C’est sur l’île de la Cité que l’on trouve les organes du gouvernement. Les mots qui montrent la puissance de la ville sont : « cité royale », « abondance de richesses naturelles », « grand », « riche », « activité bouillonnante », « navires innombrables », « richesses ». Une enluminure peinte vers 1480 par Jean Fouquet (Grandes Chroniques de France, BNF) montre l’entrée de Louis II d’Anjou à Paris, accueilli aux portes de la ville par Charles VI. Derrière l’enceinte de Philippe Auguste, on voit la « ville aux cent clochers », vue du sud, probablement de la porte Saint-Jacques. On reconnaît Notre-Dame ainsi que le donjon du Temple, à l’arrière plan à gauche au lieu d’être figuré au nord-est, et la Sainte Chapelle. Le roi choisit l’emplacement du Louvre afin qu’il soit tourné vers la Normandie. I. Une capitale royale À l’époque des premiers Capétiens, le roi continue à mener une vie nomade, parce qu’il lui faut profiter des ressources de ses domaines successivement, sans en abuser. Paris n’est pas encore la plus importante des villes royales. C’est Orléans qui est la « principale résidence des rois ». Les Capétiens se transportent d’un palais à l’autre avec leur « famille », leurs archives, leur sceau. Au XIIIe siècle, les monuments politiques et administratifs occupent l’île de la Cité, coeur de la ville, et les bords de Seine sur la rive droite où s’est étendue la ville depuis la Cité. Le pouvoir royal se manifeste, surtout sous Philippe Auguste, par la construction de l’enceinte nord percée de 10 portes et du Louvre (1204) (forteresse protégeant la Seine et la route occidentale conduisant aux possessions des Plantagenêts), et par la tour de Nesle, par la réalisation plus tardive de l’enceinte sud en 1212. Construite entre 1190 et 1220 sous le règne de Philippe Auguste, la muraille est le second et dernier (après le mur gallo-romain qui ceinturait l'île de la cité) ouvrage à avoir eu une fonction défensive globale. Il subsiste des portions appréciables de la structure. Le mur dispose d’un chemin de ronde, de créneaux, de portes fortifiées, de tours rondes régulièrement espacées. Il faisait tour le tour de la ville de l'époque. Le Paris de 1230 ressemblait un peu au Carcassonne d'aujourd'hui. 2800m sur la rive droite, 2600m sur la rive gauche, 3m d'épaisseur à la base, 9m de hauteur et une tour de 14m de haut tous les 70 m, le rempart était une fortification imposante. Pour le défendre à l'Ouest Philippe Auguste fit ériger sur ses deniers (le mur, lui, était financé par la ville) le Louvre féodal qui devait donner naissance au bâtiment que nous connaissons aujourd'hui. Le donjon ou "Grosse Tour" du Louvre, également dite Tour de Paris, a été construit en 1200. C'est François Ier qui le détruira en 1528. C'était une grosse

Activités, consignes et productions des élèves :

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tour ronde ; on peut en voir le tracé actuellement dans la cour carrée : un pavage au sol délimite son ancien emplacement. Il s'agissait d'un très gros cylindre utilisé comme prison. Il était cerné d'un qualidrilatère. Ses dimensions étaient : 32 mètres de haut, jusqu'à un toit conique, 15 mètres de diamètre et un mur épais de 4,20 mètres à la base. Autour du donjon se trouve une enceinte de 77 mètres du nord au sud et 70 mètres d'est en ouest, très épaisse du côté ouest, puisque le danger scandinave était venu de cette direction. Le roi abrite dans le donjon son trésor, ses archives (qui avaient été perdues en 1194 et reconstituées) et son arsenal mais n'y réside pas. C’est en 1380 que Charles V s'installe dans le Louvre et l'aménage alors en habitation royale. Le palais royal de la Cité s’est beaucoup développé sous les derniers Capétiens et les premiers Valois. Le palais proprement dit regroupe les bâtiments nécessaires à la Cour du roi (logis du roi, jardin, chapelle), et à l’administration centrale (Parlement, Chambre des comptes, grand-salle). Le palais de la Cité ou palais royal est agrandi par saint Louis qui fait construire entre autre la Sainte-Chapelle et un bâtiment abritant le Trésor des Chartes. Philippe le Bel à son tour rénove le palais qui comprend à la fin du XIIIe siècle des bâtiments à usage personnel comme le logis du roi et des bâtiments politiques, administratifs et religieux tels que le Parlement, la Chambre des comptes, la grand-salle, la Sainte-Chapelle appelée ainsi car elle conserve les reliques de la Passion acquises en 1237. Le palais perd définitivement son rôle de résidence royale en 1417. Célèbre par les vitraux de la salle haute, la Sainte-Chapelle a été construite entre 1246 et 1248 (moins de trois ans) pour garder les reliques de la Passion acquises en 1237 par saint Louis (l’épine de la couronne du Christ). Les plans ont été attribués à Pierre de Montreuil, architecte d’une partie de la nef de Saint-Denis et du bras sud du transept de Notre-Dame. Il a du construire un édifice à deux étages puisque la Sainte-Chapelle s’enserre dans le palais royal de l’île de la Cité (actuellement le palais de justice). Nous pouvons voir la chapelle haute réservée au souverain, où l’architecte a supprimé les murs pour établir les immenses parois de verre. Elle s’élève à 20 mètres sous la voûte. Des voûtes d’ogive retombent sur des piliers qui avancent d’un mètre sur le plan des fenêtres. Grâce à un jeu de colonnettes, on ne remarque pas l’importance de cette avancée. Sur chacun des douze piliers est accrochée une statue d’apôtre. Les vitraux sont l’oeuvre des plus grands artistes du XIIIe siècle. II. Une cité peuplée et marchande Philippe Auguste urbanise Paris et entreprend des travaux d’aménagement pour pallier l’extrême saleté des rues qui se transforment en bourbier dès qu’il pleut. Les aménagements de Paris effectués par Philippe Auguste sont nombreux. En 1185, il ordonne le pavage de quelques rues : Saint-Jacques, Saint-Martin par exemple. Les pavés étaient des dalles de 5 à 6 cm2 et de 16 à 19 cm d’épaisseur. Il n’y avait pas encore de trottoirs. Le pavage des rues de Paris permet d’éviter la boue et de lutter contre les mauvaises odeurs. En 1222, Philippe Auguste ordonne l’élargissement des rues afin de permettre à deux charrettes de se croiser. Il doit également créer un lieu suffisamment grand pour accueillir les marchands venus de toutes parts. La ville comptait plusieurs marchés dont le marché de la Grève (actuellement place de l'Hôtel de Ville) et celui des Champeaux qui est à l'origine du quartier des Halles. En 1137, Louis VI avait déjà transféré un marché depuis la place de Grève jusqu'à cet endroit. Il fut d'abord en plein air. Le marché des Champeaux se trouve dans un site favorable au commerce puisque situé au carrefour des arrivages par le fleuve, de la jonction avec la Cité par le Grand-Pont et le Châtelet, et des arrivages par la route (drap du Nord par la rue Saint-Denis, blé par la rue de la Ferronnerie, poisson de la Manche et de la mer du Nord par la rue des Poissonniers). Des portes fermaient ces bâtiments la nuit, pour permettre aux marchands d'y déposer leurs marchandises à l'abri. Philippe-Auguste y fit transférer en 1181 "la foire St Lazare" et en 1182, le marché fut agrandi, suite à la confiscation des maisons aux juifs ; deux grands pavillons y furent construits. En 1187 le cimetière des Saints Innocents fut clos par un mur afin d'être séparé du marché des Champeaux. C'est sous Philippe Auguste, à cause de tous ces travaux, que le marché commence à s'appeler "les Halles". Le commerce s’accroît ce qui permet au roi de prélever des droits de location sur les étals et des taxes sur les transactions. Saint Louis fait construire à son tour trois nouveaux bâtiments. Les Champeaux deviennent un centre commercial de grande ampleur. Ces limites restèrent les mêmes jusqu'au XVIe siècle. Aux halles de Champeaux se vendent

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aussi bien des produits alimentaires que des produits artisanaux. Le Petit-Pont et le Pont-au-Change relient l’île de la Cité à la rive droite commerçante et à la rive gauche, lieu des étudiants. Paris est administrée par le prévôt de Paris, agent du roi. Elle n’a pas de commune, ce n’est pas une ville indépendante. Mais au XIIIe siècle, le prévôt des marchands et les échevins, représentants des marchands et bourgeois de Paris, ont une part active dans les affaires de la cité : ils lèvent des impôts, veillent aux travaux publics, ont un tribunal pour les affaires commerciales. C’est la hanse des marchands de l’eau (ceux qui utilisent la Seine pour transporter leurs marchandises) qui a donné à Paris ses armes et sa devise (« fluctuat nec mergitur »). Ce sceau témoigne d’une certaine autonomie des décisions des bourgeois de Paris car ils ont le droit d’authentifier ainsi des actes juridiques. Le symbole choisi est un bateau : il reflète leur activité de marchands et l’importance qu’elle a pour la ville de Paris. C’est sur l’ordre de Louis IX (1226-1270) qu’Étienne Boileau, prévôt de Paris, a rassemblé dans le Livre des métiers les statuts d’une centaine de métiers. La plupart des dispositions de ce recueil de règlements, dont le principal objet était de protéger l’artisanat et le petit commerce parisiens contre la concurrence déloyale et le chômage, ont été la base de la réglementation professionnelle à Paris jusqu’à la fin du Moyen Âge. Le seigneur de Paris était le roi (nous sommes au cœur du domaine royal). Ainsi que le montre le texte, les métiers (le terme « corporation » est bien postérieur à la période médiévale puisqu’il ne date que du XVIIIe siècle) étaient très strictement réglementés du point de vue des conditions d’accès et de production, de travail et de vente. Pour devenir maître de métier, il fallait réaliser un chef-d’oeuvre. Si les compagnons ou apprentis pouvaient devenir maîtres jusqu’à la fin du XIIIe siècle, les crises de la fin du Moyen Âge et le ralentissement de la croissance économique vers 1270 ont rendu l’accès à la maîtrise plus difficile. Les métiers ont favorisé la qualité de la production urbaine ; cependant toute la réglementation par des jurés, en obligeant la localisation de tous les ateliers ou échoppes d’un même métier dans une même rue, permettait une étroite surveillance de chacun mais a freiné tout esprit d’initiative. III. Un grand centre intellectuel et religieux Même si Paris n’est pas siège de métropole (Sens), la nouvelle cathédrale Notre-Dame, commencée en 1160 et terminée au début du XIVe siècle, occupe toute la partie orientale de la Cité. Les abbayes, entourées de leurs propres enceintes, jouxtent le rempart. La cathédrale doit être reconstruite. En effet, l’ancienne cathédrale Saint-Étienne située sur le même emplacement que la cathédrale actuelle remontait au VIe siècle et n’était pas en mesure d’accueillir des fidèles toujours plus nombreux. L’évêque Maurice de Sully commande les travaux qui sont commencés à partir de 1163. De nouvelles techniques inaugurées pour la basilique Saint-Denis sont réutilisées et perfectionnées à Notre-Dame. A Paris, l’ancienne cathédrale Saint-Étienne située sur le même emplacement que la cathédrale actuelle remontait au VIe siècle et n’était pas en mesure d’accueillir des fidèles toujours plus nombreux. L’évêque Maurice de Sully commande les travaux qui sont commencés à partir de 1163. De nouvelles techniques inaugurées pour la basilique Saint-Denis sont réutilisées et perfectionnées à Notre-Dame. Elle est située dans l’île de la Cité, au coeur de la capitale capétienne. L’art gothique s’étend rapidement dans toute l’Île-de-France. On peut remarquer les différents niveaux de l’élévation : les trois portails, puis la galerie des rois, l’étage de la rose, la galerie ajourée et les tours. Celles-ci n’ont pas été dotées de flèches, car on jugea qu’elles nuiraient à l’impression de puissance de l’ensemble. La cathédrale est orientée vers l’est en direction de Jérusalem. Les fidèles se placent dans la nef lorsqu’ils assistent à la messe. À Notre-Dame, la nef est très large et bordée de doubles collatéraux que n’interrompt pas le transept non saillant. L’absence de chapelles derrière le déambulatoire donne au chevet une grande unité. Le chevet de Notre-Dame de Paris permet d’observer les arcs-boutants datant du XIVe siècle ainsi que les pinacles et les contreforts. L’arc-boutant permet de canaliser la poussée de la voûte en la répercutant sur les contreforts. Il permet donc de construire une église plus élevée. La voûte des églises gothiques est divisée en quatre parties reposant sur des arcs, appelés ogives, qui se croisent. La croisée d’ogives dirige le poids de la voûte non plus sur les murs, mais sur les piliers consolidés par des arcs-boutants et sur des contreforts. La voûte peut alors atteindre une très grande

