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FRANCITÉ Une voix francophone centenaire Célébrée à travers tout l'espace francophone, 2013 est l'année du centenaire de la naissance d'Aimé Césaire. Figure majeure de la francophonie inter- nationale, cet écrivain et homme politique martiniquais a marqué le XX e siècle de sa lutte, dès les années 30, en faveur de la dignité de l'homme noir ainsi que de la décolonisation. La revendication des iden- tités « nègre » et, dans un second temps, « créole » qu'il incarne a révolutionné le champ des lettres de langue française. Par sa voix, il a ouvert la voie à l'émer- gence des cultures francophones à travers le monde. La Maison de la Francité vous invite aujourd’hui à (re)découvrir le parcours multiple de Césaire dans le cadre d'une programmation en partenariat avec l’Agence universitaire de la Francopho- nie (AUF), l'Alliance française Bruxelles - Europe et l'ONG Coopération Éduca- tion Culture (CEC). D'octobre à dé- cembre vous seront proposés : une expo- sition, des visites pédagogiques, des documentaires, une rencontre littéraire, une table ronde, un atelier d'écriture, des contes ainsi qu’une lecture-concert. Le programme complet est accessible sur notre site : www.mai- sondelafrancite.be. Francité retrace dans ce numéro le parcours emblématique de « l'écrivain volcan ». Cette saison verra également l'inau- guration de l'« Espace Césaire », la bibliothèque issue de la fusion récente des collections de CEC et de la Maison de la Francité ASBL. Celui-ci vous propose un fonds francophone spécialisé constitué, entre autres, d'œuvres de littératures africaines et caribéennes, d’ouvrages consacrés à la langue française au fil de l'histoire et dans le monde et aux cultures francophones, mais aussi de revues, de DVD et de jeux de langage. Cet espace de consultation, de travail et de réflexion vous accueille du lundi au vendredi de 10h à 16h. Consultez le cata- logue en ligne sous l'onglet « Services » de notre site. REVUE DE LA MAISON DE LA FRANCITÉ TRIMESTRIEL NUMÉRO 74 3 e TRIMESTRE 2013 18 RUE JOSEPH II 1000 BXL Belgique-België P.P. Bruxelles X BC0452 « À l’intérieur de chaque langue natio- nale, la littérature s’exprime dans une langue étrangère » déclare le romancier francophone et francophile japonais Akira Mizubayashi dans son roman paru en 2011 Une langue venue d’ailleurs, où l’écriture en langue française apparait comme un refuge face à « l’arrogance de la loquacité ambiante ». C’est donc ici à une démarche de distanciation critique et créative que renvoie le choix de l’ex- pression littéraire en langue étrangère. Quant au Martiniquais Aimé Césaire, jouant des genres européens afin d’exprimer son originalité et se faisant le chantre du mouvement littéraire de la négritude dès 1939, la subversion féconde des codes de la littérature française qu’il accomplit par son écriture forge l’affirma- tion d’une identité et conteste un ordre européen devenu trop étroit. Aux côtés des figures des ainés que sont Léopold Sédar Senghor pour l’Afrique noire et Yacine Kateb pour le Maghreb dans le champ lit- téraire francophone, c’est dès lors un véri- table décentrement idéologique que Césaire opère, qui mènera à l’émergence d’identi- tés francophones multiples, émancipées de la métropole française, caractéristiques de l’ère postcoloniale. Si, à priori, hormis le français qui les rap- proche dans l’écriture, rien ne relie des au- teurs issus d’horizons et époques aussi diffé- rents que Mizubayashi et Césaire, à y regar- der de plus près, ils se rejoignent dans leur affirmation d’une « esthétique de la résis- tance », à laquelle le choix de la langue fran- çaise lui-même participe, en tant que langue soit de l’ancien colonisateur soit étrangère, grâce à son appropriation dans une culture autre. Dans les deux cas, la littérature per- met d’articuler leurs revendications iden- titaires par l’affirmation d’une originalité jusque-là rendue impossible dans le système qui l’environne. Ces deux écrivains à la fois singuliers et em- blématiques nous rappellent de la sorte qu’au milieu des discours dominants la littérature a conservé toute sa force dans notre monde contemporain en ce sens qu’elle continue d’offrir et de cultiver un espace-temps d’ex- pression qui n’appartient qu’à elle. Parallèlement, entre identité et altérité, la littérature postcoloniale a creusé le sillon de l’universalisme du propos littéraire en langue française, ouvrant la voie à ce que l’on dé- nomme désormais la « littérature-monde ». Ridouane CHAHID, Président ÉDITO Ce que peut la littérature 1 Une voix francophone centenaire 2 Saison Aimé Césaire Textes à vivre La Fureur d'écrire 3 Césaire en 2013 4 Un écrivain venu d'ailleurs Mots croisés La revue Francité est écrite en nouvelle orthographe www.maisondelafrancite.be La Maison de la Francité vous invite aujourd’hui à (re)découvrir le parcours multiple de Césaire dans le cadre d'une riche programmation

