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4 e colloque Groupe Pasteur Mutualité 2011 ©ALTOPRESS/PHOTOALTO/BSIP Le colloque annuel organisé par Groupe Pasteur Mutualité a mis l’accent sur l’urgence de renforcer les partenariats associant les différents intervenants de la médecine de proximité : professions médicales, professions paramédicales, auxiliaires de vie mais aussi aidants non professionnels (familiaux et autres), de plus en plus nombreux à être à l’écoute et au contact des équipes de soins. Médecine de proximité, Aidants et professionnels de santé : quelles complémentarités ? quelles responsabilités ? COMPTE-RENDU DU 4 e COLLOQUE GROUPE PASTEUR MUTUALITÉ 2011 Le 4 e colloque Groupe Pasteur Mutualité, qui s’est tenu à Paris, à la Maison de la Chimie, le vendredi 4 novembre 2011, a permis de débattre de questions qui redessinent peu à peu, bien qu’avec une lenteur certaine, le paysage du système de soin français : quelle place les professionnels de santé laissent-ils aux aidants ? Jusqu’où l’aide aux malades, aux handicapés, aux personnes âgées dépendantes doit-elle et peut-elle aller ? S’agit-il d’un nouveau métier que la société doit encadrer ? Quels sont les modes de coopérations pluridisci- plinaires à mettre en œuvre ? Autant d’interroga- tions qui détermineront, au fil des réponses qui seront apportées ou pas, l’efficacité d’une réelle médecine de proximité, c’est-à-dire au plus près des besoins des patients. 1

G Médecine de proximité, · Docteur Elisabeth Hubert – Ancien ministre de la Santé table ronde n° 3 Éthique, complémentarités, responsabilités Docteur Jean-Pierre Belon

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4e colloque Groupe Pasteur Mutualité 2011

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Le colloque annuel organisé par Groupe Pasteur Mutualité a mis l’accent sur l’urgence de renforcer les partenariats associant les différents intervenants de la médecine de proximité : professions médicales, professions paramédicales, auxiliaires de vie mais aussi aidants non professionnels (familiaux et autres), de plus en plus nombreux à être à l’écoute et au contact des équipes de soins.

Médecine de proximité,Aidants et professionnels de santé : quelles complémentarités ? quelles responsabilités ?

Compte-rendu du 4e Colloque Groupe pasteur mutualité 2011

Le 4e colloque Groupe Pasteur Mutualité, qui s’est tenu à Paris, à la Maison de la Chimie, le vendredi 4 novembre 2011, a permis de débattre de questions qui redessinent peu à peu, bien qu’avec une lenteur certaine, le paysage du système de soin français : quelle place les professionnels de santé laissent-ils aux aidants ? Jusqu’où l’aide aux malades, aux handicapés, aux personnes âgées

dépendantes doit-elle et peut-elle aller ? S’agit-il d’un nouveau métier que la société doit encadrer ? Quels sont les modes de coopérations pluridisci-plinaires à mettre en œuvre ? Autant d’interroga-tions qui détermineront, au fil des réponses qui seront apportées ou pas, l’efficacité d’une réelle médecine de proximité, c’est-à-dire au plus près des besoins des patients.

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De l’acte médical aux actes de soin

L’évolution démographique est connue : en 50 ans, le nombre d’octogénaires a plus que triplé et l’Insee(1) prévoit qu’il sera multiplié par 2,4 à l’horizon 2050. À cette date, 7,3 millions de personnes (soit 10,5 % de la population) auront 80 ans et plus. Mais si nous vivons de plus en plus vieux et en meilleure santé que les générations passées, la longévité reste globalement associée au déclin fonctionnel et aux déficiences cognitives. Parallèlement, la probabilité de rester vivre à domicile s’accroît, même pour les personnes très âgées, « ce qui peut notamment s’expliquer par l’amélioration du niveau de vie, l’urbanisation et la modernisation des loge-ments, ou encore par le développement des services de soins à domicile », analyse l’Insee.