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hauteur ; on peut percer les murs de grandes fenêtres décorées de vitraux. Les églises gothiques sont plus lumineuses. Les chrétiens du Moyen Âge étaient impressionnés par ce monument car aucune construction n’avait encore atteint cette hauteur. Édifiée entre 1218 et 1245, la façade est remarquablement équilibrée. Trois étages se distinguent nettement au-dessus du parvis, celui des portails surmonté de la galerie des rois de Juda, celui de la rosace de plus de 10 mètres de diamètre datant du XIIIe siècle et celui des deux grandes tours. Le portail le plus ancien est celui de sainte Anne, à droite sur la façade. Le portail central représente le Jugement dernier et celui de gauche représente la Dormition et le couronnement de la Vierge. On peut pénétrer à l’intérieur de la cathédrale pour en étudier les innovations et la décoration au service de la foi. Les murs d’une nef gothique sont très hauts et percés de larges fenêtres qui rendent la nef lumineuse. À l’intérieur de la nef, l’accent est mis sur les lignes verticales. La hauteur atteint 34 mètres. Aucune alternance n’intervient dans la retombée de la voûte sexpartite, soutenue par de triples colonnettes identiques. L’élévation est à quatre niveaux : grandes arcades, tribunes, oculi, fenêtres hautes. C’est entre 1300 et 1350 que trois artistes, Pierre de Chelles, Jean Ravy et Jean Le Bouteiller, ont réalisé la frise constituée d’un assemblage de panneaux en bois. Sur le bas-côté sud, neuf panneaux montrent les apparitions du Christ ressuscité. Sur le bas-côté nord, sont représentées les scènes allant de l’enfance à l’agonie de Jésus. La Cène est l’une d’elle. Le Christ est au centre entouré des apôtres couronnés d’une auréole ou nimbe symbolisant leur sainteté. Jean a sa tête appuyée sur la poitrine de Jésus. Jésus célèbre la première messe en donnant à ses 12 apôtres le pain et le vin (cf. les coupes posées sur la table) transformés, d’après les chrétiens, en son corps et en son sang. La rosace nord est située dans le transept nord. Cette rosace est consacrée à l’Ancien Testament mais conduit jusqu’au Christ. En effet, juges, prophètes, rois et grands prêtres entourent la Vierge portant l’Enfant Jésus. 85 % des verres sont d’origine. La statue de la Vierge à l’enfant du XIVe siècle venant d’une église de l’île de la Cité n’a été transférée à Notre-Dame de Paris, dans le transept au pied du choeur, qu’en 1855. Le culte de la Vierge dans la cathédrale remonte cependant aux origines de sa construction. Cette statue, classique au XIVe siècle, représente une Vierge portant l’Enfant sur la hanche. L’Enfant tient un globe, symbole du monde. Encore peu peuplée, la rive gauche connaît au XIIIe siècle un grand rayonnement grâce à la volonté royale et à la création de l’Université de Paris. On a pu estimer que celle-ci regroupe environ 10 000 maîtres et étudiants. La réputation européenne de Paris est grande pour les arts libéraux et la théologie (saint Bonaventure). Le collège de la Sorbonne est fondé en 1247. L'université est née en juillet 1200, lorsque Philippe Auguste lui accorda des privilèges. Le véritable chef en était le pape. La réputation de l'université parisienne s'étendait rapidement et la conséquence en fut la première crise du logement. En 1215 le pape décida de faire fixer la taxation des loyers par deux maîtres de l'université, pour éviter les abus. Le refus des propriétaires à se soumettre à ce taux leur interdisait de louer pendant 5 ans. En 1219, les maîtres ès arts sont si nombreux que l'on commence à voir des groupements par nations. En 1221, l'Université a son propre sceau. Au début du XIIIe siècle, un des premiers collèges fondé à Paris fut Place Maubert, près des premières écoles. La Place Maubert était le grand centre de rassemblement des écoliers. Les élèves écoutaient debout les maîtres qui donnaient leurs cours, sur un perchoir. On y enseigna la philosophie et la physique d'Aristote. Puis les écoliers allèrent vers la montagne Ste Geneviève. La place Maubert reçut ensuite potences, roues et bûchers, surtout sous François Ier. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :

Evaluation cohérente en fonction des objectifs :

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HMA – Les crises des XIVème et XVème s. en Europe occidentale

Approche scientifique Approche didactique

Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) :

Insertion dans les programmes (avant, après) :

Sources et muséographie : Ouvrages généraux : Alain Demurger, Temps de crises, temps d'espoir, XIV-XVe s., Nouvelle histoire de la France médiévale, Seuil, 1990 Jacques Heers, Le Moyen Âge, une imposture, Éditions Perrin, 1999. W. Abel, Crises agraires en Europe, 1973 (1935, 1966) G. Bois, Crise du féodalisme, 1976 Monique LUCENET, Les Grandes Pestes en France, Paris : Aubier, 1986. Jean-Noël BIRABEN, Les hommes et la peste en France et dans les pays européens et méditerranéens, Paris : Mouton, 1976. Patrick MOUTON, La mort est venue de la rue, Rueil-Malmaison : Pen Duick, 1982. La fin du Moyen âge. Tome 1 . La déségrégation du monde médiéval, 1285-1453, Tome 2 . L'annonce des temps nouveaux, 1453-1492 -- par Pirenne , Henri -- 1862-1935, Perroy , Édouard -- 1901-1974, Renaudet , Augustin -- 1880-1958, Handelsman, Marcel, Halphen , Louis – 1880-1950, Paris, Alcan, 1931. 569 et 324 pages Johan Huizinga (1872-1945), L'Automne du Moyen Âge, 1919 (décrit le Moyen Âge tardif comme une période pessimiste et décadente et non pas comme celle d’une renaissance). Documentation Photographique et diapos : Revues : La peste, Un mal qui répand la terreur, Monique Lucenet, TDC, N° 904, du 15 au 30 novembre 2005 Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : La fin du Moyen âge fascine. Deux facteurs principaux expliquent l'attraction qu'exerce cette période : elle apparaît d'une part comme un moment historique riche car double, phase de transition entre le Moyen âge et la Renaissance, où se mêlent des cadres de représentation anciens et nouveaux. L'insinuation d'une pensée humaniste balbutiante s'y traduirait notamment par l'émergence de la notion d'individu, qui constitue l'un des objets de ce travail. Il faut invoquer, d'autre part, l'image macabre d'un bas Moyen âge hanté par l'idée de la maladie et de la mort depuis l'épidémie de peste noire de 1348, obsédé par la brièveté de la vie humaine. Ces deux facettes de « l'automne du moyen âge » tel que l'évoque avec poésie Johan Huizinga sont-elles autre chose qu'une plaisante image d'Epinal ? L'expression "crise (ou crises) du bas Moyen Age" est née des travaux de l'historien allemand Wilhelm Abel sur les crises agraires et leurs corollaires démographiques, publiés en 1935. Le pluriel est plus adéquat que le singulier, parce que l'historiographie récente considère toutes sortes de types de crises, non seulement celles qui touchent l'agriculture et la population, mais aussi celles liées à la vie culturelle et religieuse (Eglise, persécution des juifs, place des femmes dans la société) ou à des phénomènes physiques (climat). Ces crises ont frappé l'Europe des XIVe et XVe s. Ces siècles sont pourtant riches de mutations, comme l'avait demontré le Hollandais Johan Huizinga dans son ouvrage paru en 1919 sur l'automne du Moyen Age. Si le mot et la notion de crise (financière, commerciale ou politique) existent dès les années 1810-1820, les historiens d'avant 1930 s'y sont peu intéressés. L'école romantique n'a pas ignoré des phénomènes comme la famine, la guerre ou la peste, mais il s'agissait pour elle de peindre le Moyen Age dans les couleurs sombres qu'on aimait à lui donner et elle restait souvent au stade de l'anecdote. Quant aux positivistes, qui privilégiaient l'événement directement décrit par les sources, ils étaient incapables de construire l'objet "crise". A la suite des crises économiques et sociales vécues par l'Occident au cours des années 1920-1930, quelques historiens deviennent sensibles aux réalités économiques et sociales du passé. Dès lors, en utilisant les méthodes des économistes, ils apprennent à repérer les faits qui vont leur permettre de constituer la crise comme objet scientifique. On saisit mieux aujourd'hui les

Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO actuel : « Les cadres politiques et la société Les trois grands fléaux (famine, peste, guerre) des XIVe et XVe siècles sont globalement analysés afin d’expliquer la crise de l’Occident. • Repères chronologiques : la peste noire (milieu du XIVe siècle). Dans les futurs programmes, ce thème disparaît Accompagnement : « Pour la crise des XIVe et XVe siècles, on insiste sur la trilogie : famines, peste et guerre. Les famines se succèdent et sont socialement sélectives. La guerre cause des ravages et coûte cher (on ne la présente pas dans le détail). La propagation de la peste suit les routes commerciales. La peste noire laisse les pays ruinés, les familles décimées. Cette crise débouche sur des remises en cause politiques, religieuses, culturelles et exacerbe les comportements intolérants, mais dans le même temps on assiste au renforcement des structures de l’État. »

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conjonctures et les cycles et on mesure l'ampleur des chocs qui, aux XIVe-XVe s., ont affecté le nombre des hommes, l'agriculture, le commerce et d'autres domaines. Dans le dernier quart du XXe s. se développe une nouvelle manière de considérer les phénomènes de crise. On peut caractériser cette démarche par une volonté d'envisager les changements du Moyen Age final non comme des accidents conjoncturels (la vision libérale), mais dans la perspective de changements touchant dans sa totalité la civilisation médiévale. On voit en somme les crises comme des effets et donc comme des signes de mouvements affectant en profondeur un système de civilisation en cours de mutation. Les périodisations s'en trouvent en partie renouvelées: à cette échelle, les changements débutent à la fin du XIIIe s., les crises du XIVe s. prenant place dans un ensemble plus vaste et plus complexe. Tous les historiens s’accordent pour parler d’une conjoncture défavorable à la fin du Moyen Âge. À l’essor spectaculaire des XIe-XIIIe siècles succède une période de crises. Famine, peste, guerre marquent les XIVe-XVe siècles. La population serait passée de 15 à 10 millions d’habitants dans le royaume de France entre 1300 et 1400 et de 4 à 2 millions dans le royaume d’Angleterre. Cette régression démographique s’accompagne d’un développement de la pauvreté, de révoltes dans les campagnes comme dans les villes, de la désertion de nombreux villages. L’observation de l’évolution démographique de Périgueux aux XIVe et XVe siècles montre que la conjoncture est devenue défavorable avant le déferlement de la Peste noire, et qu’une reprise s’amorce dans les dernières décennies du XVe siècle. Le « temps des malheurs » (famine, épidémies, guerre) est expliqué à l’aide d’exemples dans ses dimensions économique et sociale. « Crise profonde » ou « malheurs », les derniers siècles du Moyen Âge furent sombres. Est-ce une décadence (« l'automne du Moyen Age » selon la formule célèbre de J. Huizinga, dans son livre du même titre traduit aux éditions Payot en 1961), ou crise de croissance ? Les explications des historiens divergent. Les contemporains eux, incapables d'analyser cette situation, lui ont cherché des explications divines. Il est important de faire comprendre le caractère concomitant des trois fléaux, d'insister sur la peste noire et d'en saisir les conséquences démographiques et morales. Édouard Perroy penchait pour l’idée d’une série de crises rapprochées : crise frumentaire vers 1315 jusqu’en 1320, d’où une soudure difficile liée aux aléas climatiques (en 1314, hivers froids et humides sur l’Europe du Nord-Ouest) ; crise financière et monétaire de 1335 à 1345 ; crise démographique à partir de 1348, due à la Peste noire, dont l’extension commença en Occident dès décembre 1347, à partir de Marseille, pour revenir à maintes reprises tout au long des XIVe et XVe siècles. La contamination était rapide et sans appel ou presque (la peste bubonique était mortelle à 80 % et la peste pulmonaire à 100 %). Certaines régions semblent avoir été moins touchées que d’autres, et même si les grands axes commerciaux ont favorisé la transmission de l’épidémie, certaines contrées ont été en partie épargnées. Henri Pirenne et Maurice Postan ont eu une vision plus globale de la crise, vision à connotation malthusienne puisque le « surpeuplement » des campagnes face à une forte démographie jusqu’au début du XIVe siècle aurait amené une crise générale pour l’ensemble de l’Occident chrétien, provoquant ainsi le sous-peuplement des campagnes à la fin du Moyen Âge. Chez ces auteurs, l’élément démographique est l’élément moteur de la crise. Jacques Heers, plus récemment, penche pour une vision plus locale des événements et tient à nuancer, en fonction de l’emprise de la féodalité, l’impact de la crise ou des crises. Sa vision plus régionale permet de nuancer la vision exagérément noire d’un Occident entièrement touché par les crises. Si tous les historiens s’accordent sur le ralentissement de la croissance économique dès 1270-1280, limitant l’idée d’un « beau XIIIe siècle » au profit du XIIe siècle, on constate l’existence de plusieurs signes manifestes de l’approche d’une dépression économique (population sous-alimentée en Angleterre dès 1270, faillites à Sienne à la fin du XIIIe siècle, révoltes urbaines comme à Douai vers 1280-1285, etc.). La reprise économique est beaucoup plus difficile à cerner dans le temps. Plusieurs ouvrages montrent qu’il peut y avoir eu reprise dès le début du XVe siècle et, plus généralement, au milieu de ce siècle pour l’ensemble de l’Occident. Périgueux semble à ce propos plus en retard.

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Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : I. Des facteurs multiples La famine réapparaît dès 1315. Elle est liée au refroidissement du climat : les XIVe et XVe siècles sont une période froide et humide (cf. sources écrites de l’époque, palynologie, dendrochronologie…). Une mauvaise année entraîne aussitôt une augmentation des décès. Quand les conditions climatiques sont défavorables plusieurs années de suite, c’est la catastrophe. D’autant que la famine s’accompagne d’épidémies qui frappent les populations affaiblies. Le Journal d’un bourgeois de Paris évoque les famines récurrentes du début du XVe siècle. La guerre a changé de visage : les armées ne sont plus composées des seigneurs et de leurs vassaux mais de soldats professionnels payés pour cette tâche. Dans ces conditions, la paix pose un grave problème : les soldats ne sont plus payés ; pour survivre, ils conquièrent des châteaux à partir desquels ils rançonnent les campagnes et les villes alentour. Les «Grandes Compagnies », les « Écorcheurs » ont ravagé les campagnes françaises tout autant que l’ennemi anglais. La dernière grande épidémie de peste en Occident remonte au VIe siècle. Elle réapparaît brusquement en 1347 sous deux formes : bubonique (mortelle à 80 %) et pulmonaire (mortelle à 100 %). Une épidémie faisait alors rage en Asie centrale. Des navires transportant dans leurs cales des rats contaminés la ramènent par les ports de la mer Noire jusqu’aux ports occidentaux puis la maladie se répand en suivant les grands axes du commerce. Nulle autre épidémie n’a suscité autant de désordres, de paniques, d’hécatombes, mais aussi de créativité. Durant des siècles, la peste glaça d’effroi l’humanité. Longtemps le terme latin pestis recouvrit plusieurs réalités médicales ; pourtant la maladie était facilement identifiable par ses ganglions infectés aux aines et aux aisselles dans le cas bubonique et par ses problèmes respiratoires accompagnés de crachements de sang dans celui de la peste pulmonaire. Sujet d’effroi, sujet d’inspiration Chronologiquement les spécialistes distinguent trois pandémies : la première est la peste dite de Justinien, au VIe siècle ; la deuxième commence au XIVe siècle avec la peste noire et s’achève à Marseille en 1720. Nous sommes, depuis la peste de Hong Kong de 1894, dans la troisième pandémie La peste noire La peste surgit en Europe au XIVe siècle, y décimant « la tierce partie du monde » selon le chroniqueur Froissart. Un auteur la qualifia d’atra, c’est-à-dire de funeste et noire, couleur du deuil. Désormais, l’Occident vécut dans la hantise du retour de ce mal foudroyant. Le médecin du pape Clément VI en Avignon, Guy de Chauliac, décrit parfaitement ses symptômes dans sa Grande Chirurgie : « La dite mortalité commença au mois de janvier 1348 et dura 7 mois. Elle fut de deux sortes : la première dura deux mois avec fièvre et crachements de sang et on mourait dans les trois jours. La seconde fut, tout le reste du temps, avec fièvre et abcès aux aisselles et aines, et on mourait dans les cinq jours. » Dans quelles conditions la pestilence était-elle revenue en Europe ? Au cours du premier quart du XIVe siècle, l’épidémie se déclara en Mongolie et, de là, se propagea à l’est vers la Chine, dont 65% de la population périt entre 1331 et 1353 et à l’ouest, près du lac Balkhach, où des tombeaux témoignant de l’hécatombe provoquée par la peste en 1338-1339. Puis, à partir de l’Asie centrale, la route de la soie diffusa le bacille à Samarkand en 1345, en Azerbaïdjan, sur les bords de la mer Caspienne et de la mer Noire. Or, en Crimée, le khan Djanibek assiégeait la forteresse génoise de Caffa. Les cadavres de ses troupes décimées par la peste lui servirent de projectiles empoisonnés qu’il catapulta dans le port, véritable acte de guerre bactériologique ! Les navires génois qui purent s’enfuir propagèrent l’épidémie à travers la Méditerranée à partir de l’automne 1347. Un de ces navires trouva un asile provisoire à Marseille le 1er novembre 1347, veille prémonitoire du jour des Morts, puis la contagion gagna la Provence, le Comtat Venaissin, le Languedoc, le Sud-Ouest après avoir contaminé la Grèce, les îles de la Méditerranée occidentale, l’Italie et avant de s’introduire en Espagne, en Angleterre, en Allemagne, en Scandinavie. Bientôt tout l’Occident fut atteint, et ses têtes couronnées ne furent pas épargnées : le roi de Castille, Alphonse XI dit le Vengeur, mourut de la peste alors qu’il assiégeait Gibraltar. La reine Jeanne, épouse du roi de France Philippe VI de Valois, la reine de Navarre, le duc de Bourgogne, le grand-duc de Moscou décédèrent du même mal.

