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    Loc Blondiaux

    Universit Paris I, Panthon-Sorbonne

    Centre de recherches politiques de la Sorbonne (CRPS)

    LES THORIES CONTEMPORAINES

    DE L OPINION PUBLIQUE :

    UN RETOUR AUX

    CLASSIQUES

    ?

    Thories

    de l opinion

    publique perspectives anglo-saxonnes) : derrire ce titre sibyllin, il y a la

    volont, comm une aux concepteurs de ce num ro et aux responsables de cette revue qui o nt tant

    insist pour qu'il voit le jour, de combler un manque. Cette entreprise est partie au dpart du

    constat de l'absence de toute rfrence aux recherches anglo-saxonnes dans les dbats franais

    savants abordant la questiondel'opinion pub liqu e. On s'explique ainsi difficilement pourqu oi des

    uvres aussi marquantes en ce domaine que celles de James Bryce, Walter Lippmann ou John

    Dewey n'on t pas fait l'objet de rdition voire mme de trad uction. Plus prs de nous, l'indiff

    rence aux quelques ouvrages qui ont contribu depuis une quinzaine d'annes renouveler en

    profondeurlecham p de la rflexion surceth me dans les sciences sociales amricaines nota mm ent

    peu t galement sembler trange. Un tel constat vaudrait d'ailleurs galement pour l'Allemagne :

    les apports la rflexion sur l'opinion publique d'un Ferdinand Tnnies (Tnnies, 1922), d'un

    Wilh elm Hennis (Hennis, 1957) ou d'un N iklas Luhmann (Luhmann, 1970 et 1995) sont peu

    prs totalem ent ignors en France. A la charnire entre ces deux traditions nationales, un ouvrage

    aussi influent qu e laSpirale du silenced'Elizabeth Nolle Neum annsecherche encore ici un trad uc

    teur (Nolle Neumann 1984 ; cf. cependant Nolle-Neumann 1989).

    Les

    faiblesses de l'ditio n u nivers itaire en France ne sont

    pas

    seules en cause. Il faut galem ent

    souligner un certain enlisement de la rflexion thorique sur l'opinion pu bliqu e dans notre pays.

    Le domaine est aujourd'hui marqu par les recherches caractre historique (cf. par exemple

    Ozouf,1990 ;Chartier, 199 0 pour le xvm

    e

    sicle;Blondiaux, 1998 ;Reyni, 1 998 pour les xix

    e

    et XX

    e

    sicles), ainsi que par la controverse fconde initi e par Pierre Bourd ieu au tou r

    des

    sondages

    d'opinion (Bourdieu, 1973 ; Champagne, 1990). Des travaux souvent passionnants prennent

    place hors de ces deux sous-ensembles m ais sans constituer pour autan t u n espace vivant de q ues

    tions et de controverses, la diffrence de ce qui a pu se jouer autour des phnomnes de

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    rception dans les tudes sur les mdias ou de l'tude du co mpo rtemen t lectoral en science

    politique, pour ne prendre que deux rgions voisines de la recherche. Le fil d une tradition,

    marqu e avant les annes 1950 par des figures comm e celles de Tarde, Duprel ou Stoetzel (dont

    il conviendrait de rditer dans ce tte perspective l'intressanteThorie cks opinionsparue en 1943)

    s est

    depuis longtemps cass.

    L invention

    d une

    autre tradition

    Cevolume de traductions voudrait con tribuer(r)ouvrir un tel espace de dbats en m ettan t

    la disposition des chercheurs franais un ensemble de textes souvent courts qui ont jalonn

    l'histoire

    d une

    autre tradition, celle de la rflexion anglo-saxonne sur l'opinion publique et

    l'espace pu blic.

