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Mémoire de master de philosophie : Heidegger et le problème du monde de 1927 à 1930. Lionel Millet Mémoire de Master de Philosophie : Heidegger et le problème du monde de 1927 à 1930. Dirigé par Jean-François Courtine « Car la vérité de notre Dasein n’est pas chose simple. » Heidegger, lettre du 12 septembre 1929 à Elisabeth Blochmann, in Correspondance avec Karl Jaspers suivi de Correspondance avec Elisabeth Blochmann, trad. Pascal David, Paris, Gallimard, 1996, p. 240 2. 2 Sommaire Introduction (p. 4) I Le problème du monde dans Sein und Zeit (p. 7) 1) La thèse générale de Sein und Zeit sur le monde (p. 7) A. L’affirmation de l’être-au-monde comme détermination originelle du Dasein (p. 8) B. La mise à l’écart des interprétations barrant l’accès au phénomène qui en découle (p. 8) 2) La mondanéité du monde ambiant (p. 11) A. Remarques préliminaires (p. 11) B. La mondanéité du monde ambiant (p. 12) La modalité du rapport quotidien à l’étant et l’être de celui-ci qui y est découvert (p. 12) La manifestation de l’appartenance de l’étant au monde dans la préoccupation (p. 14) Le renvoi en tant que phénomène constitutif de la mondanéité du monde ambiant (p. 15) C. Le contraste entre l’analyse précédente et celle de Descartes (p. 18) D. La spatialité du monde (p. 20) Les analyses consacrées à la spatialité dans la première section de Sein und Zeit (p. 21) Le rapport entre la spatialité et la temporalité dans le § 70 (p. 24) La critique de D. Frank envers une telle conception de l’espace (p. 26) 3) Le « qui » de l’être-au-monde et l’être-au en tant que tel (p. 30) A. Le « qui » de l’être-au-monde (p. 30) B. L’être-au en tant que tel (p. 34) Les trois modalités de l’être-au (p. 34) La disposition affective (p. 34) L’entendre (p. 35) La parole (p. 37) Les modes déficients correspondants et le dévalement (p. 37) 4) La saisie authentique de l’être-au-monde (p. 40) A. L’angoisse comme ouverture à l’être-au- monde en tant que tel. La révélation de la possibilité de l’authenticité du Dasein dans le phénomène du Gewissen et la résolution. (p. 40) L’épreuve de l’angoisse (p. 41) L’appel du Gewissen (p. 43) La résolution (p. 46) B. L’être du Dasein comme temporalité. Le monde et le temps (p. 47) Conclusion (p. 50) II L’analyse de Vom Wesen des Grundes (1928) et son rapport avec la conférence Was ist Metaphysik ?(1929) (p. 52) 1) L’analyse du monde dans Vom Wesen des Grundes (p. 52) A. L’émergence du problème du monde dans cet essai (p. 52) B. Déterminations historiques du concept de monde (p. 54) a) De la transcendance au problème du monde (p. 54) b) Les déterminations historiques du concept de monde (p. 56) Le concept Grec de monde (p. 56) Le concept chrétien de monde (p. 57) Le concept kantien de monde (p. 58) 3. 3 C. Monde, transcendance, liberté et différence ontologique (p. 60) a) La transcendance et le monde dans les dernières pages de la seconde partie de l’essai (p. 60) b) La reprise de la question du fondement : fondement, monde, être et liberté (p. 65) De la liberté au fondement (p. 65) Les trois sens de l’acter de fonder (p. 66) L’analyse de la question « pourquoi » (p. 68) Fondement et liberté (p. 69) Conclusion sur Vom Wesen des Grundes (p. 72) 2) La conférence Was ist Metaphysik ? (p. 73) A. L’émergence de la question du Néant (p. 73) B. Le problème de l’angoisse (p. 75) Le rejet de la logique et de l’entendement pour penser le Néant (p. 75) L’angoisse comme révélant le Néant (p. 76) Que peut révéler le Néant ? (p. 78) La réponse à la question : qu’est-ce que la métaphysique ?

Heidegger Et Le Problème Du Monde de 1927 à 1930

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:Heidegger le monde 1927 à 1930plilosophie directeur Courtine

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  • Mmoire de master de philosophie : Heidegger et le problme du monde de 1927 1930.

    Lionel Millet

    Mmoire de Master de Philosophie : Heidegger et le problme du monde de 1927 1930.

    Dirig par Jean-Franois Courtine

    Car la vrit de notre Dasein nest pas chose simple. Heidegger, lettre du 12 septembre 1929 Elisabeth Blochmann, in Correspondance avec Karl Jaspers suivi de Correspondance avec ElisabethBlochmann, trad. Pascal David, Paris, Gallimard, 1996, p. 240

    2. 2 Sommaire Introduction (p. 4) I Le problme du monde dans Sein und Zeit (p. 7) 1) La thse gnrale de Sein und Zeit sur le monde (p. 7) A. Laffirmation de ltre-au-monde comme dtermination originelle du Dasein (p. 8) B. La mise lcart des interprtations barrant laccs au phnomne qui en dcoule (p. 8) 2) La mondanit du monde ambiant (p. 11) A. Remarques prliminaires (p. 11) B. La mondanit du monde ambiant (p. 12) La modalit du rapport quotidien ltant et ltre de celui-ci qui y est dcouvert (p. 12) La manifestation de lappartenance de ltantau monde dans la proccupation (p. 14) Le renvoi en tant que phnomne constitutif de la mondanit du monde ambiant (p. 15) C. Le contraste entre lanalyse prcdente et celle de Descartes (p. 18) D. La spatialit du monde (p. 20) Les analyses consacres la spatialit dans la premire section de Sein und Zeit (p. 21) Le rapport entre la spatialit et la temporalit dans le 70 (p. 24) La critique de D. Frank envers une telle conception de lespace (p. 26) 3) Le qui de ltre-au-monde et ltre-au en tant que tel (p. 30) A. Le qui de ltre-au-monde (p. 30) B. Ltre-au en tant que tel (p. 34) Les trois modalits de ltre-au (p. 34) La disposition affective (p. 34) Lentendre (p. 35) La parole (p. 37) Les modes dficients correspondants et le dvalement (p. 37) 4) La saisie authentique de ltre-au-monde (p. 40) A. Langoisse comme ouverture ltre-au-monde en tant que tel. La rvlation de la possibilit de lauthenticit du Dasein dans le phnomne du Gewissen et la rsolution. (p. 40) Lpreuve de langoisse (p. 41) Lappel du Gewissen (p. 43) Larsolution (p. 46) B. Ltre du Dasein comme temporalit. Le monde et le temps (p. 47) Conclusion (p. 50) II Lanalyse de Vom Wesen des Grundes (1928) et son rapport avec la confrence Was ist Metaphysik ?(1929) (p. 52) 1) Lanalyse du monde dans Vom Wesen des Grundes (p. 52) A. Lmergence du problme du monde dans cet essai (p. 52) B. Dterminations historiques du conceptde monde (p. 54) a) De la transcendance au problme du monde (p. 54) b) Les dterminations historiques du concept de monde (p. 56) Le concept Grec de monde (p. 56) Le concept chrtien de monde (p. 57) Le concept kantien de monde (p. 58)

    3. 3 C. Monde, transcendance, libert et diffrence ontologique (p. 60) a) La transcendance et le monde dans les dernires pages de la seconde partie de lessai (p. 60) b) La reprise de la question dufondement : fondement, monde, tre et libert (p. 65) De la libert au fondement (p. 65) Les trois sens de lacter de fonder (p. 66) Lanalyse de la question pourquoi (p. 68) Fondement et libert (p. 69) Conclusion sur Vom Wesen des Grundes (p. 72) 2) La confrence Was ist Metaphysik ? (p. 73) A. Lmergence de la question du Nant (p. 73) B. Le problme de langoisse (p. 75) Le rejet dela logique et de lentendement pour penser le Nant (p. 75) Langoisse comme rvlant le Nant (p. 76) Que peut rvler le Nant ? (p. 78) La rponse la question : quest-ce que la mtaphysique ?

  • (p. 80) Conclusion : ltre et le monde dans Was ist Metaphysik ? (p. 83) III La mthode comparative des Concepts fondamentaux de la mtaphysique. Monde- Finitude-Solitude (1929-1930) (p. 86) 1) Un concept central pour comprendre Heidegger : lassignation formelle (p. 86) 2) La thse : lanimal est pauvre en monde (p. 88) A. Lapparition du thme de lanimal (p. 88) B. Lessence de la vie (p. 90) Premire laboration du concept de pauvret (p. 90) Lorganisme et loutil (p. 90) Le comportement de lanimal (p. 92) C. La pauvret en monde de lanimal (p. 94) 3) La thse : lHomme est configurateur de monde (p. 95) A. La tonalit affective fondamentale de lennui (p. 95) La premire forme de lennui (p. 95) La deuxime forme de lennui (p. 98) La troisime forme de lennui : lennui profond (p. 100) Conclusion sur lanalyse de lennui (p. 101) B.Lanalyse de l en tant que (p. 102) Bilan et prcisions sur le concept de monde (p. 102) Le problme du logos (p. 103) C. La configuration de monde (p. 109) Conclusion (p. 113) Conclusion gnrale (p. 115) Bibliographie (p.118)

    4. 4 Introduction Heidegger expliquait ses tudiants durant le semestre dhiver 1929-1930 consacrs aux Concepts fondamentaux de la mtaphysique. Monde-finitude-solitude ceci : Mais les trois questions quest-ce que le monde ?, quest-ce que la finitude ?, quest-ce que lesseulement ? si nous les prenons simplement telles quelles nous sont offertes, senquirent pourtant de quelque chose que tout le monde connat. Bien sr, toutes les questions de la philosophie sont de telle nature quon peut presque dire : plus un problme philosophique senquiertde quelque chose qui est encore inconnu de la conscience quotidienne en gnral, plus la philosophie ne se meut que dans linessentiel, et pas au centre. Plus est connu et va de soi ce dont elle senquiert, plus la question est essentielle.1 Du dbut la fin de sa carrire, il na cess de rpter que ce qui nous est le plus proche est aussi ce qui dabord et le plus souvent nous demeure voil, reprenant la formule de Hegel selon laquelle le bien connu, pour la raison mme quil est bien connu, est mal connu. Non point toutefois parce que nous serions ngligents ; cela tient en ralit la nature de ce qui fait question. Il nest donc pas ncessaire que les objets auxquelsla philosophie sattache sortent absolument de lordinaire. Au point que pour un phnomne tel que le monde, le sens commun demanderait : quel besoin y a-t-il de mener des recherches philosophiques sur lui, alors que nous sommes en plein dedans ? Les questions de ce genre ne pourraient natre que dans lesprit de personnes nayant rien compris la vie et en raction contre lchec de leur existence ; la philosophie, de manire gnrale, est ordinairement apprcie comme lart de poser les questions qui ne se posent pas. Au fond, nous pourrions trs bien vivre sans nous efforcer de dterminer philosophiquement ce quest le monde2 . Pourtant, le flou de lacception du terme monde peut susciter des interrogations. Est-il une chose si aisment accessible ? Si tel tait le cas, pourquoi est-il si malais de le dfinir, sauf par des rponses toutes fates, quand la question ne souffre pas dabsence totale de rponse ? Sagit-il seulement dune chose comme une autre ? Poser ces questions, cest dj quitter le bon sens commun pour qui il ny a soit-disant que des rponses. Tout le monde croit savoir ce quest le monde ; mais lorsquil sagit de le penser, il ny a plus personne. Cest pourquoi le phnomne en question napparat pas aussi simplement que nous pourrions au premier abord le croire. Il est peu probable quil soit cern dans sa spcificit lorsquil est affirm de lui quil est la somme de tout ce qui est, ou encore quil est le contenant dans lequel tout est. Dautant que dans le dernier cas, il serait possible dobjecter que nulle exprience nest faite de ce contenant en tant que tel, et quil est peut-tre simplement impossible den faire lexprience. Malgr cela, peu rpondraient ngativement la question de savoir sil ont une exprience du monde, sauf si est entendu par l le beau monde , le monde de ceux qui ne sont pas du mme monde que nous ; ou si lon comprend quelque chose comme avoir fait le tour du monde , avoir visit bien des pays travers le monde . Ceci montre que monde , tout comme tre selon Aristote, sentend de multiples manires, bien que son sens ne soit pas dhabitude mis en question. Notre tche ne consisterait-elle ceci dit quen la clarification dun concept ? Ne ferions nous office que de grammairiens, et non de philosophes, pour reprendre une opposition queffecturent ces derniers ds lAntiquit ? Nallons-nous essayer que de

  • comprendre un mot, et non daller la rencontre de la chose 1 M. Heidegger, Les concepts fondamentaux de la mtaphysique. Monde-finitude-solitude, trad. D. Panis, Paris, Gallimard, 1992, p. 262 2 Nous reviendrons sur la valeur de linvestigation philosophique propos de la notion centrale dassignation formelle (formale Anzeige) qui apparat au 70 des Concepts fondamentaux de la mtaphysique. Monde- Finitude-Solitude. La valeur de la question spcifique du monde sera cette occasion apprcie.