Activités, consignes et productions des élèves :

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Celui-ci n’épargnait personne, excepté sans doute ceux et celles qui vivaient dans des hameaux isolés, car il empruntait les grandes voies de communication terrestres, fluviales ou maritimes. La peste sévissait en général du printemps à l’automne, s’atténuant avec les frimas de l’hiver. Au cours de l’été 1348, elle envahit toute la France en suivant les axes fluviaux majeurs que représentaient le Rhône, la Saône, la Seine et le Rhin. Après de nombreux sursauts, un répit s’amorça en 1353, mais la France fut à nouveau accablée en 1360 et dans les siècles qui suivirent. De nombreux historiens considèrent cet événement comme un tournant de l’histoire européenne, qui marque la fin du Moyen Âge. Le ciel et la terre responsables Tous pensèrent que la maladie se transmettait facilement par le contact avec les malades, leur haleine, leur regard, leurs vêtements et les objets qu’ils avaient touchés. La peste pneumonique qui sévit en Europe pendant l’hiver 1347-1348 est en effet transmissible par les muqueuses directement d’homme à homme. La peste bubonique, qui lui succéda au printemps 1348, a pour agent essentiel la puce qui abandonne les cadavres d’animaux ou d’hommes pour des corps sains et transmet ainsi le poison. Or les rats et leurs puces abondaient alors dans les cales des navires, dans les villes, dans les maisons : mais on ne comprit pas à l’époque le rôle des puces dans la transmission du bacille. Les médecins parisiens, consultés par le roi Philippe VI dit le Hardi, affirmaient que le mal était contagieux : « L’air respiré par les malades sort de leur bouche corrompu et empoisonné et infecte les assistants. » Dans un poème en vers latins édité à Paris en 1350, l’astrologue Simon de Couvin remarquait que « lorsque la peste commence dans une maison, à peine un seul habitant échappe-t-il. La contagion est telle qu’un malade empoisonne tout le monde ». Pour Guy de Chauliac, la peste attaque les pauvres et les pécheurs. Dans un monde incompréhensible, Dieu fournissait une réponse universelle à toutes les énigmes, l’ire divine répandait la pestilence avec sa suite d’horreurs et de souffrances. Selon Simon de Couvin : « Ce sont les péchés et les crimes des hommes qui ont attiré sur eux ce malheur. » Au XIVe siècle, la peur de la peste n’eut pour rivale que la peur de Satan. Il n’y eut pas de choc affectif et psychique plus violent, au point que les liens les plus forts comme l’amour conjugal, filial ou fraternel se relâchèrent, chacun cherchant à survivre en priorité. Durant le XIIIe siècle, l’essor démographique et commercial, joint à un besoin de sécurité, avait attiré en ville de nombreux ruraux, les cités étouffaient dans le cadre imposé par leurs remparts : grande était donc la promiscuité. À la campagne, les hommes et les bêtes cohabitaient. Autant de conditions idéales pour la propagation d’une épidémie. Les « miasmes » de l’air, mauvaises odeurs permanentes dues au manque d’hygiène, étaient considérés comme responsables de l’épidémie car l’insalubrité régnait à la ville comme à la campagne. Les morts, par exemple, étaient enterrés superficiellement au cœur même des paroisses à côté des églises, corrompant dès les premiers orages les nappes phréatiques qui alimentaient les puits et les fontaines. Sur le pavé des rues étroites, sinueuses, peu éclairées en raison des encorbellements se faisant face, un ruisseau justement appelé merderel recueillait les déchets domestiques, le sang des boucheries, l’eau puante des tanneries, les immondices que faisaient disparaître les porcs et les chiens laissés errants dans ce but. Les fossés entourant les murailles constituaient l’exutoire le plus prisé. Pour éviter les paniques, le deuil fut d’abord discret : son de cloche et vêtements noirs interdits, enterrements nocturnes ; mais bien vite l’intensité du drame rendit vaines toutes ces précautions. Les médecins s’activaient mais étaient impuissants et souvent ne gagnaient rien à visiter les malades ; il arrivait même parfois qu’ils périssent plus vite que les pestiférés qu’ils étaient venus secourir. C’est pourquoi le Collège médical de la Sorbonne reprit à son compte l’ordre ancien d’Hippocrate : Cito, longe fugas et tarde redeas, c’est-à-dire : « Pars vite, loin et reviens tard. » C’est ce que firent tous ceux qui le pouvaient. D’autres réagirent en vivant chaque jour comme si c’était le dernier. La mort devint impersonnelle, le mort anonyme. Très vite, en raison de l’afflux des corps, on creusa des fosses communes où ils étaient jetés et brûlés à la chaux ; puis on fut obligé de se barricader chez soi, atteint ou non par la maladie, fou de peur devant le spectacle des chariots remplis de cadavres, tirés par les fossoyeurs. Un grand silence s’abattit sur les villes, interrompu seulement par les clochettes de ces charrettes de la mort. Les campagnes, lieux de refuge des citadins dès les premiers symptômes du mal, furent également contaminées malgré leur isolement.

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Plusieurs phénomènes astrologiques et astronomiques annoncèrent les foudres divines. Pour Alphonse de Cordoue, l’éclipse de lune qui se produisit à Montpellier engendra l’épidémie, et le Collège parisien des médecins incrimina les éclipses de soleil constatées en Inde. La famine, née des caprices météorologiques, était à la fois mère et compagne de la peste. Elle pouvait aussi en être la fille dans la ronde infernale que constituaient les crises climatiques engendrant des crises frumentaires, elles-mêmes génératrices de crises épidémiques pendant lesquelles les hommes n’allaient plus aux champs, condamnant à la famine ceux qui survivaient. Or depuis la fin du XIIIe siècle il y avait rupture d’équilibre entre l’essor démographique et l’extension des terres, les défrichements ayant atteint une certaine saturation. Lorsque les récoltes étaient insuffisantes, le spectre de la famine se dressait. Ainsi, en Languedoc, des calamités naturelles provoquèrent des disettes entre 1302 et 1348 ; en 1347, en Aquitaine et dans le Lyonnais, une famine succéda à des pluies diluviennes. Les étés « pourris » de 1346-1347 engendrèrent une pénurie de vivres affaiblissant les populations. Dans son Poème de la Grande Peste de 1348, Olivier de la Haye dénonce, comme tous ses contemporains, trois grands maux : « Le premier mal est pestilence, le second est stérilité des fruits et des biens de la terre, et le tiers est cruelle guerre. » La France se battait contre l’Angleterre dans la guerre dite de Cent Ans. Il fallut lever une importante armée et pour cela on étendit à tout le royaume la gabelle, taxe sur le sel alors indispensable à la conservation des aliments, tandis que la livre tournois, monnaie française d’alors, était dévaluée. Les mercenaires libérés entre deux opérations militaires erraient à l’aventure et semaient la désolation. Par ailleurs, lors de leurs déplacements, les soldats traînaient avec eux la peste comme un fardeau dont ils s’allégeaient, en abandonnant les cadavres pestiférés au bord des chemins. Les soins et les remèdes D’abord pris au dépourvu par cette épidémie foudroyante, les hommes réagirent. À la panique initiale succéda une certaine organisation. Ainsi en Avignon le pape et mécène Clément VI fit installer les malades dans des cabanes sur un terrain hors de la ville, indemnisa le personnel soignant et fit appel à des montagnards robustes pour enterrer les morts. Il autorisa les chirurgiens à pratiquer des autopsies, ce qui était alors rigoureusement interdit par les canons de l’Église. Dans la ville de Bordeaux, on brûla un quartier infecté. À Montpellier, on libéra les condamnés à mort afin de les utiliser comme fossoyeurs. À Paris, les médecins durent soigner gratuitement. Pour Guy de Chauliac comme pour le Collège des médecins de la faculté de Paris, la meilleure prophylaxie consistait à fuir « loin des marais, lacs, fosses et cimetières, hors des lieux puants et boueux », à s’enfermer chez soi, à se purger, se saigner, à purifier l’air par des feux de bois sec et odoriférant « comme églantier, genièvre, frêne, cyprès, romarin, vigne et chêne pour chasser le mauvais air ». Pour les plus riches, les bois d’aloès, de musc étaient recommandés, l’encens et la marjolaine pour les autres. En été et par forte chaleur, il convenait « d’arroser légèrement la chambre d’eau très froide mélangée à du vinaigre puis de jeter sur le sol des roses et des fleurs d’églantiers ». Il fallait être sobre, consommer des fruits, garder bon moral, avoir une vie saine, non dissolue, prendre de la thériaque (savant mélange de produits divers censés guérir tous les maux) et du bol d’Arménie qui contenait de l’oxyde de fer et était apte à faire disparaître les bubons. À Montpellier, le médecin Bernard de Gordon conseillait de porter une éponge imbibée de vinaigre ou un sachet rempli d’herbes devant la bouche et le nez ainsi que de placer un linge sur le visage du malade afin d’éviter la contamination. Pour Guy de Chauliac, qui sut se guérir en six semaines, il fallait poser des figues et des oignons cuits mêlés à du levain et du beurre sur les abcès puis les couvrir en les cautérisant, après avoir attiré « le venin » par des ventouses. Parallèlement, certains avaient recours à des amulettes, à la magie et aux exorcismes, et des charlatans en profitèrent. Une croix fléchée ou un tau grec enlacé d’un serpent, en souvenir du caducée de Mercure messager des dieux, protégeaient certaines maisons. Mais bientôt les populations trouvèrent des boucs émissaires… Fanatisme et piété La recherche de la purification engendra des persécutions antisémites : les juifs, considérés comme impurs, furent exterminés en Europe occidentale au cours du XIVe siècle. L’Église les dénonçait comme déicides. On les accusa de profaner les hosties, de comploter avec les musulmans, les hérétiques, les lépreux et le