FRANCITÉ /74

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Une voix francophone centenaire. Saison Aimé Césaire. Textes à vivre. La Fureur d'écrire. Césaire en 2013. Un écrivain venu d'ailleurs

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FRANCITé

Une voix francophone centenaire

Célébrée à travers tout l'espace francophone, 2013 est l'année du centenaire de la naissance d'Aimé Césaire.

Figure majeure de la francophonie inter-nationale, cet écrivain et homme politique martiniquais a marqué le XXe siècle de sa lutte, dès les années 30, en faveur de la dignité de l'homme noir ainsi que de la décolonisation. La revendication des iden-tités « nègre » et, dans un second temps, « créole » qu'il incarne a révolutionné le champ des lettres de langue française. Par sa voix, il a ouvert la voie à l'émer-gence des cultures francophones à travers le monde.

La Maison de la Francité vous invite aujourd’hui à (re)découvrir le parcours multiple de Césaire dans le cadre d'une programmation en partenariat avec l’Agence universitaire de la Francopho-

nie (AUF), l'Alliance française Bruxelles - Europe et l'ONG Coopération Éduca-tion Culture (CEC). D'octobre à dé-cembre vous seront proposés : une expo-sition, des visites pédagogiques, des documentaires, une rencontre littéraire, une table ronde, un atelier d'écriture, des contes ainsi qu’une lecture-concert. Le programme complet

est accessible sur notre site : www.mai-sondelafrancite.be. Francité retrace dans ce numéro le parcours emblématique de « l'écrivain volcan ».

Cette saison verra également l'inau-guration de l'« Espace Césaire », la bibliothèque issue de la fusion récente des collections de CEC et de la Maison de la Francité ASBL. Celui-ci vous propose un fonds francophone spécialisé constitué, entre autres, d'œuvres de littératures africaines et caribéennes, d’ouvrages consacrés à la langue française au fil de l'histoire et dans le monde et aux cultures francophones, mais aussi de revues, de DVD et de jeux de langage. Cet espace de consultation, de travail et de réflexion vous accueille du lundi au vendredi de 10h à 16h. Consultez le cata-logue en ligne sous l'onglet « Services » de notre site.

REVUE DE LA MAISON DE LA FRANCITÉ

TRIMESTRIEL

NUMÉRO 74

3e TRIMESTRE 2013

18 RUE JOSEPH II 1000 BXL

Belgique-BelgiëP.P.

Bruxelles XBC0452

« À l’intérieur de chaque langue natio-nale, la littérature s’exprime dans une langue étrangère » déclare le romancier francophone et francophile japonais Akira Mizubayashi dans son roman paru en 2011 Une langue venue d’ailleurs, où l’écriture en langue française apparait comme un refuge face à « l’arrogance de la loquacité ambiante ». C’est donc ici à une démarche de distanciation critique et créative que renvoie le choix de l’ex-pression littéraire en langue étrangère.

Quant au Martiniquais Aimé Césaire, jouant des genres européens afin d’exprimer son originalité et se faisant

le chantre du mouvement littéraire de la

négritude dès 1939, la subversion féconde

des codes de la littérature française qu’il

accomplit par son écriture forge l’affirma-

tion d’une identité et conteste un ordre

européen devenu trop étroit. Aux côtés des

figures des ainés que sont Léopold Sédar

Senghor pour l’Afrique noire et Yacine

Kateb pour le Maghreb dans le champ lit-

téraire francophone, c’est dès lors un véri-

table décentrement idéologique que Césaire

opère, qui mènera à l’émergence d’identi-

tés francophones multiples, émancipées de

la métropole française, caractéristiques de

l’ère postcoloniale.

