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Numéro 213 GUÉRISONS et MIRACLES Septembre-Octobre 1994

GUÉRISONS et MIRACLES - ccmf.fr · pour discerner le caractère miraculeux d'une guérison dans le cadre de la Béatification des Serviteurs de Dieu, qui furent retenus et utilisés

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Numéro 213

GUÉRISONS et

MIRACLES

Septembre-Octobre 1994

Dimanche 2 octobre 1994 à l'occasion de la fête de Saint-Côme et Saint-Damien et par fidélité avec une ancienne tradition de pèlerinage

RENCONTRE à LUZARCHES des médecins, pharmaciens

et professions de santé

9 h 30 : Accueil

(Val-d'Oise, à 9 km au sud de Chantilly) Salle Polyvalente, place de l'Europe

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10 h GUERIR ... VOULOIR GUERIR ... ETRE GUERI ... Les chemins de guérison dans notre relation au malade par le Père Jean-Claude Badenhauser, s.j. Directeur-adjoint des «Fontaines», ex-délégué diocésain à la pastorale de santé

11 h Carrefours (Échanges et partage d'expériences)

12 h Repas sur place (inscription indispensable avant le 20 septembre)

14 h 15 : Carrefours (suite)

15 h 15 : Table ronde

16 h 30: Messe, à l'Église Saint-Côme et Saint-Damien de Luzarches

Homélie du Père Pierre Lambert, op.

Pour tout renseignement: contacter le Père René Queniart, curé de Luzarches - Tél.: (1) 34. 71.00.08

WJEIDJll'CDIIFIIE 8 IDJE IL~WCDWWIE Revue du Centre Catholique des Médecins Français

BIMESTRIEL

RÉDACTEUR EN CHEF

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CONSEIL DE RÉDACTION

MM. les Docteurs ABIVEN (Paris), BARJHOUX (Chambéry), BLIN (Paris), BOISSEAU (Bordeaux), BOST (Paris),

BREGEON (Angers), CHARBONNEAU (Paris),

DEROCHE (Joué-les-Tours), GAYET (Dijon), GERARDIN (Brive),

Mme le or GONTARD (Paris), MM. les ors LIEFOOGHE (Lille),

MALBOS (Le Mans), MASSON jBar-sur-Aube),

REMY (Garches), SOLIGNAC (Perpignan)

COMITÉ DE RÉDACTION

M. ABIVEN - F. BLIN - M. BOST M. BOUREL - J.M. BOUVIER

P. CHARBONNEAU - P. CHARDEAU F. GOUST - M.J. IMBAULT-HUART

J.M. JAMES - P. LAMBERT J.M. MORETII - H. MOUROT

ADMINISTRATION RÉDACTION

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Centre Catholique des Médecins Français

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Le numéro franco : 60 F C.C.P.: C.C.M.F. 5635-34 T Paris

N° 213 - SEPTEMBRE-OCTOBRE 1 994

SOMMAIRE

• Liminaire, par le Père Jean-Marie Moretti ........................ .

• Les énigmes scientifiques des guérisons miracu­leuses, par le pr André Trifaud ............................... .

• Action de Dieu, action du médecin,

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par Mgr Bernard de Lanversin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8

• Psychosomatique et discernement du miracle, Mise en place d'une problématique, par le Père Xavier Thévenot . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12

• Théologie du miracle, par le Père André Dupleix

• Le surnaturel au quotidien,

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par le Père Étienne Garin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22

• Guérisons miraculeuses : point de vue d'un protestant, par le Pasteur François Rochat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29

Liminaire par le Père J.-M. MORETTI s.j.

Dans le n° 204 de Médecine de l'Homme (mars-avril 1993), un encart annonçait le Congrès International des Médecins Catholiques et en donnait le Programme. Ce Congrès s'est tenu à Lourdes les 22-23-24 octobre 1993, à la demande de la F.I.A.M.C., transmise au C.C.M.F. par notre ancien président, le pr Nenna (t).

Très vite, le Bureau du C.C.M.F. choisit le thème de ce Congrès: puisqu'il devait se tenir à Lourdes, la ville mariale par excellence où ont lieu des guérisons dont la cause est sujette à débat (spontanées ou miraculeuses?), pourquoi ne pas étudier entre médecins les modalités de ces gué­risons?

Peu à peu, le programme s'est élaboré. Trois titres le résument, ceux des trois journées du Congrès:

- Santé et Guérison (vendredi 22-10-93).

- Les Guérisons miraculeuses (samedi 23-10-93).

- Miracles et Foi (dimanche 24-10-93).

L'ensemble des communications - une quinzaine au total - ·a paru dans le Rapport du Congrès de Lourdes. De nombreux médecins ayant omis de commander ce Rapport, le C.C.M.F. a jugé utile de publier dans Médecine de l'Homme les cinq conférences qui cernent davantage l'aspect religieux de la question.

Dans !'Avant-Propos du« Rapport», le pr Bregeon, président du C.C.M.F. en 1993, écrivait ces lignes:

«La matinée du dimanche 24 octobre a été entièrement consacrée à l'interface entre le mira­cle-événement et le miracle-signe, entre la guérison déclarée inexplicable par les médecins et la foi qu'elle interroge et peut contribuer à développer. La théologie moderne du miracle nous a été pré­sentée par le Père A. Duplex, puis le Père E. Garin nous a ouvert à la sensibilité des communautés charismatiques sur ce problème. Sous le titre « Psychosomatique et discernement du miracle », le Père X. Thévenot a abordé successivement 3 thèmes : pathologie psychique et accueil du royaume, psychosomatique et discernement du miracle. Les deux dernières conférences ont cherché à pré­ciser comment on pouvait comprendre aujourd'hui l'action de Dieu dans le monde: pour le Père B. de Lanversin, l'action de Dieu et l'action du médecin sont synergiques et complémentaires; le Père P. Lambert insiste sur le rôle de la familiarité amicale avec Dieu, nécessaire pour reconnaître un éventuel miracle, et dont l'absence peut contribuer à expliquer un certain recul de la réalité du miracle dans les dernières décennies.

Au terme de ce congrès, et peut-être plus encore qu'auparavant, nous sommes pleinement conscients des difficultés que soulève, pour nos contemporains incroyants et même chrétiens, la notion même de guérison miraculeuse, aussi bien par rapport aux conceptions médicales et scienti­fiques actuelles que par rapport aux interrogations religieuses qu'elle suscite. Le projet du congrès était de faire progresser la réflexion médicale sur ces questions, et de mieux séparer les plans, afin de moins donner prise aux objections rationalistes qui nous sont souvent opposées. Avons-nous atteint nos objectifs?»

C'est pour permettre aux lecteurs de Médecins de l'Homme d'en juger que nous publions ces conférences. Dans le même but, nous avons ajouté le témoignage d'un protestant, le Pasteur François Rochat, qui a bien voulu nous donner son sentiment sur le thème du Congrès.

2 MÉDECINE DE L'HOMME N° 213

LES ÉNIGMES SCIENTIFIQUES DES GUÉRISONS MIRACULEUSES

par le pr André TRIFAUD (*)

MÉDECINE DE L'HOMME N° 213

L'EXPERTISE MÉDICALE DISSECTION D'UNE ORIGINE

C'est en 1858, très tôt après les apparitions, que des guérisons imprévisibles sont survenues, après usage de l'eau de la source, et que des médecins les ont confirmées en reconnaissant leur caractère « surna­turel».

L'Église, consciente de la valeur apologétique de ces événements, voulut cautionner le caractère mira­culeux de ces guérisons par une garantie scientifique. D'où la création, en 1883, du Bureau Médical des Cons­tatations.

Ce bureau, ouvert à tout médecin, quelle que soit son origine ou sa croyance, restera jusqu'en 1946 lunique instance du contrôle médical, limitant son action à la constitution d'un dossier médical précisant la nature de la maladie en cause et attestant que la gué­rison s'est produite indépendamment de tout trai­tement efficace.

En 194 7, Monseigneur Théas, tout en maintenant le Bureau Médical des Constatations, créa un Comité Médical de Lourdes afin qu'un contrôle plus rigoureux par des médecins plus compétents garantisse mieux la valeur des conclusions.

En 1954, le Comité Médical de Lourdes acquit une autre dimension et une plus grande audience, en devenant le Comité Médical International de Lourdes -Le CMIL.

Tout naturellement, ce sont les critères énoncés en 1734 par le Cardinal Lambertini, futur Pape Benoît XIV, pour discerner le caractère miraculeux d'une guérison dans le cadre de la Béatification des Serviteurs de Dieu, qui furent retenus et utilisés à Lourdes pendant long­temps.

Ces critères furent définis à une époque où le niveau de la connaissance médicale n'impliquait pas, et ne justifiait pas, le recours préalable à une consultation de caractère scientifique avant la reconnaissance d'une guérison.

Les énigmes ne posaient pas de problèmes parce que le prodigieux n'interpellait pas la Raison. Plus tard, afin de ne pas hypothéquer les bases mêmes du jugement des instances médicales par des entraves for­melles dépassées, il a paru souhaitable à Monseigneur

(•) Marseille.

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Les énigmes scientifiques

Henri Donze que le CMIL, tout en conservant le schéma général des règles établies par Benoît XIV, les expli­citent à la lumière des données médicales modernes.

Le travail du CMIL pour actualiser les critères tradi­tionnels des guérisons inexplicables a abouti à une grille de questions utilisée depuis 1977 (reproduite en annexe).

L'énigme scientifique n'a de réelle existence que si l'expertise médicale d'une guérison inattendue dispose d'un dossier complet, possédant tous les documents d'un diagnostic de certitude et d'un pronostic rai­sonné.

La maladie

Les états pathologiques dont les manifestations sont uniquement subjectives et donc incontrôlables doivent être récusés.

(Le terme objectif s'opposant à celui de subjectif doit être préféré à celui d'organique s'opposant à celui de fonctionnel.

Le terme organique doit, en effet, être considéré dans le sens lésionnel (lésion organique à lorigine de la maladie ou lésion organique induite par la maladie).

Le terme fonctionnel doit être appliqué à un trouble physiopathologique (dysfonctionnement à l'origine de la maladie ou dysfonctionnement induit par la maladie). Celui-ci peut s'exprimer aussi bien par des manifestations subjectives que par des manifestations donnant lieu à des constatations objectives. Dans cette terminologie, il ne convient donc pas d'éliminer les per­turbations fonctionnelles mais bien seulement les per­turbations strictement subjectives.]

Doivent être récusées par le CMIL : - les affections sans caractère de gravité, même si

elles sont de nature durable ; - les affections de nature transitoire ou intermittente

pour lesquelles la guérison ou une amélioration notable ou une longue période de rémission sont habituellement observées de manière spontanée ;

- les affections pour lesquelles les traitements entrepris rendent compte, en tout ou en partie, de la guérison constatée.

La matérialité de létat pathologique reposant sur un diagnostic de certitude, le pronostic doit être établi sur les données habituelles et éventuellement statis­tiques de l'expérience clinique.

La Guérison

Elle doit être affirmée médicalement sur la base de constatations objectives mais doit aussi s'accom­pagner de la suppression des doléances subjectives exprimées antérieurement par le malade.

C'est dire que la guérison doit être, non seulement un fait médicalement contrôlé, mais aussi un fait res­senti par le malade.

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Indépendamment des circonstances dans les­quelles il s'est effectué, le phénomène guérison en lui­même, qu'il porte sur une invalidité ou un risque vital, doit apparaître comme tout à fait contraire aux prévi­sions du pronostic.

Caractère subit de la guérison

Le caractère subit ou ins.tantané de la guenson mérite discussion et doit être envisagé selon les données médicales actuelles.

Dans l'état de la connaissance des siècles passés, les seuls états pathologiques identifiables se caractéri­saient obligatoirement par des signes d ·extériorisation évidents (paralysie, cécité, fistule, etc.) vis-à-vis des­quels la notion de disparition instantanée constituait l'expression nécessaire et suffisante d'une guérison miraculeuse.

Cette instantanéité se retrouve constamment dans tous les miracles du Christ; représentant l'unique possi­bilité pour appréhender objectivement la guérison et pour percevoir sa valeur de« signe».

Elle fut, à juste titre, considérée comme un critère essentiel à l'époque de Benoît XIV.

Les progrès du diagnostic de la médecine moderne, grâce aux différentes investigations actuelles, permettent d'identifier des états pathologiques internes sans extériorisation clinique spectaculaire et pourtant de très grande gravité pronostique. C'est le cas, tout particulièrement, de beaucoup d'affections cancé­reuses mais aussi de bien d'autres états patholo­giques.

C'est dire que, pour ces cas, la guérison ne peut être objectivement constatée par une modification subite de signes cliniques souvent très discrets mais seulement, secondairement, sur des critères évo­lutifs.

(Non sans humour, mon ami le Docteur Mangiapan, a relevé dans des rapports médicaux un certain nombre de contorsions linguistiques caractérisant des instanta­néités «relatives», «morales>>, « inapparentes » ou même «prolongées»).

Caractère de perfection de la guérison

La disparition des manifestations cliniques objec­tives, bien que constituant le critère essentiel de la gué­rison, n'implique pas, sur le plan des lésions anato­miques, la nécessité d'une totale restitutio-ad­integrum, dans la mesure où les stigmates organiques et même physiopathologiques n'ont plus, ni de caractère évolutif, ni de répercussion pathologique.

Caractère définitif de la guérison

Le caractère définitif de la guérison, dans l'état actuel de la connaissance médicale, doit être retenu pour un état de guérison dont la durée est tout à fait contraire aux prévisions les plus optimistes du pro­nostic.

MÉDECINE DE L'HOMME N° 213

Outre qu'il est, en fait, impossible jusqu'à la mort du malade (et à condition encore que les causes de sa mort puissent être spécifiées avec certitude) d'affirmer que la guérison d'une affection a été définitive, on doit considérer qu'une très longue survie pour une affection dont la mort était, à brève échéance, l'aboutissement certain, constitue un phénomène absolument extraordi­naire.

Ainsi donc, qu'il s'agisse de l'instantanéité, de la perfection et de la durée de la guérison constatée, ces caractères, assortis de l'explication actuelle qu'il convient de leur donner, n'en constituent pas moins des éléments qui, à eux seuls, peuvent avoir une immense valeur pour juger ce qu'il y a d'inhabituel ou d'inexplicable dans la guérison en cause.

Par ailleurs, le CMIL s'est longuement penché, sous la conduite de son président, le Professeur Kammerer, sur le problème délicat mais combien important posé par des états où la disparition soudaine d'une surcharge psychonévrotique plus ou moins manifeste peut être interprétée comme une guérison prodigieuse par un public non averti.

BILAN DES GUÉRISONS

Le Docteur Mangiapan a publié des chiffres qui sont intéressants à considérer. • Entre 1883 et 194 7, le Bureau Médical des Constata­

tions a retenu environ 3 500 guérisons dont ~8 seu­lement ont été déclarées miraculeuses par l'Eglise.

• Depuis 194 7, le Comité Médical National puis Inter­national n'a retenu que 29 guérisons, dont 19 ont été déclarées miraculeuses par l'Église.

La comparaison des chiffres entre ces deux périodes fait apparaître : - La diminution considérable des guérisons retenues

par un contrôle médical dont certains apprécieront le sérieux et d'autres blâmeront la rigueur.

- La sagesse de l'Église qui, quelle que soit l'époque, a manifesté une constante mesure dans le discer­nement du fait miraculeux dans un jugement qui se veut « prudentiel » et se déclare «non infaillible».

INTERPRÉTATIONS DIVERGENTES DE L'ÉNIGME

Pour ce qui concerne les sciences médicales, on avait pu, jusque dans la première moitié du xx0 siècle, se fonder sur des certitudes inaccessibles au doute et faire ainsi l'impasse sur la possibilité que lénigme posée par une guérison puisse être interprétée comme une insuffisance de la connaissance scientifique.

Il a fallu définitivement tourner une page : celle qui prétendait lier la reconnaissance d'une guérison miracu­leuse à une certitude scientifique probante.

En effet, l'évolution accélérée de la connaissance scientifique débouche, en permanence, sur des énigmes qui se succèdent au fur et à mesure qu'une réponse donne naissance à une nouvelle interro­gation.

Le vocabulaire des conclusions médicales change. Il n'est plus question de guérisons« contraires aux lois

MÉDECINE DE L'HOMME N° 213

naturelles». Elles deviennent seulement « inhabi­tuelles», «imprévisibles», «inexplicables», et même «inexplicables dans létat de la connaissance médicale».

L'expert aboutit à des conclusions «ne pouvant s'opposer à ce que l'on puisse reconnaître les gué­risons, éventuellement, comme miraculeuses», selon l'heureuse formule du Père Dubarle en 1948.

Monseigneur Eyt écrit : « Ce qui frappe ici, c'est bien la note négative de tous les adjectffs retenus dans les constatations conclusives ... Elle se réfère à la réserve, liée qu'elle est à l'impossibilité de fait d'une explication.»

A la limite, les médecins, qui longtemps avaient joué le rôle de médecins-contrôleurs de Miracle, furent considérés par certains théologiens comme des méde­cins-contestataires de Miracle.

Les énigmes médicales

Le progrès est une lumière qui dissipe lobscurité d'une énigme.

Il y aura toujours de nouvelles énigmes et toujours de nouveaux progrès.

Je pense qu'il n'est pas inutile d'expliciter cette notion par quelques exemples que j'ai choisis dans le domaine de l'oncogénèse parce qu'il est de ceux où lavance a été la plus spectaculaire au cours des der­nières années et auquel, aussi, j'ai été confronté du fait de l'intérêt que j'ai porté aux sarcomes osseux.

Exemples d'énigmes résolues

On connaît, depuis lobservation princeps de Quirin en 1921, des cas rares mais non exceptionnels de gué­rison spontanée de neuroblastomes (tumeurs malignes para-rénales d'origine embryonnaire). Ces régressions, y compris de cas présentant des métastases osseuses ou hépatiques, s'observent dans environ 2 à 3 % des cas, chez le nourrisson presque toujours avant l'âge de 6 mois.

Le mécanisme de ces guérisons spontanées était, jusqu'à ces toutes dernières années, totalement inex­pliqué.

On sait aujourd'hui que le développement tumoral est le fait de la persistance tardive d'un gène anormal qui maintient la division cellulaire au stade embryon­naire, à la fois ultra-rapide et mal différenciée. Norma­lement, c'est au cours de la vie in utero que ce gène reçoit un complément qui régularise le rythme et la nature de la division cellulaire.

La guérison, avec la régression tumorale et la nor­malisation cellulaire, s'opère par l'action d'un com­plément génique, ou anti-oncogène, qui intervient dans les premiers mois après la naissance.

Qu'aurait pu être la conclusion d'une expertise médicale si cette guérison énigmatique s'était produite dans le cadre de Lourdes avant que ses causes natu­relles n'aient été mises en lumière 7 Il en est de même pour le rétinoblastome où la délétion d'un chromosome 13 généralement paternel, associée à une perte de l'hé­térozygotie détermine le processus tumoral par inhi­bition d'un gêne Rb qui normalement joue le rôle de

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Les énigmes scientifiques

répresseur de la division cellulaire maligne. Les cher­cheurs de l'Université de Californie, à San Diégo, ont réussi il y a quelques années, une grande première expérimentale en normalisant les cellules d'une culture tissulaire de rétinoblastome par l'apport de « l'anti­oncogène » qui lui faisait défaut.