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diable contre les chrétiens. Depuis 1215, le quatrième concile du Latran les contraignait à porter un signe distinctif permettant de les reconnaître même de loin. En France, neuf ordonnances royales les obligèrent à porter la rouelle (en forme de croissant) jaune et les exclurent de l’organisation sociale d’alors : la chevalerie, la vassalité, le mouvement communal. Petit à petit, tout leur fut interdit : l’accession aux métiers et aux corporations, l’acquisition et le travail de la terre. Seul le commerce de l’argent, interdit aux chrétiens comme aux musulmans, leur fut autorisé; d’autre part leur connaissance de l’hébreu et de l’arabe leur facilita l’accès aux livres anciens de médecine, ils furent donc praticiens. Ces deux activités les contraignaient à vivre en ville dans des ghettos. Ainsi, la population urbaine dépendait d’eux, si bien qu’un « nettoyage ethnique » lui permettait de se débarrasser de ses dettes à leur égard, d’accaparer leurs biens et de prendre leur place dans le domaine médical en un temps où les besoins augmentaient. En 1348, il semble que les persécutions commencèrent sur le littoral méditerranéen, là où la peste s’était introduite en France : mi-avril, quarante juifs furent exterminés dans la cité de Toulon, puis le massacre sévit en Provence tandis que Clément VI accueillait les persécutés au sein du Comtat Venaissin, excommuniant, c’est-à-dire excluant du christianisme, tous leurs bourreaux. Néanmoins plusieurs villes les éliminèrent, brûlèrent leurs synagogues, à l’emplacement desquelles on érigea des églises. À Paris, la rue Transnonain (actuellement rue Beaubourg), de l’ancien verbe transnoniser signifiant massacrer, garde le souvenir de ces persécutions. Mais c’est en Alsace, alors germanique, que la tragédie connut son paroxysme : le 14 février 1349, à Strasbourg, la moitié des 1884 juifs de la ville, complètement dénudés, furent brûlés vifs dans une grande fosse creusée dans leur cimetière. Les lépreux connurent des épreuves semblables, particulièrement en Provence. Les immigrés, les demandeurs d’asile, les homosexuels, les prostituées porteuses d’insignes spécifiques, certains artisans – tanneurs, corroyeurs, bouchers, poissonniers – furent également considérés comme responsables et maltraités. Le fanatisme religieux favorisa l’essor d’une confrérie internationale de pénitents, estimée à 800 000 membres à Noël 1349, qui, torses nus, se mutilaient en se flagellant publiquement, châtiant leurs corps pour apaiser la colère divine. Les populations trouvèrent dans la piété un souverain remède à leur angoisse car cette « male mort », c’est-à-dire la mort dans le péché sans l’absolution du prêtre et le pardon de Dieu, les terrifiait. Or le clergé ne put répondre aux appels de tous les mourants, d’autant plus que nombre des siens périrent. Généralement le clergé régulier fut plus dévoué que le clergé séculier, prêtres et curés n’hésitant pas parfois à s’enfuir. La Sainte-Trinité fut beaucoup implorée, mais le protecteur par excellence demeura saint Sébastien (voir « Focus »). On invoqua aussi les saints patrons locaux. Des croyants s’associèrent en confréries pour prier, secourir les pauvres, payer leurs soins ; de nombreuses donations furent faites à l’Église, mais dons et prières ne purent enrayer le fléau qui bouleversa l’Europe du Moyen Âge. Les effets de la mort noire Il fallut attendre deux cents ans pour que le territoire retrouve les densités de population antérieures. Selon les estimations, la contagion emporta près de 24 millions de personnes, soit un tiers de la population européenne. Depuis la fin du XIIIe siècle et jusqu’au milieu du XIVe siècle, l’équilibre entre la croissance démographique et la croissance agricole était rompu : la population augmentait plus vite que les ressources. La peste mit fin à cette situation, un plus petit nombre ayant à se partager la même quantité de richesses. La classe creuse de la génération anéantie fut compensée par un baby-boom. L’exceptionnel registre paroissial de Givry, en Bourgogne, montre que les décès de la seule année 1348 représentent le double de ceux enregistrés durant les treize années précédentes et que le nombre des mariages en 1349 est sept fois plus important que celui de 1347 ! Les villes furent plus touchées que les campagnes et perdirent 40 % de leur population en moyenne : 80 % des habitants disparurent à Marseille, près de 30 % dans Paris et ses faubourgs. Alors qu’elle frappait indifféremment hommes et femmes, la peste fit cependant plus de dégâts parmi les pauvres, plus vulnérables, plus nombreux au point qu’on l’appela la maladie populaire. Mais pour tous ceux qui lui survécurent la situation s’améliora : la demande ayant diminué, les prix baissèrent ; la main-d’œuvre étant plus rare, les salaires augmentèrent et tout était à reconstruire. De 1347 à 1480, la maladie se manifesta tous les six ou douze ans puis, en France, elle frappa jusqu’en 1670 tous les quinze ou vingt ans, soit deux

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fois moins souvent, permettant l’arrivée à l’âge adulte de nouvelles générations capables de réparer ses dégâts. II. Des conséquences politiques, religieuses et culturelles Il s’agit de relier la guerre de Cent Ans avec la crise sociale, morale et politique qui lui est contemporaine étudiée au chapitre précédent, et de rappeler que la guerre, c’est avant tout les souffrances des populations. À une époque où la pauvreté s’étend, où la population diminue du fait des famines et des maladies, les revenus seigneuriaux baissent. Les seigneurs tentent alors de les maintenir en intensifiant sa pression sur les tenanciers en alourdissant certaines redevances, en tirant au maximum les ressources de son pouvoir de justice. La paysannerie résiste. Des jacqueries éclatent et sont durement réprimées. Le soulèvement des Jacques au milieu du XIVe s n’est pas une révolte de la misère : les régions soulevées ne sont ni les plus pauvres ni les plus ravagées ; la révolte est liée à la baisse du prix du blé alors que les produits artisanaux nécessaires n’ont pas suivi cette dévaluation. D’abord spontané et inorganisé, le mouvement se regroupe et prend contact avec Étienne Marcel. Unis dans la même haine contre une noblesse incapable de défendre le royaume, Jacques et Parisiens s’acharnent contre les châteaux, massacrent les gentilshommes et leur famille, mais ils marchent sous la bannière fleurdelisée, se réclamant ainsi du pouvoir royal. Après l’écrasement de l’armée paysanne, les bourgeois parisiens continuent la lutte : ils viennent à Meaux avec quelques paysans assiéger les dames nobles, dont la dauphine Jeanne de Bourbon, qui ont fui Paris. Prendre par surprise le marché de Meaux c’est se saisir de ces otages inestimables. Les Jacques qui attaquent la ville de Meaux sont durement réprimés : la ville est saccagée pour avoir aidé les rebelles et son maire est pendu. Puis la répression nobiliaire s’abat en 1358 avec une terrifiante cruauté sur le reste des campagnes parisiennes. Selon l’habitude de ce temps, le miniaturiste (Chroniques de Froissart, XVe siècle, BNF, Paris) a accumulé, dans un décor de convention, tous les détails qu’il pouvait tirer du texte de la chronique : les bourgeois se sont engagés sur le pont qui relie la ville au marché. Le Captal de Buch et Gaston Phoebus, à cheval, dirigent une sortie contre les assaillants et « boutèrent entre ces méchantes gens et les tuaient ainsi que bêtes » (Froissart), sous les yeux des nobles dames dans la plus courtoise tradition des tournois. Leurs hommes en armure précipitent les bourgeois dans la Marne. À ces malheurs, les contemporains réagissent différemment : soit par des pogroms contre les juifs accusés d’être les coupables de toutes ces calamités (par exemple en Espagne vers 1391-1392), soit par des mouvements populaires aussi divers que les béguinages (en particulier dans les villes flamandes), les jacqueries ou les processions de flagellants. La peste, les famines, les malheurs du temps ayant accrédité l’idée d’une apocalypse imminente, les plus pauvres voient dans la flagellation une façon de s’identifier au Christ, dans l’autopunition la possibilité de détourner la colère divine et d’obtenir le pardon de Dieu. Populaire, anticlérical et messianique, le mouvement des flagellants a pris de l’ampleur au moment des pestes, malgré la condamnation de l’Église. Il s’est accompagné de violences contre les juifs. En 1349, les flagellants ont ainsi incité au massacre de la communauté juive à Francfort, à Mayence, à Cologne, à Bruxelles. Dans le domaine artistique, certains thèmes s’imposent rappelant l’omniprésence de la mort : les gisants squelettiques, les danses macabres. Apparu au XIVe siècle, le transi marque une cassure dans l'art funéraire du Moyen Âge. L'horreur et les vers, la putréfaction et les crapauds remplacent — brutalement — sourires, heaume ou hennin. Guillaume de Harcigny ne joint pas les mains dévotement, mais tente, de ses phalanges sèches, de cacher un sexe pourri depuis longtemps. Le cardinal Lagrange exhorte le passant non à prier pour lui, mais à faire preuve d'humilité, car tu seras bientôt comme moi, un cadavre hideux, pâture des vers. Seules certaines régions sont touchées par le remplacement des gisants par des transis. Ainsi en est-il de l'Est de la France et de l'Allemagne occidentale. En revanche, le transi demeure exceptionnel en Italie ou en Espagne. Huizinga voit la preuve dans l'apparition des transis d'une crise morale. Tenenti, à l'inverse, y voit une horreur de la mort : célébration de « la vie

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pleine ». Philippe Ariès se positionne plutôt du côté de Tenenti. L'historien nous explique que l'horreur de la décomposition n'est pas post mortem, mais dans la maladie. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Le royaume de France est particulièrement touché par ces malheurs car c’est un carrefour commercial important qui a été précocement en contact avec les bateaux contaminés par la peste. C’est aussi le lieu du déroulement de la guerre de Cent ans et elle y a fait des ravages. La famine, la peste et la guerre transforment l’Occident à la fin du Moyen Âge. La population diminue dans tous les États occidentaux du fait de ces fléaux. La peste aurait emmené jusqu’à un homme sur trois. La famine qui a réapparu est aussi une cause de mortalité ainsi que la guerre de Cent ans : pendant les périodes de guerre comme lors des trêves, les troupes pillent et saccagent. Ces malheurs modifient les relations sociales : des révoltes éclatent provoquées par les tensions sociales nées de la pauvreté et de la faim. La mort est ressentie comme partout présente et découverte comme facteur d’égalité dans cette société qui se définissait comme une hiérarchie bien définie. A la fin du Moyen Age, la société médiévale connaît une crise particulièrement grave. Elle a perdu un tiers de sa population ; cette crise, qui a bouleversé les mentalités, a des conséquences inattendues. Le désarroi social entraine une redécouverte de l’Etat, protecteur et rassurant. C'est par cette conclusion optimiste que Bernard Guénée, un des grands spécialistes de cette époque, conclut son étude sur ces deux « mauvais siècles » du Moyen Age (L'Occident aux XIVe et XVe siècles : Les États, PUF, 1993.)

Evaluation cohérente en fonction des objectifs :

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HMA – Le roi et la féodalité du Xème au XVème s. en France

Approche scientifique Approche didactique

Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) :

Insertion dans les programmes (avant, après) :

Sources et muséographie : Ouvrages généraux : Beaucoup d'ouvrages d'historiens du droit (Éric Bournazel, Albert Rigaudière). Albert Rigaudière, Pouvoirs et institutions dans la France médiévale, t. II : « Des temps féodaux aux temps de l'État », A. Colin, coll. « U Histoire », (1998) 2003. Cet ouvrage montre le renforcement du pouvoir royal sur un territoire progressivement remodelé qui va peu à peu s'imposer comme modèle dans l'Occident médiéval. J.–P. POLY, E. BOURNAZEL, Les féodalités, PUF 1991 E. BOURNAZEL, Histoire des institutions de l’époque franque à la révolution (en collaboration avec J-L Harouel, J. Barbey, J. Thibaut-Payen) 10e édition revue et augmentée, Paris , P.U.F., 2003. Colette Beaune, Histoire de la nation France, Gallimard, coll. «Folio », Paris, 1985. Alain Boureau, Le simple corps du roi, L'impossible sacralité des souverains français, XVe-XVIIe siècles, éd. de Paris, Paris, 1988. (s'oppose à l'approche des cérémonialistes américains comme Ernst Kantorowicz pour qui le roi possède un corps terrestre, tout en incarnant le corps politique, la communauté constituée par le royaume). P. Demony, Notre-Dame de Reims, coll. « Patrimoine au présent », CNRS éditions, Paris, 1995. C. Sauvageot et S. Santos, Saint-Denis, dernière demeure des rois de France, Zodiaque, Paris, 1999. Le trésor de Saint-Denis, Faton, Dijon, 1992. J. Favier, La Guerre de Cent Ans, Fayard, Paris, 1991. J. de Joinville, Vie de Saint Louis, Classiques Garnier, Paris, 1998. J. Le Goff, Saint Louis, Gallimard, Paris, 1996. Saint-Denis A., Le Siècle de Saint Louis, PUF, « Que sais-je? », 1996. M. Pastoureau, Figures et couleurs. Étude de la symbolique et de la sensibilité médiévales, Léopard d’or, Paris, 1986. Biget J.-L, Boucheron P., La France médiévale, t.1 : VI-XIIe siècle, 1999 ; t. II : XIII-XVe siècle, Hachette, coll. « Les Fondamentaux », 2000. Documentation Photographique et diapos : « L’Occident médiéval : États et pouvoirs (XIe-XVe siècles) », Documentation photographique, n° 6094, 1988. Perret M., La Guerre de Cent Ans, Diapofilm multimédia. Gauthier D., Les Etapes de la construction de l'État français, de Hugues Capet à Louis XV, Diapofilm multimédia. Revues : L'art de cour au Moyen Âge, TDC, N° 872, du 15 au 31 mars 2004 Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : La France est le seul État étudié en tant que tel. L’objectif principal est de répondre à la problématique suivante : Comment les rois capétiens ont-ils bâti un royaume puissant ? Comment se constitue lentement un territoire sur lequel le roi impose son autorité ? Ces trente dernières années ont été marquées par un renouvellement de l'historiographie des institutions des périodes franque et féodale. Les historiens ont longtemps envisagé ces périodes en privilégiant les dynamiques de rupture (grandes invasions, crise seigneuriale et féodale du XIe siècle) et en négligeant les éléments reliant l'Antiquité à l'époque des deux premières dynasties franques, et l'époque carolingienne aux formes que la royauté française prend à partir du XIIe siècle. Tout en retraçant les profonds changements qui marquent ces siècles, il convient de souligner les éléments de continuité qui affectent en particulier l'institution royale, pour une large part héritière d'un fonds de traditions politiques, juridiques et religieuses issues de la romanité chrétienne. C'est ce legs, enrichi par d'autres apports, qui survivra aux crises et que recueillera, au seuil du XIIIe siècle, une royauté capétienne dont le rôle est fondamental dans la lente genèse de l'État monarchique. L'histoire des trois derniers siècles du Moyen Âge ne saurait être analysée comme une simple période de transition qui aurait lentement transformé l'État médiéval en État moderne. Vassaux et sujets, légistes et administrateurs, princes et roi mettent en place les structures d'un État dont le devenir s'enracine dans un héritage antique peu à peu retrouvé, souvent mal compris et toujours difficilement assimilé. Le legs féodal conditionne également chaque étape de cette rénovation,

Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO actuel : « Le Royaume de France (Xe-XVe siècles) : l’affirmation de l’État Il ne s’agit pas d’examiner tous les aspects de l’histoire de la France pendant ces six siècles. L’étude est centrée sur la constitution territoriale du royaume et l’affirmation de l’État. • Carte : formation territoriale du royaume. • Repères chronologiques : avènement d’Hugues Capet (987) ; le siècle de Louis IX (XIIIe siècle) ; la chevauchée de Jeanne d’Arc (1429-1431). • Documents : la basilique Saint-Denis ; la cathédrale de Reims ; Joinville : la Vie de Saint Louis. » Socle : Ajout aux repères Bataille de Bouvines (1214). Dans les futurs programmes, on sépare la seigneurie de la féodalité (que l’on associe à l’affirmation de l’Etat) : « FEODAUX, SOUVERAINS, PREMIERS ÉTATS L’organisation féodale (liens « d’homme à

