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Foie cardiaque A Gervais F Durand Résumé. Le foie cardiaque désigne l’ensemble des anomalies cliniques, biologiques et histologiques secondaires à l’insuffisance cardiaque. Les manifestations hépatiques du foie cardiaque peuvent être aiguës ou chroniques. Cependant, les manifestations hépatiques aiguës sont le plus souvent la conséquence de la décompensation d’une cardiopathie chronique. L’insuffisance hépatique aiguë survient le plus souvent lorsqu’il existe en même temps une congestion et une hypoxie hépatiques. Les lésions histologiques du foie cardiaque associent une nécrose hépatocytaire et une congestion prédominant dans les territoires centrolobulaires. La congestion peut être absente lorsque l’atteinte hépatique est due à une hypoxie isolée. Cependant, la congestion est fréquente chez les malades ayant une décompensation d’une cardiopathie chronique. Lorsque l’évolution de l’insuffisance cardiaque est particulièrement prolongée, une fibrose et éventuellement une cirrhose peuvent se constituer. Chez un malade ayant une insuffisance hépatique aiguë, les arguments en faveur d’un foie cardiaque sont l’existence d’un épisode (parfois très fugace et peu symptomatique) d’insuffisance cardiaque, une augmentation brutale (habituellement supérieure à 20 fois la limite supérieure de la normale) et rapidement réversible des transaminases sériques, l’exclusion des autres causes d’insuffisance hépatique aiguë (en particulier virales et médicamenteuses) et l’existence d’une insuffisance rénale concomitante. La présence d’une dilatation des veines sus-hépatiques en échographie est également un argument en faveur de ce diagnostic, mais elle est inconstante. Quel que soit le mode de présentation du foie cardiaque, le traitement est celui de la cardiopathie sous-jacente. © 2001 Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots-clés : insuffisance hépatique, insuffisance cardiaque, foie cardiaque, foie de choc. Introduction Le foie cardiaque désigne l’ensemble des lésions hépatiques déterminées par des cardiopathies, qu’elles soient aiguës ou chroniques. Ces lésions peuvent être secondaires à une congestion (foie congestif), à une diminution du débit sanguin hépatique secondaire à la diminution du débit cardiaque (foie ischémique), ou à l’association des deux. Les manifestations du foie cardiaque sont le plus souvent indissociables des manifestations hépatiques observées au cours des états de choc (foie de choc) dont l’origine n’est pas cardiaque (choc septique, choc anaphylactique ou choc hémorragique). Lorsque l’état de choc est secondaire à une insuffisance cardiaque (choc cardiogénique), on peut parler indifféremment de foie cardiaque ou de foie de choc. Dans la littérature francophone, les termes « hépatite ischémique » et « hépatite hypoxique » sont fréquemment utilisés pour désigner les manifestations du foie cardiaque. Dans la littérature anglo- saxonne, la terminologie équivalente est « ischemic hepatitis » ou « hypoxic hepatitis ». En fait, cette terminologie est inappropriée car les lésions observées au cours du foie cardiaque ne correspondent pas à celles d’une hépatite. En effet, « l’hépatite », qu’elle soit aiguë Anne Gervais : Assistant. François Durand : Praticien hospitalier. Service d’hépatologie et Inserm U481, hôpital Beaujon, 100, boulevard du Général-Leclerc, 92118 Clichy cedex, France. ou chronique, désigne des lésions du parenchyme hépatique caractérisées par une réaction inflammatoire avec des infiltrats cellulaires périportaux et/ou centrolobulaires [7] . Les lésions du foie cardiaque, à l’inverse, sont peu ou pas inflammatoires [21] . Dans la suite de ce texte, nous utilisons donc la terminologie suivante : ischémie hépatique, hypoxie hépatique ou foie cardiaque. Physiopathologie Le débit sanguin hépatique représente environ 25 % du débit cardiaque. Trente pour cent environ du volume du foie est représenté par du sang. Le foie a la particularité d’avoir un double apport sanguin : l’artère hépatique et la veine porte. À l’état normal, 20 à 30 % du flux sanguin hépatique proviennent de l’artère hépatique et 70 à 80 % proviennent de la veine porte. La saturation en oxygène du sang de l’artère hépatique est identique à celle des autres artères de l’organisme : entre 98 et 100 % à l’état normal. La saturation en oxygène du sang de la veine porte est plus basse : entre 65 et 90 % à l’état normal et à jeun. Elle diminue en période postprandiale. La régulation du flux artériel hépatique est assurée par : – une autorégulation artérielle myogène, caractérisée par une vasoconstriction de l’artère hépatique lorsque la pression artérielle s’accroît et par une vasodilatation lorsqu’elle diminue ; – une régulation réciproque, caractérisée par une vasodilatation de l’artère hépatique lorsque le flux sanguin portal diminue et par une vasoconstriction lorsque le flux sanguin portal augmente [20] . Encyclopédie Médico-Chirurgicale 7-041-A-10 7-041-A-10 Toute référence à cet article doit porter la mention : Gervais A et Durand F. Foie cardiaque. Encycl Méd Chir (Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris, tous droits réservés), Hépatologie, 7-041-A-10, 2001, 7 p. © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 22/03/2013 par SCD Paris Descartes (292681)