Si, à priori, hormis le français qui les rap-

proche dans l’écriture, rien ne relie des au-

teurs issus d’horizons et époques aussi diffé-

rents que Mizubayashi et Césaire, à y regar-

der de plus près, ils se rejoignent dans leur

affirmation d’une « esthétique de la résis-

tance », à laquelle le choix de la langue fran-

çaise lui-même participe, en tant que langue

soit de l’ancien colonisateur soit étrangère,

grâce à son appropriation dans une culture

autre. Dans les deux cas, la littérature per-

met d’articuler leurs revendications iden-

titaires par l’affirmation d’une originalité

jusque-là rendue impossible dans le système

qui l’environne.

Ces deux écrivains à la fois singuliers et em-blématiques nous rappellent de la sorte qu’au milieu des discours dominants la littérature a conservé toute sa force dans notre monde contemporain en ce sens qu’elle continue d’offrir et de cultiver un espace-temps d’ex-pression qui n’appartient qu’à elle.

Parallèlement, entre identité et altérité, la littérature postcoloniale a creusé le sillon de l’universalisme du propos littéraire en langue française, ouvrant la voie à ce que l’on dé-nomme désormais la « littérature-monde ».

Ridouane CHAHID, Président

ÉDITO

Ce que peut la littérature

1 Une voix francophone centenaire

2 Saison Aimé Césaire Textes à vivre La Fureur d'écrire

3 Césaire en 2013

4 Un écrivain venu d'ailleurs Mots croisés

La revue Francité est écrite en nouvelle orthographe

www.maisondelafrancite.be

La Maison de la Francité vous invite aujourd’hui à (re)découvrir le parcours multiple de Césaire dans le cadre d'une riche programmation

FRANCITé 74 3e trimestre 2013 page 2

Textes à vivreUn lundi par mois, l'Association Charles Plisnier vous invite à vivre lors de dix soirées en compagnie de Monique Dorsel notre littérature francophone, qu’elle soit de Belgique ou de France.

Comédienne, fondatrice des Jeunesses poétiques, Monique Dorsel a dirigé et animé durant des années le Théâtre Poème, rue d’Écosse, avec Émile Lanc.

S’y sont succédé les spectacles, les entretiens, les rencontres dans l’amitié et la découverte d’esprits et de plumes remarquables.

L’expérience, la connaissance du milieu littéraire et la passion du texte sont au cœur de l’aventure de Monique Dorsel, dont elle partagera les moments les plus forts durant cette saison 2013-2014. Ses lectures de textes et ses souvenirs per-sonnels feront revivre Henri Michaux, les Biennales de Knokke, Christian Hubin, Françoise Delcarte, Marcel Lecomte, Mar-cel Broodhaerts, Liliane Wouters… Seront présents pour dialoguer avec elle : Pierre Mertens, Jean-Pierre Verheggen, Jacques Sojcher, Jacques De Decker.

Une initiative de l’Association Charles Plis-nier en collaboration avec la Maison de la Francité.

Programme détailléwww.maisondelafrancite.bewww.charles-plisnier.net

Reprise des activités

La Fureur d’écrire

Plan Marnix

Les tables de conversation ont recommencé dès le début du mois de septembre, selon les horaires habituels : les mardis de 10h à 11h30 et les jeudis de 18h30 à 20h.

Quant au stage de prise de parole , les deux prochaines sessions auront lieu du 2 octobre au 11 décembre 2013 et du 22 janvier au 2 avril 2014. Les cours sont donnés les mercredis, de 18h à 20h30, par Jacqueline Paquay. Inscriptions via www.maisondelafrancite.be

Et en attendant l’exposition de la col-lection Jeux de langage qui aura lieu en février 2014, des animations autour des nouveaux jeux acquis en 2013 seront proposées au public les mercredis 25 septembre, 23 octobre, 20 novembre et 18 décembre de 14h à 17h pour le plaisir des petits et grands, francophones et apprenants. Pour les groupes, sur réservation au 02/219.49.33

Ce samedi 28 septembre, de 10h à 18h, se tiendra au Brussels Information Point (2, place Royale à 1000 Bruxelles) l’évè-nement inaugural du « Plan Marnix pour un Bruxelles multilingue ». Soutenu par la Fondation Roi Bau-douin, le plan Marnix est une initiative de Philippe Van Parijs, philosophe, éco-nomiste et professeur à l'UCL, à la KUL et à Oxford. Il rassemble divers acteurs de la société civile : enseignants, parte-naires sociaux bruxellois, fonctionnaires européens, syndicats… Tout en donnant priorité à l’apprentissage du français, du néerlandais et de l’anglais, et ce en par-ticulier auprès des catégories sociales les moins favorisées, il ambitionne de rendre la population bruxelloise davantage po-lyglotte qu’elle ne l’est actuellement.