    5. 5 mme ? Si nous optons pour le second choix, ce nest alors plus un hasard que nous tudiions un phnomnologue ayant t llve de Husserl. Le pre de la phnomnologie donnait en effet comme mot dordre de cette mthode : aux choses mmes ! . Lintrt de Heidegger sur ce point ne sarrte pas au fait quil a abord le problme du monde en phnomnologue. Au fond, Husserl lavait dj fait avant lui, et la fait aussi en mme temps que lui (par exemple en 1929 dans les Mditations cartsiennes en dterminant le monde comme horizon de tous les horizons des vises intentionnelles). Cest plutt loriginalit de ses rponses qui doit retenir notre attention. Celle-ci nat lorigine du fait que le cadre dans lequel apparat chez lui la question du monde est tout fait spcifique. Que lon nous permette ici un trs bref rappel de son parcours. Dans sa jeunesse, Heidegger stait vu offrir la dissertation de Brentano sur les diffrentes acceptions de ltre chez Aristote. Sa lecture passionne de ce texte lamena se poser la question de savoir ce qui unifiait ces diffrentes acceptions. La Seinsfrage , qui passe pour tre la question de Heidegger, tait ds lors pose, quoique non encore de manire aussi labore que par la suite. Puis il dcouvrit les Recherches logiques de Husserl, qui lui semblrent offrir la possibilit de penser ltre notamment laide de ce que lauteur appelait l intuition catgoriale ; il suivit alors les cours de celui-ci et ft son assistant. Cest ainsi quil acquit la mthode phnomnologique, quil tenait mettre au service de la question de ltre : lontologie tait daprs lui le prolongement naturel de la phnomnologie3 . Voil pourquoi Sein und Zeit, son premier chef- duvre paru en 1927 et sur lequel il revint tout au long de sa carrire, souvre par laffirmation de la ncessit de poser nouveaux frais la question de ltre. Llaboration de cette question implique danalyser pralablement ltre de ltant qui la pose afin de parvenir y rpondre. Heidegger dtermine cet tant comme Dasein. Cest partir de la question de ltre du Dasein que nous en arrivons au problme du monde. En effet, une corrlation troite apparat entre le mode dtre du Dasein et le monde. Le monde est quelque chose qui est en rapport intime avec ltre du Dasein, et na rien dunproblme accessoire comme le Dasein a-t-il aussi un monde ? . Cest pourquoi en 1927 la structure fondamentale de son tre sera ltre-au-monde (In-der-Welt-sein). Cette affirmation demeure tout fait novatrice. Classiquement, la philosophie aurait tendance opposer lHomme comme sujet et le monde comme un objet ou lensemble des objets pour ce sujet. Chez Husserl encore, il nest de manire gnrale que lhorizon des vises dune conscience. Avec Heidegger, la relation entre Dasein et monde nest absolument pas envisager comme une relation de sujet objet: il ny a pas de Dasein sans monde, tout comme il ny a pas de monde sans Dasein. La force de cette thse est ce qui fait la fois son intrt et celui de ses implications. Elle nest pas pose dogmatiquement par le philosophe : elle tient la nature des choses mmes . Cest pour cette raison quelle doit donner lieu des descriptions sans doute indites, pour autant que le monde nestplus pens simplement comme un objet pour un sujet, comme ce que vise une conscience qui pourrait tout aussi bien tre sans monde. Relevons que cest parce que le monde a un rapport si troit avec ltre de lHomme que ce concept fera question durant toute la carrire de Heidegger, dans la mesure o doit chaque fois tre pens le rapport de lHomme ltre : ainsi par exemple en 1936 dans Lorigine de luvre dart, ou encore en 1950 dans la confrence La chose . Aborder la question du monde dans luvre intgrale de Heidegger ncessiterait un plus important travail. Nous nous limiterons ici aux textes de la priode 1927-1930, savoir depuis Sein und Zeit jusquau cours 3 Et mme, comme laffirme la fin du 7 de Sein und Zeit intitul La mthode phnomnologique de la recherche : Ontologie et phnomnologie ne sont pas deux disciplines diffrentes appartenant parmi dautres la philosophie. Les deux termes caractrisent la philosophie

  • elle-mme quant son objet et sa manire den traiter. La philosophie est lontologie phnomnologique universelle issue de lhermneutique du Dasein qui, en tant quanalytique de lexistence (Existenz), a fix comme terme la dmarche de tout questionnement philosophique le point do il jaillit et celui auquel il remonte. (trad. Vezin p. 66 [p. 38 de 19me dition publie chez Max Niemeyer ; nous ne le prciserons plus par la suite])

    6. 6 du semestre dhiver 1929-1930 Les concepts fondamentaux de la mtaphysique. Monde-Finitude-Solitude. Cela inclut donc Vom Wesen des Grundes et Was ist Metaphysik ?. Dautre part, nous reviendrons quand loccasion sen prsentera sur le cours que donnait Heidegger lpoque oil rdigeait Sein und Zeit intitul les Prolgomnes lhistoire du concept de temps (semestre dt 1925), ainsi que sur le cours donn en t 1927 Les problmes fondamentaux de la phnomnologieet celui de lt 1928 Les fondements mtaphysiques de la logique en partant de Leibniz. Les problmes que nous poserons seront donc dabord relatifs ce corpus, encore que les plus gnraux auraient aussi leur place dans un travail sur les uvres ultrieures par rapport auquel celui-ci ne pourrait faire office que de prpareration, puisquil ne porte que sur le commencement de la rflexion de notre philosophe ce sujet. Tout abord, la question la plus gnrale et qui ne peut pas ne pas se poser est celle-ci : quel est exactement le statut ontologique du monde dans cette priode ?Cest--dire : quest-il par rapport au Dasein, par rapport ltre, par rapport ltant ? Cette question est dautant plus importante que la diffrence ontologique, qui semble tre le vritable point de dpart de la philosophie de Heidegger, nest pas selon J.- L. Marion encore acquise dans Sein und Zeit. Nous devrons revenir sur ce point, mais nous pouvons dores et dj nous demander si la clarification de celle-ci aprs cette uvre nimpliquera pas des modifications quant au statut dumonde. De la question gnrale suivent celles-ci. Quel est le rapport entre le Dasein et le monde, sil nest pas de sujet objet ? Quest-il entendu exactement par tre-au-monde ? A quel phnomne cela renvoie-t-il ? Quel est le rle du monde ? Puis viennent des questions plus spcifiques. Comment dterminer la spatialit du monde, si le monde nest pas une chose , et comment se fait-il que nous nous le reprsentions dabord spatialement ? Pourquoi le monde en tantque tel est il atteint dans langoisse en 1927, alors que dans la confrence de 1929 Was ist Metaphysik ? cest cette fois le Nant qui est atteint ? Lorsque Heidegger affirme que le monde nest rien dtant, pouvons-nous lidentifier purement et simplement avec ltre ? Dautre part, ny a-t-il de monde que pour lHomme ? Lanimal na-t-il pas lui aussi un monde ? Enfin, il est clair que nous devrons nous demander quelles volutions ont eu lieu dans la pense de Heidegger concernant le monde durant cette priode, dautant que la pense de thmes propres certains textespourra mener des analyses diffrentes de notre phnomne. Le 42 des Concepts fondamentaux de la mtaphysique. Monde-finitude-solitude nous fournit ce qui constituera la structure de base de notre travail. En effet, Heidegger y explique que trois moyens sont possibles pour aborder le problme du monde. Celui mis en uvre dans Sein und Zeit, savoir une interprtation de la faon dont se meut le Dasein quotidien dans le monde devant permettre datteindre le phnomne de la mondanit. Celui utilis par De lessence du fondement, o cette fois sont analyses les interprtations historiques dominantes du concept. Celui enfin du cours en question, o la mthode est comparative (il sagit de faire ressortir le phnomne du monde en comparant ce quil en est de celui-ci pour la chose, pour lanimal et pour lHomme). Nous avons choisi, comme il va de soi, de suivre lordre chronologique des textes. Si ces trois mthodes sont possibles, cela ne signifie pas que Heidegger en arrive chaque fois un rsultat exactement identique ; maintenir lordre des textes nous permettra de mettre en vidence certaines divergences, soit certaines volutions (et aussicertaines constantes), dans les analyses de notre auteur.

    7. 7 I Le problme du monde dans Sein und Zeit (1927) Dans cette premire partie, nous voudrions dabord dterminer de manire gnrale ce concept dans le cadre du trait. Nous analyserons ensuite la mondanit du monde ambiant, puis le qui de ltre-au-monde et l tre-au en tant

  • que tel. Enfin, nous expliquerons ce quil en est de la mondanit du monde telle quelle se dvoile authentiquement dans langoisse et ce qui se fait jour dans les dveloppements ultrieurs ce moment central. 1) La thse gnrale de Sein und Zeit sur le monde Nous avons signal ci-dessus que Sein und Zeit souvre sur la ncessit urgente de rpter nouveau la question de ltre. Celle-ci avait dj mis Platon dans lembarras dans le profond dialogue quil crivit vers la fin de sa vie Le sophiste ; elle avait passionn Aristote, notamment dans les textes qui ont t recueillis et rassembls sous le nom de La mtaphysique, elle qui est la science de ltre en tant qutre 4 . Mais daprs Heidegger, elle serait par la suite tombe dans loubli, quand bien mme des philosophes ont crit sur ltre (par exemple Thomas dAquin avec De ente et essentia) : ces crits tmoignent plus forte raison que ltre ne faisait alors plus question, tout comme il ne fait pas non plus question de nos jours. Ceci peut sembler paradoxal. Dun autre ct, la premire page de Sein und Zeit nous fournit un argument par labsurde : si la philosophie post-aristotlicienne stait rellement fix pour objectif la dcouverte du sens de tre, alors nous aurions de nos jours une rponse la question. Notons toutefois quun tel rsultat nous ferait courir le risque de ne donner la question quune rponse toute faite, sans que nous effectuions la recherche elle-mme, et de tomber ainsi dans le bavardage, thme sur lequel nous reviendrons. Pourtant, il importe Heideggerde montrer au 1 que nous efforcer de mener bien cette recherche est possible : il entend prouver que ltre nest respectivement ni quelque chose de trop gnral, ni indfinissable, ni qui va de soi. Comment nous acheminons-nous, partir de ce point de dpart, vers le Dasein ? En 1927, la diffrence ontologique simple entre ltant et ltre ne parat pas pouvoir mener directement au sens de ltre. Ltre, certes, nest pas un tant. Mais affirmer ceci suffit-il pour en dterminer le sens ? Le Dasein, ltant qui pose la question du sens en gnral, apparat comme le mdiateur indispensable. Il ne peut y avoir de sens quel quil soit que pour lui. Il est ltant sur lequel il sera possible de lire le sens de ltre parce quil est ltant qui se rapporte tout tant (dont lui-mme) partir dune comprhension de ltre. Celle-ci doit alors tre porte au concept selon son versant authentique : cest--dire partir dune comprhension authentique du Dasein de son tre, laquelle permettra daccder au sens de ltre en gnral. Pour le dire dun mot, si le Dasein comprend ltant quil est et si comprendre un tant nest possible que sur la base dune comprhension de ltre, alors cest en interrogeant dabord ltre de ltant Dasein que se verra prpare la question de ltre en tant que tel. Pour quelle raison ne pourrions-nous pas ceci-dit interroger en direction de ltre sans dtours ? Cela tient la structure formelle de la question de ltre, qui comporte trois lments. Ce dispositif est ncessaire pour que la diffrence ontologique, dimplicite pour le Dasein qui leffectue comme naturellement , devienne explicite. Le second paragraphe du trait expliquequavec le sens de ltre comme demand (Erfragte), il faut remonter partir dun tant interrog (Befragte) jusqu son tre ; et cest grce ltre de cet tant (Geragte) que nous accderons au sens de ltre en gnral. Il va de soi que ltant interrog ne sera pas choisi au hasard : il doit possder lui-mme une comprhension de son tre. Expliciter ltre de ltant quest le Dasein partir duquel, encore une fois, nous pourrons parvenir porter au concept le sens de ltre en gnral, tel est la tche prioritaire, pour ne pas dire la seule, de lanalytique existentiale. 4 Aristote, Mtaphysique, G 1, 1003 a 20-32

