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CuratorsinContext.ca Art curators talk about curating Je voudrais tout d’abord remercier les organisateurs de cette conférence. Je suis vraiment très heureuse d’avoir l’occasion de participer à une réflexion sur l’exposition. Ma présentation va être légèrement différente de celles des deux con- férenciers de ce matin, puisque mon point de vue n’est ni celui du musée ni celui de la galerie publique, mais bien celui de la rue. Je vais vous parler de trois expositions que j’ai organisées depuis 1997 dans l’espace public, ce qui ne veut pas dire que je n’ai pas travaillé avec des musées ou des galeries publiques, bien au contraire. Je considère toutefois que ces projets ont joué un rôle fondamental dans la mesure où les pratiques artistiques qu’ils préconisaient obligent aujourd’hui à repenser la manière de concevoir et d’organiser des expositions pour s’adapter à des contextes et à des situations à caractère public ne relevant plus du mode de présentation en galerie ou au musée. Ces pratiques actuelles qui mettent l’accent sur l’intervention ne peuvent plus se définir comme des œuvres ou des objets. Ce qui m’intéresse plus particulièrement, c’est qu’elles mettent l’accent sur la relation avec le public et qu’elles instaurent une dynamique de mobilité et de dispersion qui va souvent jusqu’à l’effacement et l’anonymat. Je me réfère ici à des artistes qui interviennent surtout dans la sphère publique, que ce soit l’espace de la ville, la rue ou encore les médias comme la radio, la télévision ou Internet. Ces pratiques artistiques, qui semblent émerger de plus en plus fréquemment depuis les années 1990, comme l’a noté Nicolas Bourriaud dans L’esthétique relationnelle (1998), cherchent à se rapprocher du réel, voire à l’infiltrer, pour interagir concrètement avec la réalité et les gens, dans le monde et l’univers quoti- dien. Si elles incitent les commissaires à s’éloigner du système de l’art et à penser l’exposition en des termes radicalement différents et nouveaux, comme je souhaite l’examiner ici, elles permettent en retour d’œuvrer à une échelle sociale, politique, et plus humaine. L’exposition est ainsi appelée à devenir un espace concret, tan- gible, vivant car animé par la vie, un lieu flexible autant que mobile car totalement imprévisible. Elle ne peut plus se définir en dehors de la réalité et de la vie, comme Marie Fraser Exhibit as Platform © Marie Fraser 2005 Used by permission 1/10

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    Je voudrais tout dabord remercier les organisateurs de cette confrence. Je suis vraiment trs heureuse davoir loccasion de participer une rflexion sur

    lexposition. Ma prsentation va tre lgrement diffrente de celles des deux con-frenciers de ce matin, puisque mon point de vue nest ni celui du muse ni celui de la galerie publique, mais bien celui de la rue. Je vais vous parler de trois expositions

    que jai organises depuis 1997 dans lespace public, ce qui ne veut pas dire que je nai pas travaill avec des muses ou des galeries publiques, bien au contraire. Je considre toutefois que ces projets ont jou un rle fondamental dans la mesure o les pratiques artistiques quils prconisaient obligent aujourdhui repenser la manire de concevoir et dorganiser des expositions pour sadapter des contextes

    et des situations caractre public ne relevant plus du mode de prsentation en galerie ou au muse. Ces pratiques actuelles qui mettent laccent sur lintervention ne peuvent plus se dfinir comme des uvres ou des objets. Ce qui mintresse

    plus particulirement, cest quelles mettent laccent sur la relation avec le public et quelles instaurent une dynamique de mobilit et de dispersion qui va souvent jusqu leffacement et lanonymat. Je me rfre ici des artistes qui interviennent surtout dans la sphre publique, que ce soit lespace de la ville, la rue ou encore les mdias comme la radio, la tlvision ou Internet.