Au programme

Présentation du Plan Marnix et de ses objectifs

« Apprendre plusieurs langues à la mai-son, à l’école : possibilités et défis »

« Potentiel et limites de l’apprentissage des langues »

« Les tables de conversation » (avec la par-ticipation de la Maison de la Francité)

« Le sous-titrage et les médias » « Les cours de langue sur Internet » « Le multilinguisme est-il vraiment né-cessaire à Bruxelles ? »

« Le multilinguisme est-il vraiment pos-sible pour tous ? »

« Comment les pouvoirs publics peuvent-ils aider ? »

Présentation des projets pour l’avenir

Après un an d’existence, la Compagnie de lecteurs et d'auteurs (CLéA) lance la première « Fureur d’écrire », évènement exclusivement axé sur l’écriture, la réécriture et la lecture en présence d’auteurs, de lecteurs, de professionnels et de partenaires issus du monde du livre, de l’écriture et de la littérature.

Le samedi 12 octobre, la Maison de la Francité accueillera cette journée orga-nisée par l’association CLéA autour de l’écriture, de la réécriture et de la lecture pour les auteurs aguerris ou débutants et les lecteurs curieux désireux de découvrir de nouvelles œuvres.

Au programme

Deux séances d’information sur les acti-vités de CLéA, trois tables rondes sur l’écriture (« Entrer en écriture », « Finali-ser et diffuser un texte court » et « Écrire un premier roman »), trois espaces parte-naires (Kalame et les ateliers d’écriture, espace-librairie et bibliothèque), l’occa-sion pour les auteurs de recevoir un commentaire sur leur production ou leur projet d’écriture…

Toutes les informations pratiques et le programme complet via www.compagnie-clea.org

« J'ai apporté une parole d'homme », Aimé Césaire (1913-2008) Exposition du 2 octobre au 13 décembreVernissage le 1er octobre à 17h30Activités pédagogiques d’octobre à décembreDossier pédagogique à disposition

« Aimé Césaire, frère volcan », rencontre avec Daniel Maximin Soirée littéraire le mardi 1er octobre à 19h30

« Aimé Césaire, une voix pour l'histoire » Documentaire d’Euzhan Palcy en trois parties.

Partie I : « L'ile veilleuse » le mardi 1er octobre à 18h

Partie II : « Au rendez-vous de la conquête » le lundi 28 octobre à 18h

Partie III : « La force de regarder demain » le mardi 19 novembre à 18h, suivie à 19h d'un échange avec le public animé par Jean-Claude Kangomba

« L’héritage d’Aimé Césaire » Table ronde le lundi 28 octobre à 19h30

« Autour d'Aimé Césaire et de Frantz Fanon »Atelier d’écriture animé par Michel Bernard, le samedi 30 novembre de 10h à 16h PAF : 60 euros

« Paroles et contes pour Papa Césaire »

Contes en musique par Muriel Bloch, le dimanche 1er décembre à 17h

« Discours sur le colonialisme » Lecture-concert par Peter Lema accompagné par Maykèz, le mardi 10 décembre à 19h30

Infos et programme détaillé

www.maisondelafrancite.be Réservations : 02/219.49.33 [email protected]

›› Monique Dorsel

Saison Aimé CésaireAu programme Une organisation

FRANCITé 74 3e trimestre 2013 page 3

Césaire en 2013

Aimé Césaire cristallise les combats qui ont agité le XXe siècle au sein de la francophonie, à savoir la lutte pour la dignité de l’homme noir et l'émancipation coloniale. À l'époque où les peuples « créoles » cherchent à réinventer leurs identités dans un monde global et multiculturel en plein bouleversement, la force de ses textes reste d'une brulante actualité.

