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1 TRIBUNE n° 308 Enjeux et défis des forces armées camerounaises à l’horizon 2035 Chercheur à la Fondation Paul Ango Ela de géopolitique en Afrique cen- trale (FPAE), Président du Cercle de réflexion sur le développement de l’Afrique (Cerda) et consultant politique à Magic FM. Hans De Marie Heungoup L e Cameroun a choisi 2035 comme cadre prospectif pour parvenir à l’émer- gence. Le plan d’émergence du Cameroun est décrit concrètement dans Cameroun vision 2035, le document stratégique de la croissance et de l’emploi (DSCE), le document stratégique de réduction de la pauvreté (DSRP) et les projets structurants du Président de la République. En étudiant ces différents documents, on constate que la priorité est accordée à l’atteinte des OMD, les Objectifs du millénaire pour le développement fixés par l’ONU. Curieusement, le secteur de la défense est occulté. Or, la défense est étroite- ment liée aux défis de l’émergence. Ceci est d’autant plus vrai qu’il ne s’est jamais tenu au Cameroun d’assises nationales de la Défense. Tout comme à ce jour, le Cameroun n’a jamais élaboré de Livre blanc sur la Défense et la Sécurité nationale. La principale question de cette réflexion qui suit est la suivante : comment construire une armée à l’horizon 2035 ? Cette question introduit celles ci-après : quel cadre prospectif pour une défense en 2035 ? Quel positionnement stratégique pour les forces armées camerounaises à l’horizon 2035 ? Cette recherche s’inscrit dans le champ de la prospective stratégique. Deux points vont en structurer la présentation : la trajectoire historique des forces de défense du Cameroun et les perspectives stratégiques à l’horizon 2035. Trajectoire historique des Forces armées au Cameroun Les Forces armées camerounaises (FAC) ont été créées par ordonnance n° 59/57 du 11 novembre 1959 portant création de l’armée camerounaise et orga- nisation générale de la défense. Parmi les textes les plus notables qui ont structuré la trajectoire des FAC, on peut citer : la loi n° 67/LF/9 du 12 juin 1967, les décrets du 5 novembre 1983, les décrets du 4 février 2002 et les 21 décrets du 25 juillet 2001. Cette première section va dégager les moments où les FAC se sont illustrées pour la défense de l’intégrité du Cameroun et montrer comment elles ont contribué au statu quo politique au Cameroun. www.defnat.fr Chercheur associé au Centre de recherche d’études politiques et straté- giques (Creps) de l’Université de Yaoundé II-SOA. Édouard Épiphane Yogo

Heungoup Yogo (T308)

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    Enjeux et dfis des forces armescamerounaises lhorizon 2035

    Chercheur la Fondation Paul Ango Ela de gopolitique en Afrique cen-trale (FPAE), Prsident du Cercle de rflexion sur le dveloppement delAfrique (Cerda) et consultant politique Magic FM.

    Hans De Marie Heungoup

    Le Cameroun a choisi 2035 comme cadre prospectif pour parvenir lmer-gence. Le plan dmergence du Cameroun est dcrit concrtement dansCameroun vision 2035, le document stratgique de la croissance et delem ploi (DSCE), le document stratgique de rduction de la pauvret (DSRP) etles projets structurants du Prsident de la Rpublique.

    En tudiant ces diffrents documents, on constate que la priorit est accorde latteinte des OMD, les Objectifs du millnaire pour le dveloppement fixs parlONU. Curieusement, le secteur de la dfense est occult. Or, la dfense est troite-ment lie aux dfis de lmergence. Ceci est dautant plus vrai quil ne sest jamais tenuau Cameroun dassises nationales de la Dfense. Tout comme ce jour, le Camerounna jamais labor de Livre blanc sur la Dfense et la Scurit nationale.

    La principale question de cette rflexion qui suit est la suivante : com mentconstruire une arme lhorizon 2035 ? Cette question introduit celles ci-aprs :quel cadre prospectif pour une dfense en 2035 ? Quel positionnement stratgiquepour les forces armes camerounaises lhorizon 2035 ? Cette recherche sinscritdans le champ de la prospective stratgique. Deux points vont en structurer lapr sentation : la trajectoire historique des forces de dfense du Cameroun et lesperspectives stratgiques lhorizon 2035.