Exemples d'énigmes inexpliquées

• On a pu, exceptionnellement, assister à la régression totale et à la guérison spontanée de métastases pulmo­naires contrôlées histologiquement de tumeurs osseuses à cellules géantes. Nous en avons rapporté une observation dans la Revue de Chirurgie Orthopé­dique en 1975 et fait état d'une dizaine d'observations analogues publiées dans la littérature. • En 1972, mon maître, le Professeur Michel Salmon a rapporté devant le CMIL la guérison ,spontanée d'un sarcome ostéolytique du bassin que l'Eglise a déclarée miraculeuse. • En 1982, j'ai présenté, avec le Docteur Calvin, un rapport devant le CMIL concernant la guérison spon­tanée d'un sarcome du tibia chez une jeune sicilienne. Ce fut la deuxième guériso,n retenue par le CMIL et reconnue miraculeuse par l'Eglise.

Si, à ce jour, aucune explication ne peut être avancée concernant ces guérisons qui demeurent des énigmes, peut-on affirmer qu'un jour les progrès de la connaissance en matière d'oncogénèse n'éclaireront pas la compréhension de ces phénomènes. Les récents travaux japonais de Noda et Sugimoto ont montré le rôle inhibiteur de la division cellulaire maligne « d'anti­oncogènes » qui ont été isolés et expérimentés in vitro sous le nom de protéines Kreu 1. Il ne fait pas de doute actuellement que nombre de guérisons spontanées de cancers ont des causes naturelles.

Dans notre rapport au Congrès Français de Chi­rurgie sur le« Pronostic et le Traitement des Sarcomes ostéogènes » en 1972, nous écrivions :

«Si les chemins de la guérison sont étroits et encore inex­plorés, ils suivent certainement un itinéraire précis que nous devons baliser. Il est difficile de croire que la diffé­rence du pronostic réside dans une mystérieuse vertu qu'auraient certains sarcomes à ne pas diffuser ... La gué­rison passe par un «avortement» du processus tumoral.»

Dans une note critique sur l'évaluation des essais thérapeutiques dans les sarcomes osseux, lors d'une réunion internationale à Paris en 1989, j'écrivais:

<<Nous ne devons pas céder à la tentation illusoire de confondre pronostic vital et résultat thérapeutique ... gué­rison et traitement ... La prise de conscience que des éléments pronostiques pré­établis conduisent certains malades à la guérison spon­tanée est importante. Prendre conscience de ces guérisons spontanées et approfondir la connaissance de leurs mé~a­nismes (anti-oncogènes - inhibiteurs de la dérégulation des facteurs de division cellulaire), c'est ouvrir la voie de la thérapeutique à des lendemains peut-être triomphants. »

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L'ÉGLISE ET LA MÉDECINE FACE AUX GUÉRISONS MIRACULEUSES

La crise entre théologiens et médecins n'est plus d'actualité.

En témoignent les différences de position qu'ont pu prendre deux évêques, à 28 ans de distance :

Le premier, celui de Nantes en 1948, s'est prononcé, de façon très nette, contre la nuance «dans l'état actuel de la science»... si naturelle et habituelle sous la plume des experts médicaux, puisqu'à elle seule, elle rendait ((invalide et même sans objet)}, tout jugement sur le caractère miraculeux d'une guérison: Le deuxième, /'Archevêque de Trente en 1976, croyant nécessaire, dans sa déclaration offficiel/e, de préciser: <<la guérison de Monsieur Vittorio Micheli ne peut avoir dans /'état actuel de la science, et à niveau humain, aucune explication possible»... (Dr Mangiapan).

Dans son exposé lors du Colloque de Rome en Novembre 1988, le Révérend Père Latourelle, Professeur à l'Université Grégorienne à Rome déclare :

On n'invite évidemment pas le médecin à prononcer le mot miracle. Si, dans le passé, il se sentait presque contraint à porter à lui seul le poids du verdict, ce passé est révolu. On demande au médecin de parler en médecin : il est invité à évaluer ce qu'il obseNe au niveau de sa com­pétence. Il n'a pas à dire s'il y aura ou non des miracles au prochain millénaire. Il n'a pas non plus à s'inquiéter de la raréfaction des miracles dans le monde ou à Lourdes.

Qu'est-il légitime d'attendre de /'expertise médicale? D'abord et avant tout que le médecin parle, obseNe, décrive et juge en médecin, avec toutes les techniques nouvelles à sa disposition, même les plus sophistiquées.

Même si /'instance médicale devait révéler que les tech­niques appliquées dans le passé étaient incomplètes et insuffisantes, on ne saurait en conclure pour autant à un constat de non-inteNention divine. Sinon, dans cinquante ans, on pourrait contester les obseNations actuelles. Les critères proposés par BenoÎt XIV, en 1734, seNaient à baliser la recherche, mais sans prétendre la réduire ou /'éteindre, surtout quand ils 'agit de pousser plus en avant et plus profond. A cet égard, la grille de critères établis par le Comité médical international de Lourdes mérite d'être retenue.

Plus /'expertise médicale sera complète, plus riche sera le dossier recueilli, plus le jugement prudentiel de l'Église en tirera profit. L'Église sera toujours heureuse d'accueillir un travail bien fait, consciencieux, sans préjugé, sans dis­torsion du réel.

En empruntant des voies parallèles, qui sont leurs cheminemel)ts propres, théologiens et médecins ont réconcilié l'Eglise et la Science.

Ce qui apparaît beaucoup plus importal)t encore, c'est qu'après cette tentation scientiste, l'Eglise soit revenue à ce qui fut toujours sa conception sur la nature du Miracle dont la perception exige un acte de Foi.

Enfant, on m'a appris que le miracle ne pouvait être «contraignant». La mystique ne peut se réduire à une

MÉDECINE DE L'HOMME N° 213

équation mathématique. Son accès est libre mais nécessite une adhésion volontaire.

Même les miracles du Christ échappent à une démonstration probante qui imposerait la contrainte et supprimerait l'élan de la Foi.

L'aveugle qui voit, le paralytique qui marche, laissent une part au doute d'une pathologie pithia­tique.

Et même Lazare ressuscité ne peut exclure un état léthargique dont on sait qu'il a provoqué des confu­sions avec la mort.

Le Christ tout-puissant n'a pas voulu faire repousser un membre amputé afin que la Foi ne soit pas une obligation mais une liberté.

Le colloque de Rome

C'est en novembre 1988 que s'est tenu, à Rome, un colloque réunissant, sous la présidence de Son Excellence le Cardinal Angélo Felici, Préfet de la Congrégation pour la Cause des Saints, le CMIL conduit par Monseigneur Jean Sahuquet et Monseigneur Henri Donze, et la Consulta Medica de la Congrégation.

La rareté des guérisons authentiques à Lourdes a été évoquée dans la mesure où elle peut constituer une déception vis-à-vis de l'attente des pèlerins et des malades.

Cette question mérite une réponse, mais la solution n'est certainement pas dans un recours à un laxisme complaisant. En revanche, on doit considérer que cette rareté n'est sans doute qu'apparente et concerne les reconnaissances officielles de guérison miraculeuse qui exigent une enquête sérieuse, reposant sur une docu­mentation très complète.

VIENT DE PARAÎTRE

La pensée charismatique, lorsqu'elle s'exprime sans déviation psychique, est fondée d'admettre l'exis­tence de nombreuses guérisons reçues par les inté­ressés comme un signe que Dieu leur adresse, mais qu'ils sont seuls à percevoir.

Dans une intervention qui a retenu l'attention du Cardinal Félici, j'ai établi un parallèle entre le nombre très réduit à la fois des guérisons miraculeuses officiel­lement reconnues par l'Eglise et des Canonisations.

On est en droit de penser que les guérisons miracu­leuses sont, en réalité, beaucoup plus fréquentes et de croire aussi que le Paradis n'est pas un club fermé, et qu'il accueille une foule de Justes non canonisés.

Pour finir, je vous invite à écouter les conclusions de Sa Sainteté le Pape Jean-Paul Il : «Les guérisons, les dons extraordinaires sont nombreux. Tous ne sont pas connus, moins souvent encore constatés dans le cadre d'une expenise sérieuse... et reconnus, ensuite, authentiques par l'Église. » «Depuis longtemps le concours des médecins a été pré­cieux pour aider au discernement, selon leur propre niveau de compétence.»

«Au fur et à mesure des progrès de la science on com­prend mieux certains faits. Mais il reste que de nom­breuses guérisons constituent une réalité qui n'a d'expli­cation que dans/' ordre de la Foi, que l'examen scientifique le plus rigoureux ne peut nier a priori. » « Votre recherche commune prendra en considération les interventions divines constatables, dans le contexte scien­tifique que suppose et exige leur examen, mais aussi à la lumière de la foi en la toute-puissance de la miséricorde divine. C'est à cette lumière révélée que se situe votre recherche et qu'il convient d'apprécier les travaux dont vous avez reçu la mission. Je vous encourage à les pour­suivre avec les exigences de votre science et aussi dans le respect de la grandeur de Dieu saint et fort. »

MANUEL DE SOINS PALLIATIFS sous la direction de M.-F. LAMAU

Ce manuel rassemblant l'enseignement du Diplôme Universi­taire de Soins Palliatifs des Facultés Catholiques de Lille est un ouvrage important pour la documentation médicale franco­phone, et qui vient à son heure. Depuis une dizaine d'années, la notion de Soins Palliatifs et d'un accompagnement spécifique pour les mourants s'est répandu dans notre pays ; et déjà de multiples livres et articles ont été consacrés à ces sujets. Jamais, à ma connaissance n'avait été regroupé dans un ouvrage tout ce qu'un soignant doit savoir aujourd'hui, sur ce thème. C'est maintenant chose faite grâce à ce manuel. Et les divers auteurs qu'il s'agisse des médecins, des para-médicaux, des psychiatres ou psychologues, des travailleurs sociaux, des religieux ou des moralistes sont tous impliqués dans cette pra­tique de l'aide aux mourants ce qui assure la grande qualité des diverses contributions.

MÉDECINE DE L'HOMME N° 213

Trois grandes parties dans cet ouvrage : - une approche clinique et thérapeutique avec en particulier

une documentation importante et précise sur le traitement de la douleur,

- une approche psychologique, s'intéressant au mourant lui­même, à sa famille et à ses proches, et au retentissement de ce travail particulier sur les soignants et sur l'équipe soi­gnante,

- enfin une approche éthique, réflexion essentielle dans cette phase de la vie où les enjeux sont si importants.

Remercions M.-F. Lamau, directrice du Centre d'Éthique médicale de l'Université Catholique de Lille, d'avoir mené à bien ce travail et de nous fournir là, un ouvrage qui, jus­qu'alors, manquait aux soignants francophones.

M.A.

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ACTION DE DIEU, ACTION DU MÉDECIN

par Mgr Bernard de LANVERSIN (*)

Lorsque le Docteur Pilon m'a proposé le sujet que je dois traiter devant vous, ma première réaction a été celle du Prophète Jérémie et j'ai eu la tentation de répondre : « Ah 1 Seigneur, je ne saurai pas parler » (Jer. 1 /7) ; et ceci en raison de la gageure de prétendre traiter de l'immensité de l'action de Dieu en une demi­heure seulement.

Puis allant plus loin dans la lecture du Livre Prophé­tique, j'y trouve cette parole rassurante:« Partout où je t'envoie, tu y vas ... n'aie peur de personne: je suis avec toi pour te libérer». Et de fait, malgré une certaine diffi­culté d'élocution, j'ai pensé qu'un « laryngectomisé » s'adressant à un aéropage de médecins pouvait être un hommage à ceux de vos confrères qui lui ont rendu la capacité de communication. Aussi ai-je accepté avec simplicité, en vous demandant de bien vouloir excuser la monotonie de mon débit.

1. - QU'EST-CE QUE DIEU 7 QUI EST DIEU 7

Je voudrais tout d'abord essayer de poser un pro­blème qui se présente actuellement à un grand nombre de gens qui réfléchissent, jeunes ou moins jeunes, en dehors d'une expérience vivante, d'une expérience pro­fonde et personnelle de Dieu: c'est l'abus qui est fait par nos contemporains du Nom de Dieu, et par voie de conséquence le vide que représente le mot que l'on emploie: «Dieu». Ce n'est pas seulement un acte d'ignorance, c'est aussi la marque de l'incapacité de certains, de beaucoup peut-être, de cerner la notion de Dieu par un terme.

Autrefois, on aurait pu dire que le mot Dieu est comme un nom propre, non pas une définition de ce dont on parle, mais un mot compris de tous, parce qu'il correspond à une «Personne», à quelqu'un connu de tous, comme le Dieu vivant qui est« La Vie», qui est «La Vérité», la «Joie», la «Plénitude», qui est le but vers lequel tend toute vocation, en même temps que l'impulsion primitive qui les a amenés à l'être.

Eh bien, cela qui était chose possible autrefois, qui est resté chose possible de nos jours pour ceux qui ont une expérience de Dieu, n'a plus de sens pour beaucoup d'autres.

Aussi est-on amené à chercher un Nom, qui n'est pas une définition limitative, mais un symbole qui indique ce dont on parle sans essayer de le contenir.

(•)Rome.

MÉDECINE DE L'HOMME N° 213

Pour ce faire, il faut bannir de notre mémoire tant de représentations imagées, ou de nous abstenir de penser Dieu selon les catégories humaines, pour recevoir lenseignement Biblique, où il nous est dit «qu'il a plu au Seigneur d'habiter la nuée obscure» (1 Rois 8/12).

Et, de fait, nous nous trouvons devant une réalité extrêmement complexe: d'un Dieu de qui il est dit que l'homme est à son image, et qui dépasse toute notion qui se rapporte à l'homme; qui est dit« personnel», et qui n'est pas une personne dans le sens limitatif où nous employons ce terme dans le langage humain par rapport à d'autres humains. Un Dieu qui n'e~t pas sta­tique, qui est infiniment dynamique dont l'Etre-même est au-delà de ce qu'il est, en même temps qu'il est à l'intérieur de ce qu'll Est.

Et tout cela, tous ces paradoxes, toutes ces ten­sions, tout ce Mystère divin se place à l'intérieur de notre connaissance humaine, il appartient à lordre de la Révélation, c'est-à-dire de ce que Dieu peut et veut nous découvrir, nous dévoiler de Lui-même. Car c'est bien Dieu qui fait connaître son Nom à Moïse, lors de la première extase à l'Horeb, lorsqu'il lui parlait depuis le buisson ardent:« Je suis celui qui suis», Il dit:« Tu par­leras ainsi aux fils d'Israël, 'Je suis m'a envoyé vers vous' (Ex. 3/4). »Tout ceci le met en évidence: !'Incon­naissable se fait connaître et, par une pure grâce, il se révèle à l'homme.

Or, cet acte révélateur ne peut s'accomplir que dans la «présence » ; et cela à tel point que le Nom de Dieu, le plus propre qu'll puisse révéler, est celui par lequel il se signifie comme «le Dieu-Présence». Dans le récit du Buisson ardent, « Je suis » ne signifie pas pre­mièrement« j'existe», mais« ma Présence», et la révé­lation de mon Nom comme «Présence», sont pure grâce. Dieu se manifeste à son Peuple, il est« présent» à son Peuple, il est « Présent » comme grâce fondée sur la seule initiative de I' Amo4r se donnant personnel­lement. Et tout au long de !'Ecriture, il est aisé de voir combien les termes utilisés pour parler de Dieu, comme les Noms donnés à Dieu, expriment non pas une ten­tative de définition, mais une relation.

C'est ainsi que Dieu apparaît à la fois, en tant que problème, en tant que Vie, en tant qu'Espérance et que Joie, mais surtout en tant que Créateur. Cette dernière notion est souvent traitée de façon très pauvre : trop souvent comme un acte souverain qui donne une pre­mière impulsion, en appelant à l'existence un monde qui n'existait point.

Il y a bien autre chose dans la notion de Création. Et la première que nous devons saisir est que Dieu crée, appelle à l'existence parce qu'il nous veut, nous, êtres humains, et tout le monde visible et invisible qui nous entoure. Il nous veut compagnons de son éternité, non pas comme présence éphémère, transitoire dans la suite des siècles, mais li nous veut pour toujours, pour toute l'éternité, dans cette relation inconcevable de compagnonnage avec des êtres libres, créés à son image et à sa ressemblance.

C'est donc à l'intérieur de cette relation essentiel­lement d'amour entre un Être Tout-Puissant et souve­rainement libre et un être créé et voulu libre, lui aussi, que se trouve le nœud du problème qui se pose aujour­d'hui: il dépend de l'action de Dieu et de l'action de l'homme. Il part d'une intention toute miséricordieuse

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du Créateur, qui prépare, non dans l'espace, non dans sa plénitude substantielle, mais en son fécond Amour, une capacité de vie, de béatitude, d'union transfor­mante pour d'autres que Lui-même ; des autres, c'est­à-dire des personnes susceptibles de disposer de soi, de se refuser ou de se donner, d'être élevées à la dignité de devenir « causes » et de contribuer à leur immortel destin.

Il. - ACTION DE DIEU, ACTION DE L'HOMME

A) Dans le déroulement de /'Histoire. - Nous sommes en face de ce redoutable problème : comment peut-il y avoir un Agir absolu, Tout-puissant, qui est «Présence» et qui «opère tout en tous» (1 Cor. 12/6) ; et comment à la fois peut-il y avoir des êtres vraiment agissants, vraiment maîtres de leur destinée, vraiment capables de coopérer à leur propre bonheur en devenant semblables à la Cause Première, puisque par Elle et en Elle, ces agents peuvent être dits «causa sui».

Pour cela, pour nous faire être, Dieu s'est comme retiré ; pour nous laisser la place, il s'est anéanti, nous dit saint Paul « seipsum exinanivit » (Eph. 2/7). C'est donc à nous de lui restituer sur nous-mêmes l'empire dont Il s'était volontairement dépouillé, afin de nous permettre de le Lui restituer, librement aussi, et par amour.

C'est en approfondissant ce problème fondamental que l'on est amené à discerner les deux dons que, partout et toujours, la Philosophie chrétienne et la Théologie catholique ont indiqué comme constituant lénoncé du problème vital qui doit être résolu : - d'un côté, le don de la nature raisonnable, avec ce

qu'elle comporte de connaissance de Dieu et du monde, de liberté et d'obligation; tout cela accordé, pour ainsi dire, comme mise de fonds que nous avons à faire valoir ;

- d'un autre côté, un don infiniment supérieur sous forme d'appel, qui ne permet pas à l'homme de rester légitimement à l'étage où il se croît chez lui ; don gratuit, et cependant tellement obligatoire pour l'homme, qu'il ne peut pas le refuser sans être cou­pable de s'endetter.

Mais alors que Dieu a consenti à s'effacer pour nous laisser une place souveraine, c'est à nous de le rétablir en nous-même, comme si nous étions les libres auteurs de cette créature nouvelle, où se trouvent fondues et unies deux vies, deux amours, qui s'échangent dans un parfait détachement et dans une possession complète d'elles-mêmes.

8) Mais par une intervention spéciale et gratuite du Dieu de Puissance et d' Amour en faveur de la fragilité humaine, il peut y avoir, dans des cas exceptionnels, une irruption de la « Cause première » divine, intempo­relle et libre, dans notre monde soumis aux détermi­nismes et aux « causes secondes ». Je veux parler du miracle, comme signe et anticipation du salut éternel, Action de Dieu à son propre niveau.

C'est une œuvre de la Toute-Puissance de Dieu « contraire à la nature » dans son aspect le plus frappant de prodige, mais en réalité« supérieure à la nature», la transcendant comme signe de la transformation gratuite de l'homme et de I' « Univers, par l'Amour de Dieu qui

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Action de Dieu, action du médecin

sauve et renouvelle tout; non seulement en apparence, mais en vérité; non seulement pour les hommes d'hier, mais pour ceux d'aujourd'hui et de tous les temps.