    8. 8 A) Laffirmation de ltre-au-monde comme dtermination originelle du Dasein Nous sommes parvenus au Dasein qui est ltant particulier qui en son tre se rapporte ententivement cet tre 5 . Ceci constitue le concept formel dexistence : comme tel, seul le Dasein existe, en tant quil est le seul tant se rapportant son tre. Remarquons le changement de sens que fait subir Heidegger au terme philosophique Dasein en affirmant que lui seul existe : dans lontologie classique, il tait possible, comme le faisait encore Kant, de parler des preuves de lexistence (Dasein) de Dieu, ce qui quivaut, comme lindique le 9, son tre l-devant (Vorhandenheit). Par contre, ici le terme revient en propre au mode dtre de lHomme. Heidegger hrite en cela du concept de Kierkegaard tout en le modifiant, ce sur quoi nous ne reviendrons pas. Le Dasein est ltant qui a tre ce quil est, et ce grce son ouverture ltant. Cette ouverture ltant est possible partir

  • dune entente (qui nest pas ncessairement explicite) de ltre : elle est en effet requise pour que le Dasein se rapporte son propre tre tout comme aux autres tants au moyen desquels, pourrions nous dire, il peut devenir ce quil est. Il se diffrencie en cela essentiellement des choses , savoir des tants l-devant (vorhanden) et des tants utilisables (zuhanden) : son mode dtre est absolument spcifique. Pour comprendre ltre de cet tant afin de porter au concept le sens de ltre, il faut en analyser les structures. De mme quune ontologie catgoriale (comme par exemplecelle dAristote) met au jour les catgories de ltre l-devant (Vorhandenheit), de mme lontologiefondamentale ou analytique du Dasein doit mettre au jour ce que Heidegger appelle les existentiaux,conformment au mode dtre du Dasein. Nous avons affirm que le Dasein est ouvert ltant, ouverture dont nous aborderons plus en dtails les modalits. Toutefois, une chose est claire ds le 12 : ltre-au-monde (In-der-Welt-sein) est la manire dont a lieu cette ouverture du Dasein ltant. Pour autant que ltant en gnral est la fois ltant quil nest pas et ltant quil est lui-mme, si le mode dtre comme existence est le propre du Dasein, alors ltre-au- monde est lexistential fondamental du Dasein. Etre ouvert ltant (en avoir toujours une entente, fonde son tour sur une entende de ltre), cest exister, et exister, cest tre au monde. Cest ainsi que se voit affirm ltre-au-monde comme la dtermination originelle du Dasein. Aussi envisager des recherches sur un monde sans Dasein ou surtout sur un Dasein sans monde (au moins en droit) est un non-sens : cest se mprendre totalement sur le genre dtant quil est. Au 43 c), ltre-au-monde est compar par Heidegger au cogito sum qui tait le point de dpart de la philosophie deDescartes : Lnonc premier est en ce cas : sum et cela au sens de : je-suis-en-un-monde 6 . Il sagit, dit encore Heidegger dans lun de ses cours donn pendant durant la priode o il rdigeaitSein und Zeit, dune dcouverte quil qualifie de primordiale 7 : non seulement laffirmation est conforme la chose mme, mais il sagit dune dcouverte dans la mesure o la tradition philosophique semble daprs lui tre passe ct du phnomne. Cest au 12 que le philosophe commente les termes de lexpression tre-au-monde . Nous pouvons distinguer trois moments. Il y a dabord le moment au-monde : celui-ci pose la question de la mondanit (Weltlichkeit) du monde, la dtermination ontologique de celui-ci. Il est ensuite question de ltant qui est au monde :la question qui se pose est qui est cet tant, dont il faut rechercher la rponse, comme nous le verrons, du ct de la quotidiennet moyenne du Dasein. Il reste enfin dterminer l tre-au en tant que tel, cest--dire la manire dont le Dasein est au. Heidegger remarque dune part que chacun des trois moments implique les deux autres, et cela parce que le phnomne en question est absolument unitaire malgr cette diversit de moments (par exemple poser la question de la mondanit du monde est indissociable du fait quelle na de sens que relativement au Dasein et lentente quil a de lui-mme). Ces distinctions sont donc essentiellement, bien que conformes au phnomne en question, formelles, et sont 5 Etre et temps 12 (trad. Vezin p. 86 [53]) 6 Etre et temps 43 (trad. Vezin p. 262 [211]) 7 Prolgomnes lhistoire du concept de temps 19 (trad. Boutot p. 229)

    9. 9 opres en vue de clarifier lexposition de la recherche. Dautre part, il carte demble certainsmalentendus qui peuvent natre sur ltre-au-monde. B) La mise lcart des interprtations barrant laccs au phnomne qui en dcoule Ce sont les mprises concernant la manire dtre-au, cest--dire concernant le troisime moment, sur lesquelles Heidegger se focalise pour les rejetter aux 12et 13. Comme la structure de ltre-au-monde est unitaire, il nest nul besoin de rfuter pour chacun des moments les fausses opinions. La principale, et laquelle les autres peuvent certainement tre reconduites, est celle-ci : ltre-au (In-sein) aurait tendance tre compris demble comme tre-dans (Sein-in). Telle est lentente errone qui se fait jour le plus souvent. Le Dasein se voit alors compris comme un tant comme un autre dans lespace, et le tout de lespace ou des tants dans lespace en gnral constituerait le monde. Ce serait pourtant se mprendre sur le genre dtre du Dasein : dans cette vision des choses, il est considr comme un tant ayant le mode dtre de ltre l-devant (Vorhandenheit). Cela peut tenir ce que nous lenvisageons dabord en tant quil est dansun corps ( dans lequel tomberait lme) : son corps ne serait pas foncirement diffrent des

  • autres corps qui nous entourent et le monde serait le contenant ou la somme de tous les corps juxtaposs. Or, avec Heidegger tre-au pour le Dasein veut dire sjourner auprs dun monde familier. La chaise ne sjourne pas auprs dun monde, elle ne peut toucher le mur parce quelle ne peut le rencontrer, nayant pas le genre dtre de ltre-au. Deux tants l-devant ne peuvent qutre tout au plus juxtaposs, et ne peuvent jamais se rencontrer. Les choses sont contrairement au Daseinsans monde (weltlos), parce quelles nont pas le mode dtre de louverture. Ceci veut dire quellesne se rapportent pas ltant, pas mme elles-mmes ; elles nont pas, contrairement au Dasein, dentente de ltre. Mais il serait possible dobjecter quil y a un tat de fait l-devant du Dasein.Heidegger montre quau contraire cet tat de fait est vritablement diffrent de celui dune pierre qui se trouve l : il le nomme la facticit (Faktizitt) o le Dasein est embarqu avec ltant dansson monde. Certes, le Dasein peut avec un certain droit et dans certaines limites tre conu comme tant seulement l-devant , par exemple en anatomie ; mais cela ncessite que lon sabstienne de tout regard sur la constitution de ltre-au moins quon ne la voie pas 8 . Par ailleurs, sa spatialit, comme nous y reviendrons, est spcifique, et ce parce quelle repose sur ltre-au-monde. Heidegger remarque que lide selon laquelle la spatialit renverrait au corps mais que ltre-au vaudrait concernant lesprit est par l rejeter. De la mme manire, lnonc tir de labiologie selon lequel lHomme aurait son monde environnant ( dans lequel il se mouvrait) ne pourrait tre fond que si tait auparavant clarifie la structure de ltre-au. Heidegger explique la fin du 12 que le problme du monde est mal compris parce que si le Dasein est ltant qui a une entente de son tre, il lentend dabord et le plus souvent partir de ltant auquel il a faire mais quil nest pas, qui se rencontre lintrieur de son monde : cest de l que naissent les erreurs que nous venons dvoquer, puisque son entente incorrecte lui-mme implique une entente incorrecte de sa structure constitutive. Ltre-au-monde prouv et connu de manire prphnomnologique devient, par suite dune explication ontologiquement inadquate, invisible 9. Nous reviendrons ultrieurement sur le caractre tentateur du monde : il nimportait ici que dvoquer au moins la raison de cette mauvaise entente. Lessentiel demeure que les plus grandes mprises sur le concept de monde ont leur origine dans une mauvaise entente de ltre-au. Cest pourquoi Heidegger prend la peine de prciser celui-ci au paragraphe suivant. La philosophie a traditionnellement tendance concevoir le Dasein dabord comme un sujet connaissant un objet. Si le Dasein existe, lacte de connatre ne peut pas tre quelque chose qui serait l-devant (vorhanden).Il est donc 8 Etre et temps 12 (trad. Vezin p. 89 [55]) 9 Etre et temps 12 (trad. Vezin p. 93 [59])

    10. 10 ncessaire dinterroger le genre dtre de ce sujet connaissant. Notons que chez son matre Husserl, le statut ontologique du sujet transcendantal demeure ininterrog (voire ininterrogeable), tout comme le primat accord la manire thorique de se rapporter aux tants. Linvestigation rvle que si le connatre nest pas l-devant, cest parce quoriginellement le Dasein ne lest pas lui-mme : do son ouverture l objet , dont il nest jamais ais de rendre compte si un sujet clos sur lui-mme est pos au dpart10 . Heidegger vitera de parler d objet , pour ne pas laisser penser quil sagit dun objet pour un sujet ; de mme lemploi du terme Dasein la place du sujet classique, encore quil ait pu affirmer que le Dasein est le sujet ontologiquement bien compris. De manire gnrale, le dbut du paragraphe affirme clairement que sujet et objet ne se recouvrent pas, ft-ce tant bien que mal, avec Dasein et monde 11 . Cela montre que lacte de connatre est en ralit fond sur ltre-au-monde, quil en est une modification. Il importe mme dajouter que le Dasein est dabord auprs dun monde qui le proccupe ; cest une dficience de la proccupation rend possible le connatre. Mais quand bien mme lacte de connatre serait une dtermination originelle de ltre-au, il reste ontologiquement fond sur ltre-au-monde. Ce nest donc pas un simple acte psychique qui rsiderait en nous . Le fait de se diriger vers ltant dans le monde ne revient pas quitter une sphre dintriorit ou dimmanence close : au contraire le Dasein est toujours dj ouvert ce quil nest pas. Nous approfondirons ultrieurement le thme de la transcendance du Dasein, en particulier lors de ltude de Vom Wesen des Grundes. Rciproquement, la perception quil a de ltant connu nest pas amene dans un contenant : le

