Histoire de Geneve

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  • 8/19/2019 Histoire de Geneve

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     © Helvetia Genevensis 2006

    Histoire de Genève

    La situation géographique

    Rôle du lac et de la navigation

    De tout temps, Genève a profité de l'atout qu'offre sa position géographique. Des échangeséconomiques à longue distance existent déjà. La vallée du Rhône est une des grandesroutes parcourues par les marchandises et les hommes, et Genève est placée à un pointimportant de cet axe, qui unit le nord de l'Europe à la Méditerranée. Dans le sens est-ouest,des cols franchissent les Alpes en direction de l'Italie, en particulier le Grand et le Petit-Saint-Bernard, avec des itinéraires conduisant à Genève.

    Le site jouit d'un second avantage, son emplacement au bord d'un lac et d'un fleuve. Jusqu'à

    l'invention du chemin de fer, la voie d'eau, beaucoup moins coûteuse, sera souvent préféréeà la voie de terre pour le transport des marchandises. Le port de Genève, actif jusqu'à la findu XIX e siècle, a eu des débuts timides dès ces temps reculés.

    Enfin, sur le Rhône, la présence de l'île facilite le passage d'une rive à l'autre, à gué d'abordà travers un cours d'eau plus large et moins profond qu'actuellement, puis par un pont, bâtiau I e siècle avant J.-C., légèrement en aval du pont de l'Ile.Ces éléments favorables sont à garder en mémoire, car ils ont eu une valeur permanente àtravers toute l'histoire genevoise.

    Les premières traces d'occupation humaine du site de Genève remontent à 3'000 av. J.C.environ; elles ont été découvertes sur les rives du Léman, où s'élevaient des villages

    lacustres. La colline de la Vieille Ville, centre de l'ancienne Genève, ne sera habitée quebeaucoup plus tard, probablement pas avant 1000 av. J.-C.; vers 500, des membres de lapeuplade celte des Allobroges s'y installent à l'intérieur d'un refuge fortifié.

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    Antiquité

    Genève romaine

    La Genève antique

    Illustration concrète du rôle du lac et de la navigation, les recherches récentes desarchéologues font apparaître la Genève antique d'abord sous l'aspect d'un port situé vers lehaut de Longemalle et le bas de la rue de la Fontaine. Ces vestiges sont de peu antérieurs à121 avant J.-C., date capitale puisque c'est celle de la conquête par les Romains de la partiesud-est de la Gaule, peuplée par une tribu celte, les Allobroges.

    Postérieure peut-être à l'implantation au bord de l'eau, l'occupation de l'éminence quideviendra le noyau historique de Genève, la haute ville. Cette colline est un refuge de choix.Sur trois côtés, elle est protégée par le lac, le Rhône et l'Arve, qui coule alors près de laCorraterie. Sur le seul côté vulnérable, à l'Est, les occupants creusent des fossés, marqués

    peut-être encore par les dénivellations du Bourg-de-Four.Les Helvètes

    Les Allobroges tombés sous la domination romaine, Genève devient un poste frontière. Del'autre côté du Rhône commence le territoire de Celtes encore insoumis, les Helvètes. Ceux-ci subissent la pression de peuples vivant au-delà du Rhin, qui cherchent à traverser lefleuve pour s'établir sur le Plateau suisse.

    Devant cette menace, les Helvètes quittent leur sol natal en 58 avant J.-C. pour gagner lesud-ouest de la Gaule. La route la plus commode consiste à passer le pont de Genève et àsuivre la rive gauche du Rhône, mais c'est violer le territoire romain.

    Jules César

    La marche des Helvètes est arrêtée par Jules César, grand homme politique et grand chefmilitaire romain, qui achèvera, au cours des trois années suivantes, la conquête de la Gaule.César est aussi écrivain.

    Dans un livre rédigé en 52 qui décrit sa campagne de France, il raconte qu'il fit couper lepont de Genève pour retenir les Helvètes. C'est sous sa plume qu'apparaît pour la premièrefois par écrit le nom de Genève, « Genua » en latin. Ce nom serait d'origine gauloise etsignifierait l'« embouchure ».

