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247 La tournée en Corse de Forêt Méditerranéenne Du 20 au 24 mai 2009 par Roger CANS et Gilles MARTINEZ Le séminaire “bois énergie” à Corte, le 20 mai 2009 Après une traversée sur mer d’huile à bord du Kallisté, de Marseille à Bastia, notre groupe est conduit en car à Corte pour le séminaire sur la filière bois énergie en Corse. Nous sommes accueillis dans les locaux de la faculté des sciences par Olivier Riffard et Jean-Claude Bonaccorsi, président de l’ODARC (Office de développement agricole et rural de la Corse), qui co-organise cette journée avec l’association Forêt Méditerranéenne. Le président de l’ODARC rappelle en préambule que la loi du 22 jan- vier 2002, qui restitue la propriété des forêts domaniales à la Collectivité territoriale de Corse (CTC), a modifié la donne, même si l’Office national des forêts (ONF) continue à gérer ces forêts sous contrat avec la CTC. Il précise cependant que 88% de la forêt corse est, soit privée (71%), soit communale (17%). En partenariat avec l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), l’ODARC s’est engagé dans une politique d’exploitation de la biomasse, qui est considérable en Corse, une des régions les plus boisées de France. Il conclut que cette politique est bien lancée puisque : la ressource est abondante ; il existe une volonté politique d’aboutir et il y a déjà des applications sur le terrain. Dans la cadre de la préparation des journées “Energie - Forêt - Territoires”, Forêt Méditerranéenne avait décidé d’organiser une rencontre en Corse, afin d’une part de mieux connaître la filière bois énergie corse et, d’autre part, de faire partager ses propres travaux sur le bois énergie à ses partenaires de l’Ile de Beauté. Le séminaire de Corte a ainsi été l’occasion, pour certains, de poursuivre par la tournée annuelle de l’association. Un beau voyage à travers les forêts corses. forêt méditerranéenne t. XXXI, n° 3, septembre 2010

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La tournée en Corsede Forêt Méditerranéenne

Du 20 au 24 mai 2009

par Roger CANS et Gilles MARTINEZ

Le séminaire “bois énergie” à Corte, le 20 mai2009

Après une traversée sur mer d’huile à bord du Kallisté, de Marseilleà Bastia, notre groupe est conduit en car à Corte pour le séminaire surla filière bois énergie en Corse. Nous sommes accueillis dans les locauxde la faculté des sciences par Olivier Riffard et Jean-ClaudeBonaccorsi, président de l’ODARC (Office de développement agricole etrural de la Corse), qui co-organise cette journée avec l’association ForêtMéditerranéenne.Le président de l’ODARC rappelle en préambule que la loi du 22 jan-

vier 2002, qui restitue la propriété des forêts domaniales à laCollectivité territoriale de Corse (CTC), a modifié la donne, même sil’Office national des forêts (ONF) continue à gérer ces forêts souscontrat avec la CTC. Il précise cependant que 88% de la forêt corse est,soit privée (71%), soit communale (17%). En partenariat avec l’ADEME(Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), l’ODARCs’est engagé dans une politique d’exploitation de la biomasse, qui estconsidérable en Corse, une des régions les plus boisées de France. Ilconclut que cette politique est bien lancée puisque : la ressource estabondante ; il existe une volonté politique d’aboutir et il y a déjà desapplications sur le terrain.

Dans la cadre de la préparationdes journées

“Energie - Forêt - Territoires”,Forêt Méditerranéenne avait

décidé d’organiser une rencontreen Corse, afin d’une part de mieux

connaître la filière bois énergiecorse et, d’autre part, de faire

partager ses propres travaux surle bois énergie à ses partenaires

de l’Ile de Beauté.Le séminaire de Corte a ainsi été

l’occasion, pour certains,de poursuivre par la tournée

annuelle de l’association. Un beauvoyage à travers les forêts corses.

forêt méditerranéenne t. XXXI, n° 3, septembre 2010

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La SEM Corse Bois Energie

La parole est ensuite donnée à Jean-Christophe Angelini, président de la SEM(Société d’économie mixte), constituée pourmettre sur pied la filière bois énergie. Il sou-ligne que l’exploitation du bois est pour laforêt corse “un enjeu stratégique”, qui met enœuvre deux approches complémentaires :écologique et économique. Il rappelle que leprojet a été porté par feu Jean-CharlesMartinetti, qui, non sans mal, a obtenu larecapitalisation de la SEM.Pour la région, il s’agit ainsi clairement

« d’augmenter la part de la biomasse dans lebouquet énergétique de la Corse ». L’objectifest de parvenir « aux trois tiers », c’est-à-direun tiers de raccordement au réseau (via laSardaigne), un tiers d’énergie thermique(centrales) et un tiers d’énergies renouvela-bles (hydraulique, éolien et biomasse).Notre président, Michel Bariteau, rend

hommage à la Corse, fleuron de la forêtméditerranéenne. Il explique que ForêtMéditerranéenne a choisi le thème du boisénergie pour l’année 2009. Un premier sémi-naire, technique, s’est tenu en mars àOppède (Vaucluse). Un deuxième, sur lesincidences écologiques de l’exploitation de labiomasse, a eu lieu le 12 mai à Cogolin et àLa Môle (Var) ; le troisième se tenant àCorte. Un quatrième, sur le développementdu territoire, aura lieu à Alès (Gard), les 16et 17 juin 2009. Enfin, sera organisé ennovembre un colloque qui tirera les leçons deces séminaires 1.Olivier Riffard observe que les fondements

de la politique énergétique de la Collectivitéterritoriale de Corse reposent sur les compé-tences issues des lois de décentralisation, surl’expérience de la “crise énergétique” qu’aconnu l’île au cours de l’hiver 2005 (avecnotamment des coupures électriques) et surune intervention ciblant prioritairement lerésidentiel et le tertiaire (alors que plus de lamoitié de la consommation énergétique estliée au transport, secteur où la politique dela collectivité reste limitée). Cette politiquese décline en un Plan énergétique de laCorse et en un Plan de développement desénergies renouvelables. L’objectif est notam-ment d’arriver à une production de 950 GWhen énergies renouvelables à l’horizon 2020. Ilsouligne que l’île tire déjà 30% de son électri-cité d’énergies renouvelables, contre moinsde 20% sur le continent. L’objectif de la SEMest de produire 23 000 kW par an à partir de24 000 tonnes de bois. Pour cela, il faut pro-

mouvoir l’installation de chaufferies collec-tives d’une puissance de 500 kW (avecréseaux de chaleur) et des chaudièresmoyennes de 150 kW (habitat collectif etpetit tertiaire).Le directeur général de la SEM, Thierry