Relire Césaire constitue une approche originale pour comprendre la genèse de ces révolutions historiques. Quelle forme d’engagement cet homme issu d'une co-lonie esclavagiste depuis le 17e siècle et formé au cœur même de la Métropole à l'École Normale de Paris, a-t-il pris face à ces revendications ? Pour apprécier la trajectoire de l'homme, il faut saisir l’origine de ses racines, qui renvoient à une histoire transcontinentale : celle des Antilles, qui deux siècles durant, furent le théâtre d'une importation massive d'es-claves brutalement arrachés à l'Afrique pour être exploités dans les cultures de canne à sucre, selon les principes d'un lucratif commerce triangulaire entre la France, l'Afrique et les Antilles françaises aux origines de la diaspora africaine.

Né en 1913 en Martinique, Césaire gran-dit au sein d’une société dominée par l'idéologie coloniale et stigmatisée par le clivage entre Blancs, Mulâtres et Nègres. Plus tard, il écrira : « Je revois encore ces petits bourgeois de couleur et, très vite, j'ai été choqué de constater chez eux une tendance fondamentale à singer l'Europe. Ils partageaient les mêmes préjugés… ».

À partir de 1931, c'est son séjour à Paris en tant qu'étudiant qui amorce l'éveil de la conscience africaine, intrinsèque à l'identité martiniquaise, et ce au contact à la fois des intellectuels de la Négro Renaissance américaine, du mouvement surréaliste français ainsi que des étudiants africains et antillais présents à Paris. Avec le Guyanais Léon-Gontran Damas, le Gua-deloupéen Bigaro Diop et le Sénégalais Léopold Sédar Senghor, il crée la revue L'Étudiant noir, qui voit l'émergence du concept de « négritude ».

Partant de la réappropriation du mot « nègre » pour affirmer la reconnaissance des Noirs « dans leur destin, leur histoire et leur culture », le mouvement littéraire de la négritude sera au cœur de l’action de Césaire. De retour en Martinique en 1939, il publie le long poème en prose Cahier d'un retour au pays natal, dans la préface duquel le chef de file du sur-réalisme français André Breton reconnait « le plus grand monument lyrique de ce temps », qui retentit comme un « grand cri nègre ». Auprès de Senghor, Césaire affirme sur les plans littéraire et artistique l’existence d’une culture désethnicisée. Cette littérature nègre moderne se verra consacrée en 1946 dans une Anthologie

de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française, où l' « Orphée noire » – en référence à l'« inlassable des-cente du nègre en soi-même » rappelant celle d’Orphée en quête d'Eurydice –, de Sartre, également parrain de la revue culturelle du monde noir Présence afri-caine fondée en 1947, introduit l’ouvrage en affirmant que « l'ensemble des poètes de la Négritude, après de longs siècles de soumission douloureuse, entonnent un chant plein de souffrances et de haines, dans une immense prise de conscience, un chant à travers lequel ils espèrent " bri-ser les murailles de la culture-prison " et reconquérir leur être propre. »

Né de l'esprit de résistance lors du deu-xième conflit mondial, le combat politique relaie alors le combat culturel, prenant la forme d’une opposition incondition-nelle au colonialisme. Césaire s’engage au service de la promotion sociale et de l’autonomie des Martiniquais devenant successivement maire de Fort-de-France, conseiller général de Martinique et dé-puté de 1946 à 1993. Son Discours sur le colonialisme, prononcé en 1950, constitue un violent réquisitoire contre l’entreprise et l’Europe coloniales, bourgeoises et capitalistes. Ce texte reste fondamental pour saisir le rôle historique qu’il a joué auprès de ces générations impliquées dans le démantèlement des empires coloniaux. Aujourd'hui, continuent de résonner avec

acuité ses mots : « Une civilisation qui s'avère incapable de résoudre les pro-blèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente. Une civi-lisation qui choisit de fermer les yeux à ses problèmes les plus cruciaux est une civi-lisation atteinte. »

À la fin des années 50, l’auteur évo-lue vers un théâtre poétique, qu'il ap-préhende comme le moyen privilé-gié d'éveiller à une conscience politique à travers la mise en scène de per-sonnages comme Toussaint Louver-ture – esclave nègre affranchi qui a fo-menté la Révolution haïtienne de 1791-1804 – ou Patrice Lumumba – figure de l'indépendance du Congo belge.