Foie cardiaque

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Foie cardiaqueA GervaisF Durand

Résumé. – Le foie cardiaque désigne l’ensemble des anomalies cliniques, biologiques et histologiquessecondaires à l’insuffisance cardiaque. Les manifestations hépatiques du foie cardiaque peuvent être aiguësou chroniques. Cependant, les manifestations hépatiques aiguës sont le plus souvent la conséquence de ladécompensation d’une cardiopathie chronique. L’insuffisance hépatique aiguë survient le plus souventlorsqu’il existe en même temps une congestion et une hypoxie hépatiques.Les lésions histologiques du foie cardiaque associent une nécrose hépatocytaire et une congestionprédominant dans les territoires centrolobulaires. La congestion peut être absente lorsque l’atteintehépatique est due à une hypoxie isolée. Cependant, la congestion est fréquente chez les malades ayant unedécompensation d’une cardiopathie chronique. Lorsque l’évolution de l’insuffisance cardiaque estparticulièrement prolongée, une fibrose et éventuellement une cirrhose peuvent se constituer.Chez un malade ayant une insuffisance hépatique aiguë, les arguments en faveur d’un foie cardiaque sontl’existence d’un épisode (parfois très fugace et peu symptomatique) d’insuffisance cardiaque, uneaugmentation brutale (habituellement supérieure à 20 fois la limite supérieure de la normale) et rapidementréversible des transaminases sériques, l’exclusion des autres causes d’insuffisance hépatique aiguë (enparticulier virales et médicamenteuses) et l’existence d’une insuffisance rénale concomitante. La présenced’une dilatation des veines sus-hépatiques en échographie est également un argument en faveur de cediagnostic, mais elle est inconstante.Quel que soit le mode de présentation du foie cardiaque, le traitement est celui de la cardiopathiesous-jacente.© 2001 Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : insuffisance hépatique, insuffisance cardiaque, foie cardiaque, foie de choc.

Introduction

Le foie cardiaque désigne l’ensemble des lésions hépatiquesdéterminées par des cardiopathies, qu’elles soient aiguës ouchroniques. Ces lésions peuvent être secondaires à une congestion(foie congestif), à une diminution du débit sanguin hépatiquesecondaire à la diminution du débit cardiaque (foie ischémique), ouà l’association des deux. Les manifestations du foie cardiaque sontle plus souvent indissociables des manifestations hépatiquesobservées au cours des états de choc (foie de choc) dont l’originen’est pas cardiaque (choc septique, choc anaphylactique ou chochémorragique). Lorsque l’état de choc est secondaire à uneinsuffisance cardiaque (choc cardiogénique), on peut parlerindifféremment de foie cardiaque ou de foie de choc.

Dans la littérature francophone, les termes « hépatite ischémique »et « hépatite hypoxique » sont fréquemment utilisés pour désignerles manifestations du foie cardiaque. Dans la littérature anglo-saxonne, la terminologie équivalente est « ischemic hepatitis » ou« hypoxic hepatitis ». En fait, cette terminologie est inappropriée carles lésions observées au cours du foie cardiaque ne correspondentpas à celles d’une hépatite. En effet, « l’hépatite », qu’elle soit aiguë

Anne Gervais : Assistant.François Durand : Praticien hospitalier.Service d’hépatologie et Inserm U481, hôpital Beaujon, 100, boulevard du Général-Leclerc, 92118 Clichycedex, France.

ou chronique, désigne des lésions du parenchyme hépatiquecaractérisées par une réaction inflammatoire avec des infiltratscellulaires périportaux et/ou centrolobulaires [7]. Les lésions du foiecardiaque, à l’inverse, sont peu ou pas inflammatoires [21]. Dans lasuite de ce texte, nous utilisons donc la terminologie suivante :ischémie hépatique, hypoxie hépatique ou foie cardiaque.

PhysiopathologieLe débit sanguin hépatique représente environ 25 % du débitcardiaque. Trente pour cent environ du volume du foie estreprésenté par du sang. Le foie a la particularité d’avoir un doubleapport sanguin : l’artère hépatique et la veine porte. À l’état normal,20 à 30 % du flux sanguin hépatique proviennent de l’artèrehépatique et 70 à 80 % proviennent de la veine porte. La saturationen oxygène du sang de l’artère hépatique est identique à celle desautres artères de l’organisme : entre 98 et 100 % à l’état normal. Lasaturation en oxygène du sang de la veine porte est plus basse :entre 65 et 90 % à l’état normal et à jeun. Elle diminue en périodepostprandiale.La régulation du flux artériel hépatique est assurée par :

– une autorégulation artérielle myogène, caractérisée par unevasoconstriction de l’artère hépatique lorsque la pression artérielles’accroît et par une vasodilatation lorsqu’elle diminue ;– une régulation réciproque, caractérisée par une vasodilatation del’artère hépatique lorsque le flux sanguin portal diminue et par unevasoconstriction lorsque le flux sanguin portal augmente [20].