    Trajectoire historique des Forces armes au Cameroun

    Les Forces armes camerounaises (FAC) ont t cres par ordonnancen 59/57 du 11 novembre 1959 portant cration de larme camerounaise et orga-nisation gnrale de la dfense. Parmi les textes les plus notables qui ont structurla trajectoire des FAC, on peut citer : la loi n 67/LF/9 du 12 juin 1967, les dcretsdu 5 novembre 1983, les dcrets du 4 fvrier 2002 et les 21 dcrets du25 juillet 2001. Cette premire section va dgager les moments o les FAC se sontillustres pour la dfense de lintgrit du Cameroun et montrer comment elles ontcontribu au statu quo politique au Cameroun.

    www.defnat.fr

    Chercheur associ au Centre de recherche dtudes politiques et strat-giques (Creps) de lUniversit de Yaound II-SOA.

    douard piphane Yogo

  • 2Forces armes et dfense de lintgrit territoriale au Cameroun

    Les FAC se sont principalement illustres dans la dfense de lintgrit terri-toriale du Cameroun durant le diffrend frontalier entre le Cameroun et le Nigeria,au sujet de la presqule de Bakassi. cela, il faut ajouter les oprations de scurisa-tion des populations, notamment via la lutte contre le grand banditisme .

    La frontire Cameroun-Nigria longue de 1 690 km a fait lobjet dun conflitjuridico-politique et militaire entre ces deux tats. Les premires escarmouches entrele Cameroun et le Nigria au sujet de Bakassi ont eu lieu le 16 mai 1981, suite unaccrochage entre la Marine nigriane et une patrouille militaire camerounaise. Maisle conflit a officiellement dbut le 21 dcembre 1993 lorsque les Forces armes nig-rianes ont occup la presqule camerounaise plus de dix kilomtres lintrieur duterritoire camerounais et y ont plant leur drapeau. Le conflit a connu son apoge en1996 avec la riposte camerounaise lagression nigriane. Ce conflit sest achev le14 aot 2008 par la dcision de la Cour internationale de Justice (CIJ) de rtrocderla pninsule dispute au Cameroun.

    Ce que lon ignore, cest que le Cameroun na pas que gagn cette guerresur le terrain juridique et politique. De fait, sans laction des FAC qui ont repous sles forces nigrianes, qui avaient dj pntr le territoire de 10 km, la dcision dela CIJ naurait pas t aussi facilement accepte. Le conflit de Bakassi a mis auxprises la 12e puissance militaire africaine la 7e, la 21e conomie africaine la 2e,

    Dfense Cameroun Nigeria

    Effectif total 14 000 [non inclus la Gendarmerienationale et la Garde prsidentielle] 78 500

    Budget 197 millions de dollars 572 millions de dollars

    Dpenses militaires 1,63 % de PNB 1,92 % de PNB

    volution du budget de la dfense + 5 % + 22, 58 %

    Dpenses militaires par habitant 12 dollars 4 dollars

    Dpenses militaires par militaire 14 071 dollars 7 287 dollars

    Arme de terreEffectifs 12 500 62 000

    Vhicules blinds 110 9 500

    Forces ariennesEffectifs 300 9 500

    Avions de combat 4 50

    Marine nationale

    Effectifs 1 300 7 000

    Sous-marins 2 /

    Corvettes / 5

    Frgates / 1

    Tableau : tat des dfenses nigriane et camerounaise en 2006 (source : Ernest Claude Messinga).

  • 314 millions dhabitants 135 millions. Lorsque le prsident Sani Abacha duNigria lance en 1993 lopration Harmony IV, il mobilise trois bataillons dinfan-terie mcanise et un bataillon amphibie pour lArme de terre. Les forcesariennes sont dotes dhlicoptres de transport et dassaut, de type Puma, Lynx,des Alpha Jet et des MiG-21. Ces forces possdaient galement des canons de155 mm dont la porte atteignait la zone camerounaise. Le Nigria mobilise ensomme 10 000 hommes, des moyens ariens, des vedettes rapides, des btimentsde guerre ; et surtout le btiment dnomm Jonathan.