    Trois principes de slection ont guid un choix dont nous assumons les limites et la part

    d'arbitraire. Nous n'avons

    pas

    voulu en premier lieu nous contenter d'inventorier

    les

    ruines. une

    ou deux exceptions prs, dont nous nous expliquons dans les courts textes d'intro ductio n, ils agit

    de textes toujours v ivants, rgulirement cits et rdits dans le monde anglo-saxon et ce quelle

    que soit leur datedeparution.Cecritrea servi carter notamm ent no mbre de textes aujo urd'hui

    encore passionnants la lecture mais de seconde main et sans postrit intellectuelle vritable, en

    particulier dans le domaine de l'histoire politique ou philosophique du concept d'opinion

    publique (voir par exemple Palmer, 1936 ; Speier, 1950 ; Minar, I960 ; Gunn, 1989). D'autres

    contrib ution s, significatives en leur temps m ais de porte plus conjoncturelle, ont galem ent t

    exclues, l'exempledel'article que Paul Lazarsfeld a consacr la traditio n classiquede l'tude

    de l'opin ion p ub liq ue (Lazarsfeld, 195 7). Nou s avons fait ainsi en sorte, sans tre srs toutefois d'y

    tre toujours parven us, que chaque texte re tenu, article ou chapitre d'ouvrage recle sa part de

    nouv eaut et puisse tre lu avec profit par un lecteu r franais d'au jou rd'hu i.

    Un deuxime critre de slection reten u a t celui de l'indispo nibilit des textes. Cela vaut

    notam ment pour certains auteurs im portants m ais dont des contributions peuvent aujourd'hui

    tre lues en franais, en particulier dans l'excellentreaderralis au dbu t des annes 1980 sous

    la direction de Jean-Gustave Padioleau et dont le prsent volume pourrait constituer, vingt ans

    aprs, une su ite (Padioleau, 1981 ). Des chanons essentiels la reconstitution de cette autre trad i

    tion n'ont donc pas t repris ici tout en restant indispensables une vue d'ensemble (Blumer,

    1981

    ;

    Converse, 1981 ), tout com me le peti t et trs suggestif texte consacr par Margaret M ead

    cette question et tradu it il y a quelques annes dansRseaux(Mead 1992).

    No us avons souhait enfin, etc taitl l'essentiel, diversifier les regards et les poin ts de vue

    disciplinaires, mlerlesapports sociologiques, historiques et philosoph iques, rendre comp te de la

    diversit des styles et des positions dans la perspective

    d une

    histoire longue des thories de

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    Le s

    thories contemporaines

    de l opinionpublique : un

    retour

    aux

    classiques

    ?

    l'opinion p ubliq ue dans le mon de anglo-saxon. Dfenseurs d e point d e vue diffrents sur la ques

    tion , nous avons fait en sorte que cevolume reflte l'existence et la permanence de plusieurs dbats

    parfois heurts autour de la question d e la dfinition de l'opinion pub lique et de son rapport la

    dmo cratie. Cette cartographie des controverses, condamne ncessairement rester incomp lte,

    se voudrait u n guide a utant qu 'un rappel de l'importance d e ces crits pour la rflexion contem

    poraine sur l'opinion publique.

    Les recherches thoriques sur l opin ion pub lique : dclin et

    renouveau

    Les textes prsents ici renvoient deux priodes historiques clairement d istinctes, au p oint

    que nous aurions pu faire le choix de les classer selon un ordre chronologique opposant les textes

    classiques aux textes m odernes . Le premier de ces deux sous-ensembles regrouperait des

    textes dont la parution s'chelonne entre 1888 et 193 8, c'est--dire en tre l'ouvrage consacr par

    l'anglais James Bryce L aRpublique amricaine (TheAmerican Commonwealth), et la confrence

    prononce par George Gallu pPrinceton en 19 38.Lesecond sous-ensemble comprendrait quan t

    lui des articles et extraits d'ouvrages parus depuis le milieu des annes 1980 et qu i tmo ignen t

    d une

    mise jour des questions et d'un renouveau des problmatiques au cours de la priode

    rcente. Aucu n texte paru entre 1 940 et le milieu des annes 1980 n'a donc t retenu.