    Ces pratiques artistiques, qui semblent merger de plus en plus frquemment depuis les annes 1990, comme la not Nicolas Bourriaud dans Lesthtique relationnelle (1998), cherchent se rapprocher du rel, voire linfiltrer, pour interagir concrtement avec la ralit et les gens, dans le monde et lunivers quoti-dien. Si elles incitent les commissaires sloigner du systme de lart et penser lexposition en des termes radicalement diffrents et nouveaux, comme je souhaite

    lexaminer ici, elles permettent en retour duvrer une chelle sociale, politique,

    et plus humaine. Lexposition est ainsi appele devenir un espace concret, tan-gible, vivant car anim par la vie, un lieu flexible autant que mobile car totalement

    imprvisible. Elle ne peut plus se dfinir en dehors de la ralit et de la vie, comme

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    lenvironnement neutre du muse, qui recherche la fixit et la permanence pro pices

    une exprience esthtique, totale et complte de luvre dart. La prsentation

    et lexprience de lart se trouvent radicalement modifies lorsquelles affrontent

    des phnomnes de dispersion urbaine, de mobilit et de transitivit ; lorsque la nature vnementielle et souvent anonyme des interventions rend fragile la recon-naissance de lart ; lorsque lart investit la vie et la ralit ; lorsque lart et le non- art se rencontrent jusqu la dissolution de leurs frontires ; lorsque lart devient un interstice social et quil cherche se rapprocher des gens pour investir le do-maine des relations humaines.

    Avant daborder le vif du sujet, il mapparat important dintroduire une nuance. Il me semble que les pratiques dintervention ne cherchent pas, linverse de ce que lon pourrait croire au premier abord, prendre position contre le muse ou les institutions artistiques. Leur enjeu nest pas tout fait le mme que celui des

    pratiques in situ ou site-specific qui, en prenant forme dans le muse ou dans des lieux extrieurs, remettaient en question la fonction des institutions, leur appar-ente neutralit, leur rle, leur pouvoir de lgitimation. Nous nassistons plus une critique de linstitution et du muse que nous assistons, mais un largissement des possibilits et de la nature relationnelle de lart qui atteint les sphres du social et du politique. La rue, lespace public et urbain reprsentent un choix, non pas

    uniquement une forme de rsistance ou une solution de rechange pour favoriser la prsentation de lart. La diffrence est importante, car elle tient la dfinition

    mme des pratiques dont il est question ici. Les artistes ne cherchent pas cri-tiquer le muse mais interagir lintrieur du tissu social et dans les relations humaines. Le tissu social et les relations humaines sont en quelque sorte devenus la matire mme du travail artistique. Cest la situation de lart et son contexte

    qui ont chang. Cette attitude artistique ouvre un immense chantier interdis-ciplinaire pour aboutir des questions sociales et politiques : la communaut, la dmocratie, des enjeux qui touchent directement notre faon dtre dans le monde

    et de lhabiter. Ces questions, qui ne relvent plus du domaine spcifique de lart,

    transforment le rle et le champ daction de lexposition en un dialogue entre lart,

    la culture, le politique.

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    Ce phnomne actuel est en train de repousser les frontires physiques et gographiques de lart, mais a aussi pour consquence de transformer la faon

    de penser et de concevoir lexposition comme une simple prsentation duvres

    dart. Cette transformation touche autant lespace dexposition que sa forme, son

    format, son contenu, son audience, que le rle de lartiste et celui du public. Dans de telles conditions, lexposition na dautre choix que de tmoigner son tour

    dun engagement. Elle devient elle-mme une place publique, une sorte de plate-forme, cest--dire un lieu de dbats et de ngociations auxquels participent les artistes, les commissaires ainsi que le public. Cest de cette plateforme que jaimerais parler aujourdhui.

    Jemprunte le terme et son lien avec la pratique artistique Okwui Enwezor, le directeur artistique de la Documenta 11 de Kassel, en 2002. Lide de plateforme ntait pas directement associe la notion dexposition, comme je voudrais le

    proposer ici, mais une srie de confrences et de tables rondes qui ont prcd lvnement et ont contribu son laboration. Ces dbats visaient dfinir des

    thmatiques propres crer des liens entre la production artistique contempo-raine et les questions politiques et culturelles les plus urgentes, soit la mondiali-sation, les conflits, les guerres. La mobilit, le dplacement et llargissement des

    frontires de lexposition, tant sur le plan spatial que temporel, gographique que

    culturel, taient au cur de ce processus dchange, de dialogue et de collabora-tion qui a permis de runir des intellectuels, quelques artistes, trop peu au dire de certains, et des activistes de par le monde : les plateformes ont dbut Vienne en mars 2001, pour se poursuivre Berlin et New Delhi en mai de la mme anne,

    ainsi qu Lagos en mars 2002, et se terminer Kassel, le 8 juin 2002 au moment de louverture de la Documenta. Je ne souhaite pas faire lloge ni de la Documenta ni de ses plateformes, je veux simplement emprunter lide et voir comment ce

    concept de plateforme peut tre oprant pour penser lexposition.