    La prospérité de Genève

    Les découvertes archéologiques prouvent la prospérité de Genève durant la longue paix quirègne dans l'Empire romain jusqu'à la fin du III e siècle ap. J.-C.. Des ports à la Fusterie et àLongemalle servent au transit des marchandises.

    La ville dépasse les limites du bourg allobroge ; dans ces temps tranquilles, les villes n'ontplus besoin de fortifications. Le centre administratif était la Cour Saint-Pierre. Il y restera unmillénaire et demi.

    Le palais burgonde, puis celui de l'évêque, seigneur de Genève au Moyen Age, succéderontaux bureaux romains. A la Réforme, après le départ de l'évêque, lorsque les conseilscommunaux formeront le gouvernement de la République indépendante, les autoritéssiégeront à deux pas de là, à l'Hôtel de Ville, où elles sont encore.

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    L’adoption du christianisme

    Des édifices religieux

    Une longue et fructueuse campagne de fouilles dans le temple de Saint-Pierre a révélé les

    vestiges d'une église de la fin du IVe siècle, accompagnée d'un baptistère et d'une salled'apparat ornée de mosaïques.

    Vers 400, une seconde église fut élevée, formant avec la première une cathédrale doubleselon un modèle fréquent dans l'Antiquité tardive. L'ampleur et la qualité de ces restes, ainsique d'autres indices, montrent que la ville a joui d'une période de prospérité à la fin del'Empire.

    Durant le Ve siècle, d'autres sanctuaires sont bâtis: Notre-Dame-la-Neuve (nomméemaintenant l'Auditoire), Saint-Germain et, un peu plus tard, la Madeleine. Tels qu'ils seprésentent aujourd'hui, ces édifices sont le résultat de remaniements postérieurs. L'égliseSaint-Victor s'élevait à l'emplacement de l'église russe et présentait la particularité d'être une

    construction ronde.

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    Le Moyen-Âge

    Genève capitale burgonde

    En 443, une tribu germanique, les Burgondes, se fixe dans la région. Pendant trente ans,Genève abrite la capitale de leur royaume. Celui-ci est occupé par les Francs en 534 :Genève est incorporée à la monarchie mérovingienne, puis à l'Empire carolingien. Ladésagrégation de ce dernier, au IX e siècle, voit naître le Second royaume de Bourgogne,auquel Genève appartient.

    En 1032, cet Etat passe aux empereurs germaniques. En droit, Genève dépend désormaisde l'Empire ; en fait, depuis le XI e siècle et jusqu'à la Réforme, elle est gouvernée par sesévêques devenus seigneurs de la ville. Genève reste une localité secondaire jusqu'à la fin duMoyen Age. Ses foires, qui atteignent leur plus grand essor au XV e siècle, lui donnent alors,et pour la première fois, une réputation internationale.

    Cependant, son indépendance est menacée par la Savoie, dont les princes s'efforceront, duXIII e au XVII e siècle, de s'emparer de la ville, sans y parvenir.

    Genève du 6ème au 10ème siècles

    Les siècles obscurs

    En 534, le royaume burgonde est absorbé par les Francs, Germains conquérants de laGaule. Jusqu'à la fin du IX e siècle, Genève, la Savoie, la Suisse Romande sont rattachéesau royaume franc, d'abord sous la dynastie des rois mérovingiens, puis sous lesCarolingiens. Avec l'incorporation de Genève à la royauté franque débutent des siècles desilence qui privent de renseignements l'historien local. Ce n'est que par comparaison avec

    d'autres villes qu'on a une idée du sort de la nôtre.

    A partir du VIIe siècle, elle a dû partager la décadence générale des villes européennes, qui,dépeuplées, survivent au ralenti. Deux circonstances laissent penser que Genève nedescendit pas tout au bas de la pente: la vallée du Rhône, malgré la diminution deséchanges, ne fut pas totalement abandonnée par le trafic, la présence d'un évêque et de sonentourage maintint une activité économique et culturelle.

    Les évêques seigneurs de la ville de Genève

    Il est probable que, dès le VIIe ou le VIIIe siècle, les évêques sont devenus les vrais maîtresde Genève. Les rois ne gouvernent plus que théoriquement, car l'autorité publique s'estmorcelée entre une infinité de petits chefs locaux. Dans les villes où réside un évêque, c'estlui, souvent, qui commande et joint le pouvoir politique à son pouvoir religieux.