  • Dasein connaissant demeure au dehors . Quant se demander comment le sujet gagne un monde en sortant de son identit close, et ce que serait un Dasein sans monde, ces questions sont absurdes parce que si le monde est le mode de louverture de celui-ci ltant, sans monde il ne serait mme pas ouvert lui-mme, et donc il ne serait pas un Dasein mais une chose parmi les choses. Ltre-au-monde nest pas une qualit que le Dasein possderait et dont il pourrait se dfaire, mme travers une rduction phnomnologique comme celle que pratique Husserl. J.-L. Marion affirme que Heidegger effectue certes une double rduction dans Sein und Zeit. Son argumentation prend appui sur le cours de 1927 publi sous le titre Les problmes fondamentaux de la phnomnologie, o Heidegger expose sa philosophie en termes phnomnologiques. La reconduction de ltant son tre est alors comprise comme une rduction phnomnologique12 . Mais est-ce la seule rduction mise en uvre ? Sagit-il pour le philosophe de complter voire daccomplir la premire rduction enseigne par son matre Husserl, qui demeure un niveau ontique (elle aboutit la conscience et ses vcus par opposition la ralit) ; ou au contraire dy substituer celle-ci ? Pour J.-L. Marion, Heidegger part bien du cadre husserlien : la diffrence ontologique comprise en termes de rduction correspond ce qui est entendre comme une seconde rduction. Avec la rduction husserlienne, nous passons de ltant en gnral la conscience, qui bien comprise est en fait le Dasein ; et avec celle proprement heideggerienne, nous passons de ltre de cet tant (que Husserl ninterroge pas), qui ultimement se dterminera comme temporalit, au sens de ltre en gnral (encore moins interrog par Husserl). Cette double rduction recouperait la structure de la question de ltre mentionne ci-avant. Permettons nous de prciser que la premire rduction aboutissant au Dasein est certes dinspiration husserlienne, mais elle ne sy identifie pas pour autant puisque sinon elle aboutirait un Dasein sans monde, soit la mme chose que Husserl, ce qui nest quune figureerrone du Dasein. Par ailleurs, un autre mouvement doit pouvoir faire passer du Dasein son tre, qui dabord et le plus souvent est entendu improprement : ce que permet lanalyse de langoisse au 40, qui en menant lentente authentique du 10 Nous pouvons penser ici par exemple la siximedes Mditations mtaphysique de Descartes. Par ailleurs, Heidegger signale que si nombreuses et varies que soient les manires de libeller le problme, elles ont en commun de faire quon ne pose plus la question du genre dtre de ce sujet connaissant, dont la manire dtre nen reste pas moins toujours implicitement en jeu ds quon traite de son connatre. (Etre et temps 13, trad. Vezin p. 95 [60]) 11 Etre et temps 12 (trad. Vezin p. 94 [60]) 12 Heidegger, Les problmes fondamentaux de la phnomnologie, trad. J.-F. Courtine, Paris, Gallimard, 1985, p. 39 : Llment fondamental de la mthode phnomnologique, au sens de la reconduction du regard inquisiteur de ltant navement saisi ltre, nous le dsignons par lexpression de rduction phnomnologique.

    11. 11 Dasein fonde la possibilit daccder son tre en gnral comme temporalit. Sagirait-il dune troisime rduction ? Cette question doit nous mener nous demander si, quand bien mme Heidegger a expos en 1927 ses tudiants sa mthode en termes de rduction, Sein und Zeit procde dune manire qui ne se laisse pas rduire celle-ci, comme le pense par exemple Schrch13 . Nous pouvons quoiquil en soit en conclure que lattitude de lHomme couramment privilgie fournit elle- mme une preuve que louverture du Dasein au monde nest en rien celle dun tant l-devant vers dautres tants (ce qui au demeurant est impossible). Privilgier la connaissance, loin dtayer la thse philosophique dun sujet se rapportant au monde comme un objet, savre y regarder de prs ce qui peut apporter la preuve du contraire de ce qui tait affirm au dpart. Si le monde est envisager comme le corrlat de ltre- au-monde, alors il est tout autre que ce que nous entendons par lui habituellement, quil sagisse de son entente courante ou son entente classique en philosophie. 2) La mondanit du monde ambiant A) Remarques prliminaires Aprs ces indications essentielles sur ltre-au, qui sera analys en dtails par la suite, Heidegger aborde le premier moment structurel voqu plus haut de ltre-au-monde. La bonne mthode, aussibien relativement au cadre gnral de Sein und Zeit que relativement au problme du monde, est de commencer par dgager les structures du phnomne en question tel quil se prsente dabord et leplus souvent , dans la manire courante qua le Dasein de se rapporter lui. Ce qui veut dire que la

  • mondanit du monde en tant que telle sera mise au jour plus tard14 ; nous devons dabord partir dumonde ambiant. Il va de soi quil ne sagira pas de rester riv ltant , comme lindique demble le 14, par exemple en numrant les diffrents genres dtants qui sont rencontrs dans le monde : Heidegger rappelle que cest ltre qui est recherch. Mais ce ne saurait non plus tre ltablissement dune liste des catgories de ltant l-devant qui rpondrait au problme. Lorsque Aristote tablissait cette liste, non seulement il ne cherchait pas unifier celles-ci, mais surtout il nese fondait pas sur ltre-au-monde ; il navait pas par consquent pour but de dcouvrir la mondanit du monde au sens o Heidegger lentend. Par ailleurs, si le Dasein est ltant qui existe,la mondanit du monde na finalement rien voir avec le mode dtre de ltant l-devant (Vorhandenheit). Il importe distinguer soigneusement ce dont nous pouvons dire quil appartient au monde (un tant l-devant ou utilisable) et la mondanit de celui-ci, qui nest rien de mondain (de mme que ltre est ltre de ltant mais nest pas lui-mme un tant). De manire gnrale, ni la description ontique de ltant au sein du monde ni linterprtation ontologique de ltre de cet tant narrivent, en tant que telles, au contact du phnomne du monde 15 . Le monde est avant tout un existential. Il est donc ncessaire de distinguer le concept ontique (et courant) du monde comme totalit de ltant l-devant dans le monde, qui au fond passe ct du phnomne ; le monde comme la rgion qui sous-tend chaque fois une multiplicit dtants (ainsi le monde du mathmaticien qui correspond la rgion des objets possibles des mathmatiques ). Le monde peut dautre part tre entendu comme ce dans quoi le Dasein factif vit, quil sagisse du monde public ou au contraire du monde propre chacun ; et enfin, comme le concept ontologique existential de mondanit. Cest la troisime dfinition qui sera examine ici, savoir le monde comme monde ambiant du Dasein tel quil y vit dabord et le plus souvent et dont la mondanit estrecherche. Cette-dernire sera saisie authentiquement aprs cet examen, pour autant que sera alors fate une exprience originelle de ltre-au-monde. 13 F. E. Schrch, Ltre, ltant, le nant. Heidegger et la diffrence ontologique la lumire de linterprtation de Marion, in Revue de mtaphysique et de morale, Juillet 2008, n3. 14 Et dune certaine manire naura jamais totalementlieu, si les rsultats de lanalytique existentiale doivent ultimement tre rinterprts la lumire du sens de ltre lorsque celui-ci sera dgag. 15 Etre et temps 14 (trad. Vezin p. 99 [64])

    12. 12 Nous partirons de lanalyse de la mondanit du monde ambiant en tant que telle, avant de lclaircir par contraste avec les dveloppements de Descartes sur le monde, et enfin nous aborderons le thme de la spatialit spcifique du Dasein. B) La mondanit du monde ambiant La modalit du rapport quotidien ltant et ltre de celui-ci qui y est dcouvert Partons du Dasein quotidien et de ce que Heidegger appelle son commerce du (Umgang in) monde et avec (mit) ltant lintrieur du monde, ce qui est une autre manire de nommer ltre-au-monde quotidien. La modalit de son rapport au monde est la proccupation : dabord et le plus souvent, le Dasein est affair dans son monde ambiant (Umwelt). Le terme de proccupation (Besorgen) ne doit pas tre compris au sens davoir des ennuis. Il signifie plutt un affairement, le fait de soccuper de. Le Dasein fabrique quelque chose, se rend chez untel, lit telle chose, utilise tel ustensile activits qui constituent autant de varits de la proccupation. Le regard phnomnologique montre que son monde , cest--dire les tants quil rencontre dans leur ensemble sur le fondement de ltre-au-monde, ne fait pas dabord lobjet dune connaissance thorique : la proccupation a son genre de connaissance elle, mais il nest pas de cet ordre. Nous pourrions le qualifier de pratique, condition de ne pas trop durcir lopposition. Elle a faire aux tants, mais non pas comme l-devant. En quoi le rapport thorique ltant nest ni unique, ni non plus originaire. La question centrale est double : comment le Dasein se rapporte-t-il ltant dans la proccupation et quel est ltre de cet tant ? Quelques remarques concernant la mthode suivre simposent. Ce nest pas entablissant une liste de la diversit de lun et de lautre que seront saisis ce qui est recherch (tout comme nous disions ci-avant que prendre pour thme la mondanit du monde ne consiste pas rechercher un caractre commun tous les tants dans le monde). Il sagit de mettre au jour lentente de ltre qui sous-tend le rapport et laquelle correspond ltre de ltant auquel le Dasein

  • se rapporte, tout en essayant de nous prserver dexplications toutes faites des phnomnes qui ne feraient que les recouvrir. Par exemple, les tants auxquels nous avons affaire dans la proccupationseraient couramment nomms les choses . Mais lentente de ltre dans laquelle prend place ce terme est dtermine dans lhistoire de lontologie et nous empche par l-mme de saisir phnomnologiquement le phnomne. Dans cet exemple, celui-ci prend place dans une interprtation de ltre de ltant l-devant qui comme nous allons le voir ne vaut pas concernant lestants avec lesquels la proccupation entretient un commerce. Heidegger affirme que les Grecs avaient par contre un terme trs juste 16 pour nommer les choses ainsi rencontres : les pragmata, savoir les tants auxquels nous nous rapportons dans la proccupation (praxis17 ), quoiquils ninterrogrent pas son tre spcifique. Ce terme est dune certaine manire traduit par outil (Zeug)18 . Quel est alors le genre dtre de loutil ? Il appartient tout dabord toujours un outillage, un tout doutils (Zeugganzheit) : il renvoie toujours quelque chose dautre que lui-mme. Un outil n est en toute rigueur jamais 19 . Son genre dtre est tel quil ne peut tre saisi seul, du moins en tant quoutil. Il est fait pour quelque chose, par exemple pour coudre, couper, attacher, poser, etc. Le fait pour et le renvoi dautres tants sont deux dterminations fondamentales de loutil et sont cooriginaires : 16 Etre et temps 15 (trad. Vezin p. 104 [68]) 17 Signalons le cours donn en hiver 1924-1925 publi sous le titre Platon : Le Sophiste, trad. fr. dirige par J-F. Courtine et P. David, Paris, Gallimard, 2001, qui la fois approfondit ce quest la praxis et dont les analyses sur la phronesis chez Aristote prfigurent celles sur lauthenticit du Dasein dans Sein und Zeit. 18 Il nous parat plus opportun (et naturel) de parler doutils plutt que dutils comme le fait Vezin, bien que dans le cours du semestre dhiver 1929-1930 la traduction de Panis distingue les deux pour faire apparatre la diffrence entre Zeug et Werkzeug. Concernant Sein und Zeit, la comprhension des analyses ne sen ressent pas ; concernant le cours, nous y reviendrons par la suite (mais ce point savrera inessentiel dans notre cadre). 19 Etre et temps 15 (trad. Vezin modifie p. 104 [68])

