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UNE PUBLICATION DU GROUPE Par Sophie Pélicier-Loevenbruck, avocat associé, et Benoît Masnou, avocat. Fromont Briens Rémunération : la fin du « tout contractuel » ? Extrait du guide-annuaire 2011 Systèmes de rémunération & d’évaluation Stratégie de recrutement Le point sur...

Fromont Briens · rémunération variable puisse s’en trouver affecté. Cette solution remet ainsi en perspective la thèse suivant laquelle la rémunération a par …

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UNE PUBLICATION DU GROUPE

Par Sophie Pélicier-Loevenbruck, avocat associé, et Benoît Masnou, avocat. Fromont Briens

Rémunération : la fin du « tout contractuel » ?

Extrait du guide-annuaire 2011Systèmes de rémunération & d’évaluationStratégie de recrutement

Le point sur...

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La solution posée par ces arrêts vient clairement contre-dire une jurisprudence de

la Chambre sociale qui considé-rait qu’en dépit de l’existence d’une clause stipulant une fixation unila-térale des objectifs par l’employeur, le salarié était néanmoins en droit de refuser le changement d’objectifs dès lors que ce dernier entraînait une «  modification des bases de la partie variable de sa rémunération »2. Ce faisant, la Chambre sociale vient circonscrire la place du contrac-tuel en matière de rémunération et remet en perspective la thèse suivant laquelle la rémunération présenterait nécessairement une nature contrac-tuelle, y compris dans son mon-tant puisque admettre la variation unilatérale des objectifs équivaut à admettre celle de ce montant.

L’affirmation du pouvoir de direction de l’employeur en matière de fixation des objectifs et partant de celui du montant de la rémunération variable Dans les faits de l’espèce ayant donné lieu à l’arrêt Neopost (P+B) du 2 mars 2011, la situation était la suivante. En 2002, un avenant au contrat de travail est signé entre les parties afin de revoir le système de rému-nération variable. Cet avenant pré-voyait que le plan de rémunération variable ferait l’objet d’une révision annuelle et affirmait explicitement que la fixation des objectifs détermi-nant le montant de cette rémunéra-tion relevait du pouvoir de direction de l’employeur.L’avenant précisait en revanche que les modifications du mode de rému-nération feraient l’objet d’un avenant.

En 2005, l’employeur a ajouté un objectif, dit « chiffres d’affaires annuels contrats de services », en complément de deux autres objectifs préexistants, pour la détermination de l’acquisition et du montant de la part variable.Le salarié soutenait que la modifica-tion intervenue impliquait, non pas seulement le pouvoir de fixation uni-latérale des objectifs qu’il ne contes-tait pas, mais également et surtout la détermination du mode et de la structure de calcul de sa rémunéra-tion. Il considérait dès lors qu’elle constituait une modification d’un

Sophie Pélicier-Loevenbruck, avocat associé

Benoît Masnou, avocat

Sophie Pélicier-Loevenbruck et Benoît Masnou sont avocats au sein du cabinet Fromont Briens et interviennent dans de nombreux dossiers concernant les problématiques de rémunérations. L’activité du cabinet, qui compte plus de cent avocats dont une trentaine d’associés répartis entre Paris et Lyon, est exclusivement dédiée au droit social. Fromont Briens dispose d’une expertise reconnue en particulier en matière d’optimisation des politiques de rémunération (primes bonus, gratifications, avantages en nature, protection sociale, épargne salariale, actionnariat de salariés, avantages collectifs, catégoriels, individuels, politique entreprise ou groupe, nationale ou internationale, situation des dirigeants, etc.). Fromont Briens est également membre des réseaux internationaux Terralex et Employment Law Alliance (ELA).

SUR LES AUTEURS

De manière remarquable, la Cour de cassation a retenu par une série d’arrêts rendus au cours de l’année 2011 qu’une clause contractuelle prévoyant la fixation d’une rémunération variable en fonction de l’atteinte d’objectifs déterminés unilatéralement peut valablement autoriser l’employeur à les modifier sans l’accord du salarié, alors même que le montant de la rémunération variable s’en trouverait affecté1.

Rémunération : la fin du « tout contractuel » ?

D. R

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1 Cass. soc. 2 mars 2011 n°08-44977 Neopost France (P+B) et n°08-44978 Neopost France (non publié), confirmés par Cass. soc. 30 mars 2011, n° 09-42737 Fujifilm Medical Systems France (non publié)

2 Cass. soc. 28 octobre 2008 n°07-40372 société Danel (non publié)

SYSTÈMES DE RÉMUNÉRATION • PAROLES D'EXPERTS

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LES POINTS CLÉS

Le contrat de travail peut valablement prévoir la fixation unilatérale des objectifs par l’employeur dans le cadre de son pouvoir de direction, peu important que le montant de la rémunération variable puisse s’en trouver affecté.