    Je vous prsente brivement trois projets que jai organiss seule ou en collabora-tion avec dautres commissaires et artistes, et qui sont lorigine de cette ide de repenser lexposition comme un lieu de dbat et un travail de collaboration. Dans

    le cadre de ces expositions, jai tent de crer des situations afin de faire ragir les

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    artistes, quils ralisent leurs uvres en raction des contextes particuliers. Je

    dois dire aussi que sur le plan mthodologique, si je dois prendre position sur une question de mthode, jai une formation universitaire en histoire de lart mais je nai pas t forme en musologie ou encore en commissariat dexposition. Cest

    dans le contexte des centres dartistes que jai ralis mes premiers projets. Jy ai

    plutt dvelopp une manire de travailler en tant trs proche des artistes.

    Le premier projet que je voudrais vous prsenter, et qui a t sans doute le plus d-terminant, a t organis par Optica en 1997. Il sagit de Sur lexprience de la ville. Javais travaill lpoque en collaboration avec Marie Perrault et Diane Gougeon

    (Diane est dailleurs artiste). la suite dun appel de dossiers invitant les artistes soumettre un projet indit pour un contexte public, lexposition a rassembl une

    dizaine dinterventions qui se sont disperses dans lespace de la ville, occupant une grande partie du territoire de Montral. Il tait remarquable de constater que

    les uvres narrivaient pas rivaliser avec la saturation urbaine et vnementielle

    de la ville. Elles cherchaient plutt emprunter sa nature htrogne et seffacer dans la masse, en privilgiant des formes dinsertion discrtes, plus proches des gens, de leur vie quotidienne, dans leurs quartiers, dans leurs communauts. Cette exposition a mis laccent sur le fait que lart, les pratiques dintervention plus par-ticulirement, ne sadresse pas un public universel, anonyme, cultiv, duqu , mais des individus. Lart cre une relation dindividu individu. Cest ainsi que la relation avec le tissu social et les gens qui vivent et habitent la ville sest cre de faon presque spontane, presque naturelle. Certains artistes mettaient en ques-tion le rapport luvre et la ralit urbaine par une simple transformation du

    lieu, minimale mais efficace (Robin Collyer), dautres en mimant des stratgies

    publicitaires (Trevor Gould et Anne Ramsden). Plusieurs interventions se confon-daient galement avec le tissu urbain, comme Lorraine Oades, dans une vitrine du quartier Saint-Henri, ou encore interrompait le flux quotidien par des gestes

    intimes et privs, comme Devora Neumark, qui a habit diffrents lieux de la

    ville en cherchant se placer la frontire du priv et du public. Autre fait remar-quable, lexposition a pris forme dans le flux urbain. Les interventions renonaient

    limmobilit et aux stratgies dinscription propres aux uvres dart public, le

    monument tant le cas le plus significatif de par sa permanence, et sans doute

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    aussi le plus fixe et le plus stable que lon puisse imaginer. Avec Sur lexprience de la ville, lexposition est devenue un territoire ouvert, changeant, qui existe comme une suite de processus caractre furtif (jemprunte ce terme Patrice Loubier),

    rempli dimprvus, htrogne et mobile.