    Quand l'empire proclamé en 800 par Charlemagne se disloque, un royaume se forme enSuisse Romande en 888, le second royaume de Bourgogne. Genève en fait partie, mais lesrois confirment le pouvoir des évêques, si bien que ceux-ci, dès 1020, frappent desmonnaies à leur nom, ce qui démontre le degré d'indépendance qu'ils ont atteint.

    Genève ville d’empire et lutte contre les comtes

    Genève ville d'Empire 

    Le dernier des rois de Bourgogne, mort sans enfants en 1032, lègue ses possessions à

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    l'empereur Conrad II, souverain du Saint Empire romain germanique, fondé en 962, quicomprend non seulement l'Allemagne, mais aussi des pays voisins comme la Suisse.

    Héritiers des rois de Bourgogne, les empereurs placent sous leur souveraineté des régionsqui vont de la Suisse romande à la Méditerranée. Toutefois, la suprématie impériale, bienlointaine, n'est guère plus que nominale. Le pouvoir réel est assuré par des seigneurslocaux, laïques ou ecclésiastiques. On l'a vu, à Genève, les évêques sont les seigneurs de laville.

    Lutte contre les comtes 

    Depuis le milieu du XI e siècle, ils eurent à se défendre contre une nouvelle famille decomtes de Genève. A l'origine fonctionnaires royaux, les comtes se sont rendus de plus enplus autonomes, gèrent à leur guise les terres de leur comté, en annexent d'autres.

    Giraud, le premier des nouveaux comtes, se crée un domaine dans le diocèse de Genève etle Pays de Vaud. Les comtes réussissent à s'introduire dans Genève. Ils construisent un

    château au débouché de la rue de l'Hôtel-de-Ville sur le Bourg-de-Four. Les évêquesrisquent d'être dépossédés de leur autorité civile.

    Un évêque décidé, Humbert de Grammont, enraye les projets des comtes. Soutenu par lepape, il oblige le comte Aymon Ie à négocier. Dans l'accord de Seyssel de 1124, Aymonrend les droits enlevés à l'évêque et lui abandonne entièrement le gouvernement de la ville.Néanmoins, les comtes poursuivirent une offensive longue d'un siècle contre les évêques,mais ceux-ci résistèrent avec acharnement, ils reçurent l'appui de l'empereur Frédéric I, ditBarberousse, qui régna de 1152 à 1190. Il accorda la garantie impériale aux possessionsdes évêques et leur reconnut la qualité de princes immédiats de l'Empire. Ces dispositionsles protégeaient contre les attaques des seigneurs laïques.

    Au XII e siècle, les évêques agrandissent leurs propriétés. En plus de la ville, ils sont lesdétenteurs de trois châtellenies rurales, appelées le plus souvent mandements: Peney,Jussy et Sallaz. Peney, qui a gardé pour lui seul aujourd'hui le nom de mandement, avaitpour villages principaux Satigny, Bourdigny, Peissy et Peney ; deux autres villages del'évêque, Genthod et Céligny, furent rattachés administrativement à ce mandement.Les terres de Peney et Jussy ont formé le noyau du territoire campagnard genevois. Quantau mandement de Sallaz ou de Thiez dans le Faucigny, séparé de Genève par une distanceplus grande, il échappera à celle-ci au XVI e siècle.

    La renaissance urbaine 

    Genève recommence à grandir Après des siècles de déclin, Genève recommence à grandir. Dans toute l'Europe, les villessortent de leur sommeil aux Xl e et XII e siècles. Ce réveil est dû vraisemblablement à undéveloppement antérieur de l'agriculture et à une augmentation de la population rurale.L'élan parti des campagnes gagne les villes. Les anciennes progressent, il en naît denouvelles.