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Toute référence à cet article doit porter la mention : Gervais A et Durand F. Foie cardiaque. Encycl Méd Chir (Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris, tous droits réservés), Hépatologie, 7-041-A-10, 2001, 7 p.

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Expérimentalement, l’augmentation du débit sanguin artériel peutcompenser une baisse du débit sanguin portal de 25 % environ [22].En période postprandiale, l’augmentation du débit sanguin portalne s’accompagne pas d’une diminution du débit sanguin artériel.Dans cette situation, l’absence de vasoconstriction artérielle malgrél’élévation du débit sanguin portal suggère la présence d’agentsvasodilatateurs susceptibles d’inhiber la régulation réciproqueportoartérielle.La perfusion veineuse du foie est liée à l’existence d’un gradient depression entre la veine porte et les veines sus-hépatiques. Cegradient de pression, qui à l’état normal est inférieur à 5 mmHg,détermine la pression de perfusion hépatique. Une augmentationisolée de la pression dans les veines sus-hépatiques s’accompagned’une diminution de la pression de perfusion hépatique et doncd’une diminution du débit sanguin portal. À l’inverse du fluxsanguin artériel, le flux sanguin portal ne subit pas de régulationréciproque. Ainsi, une diminution du débit sanguin artériel n’est pascompensée par une augmentation du débit sanguin portal.Les hépatocytes sont des cellules dont les capacités métaboliquessont élevées. Ces cellules contiennent de nombreuses mitochondriesdont le fonctionnement nécessite l’apport constant d’une quantitéimportante d’oxygène. En circulant de la région portale vers larégion centrolobulaire, le sang délivre l’oxygène aux hépatocytes quibordent les capillaires sinusoïdes. Lorsqu’il atteint la régioncentrolobulaire, le sang est appauvri en oxygène. Ainsi, leshépatocytes proches de la région centrolobulaire sont plus sensiblesà l’hypoxie que les hépatocytes proches des espaces portes.Les troubles cardiocirculatoires peuvent occasionner des lésionshépatocytaires dans deux circonstances distinctes. Il peut s’agir soitd’une congestion, soit d’un défaut d’apport d’oxygène. Un défautd’apport d’oxygène au foie peut lui-même résulter d’une diminutiondu débit sanguin hépatique, d’une désaturation du sang destiné aufoie, ou des deux en même temps. Ces mécanismes sont illustréspar la figure 1. L’expérience clinique suggère que la nécrose massivedes hépatocytes, parfois responsable d’une insuffisance hépatiqueaiguë, survient préférentiellement lorsqu’il existe en même tempsune congestion et une diminution de l’apport d’oxygène au foie [15].Toutefois, cette hypothèse n’est pas clairement démontrée.

Étiologie

Toutes les cardiopathies qui peuvent s’accompagner d’uneaugmentation significative des pressions dans les cavités droites(congestion) et/ou d’une diminution du débit cardiaque, donc dudébit sanguin hépatique, peuvent également être à l’origine d’unfoie cardiaque. On estime que parmi les malades qui ont un foiecardiaque, 90 % environ ont une cardiopathie chronique et 10 %environ ont une cardiopathie aiguë [10, 11, 15]. Les résultats de certainesséries ont suggéré que les malades ayant des manifestations de foiecardiaque en rapport avec une cardiopathie chronique avaient plusfréquemment une insuffisance cardiaque gauche qu’une insuffisancecardiaque droite [11]. Les résultats d’autres séries, au contraire, ontsuggéré qu’il s’agissait plus fréquemment d’insuffisance cardiaquedroite [15]. Il semble en fait que le foie cardiaque résulte le plussouvent d’une insuffisance cardiaque globale [10].L’insuffisance cardiaque droite peut être la conséquence d’uneinsuffisance respiratoire chronique (cœur pulmonaire chronique),d’embolies pulmonaires [10, 15], d’une hypertension artériellepulmonaire primitive, ou de valvulopathies. Parmi lesvalvulopathies, les atteintes mitrales sont plus fréquentes que lesatteintes tricuspides [17]. Les valvulopathies mitrales sont le plussouvent secondaires à un rhumatisme articulaire aigu, alors que lesatteintes tricuspides sont principalement la conséquence d’anomaliescongénitales ou d’endocardites chez des toxicomanes. Le plussouvent, l’insuffisance cardiaque droite s’installe à la suite d’uneinsuffisance cardiaque gauche, et elle entre alors dans le cadre d’uneinsuffisance cardiaque globale. Exceptionnellement, elle peut êtreliée à une tumeur de l’oreillette droite.