    Cette distribution chronologique n'est nullement le fruit du hasard. Elle correspond un

    dclin effectif de la recherche thorique sur l'opinion pub lique au cours de la priode interm

    diaire. L'intensit des efforts entrepris pour dfinir, conceptualiser et rendre compte des

    mtamorphoses de ce phnomne entre la fin des annes 1880 et la seconde guerre mondiale

    contraste en effet avec la domin ation presque exclusive de la recherche empiriqu e au cours des

    annes 1950 et I960.C estune conception instrumentale de l 'opinion publique qui s impose

    alors, fortement domine par les instrume nts d e la psychologie sociale, au point de rendre vaine

    toute recherche de clarification conceptuelle (Blondiaux, 1998 ;Zask, 1999). L'appauvrissement

    thorique est manifeste qui assimile l'opinion pu bliqu e ceque produisentlesenqute s et fait dire

    notam me nt en 1971 un auteur com me Jean Stoetzel, fidle reflet de cette volution, qu' il est

    vain de chercher dfinir l'opinion publique. L'opinion publique n'est pas un objet, c est un

    chapitre pour la recherche (Stoetzel, 1971). Dplore par Lazarsfeld (1957), cette aphasie

    conceptuelle n'empchera nullement l'tude de l'opinion publique de se constituer en sous-

    discipline presque autonome de la recherche amricaine en sciences sociales (Splichal, 1999).

    Lesdeux dernires dcenn ies ont t m arques au co ntraire par la relance de la rflexion th o

    rique en ce dom aine. Deux phno mnes conjoints sont l'origine de ce renouveau. Il faut citer en

    premier lieu

    les

    transformations internes au champ d e la

    science norm ale

    de l'opinion ,

    celle

    qui

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    s'intresse en p riorit m ais de manire souvent routinise au processus de formation des opinions

    individuelles. Sous l'impulsio n

    d une

    poigne de travaux psychologiques fondateurs portan t sur

    les phnomnes de cognition et de jugement (Fiske et Taylor, 1984 ; Tourangeau et Razinski,

    1988 ; Tversky et Kanheman, 1982), c est la dfinition mme de ce qu'est une opinion qui a

    chang. Nom bre de chercheurs s'intressent dsormais la manire dont les individus bricolent,

    slectionnent et agencent des fragments d'information en vue de rpondre aux demandes

    d'opinion qui leur sont adresses (sur ces points cf. Sniderman, 1998 ou Blondiaux, 1996). La

    recherche sur les mdias a paralllement contribu clairer ces processus de co nstruction prag

    matique des opinions individuelles, partir de dispositifs de recherche innovants (Gamson,

    1992 ;Iyengar, 1987 ;Neum ann, Just et Crigler, 1992 ;M utz, 1999). Maisc estavecle travail de

    John Zaller dont nous publions un extrait dans ce volume que cet aggiornamentode la recherche

    empirique sur les opinionss estle plus clairement traduit en revendication thorique.

    La vitalit des recherches historiques et critiques sur l'opinion cons titue l'autre lm ent de

    transformation de ce domaine de recherche. La tardive traduction en anglais de l'ouvrage de

    Haberm as sur l'espace public a pu jouerlerle d'un dclencheur (Habermas, 1989). Troisansplus

    tard, les articles runis par Craig Calhoun dans un ouvrage collectif promis un certain reten

    tissement Habermasand thePublicSphere traduisent bien l'impact d e cette publicatio n sur le

    champ de l'historiographie de l'opinion publique et sur la thorie critique de l'espace public,

    l'exemple de la contrib ution cevolum e de N ancy Fraser que nous avons choisi d'inclure dans ce

    num ro (Calhoun, 1992). Depuis lors, ces deux fronts de la recherche se sont considrablement