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tout aussi dangereux pour le nouvel État, en raison des liens personnels qu'il postule, que porteur de forces de restructuration par la place éminente qu'il réserve au prince dans la hiérarchie des pouvoirs. Principal bénéficiaire des prérogatives que libère la lente agonie de la suprématie impériale et stimulé par l'irrésistible affirmation des regna, le « Roi très chrétien » façonne un État qui, tout en empruntant à ses voisins, s'impose de plus en plus comme un modèle dans l'Occident médiéval. Tandis que le droit vient constamment au secours d'un pouvoir que mémoire, religion et symboles ne cessent de vivifier, la souveraineté retrouvée permet au prince de faire triompher progressivement, sur un territoire remodelé, sa loi, sa justice et sa fiscalité. Face à cette emprise du pouvoir, le pays ne demeure pas passif, qui fait entendre sa voix pour que s'établisse, à travers un dialogue permanent mais ponctué de tensions, un équilibre raisonnable entre des autonomies locales irréductibles et une centralisation chaque jour plus pesante.

homme », fief, vassal et suzerain) et l’émergence de l’État en France qui s’impose progressivement comme une autorité souveraine et sacrée. La France est le cadre privilégié de l’étude. Celle-ci est conduite à partir d’exemples au choix : - de personnages significatifs de la construction de l’État en France : Philippe Auguste, Blanche de Castille, Philippe IV le Bel et Guillaume de Nogaret, Charles VII et Jeanne d’Arc, Louis XI…), ou - d’événements significatifs de l’affirmation de l’État (la bataille de Bouvines, le procès des Templiers, le sacre de Charles VII…). A la fin de l’étude, les élèves découvrent une carte des principales monarchies de l’Europe à la fin du XVe siècle. Connaître et utiliser les repères suivants : − Un événement significatif de l’affirmation de l’État en France − Une carte de l’évolution du domaine royal et des pouvoirs du roi en France, Xe - XVe siècle Décrire et expliquer le système féodal comme organisation de l’aristocratie, puis comme instrument du pouvoir royal

Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : I. Atouts et faiblesses des premiers Capétiens (987-1180) Les faiblesses : l’exiguïté du territoire qu’ils contrôlent. En 987, la France ou plus exactement, le royaume des Francs, a encore les frontières du traité de Verdun (843): elles commencent aux bouches de l’Escaut, se dirigent jusqu’à la Meuse et séparent la Champagne de la Lorraine, et le duché de Bourgogne du comté de Bourgogne (Franche-Comté) ; elles suivent ensuite grossièrement le Rhône, mais le Lyonnais, le Forez, le Viennois et le Vivarais sont hors de France; en revanche, au sud, les frontières du royaume dépassent les Pyrénées, depuis le diocèse d’Urgel jusqu’à celui de Barcelone. La frontière n’était sans doute pas matérialisée et il y avait donc des zones contestées. Certaines populations ignoraient si elles étaient de l’Empire germanique ou de France. Le morcellement territorial prévaut dans la France féodale où la possession de la terre donne le pouvoir réel. La puissance du roi repose donc sur son domaine sur lequel il agit comme seigneur direct. En 987, le domaine est disparate et dispersé. Il est formé d’un ensemble de seigneuries entre la région d’Orléans et celle de Senlis, avec des prolongements jusqu’à Laon. Des châtellenies indépendantes s’intercalent entre ces seigneuries. De 987 à 1180, le domaine royal n’a connu qu’un agrandissement limité : les rois s’occupent de pacifier les seigneurs brigands et de constituer une administration efficace. Depuis 1154, la moitié occidentale du royaume est tenue en fief par le roi d’Angleterre, Henri Plantagenêt. Le vassal est beaucoup plus puissant que son seigneur. Les atouts : la pyramide vassalique dont ils occupent le sommet, le sacre Un important héritage moral a été laissé par les Carolingiens à la nouvelle dynastie : le sacre. Il s’agit de montrer l’atout majeur des Capétiens, le sacre, et toute la symbolique qui l’entoure, ce qui permet de comprendre pourquoi un roi si faible est tout de même respecté. C’est pourquoi il est impératif de commencer par là. Les lieux symboles de la monarchie, Saint-Denis où étaient conservés les insignes royaux et Reims. La basilique de Saint-Denis et la cathédrale de Reims sont des lieux de mémoire hautement significatifs de la sacralisation du pouvoir royal. Elles sont complémentaires dans leurs fonctions liées à la cérémonie du sacre. Dans les deux cas, on peut rattacher le bâtiment à un miracle, à un saint, à des objets royaux. Il faut donc bien montrer le lien qui unit ces lieux à la royauté, et

Activités, consignes et productions des élèves : Accompagnement : « L’intitulé du chapitre déborde ici explicitement le temps fort du programme de 5e que constitue le XIIIe siècle ; inscrit sur le long terme, il invite en fait à aller à l’essentiel : deux à trois séances seulement doivent en effet y être consacrées. Deux thèmes sont privilégiés : la constitution territoriale du royaume et l’affirmation de l’État, inséparable au moins jusqu’au XIIIe siècle de la personne du roi. Ces deux thèmes peuvent être abordés en trois temps : • L’étude du premier temps (du Xe au XIIIe siècle) permet de présenter les atouts et la faiblesse des premiers Capétiens : atouts, la pyramide vassalique dont ils occupent le sommet, le sacre ; faiblesse qui se manifeste par l’exiguïté du territoire qu’ils contrôlent. Les lieux symboles de la monarchie, Saint-Denis où étaient conservés les insignes royaux et Reims, sont rappelés. Une carte montre les agrandissements du domaine royal et les efforts des souverains pour assurer durablement leur pouvoir. • L’oeuvre de Philippe-Auguste constitue le début du second temps : « rassembleur de terres », le roi est en effet conduit par l’extension considérable du domaine royal à mettre en place une amorce de centralisation. L’État se renforce, avec ses hommes, les légistes, avec ses institutions (Parlement, Cour des Comptes) installées à Paris. Une description du Paris de Philippe-Auguste, un portrait de Louis IX, à partir de l’œuvre de Joinville, aident les élèves de la classe de 5e,

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montrer comment l’Église et la monarchie se sont associées pour réunir les sujets autour du principe de monarchie de droit divin. L’abbé de Saint-Rémi de Reims a la garde de la sainte ampoule qu’une colombe aurait apportée pour le baptême de Clovis ; la cathédrale de Reims (en reconstruction au XIIIe siècle) est le lieu du sacre opéré par son archevêque. Les miniatures montrant la cérémonie du sacre (BNF, Paris) proviennent du manuscrit de Châlons-en-Champagne, datant de 1280 environ. Les étapes du sacre sont trop nombreuses (cf. les ordines : le plus complet est celui du sacre de saint Louis). C’est pourquoi il faut se limiter aux plus importantes sur le plan symbolique : l’onction, la remise des insignes royaux, le couronnement. Au XIIIe siècle, la cérémonie du sacre se déroule dans un ordre bien défini : 1. Le serment : le roi est un personnage sacré, mais il a des devoirs liés à sa fonction, exprimés dans le serment du sacre que la tradition attribue à Hugues Capet. L’archevêque de Reims fait prêter serment au roi de donner la paix, de rendre une bonne justice et de respecter les droits de l’Église, de défendre la foi chrétienne, de protéger l’Église et en plus depuis 1226, il promet de poursuivre l’hérésie. 2. L’onction : sur le modèle d’une ordination d’évêque, le roi est oint d’un chrême (huile mélangée de baume), avec une aiguille d’or, sur le front, la poitrine, les épaules. Depuis le IXe siècle, on croit que Clovis a été oint à Reims, ce qui est faux : il n’y a été que baptisé (puisque le sacre est une invention carolingienne), et qu’une colombe a apporté à saint Rémi une ampoule pleine d’un chrême miraculeux dont le niveau ne baisse jamais. Investi de cette puissance surnaturelle, le roi est désormais l’intermédiaire sacré entre Dieu et son peuple. Son caractère sacré est accentué par les pouvoirs miraculeux qu’on lui attribue. Depuis Robert le Pieux, il a le pouvoir thaumaturgique de guérir les écrouelles par le toucher. 3. Les insignes de la royauté ou regalia sont apportés par l’abbé de Saint-Denis. L’épée fait du roi le bras séculier de l’Église. La remise des éperons et de l’épée symbolisent le pouvoir militaire du roi. L’anneau d’or, semblable à celui d’un évêque, unit le roi et son peuple à Dieu. Le sceptre à fleur de lys symbolise le pouvoir sacré. La main de justice et la couronne sont remises ensuite. 4. Le couronnement : l’archevêque de Reims a le privilège de poser la couronne sur la tête du roi. Douze pairs du royaume, six ecclésiastiques et six laïques s’associent à ce couronnement. Le roi est enfin installé sur un trône surélevé et présenté à la foule. Il faut insister sur le double aspect de cette cérémonie : religieux avec l’onction, politique avec la remise des insignes royaux dont la couronne est le principal. Le sacre assure l’équilibre entre le pouvoir royal et le pouvoir ecclésiastique, mais, oint et couronné, le roi est le plus puissant. Le sacre a lieu le plus tôt possible après l’avènement du nouveau roi. L’élection est maintenue de façon symbolique : à la demande formulée par deux évêques, le roi est acclamé. Les sujets doivent obéissance à ce roi sacré dans la mesure où son pouvoir est l’oeuvre de Dieu, mais en échange le roi n’est pas un tyran ; il doit protéger l’Église et gouverner selon la morale chrétienne. On peut rappeler que cette cérémonie a été mise en place par les Carolingiens. Elle était destinée à renforcer les liens entre l’Église et la nouvelle dynastie, et à légitimer celle-ci. Toujours dans le souci d’affirmer leur légitimité, les Capétiens reprennent cette cérémonie, marquant ainsi la continuité avec la dynastie carolingienne. Le rite s’enrichit de nouveaux symboles, par exemple, l’oriflamme de Saint-Denis assimilé à l’étendard de Charlemagne et son épée « Joyeuse ». Le programme du décor de la façade occidentale de la cathédrale de Reims témoigne d’une volonté d’associer la royauté capétienne aux traditions des rois hébreux (Salomon), mais aussi au baptême emblématique de Clovis. La galerie des rois de la cathédrale de Reims se trouve sur la façade occidentale. Les travaux ont débuté en 1211 pour remplacer la cathédrale précédente, mais ils ont été très lents faute d’argent, si bien que la galerie des rois ne date que du milieu du XIVe siècle. La façade comporte quatre niveaux : celui des portails, celui de la rose, celui de la galerie des rois et celui des tours. Lors de la cérémonie du sacre, le cortège qui conduisait le roi dans la cathédrale passait par là. La galerie des rois se compose de soixante trois statues d’environ quatre mètres de haut, pesant de quatre à cinq tonnes chacune. Au centre de la galerie, le baptême de Clovis : il est plongé dans la cuve baptismale avec à sa droite Clotilde et à sa gauche, l’évêque saint Rémi. Il s’agit d’une traduction architecturale de la symbolique du sacre. Le roi sacré s’inscrit dans une tradition. Il est à la fois soutenu par Dieu et par son

sensibles au récit, à fixer cette évolution dans leur mémoire. • Il ne peut être question de traiter la Guerre de Cent ans en elle-même dans le temps imparti ; la réflexion porte sur deux thèmes : – la permanence de l’affirmation de l’État qui se manifeste dans cette période chaotique par un passage à une certaine modernité : la lutte pour récupérer les territoires perdus se traduit par la fin de la guerre chevaleresque, par la professionnalisation de l’armée qui rend nécessaires des impôts permanents ; – la manifestation du sentiment national, sensible dès la chevauchée de Jeanne d’Arc, et qui s’accroît dans les années qui suivent. Le chapitre «Le royaume de France au XVIe siècle» est étudié dans le même état d’esprit. Il accorde une place particulière à l’ordonnance de Villers-Cotterêts et à l’Édit de Nantes. » Enluminure de la fin du XIIIe siècle : la naissance de la « religion royale » en France Cette image insiste sur la puissance du roi de France qui a le souci de porter par écrit la « loi du royaume », c’est-à-dire les lois royales qui doivent s’imposer à tout seigneur, quelle que soit sa puissance. Paraissent devant lui un clerc, un chevalier et une femme qui tient l’écu du chevalier, donc l’ensemble de la société auxquelles les lois royales doivent s’appliquer. Face à cette volonté, le roi de France rencontre deux opposants majeurs : les seigneurs qui ont pris l’habitude, au cours du Moyen Âge, de gouverner sans contestation leur seigneurie, et les papes, qui prétendent disposer d’un pouvoir supérieur à celui des souverains. Ce document témoigne donc du renforcement de l’autorité royale au cours du XIIe siècle.