Bianchi, explique que son entreprise est unpartenariat public (51%, collectivité territo-riale) et privé (49%, COFATHEC) dont l’idéeremonte à la fin des années 1980, mais dontl’ampleur s’est accélérée en 1992 avec lacréation d’un réseau de chaleur à Corte sui-vie de huit chaufferies biomasse de moyennepuissance. Le partenariat privé a évolué en1998 et la SEM emploie actuellement 8 per-sonnes pour un chiffre d’affaires de 1,8 Md’euros.La SEM propose ses services autour de

deux métiers : la production de plaquettes(broyage sur le site de Corse Bois Energie,séchage et contrôle de qualité) et la produc-tion de chaleur. Son approvisionnement estcontractualisé avec les acteurs de la filièrelocale (exploitants forestiers et gestion-naires).L’avantage du bois sur le fioul est qu’il ne

dégage pas de soufre, mais seulement duCO2. La capacité calorique de 1 000 tonnesde bois équivaut à 250 tonnes de fioul. Legisement est à puiser dans les forêts de laCTC (12% de la surface) et dans les forêtscommunales (17%).La SEM dispose d’un Centre de production

de plaquettes à Ghisonaccia. Elle disposeaussi d’un broyeur itinérant, qui peut trans-former des billons jusqu’à 80 cm de diamè-tre. Ce broyeur va surtout dans les coupesd’eucalyptus de la plaine d’Aléria (coupesmécanisées), mais il se rend aussi chez desparticuliers ou des communes sous contrat.Thierry Bianchi souligne que le séchage du

bois est très important, car le pouvoir calori-fique des plaquettes dépend beaucoup plusdu taux d’humidité du bois que de l’essenceforestière. La production actuelle totale estde 13 000 tonnes (correspondant à laconsommation actuelle de l’île en bois éner-gie), dont 7 000 proviennent des eucalyptusde la CTC. Comme la capacité de stockageest limitée, le transport des plaquettes se faità flux tendus. En hiver, trois camions (fondsmouvants ou poly-bennes) montent chaquejour pour approvisionner la chaufferie deCorte. En été, deux suffisent pour la climati-sation de l’université.Les chaudières de Corte (d’une puissance

de 2 fois 2,5 MW) fonctionne en double com-

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1 - Depuis, les actesdu colloque ont parudans le numéro XXXI,

n°2, juin 2010de la revue.

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bustion où le brûlage des composés carbonésdu bois représente 20% de la productionénergétique et 80% provenant de la combus-tion des gaz secondaires (composés volatils).Les deux chaudières de Corte ont été misesen service en 1992. Elles sont beaucoup plusvolumineuses que la chaudière à fioul instal-lée en secours (puissance de 4,7 MW). Ellesdevront être rénovées.Ces chaudières alimentent actuellement

un réseau de chaleur de 7 km desservant 32clients. Le réseau consomme 8 500 tonnespar an pour le chauffage urbain et 4 500tonnes pour les lycées et collèges (15 MWhdistribués). La chaleur est issue du bois à94%, le fioul (6%) n’intervenant qu’enappoint. Ce système permet d’éviter laconsommation de 2 000 TEP annuelles. C’est« un procédé fiable et rentable ».

Le projet européen BiomassL’ODARC va participer à un projet euro-

péen baptisé BIOMASS dont le thème reposesur les politiques et les instruments pour lavalorisation de la biomasse comme sourced’énergie renouvelable. Il va permettrenotamment le partage d’expériences entredes régions italiennes (le chef de file du pro-jet est la province de Lucca) et la Corse(appel à projet MARITIME) 2.

La forêt corseLe chauffage au bois des particuliers

repose essentiellement sur le chêne vert quicouvre environ 66 500 ha en Corse. Les peu-plements sont traités en taillis simples etl’exploitation représente 50 000 m3/an cor-respondant à seulement 15% de l’accroisse-ment biologique. Cette filière occupe l’équi-valent de 150 temps pleins annuels.Le vice-président de l’association des com-

munes forestières, Antoine Orsini (élu etuniversitaire), présente alors les quatre com-munes de son intercommunalité et les spéci-ficités de chaque commune : Asco exploite lepin laricio, Guiza le chêne vert (privé sur-tout) et Saint-André-de-Bozio, le hêtre et lechâtaignier (+800 m d’altitude).Un agent du CRPF (Centre régional de la

propriété forestière) présente la « sylvicul-ture très dynamique du châtaignier » qui sepratique chez certains propriétaires privés.Jusqu’à présent, en effet, seuls l’eucalyptus

et le pin maritime étaient transformés enplaquettes. Le châtaignier était réservé à laproduction fruitière (vergers) ou aux piquets(taillis). Le CRPF a donc initié un pro-gramme de dépressage des taillis de châtai-gnier âgés de sept à neuf ans, dont le boissera transformé en plaquettes. C’est encoreexpérimental. L’objectif est que ce soit, dansun premier temps, une opération blanchepour le propriétaire. Ensuite, il pourra valo-riser des grumettes en bois d’œuvre.Le représentant de l’ONF, Georges Pujol,

fait un tableau de la forêt en Corse, qui cou-vre presque la moitié de sa surface (43%).Cela en fait l’île la plus boisée de toute laMéditerranée. Son taux d’accroissementnaturel est d’un million de m3/an. Sur les400 000 ha de forêt corse, 50 000 ha appar-tiennent maintenant à la CTC (dont 50% enséries de production) et 100 000 ha aux com-munes (40% en séries de production). Dansla pratique, moins de la moitié des forêts dela CTC sont exploitées régulièrement. Laforêt publique fournit 50 000 m3 de bois paran (avec une part des résineux de 85%), dont7 000 tonnes sont attribuées à la SEM pourchauffer Corte (contrat sur 4 ans).Parallèlement, les forêts d’Eucalyptus deCasabianda procurent un approvisionne-ment complémentaire substantiel (environ9 000 m3 par an) avec un bon rendementénergétique et un prix de revient attractif(forêts de proximité et chantiers mécanisa-bles). Le pin maritime pourrait être davan-tage exploité, mais on craint qu’il soit entiè-rement contaminé par la cochenilleMatsucoccus d’ici à 2030, comme ce fut le casen région Provence-Alpes-Côte d’Azur.

Photo 1 :De gauche à droite,Jean-Christophe Angelini,président de la SEM,Jean-Claude Bonaccorsi,président de l’ODARCet Michel Bariteau,Président de ForêtMéditerranéennelors du séminairede Corte.Photo D. Afxantidis

2 - Cf. l’article d’OlivierRiffard, “La filière boisénergie en Corse”,Forêt Méditerranéenne,Tome XXXI, n°2,juin 2010.