Dans ce contexte, peut-il y avoir suffisamment de professionnels de santé pour prendre en charge la dépendance d’un nombre toujours accru de personnes âgées ? « Ce n’est pas une réponse mathématique envisageable », tranche le Pr Bernard Devulder, d’au-tant plus qu’« il y a aujourd’hui des territoires où la notion de médecin de proximité est en train de dispa-raître complètement, qu’il s’agisse de médecins géné-ralistes ou de spécialistes », assène le Dr Christian Jeambrun, Président du Syndicat des Médecins Libéraux. Au nombre des solutions qui se profilent, il cite la chirurgie ambulatoire, la télémédecine (« dont l’importance est très surévaluée »), l’auto-médication contrôlée (via internet), à condition qu’elle soit encadrée, les pôles et maisons de santé, le transfert de compétences… En fait, comme le souligne Élisabeth Hubert, ancien ministre de la Santé(2), « le terme de médecine de proximité est réducteur : il s’agit moins de la médecine des médecins que de l’offre de soins […]. Le suivi, l’éducation thérapeutique, les soins palliatifs, et même l’opé-ration de la cataracte n’ont pas seulement besoin de médecins… ». Elle estime que se focaliser sur

La médecine de proximité, une

mutation inévitable de l’organisation des soins

introduCtionProfesseur Bernard Devulder – Président d’honneur de la Société Française de Médecine Interne

> Modérateur des tables rondes n° 1 et n° 2.

table ronde n° 1Le rôle des aidants non professionnels dans la médecine de proximité : l’exemple de la maladie d’Alzheimer

Florence Lustman – Chargée de la Mission interministérielle Plan Alzheimer

Marie-Odile Desana – Présidente de l’association France Alzheimer

Judith Mollard – Expert psychologue, association France Alzheimer

table ronde n° 2L’aide des professionnels de santé et la place des auxiliaires de vie dans la médecine de proximité

Dioula Souare – Auxiliaire de vie, membre de l’association FOSAD-Soins et aide à domicile

Françoise Pacchioli / Jacqueline Nevado – Infirmière libérale et infirmière référent

Docteur Christian Jeambrun – Président du Syndicat des Médecins Libéraux

Docteur Pierre De Haas – Président de la Fédération Française des Maisons et Pôles de Santé

Olivier Paul – Délégué national de la Fédération Nationale des Etablissements d’Hospitalisation à Domicile

Docteur Jacques Lucas – Vice-président du Conseil National

de l’Ordre des Médecins

introduCtion de l’après-midiLa médecine générale dans la médecine de proximité : espoirs et nécessités

Docteur Elisabeth Hubert – Ancien ministre de la Santé

table ronde n° 3Éthique, complémentarités, responsabilités

Docteur Jean-Pierre Belon – Premier Vice-président de Groupe Pasteur Mutualité

> Modérateur de la table ronde.

Professeur Jean-Michel Chabot – Conseiller médical du Directeur de la Haute Autorité de Santé

Docteur Jacques Lucas – Vice-président du Conseil National de l’Ordre des Médecins

Maître Laure Le Calvé – Avocat au Barreau de Paris

Maël Lemoine – Maître de conférences en philosophie à la Faculté de Médecine de Tours

Clôture du ColloqueDocteur Bruno Gaudeau – Président de Groupe Pasteur Mutualité

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Notes

1. Bilan démographique, projections de population 2005-2050.2. Présidente de la Fédération Nationale des établissements d’Hospitalisation à Domicile (FNEHAD) et auteur d’un rapport au président de la République (novembre 2010) portant sur la médecine de proximité, autour de trois objectifs : relancer le dialogue avec les médecins libéraux, permettre un large échange avec les professionnels concernés et apporter des réponses aux évolutions de la médecine ambulatoire.

Le terme de médecine de proximité est réducteur : il s’agit moins de la médecine des médecins

que de l’offre de soins

le manque de médecins est une erreur, car l’offre de soin est en pleine évolution, elle se diversifie et s’organise peu à peu autour d’un partage des activités où professionnels et non professionnels sont amenés à œuvrer ensemble pour une meilleure « prise en soin » des personnes les plus fragiles.

Des aidants présents et discrets

Les aidants, familiaux ou non, sont indispensables au maintien des personnes à domicile. Sans eux, « ce serait une catastrophe pour le système de soins » déclare le Pr Bernard Devulder. Non seulement sur le plan humain, mais économique, comme le démontre Marie-Odile Desana, Présidente de l’association France-Alzheimer, en détaillant le « coût » d’une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer : « le reste à charge est d’environ à 1 000 euros/mois ; l’aidant consacre plus de 6 heures par jour au malade (et pas seulement en terme de présence), temps qui est estimé à 3 000 €/mois ». Les aidants familiaux retardent ainsi l’entrée de malades chroniques dans les centres de soins de longue durée, ce qui permet au système de faire d’énormes économies.