L’insuffisance cardiaque gauche peut être la conséquence decardiopathies hypertensives, de cardiopathies ischémiques,d’insuffisance ou de rétrécissement aortique et, plus rarement, decardiomyopathie aiguë. Il est important de noter qu’au cours del’insuffisance cardiaque gauche, il peut exister un œdèmepulmonaire et par conséquent une hypoxémie qui contribue à ladiminution de l’apport d’oxygène au foie.Chez les malades ayant une cardiopathie chronique, lesmanifestations du foie cardiaque surviennent fréquemment àl’occasion d’une décompensation brutale, liée par exemple à untrouble du rythme (fibrillation ou flutter auriculaire, blocauriculoventriculaire, dysfonctionnement nodal, tachycardieauriculaire ou ventriculaire) ou à un infarctus du myocarde. Lescardiopathies chroniques peuvent être décompensées par desaffections non cardiaques telles que des infections bactériennes ouune embolie pulmonaire. Si les manifestations du foie cardiaque sontsévères, et bien qu’il s’agisse à l’origine d’une cardiopathiechronique, il peut apparaître une insuffisance hépatique aiguë.

Manifestations

Les manifestations du foie cardiaque sont liées d’une part auxconséquences hépatiques de l’insuffisance cardiaque et d’autre partaux anomalies cardiocirculatoires sous-jacentes. Il est important denoter que les manifestations cardiaques et hépatiques peuvent êtredécalées dans le temps. Ainsi, les manifestations hépatiques peuventêtre au premier plan, évoquant alors une hépatite aiguë [9, 26]. Il estdonc essentiel de reconnaître précocement les manifestations du foiecardiaque afin de ne pas méconnaître l’affection cardiaquesous-jacente.Chez les malades ayant un foie cardiaque, l’examen clinique permetdans 75 % des cas environ de retrouver une dyspnée, des œdèmesdes membres inférieurs ou d’autres signes d’insuffisance cardiaqueapparus dans les jours qui précèdent les manifestationshépatiques [15]. Lorsque la cardiopathie sous-jacente n’est pas connue,le diagnostic de foie cardiaque peut être difficile [14]. L’apparition

1 Physiopathologie.

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récente d’une altération de l’état général, de nausées, de douleursde l’hypocondre droit ou d’un ictère égare parfois le diagnostic etretarde la mise en route d’un traitement adapté de la cardiopathiesous-jacente.

MANIFESTATIONS HÉPATIQUES

Les manifestations hépatiques du foie cardiaque varient selon qu’ilexiste ou non une congestion et selon qu’il existe ou non uneinsuffisance hépatique.

¶ Clinique

Lorsqu’il existe une congestion, conséquence d’une insuffisancecardiaque droite ou globale, les manifestations associent unehépatomégalie, des hépatalgies et un reflux hépatojugulaire. Leshépatalgies sont caractérisées par des douleurs de l’hypocondredroit, spontanées ou déclenchées par la palpation et aggravées parl’effort. Le reflux hépatojugulaire doit être recherché, chez un maladeen position demi-assise, en appliquant une pression manuelleconstante sur l’hypocondre droit pendant 10 secondes environ.Pendant la compression, ainsi qu’au cours de plusieurs cyclescardiaques après l’arrêt de celle-ci, on observe une turgescence desveines jugulaires externes. On peut également observer uncomblement du triangle de Sédillot, traduisant la turgescence de laveine jugulaire interne. En plus de l’hépatomégalie, des hépatalgieset du reflux hépatojugulaire, des manifestations non spécifiquestelles qu’une anorexie ou des nausées sont fréquemment observées[3, 11]. Lorsque la maladie s’est installée brutalement, ce qui est le casle plus souvent, l’ictère est absent ou discret. Une ascite est présentedans 25 % des cas environ. Il s’agit d’une ascite riche en protides etparfois, hémorragique [11].

¶ Biologie

Au cours du foie cardiaque congestif, les anomalies biologiquesrestent le plus souvent modérées. Moins de 30 % des malades ontune augmentation des transaminases. L’augmentation destransaminases prédomine sur l’aspartate aminotransférase (ASAT),et ne dépasse souvent pas deux fois la limite supérieure de lanormale. L’activité de la gammaglutamyl-transpeptidase (c-GT) estaugmentée dans 30 à 60 % des cas et atteint en moyenne 1,5 à 2 foisla limite supérieure de la normale. De même, l’activité de laphosphatase alcaline est augmentée dans 30 à 50 % des cas et atteint1,2 à 1,5 fois la limite supérieure de la normale. La bilirubinémie estsouvent élevée. Elle peut dépasser 50 µmol/L, en particulier lorsquel’index cardiaque est inférieur à 1,5 L/min/m2 [18]. Chez les maladesqui ont une insuffisance cardiaque grave, l’albuminémie peut êtreabaissée. Une baisse des facteurs de la coagulation, traduisant uneinsuffisance hépatique, une coagulopathie de consommation oul’association des deux, est observée chez 25 % des malades environ.