    13. 13 il ny a pas doutil fait pour sans que son pour quoi nimplique pas un autre tant. Mais lerenvoi du fait pour est un cas particulier de renvoi, puisque loutil renvoie tout aussi bien dautres outils qui serviront mener bien louvrage, tout comme aux autres outils dont lui-mme provient. Ainsi le stylo qui est fait pour crire renvoie la feuille, lencre, le bureau, la pice ; chacun de ces tants ne se montre pas, comme y insiste Heidegger, seul pour lui-mme, mais ils soffrent toujours comme un tout au regard de la discernation (Umsicht, traduisible aussi par circonspection , ce qui rend peut-tre plus fidlement le terme allemand qui signifie littralement la vue autour , bien que nous nous en tiendrons la traduction de Vezin). Celle- ci est la manire de voir spcifique de la proccupation, qui rend possible le fait que cette-dernire se meuve dans lesensembles de renvois (do le Um-). Le phnomne du renvoi se verra analys plus longuement par la suite. Le commerce avec loutil nest donc ni une saisie thmatique de celui-ci, ni non plus un rapport aveugle. Ce nest certes pas en discourant longuement sur le marteau que nous apprendrons nous en servir ; mais cela veut tout aussi peu dire quil ny a pas un bon usage du marteau. Ce bon usage se rvle la discernation lorsque nous lutilisons de fait. Ce rapport lui est le plus authentique, contrairement ce que pourrait nous mener croire le prjug selon lequel la connaissance serait la modalit la plus originelle du rapport aux tants. Cela est en effet conforme au genre dtre de loutil en gnral, que Heidegger dtermine comme utilisabilit (Zuhandenheit). Ceci ne se confond toutefois pas avec la simple maniabilit : il faut sous ce terme avoir en vue le renvoi dautres tants et le pour quoi . Nous sommes donc ici en possession des rponses nos deux questions : le Dasein proccup se rapporte ltant sous le mode de la discernation, tant dont ltre se dtermine comme utilisabilit. Ceci appelle plusieurs remarques importantes. Dabord, loutil sefface derrire son utilisabilit 20 justement pour devenir utilisable : ainsi nousne pensons pas au marteau lorsque nous nous en servons. Ce point est absolument central concernant la modalit du rapport du Dasein ltant au sein de la proccupation, savoir la discernation. Cest louvrage qui est en vue, et non les tants au moyen desquels il est ralis.

  • Louvrage comporte le rseau entier des renvois lintrieur duquel loutil se prsente 21 : telle estla raison pour laquelle les autres outils (puisque louvrage en est malgr tout un aussi) eux-mmes peuvent s effacer . Cela signifie que ltant rencontr de prime abord dans le monde sefface dans le rapport que nous avons lui. Ce fait est certainement lorigine de notre aveuglement initialau phnomne du monde, de sorte que ce-dernier est abord en faisant abstraction de la proccupation. Ensuite, nous aurions tord de restreindre le genre dtre de lutilisabilit aux outils au sens courant du terme. Les ouvrages ont aussi le genre dtre de loutil : la chaussure est fate pour tre porte et renvoie aux matriaux qui la constituent, par exemple le cuir, qui lui-mme renvoie llevage, etc. 22 De plus, et ceci est important, louvrage est toujours la mesure de lusager, lusager est prsent dans la naissance de louvrage 23 . Cela implique que louvragerenvoie non seulement dautres outils, mais aussi dautres Dasein, et donc un monde public des utilisateurs accessible tous : ainsi un pont, une gare, une route, etc. Enfin, une objection serait que ltant aurait dj d tre dvoil comme l-devant, pour ntre quensuite utilis au vue de la connaissance que nous en aurions prise. Or la connaissance est fonde sur ltre-au-monde, et le monde ambiant se manifeste dabord comme il vient dtre dcrit : Heidegger peut alors dire que lutilisabilit est la dtermination ontologique catgoriale de ltant tel quil est en soi 24 . Reste dcouvrir le chemin qui peut conduire de celle-ci et de la discernation dont elle est le pendant au phnomne du monde. 20 Etre et temps 15 (trad. Vezin p. 106 [69]) 21 Etre et temps 15 (trad. Vezin p. 106 [70]) 22 Et ce jusqu la nature , qui nest pas entendre en un sens philosophique ou romantique mais comme outil elle aussi, en de duquel il ny a plus de renvois dautres outils : le bois est plantation forestire, la montagne est carrire de pierre, le fleuve est force hydraulique (Etre et temps 15, trad. Vezin p. 106 [70]) ; lautre extrmit, il y aura le Dasein. Heidegger mnera une profonde critique de ceci en 1953 dans La question de la technique, in Essais et confrences, trad. Prau, Gallimard, p.9-48, en particulier propos du fleuve p.21- 22. 23 Etre et temps 15 (trad. Vezin p. 107 [70-71]) 24 Etre et temps 15 (trad. Vezin p. 108 [71])

    14. 14 La manifestation de lappartenance de ltant au monde dans la proccupation Comment le monde peut-il se montrer comme tel dans la proccupation ? Ou plutt : comment ce phnomne peut-il commencer poindre (puisquil ne sera en fait saisi pour lui-mme que dans le cadre dune rupture avec le monde quotidien) ? Heidegger commence son analyse ( 16) par ceci. Le monde nest pas lui-mme un tant au sein du monde, et pourtant il dtermine tellement cet tant que celui-ci ne peut se rencontrer et que ltant dvoil en son tre ne peut se montrer que dans la mesure o monde il y a 25 . Ce qui signifie quil ny a pas un tant nomm monde que nous pouvons rencontrer dans la proccupation. Au contraire le monde est la condition de possibilit de toute rencontre dun tant. En effet, pour le Dasein seul peut se rencontrer un tant dans la mesure o il a le genre dtre de ltre-au-monde. Le monde est donc le lieu o cette rencontre avec ltant peut se produire. Mais laffairement dans la proccupation rend le Dasein dabord aveugle ceci. Le monde ne parat pas se manifester lorsquelle va son train, puisquelle est rive louvrage dont elle se proccupe. Celui-ci appartient bien au monde, et pourtant de prime abord cela ne se voit pas. Cela semble paradoxal, dautant que si le Dasein est ltant ayant une entente de lui-mme, comme tre-au-monde il doit toujours avoir aussi une entente du monde. Mais sil sentend dabord partir de ltant dont il se proccupe, alors corrlativement il nentend le monde que dans loptique de la proccupation. Si le monde nest rien dtant tout comme le Dasein nest pas lobjet de sa proccupation, alors lun et lautre ne semblent pouvoir que nous chapper dans le monde quotidien. Heidegger montre que dans certains cas, cette appartenance de ltant au monde peut pourtant se manifester au Dasein. La possibilit dun tre-au-monde non proccup pourra par la mme occasion merger. Cela peut advenir lors de perturbations du commerce quotidien avec les outils. Soulignons avant dengager lanalyse que ce nest pas la mondanit du monde qui va apparatre ici, mais seulement lappartenance au monde des outils. Heidegger dgage trois types possibles de perturbations de la proccupation. Il a celui o loutil devient brutalement hors dusage. De ce fait il a la capacit de nous surprendre. Ceci est remarquable, puisque le commerce

  • avec ltant utilisable a lieu dans une totale insurprenance . Lorsque tous les renvois ont leur objet, cest--dire si quelque chose est chaque fois comme vis par eux, la proccupation se poursuit sans encombre. En revanche, si un outil ne fonctionne plus, les autres outils qui renvoyaient lui tout comme ce quoi lui-mme renvoyait apparaissent sous un autre angle. Ltantse manifeste dune nouvelle manire qui nest plus conforme la discernation. Il devient alors dcouvert comme tant l-devant, une chose inutilisable, ceci dit fugitivement puisque la proccupation reprend son train dans la tentative quasi- immdiate de le rparer : Heidegger montre quil napparat pas malgr tout comme une chose trangre loutillage. Mais durant ce bref instant, il manifeste son aspect (ainsi Heidegger traduit-il en gnral edos), qui certes tait toujours dj l, mais qui ntait pas encore apparu comme tel. Il y a aussi le cas o loutil vient manquer : le reste devient alors impossible utiliser ou liminer, et l encore est peru comme l- devant. Lutilisable se signale sous le mode de l importunance (Aufdringlichkeit) . Heidegger remarque quil se manifeste dautant moins comme utilisable que le besoin quen a la discernation est plus urgent : elle passe difficilement autre chose, demeure comme paralyse face cette absence qui est le mode de la prsence de ltant manquant. Ce mode particulier de prsence le destitue du caractre dutilisabilit, puisque dutilisable il ny a que dans la proccupation affaire ses tches. Enfin, le cas se prsente o quelque chose se met en travers de la route : ltre l-devant de lutilisable sannonce lorsquil nest pas sa place. Il drange alors plus quautre chose , il gne lusage normal des autres outils. Imaginons par exemple quil faille changer lampoule dun phare avant de voiture. Le moteur et tous les lments prsents sous le capot sont en temps normal, savoir lorsque nous roulons, agencs tout fait comme il faut. Mais sagissant de changer lampoule, ils obstruent le passage des mains, nous gnent vritablement. Alors ce nest plus sous 25 Etre et temps 16 (trad. Vezin p. 108 [72])

    15. 15 langle de leur utilisabilit quils nous apparaissent, mais selon leur aspect, aspect qui est peru de telle manire que nous cherchons comment viter ces lments et poursuivre notre proccupation. Prenons un autre exemple trs diffrent. Lurinoir de Duchamp est expos au centre George Pompidou. Au dpart, il ne sagit que dun outil au sens de Heidegger, dusage fort courant. Sil tait remis en service, il fonctionnerait certainement correctement. Mais tel nest pas le cas : il est expos dans un muse. Il se voit ainsi volontairement coup de tous ses renvois habituels. Ce nest pas seulement son aspect qui apparat alors, lui qui aurait t utilis autrement dans une totale indiffrence, mais aussi ce quoi il renvoie qui forme le monde des toilettes pour homme.Ceci est dautant plus clair que quelquun a justement urin dedans, avant quil ne soit protg par une vitre. Le fait quil soit apprhend comme une uvre dart par les visiteurs montre quil napparat plus seulement comme utilisable (car dune certaine faon, il ne peut sans doute pas ne pas apparatre comme tel). Dans les trois cas, explique Heidegger, lappartenance au monde de lutilisable apparat : les renvois du fait pour perturbs deviennent explicites comme, encore unefois, cela apparat particulirement dans lexemple de lurinoir. Lorsque la proccupation est perturbe, tout loutillage, par exemple latelier dans son ensemble, se manifeste : avec ce tout, cest le monde qui commence poindre 26 , non comme l- devant mais comme le l antrieurement toute constatation et toute contemplation . Il est dcouvert la discernation comme ce qui la rend possible. Certes, il ne se montrait pas elle avant ; mais que le monde ne se signale pas lattention, telle est la condition de possibilit pour que lutilisable ne sorte pas non plus de son tat dinsurprenance pour se mettre en avant 27 . Le monde comme ensemble des renvois ne peut apparatre que lorsque ceux-ci sont perturbs. Dans la proccupation, le monde est chaque fois pr-dcouvert ; mais pour que celle-ci ait lieu correctement, il doit tre en mme temps recouvert, comme nous lavons vu avec lexemple de lusage du marteau : si nous tions surpris par chaque outil et le considrions comme l-devant, nous ne pourrions gure entreprendre des ouvrages. Une familiarit est donc ncessaire, et cest celle-ci qui est perturbe dans chacun des trois cas. Ltre-au-monde de la proccupation est donc, selon une formule o Heidegger condense ce point, le fait d tre plong de faon non thmatique dans la discernation des renvois qui sont