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DiscussionUne question est posée sur l’avenir des

cendres des chaudières à bois. « Personnen’en veut, alors elles vont en décharge ». Lesplaquettes sont vendues à 100 euros la tonnelivrée (en moyenne), ce qui rend la caloriebiomasse compétitive.Un représentant d’EDF explique que la

production d’électricité revient très cher enCorse. D’où le recours aux énergies renouve-lables. Son effort a porté sur deux points :l’isolation thermique des bâtiments et lechauffage au bois. Les chaudières à bois sontrentables puisqu’elles sont amorties au plusen quinze ans.Un participant explique que, en Balagne,

12 000 pieds d’olivier sont pratiquement àl’abandon. Qu’en faire ? Il y a bien des foursà pain chauffés au ciste. Pourquoi pas desfours à pizza chauffés à l’olivier ? « Le châtai-gnier, personne n’en veut car il pète dans lescheminées, même avec insert ». Alors en pla-quettes…Un propriétaire forestier, M. Nicolaï, admi-

nistrateur du CRPF (Centre régional de lapropriété forestière), constate que « notrechêne vert part en Sardaigne à des prix déri-soires. Est-ce que la SEM pourrait en acheter,entre 10 et 15 euros la tonne ? ». Réponse :« Non, parce qu’il est trop branchu ». La SEMne broie en effet que des bois droits, compati-bles avec les caractéristiques techniques dubroyeur.Les taillis de chêne vert sont en général

exploités tous les 40 ou 50 ans. Le CRPFpousse les propriétaires àconvertir ces taillis enfutaie, avec une exploita-tion à 150 ans (au-delà, il y

a un risque car les arbres de 180 ans sontcreux). La certification PEFC (bonne pra-tique forestière) est en cours de mise enplace.Une question est posée sur la cogénération

(production de chaleur pour le chauffage,puis utilisation de la vapeur pour produirede l’électricité). Réponse « Oui, Corte envi-sage de fabriquer de l’électricité avec sa cha-leur », sous forme de vapeur ou de méthani-sation.L’après-midi est consacré à la restitution

des séminaires déjà réunis sur le continent.Notre ami Denis Revalor explique que le boisénergie représente l’équivalent de 9 millionsde tonnes de pétrole par jour. La chaufferieau bois exige un investissement plus lourd etun entretien suivi, mais l’énergie fournie estmoins chère. Le pouvoir calorifique des rési-neux est supérieur à celui des feuillus. Lesgranulés reviennent plus chers que les pla-quettes. Ils conviennent mieux aux particu-liers. L’idéal est d’avoir un matériau aussirégulier que possible. Pour bien valoriser lebois énergie, les communes doivent seregrouper, comme c’est le cas à Cogolin ouPerpignan. On peut aussi valoriser les réma-nents par du broyage en bord de route. Lefagotage a été abandonné car, au ramassage,les fagots se désagrègent.En région Provence-Alpes-Côte d’Azur, la

part de la plaquette augmente par rapportau bois récolté (sauf dans les Bouches-du-Rhône). Elle se vend entre 60 et 100 euros latonne. En fait, son prix dépend des varia-tions du prix du fioul et la valeur de la pla-quette devrait intégrer le prix des servicesrendus au titre de la DFCI (Défense desforêts contre l’incendie) notamment. Les 160chaufferies de PACA consomment 31 000tonnes de plaquettes (puissance installée de51 MW) pour une ressource disponible(accroissements résineux) estimée à723 000 m3 par an.Nicolas Nguyen-Thé, ingénieur chercheur

du FCBA (ex-AFOCEL) à Montpellier, s’in-terroge sur l’opportunité de récolter lesrémanents. Est-ce utile ? Est-ce rentable ?N’est-il pas préférable de les laisser se recy-cler sur place ? Maurice Bonneau, ingénieurgénéral du GREF (en retraite), répond queles apports atmosphériques en azote(10 kg/ha/an) et potassium (20 kg/ha/an)compensent largement les appauvrissementspar exportation minérale des rémanentsrécoltés. Eric Rigolot observe qu’on récoltechaque année 60 000 tonnes de rémanents.« On pourrait atteindre 200 000 tonnes ».

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Photos 2 et 3 :Le hangar à plaquettes

et l’intérieur de lachaufferie de Corte

Photos DA

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L’ingénieur de Montpellier plaide pour lestaillis à courte révolution, qui sont en géné-ral de sept à dix ans. « Certains agriculteursveulent ramener le délai à trois ans ».

Visite de la chaufferiede CorteLes participants du séminaire se dirigent

ensuite vers la chaufferie de Corte, sous laconduite de Thierry Bianchi. Elle est instal-lée derrière la gare, dans un ancien local deréparation du matériel roulant. Les pla-quettes, stockées à même le sol, sont saisiespar un engin suspendu réglé par un ordina-teur. Une seule chaudière est en marche.L’autre est en cours de nettoyage. Etonnant :deux agents seulement suffisent à la fairefonctionner à l’année.

Les forêts privées du Taravo-Sartenais, le 21 mai 2009

D’Ajaccio, nous prenons la route du sudjusqu’à la commune de Petreto, où le carnous dépose au pont d’Abbra (un ouvraged’art imposant et tout neuf qui double levieux pont gênois, bien conservé). Au lieu-ditStazzu nous attendent Geneviève Ettori,directrice du CRPF, Daniel Luccioni, prési-dent du CRPF, et le propriétaire d’une forêtde 18 ha, Pierre Magne, par ailleurs éleveurde porcs et entrepreneur paysagiste.Nous pénétrons alors dans une subéraie

vieillie, autrefois pâturée par les porcs, qui aété colonisée par un maquis dense debruyères arborescentes, d’arbousiers, decistes et de très beaux chênes verts, devenusl’essence dominante. Le liège, qui est levédans l’île par des passages entre sept etdouze ans, a été levé ici il y a cinq ans, mal-gré la difficulté d’accès aux arbres. Il a étéexporté vers la Sardaigne, car il n’y a pasd’industrie du liège en Corse.Le plan simple de gestion de la propriété

donne la priorité à l’exploitation du liège(tous les chênes-lièges sont conservés) et aumaintien de la biodiversité. On exploitera lechêne vert en bois de feu ou en grumes pourles plus beaux sujets. Par ailleurs, le proprié-taire a ouvert un cheminement dans le sous-bois, dont il veut faire un itinéraire de pro-menade et de découverte. Il est vrai que cefond de vallon obscur est un livre ouvert surla forêt méditerranéenne, avec son torrent de

montagne (le Taravo), ses rochers, et sesvieux murs de pierres sèches toutes mous-sues. Un arbre fait l’étonnement : un tronchaut et droit à écorce de chêne blanc avecdes feuilles de chêne vert. Un hybride ? Encorse, on l’appelle aruvara (rouvre), tout sim-plement. On remarque aussi du laurier tin,ou viorne tin, ainsi que des filaires (Filaria),arbustes fastigiés (de 4 ou 5 m de haut) avecde petites feuilles du genre troène. Quelquesfrênes dans les endroits humides. Houx fra-gon et salsepareille. De petites vaches pas-sent en sous-bois.Guy Benoit de Coignac développe sa théorie

du chêne-liège et du châtaignier introduitspar l’homme et donc non autochtones origi-nellement. D’autres contestent et parlent

Photo 4 :Au premier plan, le vieuxpont gênois et, au fond,le pont d’AbbraPhoto DA

Photo 5 :La subéraie vieillie,autrefois pâturée parles porcs, est peu à peucolonisée par un maquisdensePhoto DA

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seulement d’une culture encouragée parl’homme. Tous sont d’accord pour conclureque le chêne vert est « l’ennemi » du chêne-liège. Le plus gros du massif mesure 3,91 mde tour.