    Pour répondre à la demande, elles multiplient leurs activités industrielles et commerciales.Elles puisent la main-d'œuvre nécessaire dans les campagnes. L'émigration rurale vers lesvilles commence. Hors de l'enceinte réduite de la fin de l'Antiquité, le plus souvent autourd'un marché, des maisons s'élèvent et forment une petite agglomération, un «bourg». Après

    quelque temps, une fusion s'opère. L'enceinte est agrandie pour entourer les bourgs.La présence d'un couvent de cordeliers, ou franciscains, est attestée à Genève en 1266.Construit le long de la voie marchande à proximité de la porte de la ville, île couvent occupeune position stratégique dans la cité. Comme pour les autres édifices religieux, l'essor des

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    foires fut particulièrement favorable à son développement et à son enrichissement. Ainsi,c'est le banquier florentin Sassetti qui finança les somptueuses stalles de l'église. A côté del'église avec ses nombreuses chapelles, s'élevait le cloître, les bâtiments conventuels, les jardins et les dépendances. Devant, se trouvait une grande place dite "place desprédications", particularité de l'architecture franciscaine, qui fut dotée d'un toit à la fin du XVesiècle et qui servira après la Réforme à abriter le bois de la Seigneurie. La plupart des autresbâtiments furent détruits à la Réforme.

    Le Bourg-de-Four

    L'extension de Genève correspond à ce schéma. L'expansion commence au Bourg-de-Four,endroit qui avait été laissé en dehors des murailles antiques. «Bourg-de-Four» signifie bourgdu marché ( forum en latin). Cette place retrouve, au XI e siècle, la fonction qu'elle avait euedès l'époque celtique, celle d'un marché. Abandonnée au début du Moyen Age, elle reprendce rôle lors du renouveau urbain. Des ateliers d'artisans s'ouvrent autour de la place et sesenvirons. La localisation du marché à cet endroit s'explique facilement. Le Bourg-de-Four estun nœud routier. Là convergent les itinéraires qui rejoignent Genève. La route principale

    venant de la Provence et de Lyon suivait la rive gauche du Rhône jusqu'à Seyssel. Ellegagnait ensuite Genève par Frangy et Chaumont.

    Les marchandises transportées par eau prenaient d'ordinaire le même chemin. Les barquess'arrêtaient à Seyssel, à cause des obstacles naturels qui rendaient la navigation impossibleen amont, et le transport continuait par voie terrestre.A Carouge, cette route rencontrait celle qui venait d'Italie par les cols du Petit-Saint-Bernardet du Mont-Cenis et qui passait par Annecy. Carouge, du latin « quadruvium », carrefour, doitson nom à cette réunion routière. Après avoir franchi l'Arve par un pont, la route du sud seterminait au Bourg-de-Four.

    Deux autres chemins, moins importants, y parvenaient aussi: la route de la vallée de l'Arve

    par Chêne et la route de la rive gauche du lac qui conduisait dans le Valais et au col duGrand-Saint-Bernard. Si l'on voulait continuer son voyage, on empruntait la rue de l'Hôtel-de-Ville et la Grand-Rue, pour arriver au pont du Rhône qui menait vers la Suisse et l'Allemagnepar la rive droite. La ville s'étendit ensuite du côté du lac Léman. La renaissance ducommerce avait ranimé le port de Genève ; un autre espace fut bâti en descendant vers lelac, qui baignait encore les Rues-Basses.

    La nouvelle enceinte

    Les bourgs se fondirent avec la ville ancienne par l'agrandissement de l'enceinte romaine.Une campagne de fortification eut lieu au XII e siècle. On vit grand. Les nouveaux mursfurent édifiés au-delà de l'espace construit et inclurent des champs, des vignes et des

     jardins. La surface de la partie enclose mesurait près du triple de la superficie ancienne. AuXII e siècle, on peut évaluer la population à deux mille ou trois mille habitants.

    Le développement des villes eut des conséquences sur leur organisation religieuse. Pendantlongtemps, elles avaient formé qu'une seule paroisse ayant pour centre la cathédrale. Lesautres églises restaient dans la dépendance de l'église mère. L'extension urbaine entraîna ledécoupage de la paroisse unique en plusieurs unités. Pour Genève, sept paroisses seconstituèrent du XI e au XIII e siècle. En outre, deux couvents avaient été fondés près de laville: la très vieille église Saint-Victor fut transformée en prieuré clunisien peu après l'an 1000; sur la rive droite, au bord du Rhône, l'église Saint-Jean accueillit un prieuré au début duXIIe siècle.

