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formation | mise au point 16 Grossesse et vitamine D Faut-il ou non supplémenter en vitamine D durant la grossesse ? Quels sont ou peuvent être les impacts sur le fœtus mais également sur la vie future de celui-ci ? Il n’existe pas de réponse tranchée à ces questions. La carence en vitamine D lors de la grossesse, tout comme la carence en fer, reste sujet à débat. Quelle est la problématique ? Indépendamment de la période particulière qu’est la grossesse, il faut tout d’abord bien différencier les notions de carence, déficit et insuffisance. La carence correspond à un taux infé- rieur à 10 ng/mL, le déficit se situe entre 10 et 20 ng/mL et l’on parle d’insuffisance dès un taux inférieur à 30 ng/mL. La prévalence de cette carence est variable selon les pays, les origines de la population. Sachant d’une part que certaines études montrent en France qu’environ un tiers des femmes enceintes présentent une carence en vitamine D au début du 3 e trimestre, et sachant d’autre part que le statut vitaminique D du nourrisson, durant ses 6 à 8 premières semaines de vie, est directement fonction des réserves générées in utero, ce statut joue-t-il un rôle dans la « programmation fœtale » ? Cette dernière est un concept selon lequel les perturbations, les événements de l’environne- ment fœtal « marqueraient » le code épigénétique du fœtus et seraient susceptibles de modifier son métabolisme, sa crois- sance tant dans sa vie in utero qu’après la naissance, voire jusqu’à sa vie adulte. Vitamine D et métabolisme phosphocalcique La vitamine D est impliquée classiquement dans le métabolisme phosphocalcique, et, hors période de gestation, l’homéostasie calcique agit en régulateur vis-à-vis de la production rénale de 1-25 OH D. Durant la grossesse, tout est fait pour augmenter la production de calcium et favoriser le développement har- monieux du squelette du fœtus. De ce fait, le métabolisme de la vitamine D est un peu différent : après la 12 e semaine, la production de calcitriol est plus importante (3 fois plus que chez la femme non enceinte). Le contrôle de la production rénale de calcitriol par l’homéostasie calcique ne s’exerce plus. La production est directement liée à la concentration en substrat (donc 25-OH D) et est favorisée par la calcitonine, la prolactine, la PTHrP, dont les taux sont naturellement augmentés durant la grossesse. De nombreuses études montrent la relation entre carence en vitamine D chez la mère et hypocalcémie néonatale, mais éga- lement croissance retardée, prise de poids linéaire. Effets non classiques de la vitamine D Si toutes ces études convergent à reconnaître que le statut en vitamine D maternelle conditionne le développement harmo- nieux du squelette non seulement pendant la grossesse mais même plus tard dans l’enfance, les avis sont plus divergents quant à l’impact d’une carence en vitamine D sur les effets dits OptionBio | mardi 30 avril 2013 | n° 489 provoque une hyperthyroïdie néonatale qui tend à se norma- liser par la suite. L’OMS a donc utilisé les données de TSH du dépistage néo- natal d’hypothyroïdie pour affiner les indicateurs sur le statut iodé : si moins de 3 % des TSH néonatales d’une population donnée sont inférieures à 5 mU/L, la situation est considérée comme normo-iodée. L’interprétation des TSH néonatales doit s’entourer de précautions : le prélèvement doit être fait entre le 3 e et 4 e jour pour éviter le pic de TSH de la nais- sance, il faut connaître l’impact possible d’antiseptique iodé sur le fonctionnement thyroïdien du nouveau-né, et prendre en compte les caractéristiques des techniques de dosage de la TSH. Au final, faut-il supplémenter en iode pendant la grossesse ? Il n’existe pas de réponse tranchée. Il est certes nécessaire d’augmenter l’apport en sel iodé au niveau de la population générale, mais il faut là encore savoir raison garder. L’apport d’iode optimal, c’est celui qui prévient la carence iodée de la femme enceinte, sans tomber dans l’excès et sachant que l’OMS préconise un apport de 250 mcg/jour. | Source D’après des communications de Véronique Raverot (Laboratoire d’hormonologie, Centre de biologie et pathologie Est, Centre hospitalier universitaire de Lyon) et David Cheillan (Service des maladies héréditaires du métabolisme et dépistage néonatal, Centre de biologie et pathologie Est, Centre hospitalier universitaire de Lyon) – Journées inter- nationales de biologie (JIB) – Novembre 2012. Bref rappel sur la synthèse de vitamine D Environ 80 % de notre pool vitaminique D provient d’une synthèse cutanée, et 20 % seulement d’origine alimentaire. La 25 OH D, produite par le foie, est considérée comme non active biologiquement. Utilisée cependant pour apprécier le statut vitaminique du fait de son lent turn over, elle est transformée par la 1 alpha hydroxylase rénale en 1-25 OH D ou calcitriol, forme hormonale active. Des cellules, autres que rénales, possèdent également cette enzyme et peuvent produire le calcitriol. Celui-ci se lie alors au récepteur VDR, et forme un complexe actif classiquement sur le métabolisme phosphocalcique, mais également impliqué dans la modulation de l’expression de centaines de gènes.