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fidèle serviteur. Il faut relever avec les élèves que la cathédrale de Reims présente dans sa décoration des éléments qui évoquent les ancêtres des deux dynasties précédant les Capétiens. L’abbé de Saint-Denis garde les insignes royaux, et aussi la nécropole des rois. L’étude de l’intérieur de la basilique Saint-Denis permet de faire le lien avec le chapitre sur l’art religieux, et d’évoquer d’emblée les lieux de la royauté. On peut expliquer pourquoi saint Denis est considéré comme le protecteur de la santé du roi. Il veille aussi à la bonne mort du roi et lui garantit le paradis. On insiste avec la basilique de Saint-Denis sur la volonté de saint Louis d’unir les trois dynasties dans une même légitimité, comme à Reims. Elle met en valeur l’éclat architectural de la basilique, première grande création de l’architecture gothique, et la présente comme le « cimetière aux rois ». Jusqu’au XIIe siècle, les rois sont sommairement enterrés sous une dalle. C’est avec saint Louis qu’apparaît l’usage de représenter le corps du roi défunt sous la forme d’un gisant. Le terme de gisant vient du verbe « gésir » : être allongé. Jusqu’au XVe siècle, le défunt est représenté comme s’il était vivant. Louis IX fait une commande en 1245, de seize gisants représentant ses ancêtres mérovingiens, carolingiens et capétiens. Il donne ainsi de l’importance aux corps royaux en les élevant par un tombeau au-dessus du sol. Il affirme aussi la continuité dynastique et donc la légitimité des Capétiens. Mais ces premiers gisants représentent des rois dont on ne connaît pas l’image. Leurs traits sont idéalisés. Les gisants de Philippe III le Hardi (1270-1285) et de sa femme sont réalisés en 1307 par Jean d’Arras. Ils inaugurent une nouvelle présentation qui sera reprise aux XIVe et XVe siècles : le gisant de marbre, rehaussé à l’origine de couleurs, est posé sur une dalle de marbre noir, des lions à ses pieds. Les traits idéalisés du visage montrent un roi éternellement jeune à l’image du Christ. On pourra faire retrouver les regalia : le sceptre, la main de justice et la couronne. Ce n’est qu’à partir de Charles V que le gisant est un véritable portrait. Charles V prend ses précautions. Il commande son gisant à André Beauneveu dès 1360. Il ne meurt que vingt ans plus tard, en 1380. Les gisants sont souvent accompagnés d’animaux qui les protègent dans l’au-delà, tradition qui remonte aux statues des portails des églises. Au Moyen Âge, les souverains bénéficient souvent de plusieurs lieux de sépulture pour les entrailles, le cœur et le corps. Ceci est lié aux difficultés de conservation des corps. Saint Louis meurt à Carthage de la dysenterie, mais la chaleur est telle que son corps doit être bouilli lors du transport. Seuls ses ossements sont inhumés à Saint-Denis. Depuis l’inhumation de Dagobert en 639, Saint-Denis est « le cimetière aux rois » selon les termes de Suger, pour qui les sépultures royales « se trouvent comme de droit naturel en l’église de Saint-Denis », et qui appuie cette affirmation par des documents falsifiés comme la fausse donation de Charlemagne (813). Les gisants ne sont pas la seule représentation du pouvoir. Avec les regalia, on trouve à Saint-Denis l’oriflamme arborant l’inscription « Montjoie Saint-Denys » qui garantit la victoire au roi. L’avènement d’Hugues Capet (987-996) La royauté est élective car, par le sacre, elle est analogue au sacerdoce. Il est logique qu’elle ne soit pas héréditaire. Le moine Richer prête à Adalbéron ce discours aux grands qui signifie : le meilleur doit régner et il doit être élu par les meilleurs. Cette doctrine ecclésiastique est naturelle aux nobles qui ne respectent que le pacte individuel. Le seul moyen pour les Capétiens de garder la couronne dans leur famille est d’assurer de leur vivant l’élection et le sacre de leur héritier. Ils pratiquent le système de l’association jusqu’au moment où Philippe Auguste, devenu très puissant, peut s’en passer. En 987, il y a un précédent récent. Le Carolingien Lothaire, se défiant de son frère, a associé au trône et fait sacrer son fils en 979. Lorsque Hugues Capet est élu puis sacré, il demande immédiatement aux Grands de partager son trône avec son fils Robert. Il veut être sûr que son fils régnera après lui car à cette époque la monarchie n’est pas héréditaire mais élective. L’archevêque Adalbéron, d’abord opposé à cette démarche, accepte finalement. Cette association permet d’assurer une succession paisible en cas de malheur. Robert est couronné le jour de Noël de la même année, mais on ignore s’il a été oint. Le père et le fils ont régné conjointement. Malgré tous les troubles qui ont eu lieu par la suite, l’association au trône a assuré la continuité dynastique et a rétabli l’hérédité au profit des Capétiens. La pyramide féodale Si la défaillance de l’institution monarchique a permis le développement de la

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féodalité, celle-ci n’a cependant pas supprimé la royauté. Ainsi les souverains se sont-ils efforcés d’organiser les relations féodo-vassaliques sous une forme pyramidale convergeant vers leur personne. Ils ont non seulement affirmé le principe que le roi ne pouvait prêter hommage à autrui, mais ont également peu à peu réussi à faire admettre leur suzeraineté sur les vassaux de leurs vassaux directs. Ainsi, une pyramide féodale – chaîne d’hommages hiérarchisés – s’est mise en place, rattachant au roi par relais successifs tous les vassaux du royaume. Enfin, il convient de bien souligner que le roi n’est pas simplement le suzerain : il est sacré et l’autorité que lui confère le sacre est toute différente de celle que possèdent les seigneurs. Le chroniqueur Adhémar de Chabannes, moine à l’abbaye de Saint-Martial de Limoges, a inventé dans son Histoire des Francs un fameux dialogue, qui n’a pas pu avoir lieu, mais qui ne choque pas la vraisemblance. Aldelbert, comte de Périgord, entreprend vers 995 le siège de Tours. Le récit de cette scène montre le refus de l’autorité royale. La phrase : « Aldebert répondit « qui vous a fait roi ? » » montre la faiblesse d’Hugues Capet. Quant au roi, il rappelle au comte qu’il a ce titre par la volonté du roi. Depuis la fin du IXe siècle, les ancêtres d’Hugues Capet ont alterné sur le trône avec les derniers Carolingiens. Hugues est le quatrième de sa famille à monter sur le trône, avec le mode électif, qui s’est mis en place en 987, depuis la déposition du Carolingien Charles le Gros. On peut souligner l’impuissance des premiers Capétiens, à tel point que l’on peut se demander s’il existe bien un royaume de France. Le mot France se restreint et finit par ne désigner que la partie septentrionale du diocèse de Paris que l’on désigne en disant : « je vais en France ». Les sceaux de majesté apparaissent en France sous Henri Ier (1031-1060) et servent à sceller les actes royaux. C’est pourquoi toute falsification est considérée et punie comme un crime de lèse-majesté. Le sceau de majesté représente le roi assis sur un trône muni des attributs de son pouvoir : couronne, manteau royal, sceptre et main de justice. D’après l’inscription, le roi tient son pouvoir de Dieu La Vie de Louis VI, écrite par Suger, abbé de Saint-Denis et conseiller des rois Louis VI et Louis VII nous montre le fonctionnement des relations féodales. Les vassaux sont ici Hugues du Puiset, la comtesse de Chartres et son fils, mais aussi les archevêques, évêques, etc. qui viennent exercer leur devoir de conseil envers leur seigneur. Celui-ci est le roi. Hugues agit en seigneur indépendant ne reconnaissant plus les obligations dues pour son fief : il en est devenu le maître. Cela s’explique par la soif de puissance et de richesse. Le roi doit prendre en compte la demande de Thibaut car il est de son devoir de seigneur de protéger ses vassaux. Suger nous présente ici un épisode de l’affirmation du pouvoir royal dans son royaume, Louis VI intervenant dans un conflit entre ses vassaux en dehors du domaine de l’Île-de-France. II. De Philippe-Auguste (1180-1223) à Philippe le Bel (1285-1314) C’est au cours du XIIIe siècle que le domaine royal est considérablement agrandi à l’ouest sous Philippe Auguste, au sud sous Louis VIII et Louis IX, à l’est sous Philippe le Bel. Cette expansion du domaine royal se poursuit notamment par mariage (rattachement de la Champagne par le mariage de Jeanne de Champagne à Philippe le Bel en 1284). Pour asseoir leur pouvoir, les Capétiens organisent l’administration du royaume. Trois éléments doivent être mis en valeur : • L’administration royale devient omniprésente dans les provinces en la personne des baillis ou sénéchaux, nommés par le roi, qui supplantent les prévôts présents dans les anciennes châtellenies. Ils rendent la justice au nom du roi. Ce corps d’agents du roi est créé en 1180 par Philippe Auguste et en 1254, l’ordonnance de Louis IX réglemente encore leur rôle. • Au niveau central, apparaissent des conseils spécialisés en matière de politique (conseil du roi), de justice (parlement), de finance (chambre des comptes), comprenant de nombreux juristes. Le personnel se spécialise, et les membres de la famille royale perdent de leur influence, à la fin du XIIIe et au début du XIVe siècle. Cette évolution s’accélère sous Philippe le Bel en raison des progrès de l’enseignement des universités au XIIIe siècle et de l’influence croissante de la bourgeoisie dans la société médiévale. • Le tout est coiffé par l’autorité royale. « Rassembleur de terres », le roi Philippe-Auguste est conduit par l’extension considérable du domaine royal à mettre en place une amorce de centralisation (Paris devient capitale). L’État se renforce, avec ses hommes, les légistes, avec

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ses institutions (Parlement, Cour des Comptes) installées à Paris. Une description du Paris de Philippe-Auguste, un portrait de Louis IX, à partir de l’œuvre de Joinville, aident à fixer cette évolution. Le roi Philippe Auguste expulse les juifs L’expulsion des juifs en 1182 s’inscrit dans un contexte d’hostilité de la société chrétienne à l’égard des juifs. Ceux-ci subissent des vexations diverses comme le port de la rouelle rendu obligatoire au concile de Latran IV (1215) pour éviter les mariages entre chrétiens et juifs. Par ailleurs, et en dépit des bulles répétées de la papauté (Innocent IV en 1247 puis Grégoire X en 1272), les accusations de profanation d’hosties dont font l’objet les juifs sont le prétexte à des massacres. Dans le domaine économique, le prêt à intérêt, interdit aux chrétiens, est une activité essentielle des financiers juifs. Dès lors, leur expulsion et la confiscation de leurs biens deviennent en période d’urgence fiscale un moyen très efficace pour remplir le trésor royal. Philippe Auguste les expulse du domaine en 1182 ; Louis VIII étend cette mesure en 1223 à l’ensemble du royaume et Philippe le Bel ordonne à nouveau leur expulsion en 1306. Sur cette miniature, le roi Philippe Auguste en majesté est assis sur son trône. Il désigne du doigt le texte ordonnant l’expulsion des juifs du domaine royal. Les tensions contre les Anglais se multiplient. Depuis 1152, date du mariage d’Henri Plantagenêt avec Aliénor d’Aquitaine, répudiée par le roi de France Louis VII, les souverains d’Angleterre sont leurs vassaux en France pour leurs possessions (Normandie, Maine, Anjou et Guyenne). La Normandie, fief des rois anglais dans le royaume français, est un enjeu important. La construction de Château-Gaillard en 1197 est un épisode de la lutte féodale entre la France et l’Angleterre. Comment le roi d’Angleterre, ici vassal, peut-il accepter de prêter hommage au roi de France pour ses possessions dans le royaume de France alors que sa propre puissance se fonde sur la souveraineté ? Comment le roi de France, son seigneur, peut-il assurer l’obéissance d’un vassal de ce rang, avec lequel il peut être en conflit sur le plan international ? En 1213, Jean sans Terre, dernier fils d’Henri II Plantagenêt, forme avec Otton IV, empereur d’Allemagne, une coalition contre Philippe Auguste. Celle-ci prévoit la conquête et le partage du domaine royal. Jean sans Terre attaque le premier à La Rochelle le 16 février 1214. Philippe Auguste se lance à sa poursuite mais flairant le piège s’arrête à Chinon. Apprenant l’attaque du Nord par l’empereur, il scinde son armée en deux et confie à son fils Louis la garde de la Loire tandis que lui-même remonte en Picardie. Louis met Jean sans Terre en fuite. Le 27 juillet 1314, à la bataille de Bouvines, Philippe Auguste, reconnaissable à sa couronne et à son haubert fleurdelisé, remporte une victoire éclatante contre Otton IV. La bataille de Bouvines (1214) provoque des changements en Angleterre en ruinant le prestige du roi Jean sans Terre (1199-1216). Au début de 1215, il veut de nouveau lever un impôt pour faire la guerre en France. C’est alors que l’Église et les barons d’Angleterre, révoltés, lui impose la Grande Charte, visant à limiter les pouvoirs du roi et ses abus. Elle renforce la féodalité, rétablit les coutumes, les libertés et les privilèges de l’Église, de l’aristocratie et des villes. Ce texte interdit au roi d’Angleterre d’intervenir dans les affaires de l’Église, de lever un impôt sans le consentement du « commun conseil du royaume» (préfiguration du futur Parlement), d’arrêter ou de priver de ses biens un homme libre sans jugement (pas d’arrestation arbitraire). Il peut lever un impôt pour payer une rançon, armer son fils aîné chevalier, verser une dot à sa fille aînée. Cela nous rappelle les obligations du vassal envers son seigneur. Blanche de Castille et Louis IX (1226-1270) On peut insister sur saint Louis, modèle du roi chrétien, image véhiculée par les ordres mendiants et les Bénédictins de Saint-Denis. Nous bénéficions du témoignage exceptionnel de Jean de Joinville (1224-1317). Il rencontre saint Louis dès 1241 et devient l’un de ses plus proches compagnons pendant la septième croisade (1248-1254) en Égypte. Il y connaît des difficultés financières, et passe alors au service du roi. Il devient son confident et son conseiller. Pris avec saint Louis par les Mamelouks, en 1250, il négocie l’emprunt de la rançon avec les Templiers. Il doit, pour obtenir satisfaction, menacer d’ouvrir à la hache le trésor de l’ordre. Il fréquente ensuite beaucoup la cour où il est un témoin attentif du règne. Il refuse de participer à la nouvelle croisade où meurt saint Louis (1270), car il la juge vouée à l’échec. Joinville écrit cet ouvrage de 1272 à 1309 à la demande de la reine Jeanne de Navarre, épouse de Philippe le Bel, pour l’édification de leur fils aîné, le futur Louis X. La première partie du livre met en valeur les paroles et les faits qui ont contribué à la canonisation de saint Louis en