Jean Bonnier s’interroge sur l’opportunitéd’orienter la gestion vers un objectif de pro-duction de chêne vert (bois de chauffage) etd’arbousier (petits sciages et tournerie)compte tenu de la dynamique de ces essenceset du potentiel stationnel. Il note inverse-ment les difficultés de régénération duchêne-liège et sa faible densité, tout en rap-pelant la nécessité de la présence humainedans la dynamique de la subéraie.

Nous reprenons la route de la montagne enpassant le col de Saint-Eustache (986 m). Lepin maritime le cède alors au pin laricio.Nous sommes étonnés par la rectitude destroncs des pins maritimes, qui semblent enparfaite santé malgré les craintes expriméesà propos du Matsuccocus. Et pourtant, leurbois ne se vend pas. Seul le laricio est prisécomme bois d’œuvre. Une polémique s’ins-taure dans le car autour du « pin mésogéen »,dont certains contestent l’existence ou dumoins l’appellation…

Nous traversons Aullène et croisonsvaches ou chevaux en maraude. On nous faitobserver, sur un versant à l’horizon, un longpare-feu de 150 m de large. C’est une LICA-GIF (ligne de combat préparée à l’avancecontre les grands incendies de forêts), quidispose en outre des citernes de place enplace, dûment répertoriées par des panneauxcodés. Nous traversons Quenza et descen-dons à pied une piste forestière, à travers lapropriété de M. Milanini (53 ans). Ce pro-priétaire d’une ferme auberge à Figari, ahérité d’une forêt de 100 hectares, étagée de750 à 950 m. Son grand-père y faisait ducharbon de bois dans les années 1920.

Il a rencontré le CRPF en 1992, mais sanssuite dans un premier temps. En 2008, leCRPF lui a proposé de réaliser un plan degestion avec deux objectifs : accueil du publicet production de bois. L’accueil du public,Jean-Yves Milanini connaît, puisqu’il gèreune structure agri-touristique et reçoit desclients haut de gamme dans sa fermeauberge, où il prépare des plats gastrono-miques pendant que sa femme conduit latroupe à cheval. « Mon idée, c’est de faire dutourisme à cheval en forêt, avec 7 ou 8 per-sonnes à la journée. Mon slogan : en été, c’estle cheval qui transpire. Je veux offrir unejournée de rêve, qui se termine par un bon

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Photo 6 (ci-contre) :Un arbre fait

l’étonnement : un tronchaut et droit à écorcede chêne blanc avec

des feuilles de chêne vert.L’aruvara en Corse.

Photo DA

Photo 7 (ci-dessous) :Vue de la propriété

de Pierre Magne,on constate la fermeture

progressive du milieuPhoto DA

Photo 8 (en bas) :Jean-Yves Milanini,

propriétaire forestiernous explique ses objec-tifs : accueillir du public

et produire du boisPhoto DA

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repas et une soirée en cabane. Vous rêvez,puis vous partez ». A cette fin, il a déjà défri-ché 6 ha en bord de rivière.Pour la production de bois, c’est une autre

affaire. « On n’a pas de culture forestière,chez nous. Le pin coupé, je voulais le donner.Personne n’en a voulu. Le fabricant depalettes, il est en Sardaigne. Ici, ils achètentle pin maritime à 13 euros le m3 et le chênevert à 15 euros. La forêt, c’est ma danseuse ».Geneviève Ettori : « On peut vous aider àmonter une filière et vous associer à la coopé-rative ».Après le pique-nique en forêt, traversée de

Zonza, montée au col de Bavella et descentesur Solenzara puis Tarco, en bord de mer, oùnous allons passer deux nuits.

La sapinière de Cagna,la plus méridionale de France,le 22 mai 2009Le car nous emmène à Figari, où nous

avons rendez-vous avec les sapeurs forestierset des agents de l’Office national des forêts(ONF) pour escalader la montagne. Nousaccueillent Michel Costa, du Conseil généralde Corse du Sud et chef des sapeurs fores-tiers, Jacques Ravaux, agent de l’ONF res-ponsable du triage, Jean-Yves Duret, spécia-liste du brûlage dirigé, Alphonse Pandolfi etAchille Pioli, botaniste à l’ONF.Nous embarquons dans quatre véhicules

tout-terrain pour 5 km de route étroite (maisgoudronnée), puis 10 km de piste (large maisbosselée !), jusqu’au hameau de Naseo. Cetancien hameau de transhumance, inhabité,est devenu un lieu de résidence secondairepour quelques amateurs de solitude. Toutautour, c’est une forêt communale indivise,gérée par l’ONF.Pour la randonnée, nous partons en

colonne, sous la conduite de Serge Ravaux,avec Michel Costa en serre-file et un sapeurforestier en arrière-garde. Le chemin, toutjuste défriché, est truffé de pierres, debranches et de racines qui rendent la marchedifficile.Nous traversons d’abord une forêt de pins

maritimes, hauts et droits, avec un sous-étage d’arbousiers, chênes verts et bruyères(arborescentes et à balais). La végétation estdense, car la pluviométrie est abondante (de800 mm à 1500 mm selon l’altitude et l’expo-sition).

Nous faisons une première pause à la tra-versée d’un torrent (1040 m), à l’ombre despins laricio, dont certains font plus de 3 m detour. L’osmonde royale pousse entre lespierres humides. Le botaniste nous signale lelys pancrace, l’ellébore de Corse, le cytisenain et le poirier à feuilles d’amandiers. Onpeut voir aussi du houx, du sorbier, du frêneet de l’aubépine. Nous franchissons un chaosgranitique assez périlleux pour des mar-cheurs fatigués.

La deuxième pause est pour le pique-nique, au pied d’une falaise de granite d’oùsourd un filet d’eau fraîche, sous un beausapin pectiné orné de gui et un petit érablesycomore. Cette fois, nous sommes dans lafameuse sapinière, à environ 1100 m. Lesplus courageux vont poursuivre l’escaladejusqu’à une vaste tourbière pâturée, cernée

Photo 9 :Vue du massif de Cagna,lors de la montéePhoto DA

Photo 10 :La sapinière de CagnaPhoto DA

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de sapins, dont le plus gros dépasse lui aussi3 m de tour. On y trouve quelques sphaigneset hépatiques remarquables.Il est rappelé que Cagna a deux versants

très contrastés avec au sud du pin maritimeen transition progressive avec la sapinière,alors qu’au nord, c’est le chêne vert qui rem-place de pin.La sapinière couvre environ 300 ha, princi-

palement en propriétés privées et très peu degestion s’y pratique. Des études naturalistesse sont intéressées en particulier au boismort, mais il n’y a pas de zonage environne-mental particulier.Le retour par le même chemin est encore

plus épuisant que l’aller. Mais tous ceux quisont montés sont redescendus par eux-mêmes, à commencer par Henri, notre chauf-feur, vif comme un cabri, et MauriceBonneau, toujours vert à 81 ans ! Lessapeurs-forestiers qui sont revenus nouschercher au hameau annoncent que la tem-pérature est montée à 37° à Ajaccio !Heureusement que nous étions en montagne(où il faisait quand même très chaud). Nousrentrerons trop tard à Tarco pour le bain demer. Juste le temps de prendre une doucheavant le dîner.