Évidemment, quand il s'agit d'exprimer ce qui se produit au niveau du phénomène, sous l'action de Dieu, nous ne pouvons que balbutier, car les mots nous man­quent : c'est comme si l'on sautait la barrière du temps et de lespace, à la manière du Christ qui échappe à la distance et à la durée après sa résurrection, et laisse furtivement entrevoir quelque chose du monde glorifié. Dieu, en ce cas, agit à son niveau. Par là, la nature est moins contrariée ou violentée que restaurée, élevée; elle est dynamisée analogiquement à laction de la grâce, qui atteint lopération volontaire de l'homme dans son premier jaillissement, et le fait vivre à son insu au rythme de la vie divine, pour en faire un fils de Dieu.

Dans ces cas exceptionnels, la relation entre l'action de Dieu et l'action de l'homme est dominée, de la part de l'homme, par un acte de Foi, c'est-à-dire «l'acte d'adhésion personnelle à Dieu» (Catéchisme n° 150), un acte qui cherche à comprendre le signe de Celui qui se révèle, soit dans le mystère de son dessein divin sur le monde, soit dans la signification d'un prodige, qui peut révéler l'action exceptionnelle comme « Présence » toute puissante et permanente de Dieu.

Sans cet acte de Foi, que je décrirais comme« l'ou­verture du cœur à Dieu qui se manifeste», aussi bien l'action de Dieu que celle de 1:homme sont entravées. Les épisodes miraculeux de l'Evangile, exemplaires en ce domaine, en sont le témoignage : A Nazareth, parce que ses compatriotes ne croyaient pas, Jésus « ne pouvait faire là aucun miracle » nous dit saint Marc. Et partout ailleurs, c'est dans un contexte d'acte de Foi ou d'appel à la conversion que se font les principales guérisons miraculeuses opérées par Notre Seigneur (Jn. 9/ 1 ; Mc. 2/9; Mt. 11 /25; etc.)

Ill. - ACTION DE DIEU, RÉACTION DU MÉDECIN

Dussé-je quelque peu malmener le titre qui m'a été proposé, car au regard de l'action de Dieu la véritable action du Médecin est lexercice quotidien de sa pro­fession au service de la vie, dont Dieu est le maître, je crois qu'il serait plus juste de dire: «Signe extraordi­naire de l'action divine et réaction du Médecin». Cela entre davantage, me semble-t-il dans le cadre du Thème général de ces Assises.

En face d'une manifestation biologique extraordi­naire ou inexplicable, telle qu'une gyérison prétendue miraculeuse et son processus de reconnaissance aux trois niveaux : médical, canonique et épiscopal, nous devons admettre que le problème se pose de façon fort différente de nos jours, en raison des modifications sérieuses qu'ont connues les sciences médicales et le droit canonique lui-même. a) Du fait des acquisitions considérables depuis un demi-siècle, on peut dire que la science, par son dyna­misme, est de plus en plus conduite à des interroga­tions dont elle reconnaît qu'elles ne relèvent plus tou­jours de sa méthode, et sur lesquelles elle ne peut plus

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se prononcer avec autant d'assurance que naguère. Dès lors, c'est à l'homme de science, et non plus à la science en tant que telle, à se prononcer en conscience sur la validité de ces questions et des réponses pro­posées par d'autres domaines de connaissance.

b) D'autre part, depuis la prise en compte des philoso­phies personnalistes dans la pensée de l'Église, le Droit Canonique lui-même a introduit dans ses règles les notions de droits subjectifs des personnes, qui, dans bien des cas, lui a fait perdre une certaine âpreté qu'il tenait des règles de droit positif, et lui confère une orientation beaucoup plus théologique.

De ce fait, les composantes du « miracle » deviennent une œuvre d'interdisciplinarité. Reconnaître et défendre l'autonomie de la science et de la foi, ne signifie nullement les cloisonner dans leurs domaines respectifs, mais au contraire postule de nombreuses possibilités de contacts et d'échanges. D'un côté la Foi et les sciences théologiques ont besoin de l'esprit cri­tique développé par les sciences, non seulement pour se purifier d'une conception magique du monde et de ses survivances mal comprises (Gaudium et Spes n. 7), mais aussi pour mieux préciser son objet, sa valeur épistémologique propre et son domaine spécifique.

De leur côté, les sciences médicales ont besoin de la philosophie et, en dernière instance, de la Foi, pour fonder sa propre activité et lui conférer un sens, puisque l'objet propre de son étude est le corps de l'être humain. D'où la nécessité d'un véritable «dia­logue » qui conduira pas à pas à découvrir la complé­mentarité des divers modes de connaissance, unifiés dans et par le sujet humain.

Dans le cas précis, de quoi s'agit-il en effet? D'un être humain qui vit de façon particulière le « mystère de la souffrance», et qui est l'objet d'un événement, d'un fait précis d'ordre biologique, qui lui fait conclure à une guérison. Pour en juger, un comité d'experts médicaux est chargé d'établir la réalité du fait et son aspect extra­ordinaire ; un tribunal de canonistes a la charge de lui reconnaître la valeur de « signe » ; et il revient à l'ins­tance épiscopale de définir prudemment « le signifiant » de ce signe, à savoir: si l'on peut considérer pru­demment cette guérison extr~ordinaire comme un signe d'amour accordé par Dieu, Etre souverainement libre, pour susciter de la part d'une créature, également libre, une réponse d'amour qui l'engage totalement. Car une des composantes importantes pour juger d'un miracle est de considérer ses effets dans la vie ,spirituelle du bénéficiaire (à ce titre les miracles de l'Evangile sont exemplaires).

1) Or, les difficultés commencent quand on demande au médecin de formuler son avis sur une gué­rison présumée miraculeuse. Et en tout premier lieu, la maladie existait-elle? Le diagnostic, en effet, ne peut être exact que si on en fournit la preuve : par l'histoire de la maladie (connaissance et apparition des troubles) par la preuve purement clinique, où le diagnostic est fonction d'une sémiologie rigoureuse et d'une interpré­tation exacte et qui demande à l'expert de faire confiance au médecin qui, au départ, a posé le diag­nostic (mérite-t-il confiance?), et enfin par les examens

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complémentaires qui, comme le diagnostic clinique, ne valent que s'ils sont bien faits et correctement inter­prêtés.

2) En second lieu l'expert est affronté au problème du pronostic: la valeur prédictive d'un jugement cli­nique, qui doit normalement suivre les lois biologiques qui règlent les événements pathologiques semblables à celui soumis à l'expert. Ici aussi, il est difficile de prévoir avec exactitude l'évolution d'une atteinte pathologique, d'autant plus qu'un jugement pronostique peut subir des démentis, du fait du décours de la maladie dans un cas particulier.

Autrement dit, jusqu'à présent, l'expert est tenu de « reconstruire » la maladie, sa gravité et son évolution, par l'intermédiaire d'observations qu'il n'a pas faites lui­même, et, si l'on peut dire « post factum » puisque le malade ne présente plus les signes qu'on lui attri­buait.

A ce sujet, et dans un souci de concertation avec les autorités religieuses comme pour plus de clarté, je ne saurais trop recommander de faire suivre le rapport d'expertise de la meilleure bibliographie possible sur le cas pathologique concerné. Cette possibilité de consulter les « Auctores probati » permet au Tribunal canonique de compléter son information sur les points qui lui paraîtraient obscurs, alors qu'ils sont évidents ou presque pour tout praticien.

3) Vient enfin le problème de la guérison. Mais nous pourrions demander: qu'est-ce qu'une guérison? Car ce n'est pas seulement la disparition des symp­tômes extérieurs de façon durable, mais c'est surtout la cicatrisation ou la disparition durable des lésions que l'affection avait provoquées dans l'organisme et dans les tissus. A ce sujet, je dois dire que les règles posées par le Cardinal Lambertini, qui n'était pas encore Benoît XIV, ne sont pas « articles de loi », mais bien plutôt un schéma directeur, adopté par la coutume pour permettre une confrontation entre scientifiques et juristes. Et je dois dire qu'avec le recul du temps, certains termes sont difficilement compréhensibles pour l'une et l'autre partie. En particulier deux règles de ce schéma posent de graves questions. a) L'instantanéité de la guérison. Je crois pouvoir dire ici que cette notion est plus théologique que biologique. En effet, aux yeux du théologien il est le signe qui permet de discerner l'intervention de Dieu, qui est en dehors du temps et qui peut agir au-dessus et au-delà des contingences temporelles.

Je n'ignore pas que pour le médecin-expert, compte tenu des acquisitions récentes de la médecine

psycho-somatique, ce problème d'instantanéité pose de nouvelles interrogations, et doit demander le soutien compétent d'autres disciplines de connaissance, telles que la psychiatrie. Mais, ne serait-ce pas l'occasion d'établir un diagnostic différentiel du phénomène, dit d'instantanéité, en fonction des sept ou huit critères qu'utilise la médecine psycho-somatique pour indivi­dualiser un phénomène qui relève de sa spécialité ? b) L'absence ou /'inefficacité du traitement, est diffici­lement concevable de nos jours en raison de l'arsenal thérapeutique de grande performance mis à la dispo­sition des médecins. Mais il est évident que ces théra­peutiques ne sont pas dépourvues d'effets secon­daires, parfois importants, sur l'état général du malade.

Je me permets ici de faire une suggestion, qui pourrait, en certains cas, avoir une valeur critique. Serait-il possible de prendre en compte la diminution notable ou même l'absence de ces effets secondaires, inévitables dans la majorité des cas semblables soumis aux mêmes thérapeutiques 7 C'est un problème que je soumets à votre sagacité, mais qui pourrait avoir un certain poids auprès du canoniste, en cette fin de xxe siècle.

EN CONCLUSION

Puisque nous sommes ici dans le domaine de Celle qui a chanté en notre nom à tous : « Le Seigneur fit pour moi des merveilles», je crois qu'il est important de sou­ligner la nécessité de conserver dans notre cœur une certaine faculté d'émerveillement : - non pas l'émerveillement trop facile et un peu stupide

de l'illuminé ; - non pas l'émerveillement, très compréhensible, du

malade tout-à-coup libéré d'une souffrance harce­lante, d'un traitement trop agressif ou des servitudes de l'immobilisation;

- mais l'émerveillement plus profond, plus raisonné, du ministre de Dieu qui, jour après jour, scrute les pro­fondeurs de la Révélation de la Sagesse divine ;

- mais l'émerveillement aussi du médecin qui, par delà les misères, les maladies et les souffrances, découvre les splendeurs de la Création, jamais tota­lement inventoriée. Car Dieu a voulu pour chacun d'entre nous, pour reprendre une pensée de Pascal, «qu'il y ait assez de lumière pour éclairer les élus et assez d'obscurité pour les humilier». C'est peut-être cela aussi le «Mystère de Lourdes».

RECTIFICATIF

Le comité de rédaction de« Médecine de l'Homme» prie M. Patrice Guy, auteur de l'article« Des­sine-moi un mouton», présenté dans le dernier numéro 211-212 de mai-août 1994 de« Médecine de l'Homme» page 41, de bien vouloir l'excuser d'une erreur dans l'attribution du nom d'auteur.

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PSYCHOSOMATIQUE ET DISCERNEMENT DU MIRACLE Mise en place d'une problématique

par le Père Xavier THÉVENOT s.d.b. (*)

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Je voudrais réfléchir ( 1) ici sur la façon dont on peut poser la question des rapports entre la foi chrétienne, la psychosomatique, la guérison et le discernement du miracle. Cette conférence sera davantage la mise en place d'une problématique que la présentation de solu­tions à tous les problèmes soulevés. Pour commencer, il semble souhaitable de clarifier la manière générale dont la pathologie psychique interfère avec la sanctifi­cation, c'est-à-dire avec l'accueil du Royaume de Dieu. Cela permettra de mieux comprendre comment la mise en œuvre de certaines réalités de la foi peut contribuer à la santé psychique et somatique, et dans quel sens il conviendrait d'élaborer une réflexion sur le miracle qui prenne en compte les découvertes de la psychosoma­tique.

1. - PATHOLOGIE PSYCHIQUE ET ACCUEIL DU ROYAUME

La façon dont la pathologie psychique (2) interfère avec la sanctification peut se formuler sous forme de deux thèses :

1 . Toute pathologie psychique conduit le chrétien à sélectionner, le plus souvent de façon inconsciente, certaines réalités de la foi, à déformer et isoler certaines autres, bref à briser l'harmonie de la Révélation ché­tienne, afin de sauvegarder l'homéostasie de son système de défenses psychiques.

2. Réciproquement, le contact existentiel avec la Révélation chrétienne, quand il s'opère sous l'action de la grâce, et en lien avec une communauté ecclésiale saine, amène le chrétien à purifier ses attachements premiers aux réalités de la foi, à mieux réintégrer cel­les-ci dans un ensemble harmonieux, et du coup à modifier le système de défenses, à progresser, au moins sur certains points, en maturation humaine, et à diminuer son déséquilibre psychique (3).

rl Paris. ( 1) Une version plus développée de cette conférence a été publiée

en italien dans Salesianum, 55, 1993, 611-621. (2) Je reprends dans cette partie la substance de mon article

«Déséquilibre psychique et sanctification», paru dans la revue Prêtres diocésains, mai 1992.

(3) On trouvera des compléments d'information dans X. Thévenot, Compter sur Dieu, études de théologie morale, Paris, Cerf, 1992, ch. 12 et 13.

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Il est clair que ce double mouvement de sélection­déformation - isolation d'une part, et de purification­intégration d'autre part, instaure entre le psychisme et la foi vécue une sorte de boucle rétroactive, ou mieux de mouvement hélicoïdal ascendant que le sujet devra effectuer sans se lasser jusqu'à sa mort.

Les réalités de la foi et la structure psychique

Pour mieux comprendre ces thèses, revenons tout d'abord à une évidence psychosociologique, elle-même renforcée par une conviction théologique : le psychisme de l'homme religieux rencontre nécessairement sur son chemin des «objets visibles ou palpables de croyance». Cela est vrai, a fortiori, pour le chrétien, car le Dieu qu'il cherche à aimer s'est révélé dans la figure visible de Jésus de Nazareth. Bien plus, comme celle-ci est à son tour devenue non visible ou non spatio­temporelle depuis I' Ascension, elle est aujourd'hui elle-même médiatisée par l'accueil d'autres réalités de ce monde d'ici-bas. Ces réalités, en raison de leur statut spatio-temporel, sont, elles, visibles et palpables et sol­licitent, par leur consistance même, les défenses du psychisme. Harmonieusement articulées entre elles, elles forment ce que les théologiens appellent la « figure de la Révélation» constituée de la ritualité liturgique, dgnt le cœur, est la célébration eucharistique, de !'Ecriture, de l'Eglise, du visage de tout prochain, et des éléments du cosmos. Être chrétien, c'est nécessai­rement exprimer une relation avec l'invisible sous le mode d'une relation avec ces réalités visibles et multi­formes de la foi. La sanctification, c'est, grâce au dyna­misme de I' Esprit, accueillir en soi de façon structu­rante, et en la diversité de ses constituants, cette figure de la Révélation de Jésus, figure qui renvoie à l'origine de toutes les origines, et à la fin de toutes les fins, le Père. Or c'est précisément dans cet accueil que les structures psychiques de~ individus, et leurs déséqui­libres éventuels, vont interférer en opérant un mou­vement de sélection - déformation - isolation.

Il revient donc à la responsabilité du sujet et de son entourage ecclésial d'agir de façon à parer à ce mou­vement pour développer un mouvement contraire de purification - intégration, mouvement qu'opère préci­sément tout processus de sanctification, dès lors qu'il est authentique.

La sanctification désillusionne et fait mûrir la personnalité

Ce deuxième mouvement se réalise sous différents modes. Il peut d'abord s'opérer sous le mode d'un travail de désil/usionnement par lequel le sujet brise les idoles qu'il s'était forgées à partir de données éparses de la Révélation. Par exemple, tel chrétien comptait sur l'aspect« palpable» de l'amour indéfectible du Père, et voici qu'à la suite de Jésus sur la croix, il est conduit à expérimenter le silence de Dieu, jusqu'au point de pouvoir crier:« Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné?». Un tel travail de désillusionnement est pénible, car il trouve dans le système de défenses psy­chiques des éléments de résistance parfois intense. Il en est comme si le sujet craignait de perdre son équi-

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libre, s'il venait à être privé des bénéfices secondaires que lui procurent ses attachements idolâtriques. Il arrive d'ailleurs que ce travail de purification ou de «deuil» fasse traverser des nuits horribles, où le sujet peut momentanément « décompenser » et être conduit à des souffrances psychiques, voire à des somatisations, à la limite du supportable.

Ce travail de deuil n'est normalement qu'un passage ; il inaugure un travail de « re-surrection ». C'est là le deuxième mode par lequel s'opère le mouvement positif pour la personnalité. En effet, accueillir de façon saine les données de la Révélation, c'est découvrir que celles-ci brisent certes les illusions, mais surtout qu'elles libèrent, car elles font trouver au sujet sa vérité d'homme d'une part en le sortant de ses aliénations peccamineuses, et d'autre part en dirigeant son désir vers plus d'authenticité. D'où des moments de paix et de joie profondes, accompagnés parfois d'une amélio­ration de la santé.

Enfin, alors que le mouvement pathologique isole certaines réalités de la foi pour mieux renforcer le système interne de défenses, l'authentique mouvement de sanctification opère une intégration des diverses données de la Révélation, restituant ainsi l'harmonie libératrice de la figure du Christ. Par exemple, certaines personnes dont la structure comporte des tendances masochistes s'attachent de façon pernicieuse à une spi­ritualité doloriste qui ne valorise que le mystère de la croix. Le mouvement de sanctification va les aider à sortir celui-ci de son isolation et à le relier aux mystères de l'incarnation et de la résurrection par lesquels les forces de vie sont aussi mises en valeur.

Que retenir de ces considérations sur le lien entre la pathologie psychique et l'accueil du Royaume? Qu'il n'est pas besoin de recourir fréquemment à la catégorie de miracle, conçu comme prodige venant « direc­tement » de Dieu, pour expliquer bien des améliorations psychiques et un certain nombre de guérisons phy­siques obtenues dans le cadre de l'expression de la foi chrétienne. L'action thérapeutique de Dieu suit le monde général de Sa présence au monde, pleinement manifesté dans l'Incarnation, à savoir un mode de médiations. Le Transcendant n'agit pas habituellement par mode de miracles, mais par celui des causes secondes, et notamment par celles de la Figure de la Révélation: la liturgie convenablement célébrée, !'Écriture bien interprétée et accueillie, l'Église avec laquelle on communie, lengagement éthique envers le prochain, la saine maîtrise du cosmos. La grâce de Dieu sauvegarde l'autonomie des réalités du monde. C'est pourquoi la vie chrétienne bien assumée, dans la mesure où elle réinstaure un meilleur rapport à ces réa­lités, possède un pouvoir thérapeutique non négli­geable. Mais a-t-elle tout pourvoir? Certainement pas. Essayons de mieux le percevoir en examinant de plus près un seul des domaines de la psychologie patholo­gique, celui qui s'intéresse aux maladies psychosoma­tiques proprement dites (4), et en utilisant uniquement

(4) Cf. J. Bergeret, p. 205-211. Ces maladies ne sont pas à confondre avec les conversions somatiques auxquelles on assiste dans l'hystérie. Dans les maladies psychosomatiques, la régression se fait à un niveau très archaïque.