    La riposte camerounaise est baptise Opration Delta. Le Camerounmobi lise trois groupements de combat, une compagnie du Bataillon blind derecon naissance (BBR), une compagnie du Bataillon des Troupes aroports, unecompagnie des Fusills Marins Commandos, deux batteries dArtillerie sol-sol,deux sections du Gnie combat, une batterie dArtillerie sol-air, un dtachementMilan du 51e Bataillon interarmes (BIA), une section Prvt Shell Creek et uneDivision de 45 vedettes et embarcations rapides (Divet). Au total, les forces came-rounaises mobilisent 5 000 hommes, trois avions de combat Alpha Jet, sept hli-co ptres Puma et Gazelle. La rsistance de larme camerounaise, malgr le ds-quilibre du rapport de force, repose sur lefficacit stratgique et tactique des FAC,et sur les faiblesses nigrianes. En effet, les FAC disposaient dune meilleure solda-tesque que les Forces armes du Nigeria. Si lon observe le tableau ci-dessus, on serendra compte que le Cameroun dpense deux fois plus dargent par militaire quele Nigeria. En dehors de laspect financier, les soldats camerounais sont mieuxfor ms que ceux du Nigeria. Un officier camerounais met en moyenne deux anspour achever sa formation contre six mois pour le Nigeria. Un simple soldat metneuf mois contre 45 jours pour le Nigeria. Le niveau stratgique et oprationneldes officiers gnraux camerounais a pes sur lissu du conflit. Dans cette guerre, leCameroun a perdu entre 200 et 300 hommes, dont 120 en dcembre 1993. Laguerre a fait plusieurs disparus et prs de 200 prisonniers. Le Cameroun a gale-ment perdu trois hlicoptres, un Sweep Ship (patrouilleur lance-missiles), desarmes et des munitions. Du ct du Nigeria on dnombrera 3 000 morts, dont2 000 lors de la contre-attaque camerounaise de mars 1996, des centaines de pri-sonniers et disparus, le Jonathan, des armes et munitions. La souverainet came-rounaise reconnue par larrt de la CIJ du 10 octobre 2002 et par laccord deGreentree du 14 aot 2008, Bakassi a donc t rtrocd au Cameroun.

    Les FAC se sont galement distingues dans la lutte contre le grand bandi-tis me au Cameroun, cest--dire le banditisme transfrontalier et le banditisme urbain.

    Sagissant de la lutte contre le banditisme urbain, les FAC ont t mobili-ses pour y faire face dans la ville de Douala en fvrier 2000. En effet, le20 fvrier 2000 le Prsident de la Rpublique du Cameroun signait le dcret2000/0027 portant cration et organisation dune unit spciale de larme,dnomme Commandement oprationnel (CO). Plac sous lautorit du gnralPhilippe Mpay, le Co avait pour mission de lutter contre linscurit et le grand

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  • 4banditisme dans la ville de Douala. Onze ans aprs, le bilan que lon peut faire duCO est plus que mitig. Non seulement cette force na pas permis dradiquer lacriminalit et le banditisme Douala sur le long terme (Cf. larticle de Mathias ricOwona Nguini et Jean Bosco Oyono), mais en plus son intervention a cr lechaos et la terreur auprs des populations, accentuant la rupture entre larme et lapopulation et le sentiment dimpunit des FAC. Onze ans aprs le CO, on retientsurtout laffaire des neuf de Bpanda , du nom de neuf habitants du quartierBpanda ayant t illgalement excuts par les lments du CO. Daprs lerap port de lAction des Chrtiens pour labolition de la torture (ACAT), le CO,entre fvrier 2000 et avril 2001, a fait prs de 1 100 morts parmi les populations.

    Forces armes et ordre politique au Cameroun

    Deux vices entachent larme camerounaise : dune part, la brutalit etlir respect lencontre de la population ; dautre part, lalliance hgmonique avecle rgime gouvernant.

    Entre 1959 et 1989, les FAC ont men, dans le prolongement de larmecoloniale franaise, une lutte dcide contre le mouvement nationaliste camerounais.Elle a t marque par lassassinat de Ruben Um Nyob, le 13 septembre 1958 etsest acheve par lassassinat dErnest Wandji, en 1972 : deux figures emblmatiquesde lindpendance du Cameroun. Le mouvement nationaliste camerounais bnfi-ciait lpoque dune immense popularit. Et aujourdhui encore, malgr le travaildamputation mmorielle des rgimes Ahidjo et Biya, il reste populaire. Larmecamerounaise se retrouve en situation ambigu parce quelle a particip la dispari-tion des pres de lindpendance camerounaise. Pour la construction dune coalitionhgmonique, le prsident Ahidjo a dpec la gauche nationaliste camerounaise etsest appuy pour ce faire sur larme et la police.