D'un point de vue littéraire, la « poésie volcan » de Césaire émerge d'une « im-pulsion originelle » le menant à « forger sa mythologie » et à « inventer son vo-cabulaire » par l'emploi de créolismes, néologismes, rythme et sensualité enra-cinés dans l'Afrique mère. Visionnaire, Césaire a inscrit sa création parmi les formes les plus innovantes de l’art, fai-sant écho au Surréalisme et à Picasso. Les Arts primitifs apparaissaient comme une arme de subversion et de régénéra-tion des principes esthétiques européens hérités de l'Antiquité, sur la raison, pour renouer avec la spontanéité, la sensibilité, l'émotion voire l'inconscient. Pour Sartre, en Césaire, « la grande tradition surréa-liste s'achève, prend son sens définitif et se détruit : le surréalisme, mouvement poétique européen, est dérobé aux Euro-péens par un Noir qui le tourne contre eux et lui assigne une fonction rigoureu-sement définie. »

Relire ou entendre Césaire aujourd’hui, loin de correspondre à une démarche passéiste sur l'héritage controversé de la colonisation, permet de restituer une voix qui, dans toutes ses contradic-tions, non seulement témoigne de son siècle mais surtout conserve son actua-lité. Comme y encourageait l’auteur lui-même, au-delà du parcours biogra-phique, « décésairiser » les combats et messages qu'il a portés et incarnés, c’est s'ouvrir à une réflexion sur les identités, en perpétuelle (re)construction.

Jonathan d'HaeseKarine Jottard

Aujourd'hui, continuent de résonner avec acuité ses mots : « Une civilisation qui s'avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente. Une civilisation qui choisit de fermer les yeux à ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte. »›› La revue L'étudiant noir en 1935.

›› Cahier du retour au pays natal en 1939.

›› Discours sur le colonialisme en 1950.

FRANCITé 74 3e trimestre 2013 page 4

La maison de La Francité téLépH. 02/219.49.33 téLécop. 02/219.67.37 [email protected] www.maisondelafrancite.be éditeur responsabLe Karine Jottard, 18 rue Joseph II à 1000 Bruxelles bureau de dépÔt : bruXeLLes X p 101012rédactrice adjointe Catheline Fedurski conception grapHique Marmelade - www.marmelade.be tirage 4.000 exemplaires avec L’aide de la commission communautaire française

Mots croisés

Solution :

H : 6. Soldat – 7.canyon – 10.sénior – 12.cellulaire – 14.douçâtre – 17.partie – 18.maboul – 19.entraineur

V : 1.florilège – 2.introversion – 3.aquarelle – 4.méchoui – 5.banque – 8.macadam – 9.droguerie – 11.vampire – 13.sofa – 15.tiguidou – 16.polochon – 20.affiche

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Nouvelle édition du Petit Robert

Le Robert vient de publier l’édition 2014 de son dictionnaire Le Petit Ro-bert. Depuis 1967, l’ouvrage s’enrichit et contient aujourd’hui 60 000 mots et 35 000 citations, répertoriés par l’habi-tuel ordre alphabétique. Cette année, Le Petit Robert a choisi de faire un état des lieux de la langue française clas-sique et contemporaine : c’est ainsi que Molière y côtoie Amélie Nothomb ou Michel Tournier. On y découvre aussi de nombreux ajouts tels que bas-culotte, hénaurme, chialage, électro, nobéliser, conspirationiste ou droit-de-l’hom-miste…

Précisons que l’achat d’un dictionnaire imprimé Le Petit Robert donne accès à son édition numérique pendant un an ainsi qu’à celle du dictionnaire Le Ro-bert des Noms Propres. Celles-ci offrent une consultation rapide et pratique de leur contenu actualisé mensuellement par la rédaction. Parfaitement complé-mentaires, les deux versions couvrent tous les champs de la langue française.

Recension Un écrivain venu d'ailleurs remise du prix littéraire richelieu de la Francophonie

versité Sophia à Tokyo. Il a publié six essais littéraires en japonais, mais Une langue venue d'ailleurs est son premier livre écrit directement en français.