Cette solution remet ainsi en perspective la thèse suivant laquelle la rémunération a par essence une nature contractuelle.

La prévalence de la volonté des parties au contrat de travail est réaffirmée.

La rédaction des clauses d’objectifs présente dès lors un enjeu d’importance pour les entreprises, en particulier dans le cadre des politiques de groupe.

Par Sophie Pélicier-Loevenbruck, avocat associé, et Benoît Masnou, avocat. Fromont Briens

élément essentiel de son contrat de travail ne pouvant lui être imposée. La Cour d’appel de Grenoble a fait droit à son argumentaire au motif que « si la fixation des objectifs relève du pouvoir de direction de l’employeur, la modification de la base de calcul de la rémunération variable […] par la suppression de l’objectif de bonification de la POP et sa transformation corréla-tive en objectif supplémentaire condi-tionnant l’octroi de cette prime, aurait dû recueillir l’accord du salarié en ce qu’elle avait pour conséquence directe de réduire sa rémunération variable » et que « l’employeur [avait] donc modi-fié le contrat de travail du salarié sans son accord ».Remarquablement, la Chambre sociale ne reprend pas ce raison-nement, se démarquant ainsi de la thèse suivant laquelle la rémuné-ration ferait nécessairement partie d’un « socle contractuel » intangible.Elle relève en effet que « lorsque les

objectifs sont définis unilatéralement par l’employeur dans le cadre de son pouvoir de direction, celui-ci peut les modifier dès lors qu’ils sont réalisables et qu’ils ont été portés à la connaissance de salarié en début d’exercice ». La solution est d’autant plus notable que la révision des objectifs est de nature à influer directement sur le montant du variable susceptible d’être attribué. Or, la Cour d’appel avait clairement souligné ce lien pour conclure à l’existence d’une modifi-cation d’un élément essentiel du contrat de travail requérant l’accord préalable du salarié. Il ressort de ces arrêts que la rému-nération variable sur objectifs consti-tue en soi un mode de rémunération. Dès lors, le changement desdits objectifs : substitution d’un objectif par un autre, suppression ou ajout d’un objectif, etc., n’est pas considéré comme constitutif d’une modifica-tion du mode de rémunération.

Cela vaut dans tous les cas, y compris d’ailleurs à montant de distribuable constant, et ce donc alors même que l’ajout d’un objectif nouveau est susceptible de rendre plus difficile l’atteinte de(s) seuil(s) déclenchant tout ou partie du variable.Cette solution est confirmée par l’arrêt Fujifilm Medical Systems France du 30 mars 2011 qui reprend in extenso l’attendu principal précité des deux arrêts du 2 mars. Dans l’espèce ayant donné lieu à cet arrêt, un salarié avait pris acte de la rupture de son contrat de travail au motif d’une modification unilatérale de sa rémunération variable.La Chambre sociale approuve la Cour d’appel d’avoir retenu que la prise d’acte n’était pas fondée au motif que le contrat du salarié stipulait que cette partie variable était fixée selon des modalités déterminées unilaté-ralement par l’employeur dans un document dénommé « pay plan ». Là encore, la solution adoptée retient l’attention, ce d’autant que ce plan de rémunération faisait l’objet d’une remise au salarié contre signature, à chaque début d’année, ce qui aurait pu, en d’autres temps, inciter le juge à considérer que cela constituait un indice du caractère contrac-tuel des objectifs et donc de la part variable afférente.

La rémunération variable ne ressort pas nécessairement du champ contractuelAinsi, la diminution de la rémuné-ration variable s’avère possible sans l’accord du salarié, ce qui consacre indirectement le fait que la ©

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rémunération variable ne pré-sente pas nécessairement un carac-tère contractuel.Cette solution n’allait pas de soi. En effet, certaines décisions jurispruden-tielles antérieures ont pu qualifier tout élément de rémunération comme étant, par nature, contractuel, peu important la réelle intention des par-ties et quand bien même celle-ci fai-sait l’objet d’une explicitation dans la rédaction du contrat de travail. À cet égard, la Chambre sociale a pu retenir que « le paiement de la partie variable de la rémunération constitue un élément du contrat de travail qui ne peut être modifié sans l’accord du salarié »3. Dès lors, il suffit, selon cette concep-tion du « tout contractuel », qu’une mesure comporte une répercussion sur le montant de la rémunération,

qu’elle affecte, même indirectement, le niveau de celle-ci, pour qu’elle s’analyse en une modification du contrat de travail. Ce courant jurisprudentiel a été jugé pertinent par une doctrine majoritaire.Ainsi, de nombreux auteurs, à l’instar du Professeur Emmanuel Dockès, considèrent que la rémuné-ration variable est consubstantielle au contrat de travail, c’est-à-dire fonde l’existence même de la relation de travail, et ce, indépendamment de la volonté des parties au contrat.À l’appui de l’incorporation du salaire dans un « socle contractuel », le Professeur Emmanuel Dockès invoque la notion d’ordre public : « La contractualité du salaire s’impose au nom de l’exigence d’une détermina-bilité du salaire [et] de la prohibition des conditions potestatives. »4 S’écartant de cette conception «  objective  » du contrat (au sens de son objet), la Cour de cassation paraît consacrer la prévalence de la volonté des parties au contrat.