    La deuxime exposition est Gestes dartistes que jai organise en 2001 en col-laboration Marie-Jose Lafortune pour Optica. Lexposition devait avoir lieu dans

    les rues de New York au cours de la troisime semaine de septembre. Nous avions comme partenaire le LMCC (Lower Manhattan Cultural Council), qui avait ses bu-reaux au 21e tage du World Trade Center. Pour les raisons que vous connaissez, le

    projet na pu se drouler tel que prvu. Il a eu lieu dans les rues de Montral. Il sest

    rorganis en un geste de solidarit envers notre partenaire qui avait vu ses locaux

    et son avenir seffondrer de faon instantane et brutale. 24 heures davis, nous

    avons obtenu du Service de la culture de la Ville de Montral les permis nces-saires ce que les artistes puissent faire leur intervention dans diffrents lieux de

    la ville. Le projet sest droul sous une surveillance policire importante, particu-lirement pour lintervention de Massimo Guerrera qui avait lieu la sortie dune

    station de mtro. Le contexte politique des vnements du 11 septembre a servi

    de trame sur laquelle interprter chacune des interventions, voire lexposition en

    gnral. En raison des dbats que ce contexte a suscits chez les artistes, on peut

    conclure aussi que le projet, en laissant une large place au processus de collabo-ration avec les artistes, notre partenaire et le public, a transform notre faon de

    penser lexposition.

    Lide de mettre laccent sur le geste dartiste, tel que le suggre le titre de lexposition,

    a galement permis de souligner un aspect propre aux interventions en milieu urbain : loccupation et linvestissement de lieux transitoires de la ville, lieux sou-vent anonymes, mais qui sont en retour bien intgrs dans la vie quotidienne et lorganisation urbaine. La nature phmre et mobile des gestes dartistes correspondait ce cadre de rfrence et accentuait laspect nomade de lexposition,

    qui ntait plus rattache un lieu fixe et homogne. Il sagissait de faire valoir

    un processus o le quotidien, lalatoire, les rencontres accidentelles deviennent la composante de luvre et, dans un mme lan, de lexposition. Le commissar-

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    iat sest en quelque sorte model aux pratiques artistiques : la mobilit du geste

    et sa nature relationnelle nous ont permis dtre nomades et dagir une chelle intimiste dans lespace public et, la manire des artistes, dinterroger notre rapport lautre, de nous ouvrir sur le monde et dtre parmi le monde. Les im-ages que vous voyez prsentement sont celles de lintervention de Raphalle de Groot : il sagit dune cueillette de poussires. Sil existe une matire mobile, invisible,

    volatile et extrmement fragile, cest bien la poussire. Lartiste a recueilli pendant plusieurs jours des grains de poussire, les classant comme on le fait dune collection pour que ressorte ce qui, de lhistoire du quartier o avait lieu lintervention, reste souterrain, enfoui. Je peux difficilement passer sous silence ici le fait que cette

    uvre, qui consistait initialement ramasser de la poussire dans les rues de New

    York, avait pris une dimension minemment politique aprs leffondrement des Tours. Chaque projet a aussi pris la forme discrte dun geste en simmisant dans

    lespace urbain pour lui confrer une dimension prive, intime, plus humaine. Mas-simo Guerrera utilise la nourriture et les objets comme producteurs de relations

    et de sociabilit. Chez Rachel Echenberg, la proximit et lintimit de la rencontre

    ont atteint un niveau dintensit auquel il est difficile de rester indiffrent. Nous

    tions invits prendre rendez-vous avec lartiste et couter les sons produits par son corps.

    La demeure est la dernire exposition de cette trilogie. Il sagit dun projet que jai organis encore une fois avec Optica, en 2002, et qui poursuit ce question-nement sur la relation public/priv. Il est aussi fortement inspir de lintervention de Devora Neumark lors de sa participation Sur lexprience de la ville. Cher-chant mettre en question les limites des espaces tant publics et privs, Devora ma dit quelle voulait terminer son intervention dans une maison. Jai t surprise et intrigue par sa demande, qui est devenue lide principale que jai explore

    cinq ans plus tard dans La demeure. Lexposition visait expressment interroger la relation entre le public et le priv, montrer que lart refuse aujourdhui de dissocier lexprience artistique de la vie quotidienne et des comportement lis

    lintimit. Lvnement regroupait galement des artistes qui rflchissent sur la

    notion de lieu o lon vit dans un contexte de mobilit marqu par le nomadisme,

    la prcarit de lhabitat, la perte des relations et de lidentit. La demeure serait,