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Discernement du miracle

- cela afin de limiter le sujet - quelques données apportées par une des écoles de la psychosomatique française, celle de Pierre Marty (5).

Il. - PSYCHOSOMATIQUE ET POUVOIR THÉRAPEUTIQUE DU CHRISTIANISME

Cette école psychosomatique conçoit la maturation du sujet humain comme une évolution des fonctions vitales allant « du plus simple au plus complexe dans un mouvement fait d'associations et de hiérarchisations. Ce mouvement se répète sans cesse au cours du déve­loppement. Lorsque sous l'influence de traumatismes passés ou actuels, ces éléments divers d'un niveau évolutif donné ne se trouvent pas en place au moment voulu, il est fait échec à la nouvelle organisation fonc­tionnelle. Un mouvement contre-évolutif de désorgani­sation a donc lieu. ( ... )Une incontestable régression se fait jour ... au niveau des bases fonctionnelles du départ de l'éventuelle organisation plus évoluée qui n'a pu s'accomplir». On parle alors de régression réorganisa­trice. Celle-ci « sert en même temps à nouveau de point de départ à une réédition du mouvement premier tendant vers l'éventuelle organisation plus évoluée. Il y a (ainsi) répétition de la tentative de construction (de la personnalité) » (6).

« Les maladies somatiques découlent, continue P. Marty, des inadéquations de l'individu aux conditions de vie qu'il rencontre» (7). En effet il arrive que les pos­sibilités d'adaptation des appareils somatique et mental soient débordées - on parle alors de traumatisme - et laissent place à des désorganisations plus ou moins graves. ( ... ) L'entretien des somatisations dépend du maintien des facteurs traumatisants et de l'absence d'une stabilisation régressive, mentale ou somatique» (8). On tiendra cependant compte - et cela est important pour la réflexion sur le miracle - de I' évolu­tivité autonome des maladies (9), de l'irréversibilité des lésions, de la durée du cours naturel de l'affection, toutes choses qui échappent au pouvoir hiérarchique du système psycho-affectif des sujets. Quant à la fin de la somatisation, elle« suppose soit un changement radical de l'état psycho-affectif des malades vis-à-vis de la valeur traumatique des événements, soit la levée du poids traumatique initial et la levée d'autres poids trau­matiques parfois survenus entre-temps » ( 10).

Le théologien, qui ne saurait absolutiser les théories de cette école de psychosomatique, y trouve cependant de quoi penser.

Tout d'abord, il lui apparaît que l'union, en une per­sonne, du soma et du psychique est en perpétuelle évo-

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(5) Cf. P. Marty, La psychosomatique de l'adulte, Paris, PUF, 1990. (6) P. Marty, p. 37-38. (7) Id., p. 49. (8) Id., p. 54. (9) Dans les cancers par exemple. (10) Id., p. 54.

lution. Notamment, la régression semble jouer un rôle fondamental dans le début des manifestations soma­tiques comme dans le commencement de l'éventuel processus de guérison. Il en est comme s'il fallait que le sujet puisse reprendre son évolution là où elle s'est trouvée bloquée en raison de traumatismes. On com­prend mieux dès lors que l'on assiste à des guérisons étonnantes - semblant tenir du miracle pour la per­sonne non avertie - dans des contextes religieux qui autorisent des mouvements régressifs relativement bien régulés et une meilleure mentalisation des excita­tions pulsionnelles. Pour comprendre comment de telles guérisons ont été possibles, il faudrait passer en revue en quoi chacune des réalités constituant la Figure de la Révélation (liturgie, Écriture, Église ... ) peut, dans tel ou tel climat régressif bien régulé, autoriser le fran­chissement des modes habituels de défenses et la reprise du mouvement évolutif là où il s'était provisoi­rement fixé. Par exemple, il arrive que la vie de prière de tel groupe charismatique, en raison de sa chaleur fusionnelle, de l'accueil inconditionnellement bien­veillant, et de la relation transférentielle massive sur les leaders admirés, amène tel sujet à s'autoriser une régression; cela sans angoisse excessive. Si, en outre, les textes bibliques médités ( 11), sont vécus comme « une sorte de chambre froide impersonnelle où les fan­tasmes individuels suscités par les conflits inté­rieurs» (12) ont été comme entreposés, alors le sujet, puisant avec l'autorisation du groupe dans cette « chambre froide », pourra avoir un bien meilleur accès à ses représentations mentales. Du coup un changement psycho-affectif important pourra se produire ouvrant un processus de guérison parfois extrêmement accéléré. Il en est comme si s'était produit «un coup de foudre mystique » qui donne au sujet le sentiment d'être devant quelque chose d'inattendu, de gratuit, et presque d'excessif. On imagine alors qu'un tel évé­nement puisse être vécu comme signifiant l'amour de Dieu, puisque celui-ci se caractérise par la surprise, la gracieuseté I et r excès.

On pourrait passer ainsi en revue les réalités qui sont au cœur de la structuration du sujet constitué d'une unité infrangible de corps et d'esprit, à savoir la foi, l'espérance, l'amour, la loi, la temporalité, la sexualité, l'agressivité, etc., et montrer qu'un christia­nisme bien vécu contribue à nouer sainement entre elles toutes ces réalités, contribuant ainsi à la santé du sujet croyant.

Il faut toutefois, sous peine de fausser le sens de toutes ces réflexions, ajouter deux remarques:

Tout d'abord, cette influence bénéfique des réalités chrétiennes sur le sujet n'est jamais automatique. La grâce de Dieu propose, et c'est l'homme qui dispose.

( 11) Pensons par exemple au texte du sacrifice d'Isaac par Abraham, qui met en œuvre des peurs et des désirs archaïques concernant la relation père-enfant.

(12) G. Devereux, Essais d'ethnopsychiatrie générale, Paris, Gal­limard, 1977, p. 12.

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C'est-à-dire que le sujet, à cause de sa connivence avec le péché du monde, peut toujours refuser le don du salut qui lui est fait, et se maintenir dans ses aliéna­tions.

Ensuite, rares sont les occasions qui permettent au sujet de vivre une régression réorganisatrice. Il y faut un concours exceptionnel de circonstances. Le plus souvent, la structure globale du sujet n'est pas considé­rablement touchée par l'expression de la foi. Certains déséquilibres psychiques ont une origine tellement archaïque, certaines structures sont si rigides, que la personne qui en est marquée devra assumer jusqu'à sa mort des pathologies incurables. Le mouvement de sanctification l'aidera alors seulement, mais c'est déjà beaucoup, à ne pas désespérer devant ce qui se pré­sente à elle comme un mal intime, absurde et crucifiant. Il lui permettra, tout au long de son chemin douloureux, de continuer à quêter humblement Celui qui « a pris sur lui nos infirmités, et s'est chargé de nos maladies» (Mt 8, 17), et ainsi de mieux assumer ses limites psy­chiques. On comprend alors que certains canonisés soient restés marqués toute leur vie par des patho­logies lourdes. C'est le signe que la sainteté ne coïncide pas forcément avec la santé 1

Ill. - GUÉRISON PSYCHOSOMATIQUE ET DISCERNEMENT DU MIRACLE

Pour confronter tout ce qui vient d'être dit à la question du discernement du miracle, laissons-nous guider par la définition donnée par René Latourelle : « Le miracle est un prodige religieux, exprimant dans l'ordre cosmique (l'homme et l'univers) une intervention spé­ciale et gratuite du Dieu de puissance et d'amour, qui adresse aux hommes un signe de la présence ininter­rompue dans le monde de sa Parole de salut» (13).

Le miracle est un prodige religieux. Mais un prodige pour qui? Pour le malade qui, à l'occasion d'une céré­monie religieuse, voit sa santé s'améliorer soudai­nement, cette amélioration tient certainement du prodige religieux. Il en est de même pour son entourage. Mais pour le psychosomaticien qui perçoit, à travers le récit qui lui est fait de la guérison, quelque chose qui relève d'une régression réorganisatrice, ayant rouvert l'avenir du sujet en touchant en bien son système archaïque de défenses, cela relève non pas d'un prodige inexplicable, mais d'un très heureux concours de circonstances. L'interrogation sur I' exis­tence d'un miracle doit-elle pour autant cesser immé­diatement ? Je ne le pense pas. En effet, si ce psycho­somaticien est chrétien il y verra la marque de la Présence de Dieu qui se sert de la médiation des réalités humaines pour sauver. Il sera plein d'admiration pour

(13) A. Latourelle, Miracles de Jésus et théologie du miracle, Bel­larmin et Cerf, 1986, p. 318.

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une telle manifestation de la Providence divine, et il sera alors prêt ou presque prêt à parler de miracle, même s'il y a une explication psychologique possible. Un si heureux concours de circonstances ne relève-t-il pas, en quelque sorte, du prodige? En tout cas n'attire­t-il pas l'attention admirative des chrétiens sur la Pré­sence aimante de Dieu, beaucoup plus que ne le font les bienfaits les plus habituels de la Providence ? Cela d'autant plus que cette manifestation de puissance de Dieu est vécue comme spéciale et gratuite puisqu'elle touche un sujet en ce qu'il a de plus singulier, et se pré­sente à lui comme excédant ses efforts méritoires. Si lon ajoute que ce type de guérison psychosomatique se produit parce qu'il met le sujet en contact direct et éthiquement bon avec une ou plusieurs des réalités de la Figure de la Révélation ( 14), on comprend que la dimension signifiante de la venue dans le monde du Res­suscité, qui doit être au cœur de tout miracle authen­tique, est d'emblée présente.

Je ne verrais donc pas de difficultés majeures à ce qu'une guérison explicable par la psychosomatique puisse être qualifiée de miracle. A fortiori si cette gué­rison apparaît d'emblée très « prodigieuse » ou hors­série, soit parce que le processus de guérison a été d'une très grande rapidité, soit parce que les lésions apportées par l'évolution normale de la maladie étaient spécialement importantes et semblaient irréversibles. Mais cette qualification de miracle supposerait que l'on s'assurât de la qualité du signe donné globalement par la conduite qui a provoqué la guérison. D'où la nécessité de se poser un certain nombre de questions. L'amélioration de la santé ne se présente-t-elle pas comme une fuite dans la guérison laissant subsister des noyaux conflictuels graves? Le mode d'obtention du processus thérapeutique a-t-il été moralement bon ? Les i~ages de Dieu qu'il a déployées, )'herméneutique de !'Ecriture qu'il a utilisée, le bien à l'Eglise qu'il a mis en œuvre, on!-ils été en cohérence avec les enseigne­m,ents de l'Evangile et de la grande Tradition de l'Eglise? La guérison semble-t-elle durable? Le sujet établit-il un rapport théologiquement sain à l'événement de sa guérison.

De toutes façons, il ne faut pas s'attendre à ce que les réponses à ces questions s'avèrent toujours extrê­mement nettes. Ce serait faire fi de lambiguïté de l'action humaine. Aussi le jugement qui conclut devant telle ou telle guérison explicable par la psychosoma­tique à l'existence d'une action miraculeuse de Dieu ne saurait prétendre être autre chose qu'un jugement de plausibilité, porté avec l'assistance de l'Esprit. Dans ces domaines, plus encore que dans bien d'autres, lacer­titude acquise est une certitude seulement morale que le philosophe Ollé Laprune décrit opportunément comme« un mixte de savoir et de foi».

(14) Par exemple, telle guérison se produit à la suite d'une lecture de la Parole de Dieu.

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THÉOLOGIE DU MIRACLE

par le Père A. DUPLEIX (*)

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Cette intervention sur la Théologie du miracle ne prétend pas faire un point définitif sur une question qui relèvera toujours de la gratuité et de la liberté de la manifestation divine. J'essaierai par contre de répondre à quelques questions précises étroitement articulées.

Tout d'abord que voulons-nous dire lorsque nous parlons de miracle ? Ensuite, quels sont les aspects, bibliques, théologiques et ecclésiaux des signes que Dieu nous donne dans l'histoire ? Enfin, après une réflexion sur le rapport entre réalité et vérité, je ferai quelques suggestions de type pastoral.

Mon propos se veut avant tout théologique mais dans une perspective pluridisciplinaire inévitable, inté­grant les recherches et données de type médical, lin­guistique et herméneutique. Je m'appuierai d'ailleurs essentiellement sur la conférence que j'ai présentée à Cologne en 1992 dans le cadre du Comité Médical International de Lourdes (C.M.l.L.).

La présente réflexion tient bien évidemment compte d'un contexte culturel et religieux global qui s'est considérablement modifié depuis quelques années seulement, et continue de le faire. Je situerai donc mon intervention beaucoup plus du côté de la signification que des jugements ou points de vue immé­diats, toujours risqués en période de grande mutation.

1. - DE QUOI PARLONS-NOUS 7

Il me paraît essentiel, pour le sérieux de notre recherche, de préciser d'abord le statut des différents discours et langages utilisés. Nous employons en effet des mots, un vocabulaire dont la signification peut être fort variée selon qu'on les emploie dans un contexte médical ou théologique, selon qu'ils relèvent de la piété populaire ou de l'exégèse biblique. Que signifie « miracle » en contexte rigoureusement médical, dans un récit évangélique ou dans la bouche d'un malade à Lourdes ? La « guérison » traduit-elle la même réalité pour un praticien ou lors d'une célébration péniten­tielle ? Ces questions peuvent sembler relever de I' évi­dence. Pourtant les confusions viennent souvent de ce que l'on ne met pas le même contenu derrière les mots.

Un accord de principe est donc nécessaire, surtout dans la mesure où nous faisons référence à la tradition biblique, seule base objective à partir de laquelle nous

(*) Toulouse.

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pouvons parler des miracles, au moins dans le judéo­christianisme. Il est en effet capital de ne pas détacher l'appréciation théologique d'une solide référence lin­guistique. Le risque étant, sinon, de projeter sur les mots employés quantité de présupposés spirituels ou culturels éloignés de la vérité scripturaire.

Le premier constat est celui d'une dérive qui s'est progressivement produite dans l'utilisation du mot « miracle » [ 1 ]. Miracle vient du latin miraculum dont la racine est le verbe «mirer»: s'étonner. Ce terme va devenir fréquent à partir du xme siècle et surtout dans une perspective apologétique qui culminera au x1xe siècle. « Miracle » couvrira alors et de façon globale un ensemble de réalités appartenant pourtant à des ordres bien distincts.

La position de saint Thomas à laquelle se réfère l'apologétique classique était cependant plus nuancée. « Celui-ci, à la suite de saint Augustin, parlait seulement du « cours habituel de la nature (solitus cursus naturae) ou de l'ordre des choses (ordo rerum) en tant qu'il dépend de la volonté du créateur non sans tenir compte de l'admiration suscitée par le miraculum dans l'homme qui l'observe. C'est pourquoi son traitement des miracles évangéliques, tout en insistant fortement sur la manifestation de la puissance de Dieu qu'ils consti­tuent, n'omettait pas de mentionner leur valeur de signes » [2].

Le second constat relève d'une étude détaillée du vocabulaire biblique et de sa signification. Le terme latin « miraculum » et ses différentes traductions dans les langues vivantes n'a pas de statuts précis dans la Bible. La Vulgate ne l'utilise pas une seule fois pour le Nouveau Testament. Pour l'Ancien, on ne note que huit passages de moindre importance [3]. Dans la traduction française de la Bible de Jérusalem, par contre, il apparaît 11 fois pour lAncien Testa ment et 22 fois pour le Nouveau Testament. Dans ce dernier cas, il traduit souvent, de manière générale, plusieurs autres termes ayant chacun leur propre sens.

Essayons de relever dans !'Écriture les expressions caractéristiques les plus fréquentes, souvent rendues de façon large par le latin « miraculum ».

Sêmeion en grec ou Ot en hébreu, traduit par signe. Utilisation fréquente et large surtout au pluriel pour qua­lifier l'ensemble des manifestations visibles liées aux interventions divines ou à la prédication de Jésus et des apôtres : « C'est demain que se produira ce signe » (Ex 8, 19); «Tel fut le premier des signes de Jésus» (Jn 2, 11).

Ergon en grec ou Maaseh en hébreu, traduit par œuvre. Moins fréquent, sauf chez Jean où il est souvent relié à sêmeion (Jn 7 ,3). Il met l'accent sur le contenu concret des signes indiquant aussi le lien entre le Père et le Fils. « Jean, dans sa prison avait entendu parler des œuvres du Christ » (Mt 11,2).

Dunamis en grec ou Hai1 en hébreu, traduit par force ou par puissance. Probablement le mot le plus caracté­ristique pour indiquer le rapport signe/puissance divine. Ce mot est le préféré des synoptiques pour parler des actes de Jésus. Employé par Jésus lui-même pour qua­lifier son œuvre : « Car si les « miracles » qui ont eu lieu chez toi...» (Mt 11,23).

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Thaumasion en grec ou Nifla'ot en hébreu traduit par admirable, merveilleux. Ce terme qui indique le plus, l'émerveillement de l'homme devant les signes de Dieu est paradoxalement quasi absent du Nouveau Tes­ta ment. Or il est précisément celui que traduit au mieux miracu/um latin. Mais son utilisation est souvent large, ainsi dans Mt 21, 15, seule référence, les grands prêtres qualifient de thaumasia (choses étonnantes) le fait que Jésus ait chassé les vendeurs du Temple. Appelle­rions-nous vraiment cela un miracle 7

Teras en grec ou Mofet en hébreu, traduit par prodige est très souvent lui aussi relié à sêmeion (signe). L'expression « signes et prodiges » apparaît souvent pour indiquer le grand œuvre de Dieu dans une pers­pective eschatologique. «Je multiplierai mes signes et mes prodiges » (Ex 7 ,3) ; « Jésus, lui, dit : si vous ne voyez des signes et des prodiges» (Jn 4,48).

Ces précisions permettent de mesurer la richesse et la diversité du vocabulaire de base dont les mots sont chacun significatifs d'un aspect particulier que ne rend pas nécessairement la traduction globale de « miracle ». Surtout lorsque la tradition a substitué le terme « miracu/um » à un texte original qui ne le justifiait pas. Exemple: le« miracle» de Cana. Cela conduisant à diminuer la véritable signification et donc l'intelligence de la situation pour ne privilégier souvent que l'attitude admirative et le goOt de lexceptionnel.

L'établissement progressif du Canon [4] des Écri­tures laissa résolument de côté des ouvrages four­millant de détails merveilleux et sacrifiant souvent le sens théologiques aux détails spectaculaires et excessifs (Les «miracles» de l'enfant Jésus).

Aucune recherche rigoureuse n'est envisageable sans mesurer ce type de décalages dont beaucoup peuvent être réduits. La confusion en ce domaine ne peut être bonne conseillère.

Il. - SIGNIFICATION BIBLIQUE, THÉOLOGIQUE ET ECCLÉSIALE DES« MIRACLES»

À la suite des précisions linguistiques et des remarques de vocabulaire nécessaires à l'intelligence de notre réflexion, nous noys interrogeons maintenant, à partir de l'ensemble de !'Ecriture, sur un point précis: Que veut traduire le langage dont nous avons relevé quelques termes essentiels 7 La réponse peut être donnée avant tout complément. Dieu se révèle de lui­même, au monde, dans l'histoire. Cette« autocommu­nication » de Dieu se découvre et se lit dans un ensemble d'événements qui deviennent significatifs de la volonté qu'a Dieu de se donner librement aux hommes.

La tradition biblique ne s'intéresse pas aux phéno­mènes en eux-mêmes mais à ce qu'ils manifestent de lAmour de Dieu et de sa puissance de salut. Or il y a deux types de signes en particulier dans lAncien Tes­ta ment: les signes naturels -et les signes extraordi­naires.