  • constitutifs de lutilisabilit de loutillage 28 . Le renvoi en tant que phnomne constitutif de la mondanit du monde ambiant Nous voyons donc que les rseaux de renvois sont des structures minentes de la mondanit. Cest pourquoi Heidegger entreprend au 17 une analyse du renvoi et du signe. Que nous apprend celle-ci ? Un outil renvoie dautres outils, qui eux-mmes renvoient dautres. Il existe donc des rseaux de renvois, qui font apparatre lappartenance des loutils au monde lorsquils se trouvent perturbs. Heidegger choisit pour dterminer plus nettement ce quest un renvoi danalyser un outil spcifique, tel que des renvois sy rencontrent divers niveaux de sens 29 : le signe. Il y a diffrents types de signes, tout comme il y a diffrentes modalits de l tre-signe pour lui-mme dont nous pourrions tirer le genre universel de la relation . Les signes sont des outils singuliers car ils servent montrer, ils sont faits pour cela, ce qui constitueun type de renvoi (et le renvoi est un type de relation). Le philosophe choisit dexpliciter cela par unexemple : la flche rouge indiquant le changement de direction dune voiture. Cest le conducteur qui choisit sa position ; or ce signe est un outil qui na pas son utilisation dans la seule proccupation du chauffeur , il nest pas monologique. Cest surtout aux autres conducteurs quil est utile, quoiquil napparaisse pas non plus au chauffeur la rglant comme une simple chose l-devant. Cette flche a sa place dans un rseau entier de renvois, celui de la circulation automobile etde ses rgles. Mais quelle est la 26 Etre et temps 16 (trad. Vezin p. 111 [75]). Nous reviendrons sur le terme de Ganzen dans la troisime partie de ce travail o il sera traduit cette occasion par ensemble ce qui tait difficilement possible ici. 27 Etre et temps 16 (trad. Vezin p. 112 [75]) 28 Etre et temps 16 (trad. Vezin p. 113 [76]) 29 Etre et temps 17 (trad. Vezin p. 113 [77])

    16. 16 diffrence entre ce signe qui sinsre dans ce rseau et un marteau qui lui aussi sinsre dans un rseau tout en ntant pas un signe ? Le simple renvoi en gnral ne suffit pas. Avec la flche, le type de renvoi est le montrer , et est apprhend comme tel par la discernation ; cela soppose au renvoi en tant quustensibilit. Le signe a par l mme une application privilgie . Comment la discernation sy rapporte-t-elle ? Lusager qui peroit la flche du conducteur roulant devant lui doitstopper ou se garer dans une certaine direction (ce sur quoi nous reviendrons propos de la spatialit). Le signe sadresse un tre-au-monde spcifiquement spatial , et notre rapport lui nest pas correct si nous restons simplement en face de lui. Une flche perue nous pousse au moins regarder dans la direction indique. Si la discernation nous y conduit, cest parce quelle a une sorte de vue densemble sur le monde ambiant de la proccupation en gnral, partir de laquelle elle trouve sa direction. Les signes permettent au Dasein de sorienter dans les diffrents rseaux doutils. Par l, ils lui rvlent lappartenance au monde de ceux-ci. Les signes montrent toujours en premier dans quoi on vit, quoi sarrte la proccupation, bref quelle est la tournure que a prend. Par ailleurs, instituer un signe (nouveau, ou prendre pour signe un tant dj utilisable) nest possible quen ayant en vue le monde ambiant de lutilisable. Le signe doit de plus tre surprenant, pour trancher avec linsurprenance des autres outils dont se proccupe le Dasein : par exemple la flche doit surprendre les autres usagers, tout en restant accessible leur discernation. Mais si un feu rouge en plein dsert peut surprendre, cela est malgr tout absurde, car la surprenance na de sens que relativement un rseau de renvois. Il sensuit quil ne sutilise pas seulement avec tel autre outil, mais quil rend accessible le monde ambiant dans son ensemble. Le signe est un utilisable ontique qui, tout en fonctionnant comme cet outil particulier, a en mme temps un rle dindicateur par rapport la structure ontologique de lutilisabilit, du rseau entier des renvois et de la mondanit 30 . Heidegger mentionne une objection possible : avant dtre pris pour signe, tel tant serait dj l-devant. En ralit, il faut rpondre que la premire rencontre avec lui na eu lieu que sur le mode de la discernation, et quil ntait pas l-devant avant toute rencontre. Dautre part, le Dasein primitif usant de divers signes pourrait tre pris comme exemple pour illustrer notre propos, mais il ne sagit que dun cas particulier o le signe concide avec ce quiest montr, et cela ne signifie pas pour autant que tel est le cas parce quune attitude thorique a t adopte lorigine. La question que nous pouvons dsormais poser est : comment le monde peut-il nous livrer des tants de ce genre et pourquoi les rencontrons-nous demble ? Ltre de ltant

  • rencontr demble dans le monde est lutilisabilit, ce qui implique que le monde est toujours dj dvoil avec chaque outil. Sur quel fondement seffectue la rencontre de ce-dernier dans le monde ?Si le renvoi est un caractre fondamental de ltant utilisable, comment le monde le rend-il possible ? Le renvoi nest pas en ralit une qualit qui se surajouterait un outil. Un outil est bien plutt ce quil est sur le fondement du renvoi. Il doit dans son tre tre joint quelque chose : ainsi le caractre dtre de lutilisable est la conjointure (Bewandtnis) . Tel est ltre de ltant qui se rencontre dabord dans le monde. Le fait ontique quun outil nest en tout rigueur jamais seul se voitontologiquement fond. Ceci implique galement la structure du pour quoi , ce-dernier pouvant lui aussi avoir sa conjointure. Heidegger prend lexemple suivant : le marteau est fait pour taper, cetacte a pour conjointure le fait de consolider, celui-ci de protger des intempries, celui-ci enfin de mettre labri le Dasein, ce qui constitue une possibilit de son tre. Ceci appelle deux remarques. La premire est que chaque tant utilisable voit dterminer sa conjointure avec les autres partir de lentiret de conjointure (Bewandtnisganzheit). Par exemple, latelier est antrieur tel outil luiappartenant. La seconde est que cette entiret renvoie un pour quoi ultime, aprs lequel il ny a plus de conjointure, savoir le Dasein qui est lunique et propre -dessein-de quelque chose 31. Lui-mme ne renvoie plus rien, dune part simplement parce quil existe dessein lui-mme, cest--dire quil est le pour quoi 30 Etre et temps 17 (trad. Vezin modifie p. 120 [82]) 31 Etre et temps 18 (trad. Vezin p. 122 [84])

    17. 17 initial partir duquel seulement il peut y avoir les autres pour quoi ; dautre part parce quil est ltant pour qui il y a un monde, cest--dire dont la mondanit appartient son tre. Signalons limportante consquence thique de cela : parler de matriel humain , traiter autrui comme un moyen dessein de quoique ce soit, cest ne plus le considrer comme un Dasein, mais simplement comme un outil. Que peut dcouler de ceci quant la mondanit ? Nous comprenons ainsi ce difficile passage de louvrage. Heidegger commence par prciser ce que signifie conjoindre,qui sentend en deux sens. Au sens ontique, cela veut dire que la proccupation laisse tre ltant utilisable tel quil est en apparaissant demble. La note a) de la page 85 de la version allemande, certes tardive et qui mriterait un commentaire spcifique, claircit ce point : il sagit pour la proccupation de le laisser au dploiement de sa vrit . Ce conjointement est la condition de possibilit de conjoindre cet utilisable dautres dans la discernation. Au sens ontologique, il sagit de la dlivrance de chaque utilisable en tant quutilisable, quil ait ontiquement quoi se conjoindre ou non, dans le cas de ltant que le Dasein ne laisse pas tre dans la proccupation mais qui tient lieu par exemple dune uvre accomplir. Le fait davoir dj chaque fois conjoint ltant est quelque chose qui seffectue a priori et qui relve de ltre du Dasein. Heidegger clarifie ceci : comme cest un tant qui apparat au Dasein, et cela seulement daprs une entente de ltre, ilsagit toujours dun utilisable qui est dvoil au sein du monde ambiant. Pour quelle raison ? Le philosophe poursuit : le dvoilement de toute conjointure nest possible que sur la base du prdvoilement dune entiret de conjointure , lequel fonde donc la manifestation de lappartenance de ltant au monde de lutilisable. Par l est prdvoil ce en vue de quoi est dvoil le conjointement, savoir le Dasein dont nous avons dit ds le dbut quil est ltant qui a une entente de son tre. Heidegger demande alors : Or que veut dire que : ce en vue de quoi est demble dlivr ltant au sein du monde doive avoir t pralablement dcouvert ? La rponse est que le Dasein, se rapportant ltant, a une entente de ltre. En tant qutre-au-monde, il entendcet tre-au-monde, donc le monde. Il faut en conclure que la dimension dans laquelle lentendre serenvoie, pour autant quelle est ce en vue de quoi se mnage la rencontre de ltant ayant la conjointure pour genre dtre, est le phnomne du monde. Que montre ce passage absolument central ? Heidegger veut dire que le monde ambiant du Dasein est immdiatement dvoil comme le lieu o se dvoile lentente de ltant, parce que le Dasein entend ltre, et du Dasein lui-mme, parce son existential fondamental est ltre-au-monde. La preuve est ici fournie du fait que cest ltant utilisable qui est demble rencontr dans le monde, et non ltant l-devant : cette affirmation nest plus ce qui pouvait sembler tre un simple constat. Ce fait est fondamental car cela

  • valide les analyses prcdentes sur loutil et demeure au fondement des analyses ultrieures. Si le Dasein est ltant qui entend cooriginairement ltre, lui-mme (donc ltre-au-monde et ce dans sa structure entire) et ltant, ltant qui est rencontr de prime abord dans le monde ne peut tre quun tant qui renvoie dautres jusquau Dasein parce que le Dasein chaque fois se rapporte son tre qui est ltre-au-monde. Le Dasein est ltant pour lequel en son tre, il en va de cet tre ; ildoit pouvoir sentendre lui-mme dans le monde, dans la mesure o son tre est dtre-au-monde ; entrendre ltant quil est implique une entente de ltre, do suit une entente de ltant ; pour sentrendre lui-mme dans un monde, ltant dans le monde doit avoir le caractre du renvoi, renvoiqui remonte jusqu ltant qui ne revoie lui-mme rien, le Dasein ; ltant mondain est ainsi demble dvoil comme tant utilisable. Au contraire ltre l-devant de ltant, nayant pas le caractre du renvoi, nest pas pour cette raison mme dabord dvoil. Tout ceci explique que la familiarit soit la modalit du rapport du Dasein ltant du monde ambiant. Nous pourrions en effet affirmer quelle dcoule de lentente de ltre qua chaque fois le Dasein, tout comme (ce quinest pas foncirement diffrent) elle dcoule du fait que le Dasein, entendant son tre-au-monde, sereconnat dune certaine manire dans ltant de sa proccupation : cela explique quil se prsente demble autrui daprs la place quil tient dans le monde public de la proccupation, savoir son mtier. De ce fait, il anime dune signification les rapports de renvois ; et lentiret de rapporten laquelle baigne cette animation en signification, nous la nommons la significativit (Bedeutsamkeit). Elle est ce quoi se rsume la structure du monde dans laquelle est chaque fois dj le Dasein en tant que tel. Demble, les rseaux de renvois