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    dans un contexte de mouvance et dinstabilit, faonne autant sa propre qute

    que par lide dhabiter linhabituel (jemprunte cette belle expression Paul Vi-rilio). Lexposition a galement mis laccent sur lide de crer du lieu dans

    des espaces que lanthropologue Marc Aug dcrit comme des non-lieux dans son

    ouvrage Non-lieux. Introduction une anthropologie de la surmodernit (Paris: Seuil, 1992). Les non-lieux sont pour lui la matire mme de notre poque , des

    endroits de passage et de transit. En transformant des espaces comme des terrains vagues ou abandonns, qui se caractrisent par leur anonymat et leur absence de relation, plusieurs artistes ont transform ces non-lieux en des lieux habitables

    propices faire natre la rencontre. Les petites habitations de bambou laisses dans des parcs par Lani Maestro, dlibrment discrtes et fragiles, fonctionnaient

    comme un interstice, comme un espace vide habiter, sapproprier. Quoique dif-frente de ces habitations, la structure architecturale dAlexandre David possdait

    plusieurs gards des qualits similaires douverture et de convivialit.

    linverse, les interventions de Michel de Broin, de Jean-Franois Prost et Marie-

    Suzanne Dsilets faisaient entrave la mobilit urbaine en utilisant des formes dhabitation mobile pour sinsrer dans des lieux inhabitables et pousser la notion

    dhabitation jusqu ses limites. Michel de Broin a install au coin des rues Sainte-

    Catherine et Clark une caravane dans laquelle on pouvait pntrer par un trou. Elle restait l jour et nuit, mais son accs tait limit par des heures douverture impo-ses par la Ville de Montral. Cela non pas pour protger luvre mais, ce qui est

    assez surprenant, pour protger les citoyens. Luvre tait considre dangereuse.

    On la barricadait pendant la nuit. Contrairement lusage habituel des habitations mobiles, Marie-Suzanne Dsilets et Jean-Franois Prost ont immobilis une tente-

    caravane sur le toit dun btiment prs de lautoroute mtropolitaine, lune des voies principales de circulation routire Montral, emprunte par prs dun mil-lion dautomobiles par semaine (ces chiffres datent de 2002). Loin de toute forme de vie, camps aux abords dune autoroute en plein quartier industriel, les artistes

    taient isols sur le toit et compltement intgrs au flux de la circulation et la

    densit urbaines. Cette prcarit de lhabitat et la recherche de formes dhabitation inusites, on la retrouve galement dans le travail de Steve Topping depuis plusieurs annes. Chez lui, la mobilit et la prcarit permettent de sadapter un

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    espace et de trouver des modes dhabiter qui chappent aux standards et entra-nent un rapport plus cologique lenvironnement.

    Lexposition est ainsi appele devenir un processus mobile non seulement parce

    quelle invite changer de territoire, se dplacer dans la ville, mais aussi parce que sa forme et son contenu sont susceptibles de se transformer, de se modifier

    par leur contact avec la ralit, le tissu social et les gens. Elle devient une structure dissipative sans direction ni inscription fixe. Elle engendre un rseau de circula-tion, de tracs, daxes nomades, de lieux discontinus et transitoires. Il ny a pas

    dordre prtabli, ni de linarit, ni de possible totalit, ni de sens prdtermin. Lexposition devient une sorte de processus qui se concrtise au moment mme

    o les uvres ont lieu. Dans sa conception comme dans sa prsentation, elle est

    soumise de nouvelles contingences, des ralits multiples et htrognes.

    Ce caractre performatif de lexposition tient plusieurs facteurs. En voici trois

    qui me semblent les plus significatifs.

    La dimension imprvisible. Pour quune uvre et une exposition fonctionnent dans

    des lieux publics et des espaces caractriss par lanonymat, comme le tissu urbain

    par exemple, il faut quelles comportent une part dalatoire et dimprvisibilit. La

    rception subit une mutation profonde lorsquelle se produit dans des lieux pub-lics. On ne peut pas prvoir et contrler toutes les implications, toutes les nuances qui surgissent entre le public et luvre. Chaque exprience devient singulire et

    sactualise dans la relation. Le contact avec luvre dart se fait autrement que par

    lexprience esthtique, il incite une participation active, engageante, voire per-turbante. Linsertion de lart dans la ville se fait aussi, trs souvent, au dtriment de la reconnaissance de lartiste et mme de lart. Lart est parfois si intgr au rel

    quil tend disparatre et ne plus tre peru comme de tel.