Les forêts territorialesde l’Ospedale et de Bavella,le 23 mai 2009

Nous avons cette fois rendez-vous au bar-rage de l’Ospedale, un vaste plan d’eau situéà 600 m d’altitude, sur le territoire commu-nal de Porto Vecchio. La retenue, qui ne sertque de réserve d’eau potable, est archi-pleinecar la saison a été très pluvieuse. Beaucoupde pins des rives ont le pied dans l’eau. Nousretrouvons notre guide de l’ONF, JacquesRavaux, la directrice du CRPF, GenevièveEttori, et, invité surprise, le maire de Levie,Vincent Gallucci, pharmacien de son état,intéressé par notre venue.Il nous explique la difficulté de regrouper

les communes autour d’un même objectif,comme le classement d’un site ou l’exploita-tion du bois. Les pins de Cagna ont bien étéexploités autrefois pour les chemins de feranglais, à une époque où toutes les com-munes de Corse s’étendaient de la montagnejusqu’à la mer. Mais aujourd’hui, les com-munes sont morcelées. La commune de Levie(700 habitants) dépend de deux autres enindivision. Le sous-préfet de Sartène a faitétudier une charte forestière (30 000 euros),comme « outil de réflexion avant l’action ».Comme ancien directeur régional de l’ONF

de Corse, Maurice Boisson nous présente la« forêt unique » de l’Ospedale, très appréciéepar les touristes basés à Porto Vecchio. Onvient y chercher la fraîcheur, le spectacle despins sortant de leurs blocs rocheux et cesbelles futaies de pins laricio, derrière le lac.La partie plus spécifiquement forestière

est boisée en pin laricio et est gérée suivantun nouveau document d’aménagementdepuis 2004, en attente d’être arrêté maisdéjà appliqué. Classée en série de produc-tion, l’orientation principale de gestion est laDFCI et l’aménagement a été élaboré à par-tir d’une concertation entre l’aménagiste etla cellule DFCI.Ainsi la vigilance est de règle. Les ZAL

(Zones d’appui à la lutte contre l’incendie)représentent 24 km de pare-feux et les pre-mières coupes ont permis d’approvisionner laSEM Corse bois énergie, en complément desapports en eucalyptus. On procède à des cou-pures de combustible par divers moyens :brûlage dirigé, débroussailleuse ou mulemécanique. En forêt d’Ospedale, on a ainsidégagé 50 m de chaque côté de la route.Seuls restent les grands pins et les houx.

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Photos 11 et 12 :En bas, Vincent Gallucci,

maire de Levie nousaccueille au barrage

de l’Ospedale. Ci-dessous,la futaie régulière de pinlaricio avec en sous-bois

un développementde fougère aigle.

Photos DA

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Autrefois, cette protection était assurée parles chèvres… Le dernier incendie remonte à1993, après l’explosion d’une voiture à réser-voir GPL. Une expérience va être tentéecette année : le brûlage dirigé en juin-juillet,parce que l’herbe sèche brûle mieux. Sixsapeurs-forestiers vont s’y consacrer. Le dis-positif DFCI comprend également une tren-taine de citernes réparties sur les ZAL del’Ospedale.Les seules concessions privées dans cette

forêt publique sont un club équestre et unparcours d’accrobranches. L’ONF entretientaussi le sentier « mare a mare » (d’une côte àl’autre) et le site est parcouru par plusieurschemins de randonnée.Cette forêt est traitée en futaie irrégulière.

L’âge d’exploitabilité est de 120 ans pour lepin maritime et de 180 ans pour le pin lari-cio. L’objectif est d’abaisser ces âges respecti-vement à 100 et 120 ans. On a aussi intro-duit quelques cèdres. Maurice Boissonconstate que la régénération se fait mal dansles coupes, vraisemblablement en raison ducouvert herbacé (présence de fougère aigle).Il serait intéressant de pouvoir décaper lesol. La productivité du pin laricio est estiméeà 6 m3/ha/an et la hauteur dominante estd’environ 35 m. Des taches de scolytes sontidentifiées dans les zones en régénération enraison de travaux de dépressage et d’élagagequi n’ont pas respecté la règle de n’intervenirsur ces peuplements qu’en hiver.Nous revenons au barrage pour prendre la

route de Zonza et sa superbe forêt commu-nale, qui se dresse parmi des rochers auxformes extravagantes. Comme forêt de pro-tection, le sous-bois a été dégagé, ne laissantdans la pinède que le houx et le frêne. Nouspique-niquons dans une clairière, à l’ombredes grands pins.De Zonza, nous montons au col de Bavella

(1243 m), un site magnifique où les aiguillesde granite se dressent sur la crête, au-dessusdes grands pins laricio. Malheureusement,cette route panoramique crée au passage ducol des embouteillages majeurs en haute sai-son. Et le col, qui pourrait être seulementsauvage et beau, est envahi par les voitures,caravanes, motos et piétons qui stationnentsous les grands pins et piétinent l’herbe dusous-bois.Nous sommes rejoints par Odile Pitois et

une de ses collègues, qui travaillent dans unbureau d’étude chargé de préparer l’opéra-tion Grand Site de France (CabinetHarmonie). Outre Bavella, deux autres sitessont à l’étude : Corte et les îles Sanguinaires.

C’est la DIREN (Direction régionale de l’en-vironnement) qui a lancé l’étude prélimi-naire pour Bavella, avec un budget de 3 à 4millions d’euros. Il faut en effet aménager lesite, très touristique, afin de préserver l’envi-ronnement tout en accueillant les visiteurs.Il est donc prévu des parcs de stationnement« en bas », avec des navettes partant deZonza et Solenzara, ainsi que des parcs amé-nagés au départ des sports en eaux vives(trois ou quatre ruisseaux privés utiliséspour le canyoning). En cas d’incendie, il estprévu des zones de confinement du public.Comme à la pointe du Raz (Finistère), il fau-dra sans doute déplacer les boutiques souve-nirs et baraques à frites, afin de rendre ausite sa beauté sauvage.L’étude préliminaire est maintenant ter-

minée. Reste à créer un syndicat mixte,capable de structurer l’opération. Le sitemême du col de Bavella est classé, avec,alentour, des sites inscrits, qui sont à 90%publics. Le massif forestier public est trèssuivi pour la prévention des incendies, maison voudrait agrandir le périmètre enincluant des propriétés privées. Or les pro-priétaires privés ont peur de ne plus pouvoirrien faire s’ils sont inclus dans le Grand Site,alors qu’ils ne font déjà rien dans leursforêts…Nous redescendons sur Zonza pour la nuit.