    18. 18 forment un tout cohrent parce que le Dasein remplit le monde de signification, son tre-au-monde limpliquant. Tel est ce qui rside au fondement des significations , de la parole et de la langue. Si les analyses prcdentes demeurent centrales, Heidegger nous met toutefois en garde : nous navons encore dgag que lhorizon lintrieur duquel quelque chose tel que le monde et la mondanit sont rechercher 32 . Par ailleurs, une objection pourrait tre que l tre substantiel de ltant dans le monde serait comme volatilis en un systme de relations . En ralit, comme nous avons tent de le montrer, celui-ci est justement fond sur la significativit ; et ltre l-devant de ltant ne se dcouvre pas de prime abord, mais seulement lorsque cesse la discernation. C) Le contraste entre lanalyse prcdente et celle de Descartes Notons demble que Heidegger prcise que les dveloppements qui vont suivre ne seront pleinement justifis quune fois accomplie dans laIIme partie, 2me section de Sein und Zeit (qui ne sera jamais publie) la destruction phnomnologique du cogito sum 33 . Ils montrent pourtant une mauvaise manire de poser le problme du monde, qui est chez Descartes exemplaire : il part en effet dun tant dans le monde, puis, sans doute pour cette raison, manque le phnomne du monde. De manire gnrale, Descartesdtermine le monde comme res extensa. Son point de dpart est lopposition entre lego comme res cogitans et la res corporea, qui sont deux substantia. La substantia est entendue comme ce qui constitue ltre dun tant ne tenant qu lui-mme. Mais une ambigut subsiste : cela peut signifierou bien ltre de ltant qui a le genre dtre de la substance, la substantialit, ou bien ltant lui- mme qui est une substance. Heidegger remarque que cette ambigut rsidait dj dans le terme de lontologie grecque ??s?a, dont substantia en est la traduction fate par la philosophie latine. Quelle est la substantialit de la res corporea ? La substance pour Descartes nest accessible que par le biaisde ses attributs, dont un attribut essentiel prsuppos par les autres fait signe vers la substantialit correspondante : ici, il sagit de ltendue, cest--dire de la longueur, la largeur et la profondeur. Notons que les analyses de Heidegger sur la spatialit qui suivront cette exposition du problme du monde chez Descartes seront fort diffrentes. La chose corporelle peut conserver son tendue tout en changeant de figure, de mouvement et de division, qui sont les modes de lextension. Par exemple, le mouvement ne peut tre expriment que comme tant un changement de lieu, donc comme une modification de ltendue. En revanche, la couleur nest pas indispensable la matire (mentionnons dans un cadre trs diffrent les analyses de Husserl qui dune certaine manire illustrent cela : une couleur ne peut tre reprsente sans un objet color dans lespace). Seule

  • ltendue est donc ce qui assure une constance permanente la substance corporelle. Descartes entend, comme nous lavons vu, par substance un tant tel quil na besoin daucun autre pour tre. Or, cette dfinition ne semble convenir qu Dieu, ens perfectissimum : tous les autres tants l-devant (et Descartes nenvisage ltant quainsi) paraissent avoir besoin dtre produits (crs) et conservs. Pourtant, les tants diffrents de Dieu sont des substances dune certaine faon, pour autant quil sagit aussi dtants. Il y en a deux types : la res cogitans et la res extensa. Mais lon ne peut les entendre comme substances de la mme manire que Dieu, car ils en diffrent infiniment. Le sens dtre nest pas univoque ici, sinon il faudrait parler de Dieu, ltant incr, comme sil taitcr, ce qui est absurde. Descartes laisse pourtant ce point inexpliqu, tenant le sens de ltre pour allant de soi, et en affirmant que la substantialit ne 32 Etre et temps 18 (trad. Vezin modifie p. 125 [86-87]) 33 Etre et temps, trad. Vezin (modifie) p. 128 [89]. Le 5 du cours donn en t 1927publi sous le titre Les problmes fondamentaux de la phnomnologie explique en effet que la mthode phnomnologique sarticule en trois moments inter-dpendants : la rduction (tourner notre regard dirig dabord vers ltant vers ltre), la construction (pour le dire dun mot, cela correspond lanalytique du Dasein qui rendra possible un accs ltre) et la destruction (critiquerles concepts mtaphysiques hrits pour atteindre une exprience originaire de ltre et sapproprier ainsi positivement la tradition). Voir les pages 39-42 de la traduction de J.-F. Courtine (p. 28-32 dans le tome 24 de la Gesamtausgabe).

    19. 19 nous affecte pas, car seuls les attributs sont saisissables par nous. Nous ne pouvons donc pas savoir quel est le sens commun dans lequel nous pouvons parler de substance aussi bien pour Dieu que pour les autres tants crs. Or ce problme, qui remonte en fait au problme de lanalogie chez Aristote, avait passionn lontologie mdivale, par rapport laquelle Descartes reste sur ce point loin en de 34 . Le fait que le problme soit rsolu de la sorte peine abord il esquive mme selon Heidegger la question en constitue la preuve. De la sorte, il ouvre la voie Kant qui affirmera que tre nest pas un prdicat rel . Ceci tient au fait que ltre nest pas un tant : telle est la raison pour laquelle Descartes veut, tord, recourir ltant, lattribut qui convient le mieux la conception de celui-ci comme l-devant. Que la substance soit dtermine grce un tant substantiel, voil la raison pour laquelle le terme parle double sens ; derrire cette infime diffrence de signification sabrite pourtant lincapacit de matriser le problme principal, celui de ltre 35 . Ainsi, la substance finie comme res extensa a pour attribut essentiel lextensio, mais sa substantialit reste indtermine. Tels sont les soubassements ontologiques de la dtermination cartsienne du monde comme res extensa : il importe remarquer le flou initial de la notion de substance. Une telle dtermination trahit le fait que le phnomne est franchi dun saut , tout comme ltre de ltant utilisable du monde ambiant. Nous pouvons nous demander comment se fait-il que Descartes ait pu passer ct de ltre de ltant du monde ambiant, alors que Heidegger prouvait au paragraphe prcdent ( 18) que cest lui qui est de prime abord rencontr : la Ire partie, 3me section de Sein und Zeit devait montrer pourquoi tel est le cas ds Parmnide. Pourtant, si le Dasein est ltre-au-monde, do vient que Descartes dtermine ainsi le monde ? Dune part, il na pas recherch le phnomne en question ; dautre part, sa propre recherche ne la pas men interroger ce que serait lappartenance un monde. Mme si Dieu, le je et le monde sontradicalement distingus, le statut ontologique du dernier est dtermin davance partir de celui desdeux autres. Si tel est le cas, alors ltre de ltant intramondain et ltre-au-monde en gnral se voient ignors par Descartes. Heidegger rappelle quau 14, il tait demand quel genre daccs au phnomne de la mondanit est requis, et la rponse tait le rapport du Dasein au monde ambiant. Quen est-il avec Descartes ? Laccs au monde doit souvrir selon lui au moyen de la connaissance physico- mathmatique : nous pouvons avec elle gagner une emprise sre sur ltant qui acquiert une constance permanente , qui est ainsi vritablement. Le monde se voit alors, selon lexpression de Heidegger, dicter son tre 36 partir dune ide prcise de ltre relevant dune certaine conception de la connaissance. Ce qui veut dire que Descartes prescrit ltre de ltant mondain, et ne se le laisse pas donner comme le fait Heidegger en partant de ltre de ltant tel

  • quil se rencontre dans le monde ambiant. Cest la raison pour laquelle il reste aveugle lutilisabilit, et sen tient ltre l-devant. Son souci semble plutt tre de fonder ontologiquement les rsultats de la connaissance moderne physico-mathmatique alors naissante avec Galile. Cela a pour consquence que la question de laccs convenable ltant ne se pose pas pour lui, du fait quil hrite de la conception traditionnelle accordant le primat lintellectio. Il pense clairement que ltant ne se montre pas de prime abord dans son tre, comme le montre sa critique de la sensation : le fait que le morceau de cire ait une couleur, une odeur, etc. est ontologiquement sans importance ; seul vaut ltre que prescrit la connaissance cet tant, savoir son tendue. Heidegger illustre le fait que Descartes nest pas capable de dterminer ltre de ltanttel quil se donne de prime abord par lanalyse que celui-ci fait de la duret. Cette-dernire est conue comme rsistance, mais non pas au sens dune preuve fate de celle-ci par le Dasein : il sagit du fait de ne pas changer de lieu, relativement autre chose qui en change. Mais ce quaffirme ici Descartes repose sur une perception de ltant telle quune entente particulire et non originelle de lui la guide : ltant est conu comme l-devant, et relativement notre exemple comme une simple chose tendue. Lexprience qui est fate dun tel tant ainsi dcrite repose galement sur une entente de ltre du Dasein comme l-devant (lexprience de la duret, affirme 34 Etre et temps 20 (trad. Vezin p. 132 [93]) 35 Etre et temps 20 (trad. Vezin p. 133 [94]) 36 Etre et temps 21 (trad. Vezin p. 135 [96])

    20. 20 implicitement Heidegger, est dans le monde ambiant fort diffrente, et de mme pour lanimal). Ltre du Dasein est, lui aussi, pens par Descartes comme tant une substance : la res cogitans. Heidegger soulve toutefois certaines objections possibles contre sa propre critique. Dabord, Descartes se proccupait-il seulement de dgager le phnomne du monde, quil ne pouvait dailleurs mme pas saisir ? Il en vient pourtant poser le problme du je et du monde dans les Mditations mtaphysiques ; toutefois, comme nous lavons vu, sans avoir suffisamment critiqu la tradition ontologique. Son aveuglement au monde de louvrage et linsuffisance de sa critique de lontologie dont il hrite, qui est au fondement de cet aveuglement, sont au final les deuxerreurs fondamentales de Descartes qui lempchent de dgager correctement le phnomne du monde. Mais il serait possible dobjecter que mme si tel est le cas, il aurait au moins jet les bases de la caractrisation ontologique de cet tant au sein du monde sur lequel tout autre tant se fonde en son tre, la nature matrielle 37 . La couche fondamentale de ltant serait atteinte, et celle-ci se superposeraient dautres qualits, qui nen seraient que des modifications, dont lutilisabilit. Mais avec la chosit matrielle pose au dpart comme tre de ltant dans le monde,atteignons-nous vraiment ltre de ltant rencontr de prime abord ? Est-ce que lutilisabilit nest quun prdicat de valeur l-devant dun tant l-devant ? Heidegger souligne que la reconstruction de la chose dabord pluche depuis la matire jusquaux diffrents prdicats de valeur nest possible que sur le fondement dune vue densemble du phnomne dans son ensemble (qui est reproduite dans la reconstruction ) ; cette vue est celle qua demble le Dasein quotidien qui ne stend pas seulement tel tant, comme sil tait l-devant, car son tre appelle immdiatement une vue de lentiret de conjointure, comme le prouvait le 18. Si cest ltre du Dasein, comme tre-au-monde, qui exige que ltant utilisable soit demble rencontr, alors il sensuit que les rsultats auxquels aboutit Descartes forment un tout dans lequel lentente de ltre du Dasein comme l-devant (sur lequel aurait d revenir la partie mentionne de Sein und Zeit non publie) vade pair avec une entente du monde atteint non dans la discernation mais sur le mode de la connaissance de ltant dans le monde conu comme l-devant. Au reste, lacte de connatre que privilgie Descartes constituait dj une preuve au 13 de ltre-au-monde au sens o lentend Heidegger. Bien que les thses de Descartes trouvent un fondement dans ltre du Dasein, comme lerappelle Heidegger renvoyant ce 13 ainsi qu la section 3 de la premire partie de Sein und Zeitnon publie, il se trouve quil est possible dopposer point par point lanalyse des deux philosophes.Cest pourquoi le cas de Descartes tait exemplaire pour faire ressortir loriginalit du dveloppement heideggerien du problme du monde. D) La spatialit du monde Nous avons ds le