¶ Imagerie et autres explorations

L’échographie abdominale peut mettre en évidence unehépatomégalie homogène et parfois une dilatation des veines sus-hépatiques, traduisant la congestion. Il est parfois possible de mettreen évidence une distension de la veine cave inférieure. En cas decongestion sévère, le signal doppler dans les veines sus-hépatiquesest caractérisé par flux systolique inversé [6]. Une étude récentesuggère que l’enregistrement du signal doppler dans la veine portepourrait constituer un marqueur de gravité au cours de l’insuffisancecardiaque [5]. En effet, une diminution du ratio de pulsatilité semblesignificativement corrélée au degré de l’insuffisance cardiaque et àla congestion hépatique. S’il est réalisé, un cathétérisme veineuxpeut mettre en évidence une élévation de la pression dans l’oreillettedroite et dans les veines sus-hépatiques, traduisant également unecongestion. La pression sus-hépatique bloquée, reflet de la pressiondans les capillaires sinusoïdes, est élevée. Toutefois, à l’inverse de ceque l’on observe chez les malades atteints de cirrhose, il n’existe pasd’élévation du gradient de pression sinusoïdal hépatique (c’est-à-dire du gradient entre la pression sus-hépatique libre et la pression

sus-hépatique bloquée, normalement inférieur à 5 mmHg). L’absenced’élévation des pressions droites ne permet pas d’écarter unecongestion transitoire, qui a disparu au moment de l’examen.

¶ Formes aiguës

Lorsque le foie cardiaque s’accompagne d’une insuffisancehépatique aiguë, les transaminases sont constamment élevées. Ellessont parfois supérieures à 100 fois la limite supérieure de la normale.L’élévation des transaminases est brutale et le pic sérique apparaîtdans les 24 à 48 heures qui suivent l’événement hémodynamiquecausal. Si l’anomalie hémodynamique est corrigée, la diminution destransaminases est rapide. L’activité de l’ASAT est habituellementsupérieure à celle de l’alanine aminotransférase (ALAT). Ladiminution de l’ASAT est plus rapide que celle de l’ALAT, qui senormalise en 10 jours environ [11, 15]. Ainsi, lorsque les malades sontvus tardivement après l’événement hémodynamique causal,l’activité de l’ALAT peut être supérieure à celle de l’ASAT. Il peutégalement exister une élévation brutale et transitoire deslacticodéshydrogénases (LDH). Il a été suggéré qu’un rapportALAT/LDH inférieur à 1,5 pourrait permettre de différencierl’insuffisance hépatique qui accompagne le foie cardiaque de cellequi peut accompagner une hépatite virale [4]. Il peut exister uneélévation modérée et non spécifique de l’activité de la GGT.L’activité de la phosphatase alcaline est habituellement normale oudiscrètement augmentée. De même, la bilirubinémie esthabituellement normale ou modérément élevée. Ainsi, dans unesérie de 142 épisodes d’hypoxie hépatique, la bilirubinémie nedépassait 17 µmol/L que dans 3,5 % des cas environ [ 1 4 ].L’augmentation de la créatininémie, témoin des conséquencesrénales du trouble cardiaque causal, est quasi constante. Ainsi,l’absence d’insuffisance rénale est un argument devant remettre enquestion le diagnostic de foie cardiaque, même si elle ne permet pasde l’exclure formellement. Il peut exister une augmentation descréatines phosphokinases (CPK) traduisant l’ischémie musculaire.S’il est pratiqué, l’examen tomodensitométrique met en évidence desanomalies comparables aux anomalies échographiques, avec unehépatomégalie homogène, une dilatation des veines sus-hépatiqueset de la veine cave inférieure. Après injection de produit decontraste, le rehaussement hépatique peut être inhomogène avec unaspect en mosaïque. L’examen tomodensitométrique du foie n’estpas nécessaire pour faire le diagnostic de foie cardiaque. De plus,l’injection de produit de contraste iodé est fortement déconseilléelorsqu’il existe une insuffisance rénale, car elle risque de l’aggraver.

MANIFESTATIONS CARDIAQUES

Elles varient en fonction de la nature de la cardiopathie causale.Au cours de l’insuffisance cardiaque droite décompensée, lesprincipales manifestations sont une turgescence jugulaire spontanée,des œdèmes des membres inférieurs, ainsi qu’une hépatomégalielisse et douloureuse à la palpation. En cas d’insuffisance tricuspide,on peut exceptionnellement percevoir une expansion systolique dufoie.Au cours de l’insuffisance cardiaque gauche décompensée, lesprincipales manifestations sont une tachycardie, une dyspnée et uneorthopnée. L’auscultation pulmonaire peut retrouver des râlescrépitants bilatéraux traduisant un œdème pulmonaire.Lorsque des troubles du rythme paroxystiques ont été à l’origine del’insuffisance cardiaque, on peut retrouver à l’interrogatoire la notionde palpitations ou de lipothymies. Des manifestations traduisant unesyncope peuvent être rapportées par l’entourage. Il est important denoter que les manifestations cardiocirculatoires sont parfois trèsfrustes et peuvent dans certains cas contraster avec desmanifestations hépatiques sévères.La radiographie thoracique apporte fréquemment des arguments enfaveur d’une cardiopathie sous-jacente. L’anomalie la plus fréquenteest une cardiomégalie avec un élargissement de la silhouettecardiaque. Selon les cas, la cardiomégalie peut être développée auxdépens du ventricule gauche, du ventricule droit ou des deux. En