Le gros de la troupe est logé au Mouflond’Or, un ancien sanatorium qui a servi derésidence forcée au sultan du Maroc et à sesfils (futurs rois Mohammed V et Hassan II)en 1953, avant l’exil à Madagascar. Mais les

Photo 13 :Le col de BavellaPhoto DA

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touristes sont accueillis dans de charmantspetits pavillons disséminés sous les châtai-gniers, autour de la piscine.

Les eucalyptus de la plained’Aléria et les châtaigniers dela Castagniccia, le 24 mai 2009

La journée commence par une visite auchâtaignier géant de Zonza (12,35 m de cir-conférence, soit près de 4 m de diamètre), aufond d’un vallon frais où se dressent égale-ment des pins laricio de 3,50 m de circonfé-rence (+1m de diamètre). La vallée desgéants ! Après une fabuleuse descente parmiles laricios sur fond d’aiguilles roses, nousrendons visite, en bord de route, à un chênequi se glisse entre deux blocs de granite etfinit par envelopper la pierre de son écorcevive, comme une pieuvre. Chêne pubescent ?Chêne « petrea » ? On s’interroge. Dernierarrêt photo dans un virage panoramique,pour admirer le cirque de montagnes et sesaiguilles de granite, entourant un océan deforêt.Courses alimentaires à Ghisonaccia. La

charcuterie corse fait un malheur. Durant latraversée de la plaine d’Aléria, Jean-PaulChassany nous présente les lieux. Il signaleen passant la plus grande scierie de l’île, lesétablissements Luciani, qui veulent garder lemonopole de leur spécialité et bloquent toutetentative d’installation nouvelle. Leçon d’his-toire et de géographie ensuite : une plaineavec des étangs à moustiques qui rendaientla région impropre à l’agriculture. Le traite-ment au DDT de l’armée américaine, durant

la dernière guerre, dans la perspective d’undébarquement. L’installation des rapatriésd’Afrique du Nord à partir de 1962, au détri-ment des Corses. La plantation d’un nou-veau vignoble par les pieds-noirs. L’attaquede la coopérative d’Aléria, en 1975, dont lebâtiment est resté en l’état, on le constate devisu. Puis la conversion aux agrumes, enparticulier la clémentine (mandarine sanspépins), et enfin le kiwi. Entre la route et lamer, des étangs (privés), où l’on exploitel’huître et le poisson et, enfin, la lagune saléede Biguglia, près de Bastia.Le car pénètre dans la forêt d’eucalyptus

de Casabianda, où nous retrouvons OlivierRiffard et Geneviève Ettori. C’est une pro-priété du ministère de la Justice, qui entre-tient à proximité un pénitencier agricolepour la détention « ouverte » des condamnés.Des eucalyptus (globulus, camaldulensis etgrandis) et des pins (Pinus radiata) y ont étéplantés en 1950, pour approvisionner uneusine de pâte à papier qui n’a jamais vu lejour. Les pins ont subi une invasion de che-nilles processionnaires, et ont été progressi-vement éliminés en raison de leur mauvaisequalité. L’eucalyptus a été maintenu, surtoutl’espèce globulus qui présente une meilleurecroissance et se trouve la mieux adaptée auxconditions écologiques locales. L’eucalyptusest utilisé pour le défibrage (mais sans trans-formation locale) et la production de pla-quettes. Au total, la propriété représente 600hectares de peuplements d’eucalyptus, avecquelques chênes-lièges et chênes pubescentsen mélange.L’eucalyptus est exploité en taillis à courte

rotation (12 à 15 ans). On peut pratiquer enprincipe 4 à 5 rotations sur la même soucheet on renouvelle donc le taillis environ tousles 50 ans. En pratique l’usage d’une pincepour la coupe abîme souvent la souche (écla-tée ou arrachée) provoquant une mauvaisereprise et un vieillissement précoce dessouches. La gestion de cette forêt, qui n’a pasété rétrocédée à la CTC, est assurée parconvention avec l’ONF. Situation un peuparadoxale d’une forêt qui n’est ni vraimentprivée, ni vraiment publique (domaine privéde l’Etat). La SEM achète cher les rondinsd’eucalyptus pour le bois énergie (entre 12 et14 euros le m3, soit environ 28 euros le m3

rendu sur parc), mais cela lui permet de fairetourner ses machines et ses équipes. La SEMachète environ 5 000 tonnes d’eucalyptus paran. C’est bien sûr plus cher que les déchetsde scierie ou le bois vert. L’eucalyptus estvendu aux particuliers aussi cher que le

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Photo 14 :Vue depuis le col

de BavellaPhoto DA

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chêne. La production de la forêt deCasabianda est de 12 à 18 m3/ha/an. Pendantdes années, l’Etat a encouragé l’extension deces boisements en les subventionnant à 80%.Mais aujourd’hui, c’est fini, car la Corse n’apas assez de terres plates pour l’agriculture(déjà très réduite). Notons que l’on nousindique que les feuilles d’eucalyptus sont enpartie utilisées pour la production d’huilesessentielles.Nous reprenons la route en direction de la

Castagniccia, une vallée verdoyante autrefoisla plus peuplée de Corse, grâce à l’abondancedes châtaigniers qui nourrissaient à la foisles hommes et les bêtes. C’est aujourd’hui lecœur du Parc naturel régional de Corse. Nousfaisons halte en bord de route, à l’emplace-ment d’une source ferrugineuse. Il était ques-tion de monter en car jusqu’à Nocario, où setrouve la maison du parc, mais la route esttrop étroite. Nous pique-niquons donc surplace, à l’ombre des mûriers.Nous sommes rejoints par l’un des huit

« écodéveloppeurs » du parc, Pascal Rinaldi,qui travaille depuis quatre ans dans la val-lée. Il nous présente le Parc naturel régionalde Corse (PNR), qui a été créé en 1972 pouranimer la randonnée dans une des régionsles moins touristiques de Corse et entretenirle GR 20 (lui, très fréquenté). Il regroupe 145communes de l’intérieur et compte 100agents de terrain (le centre administratif està Ajaccio). Il totalise 135 000 ha et comptemoins de 100 000 habitants. Il est financé à75% par la CTC.Rien que dans la vallée de la Castagniccia,

on compte 200 km de sentiers, qui sontentretenus par les 20 agents du ServiceRandonnées. La vallée, qui couvre 40 000 ha,compte moins de 12 000 habitants, répartisdans des villages situés à environ 600 m d’al-titude. Le PNR a été chargé des programmesLIFE pour le gypaète barbu, le cerf et lemouflon. On a réintroduit le cerf sarde, quiest protégé. Pour l’éducation à l’environne-ment, le parc dispose de deux centres d’ac-cueil des scolaires : la Casa marina deGaleria, pour l’environnement marin, et leCPIE de Vizzavona pour l’environnementforestier et montagnard.L’ODARC et l’Office de l’environnement

financent des programmes du parc, commel’opération « territoire propre », qui a permisde récupérer 400 épaves automobiles dansles ravins et d’éliminer des décharges sau-vages. Coût de l’opération : 800 000 euros.On a installé une table d’orientation (8 000euros). On encourage aussi les toits en

lauzes, mais cela revient très cher au pro-priétaire malgré les subventions. Pour desraisons pratiques, toute la signalétique esten français.La dernière charte du PNR remonte à