    Vers 1180, sous l'évêque Arducius de Faucigny, commença la reconstruction de lacathédrale Saint-Pierre, qui dura jusque peu avant 1250. Cette opération donna à l'intérieurdu sanctuaire l'aspect général que nous lui connaissons.

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    Les foires genevoises

    Une renommée internationale au XIIIe 

    Le XIIIe siècle est marqué par trois facteurs nouveaux qui auront une influence durable surl'histoire genevoise : l'essor des foires, l'ingérence savoyarde et les débuts de la commune.

    A côté des marchés qui servaient aux échanges locaux, des foires se tenaient quelques jours par an. Une clientèle plus étendue, mais encore régionale, accourait à cette occasion.Assez brusquement, semble-t-il, ces foires se mettent à recevoir des marchands et deshommes d'affaires venus de loin, en particulier d'Italie ; les Italiens sont les meilleursnégociants de cette époque.

    Les foires font connaître le nom de Genève en Europe. Avant d'être, au XVI e siècle, unecapitale religieuse, Genève eut, pour la première fois, une renommée internationale grâce àson rôle dans l'économie.

    L'apogée des foires aux XIVe et XVe

    La conjoncture économique générale est dominée par la récession. Sur ce plan, pourtant,Genève fait exception. Tous les indices prouvent la montée ininterrompue des foires aucours du XIV e et de la première moitié du XV e siècle. Elles sont à leur apogée au milieu dece siècle.

    Genève est alors un des principaux lieux d'échanges de marchandises en Suisse et enEurope. Il faut remarquer que, dans ce négoce international, la part des produits genevoisest dérisoire. il n'existe pas encore d'industrie d'exportation ; les artisans du XV e siècletravaillent presque exclusivement pour des clients locaux.

    A côté du commerce s'exerce une activité financière intense ; déjà, Genève prend rangparmi les grandes cités bancaires. Les plus grands banquiers du temps, les Medici deFlorence, y ouvrent une succursale en 1424. Il y avait quatre foires principales dans l'année ;chacune durait dix jours, pendant lesquels la ville prenait l'allure d'un caravansérail où secôtoyaient des gens venus de partout: Italiens, Français, Allemands, Suisses, Néerlandais,etc.

    Le déclin des foires genevoises 

    Après l'apogée du milieu du XV e siècle, les foires subissent un recul sensible. Deschangements survenus dans les courants commerciaux internationaux sont la premièreraison de ce déclin.

    Un autre coup leur est porté par le roi de France Louis XI, qui veut faire profiter Lyon desavantages que Genève retire de ses foires. En 1462, il défend aux marchands français etétrangers, sous peine de représailles, de fréquenter les foires de Genève et prend diversesmesures pour favoriser ceux qui se rendent à Lyon.

    L'opération réussit. Les Italiens, qui étaient l'élément moteur du commerce et de la banque àGenève, la quittent peu à peu pour s'établir à Lyon. Le volume des échanges et du traficbancaire est sensiblement diminué. Toutefois, déclin n'est pas mort. En 1480, les foires ontencore fière allure. Si les Italiens ont disparu, les clientèles allemande et suisse sont restées

    fidèles.

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    L’ingérence savoyarde

    Née au XI e siècle, la maison des comtes de Savoie est riche de possessions sur les deuxversants des Alpes. Au Xlll e siècle, elle se rend maîtresse du Pays de Vaud. Les comtess'intéressent de plus en plus à Genève. Le chemin le plus court entre la Savoie et Vaud

    passe par Genève et le pont du Rhône. De plus, peuplée, bien fortifiée, en pleine croissanceéconomique, la ville conviendrait merveilleusement pour servir de capitale au comté deSavoie. Pendant plus de trois siècles, les convoitises savoyardes vont menacer Genève.

    La première offensive 

    Une première offensive se déroule de 1285 à 1290. Au mépris des droits de l'évêque, lecomte Amédée V occupe la ville. Au début du XIII e siècle, l'évêque Aymon de Grandsonavait construit un puissant château protégeant le pont du Rhône ; il n'en reste aujourd'huique le donjon, la Tour de l'Ile. Il fallut un siège de quatorze mois pour que les troupes ducomte fissent capituler le château.