    renforcs. Sur le plan historique, on se bornera ici citer les travaux qui ont mis au jour l'histoire

    de la quantification de l'opinion p ubliq ue aux Etats-U nis ou au Canada et rflchi aux transfor

    mations induites par leur usage (Jacobs et Shapiro, 1995 ;Robinson, 1999;Geer, 1996).Letravail

    remarquable d'un chercheur comme Susan Herbst qui vient par ailleurs de co-diriger le

    meilleur manuel de synthse disponible actuellement sur l'opinion publique dans le monde

    anglo-saxon (Glyn n, Her bst, O'Keefe, Shapiro, 1999) pourrait ici servir d'exemple aprs un

    ouvrage sur l'histoire de la mesure de l'opinion aux Etats-U nis (Herb st 1993), elles estintresse

    la formation dans l'histoire de publics subalternes (femmes, mi nor its ...) (Herbst, 1994), avant

    de faire paratre plus rcemm ent u ne enqute sur la manire don tlesacteurs politiques dfinissent,

    construisent et prennent en compte l'opinion dans leur pratique politique quotidienne (Herbst,

    1998).Un extrait du

    livre

    pionnier

    de

    Benjamin G insberg sur

    les

    mtamorphoses contemporaines

    de l'opinion p ubliq ue rend comp te ici de cet essor

    de la

    rflexion critiq ue, laquelle prend p our cible

    en particulier les usages politiques de la technique du sondage d'opinion (Beniger, 1992 ;Glasser

    et Salmon, 1995).

    Ce renouveau de la critique s'exprime aujou rd'hui dans d'autres directions, plus philo sophi

    ques que sociologiques ou historiques. Certains auteurs comm e Nancy Fraser, Sheyla Benha bib,

    Joshu a Cohen ou Iris Marion Young se rejoignent pour te nter de repenser la question du public et

    de l'espace pu blicla lumire des concepts habermassiens, etceafin d e les critiqu er (Fraser dans ce

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    Le sthories contemporainesde opinionpublique : unretouraux cl ssiques ?

    numro ;Youn g in Benh abib, 1996) ou de participer l'laboration

    d une

    alternative la dmo

    cratie librale , sous la forme

    d une

    dmocratie deliberative qui rallie chaque jour des adeptes

    plus nombreux dans la philosophie politique anglo-saxonne (Cohen, 1989 ; Benhabib, 1996 ;

    Elster, 1998). Dans cette mme perspective, d'autres auteurs comme John Dryzek ou James

    Fishkin jugent ncessaire de repartir

    d une

    critique explicite des techniques employes

    aujourd'hui pour m esurer l'opinion p ubliq ue, afin de proposer la mise en place de dispositifs plu s

    respectueux du caractre dlibratif ou discursif de l'opinion dmocratique (Dryzek, 1990 ;

    Fishkin, 1991 ; Fishkin, 1995).

    D'une manire tout fait significative, les efforts d'un Fishkin pour repenser la nature

    dmo cratique de l'opinion rponden t ceux des psycho-sociologues, politistes et autres spcia

    listes de l'opinion p ubliq ue qu i cherchent l'instar de John Z aller sedbarrasser de la dfin ition

    instrum entale de l'opinion p ubliq ue q ui a prvalu dans les dcennies antrieures. Les uns et les

    autres insistent sur le caractre labile et instable des opinions individuelles, sur la ncessit de

    prendre en compte la manire don t cette opinion s'informe, se transforme au contact des autres,

    volue en permanence. L'opinion publique ne peut plus tre pense comme la simple juxtaposi

    tion d'noncs d'opinions individuelles, prformes et figes, elle rsulte

    d une

    confrontation de

    nature po litique, d 'un processus de discussion et de dlibration que F ishkin se fait fort de provo

    quer et d'organiser. Chez ce dernier la nature dmo cratique de l'opinion tient prcism ent cette

    mise en co mm un, cette pub licit, au caractre effectif de cette d libration. L'enjeu est bien la

    mise en place de dispositifs techniques susceptibles d'accoucher

    d une

    opinion dote de vritables

    qualits dmocratiques (Price et Neijens, 1997 et 1998).