Les signes naturels relèvent de l'ordre même de la création et de l'histoire dont les événements habituels sont déjà perçus comme des manifestations de Dieu. « Les cieux racontent la gloire de Dieu et I' œuvre de ses mains, le firmament l'annonce» (Ps 19,2). Dieu fait des vents ses messagers (Ps 104,4). L'univers est en lui-même le premier lieu de révélation du créateur et

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Théologie du miracle

constitue une Parole à déchiffrer (Jr 31,36). Ce fait est déjà en lui-même extrêmement important.

Les signes extraordinaires relèvent, sous une forme exceptionnelle, de la même logique. Dans leur diversité, les grands cycles de miracles de I' AT cherchent à montrer que Dieu, par sa présence constante, protège son peuple (Jos 24, 17), qu'il l'aime (Ps 106,7), qu'il le libère. Tout cela se concentrant en quelque sorte dans le prodige (Mofet) que constitue la traversée de la Mer Rouge (Ex 14,22). Mais les signes ne sont pas là seu­lement pour émerveiller, ils conduisent à croire (Nb 14, 11) et c'est la foi qui permet de relire les événe­ments comme signes de I' œuvre et de la pédagogie divines (Dt 8,3; Sg 16,21).

Il faut noter que la Bible n'est pas la seule littérature témoin de signes et de prodiges mais que lon en trouve dans d'autres traditions et en lien avec un environ­nement religieux. Je citerai simplement les deux plus célèbres du monde hellénistique, les miracles d' As­clepios [5) ou ceux d' Apolonius de Tyane [6).

Avec Jésus, on peut dire que le rapport signes/ révélation de Dieu trouve son accomplissement. Jésus est « le signe » de Dieu par excellence. « Dieu nul ne la jamais vu, le Fils unique qui est dans le sein du Père nous l'a dévoilé (exegesato) » (Jn 1, 18). Jésus réalise par sa vie et son enseignement les promesses de I' Al­liance dont tous les signes se concentrent dans son œuvre (Le 4, 16-39, 7, 18 (22) [7].

Dans les Évangiles, les signes sont très nombreux. J'utilise ici une nomenclature [8] qui les présente en trois catégories. 1) La relation du côté du malade et centrée sur la foi, ex. : les récits de guérison [9] (le lépreux, Mc 1,40-45). 2) La relation du côté du thauma­turge et centrée sur la puissance et l'initiative de celui-ci (les exorcismes, Le 11, 14), les sauvetages (maîtrise sur forces naturelles, Mt 8,23s), les signes-don (multipli­cation des pains, Jn 6, 1-15), les signes de légitimation, visant à justifier une parole ou un comportement (gué­rison du paralytique, Mt 9, 1-18). 3) Les épiphanies, ou manifestations directes de la gloire de Dieu (La transfi­guration, Mt 17, 1-9).

A cette nomenclature j'ajouterai volontiers, dans la perspective évoquée plus haut, les signes quotidiens « non spectaculaires » constituant la grande part du ministère de Jésus, son œuvre ( 17,4). Ces signes tra­duisant également son charisme personnel : Proximité des pauvres et des petits, accueil des pécheurs (Mc 2, 17) - aspect non négligeable de la prédication du Royaume - Invitation à l'Amour et au pardon, centre de tout (Jn 15,9-15). Cette œuvre d' Amour sera vécue jusqu'à l'extrême (Jn 13, 1) et la croix deviendra ainsi le signe majeur de I' Alliance, contradiction de la logique humaine.

La croix, indissociable de la résurrection, mais passage (Pâques) incontournable, n'est pas en effet un signe parmi les autres. Elle est le signe par excellence, une véritable parole de Dieu dira saint Paul évoquant la « Parole de la Croix» (logos tou staurou) ( 1 Co 1, 18). Or ce signe est paradoxalement de l'ordre de la gloire, non pas à la manière humaine, mais à la manière de Dieu (Jn 12,28). La croix est un défi aux puissances du monde (Col 2,3-15), intégrant la souffrance, la faiblesse, l'ab-

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sence et la mort humaine dans une autre logique de développement et de croissance. Révélation en creux. Théophanie au creux de la nuit. Elle est la trace trinitaire de Dieu, n'étant rendue possible que parce que dans la distanciation totale entre le Père et le Fils, !'Esprit joue pleinement son rôle unificateur en gardant intact l'Amour brisé.

Jésus donnera de lui-même une interprétation de ses propres signes, en particulier dans trois passages : La réponse aux émissaires de Jean-Baptiste (le 7, 18-22) où il indique qu'il accomplit les promesses prophétiques, la plainte sur Chorazin et Bethsaïda (Mt 11,21-22) où il rappelle que les miracles ne sont pas des signes contraignants mais que la foi est nécessaire pour découvrir la puissance (dunamis) de Dieu, l'exor­cisme et l'allusion à Beelzéboul (Le 11, 19-20) où il relie les exorcismes à la venue du Royaume, se plaçant au centre du plan divin de salut.

Quelle est la théologie sous-jacente au kerygme évangélique et, à travers lui, à l'enseignement de toute la tradition biblique 7 Théologie sous-jacente et théo­logie conséquente. On pourrait la résumer en quelques propositions : - Le Dieu qui se révèle dans l'histoire est un Dieu qui parle, qui se manifeste, qui agit. S'il reste le Dieu invi­sible et caché, il est en même temps le Dieu qui fait signe à travers un grand nombre d'événements visibles et accessibles à l'interprétation humaine. - Le Dieu créateur, avant même d'être source de pro­diges, s'inscrit dans l'ordre même de la création et il en respecte la logique propre.« Le Verbe s'est fait chair et il a planté sa tente parmi nous ... » (Jn 1, 14). - Les signes opérés par Jésus n'ont pas de valeur pour eux-mêmes mais indiquent une réalité présente ou à-venir qui est le Royaume. Ils sont donc destinés non pas à combler la curiosité (le 23,8), à réfuter (Mt 16,3) mais à révéler. - Les signes permettent à l'homme d'expérimenter dès maintenant sur lui et en lui le rayonnement de l'Amour et sa portée libérante et transfigurante. - Les signes attestent une participation actuelle et anti­cipée de chaque homme à la résurrection du Christ. La majeure partie de la théologie paulinienne développera cet aspect (Rm 6). - Les signes extérieurs doivent conduire les croyants à la transformation intérieure de lexistence qui peut alors devenir à son tour « signe » pour le monde. Sur ce point encore, Paul développera nettement la leçon évangé­lique (Rm 12, Col. 3, Ep. 5). - Les signes n'obligent en rien et ne conduisent pas nécessairement à l'adhésion (Jn 3, 19;9). Ils supposent la foi ou, dans certains cas, peuvent y conduire. Dans ce cas seulement, le signe est complet. - Enfin, il n'y a pas de hiérarchie dans les signes. Aucun n'est de soi plus important qu'un autre. C'est la relation du Christ à chaque personne concernée qui détermine finalement l'importance du signe.

C'est en Église que cette théologie est actualisée. Ce que nous avons çiit du Christ, signe de Dieu, nous pouvons le dire de l'Eglise, sacrement du salut. Dans la

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perspective catholique qui est la nôtre, la foi et la garantie du salut ~ont radicalement indissociables du lien organique à l'Eglise visible, Corps du Christ. C'est parce que l'Église est, en sa nature profonde, présence effective du Christ ressuscité au monde qu'elle peut être dite « sacrement du salut » [ 1 O].

Tous signes, quels qu'ils soient, surtout s'ils peuvent être dit « miraculeux », doivent être considérés en fonction de leur rapport à la l)ature de l'Église, à son message et sa mission. C'est l'Eglise qui est, sous la res­ponsabilité apostolique, chargée du discernement et de l'interprétation des signes. En toutes circonstances, on peut affirmer que, dans une perspective authentique de foi chrétienne, il convient de ne pas confondre les niveaux et de réaffirnJer la prééminence de la dimension sacra­mentelle de l'Eglise sur les signes extérieurs aussi impres­sionnants soient-ils. La tradition historique confirme ici l'intuition de saint Paul dans son passage extrêmement clair de la 1° lettre aux Corinthiens ( 1 Co 12,28) :

« Ceux que Dieu a établis dans l'église sont, pre­mièrement des apôtres, deuxièmement des prophètes, troisièmement des hommes chargés de I' ensei­gnement. Vient ensuite le don de la force spirituelle (dunamis) [ 11 ], puis de guérison (iama) [ 12], d'assis­tance, de direction et le don de parler en langues».

Nous pouvons donc affirmer, comme une sorte de préalable nécessaire, ceci: Ce n'est pas l'abondance de signes qui précipite le sens ou détermine nécessai­rempnt la foi, mais la vérité intérieure garantie par le lien à l'Eglise visible, et l'aptitude à vouloir ce que veut le Christ pour le bien des frères et du monde. De là peuvent décçuler quelques propositions visant à struc­turer dans l'Eglise une pastorale du discernement spi­rituel: - Ne pas dissocier l'interprétation des signes de la prière. La volonté de Dieu se manifeste dans la relation à lui. L'acte gratuit d' Amour doit précéder toute demande de signes visibles.

- Recevoir les signes dans une communauté d'Église et jamais seul ou isolé. D'où l'importance de la vérification mutuelle et du partage: exigence trinitaire de toute interprétation.

- Respecter lobjectivité des signes et distinguer les niveaux et les circonstances en n'abusant pas du mot miracle et en évitant la confusion des genres. Seul l'acte de foi garantit la capacité de percevoir dans les signes la trace de Dieu.

- ~tre en mesure de discerner les différents types de guérison physique, psychique, spirituelle et ne pas les dissocier de la conversion du cœur et du changement de vie. - Considérer que le premier de tous les signes est l'événement christologique, l'Incarnation culminant dans la croix/résurrection. D'où la priorité accordée à la prédication évangélique et aux fruits spirituels de la pra­tique sacramentelle. - Se rappeler qu'aucun signe, aussi spectaculaire soit-il, n'est contraignant pour la foi. Dieu se manifeste à l'homme dans une gratuité totale. Il se donne par Amour et respecte la liberté humaine de voir, d'ignorer, de recevoir ou de refuser.

- Admettre qu'un signe n'est jamais un privilège pour celui qui le reçoit, l'attitude première doit rester l'hu-

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milité. Nul n'est propriétaire des signes. Ils ne consti­tuent pas un pouvoir mais un service dans l'imitation du Christ (Jn 13). - Éviter bruits, publicité ou inflation spirituelle qui déve­loppent davantage la curiosité que l'intériorité. Certains signes peuvent retenir et non plus indiquer. Il peut y avoir risque d'autosatisfaction ou même d'idolâtrie (1 Jn 5,21). - Accepter que la volonté de Dieu, dans sa réalisation, soit différente de notre demande. Il peut y avoir en cer­tains cas croisement de signes: J'en demande ou j'en attends un et c'est un autre qui m'est donné par Dieu. - Considérer que tout acte de Dieu dans lexistence humaine se mesure à ses fruits spirituels. Ce qui engage à la prudence avant de parler de signes du ciel ou de «miracles». L'attitude confiante et l'ouverture au mystère supposent souvent la durée et la traversée de nombreux déserts.

Ces propositions ne disent pas tout, mais elles per­mettent de recentrer l'att~ntion spirituelle sur la fo'1ction sacramentelle de l'Eglise, concrétisée par ce que lon appelle les sept sacrements. Ne sont-ils pas en définitive les premiers signes efficaces de la manifes­tation de Dieu en toute vie ? Signes accessibles et pro­posés à tous sans distinction.

Ill. - UN DÉBAT PLURIDISCIPLINAIRE

L'approche que nous venons de faire, pour aussi nécessaire qu'elle soit dans la discussion, ne peut être exigée avec une telle précision hors du contexte spécifi­quement théologique. Concrètement, nous n'attendons pas des instances médicales des considérations de cet ordre. Il est simplement nécessaire pour celles-ci de prendre en compte les conclusions de cette réflexion : Les signes donnés par Dieu doivent être référés davantage à sa libre volonté de salut qu'à nos besoins intarissables d'avoir des preuves ou des manifestations visibles.

Toutefois la nécessité de cette référence théolo­gique montre à elle seule que le débat aujourd'hui ne peut être qu'interdisciplinaire. Ce que nous appelons les miracles sont objets d'expérience sensible et se situent dans un contexte personnel, social, psychologique et culturel. Ce n'est donc que dans un cadre pluridiscipli­naire où interviennent, en prenant le temps de s'écouter, plusieurs partenaires ayant chacun sa sphère de traditions, de convictions et de recherqhes, qu'un authentique progrès peut être réalisé. Ni l'Eglise, ni la médecine ne possèdent à elles seules les clés du savoir ou du sens, y compris pour des questions d'ordre spi­rituel.

Cette approche multipolaire d'une même question est accentuée par le contexte actuel qui semble favo­riser une approche holistique de la réalité, entraînant donc une nouvelle perception de la médecine. L'insis­tance est mise davantage sur l'unité du corps et de la personne humaine et sur l'interaction constante du phy­sique et du psychique, ou, dans une autre optique, du physique et du spirituel. Le corps est réhabilité comme une totalité, soumis à diverses influences et possédant de multiples ressources dont lexploration et I' exploi­tation sont encore à l'état d'ébauches.

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Théologie du miracle

Ce constat doit cependant être accompagné d'une rigueur d'analyse évitant de confondre cohérence et confusion, unité et mélange inconsidéré des plans. Je ferai, à ce sujet, référence à un étonnant et intéressant article publié en 1909 par le Père Teilhard de Chardin dans la revue Études [ 13]. Le savant jésuite y aborde à sa manière la question du rapport entre les points de vue de l'Église et de la médecine. Aucune opposition fondamentale des plans à condition de reconnaître et d'articuler les compétences, de ne pas nier des faits objectivement constatables et d'en accepter plusieurs types d'interprétation.

Deux parties sont développées par Teilhard: L'éta­blissement de faits extra-médicaux, c'est-à-dire que la science ne peut expliquer et qui ne peuvent relever de la seule suggestion - c'est la base rigoureuse des enquêtes canoniques - l'interprétation de ces faits dont une approche originale est proposée. Pour Teilhard, à Lourdes, « la matière continue vraisemblablement à obéir aux lois de conservation de l'énergie et de la masse». Elle maintient les habitudes d'une substance organique obéissant aux lois de la chimie et de la bio­logie. «Ainsi c'est bien la même matière sur laquelle travaillent les médecins des hôpitaux et la vertu cura­trice de Lourdes. Toute la différence est dans la réversion des phénomènes morbides que les premiers se reconnaissent impuissants à déterminer ni en elle-même ni dans son instantanéité. »

L'inexplicable est ici d'ordre théologique et surna­turel. « Ce qui agit à Lourdes - jusque dans le process~s inhabituel d'accélération - c'est une volonté plus puis­sante que la nôtre mais libre et indépendante comme elle». Il y a «quelqu'un qui opère ... un autre q~i tra­vaille». Certes, précise Teilhard, la foi reste la foi et la liberté de méconnaître est intacte. Certes, «la prière n'agit pas directement sur l'évolution naturelle des phé­nomènes », mais il faut honnêtement considérer les miracles de Lourdes comme des faits incontestables. « Il en est du miracle comme de la réalité du monde extérieur. L'un et l'autre sont des faits concrets dont l'évidence accompagne la perception.» Ils traduisent l'enracinement cosmique du Christ et l'action créatrice constante de Dieu dans le monde [ 14].

Depuis Teilhard, les recherches ont évolué de part et d'autre et de nouvelles disciplines se sont déve­loppées qui entrent désormais dans ce champ in!erdis­ciplinaire. Mais l'intuition reste globalement la meme .. 11 ne peut y avoir concurrence entre les approches mais plutôt une volonté d'articulation, même 1.orsqu'il manque des éléments qui semblent essentiels. Je reprendrai volontiers ici lavis de Monseigneur Pierre Eyt : « Nous devons éviter d'instaurer comme .un mod~ de rivalité de relais conflictuel entre les lois « habi­tuelles » o~ « naturelles » connues et exploitées par les hommes et l'action extraordinaire, inhabituelle, surnatu­relle, thaumaturgique attribuée à Dieu» [ 15].

La science et la foi, tout en appartenant à des ordres distincts, ne peuvent plus en effet aujourd'hui être sérieusement considérées comme des modes de connaissance exclusifs l'un de l'autre, pas plus que ne le seraient l'art et la foi ou l'histoire et la foi.

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De part et d'autre, des évolutions se sont pro­duites, des développements dans l'ordre du savoir, dans l'utilisation de nouveaux outils d'interprétation. Tout cela contribuant à un nouvel intérêt pour la signifi­cation profonde des phénomènes constatés, plus que pour leur observation singulière. Ainsi pourrait-on évoquer les progrès de la biologie et ses conséquences tant dans l'approche des origines de la vie que des seuils de la mort, les recherches de la physique conduisant à de nouvelles perceptions de la matière ou du rapport espace/temps, mais aussi l'impact de la psychanalyse et de la psychiatrie dans l'appréhension de soi et des différents états de conscience.

Dans ce contexte, par exemple, que mettons-nous sous les mots guérison, thérapie, santé, équilibre 7 Ou bien lon se résout à ce que chacun ait son approche particulière, avec le risque de revenir alors à l'inévitable compartimentage des interprétations, ou bien, lors­qu'une question mérite d'être abordée à plusieurs voix, on essaie de confronter lucidement les différentes pers­pectives. On peut penser en ce sens qu'il y a eu évo­lution dans le statut épistémologique des enquêtes médicales, même si leur justification est, par ailleurs, aussi forte qu'au départ.

L'exigence de dialogue et d'échange ne porte pas atteinte à la foi ou à lautonomie des sciences mais permet d'éviter nombre de dérives relevant plutôt de pseudo-mystiques ou de syncrétismes réducteurs. Ainsi l'utilisation abusive du mot «miracles» dans l'Église fait courir le risque de glisser inconsciemment dans une visée exclusivement ou à forte tendance apo­logétique bien éloignée de l'équilibre théologique et ecclésial, caractéristiques de la tradition chrétienne.

C'est une telle attitude, à la fois solidaire et rigou­reuse, qui peut conduire à mieux discerner le,s plan~ dans l'ordre de l'expérience sensible sans necessa1-rement les détacher dans l'ordre du sens. Par exemple, je puis être conduit à récuser une guéris~n comme étant d'origine surnaturelle sans pour autant mer qu'elle entre dans la perspective d'une volonté surnaturelle de Dieu dans ma propre vie.

L'interdisciplinarité de semblables débats permet alors de respecter les niveaux d'analyse et de compré­hension. Elle empêche que ces niveaux ne soient dilués dans une saisie fusionnelle des faits, propre à toutes les récupérations y compris idéologiques et pouvant même aller jusqu'à appuyer des objectifs complètement faussés quand ils ne sont pas dangereux, personnel­lement et individuellement. J'ose dire qu'une certaine inflation actuelle de la perspective « miraculeuse » peut devenir un contre-témoignage dans l'évangélisation aujourd'hui.

Les enquêtes médicales constituent certainement un authentique relais de discernement, bénéfi9ue tant à l'intégrité de la médecine qu'à la vérité de l'Eglise.

IV. - RÉALITÉ ET VÉRITÉ

Cette partie de notre étude risquera une réflexion quelque peu inédite. Faut-il, dans l'ordre de la foi, systé­matiquement confondre réalité et vérité 7 Une chose

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est-elle nécessairement vraie théologiquement parce qu'elle est exacte expérimentalement? Un signe, perçu positivement par quelqu'un, correspond-t-il pour autant à la volonté de Dieu, seule garante, finalement, de ce que nous appelons la vérité ?