1999 et va donc être soumise à renouvelle-ment. Notre espoir, c’est que toute l’îledevienne PNR… Problème : la CTC va bien-tôt être divisée en neuf entités intercommu-nales. « Il y a beaucoup de structures, maispersonne ne sait à quoi elles servent ». Larépartition des tâches, elle aussi, estbizarre : c’est l’Office de l’environnement quis’occupe du programme Natura 2000 et de laréserve des Lavezzi. Mais c’est le parc qui aen charge la réserve de Scandola. Leséoliennes ? Il n’y en a pas dans le parc.Seulement sur le Cap Corse et à Bonifacio.

Photo 15 :Le châtaignier géant deZonza mesure 12,35 mde circonférence,soit près de 4 mde diamètre !Photo DA

Photo 16 :Olivier Riffard nousprésente la forêtd’eucalyptus deCasabianda, située surun terrain du ministèrede la Justice et géréepar l’ONFPhoto DA

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Un problème lancinant : la gestion desdéchets. Il faut au minimum 40 minutes deroute pour trouver un lieu propice. Et com-ment dimensionner les installations de tri etrecyclage, quand une ville comme PortoVecchio compte 9 à 10 000 habitants l’hiveret trois fois plus en été ?Fabrice Torre, ingénieur au CRPF nous

fait alors un peu d’histoire. A partir du XIIIe

siècle, sous l’occupation génoise, les habi-tants ont eu l’obligation de planter quatreessences « fruitières » : châtaignier, olivier,figuier et mûrier. Les autorités françaisesont ensuite interdit ces plantations (1771),avant de les autoriser à nouveau à partir de1774. Au XIXe le châtaignier est devenu« l’arbre à pain », avec de gros volumes dechâtaignes vendus sur le continent. Le XXe

siècle a en revanche annoncé le déclin duchâtaignier en raison de la mortalité provo-quée par le premier conflit mondial et parl’exode rural. La récolte de châtaignes estainsi passée de 35 000 t en 1896 à moins de3 000 t en 2000. Le châtaignier n’est pasautochtone dans l’île, comme l’affirmait GuyBenoit de Coignac.La forêt couvre 56% du périmètre de la

Grande Castagniccia (61 000 ha) avec despeuplements de chêne vert (9 000 ha), dechâtaignier (9 000 ha) et de chêne-liège(8 400 ha). Le reste (environ 30 000 ha) estcomposé de peuplements mélangés. Les rési-neux n’occupent que 1 900 ha (pin maritime).Le car, qui ne peut pas monter jusqu’à

Nocario, nous laisse en bord de route sous unchâtaignier, où Adrien Pavie, technicien au

CRPF, nous commente le Guide des sylvicul-tures du châtaignier en Castagniccia, distri-bué à chacun. Le guide est structuré en troisparties : les stations forestières deCastagniccia, les sylvicultures et des complé-ments pratiques. Des clés de déterminationet des fiches pratiques permettent aux pro-priétaires, à qui est destiné ce guide, desituer leurs châtaigneraies et de choisirparmi les itinéraires techniques qui leur sontproposés. L’intitulé des différentes stationsreflète les deux principaux gradients explica-tifs que sont la température (chaleur…) etl’eau (importance du sol, etc.). Les princi-paux objectifs de gestion sont « patrimonialet paysager, production de piquet et produc-tion de bois d’œuvre » (ce qui est localementtrès novateur et fortement encouragé par leCRPF). Le guide se termine avec des fichesbotaniques de reconnaissance des essences.Des formations sont proposées aux proprié-taires pour vulgariser le guide. Les sylvofa-ciès de la châtaigneraie sont le taillis (75%du couvert, souvent issu d’exploitations desvergers traditionnels pour l’extraction destannins), le verger à fruits entretenu (envi-ron 60 pieds par hectares) et le verger aban-donné (quelques vieux arbres greffés avecdivers feuillus de franc-pieds, disséminés).

On nous recommande la lecture de l’ou-vrage de C. Bourgeois et al., intitulé Le châ-taignier, un arbre, un bois. On nous exposeensuite la situation locale. Les vents d’Estvenant de la mer se bloquent sur la barrièrede San Pedrone et provoquent un effet defoehn. Les pluies tombent en abondance(900 à 1 100 mm) sur des sols profonds etriches (la Castagniccia est une zone schis-teuse de schistes lustrés). Et l’hiver voit laneige de novembre à avril. D’où la bonnesanté des arbres qui poussent là (58% decouvert forestier). Même le chancre intro-duit en 1970 par les bûcherons italiens n’apas fait de gros dégâts, car il cicatrise trèsbien grâce à des phénomènes d’hypoviru-lence. C’est plutôt la roulure que l’on craint(provoquée en partie par des ralentisse-ments de croissance dûs à des éclairciesinsuffisantes). Les vieux châtaigniers qui nesont plus exploités pour la châtaigne ont engénéral été coupés pour le tanin. Les taillisont d’abord été exploités pour fournir despiquets de vigne aux rapatriés. Il ne resteaujourd’hui que 25% du couvert en vergersentretenus (arbres greffés).

Dans les vergers abandonnés, on assiste àla concurrence de l’aulne à feuilles en cœur,du frêne à fleurs et du chêne vert. Dans les