    Pour un auteur com me Z aller, suivi en cela par d'autres analystes critiques de

    la

    technique des

    sondages, l'opinion individuelle ne prexiste pas non plus toujours au processus qui l'a fait natre,

    c'est--dire larencontreavec lesondeur elleendcoule.Cesdiffrentes recherches conduise nt en

    consquence remettre au prem ier plan et interroger le processus au travers duqu el l'opinion

    publique se forme et se cristallise. Elles mnent renoncer aux illusions d une technique qui

    prtend reflter et mesurer une opinion dj l. Elles renouent ce faisant avec un point de vue

    partag par la totalit des auteurs classiques , lesquels ne pouvaient eux non plus ad me ttre

    l'instar de Cooley que l'opinion pub lique puisse tre assimile la simple ag rgation de jug e

    men ts individuels spars . Les modernes , en ce sens, pourraient n'avoir jamais t aussi

    proches des classiques ...

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    Prsentation du numro

    Pour rendre c omp te de la permanence de certains des dbats qui traversent la recherche sur

    l'opinion publique dans le monde anglo-saxon, ainsi que de leur renouvellement rcent, nous

    avons choisi d'en retenir trois dimensions essentielles.

    La premire recouvre toutes les autres et met en cause la dfinition de ce qu'est au juste ce

    phnomne caractristique de la modernit politique qu'est l'opinion publique. Plutt que

    d'tablir l'inventaire des multiples dfinitions disponibles sur le march des sciences sociales, la

    manire dont un auteur amricain pouvait ds 1965 en dnombrer une cinquantaine (Childs,

    I965),

    nous avons retenu trois textes fondateurs qui se sont efforcs trs tt de dire ce qu'est

    l 'opinion pub lique etcequ'elle n'est

    pas,

    d'en dfinirlesattribu ts et d'en com prendre les origines.

    Les

    deux premiers,

    ceux de

    Bryce et

    de

    Lowell, ont acquis au

    il

    du temps

    le

    statut

    de

    classiques .

    Le troisime, moins connu et m oins cit, tmoig ne de l'intrt de la sociologie amricaine nais

    sante pour cette question. Deux traits unissent ces textes canoniques, trs diffrents dans leur

    inspiration

    l'accent plac sur

    le

    caractre pub lic et collectif du processus de formation

    de

    l'opinion

    et l'vocation d u thm e obsdant de larationalit de cette opinion, omn iprsent ds l'origine.

    La deuxime partie retrouve cette interrogation sur la nature du public moderne dansl'entre-

    deux-guerres travers la controverse souvent revisite depuis qui a oppos Wa lter L ippm ann et

    Joh n Dewey. Nou s avons demand Jolle Zask, traductrice de Dewey et auteur rcemment d'un

    ouvrage im porta nt consacr ses crits sur l'espace public, d e prsenter cettecontroverse et ses

    enjeux (Zask, 1999) Aprs cet pisode fondateur, la rflexion sur l'opinion publique, qu'elle soit

    sociologique ou philosoph ique, n 'a plus jamais cess on le sait d'achopper sur les questions autour

    desquelles Lippm ann et Dewey se sont affronts : la comptence et l'information du pu blic, la

    sugges tibilit de l'opinio n, son degr de contrle par la publicit et par les lites, ses possibilits

    d'mancipation.Sanspouvoir rendre com pte et suivrelesvoies multiple s prises depuis lors par ces

    discu ssio ns qui n'en font qu'un e en ralit au regard de

    la

    thorie normative de la dmocratie

    nous avons slectionn deux contributions trs dissemblables ce dbat sur l'espace public.