Il s'agit ici d'une question plutôt inhabituelle mais qui mérite attention même si elle ne peut recevoir de réponse définitive. D'une certaine façon, nous prenons ici le contrepied de l'opinion, courante chez beaucoup de croyants et selon laquelle tout signe, dès lors qu'il est considéré comme miraculeux, devient une sorte de confirmation divine, une preuve de l'intervention per­sonnelle de Dieu dans la vie d'une personne particulière ou dans l'histoire.

A voir les choses ainsi, il y a de fortes chances que l'on tombe dans un déterminisme inquiétant et que l'on fasse dépendre la volonté de Dieu de jugements et de décisions individuelles sans aucune autre forme de véri­fication. A l'horizon de ce point de vue apparaît éga­lement le risque de donner au merveilleux, à I' extraordi­naire ou à l'a-normal, un statut théophanique quasi [16] systématique que ne confirment pourtant ni la tradition biblique ni le~ déclarations plutôt prudentes et réservées de l'Eglise en ce domaine.

La question est bien de savoir par exemple si I' ob­jectivité expérimentale d'une guérison, considérée comme indéniable, contribuera nécessairement ou bien ou à la croissance spirituelle de celui ou celle qui en sera le sujet. Inversement alors, la non-guérison serait-elle signe que la prière n'a pas été exaucée ou que Dieu reste silencieux et absent? Rien n'est moins sûr.

Pour comprendre cette perspective, il nous faut revenir sur la notion chrétienne de vérité. Dans la Bible et la tradition de l'Église, doctrinale ou pastorale, la vérité n'est pas une abstraction mais bien la Parole concrète de Dieu reçue dans la vie concrète du croyant : «Ta Parole est vérité» (Jn 17, 17). Or en ce cas la Parole de Dieu peut tout autant être perçue dans le silence ou labsence de signe que dans le signe de contradiction qu'est la souffrance, comme le fut le signe de la croix évoqué plus haut. La vérité peut éga­lement se définir comme relation à Dieu. Paul souhaitera également aux Colossiens d' « accéder à la plénitude de l'intelligence, à la connaissance du mystère de Dieu, Christ, en qui sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la connaissance» (Col 2,2-3). Saint Jean concluera sa première lettre en parlant non de la vérité mais du Véritable en qui nous sommes (1 Jn 5,20).

Comme nous l'avons rappelé précédemment, la vérité ne peut donc seulement dépendre de faits isolés pour aussi ~clatants qu'ils soient mais aussi d'une relation à l'Eglise, corps du Christ, communion des croyants dans la diversité de ses membres. Cette relation peut être vécue à des niveaux très divers d'ap­partenance, parfois dans la difficulté ou le conflit, parfois dans le doute ou la peur. Elle n'en reste pas moins vérité, dont seul Dieu, dans sa relation person­nelle et mystérieuse à chaque être, connaît le contenu.

Le rapport « miracle »/vérité doit donc faire lobjet d'un discernement alliant humilité, modestie, discrétion et circonspection. En effet, toute réalité, même prodi­gieuse et qualifiée de miraculeuse, ne conduit pas nécessairement à Dieu en vérité, ne dévoile pas néces-

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sairement Dieu tel qu'il se donne. A cet égard un peu d'étymologie peut éventuellement nous éclairer: Vérité est la traduction du grec « aletheia » formé de a-/ethès signifiant «non caché, non oublié». La meilleure tra­duction de vérité serait donc «dévoilement». Or nous savons combien le dévoilement suppose souvent la durée, le temps éprouvant de la maturation, la traversée du désert, le signe de l'absence et de la soif.

Tout signe est nécessairement ambivalent et peut conduire à une inversion de sens, n'indiquant plus alors le visage de Dieu mais notre propre visage, nos besoins et nos désirs humains, nos préoccupations et jusqu'à notre orgueil. La garantie d'authenticité du signe, son rapport à la vérité dépendent finalement de sa capacité à manifester le seul véritable signe de Dieu qu'est le Christ. Ainsi la garantie d'authenticité des apparitions dites miraculeuses est-elle restée invariablement, dans l'Église, leur référence directe ou indirecte au contenu du message évangélique. C'est bien évidemment le cas pour Lourdes.

En conclusion, nous pensons que cette réflexion, nécessairement limitée, appelle en complément l'appro­fondissement d'une solide théologie de la création. Nous avons suffisamment réfléchi sur les multiples signes que Dieu nous transmet dans la quotidienneté du monde, mais il y aurait encore beaucoup à dire sur le langage spécifique de Dieu que peuvent représenter les événements de l'histoire ou de chaque destinée indivi­duelle. Les miracles peuvent être incontestablement des phases lumineuses, des récits de transfiguration, des épiphanies que Dieu consent, par grâce, à nous faire vivre. Comme se lève par moment un coin du voile sur l'inexprimable. Mais combien d'autres faits plus secrets, moins spectaculaires, parfois même en demi­teinte ou ténébreux, sont aussi révélateurs de son dessein et de sa volonté universelle de salut.

A travers l'évolution du monde, ses progrès fulgu­rants autant que ses nouvelles menaces, Dieu peut faire signe et conduire en vérité à l'accomplissement.

Mais nous devons nous garder de laisser entendre que Dieu serait en quelques façons dépendant des réa­lités du monde, notre vérité déterminant la sienne.

Deux mots me semblent caractériser ce que lon peut appeler la théologie du miracle : la vie et la nais­sance. Je pense ici aux premiers versets de la Genèse: «Et Dieu vit que cela était bon ... » Dieu veille sur sa création. La merveille, le miracle, c'est que Dieu veille sur sa création. La merveille, le miracle, c'est qu'il continue de nous faire signe. La Théologie, avant d'être une Parole sur Dieu, c'est une Parole de Dieu. Dieu parle à travers les signes et il nous dit que nous sommes appelés à renaître.

Comment ne pas évoquer la rencontre entre Jésus et Nicodème?« Il nous faut naître d'en haut» (Jn 3,7) ... « Le vent souffle où il veut » ... Qui dira d'où il vient ? L'union de nos efforts peut, en tous cas, contribuer à dévoiler un peu de cette Vérité qui demeure l'horizon de notre recherche et la longue quête des civilisations.

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LE SURNATUREL AU QUOTIDIEN

par le Père Étienne GARIN s.j. (*)

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C'est en tant que témoin de guérisons qui se vivent dans le Renouveau Charismatique que je participe à ce congrès. Disciple de saint Ignace, je suis un témoin qui tente de discerner dans ces guérisons ce qui viendrait de Dieu et ce qui ne viendrait que de nous, voire de notre imagination humaine. Mes compétences scienti­fiques d'ingénieur agronome ont orienté mon désir de contemplation vers le mystère de la vie. Je ne suis ni médecin, ni psychothérapeute, très ignorant même en ces domaines, mais chrétien aimant contempler I' œuvre de Dieu, les signes de sa présence tout autant en l'hort)me et dans le cosmos qu'au sein de la société et de l'Eglise.

A 20 ans, j'étais comblé de bien des façons, en pleine santé physique et psychique autant que l'on puisse laffirmer, et cependant j'étais malade d'une maladie dont la médecine habituelle ne s'occupe guère. Pour guérir, il a fallu que le Seigneur me fasse signe. C'est ainsi qu'à 28 ans, après huit ans de tourments intérieurs assez semblables à ceux qui perturbent tant de nos jeunes contemporains aujourd'hui, je découvris la vraie santé, cette santé que seul Jésus donne en se révélant et en offrant au baptisé l'évidence qu'il est fils de Dieu, qu'il est bien-aimé quelle que soit la misère de son existence.

QUELQUES REMARQUES PRÉLIMINAIRES SUR LE RENOUVEAU CHARISMATIQUE

Voici 25 ans que le Renouveau Charismatique bouscule nombre de chrétiens. Vu de l'extérieur, ce phénomène a pu, surtout dans les débuts, être perçu comme une exaltation collective, une vaste illusion pseudo-spirituelle même. Aujourd'hui, les fruits qu'il a portés invitent à une attention autrement sérieuse, exige de tout chrétien qu'il se situe face à cette compo­sante de notre paysage religieux actuel.

- Le Renouveau n'a rien d'un phénomène culturel. De fait, dès le début il se manifesta non lié à un groupe particulier, encore moins à une culture puis­qu'il fut tout de suite universel. Il s'est répandu à une vitesse bouleversante sur les cinq continents et c'est tout le peuple de Dieu qui fut touché par cette effusion de !'Esprit dans les années 1969-1974. A cette époque, lorsque nous rencontrions des « charisma­tiques » venant d'Amérique ou d'Asie, notre surprise

(•)Paris.

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était grande de découvrir qu'ils vivaient dans leurs assemblées de prière les mêmes expériences spiri­tuelles que nous dans les nôtres.

Lorsqu'un phénomène prend ainsi immédiatement une telle dimension universelle, l'on est en droit de se demander sa signification historique. Le Renouveau charismatique ne redévoile-t-il pas quelque dimension du mystère chrétien qui aurait été plus ou moins voilée du fait de l'histoire de la chrétienté? Le «retour» de l'Esprit, l'effusion de l'Esprit, une nouvelle Pente­côte ...

- Le Renouveau est certes un phénomène reli­gieux, mais il est essentiellement manifestation de la vie du Peuple chrétien qui se rassemble pour louer Dieu. Voilà qui ne pouvpit que paraître folie même si depuis les débuts de l'Eglise les chrétiens se sont toujours rassemblés pour louer et rendre grâce. Au début des « Exercices », saint Ignace affirme sans nuance: «l'homme est créé pour louer, respecter et servir le Seigneur». Mais louer dans notre monde qui ne loue pas, voilà qui a déconcerté même les chrétiens de notre temps. Lorsque les charismatiques se sont ras­semblés pour louer et chanter des alleluia en levant les bras, cela est apparu excitation infantile. Et cependant pour la plupart de ceux qui vivaient cette louange de l'in­térieur et lexprimaient ainsi par leurs chants joyeux et les gestes de leurs corps, c'était bien le feu brOlant de l'Esprit qui les embrasait, une expérience très compa­rable à celle des disciples d'Emmaüs.

- Comme partout où se vit une expérience reli­gieuse forte, des guérisons se produisent dans le Renouveau Charismatique. Toutefois, dans le Renouveau, ces guérisons ne sont qu'un phénomène tout à fait secondaire. N'en est-il pas de même à Lourdes où, nous le savons bien, l'essentiel de ce que vivent les pèlerins est bien au-delà de ce que peuvent proclamer des malades guéris ? N'empêche que lorsque les journalistes décrivent ce qui se vit à Lourdes, le plus souvent ils ne s'intéressent qu'aux éventuels miracles et passent sous silence toutes les merveilles opérées par le Seigneur au fond des cœurs. Dans notre monde médiatique, les phénomènes secondaires occupent vite la première page de nos journaux. La réputation du Renouveau est faite bien souvent par de soi-disant témoins qui en ignorent la vie profonde mais en pro­pagent avec un zèle déplacé les manifestations ayant quelque apparence de merveilleux.

Les charismatiques ne cessent d'affirmer que les guérisons sont avant tout pour eux des signes et non pas des miracles au sens du bureau médical de Lourdes. De tels signes manifestent la présence et l'action bienveillantes du Seigneur dans notre monde. Nous avons tant de difficulté à reconnaître cette pré­sence agissante et aimante que c'est un cri d'émerveil­lement lorsque le Ressuscité se fait reconnaître en donnant de tels signes et c'est bien un tel cri qui jaillit des cœurs depuis le début du Renouveau dans les assemblées de prière charismatique : « Il est vraiment ressuscité, il est VIVANT 1 » Qu'importe la nature du signe, qu'il soit exceptionnel ou des plus naturels, inex­plicable ou banal, qu'il dure longtemps ou peu ... L'es­sentiel n'est pas là: quelqu'un a reconnu de quelque manière, qui demeure mystérieuse pour les autres, qu'll était Vivant au milieu de l'assemblée si bien qu'il en est tout bouleversé. Les charismatiques se réunissent dans

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l'espoir de reconnaître la présence du Ressuscité à travers les membres de son Corps habités et animés par l'Esprit lui-même se manifestant à travers l'hu­manité des uns et des autres. Ils demandent au Sei­gneur de donner des signes afin que chacun et tous deviennent davantage des hommes et des femmes plus croyants. Et parmi tous les signes qui manifestent de fait la présence personnalisée de l'Esprit du Christ, pourquoi n'y en aurait-il pas certains qui soient vraiment extraordinaires? mais il n'est pas certain que ce soient ceux-là qui transforment le plus les cœurs.

- Pour les charismatiques, la santé est d'abord la sainteté du peuple de Dieu. De même que per­sonne n'est chrétien tout seul, de même la vraie santé, la sainteté, ne se vit qu'au sein du Peuple de Dieu, autour du Ressuscité dont la présence est clairement et principalement signifiée dans les sacrements. Tou­tefois, les sacrements n'épuisent pas les manifesta­tions du Ressuscité au milieu de son Peuple et celui-ci nous fait signe de bien d'autres manières. Ces signes que nous nommons des « charismes » fortifient celui qui les vit ou qui voit ses frères ou ses sœurs les vivre : il se découvre davantage prêt à suivre le Christ quoi qu'il lui en coOte et, dans les situations souvent déconcertantes de la vie quotidienne, il s'étonne de garder une confiance indéfectible dans lamour du Père. Plus encore, il est surpris de se sentir de plus en plus habité par la tendresse de Dieu pour les petits et les plus délaissés, les plus incapables et notamment les malades. La vraie santé deviendra de plus en plus pour lui ce désir de laisser l'Esprit le conformer à Jésus qui aima les hommes jusqu'au bout, jusqu'à leur livrer sa vie dans la paix.

PAR ESSENCE, LA VIE CHRÉTIENNE EST SIMULTANÉMENT NATURELLE ET SURNATURELLE

Le surnaturel au quotidien 7 Pour la plupart de nos contemporains, cela voudrait dire : l'extraordinaire au quotidien. Pour un charismatique, cette traduction est un contre-sens car pour lui la vie surnaturelle est ce qu'il y a de plus ordinaire : ne sommes-nous pas des «renés», des enfants du Père, nés d'en haut?

Le jour de Pentecôte, les disciples reçoivent une force d'en haut, une puissance divine qui ne leur était aucunement «naturelle» jusqu'alors. Ils deviennent autres, si bien que saint Paul affirme:« Vous avez reçu un esprit de fils adoptifs qui nous fait nous écrier : Abba 1 Père 1 L'Esprit en personne se joint à notre esprit pour attester que nous sommes enfants de Dieu » Rm 815_16• De même, tout baptisé reçoit gratuitement la vie divine qui fait de lui un fils adoptif du Père animé par l'Esprit de Dieu en personne. Ainsi divinisée, sa vie ne saurait plus jamais être seulement « naturelle » : elle est habitée par la vie d'un Autre, celle même de Jésus­Christ qui à tout instant donne à celui qui en est animé de pouvoir se comporter en enfant de Dieu. Saint Jean parle de naissance d' el) haut, saint Paul d'homme spi­rituel, les Pères de l'Eglise de vie supercéleste, ou hypercosmique, ou surnaturelle... Qu'importe l'adoption de vocables d'origine païenne exprimant une conception cosmique de type mythique ou une vision philosophique inspirée de Platon ou d'Aristote. Depuis que le Verbe s'est fait chair, depuis que Jésus-Christ

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Le surnaturel au quotidien

est venu du Ciel, d'en Haut, et lui a communiqué sa propre vie divine, l'homme vit prophétiquement par !a foi une participation réelle et de tous les instants à la vie même de Dieu. Un chrétien peut-il encore séparer le naturel du surnaturel ?

DES DISTINCTIONS LÉGITIMEM~NT ÉLABORÉES AU COURS DE L'HISTOIRE DE L'EGLISE

Dans les Actes des Apôtres, la foi, l'espérance et la charité sont à chaque page indissociables des mani­festations charismatiques les plus surprenantes et d'une incessante contemplation de lëj présence active du Ressuscité dans les cœurs. Ainsi Etienne voit le Fils de l'homme assis à la droite de Dieu, tandis que Paul parle de ses visions qui lui donnent de découvrir tel désir imprévisible du Seigneur sur lui. Au sein de la communauté des disciples, au vu et au su de tous, la présence du Ressuscité se manif~st~ ~in~i de façon pri­vilégiée en chacun et pour 1 éd1f1cat1on de tous, notamment par de nombreux signes du Royaume dont prophéties, guérisons et paroles de connaissance sont les plus habituels.

Dans les premières communautés chrétiennes, l'ini­tiation du baptême se modèle sur le baptême de Jésus où il reçoit l'onction pour son ministère, une force d'en haut, tandis que les cieux s'ouvrent et qu'il contemple l'Esprit envoyé par le Père qui le reconnaît son « bie~­aimé ». Le baptisé était ainsi invité à demander les mani­festations de la puissance de l'EsP,rit, comme au jour de la Pentecôte. Pour les Pères de l'Eglise, le baptême est naissance nouvelle, inauguration d'une vie filiale qui est d'autant plus humaine qu'elle est devenue divine. Vie théologale et vie charismatique sont ~imulta~~m~nt évoquées sans que lon éprouve le besoin de dehm1ter leurs domaines propres.

Au cours des siècles, le désir de comprendre, de distinguer et de situer, aboutit à des élaborations théo­logiques qui se voulaient éclairantes. Elles furent heu­reuses en tant qu'elles permettront d'éviter à l'avenir des confusions, moins heureuses en tant qu'elles devinrent classifications étroites desquelles sont nés de nombreux problèmes et ambiguïtés actuelles. Ainsi 1' on distingue de nos jours :

1 ) la vie théologale conférée lors du baptên:ie, nourrie et entretenue par les sacrements. Elle est m.1se en œuvre de la vie divine qui nous donne de croire, d'espérer, d'aimer. Par des act~s. volontair~s et libres~ le baptisé exerce les vertus chret1ennes qui ~ont de lui un disciple de Jésus-Christ cheminant à sa suite dans la fidélité à sa Parole mise en pratique. Cette vie théo­logale s'exprime notamment par la. vie.morale tan~ i_ndi­viduelle que sociale puisque la sohdanté des chret1ens entre eux est une exigence qui va de soi pour tous.

2) la vie contemplative ou mystique qui ~st essentiellement personnelle. Elle suppose une action toute particulière de Dieu et ne dépend aucunement des efforts de l'homme. Donnée gratuitement, elle traduit une expérience spécifique d'union à Dieu, qui se mani­feste par des actes ou états qui ne procèdent pas de

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l'exercice ordinaire des facultés humaines. Le Père Laplace s.j. écrit :

« La vraie contemplation est le perpétuel jaillissement en nous de la vie divine qui nous emporte dans les pro­fondeurs de la Trinité et nous rend participants de l'amour de Dieu dans le monde» («De la lumière à lAmour », Desclée, p. 53).

Ces actes ou états dépassent ce que les forces ou les habitudes de la nature peuvent produire et réaliser par elles-mêmes. Ils viennent d'ailleurs, de plus loin, de plus haut, et ils sont associés à passif, infus, extraordi­naire. La tradition les compare aux voiles du navire gon­flées par le vent, les opposant ainsi aux rames actionnées par les vertus.

3) la vie charismatique qui édifie la communauté et en fait le corps du Christ dont chaque membre est différencié par lexercice de charismes qui lui sont propres, ces manières personnelles de manifester l'~~i­tiative de l'Esprit en lui. Très tôt, elle fut comme oubhee et dès le ive siècle elle est pratiquement réduite aux actes apparemment contraires aux lois ordinaires de la création, à tous les phénomènes miraculeux. Sa recon­naissance ne fut peu à peu admise que référée à des « saints » ou à des lieux de pèlerinage dans lesquels les guérisons furent toujours nombreuses au dire du peuple.