  • dpart voqu le fait que concevoir le Dasein comme tre-au-monde au sens dun tant l- devant spatial dans le monde (lui aussi l-devant) est une manire de passer ct du problme du monde. Les analyses du concept de monde chez Descartes comme res exetensa ont montr que cela revient concevoir ltant en gnral comme l-devant en dpit de la manire dont il est effectivement dabord rencontr. Nous devons maintenant analyser quelle est la spatialit originaire qui se fait jour avec le Dasein, puisque manifestement celui-ci a un rapport quelque chose comme lespace. Il va donc sans dire que le problme de la spatialit est tout fait central. Nous ne pouvons pas prtendre que le monde soit dans lespace ; au contraire lespace est au monde. Cela signifie que le phnomne du monde est plus originaire que celui de lespace, mme si cest le second que nous percevons en premier (car plus un phnomne est proche et originaire, moins il est aisment peru comme tel). Quelle conception de lespace dcoule de ltre du Dasein ? Quelle est la spatialit de ltant qui est dans le monde et celle de ltre-au- monde ? Quelle est la vritable spcificit de lespace en gnral ? A loccasion de ces dveloppements sera 37 Etre et temps 21 (trad. Vezin p. 137-138 [98])

    21. 21 montr pourquoi lespace mondial na rien de lespace gomtrique tel que nous serions tents au premier abord de le caractriser ; au contraire ce genre despace trouve son fondement dans la spatialit du Dasein. Les analyses consacres la spatialit dans la premire section de Sein und Zeit Ltre de ltant rencontr de prime abord dans le monde ambiant est lutilisabilit (Zuhandenheit). La question demeure de savoir comment est-il dans celui-ci. Le fait que ltant utilisable soit sous la main (zuhanden) suggre une proximit de lutilisable. Mais nest-ce que la proximit au sens dune distance qui, une fois mesure, savrerait courte, dont il sagit ? Lacte mme dapprcier si une distance est courte ou longue fait signe vers une spatialit plus originaire partir de laquelle est dcid du proche et du lointain. Si la distance ntait quaffaire de mesure, il faudrait au moins nous demander ce qui donne la mesure. Mais dans notre cas, nous devons examiner comment proche et lointain se manifestent au Dasein avant toute mesure mathmatique, ce qui ne veut pas dire quils simposent arbitrairement comme tels. Dans lusage quen fait la discernation, loutil est toujours situ quelque part dans celle-ci : il est rang ici , pos l , etc.; il est sa place , ou au contraire il trane ; ce qui nest pas du tout affaire de distance, ni de simple lieu dont la position ne correspondrait qu des coordonnes dans un repre orthogonal ou sur une carte. La discernation de la proccupation fixe ce qui est proche de cette manire tout en tenant compte de la direction dans laquelle loutil est tout moment accessible. 38 Il y a toujours des places pour tels ou tels outils dans un tout o elles sont arranges, dans le monde ambiant ; de cela, lespace de la gomtrie ne peut rendre compte, car le problme nest pas de savoir quel lieu se trouve loutil ct dautres l-devant, et une rponse sous formes de coordonnes (x ; y ; z) naurait aucun sens. La place de loutil est de prime abord apprhende par rapport aux autres qui lentourent dans un ensemble de renvois dans lequel se meut la discernation. Cest pourquoi mme celui qui bricole peu sait combien peut tre dsagrable de rechercher partout un outil lorsque quil nest pas l o il devrait tre. Chacun doit avoir son propre coin, qui na rien darbitraire. Ce nest pas par hasard si sur le bureau, la lampe se trouve tel endroit, le stylo ici et le papier l, si le bureau lui-mme est plac prs de la fentre, et si celle-ci est justement l o elle est, savoir du ct o le soleil claire. Etre au coin du nest pas seulement comprendre au sens de dans la direction de , mais aussi dans les parages ; il nest pas ici question dun lieu comme un autre (comme dans lespace de la gomtrie) o se trouverait tel tant l-devant. Cest partir du coin quetrouvent les tants la place qui leur revient. Tous les lieux sont dvoils partir de la proccupation quotidienne, et non pas rpertoris dans une mensuration sappuyant sur la contemplation de lespace 39 ; de mme, un coin nest pas un lieu o se trouverait une somme dtants l-devant. Lunit de tous les coins est quant elle possible dans lentiret de conjointure saisie chaque fois par le Dasein : les coins leur tour sintgrent dans un tout plus originaire. Cest partir dun lieu que le Dasein, le l (da) qui dtermine tous les autres lieux, soriente par rapport lutilisable. Mais la possibilit de sorienter ne peut pas se fonder originellement sur un espace gomtris, car

  • sinon ltant rencontr dans le monde ambiant serait sa place sous le mode de ltre l-devant. La position du soleil, qui est un repre fondamental, na pas dabord un sens gographique do nous tirerions les points cardinaux, mais elle prdispose des formations particulires de coins : ainsi nous plantons la vigne en fonction de lensoleillement, lexposition dune maison dtermine lagencement des pices, etc. De mme, les glises et les tombes sont axes sur le levant et le couchant : la proccupation du Dasein pour lequel il y va en son tre de cet tre mme, dvoile par avance des coins par rapport auxquels il a chaque fois un rattachement dcisif 40 . Il faut ceci dit noter le caractre dinsurprenante familiarit de lutilisabilit de chaque coin ; il ne devient visible quen cas de modes dficients de la proccupation, savoir quand quelque chose manque, ou bien nest pas sa place, ou encore nous opportune. Sur ce point, nous revoyons au 18 38 Etre et temps 22 (trad. Vezin p. 142 [102]) 39 Etre et temps 22 (trad. Vezin p. 143 [103]) 40 Etre et temps 22 (trad. Vezin p. 143-144 [104])

    22. 22 qui rend compte de la familiarit en gnral du monde ambiant. Ce nest pas lespace en tant que tel qui est dabord donn au Dasein ; il ne se dvoile ainsi quen cas de perturbations du commerce proccup avec ltant. Et encore nest-il pas dvoil pour autant sous une forme mathmatise. Heidegger peut en conclure : cest au monde quil revient chaque fois de dvoiler en sa spatialit spcifique lespace qui lui appartient 41 , si le monde est constitu par la significativit de lensemble des renvois dans lequel sexerce la discernation. Il sensuit que le Dasein est en son tre-au-monde spatial. Il revient au 23 de prciser cela. Heidegger affirme immdiatement que sa spatialit ne peut se concevoir comme celle dun tant l-devant, ce qui ne doit pas nous tonner puisque ltant rencontr dans le monde na pas cette spatialit, et parce que nous savons aussi que le Dasein na pas ce mode dtre. Ltre-au-monde nquivaut pas louverture un espace mondial , mais il est, pourrions-nous dire, dune certaine manire cet espace. La spatialit de ltre-au doit tre examine en ayant en vue celle de ltant utilisable analyse ci-dessus. Elle possde deux structures, qui sont deux existentiaux : le dloignement (Ent-fernung) et laiguillage. Le premier dsigne la tendance du Dasein rapprocher ltant dabord et le plus souvent, dans le cadre de la discernation, par exemple en devant se procurer telle ou telle chose. Ainsi le Dasein a par essence une tendance la proximit 42 , dont tmoignent des acquis modernes comme la radio ou la tlvision43 qui selon Heidegger dsintgrent le monde ambiant. Que peut signifier une telle remarque ? La significativit constitue une structure essentielle du monde ambiant ; or ltant dcouvert via la radio et surtout la tlvision est peut-tre bien souvent coup de cette dimension. Ce qui appartient un monde se voit dmondaniser pour devenir l-devant offert en spectacle , ou encore objet dune proccupation ne pouvant saisir une quelconque profondeur du phnomne peru. La proximit nest quoiquil en soit pas dabord value selon une distance mesure et mme mesurable44 , ce qui ne veut pas dire quelle nest pas value de manire prcise : tel lieu est deux pas ou au contraire cela fait une trotte pour sy rendre. Ainsi un trajet objectivement long peut tre plus court quun trajet objectivement trs court . Objectivement , cest-- dire relativement une mesure commune qui seffectue entre deux tants l-devant, ce qui constitue comme nous allons le voir une manire dvaluer la proximit fort loigne de celle quemploie le Dasein. Lvaluation qui ne se rgle pas sur elle nest pas pour autant subjective , quoique quelle ait une certaine relativit (celle de la discernation de chaque Dasein, de son monde ambiant) : nous nous comprenons lorsque nous disons que cela fait un bout de chemin pour se rendre la gare. De mme, ce nest que si elles sont sales ou casses que les lunettes nous sont plus proches que ce que nous regardons travers elles. Ainsi les deux valuations ne se recoupent pas ncessairement. Notons que la seconde a un rapport troit avec la temporalit, puisque nous disons souvent que tel lieu est tant de minutes dun autre ; et ainsi telle ville peut tre dune certaine manire plus proche de la banlieue de Paris que lle de la Cit, tandis que le nombre de kilomtres parcourir peut savrer fort diffrent. Au demeurant, selon Heidegger, loin dtre subjective , elle dvoile peut-tre ce qua de plus rel la ralit du monde 45 . Cest en effet partir de la discernation, savoir le rapport ltant immdiat du

  • Dasein dans lequel ltant rencontr est utilisable, que la distance est value. Le Dasein se situe toujours par rapport au monde de sa proccupation, et jamais dans un ici pur et simple. Par ailleurs, les routes sur lesquelles le Dasein est en marche dans proccupation sont pour lui tout aussipeu surprenantes que les tants qui laffairent lorsquil nest pas en chemin. Elles sont mmes, elles qui sont pourtant touches par le pied chaque pas, plus loignes que lami aperu au 41 Etre et temps 22 (trad. Vezin p. 144 [104]) 42 Etre et temps 23 (trad. Vezin p. 145 [105]) 43 Il serait intressant de comparer ceci avec le dbut de la confrence La chose publie dans les Essais et confrences. 44 En effet le [dloignement] est un existential, la distance une catgorie [de ltre l-devant] . (D. Franck, Heidegger et le problme de lespace, Paris, Editions de Minuit, 1986, p. 85) 45 Etre et temps 23 (trad. Vezin p. 147 [106])

    23. 23 loin ou le lieu dans lequel je dois me rendre que je commence reconnatre. Enfin, il importede noter que la spatialit de ltre-au-monde ne semble pas avoir de rapport avec celle du corps, ce sur quoi nous reviendrons. Lapprochement nest pas orient sur le je-chose li un corps mais au contraire sur ltre-au- monde en sa proccupation [...].46 Quant au second existential, laiguillage,il dsigne ceci : il sagit des signes auxquels se rapporte le Dasein et dont il a besoin pour sorienter dans le monde de la proccupation ; ils tiennent ouverts des coins dont la discernation fait usage . La remarque que Heidegger fait loccasion sur lincarnation du Dasein47 sera commente par lasuite. Le terme d aiguillage montre facilement de quoi il est question : cest dhabitude ce qui permet aux trains de prendre deux directions diffrentes au sein du rseau ferr, tout comme le signe peut permettre au Dasein de choisir entre deux lieux o se dvoileront des coins diffrents. Ladistinction entre la droite et la gauche se fonde daprs Heidegger sur cela. Contrairement ce que disait Kant dans Que signifie sorienter dans la pense ?, le seul sentiment subjectif de celles-ci ne suffit pas sorienter dans un monde : un monde est dj ncessaire avec sa spatialit relevant de la proccupation qui le dvoile. Pour rencontrer ltant au sein du monde, le Dasein le dote donc dun espace, dun coin qui lui sera assign o il sera sa place dans le tout du monde de la proccupation. Dans ltre-au-monde, lespace est dvoil de cette manire et cest seulement ensuite quil peut tre thmatis comme tel par la connaissance lorsque sont neutraliss les coinsdu monde ambiant. Lorsque Kant fait appel la mmoire qui me permettrait de morienter dans unepice noire familire, mais dans laquelle tout ce qui tait plac gauche a t durant mon absence mis droite