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1297. L’oeuvre s’intègre dans les projets de la politique capétienne, mais le désintéressement de Joinville et le recul du temps en ont fait un témoignage personnel : même s’il l’idéalise, Joinville nous révèle de façon vivante « le vrai Louis IX ». Il peint le roi dans sa vie quotidienne et dans les affaires du gouvernement. Il est le premier mémorialiste à avoir intégré le dialogue reconstitué dans un récit. Il se permet parfois de critiquer le comportement mystique du roi qu’il juge excessif, ou certaines décisions politiques, comme lors de la paix avec l’Angleterre. Pour donner un peu de chair au personnage, on peut, en introduction, faire le bref récit d’une enfance qui n’a pas dû être des plus joyeuses, enfance qui est évoquée par Blanche de Castille. Il n’a pas douze ans lors de son avènement. Le roi défunt Louis VIII a confié à Blanche de Castille l’enfant et le royaume. L’éducation qu’elle lui donne le marque profondément : elle allie les pratiques de piété et de charité à un apprentissage très sérieux du métier de roi. Dès le début de son règne, saint Louis multiplie les ordonnances qui interdisent la prostitution, les combats privés entre nobles, le jeu. Il impose sa propre monnaie et limite la circulation de celles des seigneurs à leur seul domaine. L’ordonnance de 1254 est prise à son retour de croisade. Saint Louis veut réformer l’administration de son royaume. Il considère en effet que les abus de ses serviteurs sont une des causes de son échec car leurs péchés expliquent que Dieu ne lui a pas alors donné la victoire. Sur le plan local, il nomme baillis et sénéchaux dans les provinces de son domaine afin d’y être représenté et il les fait surveiller par des enquêteurs envoyés régulièrement à partir des années 1240. Il poursuit et amplifie ainsi l’oeuvre de Philippe Auguste. Des documents présentent saint Louis, dont la foi ardente et la piété excessive ont dérouté les contemporains. Ils pourront à plus forte raison surprendre. C’est à partir de la croisade que le roi verse dans une ascèse de plus en plus rigoureuse qui ennuie son entourage, voire scandalise certains. Le roi a une horreur presque physique du péché mortel, inculquée par sa mère Blanche de Castille, et renforcée par la fréquentation des Cisterciens et des frères Mendiants. Les malheurs corporels doivent être reçus comme des épreuves envoyées par Dieu pour racheter nos péchés. La dévotion de Louis IX le conduit à l’ascétisme par le jeûne et l’abstinence, tout particulièrement pendant les 40 jours de Carême et chaque vendredi en souvenir de la Passion. Par les privations et le renoncement au plaisir, le roi rejoint l’idéal des moines. Laver les pieds des lépreux participe des principaux gestes de dévotion de Louis IX. Les miniatures le représentent souvent agenouillé devant les miséreux. C’est là une attitude du roi imitant le Christ. Il pousse l’humilité jusqu’à servir lui-même des mendiants à sa table. On peut aussi montrer que cette piété excessive mène à une grande intolérance : saint Louis persécute les Juifs, auxquels il impose le port d’un signe distinctif, la rouelle (figure d’une roue), qu’ils doivent porter appliquée sur leur robe. De même, il est l’adversaire implacable des derniers Cathares. Il faut insister sur le fait que rendre une bonne justice constitue dans la société chrétienne médiévale la première fonction du roi sacré. L’épisode de Vincennes revêt une valeur emblématique. Le roi, familier avec ses proches, rappelle Jésus, entouré de ses apôtres, devant les foules de Palestine. La mythification d’un Louis IX, accessible aux plus humbles, en pratiquant une monarchie directe, contraste avec la monarchie déjà trop administrative de Philippe le Bel, au goût du vieux sire de Joinville. En multipliant les cas royaux et en favorisant le droit d’appel, Louis IX étend son pouvoir justicier à tous les sujets de son royaume. Saint Louis n’est guère accessible aux avis des barons de son entourage qui sont davantage des confidents que des conseillers. En revanche, les Dominicains et les Franciscains, nombreux autour de lui, exercent une influence croissante. La politique du roi est le reflet de sa morale. S’il recourt à la force, ce n’est que pour servir cette morale religieuse : recherche de la paix et de la justice politique dans le respect du droit de chacun. C’est ce qui explique sa décision de faire la paix avec l’Angleterre. En étant généreux avec le roi d’Angleterre lors de la conclusion de la paix, saint Louis espère créer des liens d’amitié et de vassalité qui doivent permettre selon lui d’éviter un nouveau conflit. Son entourage n’est pas d’accord avec cette conception des choses. Après sa mort, Louis IX est immédiatement vénéré comme un saint. Il est canonisé en 1297 par Boniface VIII, lors d’une accalmie dans la lutte qui l’oppose à Philippe le Bel, après une longue enquête et un véritable procès en canonisation. Saint Louis est l’une des hautes figures de l’histoire de France car il a réalisé aussi une oeuvre en profondeur que les contemporains ont moins nettement perçue. C’est celle d’un

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souverain énergique et scrupuleux qui ajoute une pierre décisive dans la construction de la monarchie française. C’est pourquoi il est resté comme son grand-père Philippe Auguste et son petit-fils, Philippe le Bel, l’un des grands Capétiens. Philippe IV le Bel et Guillaume de Nogaret Le procès des Templiers Tout comme l’Angleterre, la France s’est dotée d’institutions suffisamment solides pour traverser les crises de la fin du Moyen Âge, en particulier la guerre de Cent Ans. III. La Guerre de Cent ans (1337-1453) Il faut montrer l’affaiblissement du pouvoir royal que la guerre provoque. On pourra ensuite mettre l’accent sur ce qui permet à la monarchie de surmonter cette crise et de jeter les bases de l’État moderne : fiscalité royale accrue, modification de l’armée, naissance du sentiment national. La réflexion porte donc sur deux thèmes : – la permanence de l’affirmation de l’État qui se manifeste dans cette période chaotique par un passage à une certaine modernité : la lutte pour récupérer les territoires perdus se traduit par la fin de la guerre chevaleresque, par la professionnalisation de l’armée qui rend nécessaires des impôts permanents ; – la manifestation du sentiment national, sensible dès la chevauchée de Jeanne d’Arc, et qui s’accroît dans les années qui suivent. On peut montrer l’aspect dynastique de la Guerre de Cent Ans compliqué d’une querelle féodale, qui sont à l’origine du conflit. En 1316, Louis X est le premier Capétien à mourir sans héritier mâle. Les Grands donnent la couronne successivement aux deux autres fils de Philippe le Bel qui meurent chacun sans héritier mâle. En 1328, la mort sans héritier mâle de Charles IV le Bel, dernier fils de Philippe le Bel, fait naître la première crise de succession de la dynastie capétienne. En effet, deux prétendants au trône s’opposent : Édouard III d’Angleterre et Philippe de Valois. Édouard III estime être le successeur légitime de Charles IV car il est son plus proche parent, petit-fils par sa mère de Philippe le Bel et neveu du roi défunt. Les Français lui préfèrent Philippe de Valois, petit-fils de Philippe III et cousin de Charles IV, parce qu’il est « né du royaume ». On pourra relever le sentiment national qui apparaît là et s’affirme durant la guerre de Cent Ans. Pour éviter l’union des couronnes de France et d’Angleterre, les légistes français ressortent et utilisent pour la première fois la loi salique qui interdit aux femmes de monter sur le trône ou de transmettre la couronne. Philippe de Valois est donc sacré à Reims sous le nom de Philippe VI. C’est le début du conflit. La guerre de Cent Ans n’est que le prolongement du conflit féodal qui oppose depuis deux siècles les Capétiens aux souverains d’Angleterre. La bataille de Crécy est le reflet de la situation critique de la première partie de la guerre. Les Anglais, débarqués à Saint-Vaast-la-Hougue le 12 juillet 1346, entreprennent une chevauchée dévastatrice : passant par Caen, Édouard III se dirige vers Ponthieu où les Français poursuivent les Anglais. L’armée anglaise, installée sur une position défensive favorable, inflige une lourde défaite aux troupes françaises à Crécy, le 25 août 1346. C’est ici que Charles d’Alençon, le comte de Flandre et Louis de Nevers trouvent la mort ; le roi Philippe VI, blessé, doit s’enfuir. C’est ce que raconte Froissart (1337-1404) dans ses Chroniques. Il insiste sur la présence de mercenaires génois (arbalétriers), mais très vite c’est la débâcle parmi eux et parmi les cavaliers. Deux raisons peuvent expliquer cet échec : le retard de l’armement militaire français (la bataille a été remportée grâce aux archers gallois), et une meilleure organisation de l’armée anglaise, à moindres frais, due au principe de l’écuage en Angleterre. L’image (Miniature, Chroniques de Froissart, XVe siècle, BNF, Paris) se prête à un examen attentif des forces en présence, identifiables grâce aux armes et aux bannières. L’armée française se trouve à gauche, les Anglais sont à droite. De part et d’autre, on trouve des chevaliers en armures mais aussi des arbalétriers côté français et des archers côté anglais. Nées sur les champs de bataille, les premières armoiries sont faites pour être vues de loin (couleurs franches, dessins stylisés). Deux éléments interviennent dans leur composition : les figures et les couleurs. On reconnaît ici la fleur de lys accompagnée de l’oriflamme « Montjoie Saint-Denys ». Les trois fleurs de lys sont l’objet d’une légende tenace : représentant La Trinité, elles auraient été apportées par un ange à Clovis, premier roi chrétien. C’est sous Louis VI et Louis VII qu’elles s’imposent comme emblème de la royauté française ;

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elles apparaissent sur un champ de bataille pour la première fois à Bouvines. Les trois fleurs de lys sur l’étendard du roi d’Angleterre rappellent les liens avec la couronne de France. Les trois léopards (le lion sur trois pattes) symbolisent les possessions continentales anglaises. Les couleurs sont aussi chargées de sens positif ou négatif (cf. M. Pastoureau, Figures et couleurs. Étude de la symbolique et de la sensibilité médiévales, Paris, 1987). L’association du rouge et du bleu symbolise le pouvoir, l’autorité et la fermeté. L’histoire des bourgeois de Calais peut se résumer ainsi : il faut presque onze mois de siège à Édouard III pour obtenir la capitulation de Calais le 3 août 1347. C’est pourquoi il était fort irrité contre sa population. La ville de Calais est sauvée de la destruction grâce au dévouement de six bourgeois conduits par Eustache de Saint-Pierre qui se livrent en otage au roi Édouard III. Les six bourgeois de Calais sortent de la ville en chemise, tête et pieds nus, une corde au cou et remettent à Édouard III les clefs de la ville, symbole de leur soumission. Le roi, en colère contre la ville qui lui résiste, veut les faire décapiter. Mais la reine prend les bourgeois en pitié et implore la clémence du roi. Les bourgeois ont la vie sauve, mais la ville est évacuée de ses habitants et repeuplée d’Anglais. En 1420, le traité de Troyes, déshérite le dauphin Charles au profit d’Henri V. Le traité marque l’apogée des prétentions anglaises en France. Henri V devient régent du royaume en raison de la folie de Charles VI, et doit hériter du trône après sa mort. La France est divisée : – Henri V tient Paris, la Guyenne, Calais, la Normandie et quelques pays limitrophes (Vexin, Maine) ; – de la Somme à la Loire, c’est la France anglo-bourguignonne ; – une grande partie reste acquise aux Armagnacs et la France delphinale se reconstitue à Bourges (la cour ayant séjourné auparavant à Troyes). Il faut donc relativiser le traité de Troyes, d’autant que sur le plan juridique, ce texte peut être contesté. Les juristes du dauphin l’ont rejeté. Selon ces derniers, et malgré le mariage d’Henri V avec la fille de Charles VI, Catherine, la couronne est un bien inaliénable, et non à la disposition libre du roi lui-même. De plus l’état de santé du souverain renforce l’aspect caduc d’un tel document. Une miniature du XVe siècle montrant le siège d’Orléans (BNF, Paris) met l’accent sur l’importance de l’artillerie qui modifie les conditions de la guerre et l’architecture des châteaux. L’artillerie à poudre, qui se diffuse au XVe siècle, ne révolutionne pas du jour au lendemain les pratiques militaires. Elle ne remplace que progressivement « l’artillerie à pierre », celle des balistes et des trébuchets. Les obstacles technologiques (les premières pièces d’artillerie éclatent relativement souvent et sont difficiles à transporter) n’ont pas permis d’utiliser ces armes autrement que pour les sièges de villes ou à bord des navires jusqu’au milieu du XVe siècle. Il s’agit d’un armement coûteux que seules les finances royales peuvent supporter. Le canon assure donc le triomphe de l’autorité royale sur les vassaux. On pourra aussi évoquer la question du déboisement lié aux progrès de la métallurgie : la fabrication de 200 kg de fer déboise en moyenne un hectare et certaines grosses bombardes pèsent 15 tonnes. En un an, Charles VII reprend une soixantaine de places fortes dont l’ennemi ne s’était emparé qu’au prix de longs sièges. Le roi de France prend une avance considérable dans ces nouvelles techniques auxquelles il consacre des crédits de plus en plus importants : 10 000 livres en 1440, 50 000 en 1490. On peut voir au premier plan une bombarde, au deuxième plan un canon en bronze coulé, et à gauche les ouvrages de bois construits par les Anglais pour empêcher le ravitaillement d’arriver. À la mort de Charles VI en 1422, le dauphin Charles, exilé, est surnommé le « petit roi de Bourges ». Il ne repart à la conquête de son royaume qu’à partir de 1429. La lutte entre le roi de France et le duc de Bourgogne se poursuit après la fin de la guerre de Cent Ans. D’abord dans une situation de faiblesse politique et militaire, Louis XI, par la finesse de son jugement, accule son adversaire à la défaite. En 1477 lors du siège de Nancy, Charles le Téméraire meurt au combat, sans héritier mâle. Louis XI (1461-1483), appliquant les règles propres aux apanages royaux, réintègre la plupart des possessions bourguignonnes au royaume de France. Pendant son règne, Louis XI acquiert la Provence (par héritage en 1480), le duché de Bourgogne et la Picardie. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :

Evaluation cohérente en fonction des objectifs :

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HMA – Jeanne d’Arc

Approche scientifique Approche didactique

Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Jeanne d'Arc, surnommée la Pucelle d'Orléans, est une figure emblématique de l'histoire de France. Au début du XVe siècle, elle mène victorieusement les troupes françaises contre les armées anglaises, levant le siège d'Orléans, conduisant le dauphin Charles au sacre à Reims et contribuant ainsi à inverser le cours de la guerre de Cent ans. Finalement capturée par les Bourguignons à Compiègne, elle est vendue aux Anglais par Jean de Luxembourg pour la somme de 10 000 livres, et condamnée au bûcher en 1431 après un procès en hérésie. Entaché de nombreuses et importantes irrégularités, ce procès est cassé par le pape Calixte III en 1456, et un second procès en réhabilitation conclut à son innocence et l'élève au rang de martyre. Elle est béatifiée en 1909 et canonisée en 1920. Elle est l'une des trois saintes patronnes de la France.