La prise en compte de la volonté des parties au contrat de travailDans l’arrêt du 2 mars 2011, aux visas des articles 1134 du Code civil et L.1221-1 du Code du travail, la Chambre sociale estime que les motifs de la Cour d’appel « tirés de la

modification des objectifs imposés au salarié et de son incidence sur sa rému-nération  » sont inopérants dans la mesure où il existait un « avenant au contrat de travail [qui] stipulait que la détermination des objectifs condi-tionnant la rémunération variable du salarié relevait du pouvoir de direction de l’employeur ». Dans l’arrêt du 30 mars 2011, la Cour de cassation fonde l’absence de modi-fication du contrat de travail du sala-rié sur l’existence d’une stipulation au contrat de travail suivant laquelle la partie variable de la rémunération était fixée par l’employeur dans un document dénommé « pay plan ». Ainsi, l’exclusion de la rémunéra-tion variable du champ contractuel découle de la prévision par les parties d’une détermination unilatérale des

objectifs déter-minant cette rémunération. Ces deux arrêts peuvent donc

s’analyser comme consacrant la liberté contractuelle et de ce fait la prévalence de la volonté des contractants. C’est une conséquence logique de l’abandon de la thèse suivant laquelle la rémunération ferait par nature par-tie du contrat de travail, peu impor-tant la réelle volonté des parties.Désormais, il s’agit clairement pour les juges de vérifier si les parties ont entendu contractualiser ou non le mode de rémunération. Ainsi, la rémunération variable n’est pas nécessairement contractuelle, sauf si les parties en ont décidé autre-ment, par exemple en précisant au contrat son mode de calcul. En pareil cas, il sera effectivement avéré que « le mode de rémunération contrac-tuelle d’un salarié constitue un élément qui ne peut être modifié sans son accord », comme le réaffirme notamment un arrêt postérieur de la Chambre sociale du 29 juin 2011 (09-71107). Pour mesurer avec pertinence la portée de cette solution, il importe de préciser que la Cour de cassation ne peut avoir érigé la contractualisation des effets du pouvoir de direction, comme fonde-ment de l’exclusion de la rémunération variable du champ contractuel. Cette condition apparaît en effet impossible dès lors que le pouvoir de direction se définit par opposition au contrat de travail : depuis 1996,

la Cour de cassation distingue entre d’une part, ce qui relève de la sphère contractuelle et de la volonté et d’autre part, ce qui ressort du domaine du pouvoir de direction de l’employeur. Ainsi, le pouvoir de direction ne pou-vant par définition être objet de négo-ciation, la solution procède de la seule volonté des parties de ne pas contrac-tualiser la rémunération variable.La référence même à la notion de « pouvoir de direction » dans l’attendu de principe désormais retenu par la Chambre sociale est suffisamment rare, a fortiori en matière de rémuné-ration, pour être relevée et regardée comme une réhabilitation.

Pour autant ce pouvoir demeure encadré au regard de critères classiquesLa Cour de cassation rappelle expressément que les objectifs défi-nis unilatéralement par l’employeur doivent être « réalisables et [avoir] été portés à la connaissance du salarié en début d’exercice ».Ces limites sont classiques et corres-pondent au principe suivant lequel l’employeur ne doit pas faire peser le risque de l’entreprise sur le salarié. Par ailleurs, elles sont le reflet de l’évo-lution jurisprudentielle plus générale suivant laquelle le principe de trans-parence doit être appliqué aux critères de détermination de tout élément de rémunération, qu’ils reposent sur des objectifs préalablement définis ou même qu’ils soient discrétionnaires.

Conclusion En définitive, il ressort de ces arrêts que la rédaction du contrat conserve un enjeu d’importance pour déter-miner la marge de manœuvre dont dispose l’employeur pour modifier directement ou indirectement la rémunération variable et, réciproque-ment, la capacité pour le salarié de s’y opposer valablement. En particulier, la rédaction des clauses d’objectifs reprend tout son intérêt, a fortiori pour les entreprises qui pra-tiquent des systèmes de primes ou de bonus sur objectifs, déterminés par le groupe et qui nécessitent une trans-position au niveau local.

3 Cass. soc. 2 juillet 2008 n° 07-403214 E. Dockès, « Consécration de la nature contractuelle du

salaire » RJS /1998, p. 168

« La diminution de la rémunération variable s’avère possible sans l’accord du salarié »