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Photo 17 :Présentation du Guide

des sylviculturesdu châtaignier

en CastagnicciaPhoto DA

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taillis entretenus, l’essence cible est le châ-taignier. Mais il faut enclore si l’on veutassurer une régénération, sinon tout estabrouti par les vaches et labouré par lescochons.L’important, c’est l’image qu’ont les Corses

de la forêt et du châtaignier. Pour eux, lechâtaignier est seulement un arbre fruitier(comme le chêne-liège ou l’olivier). Lorsqu’iln’est pas fruitier, c’est le « bâtard ». La forêt,on ne connaît pas. Couper du bois, c’est abat-tre un fruitier.Nous nous rendons ensuite sur des par-

celles regroupées dans l’Association syndi-cale libre (ASL) de Piazzole, où nous rejointun des propriétaires, M. Ristori, qui possède15 ha de taillis âgé de 18 ans. La hauteurdominante du peuplement est de 9 m. Descoupes d’éclaircie viennent d’être effectuées,afin de sélectionner les brins d’avenir dansun objectif de production de grumettes debois d’œuvre. Malgré le léger retard dansl’éclaircie (plutôt préconisée vers la quin-zième année), l’accroissement moyen sur lediamètre est supérieur à 3 cm par an sur lestiges dominantes. Le technicien du CRPFnous explique que l’itinéraire recommandévise l’abaissement de la densité à un objectiffinal de 120 à 150 tiges par hectare aprèsdésignation et détourage. Pour répondre aurisque de gourmands lié à une sylviculturedynamique, il préconise l’élagage des tigesdésignées. Pour autant les arbres désignésont un houppier bien développé qui les pro-tège généralement de l’apparition de gour-mands, d’autant que le châtaignier, essencetrès dynamique, réagit très bien aux éclair-cies et referme rapidement le couvert.Ensuite les passages en éclaircies se fonttous les 7 ans.Nous visitons ensuite une parcelle expéri-

mentale de 0,2 ha, où une éclaircie a permisd’exploiter 75% des brins (perches de 9 m enmoyenne). Ces perches, entreposées le longdu chemin, vont être livrées à la SEM pourêtre broyées en plaquettes (lot de 28 m3).C’est une opération blanche pour le proprié-taire, puisque le CRPF organise le chantieret finance l’expérience. Le prix de revientbord de route ressort à environ 20 euros latonne. Notons que l’ODARC peut apporterune aide de 60% des coûts d’exploitationpour les dépressages de châtaigneraie, si lepropriétaire possède plus de 2 ha. Le CRPFtravaille pour inciter au tri des produitsrécoltés. La parcelle a ainsi été vendue àl’unité de produits en distinguant deux qua-lités : charpente et piquets. Mais l’acquéreur

a préféré la simplicité et a tout valorisé enpiquets. Ces peuplements présentent unerichesse élevée, allant, nous dit-on, de 400 à600 m3 par hectare sur très belles stations !Le CRPF souhaiterait d’ailleurs travaillersur la construction de tarifs de cubage adap-tés à la Castagniccia.Une question est posée sur les châtaigne-

raies à fruits. Le CRPF renvoie alors sur laChambre d’agriculture, seule habilitée à sui-vre ce dossier. On nous indique seulementque des vergers ont été rénovés avec succès,mais qu’ils n’ont pas toujours trouvé pre-neur…Nous nous transportons alors sur une

autre placette, où le taillis est âgé de 29 ans(l’intervention est trop tardive). La couped’éclaircie a été confiée à un petit scieur localet son ouvrier marocain (chargé d’épointerles piquets à la hache). Le CRPF a critiqué letravail du scieur, qui a alors décidé d’arrêterun chantier qui ne lui convenait pas.Lorsqu’il aura emporté ses piquets, un autreexploitant sera désigné pour finir le travailde détourage, qui consiste à enlever lesarbres dont les houppiers gênent la tige dési-gnée.Après cette chaude journée, passée à l’om-

bre des taillis, nous regagnons Bastia pour lerembarquement à destination de Marseille.Tout le monde a apprécié cette plongée dansle maquis corse (dans tous les sens duterme), en regrettant qu’une si belle forêtsoit si peu valorisée. C’est déjà le cas sur lecontinent, mais c’est encore plus flagrantdans l’île de Beauté.

R.C., G.M.

Photo 18 :Exploitationdu châtaignierpour les piquetsPhoto DA

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Denise AFXANTIDISForêt Méditerranéenne (Secrétaire générale)14 Rue Louis Astouin 13002 MARSEILLE

Bruno de BARBERINElisabeth de BARBERIN13090 AIX EN PROVENCE

Guy BENOIT de COIGNACForêt Méditerranéenne (Président honoraire)14 rue Louis Astouin 13002 MARSEILLE

Maurice BOISSON (Expert forestier)74200 THONON

Alice BONNEAUMaurice BONNEAU (Ingénieur du GREF e.r.)66600 RIVESALTES

Jean BONNIERForêt Méditerranéenne (Président d’honneur)14 rue Louis Astouin 13002 MARSEILLE

Sophie BONNIER13290 LES MILLES

Roger CANSJournaliste environnement72510 SAINT JEAN DE LA MOTTE

Frédérique CHAMBONNETCentre régional de la propriété forestièrede Rhône-Alpes (Technicienne forestière)10 Place Olivier de Serre 07200 AUBENAS

Jean-Paul CHASSANYForêt Méditerranéenne (Vice-Président)/ INRA2 Place Viala 34060 MONTPELLIER Cedex 2

Jesùs GARITACELAYA (Pro Silva)31004 PAMPLONA (Navarra)ESPAGNE

Georges ILLY (IGREF e.r.)Forêt Méditerranéenne (Président honoraire)34000 MONTPELLIER

Nicole LIAUTAUD (Propriétaire forestier)13012 MARSEILLE

Gilles MARTINEZ (Technicien forestier)Charte Forestière de TerritoirePlace de la Mairie04230 SAINT ETIENNE LES ORGUES

Cyrille NAUDY (Ingénieur territorial)Communauté d’Agglomération du Pays d’AixCS 40868 13626 AIX EN PROVENCE Cedex 1

Michèle RIDOUX84120 MIRABEAU

Denis REVALOR (Propriétaire forestier)Gontard 13840 ROGNES

Nos correspondants en Corse,que nous remercions chaleureusementpour leur accueil :Le Centre régional de la propriété forestière deCorseZone de Baleone 5bis Lieu dit Panchetta20167 SARROLA-CARCOPINOavec Daniel LUCCIONI (Président), Geneviève ETTORI(Directrice), Adrien PAVIE (Technicien forestier),Fabrice TORRE (Ingénieur forestier)Le Conseil général de Corse du SudHôtel du Département BP 41420183 AJACCIO Cedexavec Michel COSTA, Jean-Yves DURET, AlphonsePANDOLFI, Jean-Yves BARTOLI, Pierre-JeanMARLONL’Office national des forêtsLes jardins de Toga Bt C Chemin du Forcone20200 BASTIAavec Jacques RAVAUX et Achille PIOLIL’Office du développement agricole et rural deCorse (ODARC)Av. P Giacobbi BP 618 20601 BASTIAavec Olivier RIFFARD (Ingénieur forestier)ainsi que...Vincent GALLUCCI (Maire de Levie)20170 LEVIEPierre MAGNE (Propriétaire forestier)20140 PETRETO BICCHISANOJean-Yves MILANINI (Propriétaire forestier)Villa des Fougères 20122 QUENZAOdile PITOISCabinet HarmoniePascal RINALDIParc naturel régional de CorseBP 417 20184 AJACCIO

Monsieur RISTORI (Propriétaire forestier dans laCastagniccia)

Liste des participants

forêt méditerranéenne t. XXXI, n° 3, septembre 2010

Photo 19 :Photo de groupe à Bavella

Photo DA