    La proximit des relations humaines. La proximit de lart avec la ralit change

    galement les rapports de lart et de lartiste avec le public. La mdiation se fait sans intermdiaire, autrement dit, sans linterfrence de linstitution ou mme encore du commissaire. Seule luvre dart et lintervention de lartiste assument

    ce rle de mdiation. Cela modifie le rle du public, qui est appel participer

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    activement, non seulement au sens de luvre ou son interprtation, mais sa r-alisation, daprs un principe de convivialit. Cette transitivit noffre pas dobjets contempler, mais des situations avec lesquelles composer.

    Enfin, le troisime : la mobilit. Que se passe-t-il lorsque lart est mobile ou quil

    devient le produit de la mobilit ? Luvre acquiert alors un pouvoir de dissmina-tion et de dlocalisation. Jaimerais terminer en vous prsentant deux exemples

    qui montrent bien que la mobilit est un des principaux enjeux de lart actuel et

    comment elle modifie lexposition pour la rendre elle-mme nomade. La question

    de la mobilit mapparat lune des plus fondamentales auxquelles font face actu-ellement les commissaires dexposition et les institutions. limage des uvres

    dont nous venons de parler, lexposition devient son tour mouvante, mobile,

    elle engendre une exprience du dplacement, comme la traverse de territoires

    gographiques. Nous assistons mme actuellement une migration de lart vers

    des territoires qui sont eux-mmes mobiles, mouvants et instables. La ville en est

    un exemple, mais il y en a dautres.

    Un projet rcent organis en Russie pousse trs loin cette question de la mobilit

    en prenant forme dans le train Transsibrien qui va de Moscou (Russie) jusqu

    Beijing (Chine) : En Route : Via Another Route (organise par le commissaire in-dpendant Adam Carr de Londres). Son titre est emprunt une uvre de lartiste

    conceptuel Lawrence Weiner. Malheureusement, trs peu dinformations existent

    sur le projet : elles se rsument pour lessentiel un site Web (www.trans-siberi-anradio.org). En Route sest droul dans le Transsibrien en partance de Moscou le 12 septembre 2005 pour arriver Beijing le 19 du mme mois. Le dpart avait

    t marqu par une journe de confrences Moscou. Les gens sont tous mon-ts bord pour faire une premire escale en milieu du parcours lUniversit de Novossibirsk o avait lieu une autre journe de confrences, pour ensuite se ren-dre jusqu Beijing et poursuivre les dbats avec des intellectuels et des scienti-fiques chinois. Ce trajet est le plus long au monde : le train a parcouru quelque

    7 867 kilomtres, traversant deux continents dun seul tenant et reliant lEurope

    de lEst et lAsie. Le projet a dbut au mme moment que le colloque Captivat-ing the Moving Mind: Management and Movement in the Age of Permently and

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    Temporary War, organis par le journal politique Ephemeria. Le train tait aussi une radiomobile diffusant des uvres sonores sur des ondes de faible frquence de

    telle sorte que la transmission reste locale, lintrieur du train et son extrieur

    immdiat. Ces uvres faisaient donc le mme trajet que le train.

    Il sagissait dune vritable plateforme mobile. En Route sexposait radicalement

    limprvisible, tant par sa forme que par son contenu. Lexposition ntait pas

    seulement mobile au sens o elle se dplaait dun lieu lautre, parcourant le ter-ritoire et franchissant des frontires. Elle offrait une vritable plateforme dchange et de discussions autour de questions politiques, runissant des intellectuels, des artistes, des activistes en un lieu qui chappe aux restrictions despace et de temps.

    Son but tait dutiliser la mobilit pour franchir des frontires fixes et crer une

    situation de dialogue.

    Sur cette ide de mobilit et pour conclure, je vous prsente une dernire image. Luvre nexiste pas, elle est en train de se drouler au moment o je vous parle. Il

    sagit du Petit muse mobile que lartiste Vida Simon promne actuellement dans les rues de Montral

    Presented at Unspoken Assumptions: Visual Art Curators in Context, Role Call: (re)Placing CuratingDecember 2, 2005, Art Gallery of York University, Toronto, Ontario

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