Combien sont-ils ces aidants, parents, amis, voisins qui s’occupent d’une personne, dont la qualité de vie, la vie même dépend de leur assistance et de leur dévouement ? On ne le sait pas exactement ! Les chiffres avancés vont de 3,5 à 5 millions. Cette absence de données fiables sur un phénomène

Le Pr Bernard Devulder et le Dr Elisabeth Hubert, ancien ministre de la Santé.

Le Dr Christian Jeambrun, Président du Syndicat des Médecins Libéraux.

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pourtant bien réel est significative. Il s’agit géné-ralement de membres de la famille qui se dévouent naturellement, allant même pour 60 % d’entre eux jusqu’à mettre en péril leur propre état de santé : 30 % des aidants meurent avant la personne aidée. Autre paradoxe, la personne qui vient en aide se voit-elle comme un aidant ? Selon Marie-Odile Desana, la question n’est pas anodine : lorsqu’un enfant, un époux devient un aidant au détriment de sa relation filiale ou matrimoniale, il y a une confusion des rôles préjudiciable à la relation. « Ces aidants, relate Madame Desana, voudraient être seulement des accompagnants, des aimants ».

En écho, Florence Lustman, chargée d’évaluer le Plan Alzheimer 2008-2012, admet qu’il faut respecter la parole des aidants quand ils disent ne pas avoir besoin de formation, et que « parler dans le Plan Alzheimer de ‘‘formation des aidants’’ est peut-être une erreur ». Elle considère d’ail-leurs qu’ils occultent probablement leurs propres problèmes : « Globalement, 82 % des aidants disent

à un an de la f in du Plan Alzheimer (2008-2012), quels enseigne-ments peut-on en tirer en matière de médecine de proximité ? Florence Lustman, Chargée de la Mission interministérielle du Plan Alzheimer dresse un bilan plus que positif. En tout cas pour deux des trois objectifs prin-cipaux du Plan(*), déclinés en 44 mesures. Avec un bémol pour l’objectif n° 2

« Connaître la maladie pour agir ». Il a permis de financer plus de 80 millions d’euros de projets de recherche, aussi bien en sciences fondamentales qu’en sciences humaines et sociales, mais les solu-tions thérapeutiques sont encore loin. L’objectif n° 1 « Améliorer la qualité de vie des malades et des aidants » s’appuie non plus sur les médecins (ce qui a donné lieu aux « consultations mémoire » du plan précédent) mais sur l’aspect strictement sanitaire. Il s’agit d’imaginer un parcours de prise en charge personnalisé. « En dehors d’une démarche spécifique pour diagnostiquer les malades jeunes, c’est-à-dire de moins de 60 ans, il s’agit d’abord de sensibiliser les médecins généralistes au diagnostic de la maladie d’Alzheimer, explique Florence Lustman, car il y aurait entre 550 000 et 850 000 malades non diagnostiqués, ce qui représente un vrai problème de santé publique ». Une démarche est en cours pour mettre en place une « visite longue à domicile » destinée à évaluer (au minimum une fois par an) la santé du malade et de l’aidant. Ce point particulier, non prévu à l’origine du plan, s’est imposé et un cahier des charges est en cours d’élaboration. Cette nécessité de suivi a donné nais-sance aux Maisons pour l’Autonomie et l’Intégration des malades Alzheimer (MAIA), sorte de guichet unique d’accueil et d’information permettant, grâce à une coordination des services sanitaires et médico-sociaux, de réorienter le malade à tout moment selon ses besoins. Ces structures, qui sont au nombre de 55 aujourd’hui (il en faudrait 500 d’ici deux ans), s’adressent à toutes les personnes dépendantes, quel que soit leur handicap.

Des solutions spécifiques sont imaginées pour ralentir l’évolution de la maladie, ou du moins ses conséquences, telles que l’intervention d’un ergothérapeute à domicile en fonction des attentes du malade, pour lui redonner un peu d’autonomie pour s’habiller, se nourrir, faire ses courses.

Quant à l’objectif n° 3 « Se mobiliser pour un enjeu de société », il est directement lié au précédent. Changer le regard de la société sur la maladie d’Alzheimer est le fil rouge de toutes les mesures du Plan.