LA PRIMAUTÉ OFFICIELLE ACCORDÉE À LA VIE THÉOLOGA~E N'A JAMAIS TOTALEMENT VOILE LA VIE MYSTIQUE ET CHARISMATIQUE

Progressivement, en Occident, le souci. de veiller à l'authenticité doctrinale donna aux élaborations théolo­giques une importance dominante. Il ~~rait .caricat~ral d'attribuer à une époque la responsab1hté dune orien­tation aussi réductrice, mais nul doute que les disciples de saint Thomas d'Aquin consacrèrent la primauté d'une spéculation rationnelle qui avait déjà trouvé son élan en saint Augustin. Avec eux, l'essentiel devenait la connaissance des éléments ontologiques de la vie chré­tienne à l'aide d'une analyse philosophique aristotéli­cienne. L'expérience personnelle de conversion avec ses aspects d'illumination et d'union mystique telle que saint Augustin ou saint François l'ont vécue s'ef!ace devant les magnifiques constructions de la scolastique qui mettent de plus en plus l'accent sur la vie morale que tout chrétien se doit d'observer. Raison et volonté font passer peu à peu au second plan la gr~tui~é de. la vie de l'Esprit ; œuvres, sacrements ~t orga_m_sat10~ ~!é­rarchique voilent de plus en plus les 1mprév1s1bles 1mt1a­tives de l'Esprit vivant dans le cœur des croyants. Ces dernières sont cependant aussi présentes que jadis mais les excès des « illuminés » de toutes les époques ne firent que renforcer une méfiance qui n'empêcha pas le rayonnement d'un Ignace de Loyola, d'un Jean de la Croix ou d'une Thérèse d'Avila. A côté des écoles théologiques, de l'organisation sacramentelle de l'Église sous l'autorité des clercs, de l'éla~oration san~ cesse plus affinée des ~ormes ~e la v_1e mor~le, 11 semble bien que c'est toujours la vie mystique qui est à

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la source de nouvelles fécondités et renouvelle de l'inté­rieur le dynamisme créateur de l'Église. Celle-ci le reconnaît implicitement en canonisant avant tout de saints religieux, en reconnaissant les mirales opérés sous leur égide comme d'authentiques manifestations de la présence de l'Esprit du Ressuscité chez les croyants. Un saint François de Sales tentait avec bonheur de restituer aux simples dévotes les joies de la vie contemplative tandis que Jean Eudes, Vincent de Paul et des petites sœurs des pauvres laissaient per­cevoir que les miracles étaient chez eux événement quotidien au bénéfice des petits. Par ailleurs, Margueri­te-Marie Alacoque invitait à une vie chrétienne puisant sa flamme dans la contemplation personnelle du cœur transpercé du Christ et à se livrer au brasier de son amour. Et selon son charisme propre, Catherine Labouré à la rue du Bac invite encore aujourd'hui le petit peuple à espérer les manifestations charismatiques les plus surprenantes : des miracles.

Lourdes n'est-il pas un de ces lieux témoins de la persistance, grâce à l'initiative divine, de cette primauté de la vie mystique et charismatique au siècle le plus rationaliste et moralisant qui fut 1 Alors que sciences et idéologies interdisent de plus en plus, même aux chrétiens, d'accréditer ce qui ne serait pas logique, vérifiable, reproductible, démontrable, voilà qu'une petite bergère illettrée et pauvre est reconnue malgré tous authentique témoin évangélique. li lui est donné de contempler Marie, de converser fami­lièrement avec elle, et ce sont bien des manifestations charismatiques, paroles prophétiques et merveilles de Dieu, qui obtinrent des responsables ecclésiastiques de s'incliner: un rosier qui fleurit en plein hiver, une source qui jaillit au moment voulu et là où personne ne l'aurait soupçonné, des guérisons indubitables et imprévisibles.

Quand nous allons devant la grotte, nous voyons toute une communauté chrétienne constituée de gens venus de partout : dans l'humilité et la simplicité, ces hommes et ces femmes qui font un acte de foi, d' espé­rance et de charité en venant à Lourdes, méditent l'exemple de Bernadette et voient de quelque façon le ciel s'ouvrir pour eux: même si leur contemplation n'est pas très élaborée, ils se vivent en relation personnelle avec la Sainte Vierge ; avec leurs pauvres moyens d'expression, des cierges et des Ave Maria, ils croient qu'ils sont aimés de Dieu et se vivent enfants de Dieu. Il s'agit bien d'une contemplation: quand on vient à Lourdes, les cieux s'ouvrent pour beaucoup mais cela n'est pas proclamé et n'intéresse guère ceux qui ne le vivent pas personnellement.

Par ailleurs, à Lourdes, chaque pèlerin est acteur d'une authentique vie charismatique: il n'est venu que parce qu'il y a été invité par !'Esprit le mouvant de l'inté­rieur. Chacun manifeste ainsi de quelque manière la vie de !'Esprit qui l'habite : les brancardiers à leur façon, les malades d'une autre. Pour ceux qui l'entourent, le pèlerin est un témoin qui par sa seule présence clame qu'il est fils de Dieu, qu'il se sait aimé de Dieu: par ses gestes, son attention aux autres, son accueil, il se montre non plus « vieil homme » mû par les passions de ce monde, mais bien « homme nouveau » à l'image de Jésus de Nazareth.

Lourdes nous montre donc les trois dimensions de la vie baptismale comme réconciliées dans leur complé­mentarité: la vie théologale, puisque tout pèlerin qui

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vient ici pose un acte de foi, d'espérance et de charité ; la vie contemplative, puisque les cieux s'ouvrent pour tous les pèlerins qui sont introduits par Marie dans l'in­timité des saints et même des personnes trinitaires ; la vie charismatique, puisque chacun manifeste de façon unique et personnelle qu'il est habité par l'Esprit le mouvant de l'intérieur et lui faisant poser des actes qui construisent ce corps du Christ qu'est la communauté chrétienne rassemblée devant la grotte.

LA MAISON DE LAZARE

C'est de façon autre mais semblable que le Renouveau charismatique manifeste ces trois dimen­sions de la vie baptismale: chaque participant d'une assemblée de prière est invité à y manifester qu'il n'est pas seulement mû par la charité, lespérance et la foi, la vie théologale, mais qu'il est également contemplatif et charismatique. Il m'apparaît opportun de témoigner du vécu concret dans lequel je suis personnellement engagé afin d'illustrer les considérations précédentes.

La Maison de Lazare fut fondée en septembre 1985. C'est un simple pavillon de la proche banlieue parisienne, à Issy-les-Moulineaux. L'entrée principale, au rez-de-chaussée, mène vers les salles d'attente et les cabinets de cinq praticiens : deux médecins généralistes et trois psychothérapeutes. Leur pré­sence se veut affirmation claire de la singularité des accueils dans la prière : loin de dispenser de soins médicaux ou d'un travail psychothérapeutique, ils donnent au malade la force de les vivre. L'autre entrée, plus discrète, au rez-de-jardin, dessert un oratoire où le Saint Sacrement est exposé dès qu'il y a accueil. Dans deux vastes pièces lumineuses, des fauteuils sont orientés vers une icône de la résurrection de Lazare : la Parole de Jésus lui a rendu la vie et ses amis le libèrent des bandelettes qui lenserraient dans la mort.

Chaque jour, deux à quatre personnes vivent un accueil spirituel à la Maison de Lazare. Pour chacune, une dizaine de bénévoles se rendent disponibles toute une matinée ou toute une après-midi.

Les accueillis

Des Lazare de notre temps. Qu'est-ce à dire ? Pour nous, ce sont des chrétiens qui souffrent dans tel ou tel aspect de leur vie d'une manière qui leur semble intolé­rable ou incompatible avec leur foi. D'une façon ou d'une autre, ils se coupent des autres, s'enferment dans leur trou et exhalent déjà une odeur de mort. Des chrétiens, certes, car Lazare était pour le Christ un ami. Saint Jean nous précise que ses sœurs, Marthe et Marie, envoyèrent dire à Jésus:« celui que tu aimes est malade». Tout accueilli à la Maison de Lazare doit pouvoir être reconnu comme un ami du Christ. Sauf exception, il est donc un baptisé qui comptait sur le Christ mais en arrive à désespérer de la vie, tellement le Seigneur semble indifférent à son intolérable souf­france.

De tels Lazare abondent dans notre société. Qu'im­porte la nature de leur souffrance 1 qu'elle soit phy­sique, psychique ou spirituelle, elle fait parfois d'eux des hommes et des femmes qui préféreraient mourir plutôt que de voir se prolonger pareille existence : can-

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Le surnaturel au quotidien

céreux ou sidéens, divorcés ou célibataires n'en pouvant plus de toujours se retrouver seuls, chômeurs révoltés contre l'injustice sociale ou pécheurs culpabi­lisés au point de se croire damnés, consacrés s'interro­geant sur lauthenticité de leur vocation ou simple orant ne pouvant plus supporter labsence apparente du Sei­gneur à tout ce qui fait leur prière ... Il n'est pas question d'opérer un quelconque diagnostic médical ou psycho­logique, même si parmi les accueillants se trouve l'un ou l'autre médecin ou psychothérapeute, ces derniers participants à l'accueil au titre de leur foi. Tout «Lazare» est avant tout quelqu'un qui souffre et n'en peut plus, quelqu'un qui crie au secours vers Jésus, à moins qu'il n'ait cessé de crier tout en comptant sur ses amis pour implorer à sa place leur ami Jésus.

Les accueillants

Ce sont des bénévoles, pour la plupart formés par la vie charismatique. Paroles prophétiques et images sont pour eux des manifestations habituelles de l'Esprit au sein des assemblées de prière du Renouveau dans lesquelles ils se sont découverts appelés à se recon­naître contemplatifs : ils ont appris à voir l'Esprit du Christ à I' œuvre dans les multiples conversions dont ils sont témoins, dans les cœurs jadis glacés et main­tenant brûlant d'amour des fils prodigues qui les entourent. Ils entendent le Ressuscité lui-même leur parler personnellement à travers un texte d'Écriture ou quelque prophétie si bien que maintenant ils goûtent quotidiennement la boulerversante miséricorde du Père en se reconnaissant eux-mêmes bien semblables au fils aîné ou au fils prodigue. Cette contemplation leur est devenue familière et c'est une joie pour eux de consacrer une matinée ou une parès-midi entière chaque semaine pour entourer un « Lazare » et demander au Christ de venir à son secours, de le sauver.

Les accueillants sont de toutes conditions sociales, de tout état de vie, de tout âge quoiqu'en général d'un âge mûr. Certains sont venus pour la première fois en tant qu'accueillis mais nombreux sont ceux qui, bien qu'accueillants, ont demandé un jour d'être accueillis à leur tour. li leur est devenu clair que tout chrétien est et sera toujours de quelque manière un « Lazare » sorti de son tombeau certes, mais encore enserré dans quelques bandelettes. Cette expérience les pousse à approfondir leur foi et leur vie chrétienne par des études qui touchent aussi bien à l'anthropologie et aux sciences humaines qu'à la théologie, !'Ecriture ou la vie spirituelle.

Le déroulement habituel d'un accueil

L'expérience nous a conduits à adopter des struc­tures qui se sont vérifiées opportunes. Aujourd'hui, tout accueil comporte trois temps bien distincts.

1) Un temps de construction de la commu­nauté d'accueil dans le Christ. L'équipe d'accueil, huit à dix personnes le plus souvent, se rassemble

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autour du Saint Sacrement pendant vingt ou trente minutes. Chacun exprime sa volonté d'être dépouillé de tout ce qui l'encombre afin d'être entièrement dispo­nible au sein de la petite communauté rassemblée autour du Christ. Puis tous demandent à l'Esprit de les préparer à le laisser se manifester à travers l'un ou l'autre, comme il le voudra.

Durant cette prière préliminaire, les participants ne cessent de poser des actes de foi, d'espérance et de charité. C'est avec foi qu'ils se réclament d~ leur identité de membres du Peuple de Dieu qu'est l'Eglise, membres dont seul l'Esprit peut faire une communauté susceptible d'accueillir au nom du Christ lui-même. C'est dans la foi qu'ils déclarent croire que le Vivant est au milieu d'eux, espérer qu'il accueillera lui-même à travers eux !'accueilli qui est dans la salle voisine, le plus souvent angoissé, l'air accablé. S'ils affirment leur volonté de l'accueillir et de l'aimer comme le Christ lui-même l'aime, ils savent bien que cela ne leur sera possible que lorsque l'amour du Christ lui-même sera libéré en eux.

Tout au long de cette prière, les manifestations charismatiques sont habituellement peu nombreuses. C'est un temps de conversion des cœurs, d'exercice volontaire de la vie théologale et morale. Au terme de cette prière les accueillants constatent le plus souvent qu'ils sont devenus un seul corps: tous sont maintenant en attente contemplative et prêts à laisser l'Esprit se manifester à travers l'humanité de chacun.

2) Le temps de l'accueil proprement dit. Trois ou quatre personnes demeurent devant le Saint Sacrement tandis que cinq ou six autres se rendent dans la salle où !'accueilli les attend devant l'icône de la résurrection de Lazare. Chacun se présente brièvement, comme un frère aîné de I' accueilli, un Lazare que la Parole de Jésus a relevé et libère encore maintenant. Puis tous demandent au Seigneur d'accueillir lui-même celui qui se présente comme un suppliant. C'est un de s~s amis, un baptisé, membre de son Corps qu'est l'Eglise: qu'il le sauve puisqu'il est venu pour sauver ce qui est perdu, guérir ce qui est malade. L'accueilli est alors invité à crier comme il peut son insupportable souffrance, son désespoir ou sa révolte, son sentiment d'être abandonné ou condamné, ses peurs, son angoisse ...

Et la rencontre commence, imprévisible et toujours différente, comme chacune des rencontres de Jésus avec les pauvres, les ,exclus, les opprimés, les aveugles ou les boiteux de l'Evangile. Nul ne saurait ce qui va advenir, si ce n'est que Jésus va se faire entendre, réconforter, guérir de quelque façon, sauver. Qui ne reconnaîtrait que le Vivant est bien présent, invitant à la confiance et respectueux de la liberté de chacun, pleurant parfois sur son ami ou l'interpellant avec fermeté comme lorsqu'il s'adressait à certains phari­siens au cœur endurci ? Tous les reconnaissent, Lui, bien sûr sans le voir : ce sont les membres de la com­munauté accueillante qui vivent toutes ces attitudes du Christ, presque malgré eux. Pourquoi ne se manifeste­rait-il pas ainsi à travers eux par ces charismes donnés

MÉDECINE DE L'HOMME N° 213

à chacun pour le bien de tous ? Charisme de bienveil­lance libérée de toute ombre de jugement ou de morali­sation, charisme d'infinie miséricorde à légard du pauvre Lazare qui est là, charisme de parole d'autorité qui fait entendre l'ordre de Jésus: «Viens ici, dehors».

Les charismes sont donnés autant et plus qu'il n'est demandé. La plupart n'ont rien d'extraordinaire car l'Esprit se contente de surélever les facultés, comme l'écrivent les théologiens. Il anime nos facultés d'une façon qui dépasse notre entendement mais sans le brutaliser, si bien que souvent ceux qui les exercent estiment « naturel » de s'être exprimé comme ils l'ont fait. Mais les fruits de ces charismes sont tels chez I' ac­cueilli que s'impose l'évidence de la puissance de l'Esprit Saint. De fait, au terme de l'accueil, le« Lazare» n'est plus dans son tombeau: le voici debout, récon­cilié avec son insupportable histoire de misère qui s'est pour une part transfigurée en histoire sainte, en suite du Christ serviteur souffrant dans lequel il reconnaît l'amour miséricordieux du Père pour ses enfants.

Au terme, I' accueilli est invité à exprimer au Sei­gneur son désir qui reprend d'une manière nouvelle sa demande initiale. Ce n'est plus un cri de souffrance mais l'expression, douloureuse encore. d'une relation aimante emplie d'espérance et confiante, une réconci­liation qui aura, bien sOr, à se confirmer dans la durée grâce à ce combat spirituel qui spécifie toute vie chré­tienne.

Le temps de l'accueil proprement dit est donc contemplatif et charismatique tout à la fois. Chacun contemple le Ressuscité à travers les manifestations de son Esprit animant chacun des membres de son Corps. Si le Christ lui-même demeure invisible, c'est cependant bien une relation personnelle avec lui que vit I' accueilli. Au terme de l'accueil, il lui est remis un« mémorial», un texte rassemblant l'essentiel de ce qui a été vécu lors de cette rencontre.

3) Dans un 3° temps, les accueillants à nouveau réunis après le départ de l'accueilli s'interrogent sur ce que chacun a vécu tout au long de l'accueil: quels mou­vements intérieurs ont surgi en eux, ce qu'ils en ont fait. Temps de discernement pour reconnaître l'origine de ces mouvements: lesquels seraient en vérité nés d'une motion de l'Esprit et donc source d'une authentique expression charismatique, lesquels s'origineraient plus vraisemblablement dans la seule activité propre de leur psychisme. Discernement semblable à celui de tout priant qui, dans son oraison, doit pouvoir reconnaître en lui ce qui vient de son fond propre de ce qui est habi­tuellement appelé grâce. C'est donc à nouveau un temps de travail théologique exigeant un minimum de réalisme et de connaissance anthropologique et bien sOr de formation au discernement spirituel tel que saint Ignace le propose dans ses «Exercices».

QU'EN EST-IL DES GUÉRISONS OBSERVÉES A LA SUITE D'ACCUEILS SPIRITUELS A LA MAISON DE LAZARE 7

Au terme, les accueillants ne savent pas très bien ce qui s'est passé dans !'accueilli: le sait-il lui-même? La plupart du temps, les gens qui sont venus sortent

MÉDECINE DE L'HOMME N° 213

avec un autre visage que celui qu'ils avaient en arrivant et semblent de quelque façon réconciliés avec eux­même, réconciliés avec leur histoire. Souvent le fardeau qui les écrasait est devenu une croix qui les invite à se mettre davantage à la suite du Christ et à écouter sa Parole.

Des guérisons physiques. Nathalie devait apprendre le braille de toute urgence. Elle ne pouvait déjà pratiquement plus lire, mais quinze jours après avoir vécu un accueil à la Maison de Lazare, elle constate qu'elle peut à nouveau lire la Bible de Jéru­salem dans son édition de poche. Sept ans après, elle y voit toujours fort bien ... Les médecins avaient averti le mari d'Isabelle qu'elle n'avait plus qu'environ trois mois à vivre, vu le caractère fulgurant du cancer de la peau qui la ravageait. Au retour d'un accueil, les médecins, après bien des examens, déclarèrent avoir fait une erreur de diagnostic face à sa santé incompréhensi­blement recouvrée. Les guérisons physiques, plus modestes pour la plupart que celles-ci, il est vrai, ne seront jamais lobjet essentiel de notre action de grâce.