    Les FAC sont aussi intervenues loccasion de la tentative de coup dtatdu 6 avril 1984 et des prsumes tentatives de 1983 et 1989. Lanalyse que lonpeut en faire est double. Sil est vrai quen protgeant les institutions de laRpublique, en loccurrence le Prsident de la Rpublique, elles ont fait montre derpublicanisme, en revanche, on ne saurait occulter le fait quelles jouaient, l aussi,leur partition pour prserver un ordre hgmonique qui leur a toujours accord lapart belle. Ce nest donc pas par simple sursaut citoyen et rpublicain que les FACont empch le coup dtat du 6 avril. Derrire cet empchement se dissimulaientaussi les logiques de coalition ethniques, patrimoniales et circonstancielles. LesFAC ont par ce geste ciment leur alliance avec le rgime du renouveau.

    Entre 1990 et 2012, ont peut noter deux moments importants pendantles quels les FAC sont venus la rescousse du rgime gouvernant pendant les villesmortes et mobilisations multisectorielles, et les meutes de fvrier 2008. loc ca-sion des mobilisations multisectorielles de 1990, dans le sillage des effervescencesdmocratiques en Afrique, les populations ont t durement mates. Le nombre

  • 5rel des victimes est difficile ce jour estimer ; le chiffre le plus souvent avancest de 400. Sen est suivie une opration dnomme ville morte ; le pouvoir aragi par des arrestations, bastonnades et humiliations infliges aux leaders delop position et de la socit civile. Le mme scnario sest produit en fvrier 2008.Dans le contexte des meutes de la faim (voir Chantal Belomo), larme came-rounaise a tir balles relles sur les populations civiles, bilan 32 morts pour leGouvernement, plus de cent morts pour les associations de la socit civile. vraidire, sans remmorer le tonton macoute (Cf. Achille Mbembe, p. 370), il fautdire quon nen na pas t loin avec les brutalits de larme camerounaise.

    Perspectives stratgiques lhorizon 2035

    Penser les perspectives stratgiques des FAC lhorizon 2035 commande desintresser aux conditions de leur mergence et aux stratgies lies une telle option.

    Conditions pralables lmergence des FAC

    Lune des exigences fondamentales des FAC lhorizon 2035 est depro mouvoir davantage le concept de dfense populaire. Ce dernier a une valeurstratgique importante. Cest en substance ce qui ressort de notre entretien avec lecapitaine de vaisseau Meloupou (Contrleur des Armes du Cameroun).

    Se fondant sur son exprience lors du conflit de Bakassi, ce dernier voquelinoprabilit du concept de dfense populaire. cet effet, il affirme que la popu-lation locale a t trs ngative vis--vis du militaire au point o, elle sest pluttconstitue en menace la dfense du pays . Il en est de mme, poursuit-il, pour lesmdias qui nont jamais rien dit de bon, ni soutenu les militaires camerounais aufront . En ralit, les militaires attendaient de la part de la population locale unlan de solidarit afin de renforcer leur capacit morale et psychologique sur le champde bataille . De telles perspectives ne sont envisageables que si larme communiquedavantage. Mais, dans un contexte o le Secret dfense est rig en rgle absolue, oil nexiste pas de Livre blanc sur la Dfense nationale, o le concept stratgique dedfense est inexistant dans les textes cls, il sera difficile pour la population de serap procher du militaire, condition sine qua non lutilisation dudit concept.

    Dans la mme perspective, Wilfride Nzokou souligne quau regard delhis toire militaire camerounaise, il est difficile de dire si le concept a t effectifdans son application . Pour ce chercheur en stratgie du Creps, le dbat portantsur la valeur du concept au Cameroun devrait tre transcend. La tendance aurgionalisme tant de mise, ce dernier, tout en martelant que le retour la forma-tion militaire dans certaines grandes coles fait subsister le concept, estime que lapolitique du pays former dsormais des soldats de la communaut dilue leconcept de dfense populaire en concept de dfense communautaire . Quoiquilen soit, la mobilisation du concept de dfense populaire doit se faire en tout temps

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  • 6et en toute circonstance. Si ce concept est mis en application, il permettra deconstruire la confiance entre le peuple et larme, et de ce fait mettra en exergue lecitoyen comme principal rfrent scuritaire.