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cas d’insuffisance cardiaque gauche décompensée, il peut exister unœdème pulmonaire, caractérisé par des opacités alvéolairesbilatérales à prédominance périhilaire. Il peut également exister uneredistribution vasculaire vers les sommets pulmonaires, uneaugmentation du diamètre des artères pulmonaires et unélargissement des hiles.Les anomalies électrocardiographiques varient également en fonctionde la cardiopathie sous-jacente. Au cours des insuffisancescardiaques droites, on observe fréquemment une tachycardiesinusale, une déviation vers la droite de l’axe de QRS, un aspectd’onde S en D1 et Q en D3, un bloc de branche droit ou unerepolarisation anormale dans les dérivations précordiales droites (V1et V2). Au cours des insuffisances cardiaques gauches, on observefréquemment une déviation vers la gauche de l’axe QRS et unerepolarisation anormale dans les dérivations précordiales gauches(V5 et V6).L’échographie cardiaque est l’examen le plus fiable pour faire lediagnostic de l’insuffisance cardiaque et en évaluer la gravité. Elleest particulièrement utile lorsque la cardiopathie n’était pas connueauparavant et lorsque les manifestations en rapport avecl’insuffisance cardiaque sont frustes. Les anomalies échographiquesvarient en fonction de la nature de la cardiopathie sous-jacente.Chez les malades pour lesquels on suspecte des troubles du rythmecardiaque paroxystiques, un enregistrement Holter peut être utile.

Anatomopathologie (fig 2, 3, 4)

Macroscopiquement, le foie cardiaque « congestif » est augmenté devolume. L’hypertrophie du foie est homogène et sa surface est lisse.À la coupe, le parenchyme a classiquement l’aspect d’une noix de

muscade, avec une alternance de zones de congestion violacées etde zones non congestives plus claires. Les veines sus-hépatiquespeuvent être dilatées.Microscopiquement , il existe une dilatation des veinescentrolobulaires, associée à une dilatation et une congestion dessinusoïdes adjacentes. La congestion est caractérisée parl’accumulation d’hématies dans les sinusoïdes dilatées, desaltérations des hépatocytes de la région centrolobulaire et,éventuellement, une atrophie des travées hépatocytaires. Cettecongestion peut être associée à une nécrose hépatocytaireprédominant également dans la région centrolobulaire [3, 21]. Lanécrose est caractéristique par le fait qu’elle n’est pas ou peuinflammatoire. Dans la région médiolobulaire, on peut observer unœdème et, parfois, une stéatose macrovacuolaire. Lorsque lacongestion est prolongée, on peut observer une fibrose développéeà partir des régions centrolobulaires. L’extension de la fibrose peutconduire à la constitution de ponts réunissant entre elles les veinescentrolobulaires. Occasionnellement, lorsque la congestion estparticulièrement prolongée, l’extension de la fibrose peut conduire àla constitution d’une cirrhose avec une fibrose annulaire.Lorsque le foie cardiaque résulte d’une ischémie aiguë isolée, leslésions de congestion sont absentes. Il existe essentiellement unenécrose hépatocytaire à prédominance centrolobulaire, noninflammatoire, et parfois responsable d’un collapsus des travées.

Formes cliniques

FOIE CARDIAQUE COMPLIQUÉ D’UNE INSUFFISANCEHÉPATIQUE AIGUË

L’insuffisance hépatique aiguë est une complication rare del’insuffisance cardiaque. Elle apparaît le plus souvent au décoursd’une cardiopathie chronique et résulte alors d’une décompensationbrutale. Sa prévalence a été estimée à 0,2 % environ dans une sériede 18 000 malades hospitalisés dans une unité d’urgences [16] et entre0,5 % et 1,5 % parmi les malades admis dans une unité de soinsintensifs cardiologiques [1, 15].Dans une série de 38 malades ayant un foie cardiaque compliquéd’une insuffisance hépatique aiguë, une hépatomégalie étaitobservée dans 50 % des cas, des hépatalgies dans 40 % des cas, unictère dans 20 % des cas environ [15] ; 48 % des malades ontdéveloppé une encéphalopathie.

FOIE CARDIAQUE COMPLIQUÉ D’ASCITE

Au cours de l’insuffisance cardiaque chronique, il est habituellementfacile de mettre en évidence des manifestations correspondant à lasurvenue d’un foie cardiaque. L’hépatomégalie est présente dans

2 Macroscopie : aspect « muscade ».

3 Microscopie : congestion.

4 Microscopie : nécrose.

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90 à 95 % des cas. Une ascite peut être présente dans 25 % des cas.Elle est alors, dans plus d’un tiers des cas, riche en protides et peutêtre hémorragique [12]. L’ascite se corrige habituellement avec letraitement de l’insuffisance cardiaque.

Diagnostic différentiel

HÉPATITES AIGUËS VIRALES

Lorsque les manifestations hépatiques sont au premier plan et/oulorsque la cardiopathie sous-jacente n’est pas connue, le foiecardiaque peut être confondu avec une hépatite aiguë, virale enparticulier [14]. Les perturbations des tests hépatiques observées aucours du foie cardiaque peuvent en effet être comparables à cellesque l’on observe au cours des hépatites aiguës virales. L’insuffisancerénale, quasi constante lorsque le foie cardiaque est compliquéd’insuffisance hépatique aiguë, est habituellement absente au coursdes hépatites virales (sauf lorsque celles-ci sont compliquées d’uneinsuffisance hépatique majeure). Le diagnostic d’hépatite virale A(VHA) ou B (VHB) repose sur la mise en évidence dans le sérumdes marqueurs sérologiques d’infection récente par ces virus(anticorps anti-VHA de type immunoglobulines [Ig] M et anticorpsanti-HBc de type IgM, respectivement). La mise en évidence parl’échographie d’une dilatation des veines sus-hépatiques est unargument en faveur du foie cardiaque.