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Grossesse et vitamine DFaut-il ou non supplémenter en vitamine D durant la grossesse ? Quels sont ou peuvent être les impacts sur le fœtus mais également sur la vie future de celui-ci ? Il n’existe pas de réponse tranchée à ces questions. La carence en vitamine D lors de la grossesse, tout comme la carence en fer, reste sujet à débat.

Quelle est la problématique ?Indépendamment de la période particulière qu’est la grossesse, il faut tout d’abord bien différencier les notions de carence, déficit et insuffisance. La carence correspond à un taux infé-rieur à 10 ng/mL, le déficit se situe entre 10 et 20 ng/mL et l’on parle d’insuffisance dès un taux inférieur à 30 ng/mL. La prévalence de cette carence est variable selon les pays, les origines de la population.Sachant d’une part que certaines études montrent en France qu’environ un tiers des femmes enceintes présentent une carence en vitamine D au début du 3e trimestre, et sachant d’autre part que le statut vitaminique D du nourrisson, durant ses 6 à 8 premières semaines de vie, est directement fonction des réserves générées in utero, ce statut joue-t-il un rôle dans la « programmation fœtale » ? Cette dernière est un concept selon lequel les perturbations, les événements de l’environne-ment fœtal « marqueraient » le code épigénétique du fœtus et

seraient susceptibles de modifier son métabolisme, sa crois-sance tant dans sa vie in utero qu’après la naissance, voire jusqu’à sa vie adulte.

Vitamine D et métabolisme phosphocalciqueLa vitamine D est impliquée classiquement dans le métabolisme phosphocalcique, et, hors période de gestation, l’homéostasie calcique agit en régulateur vis-à-vis de la production rénale de 1-25 OH D. Durant la grossesse, tout est fait pour augmenter la production de calcium et favoriser le développement har-monieux du squelette du fœtus. De ce fait, le métabolisme de la vitamine D est un peu différent : après la 12e semaine, la production de calcitriol est plus importante (3 fois plus que chez la femme non enceinte). Le contrôle de la production rénale de calcitriol par l’homéostasie calcique ne s’exerce plus. La production est directement liée à la concentration en substrat (donc 25-OH D) et est favorisée par la calcitonine, la prolactine, la PTHrP, dont les taux sont naturellement augmentés durant la grossesse.De nombreuses études montrent la relation entre carence en vitamine D chez la mère et hypocalcémie néonatale, mais éga-lement croissance retardée, prise de poids linéaire.

Effets non classiques de la vitamine DSi toutes ces études convergent à reconnaître que le statut en vitamine D maternelle conditionne le développement harmo-nieux du squelette non seulement pendant la grossesse mais même plus tard dans l’enfance, les avis sont plus divergents quant à l’impact d’une carence en vitamine D sur les effets dits

OptionBio | mardi 30 avril 2013 | n° 489

provoque une hyperthyroïdie néonatale qui tend à se norma-liser par la suite.L’OMS a donc utilisé les données de TSH du dépistage néo-natal d’hypothyroïdie pour affiner les indicateurs sur le statut iodé : si moins de 3 % des TSH néonatales d’une population donnée sont inférieures à 5 mU/L, la situation est considérée comme normo-iodée. L’interprétation des TSH néonatales doit s’entourer de précautions : le prélèvement doit être fait entre le 3e et 4e jour pour éviter le pic de TSH de la nais-sance, il faut connaître l’impact possible d’antiseptique iodé sur le fonctionnement thyroïdien du nouveau-né, et prendre en compte les caractéristiques des techniques de dosage de la TSH.

Au final, faut-il supplémenter en iode pendant la grossesse ? Il n’existe pas de réponse tranchée. Il est certes nécessaire d’augmenter l’apport en sel iodé au niveau de la population générale, mais il faut là encore savoir raison garder. L’apport d’iode optimal, c’est celui qui prévient la carence iodée de la femme enceinte, sans tomber dans l’excès et sachant que l’OMS préconise un apport de 250 mcg/jour. |

SourceD’après des communications de Véronique Raverot (Laboratoire d’hormonologie, Centre de biologie et pathologie Est, Centre hospitalier universitaire de Lyon) et David Cheillan (Service des maladies héréditaires du métabolisme et dépistage néonatal, Centre de biologie et pathologie Est, Centre hospitalier universitaire de Lyon) – Journées inter-nationales de biologie (JIB) – Novembre 2012.