Dans ce brillant ouvrage teinté tant d’humour que de réflexions littéraires, Mizubayashi narre la passion pour la langue française qui l'a animé depuis l'adolescence alors qu’il écoutait et enre-gistrait des émissions dans notre langue, diffusées sur la radio offerte par son père à Tokyo. L'idiome français ne constitue de ce fait pas seulement le sujet du récit de cette autobiographie linguistique, il en est également le personnage principal.

C'est avec passion et pudeur que l'écrivain manie cette langue qu'il aime qualifier de « paternelle », par opposition à sa langue

maternelle, le japonais. Il conclut d'ail-leurs son récit sur cette profession de foi : « Je me considérerai comme mort quand je serai mort en français. Car je n'existerai plus alors en tant que ce que j'ai voulu être, par ma souveraine décision d'épou-ser la langue française. » Il épousera de plus Michèle, « la jeune fille au foulard rose » rencontrée à l’université de Mont-pellier. Pouvait-il en être autrement ?

L'auteur vient de publier son deuxième roman Mélodie. Histoire d'une passion. écrit lui aussi directement en français, il est d'ores et déjà salué par la critique. Nouvelle confirmation de son talent exceptionnel, Mizubayashi a dernièrement été nommé Chevalier dans l'ordre des Arts et des Lettres de France, une reconnaissance qui récom-pense son apport à la francophonie et à la langue française. Enfin, il s'est également récemment illustré par son intervention à l'occasion de la visite au Japon en juin dernier du Président français François Hollande. Cette mise en lumière méritée

reflète l'engagement de toute une vie.

À l'occasion de la re-mise de prix, la Maison de la Francité met dès à présent à votre dis-position le roman Une langue venue d'ailleurs à un prix avantageux.

Ce 5 octobre, la Maison de la Francité aura l'honneur d'accueillir la remise du troisième Prix littéraire Richelieu de la Francophonie. Ce prix récompense un auteur étranger à la France écrivant directement en langue française, toute traduction étant exclue.

Cette année, c'est l'écrivain japonais Akira Mizubayashi qui sera primé pour son roman autobiographique en langue française Une langue venue d'ailleurs, paru aux éditions Gallimard. Il a été choisi suite au vote de plus de cinquante clubs Richelieu à travers le monde.

Écrivain et traducteur japonais (entre autres de Daniel Pennac), Akira Mizu-bayashi est né en 1952. Après des études à l'Université nationale des langues et civi-lisations étrangères de Tokyo, il part pour la France en 1973 et suit à Montpellier une formation pédagogique pour devenir pro-fesseur de français. Il reviendra en France en 1979 comme élève de l'École normale supérieure. Depuis 1983, il enseigne au département d'études françaises de l'Uni-

« Je me considérerai comme mort quand je serai mort en français. »

›› A. Mizubayashi en présence des représentants du Club Richelieu International au Salon du Livre de Paris.

Horizontalement 6. mot d'origine italienne, désignant un militaire non gradé.

7. mot d'origine espagnole désignant une gorge résultant de l'érosion hydraulique dans la roche.

10. en nouvelle orthographe, terme désignant un sportif jouant dans une catégorie intermédiaire entre les juniors et les vétérans.

12. en québécois, synonyme de « GSM ».

14. en nouvelle orthographe, adjectif signifiant « d'une douceur fade ».

17. équivalent français de l'anglicisme « match ».

18. mot d'origine arabe, synonyme de « fou ».

19. équivalent français de l'anglicisme « coach ».

Verticalement 1. équivalent français de l'angli-cisme « best of ».

2. mot d'origine allemande qua-lifiant une tendance à se replier sur soi-même.

3. mot d'origine italienne dési-gnant une peinture délayée à l'eau.

4. mot d'origine arabe dési-gnant un mouton entier cuit à la broche.

5. mot d'origine italienne dési-gnant un établissement financier.

8. mot d'origine écossaise dési-gnant un revêtement de sol fait de pierres concassées liées avec du sable et du goudron.

9. mot d'origine néerlandaise, désignant un magasin où l'on vend des produits d'hygiène ou d'entretien.

11. mot d'origine allemande désignant un être qui, selon les croyances populaires, sortirait la nuit pour se nourrir du sang des vivants.

13. mot d'origine arabe, syno-nyme de « canapé ».

15. en québécois, synonyme de « parfait ! ».

16. mot d'origine néerlandaise, synonyme de « traversin, oreiller ».

20. équivalent français de l'an-glicisme « poster ».