Des guérisons psychiques. Elles sont nom­breuses. L'histoire de chacun fait que ses facultés psy­chiques, à savoir son affectivité, sa capacité de rai­sonner et sa volonté sont aujourd'hui plus ou moins déviées, entravées et même parfois bloquées. Il en résulte une relation à soi-même, aux autres et à toute la création plus ou moins difficile. La santé psychique est alors mal en point, elle que lon pourrait définir une capacité de relations et d'adaptation aux autres et au m·onde. À la Maison de Lazare, nous sommes souvent surpris par d'imprévisibles guérisons de cet ordre. Bernard était alcoolique: son entourage l'ignorait mais à la maison, c'était l'enfer. Il désirait que nous priions sur lui, mais en cachette. Je lui proposais une prière d'Église pour qu'il soit présenté au Seigneur par tout un groupe de frères et sœurs. Ce fut difficile pour lui, cadre supérieur, d'accepter ce dévoilement de sa misère devant tout un groupe de chrétiens. Dans la prière il lui fut demandé qu'en rentrant chez lui il aille chercher la meilleure bouteille de sa cave et la casse sur l'évier en disant «Seigneur, je te bénis». Cela se passait voici deux ans et, comme je l'ai récemment revu avec son épouse, je puis affirmer que depuis il n'est plus du tout tenté par l'alcool. C'est un signe parlant pour Bernard mais la guérison consiste avant tout dans le fait qu'il peut à nouveau être un homme responsable dans sa famille et sa vie professionnelle.

Toutefois, à la Maison de Lazare, les guérisons sont d'abord spirituelles. Elles sont avant tout restau­ration de la communion avec le Seigneur et de ce fait réconciliation de l'accueilli avec lui-même et avec toute son histoire qui prend à ses yeux sa dimension d'his­toire sainte. Comme nous le montrent sans cesse les récits de guérison dans l'Évangile, le salut en Jésus­Christ remet l'homme debout. Il est guérison de tout l'homme mais d'abord guérison à la racine de son être : quand Jésus sauve, il redonne à chacun sa vraie dignité d'enfant bien-aimé du Père quel que soit son état actuel, l'état dans lequel il s'est mis du fait de ses erreurs et fautes, ou létat dans lequel les événements et les hommes l'ont mis. Ainsi réconcilié, sûr d'être aimé, le malade qui se reconnaît traité en ami par le Christ découvre en lui une force qui l'étonne lui-même et lui permet de vivre sereinement tout état de son

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Le surnaturel au quotidien

corps, si douloureux soit-il. Comment s'étonner que cette attitude se déploie souvent en guérison phy­sique? De plus, par l'Esprit filial qui l'anime de façon renouvelée, le croyant peut s'abandonner filialement au Père alors même qu'affectivement et rationnellement ceux qui l'entourent le rejettent ou l'accusent, en font un être méprisé ou même un exclu. Comment s'étonner que cette sérénité se traduise rapidement par des gué­risons psychiques, une capacité retrouvée de s'adapter à la dure réalité dans les relations humaines ?

C'est ainsi que lexpérience que nous faisons à la Maison de Lazare nous rend de plus en plus évident que lorsque Jésus sauve, il remet l'homme debout dans toutes les dimensions de son être : non seulement il le réconcilie avec Dieu, mais de quelque façon il le rétablit dans son corps et le réinsère dans la société.

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COMMUNIQUÉS LES FONTAINES

Centre culturel

Samedi 5 novembre (10 h) Dimanche 6 novembre 1994 (17 h)

La personne handicapée, mon sem­blable •••

Peurs et rejets marquent souvent nos relations avec les personnes handi­capées. Est-ce la différence - physique, psychique - qui les tient ainsi toujours sous la menace de l'isolement? Est-ce, à l'inverse, une trop grande proximité avec une part de nous-mêmes que nous tentons de dissimuler ?

- Marie-Hélène BOUCAND, Médecin de rééducation fonctionnelle.

- Bernard MATRAY s.j., Département d'Éthique Bio-médicale, Centre Sèvres, Paris.

- Gérard MEMETEAU, Professeur de Droit.

- Jean-Sébastien MORVAN, Physiologue.

- Luc PAREYDT, Rédacteur en chef « Cahiers pour Croire aujourd'hui».

Pour tous renseignements:

«Les Fontaines», B.P. 219 60631 Chantilly Cedex

Tél.: 44.57.24.60

CONCLUSION

Ce qui est vécu à la Maison de Lazare l'est de façon assez semblable dans de nombreux lieux animés par des personnes vivant le Renouveau charismatique. C'est pourquoi notre exposé devrait vous aider à mieux cerner l'un des apport,s spécifiques du courant charis­matique au sein de l'Eglise : son service de prière de demande de guérisons. Cet apport spécifique est souvent difficile à percevoir en raison de la complexité des situations. Voilà pourquoi la présidente de la Maison de Lazare et moi-même invitons ceux qui parmi vous en exprimeraient le désir à venir y vivre au moins une journée. La seule condition que nous mettons pour participer à un accueil spirituel, est de le vivre en tant que croyant et priant.

PAX CHRISTI

Section française du mouvement catholique

international Le Mouvement PAX CHRISTI, mou­vement catholique de promotion de la paix, est particulièrement interpellé par l'extension de la violence chez les jeunes. Conscients du rôle primordial que joue la télévision dans notre société, nous envi­sageons une campagne de lettres sur ce sujet, destinées aux responsables poli­tiques et médiatiques (projet de tract ci-joint).

L'importance de lenjeu nécessiterait le plus large consensus et une certaine mobilisation de l'opinion publique.

C'est pourquoi nous proposons à un ensemble d'associations de sensibilités diverses de s'engager dans cette cam­pagne, en l'appuyant nommément et en acceptant de la diffuser.

Espérant pouvoir compter sur votre parti­cipation, nous vous prions d'agréer nos bien cordiales salutations. •

Michel LAFOUASSE, Président de la Commission non-violence.

Secrétariat national français 58, avenue de Breteuil

75007 Paris - "IZ' (1) 44.49.06.36 Télécopie: (1) 44.49.02.15

C.C.P. 8. 122-18 B Paris

MÉDECINE DE L'HOMME N° 213

GUÉRISONS MIRACULEUSES : point de vue d'un protestant

par le Pasteur François ROCHA T (*)

Avec l'aimable autorisation de «Ouvertures», revue de l'A.M.S.P. (**)

Un congrès récemment organisé à Lourdes par le Centre Catholique des Médecins Français a traité de « guérisons et miracles ». Le point de vue protestant n'a pas été demandé et n'a donc pu s'y exprimer. La sollicitation est venue, après coup, d'un journaliste responsable de la rubrique médicale d'un grand hebdomadaire. Voici donc quelques éléments de réflexion d'un protestant qui, pour n'être pas médecin, n'en est pas moins directement intéressé comme théologien et aumônier hospitalier.

Il y a guérison ...

Dans son usage courant, ce mot indique le rétablissement de fonctions physiques un moment perturbées, la réparation d'une souffrance d'abord physique qui, d'un coup, se trouve supprimée ou rendue supportable (ce que montrent certains handicapés physiques).

Elle est du ressort des médecins qui mettent en œuvre leurs moyens thérapeutiques : ils guérissent des maladies ou des blessures.

Si c'est dans ce sens que l'on entend la guérison, parler de guérison miraculeuse, c'est dire :

- que des guérisons sont inexplicables selon nos possibi­lités actuelles d'investigations médicales ou scientifiques ;

- que ces guérisons échappent au savoir ou à la ratio­nalité humaine ;

- que, dès lors, il s'agit peut-être d'une action, d'une intervention divine, fortement suggérée dans certains lieux reconnus comme lieux de prière.

Je constate cependant que la guérison, dans ce sens médical usuel, ne prend pas en considération la personne souf­frante dans son ensemble ou sa globalité, mais seulement dans tel de ses membres ou fonctions. Plusieurs remarques en découlent:

- il me semble alors évident que la possibilité existe, sans doute mesurable statistiquement eu égard au nombre de personnes en jeu, de guérisons inexplicables, spontanées ou non;

- qualifier une guérison de miraculeuse, donc évoquer l'intervention de Dieu dans le phénomène constaté et inex­pliqué, c'est pour le plus grand nombre reconnaitre qu'il y a des gens qui croient, qui mettent leur foi en Dieu. C'est d'ail­leurs d'abord pour prier, plus que pour appeler au miracle, que beaucoup de pèlerins se rassemblent à Lourdes ;

- décréter que parmi les guérisons inexpliquées certaines sont miraculeuses et pas les autres, c'est, pour l'Église ou l'instance qui agit ainsi, aller au-delà du pouvoir médical alors dépassé ou suspendu et se donner un autre pouvoir, celui de décréter si c'est ou non l'œuvre de Dieu. C'est en somme établir une preuve. Je crois que Jésus a été confronté à la même prise de pouvoir de la part des officiels religieux de son temps.

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••• et guérison

En tant que théologien protestant, lecteur de la Bible et donc de l'Évangile, il me semble que :

- guérir a un sens beaucoup plus vaste; il touche l'en­semble de la personne, dans sa vie physique, mais aussi spiri­tuelle, affective, sociale. Ou encore, si j'en crois les témoi­gnages évangéliques, dans sa vie spirituelle, affective et sociale, mais aussi physique ;

- guérir est donné par Dieu comme signe à recevoir et à lire comme action de la grâce de Dieu, de son amour gratuit. Signe pour tous et donc pour qui veut le lire pour sa foi, mais que personne ne peut codifier ou juger ; signe qui échappe à tout pouvoir ;

- la question de la guérison, miraculeuse ou non, est donc celle de son sens, non de son explication :

• qu'est-ce que cela me dit ••• ? et en ce sens la réponse varie d'une personne à l'autre pour un même événement,

• à quoi ou à qui cela me renvoie-t-il qui me fasse vivre ? - dans cette perspective, si l'on admet que la science,

médicale ou non, a pour objectif d'expliquer mais non de donner sens, de soigner-rétablir-réparer des éléments d'une personne et non de la « convertir » ou lui rendre son unité per­sonnelle-spirituelle, on peut affirmer que, quels que soient les progrès médicaux, la personne humaine échappera toujours à toute science qui viserait à la mettre en schémas ou en équa­tions ; il y aura toujours des événements de guérison évi­demment inexplicables mais qui pourront parler au cœur de l'homme. C'est là qu'est le Dieu de l'Evangile et non dans la peau de chagrin de ce qui reste inexplicable !

Il convient enfin de noter que certains milieux protes­tants, dits « évangéliques », sont plus sensibles aux phéno­mènes de guérison «spirituelle» (avec «preuve» physique) au point parfois d'aller jusqu'à négliger les moyens thérapeu­tiques médicaux : ils en appellent à leur foi, à la puissance de leur prière qui deviendraient ainsi efficaces ...

Je crois qu'il y a là un risque de déviance par rapport.à la seule chose qui m'est donnée: guérir, c'est se retrouver en Dieu, Dieu en moi, et ça c'est lui qui le peut, par grâce (sans omettre les moyens médicaux appropriés pour mon rétablis­sement physique). Je ne peux que le lire et en être recon­naissant. Tout rétablissement, d'une personne toute remise sur pied, debout - c'est le même mot que résurrection - m'est signe de Dieu, même si c'est le médecin qui a agi - et heureusement, c'est le plus souvent ce qui arrive ! •

(*) Président de la Commission Église et Santé de la Fédération Protestante de France et membre de l'A.MS.P.

(**) Association médico-sociale protestante de langue française.

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~ . erzsons et

Rapports du congrès organisé à Lourdes en octobre 1993 par le

CENTRE CATHOLIQUE DES MÉDECINS FRANÇAIS (C.C.M.F.)

et l' ASSOCIATION MÉDICALE INTERNATIONALE DE LOURDES (A.M.l.L.)

Une mise au point remarquable sur un sujet qui demeure très controversé

Qu'est-ce que guérir ? Guérir sans la médecine ... Les guérisons à Lourdes : historique, inventaire, contentieux

Le rôle des médecins. La positi.on prudente de l'Église Miracles dans le Judaïsme et l'Islam

La théologie du miracle

* * *

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VIE DES MOUVEMENTS MÉDICO-SOCIAUX CHRÉTIENS

par le or Pierre CHARBONNEAU

SOUFFLES - Présences et perspec­tives en santé mentale - N° 133 -Avril 1994

L'évolution des mœurs depuis quelques décennies a transformé beaucoup d'atti­tudes et notamment dans le domaine des mœurs. Il est possible maintenant de parler de sexualité, mais cette liberté comporte des risques, celui d'en rester aux images, aux modes, aux slogans ou aux jugements moraux sans nuances.

Aussi ce numéro de Souffles se propose de répondre à quelques-unes des questions suivantes: - Qu'est-ce que le sexuel?

- Comment se vit la sexualité en hdpital psychiatrique ?

- Et l'homosexualité ?

- Que faire contre l'esclavage que repré-sente la prostitution ?

- Quelles images certains /ivres-cultes d'aujourd'hui donnent-ils de la sexualité?

Il était intéressant également de nous faire connaftre les paroles d'Église sur la sexualité. Numéro très important qui se termine par une analyse critique des « Nuits fauves » de Cyril Co/lard et une étude de Paul Barre sur cr L'agressivité dans le développement psy­chique de l'enfant». •

• LAENNEC - N° 34 - Mars 1994

Voici un numéro intitulé «SIDA et Société», qui est d'une grande actualité et d'un vif intérêt. Le pr Jean Dormont nous montre tout d'abord comment le SIDA a suscité des contributions nouvelles, dont, notam­ment une intervention importante des financements publics. De même des concertations inhabituelles entre divers acteurs sociaux ont été réalisées tant au plan national qu'international avec le souci de maintenir les conditions éthiques de la recherche. La pratique de soins a dO être modifiée tant dans les hôpitaux que dans le secteur privé. Ainsi le pr Jean-Louis Vildé et le or Catherine Leport exposent bien les problèmes que pose le développement de cette épidémie et aux hôpitaux et aux médecins de ville.

MÉDECINE DE L'HOMME N° 213

Enfin le SIDA a fonctionné comme un révélateur des pratiques et des compor­tements. A cet égard, on lira avec intérêt l'article d'Olivier de Dinechin qui apporte sa contribution sur les quatre années de travail du Conseil National du SIDA et celui d'Antoine Lion qui parle de l'inter­pellation des Églises. Si ce numéro ne propose pas de réponses très précises à la question : Que faire, face au SIDA? Il évoque le chemin parcouru avec le souci de stimuler les énergies de tous ceux qui luttent aujour­d'hui. •

• OMBRES ET LUMIÈRE - N° 105 -Mars 1994

Ce numéro est intitulé: «L'enfant han­dicapé au cœur de /'École catholique» : Marie-Hélène Mathieu, dans son éditorial montre bien que les admissions ne sont pas toujours faciles. Les chefs d'établissements hésitent parfois. Ils ont aussi à convaincre les autres parents, les autres élèves. Des exemples d'intégration d'handicapés dans une école nous sont ensuite donnés. C'est parfois pour les familles un parcours de combattant, car il n'y a pas deux intégra­tions, deux itinéraires semblables. Il était nécessaire, en terminant de rappeler le rôle des congrégations religieuses qui ont été très souvent des pionniers dans l'accueil des handicapés. •

• REPSA - N° 346 - Attentes spiri­tuelles d'aujourd'hui

Ce numéro d'une grande qualité est éga­lement d'une grande actualité. Le premier article nous rappelle tout d'abord quelle était la qu§te spirituelle de /'homme biblique, car l'expérience spirituelle de cet homme peut-elle éclairer la qu§te de l'homme contemporain ? Pour Jean Potin, assomptionniste, la Bible transmet une culture qui concerne toutes les dimensions de la vie humaine.

Puis nous sont donnés des témoignages qui sont des signes d'attente spirituelle. Ces besoins spirituels sont particulièrement perçus dans la démarche de soins. Nicole Jeammet nous parle de l'accès aux réalités spirituel/es dans le développement

de la personnalité. Mais, derrière tout cela, il y a cr la difficulté de croire » que développe Agnès Rochefort-Turquin. Cet article remar­quable nous décrit le temps de /'absolu­tisme, puis celui des idéologies et des incer­titudes, si bien que l'individu se trouve face à lui-m§me. Pourtant les besoins spirituels restent parmi les besoins fondamentaux de la personne humaine ce que développe remarquablement Rosette A. Poletti, pro­fesseur à /'École Supérieure d'ensei­gnement à Genève et Lausanne. Aussi exis­te-t-il une recherche spirituelle et une demande religieuse chez nos contempo­rains ce qu'expose Cl. F/ipo, jésuite, rédacteur en chef de la revue Christus. Enfin, dernière question : comment les congrégations religieuses répondent-elles aux attentes spirituelles d'aujourd'hui? Une sœur de /'instruction chrétienne, Suzanne David, répond à cette question. Ce numéro est très intéressant, car les pro­blèmes posés sont d'une grande actualité. Il ne peut qu'intéresser les médecins qui sont parfois affrontés à des problèmes dans la démarche des soins. •

• ÉTHIQUE - La vie en question n° 12 -SIDA Il

Ce numéro de la revue Éthique publié par les éditions universitaires du Groupe MAME est consacré au SIDA. Il ne décrit pas la maladie, mais développe les nom­breux problèmes que l'apparition de cette maladie nous pose actuellement . Ainsi les prs F. Grémy et A. Bonckaert mettent bien en évidence comment le SIDA contribue à faire voler en éclat le modèle scientifique et le système de croyances dominants depuis le milieu du siècle. Et le colloque personnel que devient-il tout au cours de cette affection ? A. Leplège, de l'hôpital Bicêtre s'efforce de répondre à cette question. Autre question importante : le SIDA et l'avenir de l'Afrique. Deux démographes, J.M. Amat Roze et G.-F. Dumont donnent leur point de vue. Fait suite un «billet d'humeur» d'un pro­fesseur de philosophie à l'Université de Rennes, D. Folscheid. Cet article porte essentiellement sur la multiplicité, la com­plexité et la profondeur des relations que nous entretenons avec le préservatif, car pour l'auteur, pour se garder du SIDA, faut-il vendre son âme au diable tech­nicien?

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VIE DES MOUVEMENTS MÉDICO-SOCIAUX CHRÉTIENS (suite)

Le SIDA est le révélateur d'une appré­hension nouvelle de la sexualité, doulou­reuse et incertaine. C'est ce que met en évidence Guy Bedonelle op. en analysant les films et livres récents sur la bisexualité et surtout celui de Cyril Conard « Les nuits fauves».

Nous est donné ensuite un point de vue d'orthodoxes sur le SIDA et les réponses de Ch. Thibault de 1'1.N.R.A. et J. Testart de l'l.N.S.E.R.M. à deux questions impor­tantes. Peut-on, doit-on expérimenter sur les gamètes et l'embryon humain. •

• A.H. - Avril 1994 - N° 142 - Aumô­neries des hôpitaux, cliniques, maisons de retraite et de cure

Ce numéro est consacré à la spécificité de la mission de «/'aumônerie hospitalière». Comme l'explique très bien J.-A. Noual dans /'éditorial, dans ce monde particulier où nos équipes côtoient de multiples inter­venants, quel est notre apport spécifique ? Un aumônier de Nantes répond à cette question dans un article intitulé « Pourquoi venez-vous... que dites-vous de vous-même?

Autre problème posé dans /'éditorial: la présence de /'aumônier est différente de celle des autres intervenants du système de soins même si celui-ci se sent solidaire de leurs efforts et attentif à leurs recherches. Des témoignages intéressants nous sont donnés sur ce point.

Mais la spécificité ne sera conservée que si les interventions de /'aumônerie portent la marque de la singularité chrétienne qui ne peut se faire connaitre qu'en référence à l'origine de notre mission. •

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le 16 octobre 1994 Bulletin d'inscription joint à ce N°

ISSN 0543-2243 Commission Paritaire

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Dépôt légal: 38 trimestre 1994 - N° d'ordre: 29774

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parlant français spécialisé dans l'histoire de l'Art.

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