FOIE DE CHOC NON CARDIOGÉNIQUE

Un foie de choc peut s’observer au cours de tous les types de chocs,qu’ils soient d’origine cardiaque ou non [19]. Les principales causesde choc non cardiogénique sont le choc septique, le chochémorragique et le choc anaphylactique. En dehors des signes decongestion (hépatomégalie, hépatalgies, reflux hépatojugulaire), lesmanifestations cliniques et biologiques du foie de choc noncardiogénique sont indissociables de celles d’un foie cardiaque. Lediagnostic est donc celui du choc qui est à l’origine desmanifestations hépatiques.

HYPOXÉMIE

Rarement, des hépatites hypoxiques ont été rapportées chez desmalades ayant une désaturation profonde en oxygène, en l’absencede toute insuffisance cardiaque [28]. Ainsi, des hypoxies hépatiquessévères ont été rapportées au cours de syndromes d’apnées dusommeil [13, 23]. Les manifestations sont comparables à celles d’unfoie de choc avec une élévation brutale des transaminases au-delàde 20 fois la limite supérieure de la normale, une bilirubinémienormale ou modérément élevée, une élévation importante des LDHet une baisse des facteurs de coagulation traduisant l’insuffisancehépatique. La biopsie hépatique a mis en évidence une nécrosecentrolobulaire associée à une congestion minime [23]. Desobservations similaires ont été rapportées au cours d’intoxicationspar le monoxyde de carbone [28]. Comme pour le foie de choc,l’évolution est rapidement favorable avec la correction del’hypoxémie. Le diagnostic repose sur la reconnaissance del’hypoxémie et de sa cause.

ISCHÉMIE HÉPATIQUE NON CARDIOGÉNIQUE

Habituellement, les thromboses isolées de l’artère hépatique ne secompliquent pas d’ischémie significative ni d’infarctus car l’arrêt del’apport sanguin artériel est rapidement compensé par l’apportsanguin portal. Cependant, sur une série de 942 malades opérésd’anévrysme de l’aorte abdominale, le clampage de l’aorte au-dessus du tronc cœliaque a entraîné, dans 0,3 % des cas, uneischémie hépatique [27]. Il a été rapporté des cas d’ischémie etd’infarctus hépatique lors d’obstruction du tronc cœliaque associéeà une obstruction de l’artère mésentérique [2, 25]. Là encore, lesmanifestations hépatiques sont comparables à celles du foiecardiaque. Le diagnostic repose sur l’identification de l’anomalievasculaire en cause.

HÉPATITES MÉDICAMENTEUSES

Chez les insuffisants cardiaques, des anomalies des tests hépatiquespeuvent être en rapport avec une affection non cardiaque. Enparticulier, certains médicaments utilisés pour traiter l’insuffisancecardiaque peuvent être à l’origine d’une hépatite. Les principauxmédicaments potentiellement hépatotoxiques utilisés en pathologiecardiovasculaire sont l’amiodarone, l’alpha-méthyldopa,l’hydralazine, le vérapamil, la quinidine et les inhibiteurs del’enzyme de conversion de l’angiotensine.Une augmentation modérée des c-GT et/ou des transaminasess’observe chez 15 à 50 % des patients traités par l’amiodarone,médicament antiarythmique largement utilisé en cardiologie [24]. Àl’inverse des manifestations observées au cours du foie cardiaquecongestif, il n’existe pas d’hépatomégalie ni d’hépatalgies.Lorsqu’une biopsie hépatique est réalisée, elle met en évidence deslésions proches de celles que l’on observe au cours des hépatitesalcooliques avec une stéatose, des infiltrats inflammatoirescomportant des polynucléaires neutrophiles et des corps de Mallory.L’alpha-méthyldopa, antihypertenseur central, peut être responsabled’hépatites qui sont le plus souvent cytolytiques mais parfoischolestatiques. On estime que l’incidence de ces hépatites est de 6 %environ chez les malades traités. L’hépatite survient généralementdans les 4 premières semaines du traitement. Parmi les malades quiont une hépatite cytolytique, certains développent une insuffisancehépatique fulminante ou subfulminante. La poursuite dumédicament après la survenue des premiers symptômes del’hépatite favorise l’apparition d’une insuffisance hépatique.L’hydralazine, antihypertenseur vasodilatateur, peut êtreresponsable d’hépatites cytolytiques ou choléstatiques. Ces hépatitespeuvent s’accompagner de manifestations d’hypersensibilité tellesqu’une une fièvre, une éruption cutanée ou une hyperéosinophilie,ce qui suggère un mécanisme immunoallergique.Le vérapamil, antihypertenseur et antiarythmique appartenant à lafamille des inhibiteurs calciques, peut également être la caused’hépatites cytolytiques ou cholestatiques.La quinidine, médicament antiarythmique, peut occasionner deshépatites mixtes, cytolytiques et choléstatiques, survenant enmoyenne 6 à 12 jours après le début du traitement. Le mécanismede ces hépatites est probablement immunoallergique.Occasionnellement, d’autres molécules utilisées au cours del’insuffisance cardiaque, telles que le captopril, la flécaïnide, lespironolactone, le diltiazem, la nifédipine et la ticlopidine, peuventégalement entraîner des hépatites cholestatiques.De façon générale, chez un malade recevant un traitement pour uneinsuffisance cardiaque, le diagnostic d’hépatite médicamenteuse estsuggéré par :