* www.plan-alzheimer.gouv.fr

Plan alzheimer et soins de Proximité

82 % des aidants disent qu’ils vont bien, et 76 % pensent arriver

à gérer la maladie de leur proche…

Florence Lustman, Chargée de la Mission interministérielle Plan Alzheimer.

Marie-Odile Desana, Présidente de l’association France Alzheimer.

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qu’ils vont bien, et 76 % pensent arriver à gérer la maladie de leur proche, mais cela ne veut pas dire que c’est vrai… ».

Construire une relation de complémentarité entre aidants

Dans la maladie d’Alzheimer, 90 % de l’accompagne-ment est d’ordre psychosocial et non médical. C’est d’ailleurs la base même du cycle de formation gratuite de 14 heures que l’Association France Alzheimer propose aux aidants, structuré en cinq modules : comprendre les symptômes ; connaître les aides exis-tantes ; l’accompagnement au quotidien ; le maintien de la relation ; la nécessité de prendre du répit. Ces formations doivent permettre, dit Judith Mollard, psychologue, de « prévenir les situations d’épuisement des aidants et les encourager à faire appel à de l’aide extérieure. Elles doivent également leur permettre de devenir plus “compétents”, de trouver des réponses

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Au terme d’auxiliaire de vie, Dioula Souaré préfère celui d’assistante de vie, une appellation qui, d’après elle, signifie davantage que d’être seulement au service d’une personne à domicile pour l’aider dans ses besoins quotidiens. Au sein de l’association FOSAD (favoriser et organiser les soins à domi-cile*), elle assiste des personnes dépendantes, souffrant en particulier de la maladie d’Alzheimer. Aujourd’hui, le diplôme d’État d’auxiliaire de vie sociale donne une reconnaissance à ce type de métier de l’ombre. En validant les acquis par l’expérience, des assistant(e)s de vie commencent à peine à être visibles dans le système de soin.

Bien qu’elle l’exerce depuis 25 ans, Dioula Souaré dit que c’est un métier relativement nouveau, certes très pénible tant sur le plan physique que psychologique, mais tellement enrichis-sant : « Il faut d’abord savoir observer, écouter et être patiente ! Et puis il faut connaître les pathologies pour savoir gérer les comportements ». C’est au fil du temps, au fur et à mesure de ses expériences humaines que Dioula Souaré a acquis des techniques de communication avec les personnes malades, mais aussi avec les soignants professionnels et la famille. Communication non verbale parfois avec les personnes ayant perdu l’usage de la parole ; communication avec les personnels soignants par le biais d’un cahier de transmission ; communica-tion subtile avec les proches du malade, qui peuvent ressentir une frustration, voire une jalousie du lien tissé entre le parent malade et l’assistante, qui est de toute façon la porte-parole de la personne malade et le pivot du système relationnel de proximité. Ce métier, qui exige évidemment de l’empathie, du tact et du recul, doit aussi être professionnalisé.

Françoise Pacchioli, infirmière libérale à Grenoble, constate que certaines auxiliaires de vie n’ont pas les formations requises : « Le manque de vrais professionnels entraîne dans certains cas l’embauche de personnes non formées et qui ne sont pas motivées pour ce type de tâche ». Dioula Souaré confirme le besoin de formation complémentaire, de lieu d’écoute et d’échange pour améliorer les prestations des assistantes de vie.

* La Fosad emploie plus de 120 assistant(e)s de vie qui accompagnent plus de 120 familles.

assistante de vie, un métier, un enGaGement

Judith Mollard, Expert psychologue, association France Alzheimer.

De gauche à droite : Dioula Souare, auxiliaire de vie (membre de l’association FOSAD), Françoise Pacchioli, infirmière libérale.

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responsabilité partaGée ?

Table ronde n° 3 « Éthique, complémentarités, responsabilités », avec de gauche à droite : le Dr Jean-Pierre Belon, le Dr Jacques Lucas, Maître Laure Le Calvé, Maël Lemoine et le Pr Jean-Michel Chabot.