Bref rappel sur la synthèse de vitamine D

Environ 80 % de notre pool vitaminique D provient d’une synthèse cutanée, et 20 % seulement d’origine alimentaire. La 25 OH D, produite par le foie, est considérée comme non active biologiquement. Utilisée cependant pour apprécier le statut vitaminique du fait de son lent turn over, elle est transformée par la 1 alpha hydroxylase rénale en 1-25 OH D ou calcitriol, forme hormonale active. Des cellules, autres que rénales, possèdent également cette enzyme et peuvent produire le calcitriol. Celui-ci se lie alors au récepteur VDR, et forme un complexe actif classiquement sur le métabolisme phosphocalcique, mais également impliqué dans la modulation de l’expression de centaines de gènes.

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non classiques. Ceux-ci sont dus au caractère ubiquitaire du récepteur VDR, à la production extrarénale de calcitriol et au fait que le calcitriol soit impliqué dans la modulation de l’expres-sion de centaines de gènes, indépendamment du métabolisme phosphocalcique.

Le système immunitaireLes cellules dendritiques, les macrophages, les lymphocytes présentent des récepteurs VDR et ces cellules du système immunitaire possèdent la 1 alpha hydroxylase permettant de produire le calcitriol. Il est considéré que cette production de calcitriol, locale, régulerait la prolifération cellulaire et explique-rait le rôle activateur de cette vitamine sur l’immunité innée, et son effet inhibiteur sur l’immunité acquise.Le calcitriol favorise notamment la transformation des mono-cytes en macrophages. Ces macrophages ayant 1 alpha hydroxylase et VDR, la production et l’activation locale de calcitriol va favoriser la production de cathélicidine, peptide antibactérien. Ainsi différentes études montrent par exemple que le risque de vaginoses bactériennes augmente en cas de carence en vitamine D chez la femme enceinte.Inversement le calcitriol inhibe l’immunité acquise en réduisant la différenciation des cellules dendritiques, des lymphocytes T de type H1… Ceci pourrait avoir un effet bénéfique sur cer-taines pathologies auto-immunes comme le diabète de type I, comme le montrent des études faites sur le rat.

Sclérose en plaquesParmi les autres effets non classiques de la vitamine D, on peut citer également l’impact possible sur la sclérose en plaques. Les facteurs impliqués dans l’apparition de cette pathologie sont multiples, notamment génétiques et environ-nementaux et certaines études évoquent un lien entre risque de survenue de sclérose en plaques et mois de naissance, c’est-à-dire en lien avec le taux d’ensoleillement?… c’est-à-dire en lien avec le statut vitaminique D ?De la même manière, d’autres études abordent l’impact du statut vitaminique maternel sur l’allergie de l’enfance. Le diabète gestationnel, la pré-éclampsie sont-ils également favorisés par une carence en vitamine D ?

Quelles recommandations ?La supplémentation en vitamine D durant la grossesse fait l’objet de nombreux débats, à commencer par la définition des valeurs seuils à prendre en compte pour assurer cette supplémentation.Si l’Institut of Medicine aux États-Unis considère que le taux à atteindre est de 20 ng/mL, les sociétés françaises prônent plutôt une valeur seuil à 30 ng/mL… Il n’y a pas non plus de consensus sur les apports nécessaires à la femme enceinte : l’Institut of Medicine considère que ces apports ne doivent pas être différents de la femme hors grossesse, à savoir 600 UI/jour avec une valeur maximale à 4 000 (soit 100 ng), tandis que l’Endocrine society avance des taux de 1 500 à 2 000 UI/jour.Il n’existe donc pas de recommandations qui fassent consen-sus actuellement, tout comme il n’existe pas d’essais ran-domisés en cours.La vitamine D est incontestablement nécessaire au dévelop-pement harmonieux du fœtus, de l’enfant voire de l’adulte, mais les études sont encore trop divergentes pour conclure sur son rôle dans les diverses autres pathologies de la femme enceinte et dans la programmation fœtale. Sans doute faut-il toujours raison garder, et être vigilant aujourd’hui à ne pas confondre les notions d’association et de causalité dans des mécanismes dont on ne connaît pas précisément les rouages physiopathologiques et qui sont toujours multifactoriels. |

Déclaration d’intérêt : l’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

ROSE-MARIE LEBLANC

Consultant biologiste, Bordeaux

[email protected]

Source

D’après une communication de Stéphanie Lemaire-Ewing (Laboratoire de biochimie spécialisée, Centre hospitalier universitaire de Dijon) – Journées internationales de biologie (JIB) – Novembre 2012.

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