– l’introduction récente d’un nouveau médicament, en particulier sison hépatotoxicité est connue ;– l’existence de manifestations d’hypersensibilité (hyperéosino-philie, éruption cutanée ou fièvre) ;– l’absence d’insuffisance rénale ;– l’absence de signes de congestion (hépatomégalie, hépatalgies,turgescence jugulaire).Lorsque le diagnostic est incertain, une biopsie hépatique peut êtrenécessaire.

CHOLESTASE SEPTIQUE

Au cours des infections bactériennes graves, environ 1 % desmalades développent une cholestase septique. Cette cholestases’accompagne d’une élévation de l’activité de la phosphatasealcaline et de la GGT, et parfois d’un ictère avec une élévation de labilirubine conjuguée. Il s’agit d’une cholestase intrahépatique et quine s’accompagne donc pas d’une dilatation des voies biliaires. Lesinfections bactériennes graves sont parfois associées à uneinsuffisance rénale et à une élévation modérée des transaminases.Toutefois, l’existence d’un sepsis et l’absence de signes d’insuffisancecardiaque doivent permettre de différencier la cholestase septiquedu foie cardiaque.

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Concernant le diagnostic différentiel, il est important de noter queles manifestations hépatiques du foie cardiaque sont parfois aupremier plan, et dans ce cas peuvent masquer la cardiopathie sous-jacente. Chez un malade ayant des perturbations des testshépatiques compatibles avec une hépatite aiguë, les arguments enfaveur d’un foie cardiaque sont :

– l’élévation importante et brutale des transaminases, pouvantdépasser 100 fois la limite supérieure de la normale ;

– l’absence d’élévation de la bilirubinémie ou son élévation trèsmodérée ;

– l’insuffisance rénale associée [5] et la correction rapide desanomalies biologiques avec la correction des troubles circulatoiressous-jacents.La dilatation des veines sus-hépatiques à l’échographie estégalement un argument précieux (fig 5).

Traitement

Le traitement du foie cardiaque est celui de la cardiopathie sous-jacente. Le foie cardiaque compliqué d’insuffisance hépatique aiguëdoit être reconnu et traité en urgence. Le retard de diagnostic et detraitement expose d’une part à l’aggravation de l’insuffisancehépatique et, d’autre part à l’aggravation de la cardiopathie sous-jacente. Lorsque le foie cardiaque est lié à la décompensation brutaled’une cardiopathie chronique, les facteurs déclenchants (tels qu’unsepsis, des troubles du rythme, une ischémie myocardique) doiventrapidement être reconnus pour une prise en charge thérapeutiqueadaptée.

Le traitement du foie cardiaque congestif repose également sur letraitement de l’insuffisance cardiaque sous-jacente. Dans tous les cas,les médicaments hépatotoxiques et/ou néphrotoxiques sont àproscrire.

PronosticLe pronostic du foie cardiaque est sous-tendu par le pronostic del’affection cardiaque qui en est la cause. Les lésions hépatiques sontdans la quasi-totalité des cas réversibles et elles se corrigentrapidement si le traitement de l’insuffisance cardiaque est efficace.L’insuffisance cardiocirculatoire est la principale cause de décès.Toutefois, l’insuffisance hépatique est un facteur de mauvaispronostic. La mortalité des malades ayant un taux de prothrombineinférieur à 20 % au décours d’une hypoxie hépatique a été estimée à75 % [15]. La prise de médicaments hépatotoxiques peut contribuer àl’aggravation de l’insuffisance hépatique.

ConclusionLe diagnostic du foie cardiaque « congestif » est habituellement facile àétablir, d’autant que la cardiopathie sous-jacente est connue. Lediagnostic de foie cardiaque ischémique peut être plus difficile à faire carles manifestations les plus évocatrices (hépatomégalie, hépatalgies,reflux hépatojugulaire) sont absentes. Une élévation brutale destransaminases, le caractère modéré de l’ictère, l’existence d’uneinsuffisance rénale et la dilatation des veines sus-hépatiques àl’échographie sont alors des arguments évocateurs de ce diagnostic. Ceséléments doivent conduire à rechercher une affection cardiaque aiguë ouchronique sous-jacente, justifiant parfois un traitement en urgence.

5 Échographie : dilatation des veines sus-hépatiques et de laveine cave inférieure.

*A *B

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