Insertion dans les programmes (avant, après) : Cf au Primaire

Sources et muséographie : Procès de condamnation de Jeanne d’Arc. Le journal du siège d’Orléans. Ouvrages généraux : Jeanne d'Arc. Vérités et légendes, de Colette Beaune, Paris, éditions Perrin, 2008. Jeanne d'Arc, La reconquête de la France de Régine Pernoud, édition du Rocher puis en poche aux édition Gallimard dans la collection Folio, 1995 G. Duby, Les procès de Jeanne d’Arc, Gallimard, 1973, réed. Folio histoire. Philippe Contamine, Jeanne d'Arc dans la mémoire des droites, tome II de la collection « Histoire des droites en France » (direction Jean-François Sirinelli), éditions Gallimard, 1992. Michel Winock, Jeanne d'Arc, Tome III de la collection « Les lieux de mémoire » (direction Pierre Nora), éditions Gallimard, 1992 Documentation Photographique et diapos : Revues : Jeanne d'Arc, une passion française - L'Histoire, numéro spécial n° 210, mai 1997. Géraldy Leroy : Voltaire, Michelet, Péguy et les autres, Jacques Dalarun : Naissance d'une sainte, Anne Rasmussen : L'affaire Thalamas, Michel Winock : Jeanne d'Arc est-elle d'extrême droite ? « Les 150 jours de Jeanne d'Arc » dans Quand les femmes prennent le pouvoir / LES COLLECTIONS DE L'HISTOIRE, Hors-Série, N° 34, Janvier-Mars 2007 Jeanne d'Arc, un mythe polémique, La fabrique du héros, TDC, N° 943, du 1er au 15 novembre 2007 ; Mythifiée de son vivant, Jeanne d'Arc nourrit, au fil des siècles, les fantasmes et les idéologies contradictoires d'une France dont elle fut et reste un symbole ambivalent. Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Grâce à l'exceptionnelle richesse constituée par les dossiers de ses deux procès (condamnation en 1431, réhabilitation en 1456), Jeanne d'Arc est l'un des personnages les mieux connus du XVe siècle, ce qui n'enlève rien toutefois à son mystère. Rédigé dans la langue des juristes ou des ecclésiastiques, le contenu de ces procès a été incompréhensible pour les contemporains de Jeanne et à donné lieu à toutes les interprétations de la part des historiens des siècles suivants. Nous n 'avons pas pour objet de refaire le procès de Jeanne d'Arc en jugeant de la véracité de ses propos on de ses motivations. On vise seulement à décrire son action et à montrer le rôle déclenchant et stimulant qu'elle a pu jouer auprès du Dauphin et de ses partisans, au moment où le royaume de France était plongé dans le chaos. En incitant le futur Charles VII à reprendre courage, elle a peut-être inversé le cours de l'Histoire ; c'est dans ce sens qu'elle peut apparaître comme une héroïne. Les deux sources principales sur l'histoire de Jeanne d'Arc sont le procès en condamnation de 1431, et le procès en réhabilitation de 1455-1456. Étant des actes juridiques, elles ont l'immense avantage d'être des retranscriptions les plus fidèles des dépositions. Mais elles ne sont pas les seules : des notices, des chroniques ont également été rédigées de son vivant, telle que la Geste des nobles

Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO actuel : « Le Royaume de France (Xe-XVe siècles) : l’affirmation de l’État L’étude est centrée sur la constitution territoriale du royaume et l’affirmation de l’État. • Repères chronologiques : la chevauchée de Jeanne d’Arc (1429-1431). Dans les futurs programmes : « FEODAUX, SOUVERAINS, PREMIERS ÉTATS L’organisation féodale (liens « d’homme à homme », fief, vassal et suzerain) et l’émergence de l’État en France qui s’impose progressivement comme une autorité souveraine et sacrée. La France est le cadre privilégié de l’étude. Celle-ci est conduite à partir d’exemples au choix de personnages significatifs de la

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François, la Chronique de la Pucelle, la Chronique de Perceval de Cagny, ou encore le Journal du siège d'Orléans et du voyage de Reims. Il faut ajouter également les rapports des diplomates et autres informateurs. C'est Jules Quicherat qui rassemblera de manière quasi-exhaustive l'historiographie johannique entre 1841 et 1849, en 5 volumes. Entre le XVe siècle et le XIXe siècle, une foule d'écrivains, de politiciens, de religieux se sont appropriés Jeanne d'Arc, et leurs écrits sont nombreux. Il faut donc être prudent dans la manipulation des sources : peu lui sont contemporaines, et elles réinterprètent souvent les sources originelles dans le contexte de leur interprète. Les procès sont des actes juridiques. Les deux procès ont la particularité d'avoir subi une influence politique évidente, et la méthode inquisitoire suppose bien souvent que l'accusée et les témoins ne répondent qu'aux questions posées. De plus le procès de 1431 fut retranscrit en latin (vraisemblablement à l'insu de Jeanne), alors que les interrogatoires étaient en français. Philippe Contamine, au cours de ses recherches, a constaté une abondance d'écrits dès 1429, et le « formidable retentissement au niveau international » dont cette abondance témoigne. Il remarque également que Jeanne d'Arc fut d'emblée mise en controverse et fit débat par ses contemporains. Enfin, dès le début « des légendes coururent à son sujet, concernant son enfance, ses prophéties, sa mission, les miracles ou les prodiges dont elle était l'auteur. Au commencement était le mythe. » Il apparaît donc qu'aucun document contemporain de l'époque - hormis les minutes des procès - n'est à l'abri de déformation issue de l'imaginaire collectif. Au cours du procès de réhabilitation, les témoins racontent d'après des souvenirs vieux de 26 ans. Il s’agit de faire mémoriser aux élèves quelques éléments simples sur la chevauchée de Jeanne d’Arc et sur Jeanne elle-même, qui symbolise la naissance du sentiment national. Il convient de mettre en valeur le rôle fondamental qu’elle a joué sur le plan militaire et psychologique en libérant Orléans (8 mai 1429) et en faisant sacrer le dauphin à Reims (17 juillet 1429). Il faut aussi insister sur l’exceptionnel destin de Jeanne. Elle est en particulier une des rares femmes à avoir laissé une trace dans l’histoire de France. Son originalité tient d’abord dans le contraste entre son action et sa simplicité : Jeanne est une paysanne qui ne sait ni lire ni écrire, dont tout le bagage se limite à la récitation du Pater, de l’Ave et du Credo. Mais grâce à la documentation exceptionnelle constituée par les dossiers de ses deux procès, on sait qu’elle était dotée d’un solide bon sens et d’une foi profonde. Sa piété et ses « voix » lui donnent une légitimité nécessaire à son époque qui dépasse la simple révolte humaine. Il faut aussi expliquer que son action a eu de nombreuses interprétations et récupérations politiques qui s’inscrivent dans des moments précis de l’histoire nationale et sont chargées d’erreurs. Il y a notamment une Jeanne d’Arc gothique, une Jeanne d’Arc Renaissance, une Jeanne d’Arc classique, une Jeanne d’Arc des « Lumières », une Jeanne d’Arc romantique, une Jeanne d’Arc nationaliste. S’il est vrai que Jeanne a été animée d’un sentiment national, elle ne l’a pas créé ; il existait bien avant et ce sentiment était bien différent de celui du nationalisme contemporain.

construction de l’État en France : Jeanne d’Arc… Connaître et utiliser les repères suivants : − Un événement significatif de l’affirmation de l’État en France Accompagnement : « Il ne peut être question de traiter la Guerre de Cent ans en elle-même dans le temps imparti ; la réflexion porte sur deux thèmes : – la permanence de l’affirmation de l’État qui se manifeste dans cette période chaotique par un passage à une certaine modernité : la lutte pour récupérer les territoires perdus se traduit par la fin de la guerre chevaleresque, par la professionnalisation de l’armée qui rend nécessaires des impôts permanents ; – la manifestation du sentiment national, sensible dès la chevauchée de Jeanne d’Arc, et qui s’accroît dans les années qui suivent. »

Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : I. « De la garde des brebis à la tête des armées du roi de France » On ne possède qu’un seul portrait réalisé du vivant de Jeanne : un petit dessin effectué en marge des minutes de son procès par le greffier. Si elle ne représente pas réellement Jeanne, cette enluminure du XVe siècle, pas tout à fait contemporaine de Jeanne (BNF, Paris), a le mérite de montrer ce qui a sans doute le plus étonné à son époque : voir la Pucelle « passer de la garde des brebis à la tête des armées du roi de France ». Jeanne y est en effet représentée en armure, attribut masculin, ce qui lui a été reproché lors de son procès. C’est dans cette tenue que Jeanne a été autorisée par Charles à participer aux opérations militaires, munie d’une bannière avec l’inscription « Jésus Maria ». Son épée a été trouvée sur ses indications, en la chapelle de Sainte-Catherine-de-Fierbois, près de Tours. Jeanne est une paysanne très pieuse et solitaire marquée par l’enseignement des moines mendiants. Dans le procès, Jeanne précise : « Quand j’ai eu l’âge de treize ans, j’ai eu une voix de Dieu pour m’aider à me gouverner. La voix me disait que j’irais en France et que je lèverais le siège mis devant la cité d’Orléans. ». Les

Activités, consignes et productions des élèves :

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voix lui ordonnent d’aller en France, d’en chasser les Anglais et de faire sacrer le dauphin à Reims. Il faut préciser dans quel contexte Jeanne entend ces voix. Domrémy se trouve dans la châtellenie de Vaucouleurs, à la frontière des deux Frances, la France bourguignonne au nord et la France du dauphin Charles, « roi de Bourges ». Si proche des possessions bourguignonnes et de l’Empire, c’est un des rares villages dépendant du roi de France qui soit resté fidèle à Charles. En 1425, les habitants doivent abandonner le village devant la menace bourguignonne. En 1428, les Anglo-Bourguignons mettent le siège devant Vaucouleurs ; Jeanne et sa famille doivent se réfugier à Neufchâtel. Après de longues hésitations et aidée par un parent, elle va trouver le représentant du roi à Vaucouleurs, le capitaine Robert de Baudricourt qui la traite de folle et la renvoie. Mais elle est ensuite soutenue par les gens qui la croient. Il faut dire que Jeanne n’est pas un cas isolé. Au Moyen Âge, on voit surgir des prophétesses, particulièrement dans les périodes troublées, lors du Grand Schisme d’Occident par exemple, souvent rejetées et considérées comme des sorcières. Jeanne parvient à rejoindre le dauphin en mars 1429 : « Je suis allée à la ville de Chinon où est mon roi. J’y arrivai vers l’heure de midi et après le repas j’allai vers mon roi qui était au château. Quand j’entrai dans la chambre de mon roi, je le reconnus parmi les autres par le conseil de la voix qui me le révéla. Je dis à mon roi que je voulais aller faire la guerre contre les Anglais. » Jeanne, désormais appelée « la Pucelle » [vierge] a réussi à convaincre le dauphin. Il lui donne un étendard à l’effigie de saint Michel, sainte Catherine et sainte Marguerite et une armure et lui attribue des écuyers et une troupe d’hommes d’armes. Elle part, en passant par Tours et Blois, vers Orléans. Le 29 avril 1429 son arrivée est annoncée à Orléans ; des combattants entraînent les Anglais loin des remparts, tandis que Jeanne y pénètre avec vivres et armes. Jeanne redonne confiance aux assiégés. Lors du siège d’Orléans, l’outrecuidance de Jeanne fait rire et les assiégeants lui répondent par des grossièretés. Mais les Anglais lèvent le siège le 8 mai 1429. L’effet des victoires de Jeanne est considérable et la propagande royale en use. Les Anglais ont été battus par une femme. Ils en sont ridiculisés (d’où la chanson). Pour les Anglais, elle ne peut être qu’une sorcière. C’est le seul moyen d’expliquer la défaite. Dès le lendemain de la libération d’Orléans, Jeanne se rend a Loches pour rencontrer le Dauphin et l'inciter à aller se faire couronner à Reims, bien que la ville soit en territoire ennemi. Il s'ensuit une série de victoires qui ouvrent la route de Reims où le Dauphin est couronné le 17 juillet 1429, ce qui marque un tournant décisif dans la guerre de Cent Ans. Désormais sacré, le roi de France est assuré du soutien de Dieu et de son peuple. La reconquête du royaume ne fait plus de doute dans l’esprit des Français. Désormais cependant, le rôle et l’influence de Jeanne d’Arc sur le roi vont décroissants. Traditionnellement, le sacre n'est achevé que lorsque le roi fait son entrée solennelle dans Paris. C'est pourquoi Jeanne d'Arc reprend sa chevauchée avec son armée, mais elle est blessée devant Paris et doit se replier. C'est en voulant prendre Compiègne, au printemps 1430, qu'elle est faite prisonnière. En sortant de Compiègne assiégée le 24 mai 1430, Jeanne d’Arc est faite prisonnière par un chevalier bourguignon. Elle est livrée moyennant une rançon de 100 000 écus au roi d’Angleterre, après avoir tenté de fuir. On lui reprochait le port de vêtements d’hommes qui tombait sous le coup d’une interdiction canonique, sa tentative de suicide (en fait une tentative de fuite), ses visions considérées comme un signe d’imposture et de sorcellerie et son refus de se soumettre à l’Église. Dans un moment de faiblesse et face aux menaces de torture, Jeanne abjure mais elle se reprend rapidement. C’est pourquoi elle est condamnée au bûcher sur la place du Vieux-Marché à Rouen. L’Église n’exécute pas les sentences mais en la livrant au bras séculier et en la désignant comme hérétique, le tribunal condamne Jeanne à être brûlée le 30 mai 1431. Elle est liée au poteau du supplice par un aide du bourreau. Des fagots sont prêts à être empilés autour d’elle. Des témoins ont raconté par la suite que l’assistance avait été saisie d’une grande émotion. Elle n’a que vingt ans. Ses cendres ont été immédiatement jetées à la Seine par ordre de l’évêque Pierre Cauchon de crainte que les gens en fassent des reliques. Jeanne est une héroïne chrétienne parce qu’elle se dit envoyée par Dieu, et qu’elle combat au nom de Dieu. Elle est aussi une héroïne nationale parce qu’elle a voulu « bouter les Anglais hors de France », unissant les Français contre les Anglais. C’est en s’opposant à la nation anglaise que la nation française s’affirme. En France, le sentiment de la patrie s’est cristallisé au Moyen Âge sur la personne de Jeanne d’Arc. Sa mission permet de fonder la notion de patrie sur 3 critères :

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– la protection du territoire : elle est envoyée pour lever le siège d’Orléans ; – la religion : elle doit conduire le Dauphin au Sacre à Reims ; – la langue : à ses accusateurs qui l’interrogent au sujet de la Voix de sainte Marguerite, Jeanne d’Arc répond : « Comment aurait-elle parlé anglais, puisqu’elle n’est pas du parti des Anglais ? ». Le XIXe siècle exalte la figure de Jeanne d’Arc, représentante du peuple et incarnation mystique de la nation. Jules Michelet en fait « la Sainte de la Patrie, la patronne de la France. ». Jeanne d’Arc a fait l’unanimité (et on sait jusqu’à quels abus trop actuels) : pour Jean Jaurès, Maurice Barrès, Georges Bernanos, Paul Claudel, André Malraux, elle est le symbole des valeurs irrationnelles et contradictoires – pitié féminine et énergie militaire – qui nourrissent le sentiment patriotique. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :

Evaluation cohérente en fonction des objectifs :