    Le Cameroun se doit de construire une nouvelle posture stratgique dansla rdaction du Livre blanc et ladoption dune loi de programmation militai re.Boussoles stratgiques de tout tat, elles manquent aujourdhui au Cameroun. UnLivre blanc sur la Dfense nationale serait bnfique pour ce pays plusieurs titres.Dabord, il permettrait davoir une vision claire et non hypothtique sur les forces,les faiblesses, les possibilits, les risques et les menaces qui se prsentent dans len vi-ronnement scuritaire camerounais court, moyen et long termes. Ensuite, ildeviendrait loutil fondamental de lambition stratgique du pays, permettant desituer la place des FAC en Afrique et dans le monde. Ce Livre blanc devra faire uneanaly se des dfis capacitaires des FAC et proposer un cadre stratgique pour leurmonte en puissance (Cf. larticle de Charles-Louis Labrecque, Hugo Bourassa etGrard Hervouet). Ce sera loccasion pour le Cameroun de mettre en forme et depro mouvoir les dterminants de sa culture stratgique.

    Pour saffirmer dans le processus de modernisation, les FAC doivent, entresautres, sappuyer sur le gnie militaire camerounais. Depuis 1962, celui-ci a construit de nombreux ouvrages routiers et dart. Si lon sen tient aux routes uniquement, onpeut mentionner les axes Ngam-Kombolaka, Zamengo-Mokola, Soa-Omnisport,Bafang-Nkondjonck-Yabassi (Cf. larticle de Joseph Vincent Ntuda Ebod), etc.Cependant, le gnie militaire doit uvrer davantage dans la formation technique. Unprocessus poursuivre par le biais de la direction des organisations interarmes defor mation professionnelle, la Dirgem-OIP. Dans la perspective de lmergence lho-rizon 2035, lapport du gnie militaire semble important pour la mise au profit de lanation des comptences et savoir-faire militaires. Comme le rappelle le capitai ne devaisseau Jean-Pierre Meloupou, Le gnie militaire dispose dun savoir-faire et dunsavoir-tre moral ncessaires dans lop tique dmergence lhorizon 2035, qui doittre utilis bon escient . La pro fessionnalisation et la modernisation de larmecamerounaise obligent galement celle-ci se doter des capacits ncessaires pour lamatrise des quatre espaces stratgiques. Les FAC doivent contrler, en plus des troisespaces traditionnels, les pace hertzien ou cyberespace, celui de linfo-sphre, champde bataille des guerres de demain et des guerres asymtriques.

    Stratgies dmergence des FAC

    Le nouvel esprit de dfense suggre dinscrire dsormais, dans la pratiquemilitaire, la promotion des valeurs de dmocratie, patriotisme, respect des ins titu-tions tatiques, droits de lhomme, etc. Il sagit daffirmer, au regard de la trajec-toire historique des FAC, limportance de ces valeurs dans le contexte de la moder-nit politique et de la construction nationale. Ainsi, larme camerounaise dedemain se doit rsolument dtre le creuset de la nation et de lunit nationale.

  • 7Entendu comme lieu o se fondent, se mlent diverses choses (Cf. FloribertNjako), le creuset renvoie la communaut camerounaise toute entire, la construc-tion du sentiment dappartenance cette mme communaut.

    Pour tre une rfrence citoyenne lhorizon 2035, larme camerounaisedevra tre le miroir sociologique de la nation. Pour ce faire, il faudrait quellepar vienne associer les sensibilits rgionales du pays lexigence absolue de mri-tocratie. Le Cameroun ayant t travers par des antagonismes ethno-rgionaux etlinguistiques, larme en tant que symbole national, se doit dviter le pige tribal,afin daccompagner la consolidation du processus de citoyennet au Cameroun. Lenouvel esprit de dfense repose donc sur une double attitude morale et intellec-tuelle. La premire consiste adopter les valeurs de dmocratie et la deuxime analyser intelligemment les dynamiques dvolution des risques et menaces (Cf. louvrage Comprendre la dfense). Il est important que ces valeurs soient ensei-gnes dans les coles militaires et coles de guerre.

    Si lhorizon 2035, les FAC doivent tre des acteurs significatifs de la conso-lidation de la nation, elles doivent aussi raffermir, rorganiser et restructurer leurfutur rseau diplomatique. La tradition diplomatique militaire camerounaise a tou-jours privilgi le contact bilatral. Mais en 2012, plus prcisment le 21 mars, lePrsident de la Rpublique du Cameroun a sign le dcret n 2012/149, portantcration et organisation des missions militaires et des bureaux militaires dans lespostes diplomatiques (Cf. Floribert Njako p. 20). La diplomatie militaire camerou-naise, comme se doit une force mergente, sest lance dans le multilatralisme. LesFAC devraient profiter de ce nouvel espace rticulaire pour affirmer leurs vellits,intentions et prtentions sur le plan mondial.