    L'article de Benjamin Page et Robert Shapiro, chercheurs en science politique spcialiss dans

    l'tude de l'opinion et des mdias, introd uit par N atalie La Balme, prsente et rsume leur tenta

    tive pour rgler une fois pour toutes, sur le terrain des faits, cette interrogation autour du public

    rationnel : si les opinions individuelles peuvent varier et se rvler incohrentes ou mal infor

    mes, leur agrgation statistique sous la forme d'un rsultat de sondage prsenterait au

    contraire toutes les garanties de stabilit, de cohrence et de rationalit ncessaires au bon

    fonctionnement dm ocratique de nos socits...Lepropos de Nancy Fraserseprsente quantlui

    comme une tentative de rglement, sur le terrain philosophique cette fois, de cette question du

    public d mo cratiquem ent lgitim e. Si ces deux conceptualisations d u public ne se rpondent pas

    ici directement, tant elles varient dans leurs prsupposs et leurs attendu s, les mond es auxquels

    elles se rattachent respectivement celui de la thorie normative de la dmocratie et celui de la

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    Le sthories contemporainesde Vopinionpublique : un retour aux classiques ?

    thorie descriptive de l'opinion offrent cep endant aux tats-Un is des points de contact plu s

    nom breux q u'en France. On trouvera ainsi dans l'ouvrage collectif don t est issu l'article repris ici

    de Page et Shapiro

    des

    contributio ns de spcialistes reconnus de l'un et l'autre cam p sur cette ques

    tion rcurrente du public dmocratique (Marcus et Hanson, 1993).

    La troisime et dernire partie de ce volume est consacre aux transformations opres par

    l'introduction de la technique des sondages sur les manires de penser l'opinion publique. La

    prsence ici d'un second passage de l'ouvrage consacr par Bryce la Rpublique amricaine en

    1888 pe ut, au premier abord, sembler relever d'un anachronisme flagrant. Elle fait sens pourt ant

    si on met ce texte en regard de la confrence prononce un demi-sicle plus tard p ar l'un des pres

    fondateurs de la technique du sondage, George Gallup. En se rclamant explicitement et de

    mu ltiples reprises de Bryce, Gallu p te nte de donner sa dcouverte ses lettres de noblesse mais

    aussi et surtout de dire la philosophie politique sur laquelle cet usage nouveau de l'opinion se

    fonde. Reconstituer ainsi le discours politique de la technique nous a sembl indispensable la

    comprhension de ce qui s est jou dans la priode ultrieure. La remarquable analyse que

    Benjamin Ginsbe rg a consacr aux transformations de l'opinion pu bliqu e introd uites par l'usage

    des sondages d'opinion indique l unedes voies dans lesquelles la critique de cet in strum ents est

    engage depuis le milieu des annes 1980 : celle de la mise en vidence des effets politiques

    concrets produ its par la gnralisation de son usage dans les milieux p olitiques et gou vernem en

    taux. Le travail

    de

    Jam es Fishkin m et en uvre lui aussi, son poin t de dpart, une critique des

    sondages

    tels

    qu'il s'en

    ralise

    quotidiennement dansles mdias et don t il mo ntre qu'ilsnepermet

    tent en aucuncas de produire une opinion publiqu e informe et dm ocratiquem ent lg itime . Il se

    propose de rechercher une synthse entre le nomb re (qui s'exprimerait au travers de l'chantillon

    nage statistique) et la raison (qui se dploierait dans la dlibration), au travers d'un dispositif

    statistique novateur don t il prsente, dans l'article retenu ici, les principes et les premires utili

    sations. La prsence enfin la fin de ce volume d'un court extrait du trait consacr par John

    R. Zaller la nature et aux origines de l'opinion de masse s'imposait tant l'ouvrage a marqu le

    champ de la thorie descriptive de l'opinion publique aux Etats-Unis.

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