Les coopérations pluridisciplinaires soulèvent inévitablement des questions de responsabilité et d’éthique. Sur le plan juri-dique, il n’y a pas encore assez de recul, et même la notion de médecine de proximité n’est reconnue dans aucun texte réglementaire. De nombreuses questions se posent et il n’est pas certain que la loi les réglera toutes. Ainsi, le profession-nel de santé, indépendant, engage sa responsabilité pour une faute qui serait commise par un tiers agissant sous son contrôle médical. Alors selon ce principe, en tant que chef d’équipe pluridisciplinaire est-il responsable des actes et des décisions de l’équipe ? Maître Laure Le Calvé, avocat au Barreau de Paris, explique qu’il est fondamental de préciser dans le protocole de soins, qui fait quoi. Les soignants doivent être à même de démontrer ce qu’ils ont fait précisément. Mais comment prouver qu’on a bien informé un patient avant de réaliser un acte ?

Le Pr Jean-Michel Chabot de la HAS ajoute que ces protocoles précisent aussi les indicateurs qui permettent, le cas échéant, de s’assurer de l’efficacité et de la sécurité de la prise en charge. « Ceci implique de passer du cahier à spirale au dossier informa-tique : franchir ce pas est capital ». Les médecins savent très bien prendre des notes, faire des schémas explicatifs, mais savent-ils toujours renseigner précisément le dossier médical informatisé ?

Maël Lemoine, Maître de conférences en philosophie à la Faculté de Médecine de Tours, dégage deux concepts différents de responsabi-lité : le premier est lié à l’organisation du système de soin. Ce n’est

plus simplement un acte isolé porté par une seule personne, mais un acte intégré dans un réseau d’actes. Et ceci modifie la conception de la responsabilité : « D’un côté, celui qui remplit une fonction a des devoirs liés à celle-ci, sa responsabilité est de nature déontologique et universelle : elle concerne tout le monde. D’un autre côté, il existe une responsabilité personnelle ou morale issue de l’affection particulière éprouvée par le soignant pour le soigné, ou tout simplement de l’empathie d’un être humain face à un autre ». Et c’est bien le cas des aidants non professionnels. La question se pose de la responsabilisation de leur expertise, de leurs compétences : « Doit-on en faire un maillon officiel dans la chaîne des actes de soins, ou bien doivent-ils garder un statut à part ? Cela est délicat à trancher. »

Le Conseil national de l’Ordre des Médecins est très attentif à la déontologie. Son Vice-président, le Dr Jacques Lucas, regrette que la notion d’équipe de soins n’existe pas sur le plan réglementaire dans le secteur ambulatoire. « Il faut donc faire évoluer la loi, élargir cette notion hors des murs de l’hôpital et des institutions, sous le couvert, j’insiste, de l’habilitation par le patient des per-sonnes qui composent l’équipe de soins et partagent son DMP ». Pour le conseil de l’Ordre, ceci n’est d’ailleurs pas l’affaire des professionnels de santé ou des juristes, mais celle des citoyens : « Nous demandons l’organisation d’un débat public, sous la forme d’une conférence de consensus au sujet de la collecte, de l’hébergement, du partage des données personnelles de santé autour de l’idée élargie d’équipe de soins ».

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aux problèmes qu’ils rencontrent et de donner du sens à leur engagement en construisant une relation de complémentarité avec les aidants professionnels ».

Les premières évaluations des formations effectuées dans toute la France en 2010 et 2011 font état d’une grande satisfaction : près de 90 % des participants formés considèrent que la formation va influencer leur approche de la personne malade et améliorer leur relation avec elle. Il ne s’agit donc pas de profession-naliser les aidants mais simplement de leur permettre d’adapter leur comportement à la diversité des situa-tions qu’ils rencontrent au quotidien. Ces formations sont d’ailleurs l’occasion d’échanges entre les aidants, qui reconnaissent apprendre les uns des autres.

Instaurer dialogue et coopération

« L’implication des aidants est telle que l’interven-tion d’un professionnel peut être vécue comme une intrusion dans le couple aidant-aidé », dit Marie-Odile Desana. Face à cette relation triangulée « famille, malade, professionnels », les uns et les autres doivent accepter de faire des compromis. Les professionnels de santé doivent reconnaître l’exper-tise de l’aidant, qui est la personne qui connaît le mieux le malade. Et les familles doivent accepter le professionnel de santé. « Il est important, insiste Madame Desana, que la personne malade reste le centre des préoccupations et que aidants familiaux et professionnels allient leurs compétences au ser-vice de la personne malade. Un dialogue permanent doit donc s’instaurer entre eux pour faire naître une véritable relation de confiance. »