    Quant au format des FAC lhorizon 2035, il dpendra des moyens rser-vs pour assurer la dfense du territoire. Mme si larme camerounaise nest pasune arme de conqute ou de projection, son format devra sadapter aux menacesprobables et lvolution de son PIB. Dans la pratique des pays suffisammentstructurs militairement, lon constate que les budgets de dfense reprsentent enmoyenne entre 2 et 4 % du PIB. Or, avec un budget de dfense reprsentant offi-ciellement environ 1,7 % de son PIB, soit 350 millions de dollars, larme came-rounaise natteindra jamais le statut de force mergente. Ainsi, si le Camerounaspi re une arme consquente lhorizon 2035, il doit se doter dun budget dedfense reprsentant 3 % de son PIB (qui est actuellement de 21 milliards dedol lars), soit environ 650 millions de dollars. Et pour 2035, il faudrait calculer auprorata du taux de croissance du PIB.

    En guise de conclusion, il ressort quen 52 annes dexistence, larmecamerounaise sest distingue positivement loccasion du conflit de Bakassi. Ellecontinue de se distinguer positivement dans la scurisation du Nord et la lutte

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  • 8contre le grand banditisme. En revanche, elle a t facteur de rpression et dehan tise pour les populations, sans toutefois rsorber le banditisme urbain quelle asouvent tent de combattre. Au regard des forces et faiblesses de larme camerou-naise, lune des conditions pralables son mergence est lamlioration de sesrap ports avec la population. Elle est essentielle la mise en action du concept stra-tgique de dfense. L encore, une question fondamentale demeure : comment lesFAC parviendront-elles construire une relation forte avec le peuple, si le rgimepersiste les engager dans la rpression du mme peuple ?

    lments de bibliographie

    Hans De Marie Heungoup et douard piphane Yogo : Entretien avec le capitaine de vaisseau Jean-PierreMeloupou, 14 septembre 2012.Hans De Marie Heungoup et douard piphane Yogo : Entretien avec Wilfride Nzokou, 14 septembre 2012.Floribert Njako : La rorganisation de la diplomatie militaire camerounaise au service de lmergence dans uncli mat de paix et dunit in Honneur et Fidlit (magazine des FAC), numro spcial, 20 mai 2012.Hans De Marie Heungoup : Le BIR, la GP et le pouvoir au Cameroun ; Berlin, ditions universitaires europennes,septembre 2011, 152 pages.Charles-Louis Labrecque, Hugo Bourassa, Grard Hervouet : La modernisation militaire de la Chine, une analysedes capacits actuelles et des efforts de monte de puissance in Hautes tudes Internationales ; Universit de Laval,juin 2011.Floribert Njako, Arme : fonctions rglementaires et fonctions drives in Honneur et Fidlit, numro spcial,20 mai 2011.Joseph Vincent Ntuda Ebod : Lapport de larme dans lpanouissement de lvolution socioprofessionnelle in Honneur et Fidlit, numro spcial, 20 mai 2009.Ernest Claude Messinga : Les forces armes camerounaises et la souverainet du Cameroun sur la presqule deBakassi in Fabien Eboussi Boulaga (dir.) : Ltat du Cameroun 2008 ; Yaound, ditions Terroirs, 2009, pp. 97-114.Chantal Belomo : Crise sociopolitique de fvrier 2008 et nouvelle gouvernementalit au Cameroun ; 2008 ; 26 pages(www.apsanet.org/~africaworkshops/media/Chantal%20Belomo.pdf ).Mathias ric Owona Nguini et Jean Bosco Oyono : Le Commandement Oprationnel : solution durable linscurit ou rgulation passagre in Enjeux n 3, avril-juin 2000.Institut des hautes tudes de dfense nationale (IHEDN) : Comprendre la dfense ; conomica, 1999 ; 335 pages.Achille Mbembe : Crise de lgitimit, restauration autoritaire et dliquescence de ltat in Peter Geschiere et Piet Konings (dir.) : Itinraires daccumulation au Cameroun ; Paris, ASC-Karthala, 1993 ; 393 pages.Hans De Marie Heungoup : quand un Livre blanc sur la dfense et la scurit au Cameroun ? in Enjeux n 48,novembre 2012 ; p. 3-5.