Ceci est particulièrement nécessaire dans les situa-tions complexes qui nécessitent l’intervention de plusieurs personnes : infirmière, auxiliaire de vie, assistante sociale, ergothérapeute, orthophoniste, psychologue… Jacqueline Nevado, infirmière réfé-rente à Grenoble, témoigne : « Nous assistons à des enchevêtrements de compétences et à des confusions entre l’aide et le soin. Les professionnels ressentent le besoin de coordination de leurs interventions ». Elle pense que celle-ci ne peut se faire qu’avec et autour du médecin traitant. Toutefois, elle relève les limites d’une telle coordination : « Le manque de culture commune, qui ne pourra s’acquérir que sur un long terme, lorsque nous aurons créé une vraie culture de la médecine de proximité, sur un territoire donné ».

Tous partenaires

Le manque de coordination, le mauvais emploi des professionnels de santé (des infirmières amenées à faire les courses d’un malade…), l’absence de production de données, le mode de rémunération qui n’existe que face au patient, le retard en matière d’informatisation et d’usage des nouvelles technologies…, autant de

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Les professionnels ressentent le besoin de coordination

de leurs interventions

Table ronde n° 2 « L’aide des professionnels de santé et la place des auxiliaires de vie dans la médecine de proximité », avec de gauche à droite : le Pr Bernard Devulder, Olivier Paul (Délégué national de la Fédération Nationale des Établissements d’Hospitalisation à Domicile) et le Dr Christian Jeambrun.

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Depuis 2008, Groupe Pasteur Mutualité propose, à travers l’organisation de son col-loque annuel, une réflexion analytique et prospective sur des problématiques touchant directement la vie des professionnels de santé.

L’objectif de ces colloques est triple : apporter un éclairage sur des sujets parfois polé-miques, susciter le débat et favoriser les échanges socioprofessionnels. Ils permettent ainsi chaque année l’éclosion de véritables débats d’experts et des témoignages impliquant toutes les professions de santé.

points négatifs que relève l’OMS, qui cite pourtant le modèle de santé français en exemple. « Bonne nouvelle, annonce le Dr Pierre De Haas, Président de la Fédération Française des Maisons et Pôles de Santé, tout cela est en train de changer, avec l’émergence de ces structures qui vont prendre de plus en plus d’importance dans le système de soin ». Elles sont implantées sur l’ensemble

du territoire (253 sont reconnues, et plus de 1 000 sont en projet), aussi bien en zones rurales qu’urbaines et dans les secteurs « difficiles ». À ce titre, elles sont appelées à devenir un élément moteur de la médecine de proximité en fédérant tous les professionnels de santé et les aidants. Même enthousiasme de la part d’Élisabeth Hubert qui déclare : « Bien que beaucoup de mesures préconisées dans mon rapport de mission n’aient pas été suivies d’effet, je n’arrive pas à être complètement pessimiste quant à l’installation de médecins ». Elle se réfère pour cela à son expérience vécue lors d’un concours de l’internat : « Sur les 500 premiers, environ 10 % choisissaient la médecine générale. J’ai voulu connaître les raisons de ce choix. Ce qu’il en ressortait était la notion de proximité, non pas territoriale, mais avec le patient, le désir de ces jeunes de vouloir donner du sens à leur vie, de vouloir être non pas des techniciens de la médecine mais des soignants, des humains. Et je pense que cela donne des perspectives d’espoir pour un exercice médical qui en a bien besoin… » ■■

Évelyne simonnet

Colloques GrouPe Pasteur mutualité Des échanges et débats d’experts sur des problématiques liées à la vie des professionnels de santé.

Au premier rang de droite à gauche : le Pr Bernard Devulder, Catherine Destivelle, le Dr Bruno Gaudeau, le Dr Elisabeth Hubert, le Dr Jacques Lucas, Marie-Odile Desana, Judith Mollard et Dioula Souare. Au second rang de gauche à droite : le Dr Jean-Pierre Belon, Françoise Pacchioli, Jacqueline Nevado, Maël Lemoine, Olivier Paul, le Pr Jean-Michel Chabot et le Dr Pierre De Haas.

Le Dr Pierre De Haas, Président de la Fédération Française des Maisons et Pôles de Santé.