    En 1290, l'évêque Guillaume de Conflans fut contraint de reconnaître le fait accompli dansun traité conclu à Asti (Italie, Piémont) : la Savoie gardera le château de l'Ile. En outre,l'évêque doit céder au comte la charge de vidomne, fonctionnaire qui juge les procès civilsentre les particuliers et mène l'instruction des affaires pénales.

    Jusqu'à la suppression du vidomnat en 1528, les fonctions de châtelain de l'Ile et devidomne furent réunies et confiées au même homme, un vassal des comtes de Savoie. Voilàdonc ceux-ci solidement établis à Genève.

    La période de la commune

    La naissance de la commune (XIIIe-XIVe)

    Le XIII e siècle est marqué par trois facteurs nouveaux qui auront une influence durable surl'histoire genevoise : l'essor des foires, l'ingérence savoyarde et les débuts de la commune.La naissance de la commune, est celle dont les conséquences furent les plus profondes. Ala Réforme, succédant à l'évêque, la commune saisira le gouvernement de la cité, sesinstitutions deviendront celles de la République protestante jusqu'à la fin de l'Ancien Régimeen 1792.

    Le progrès des villes depuis le XI e siècle avait engendré une classe de commerçants etd'artisans. Cette classe supportait mal la forme seigneuriale du gouvernement urbain. Elleentama la lutte pour arracher sa part dans les affaires publiques. A cette fin, elle se donna

    une organisation révolutionnaire, la commune. L'apparition de celle-ci à Genève est tardivepar comparaison avec beaucoup d'autres villes. La première mention d'un mouvementcollectif des habitants remonte à 1263. Au commencement, il est appuyé par les comtes deSavoie. En aidant les citadins en conflit avec l'évêque, ils affaiblissaient celui-ci.

    Les efforts violents des citadins pour faire triompher leurs revendications durèrent un demi-siècle. En 1309, l'évêque Aymon de Quart dut reconnaître l'existence légale de la communeet lui permettre de participer à l'administration de la ville. La révolution communale genevoiseavait réussi.

    Les progrès de la commune (XIVe et XVe)

    Au XIV e siècle vit grandir la sphère d'intervention de la commune. Entre 1344 et 1364, lessyndics obtinrent le droit d'exercer la justice pénale ; dorénavant, les syndics, chefs de lacommune, jugent les affaires criminelles. Comme la justice pénale est un des privilègesfondamentaux du pouvoir seigneurial, son passage aux mains de la commune prouve le

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    degré de puissance auquel celle-ci est parvenue. L'évêque Adhémar Fabri lui octroie, en1387, une charte de franchises qui confirme solennellement ses droits.

    Dorénavant, même si Genève reste juridiquement une principauté sur laquelle règne unévêque, la domination réelle dans la cité appartient à la commune, à tel point que lesévêques lui prêtent serment d'observer les franchises ; la commune, elle, ne prête serment àpersonne. Expression matérielle encore vivante de sa force, l'imposante Tour Baudet qu'ellefit bâtir à partir de 1455, où siège de nos jours le gouvernement genevois.

    La base de l'organisation communale était le Conseil général, qui ressemblait aux«Landsgemeinden» suisses. C'était une assemblée à laquelle assistaient alors nonseulement les bourgeois qui avaient reçu le droit de bourgeoisie leur garantissant desavantages économiques, mais aussi les simples habitants. Le Conseil général élisait lesquatre syndics, magistrats annuels dirigeant la commune, et était fréquemment consulté surles questions les plus diverses.

    Les syndics s'entouraient de conseillers variant en nombre de douze à vingt, qui

    constituaient le Petit Conseil. Cette organisation communale genevoise a une originalité: lemaintien de sa base populaire représentée par le Conseil général. La plupart des autresvilles adoptent assez rapidement un régime plus aristocratique, la primauté est accaparéepar des conseils restreints. A Genève, au XV e siècle, le Conseil général reste l'autoritésuprême.

    Les crises du XIVe siècle

    Les progrès de la commune se déroulaient au moment où le monde occidental souffraitd'une crise à une extrême gravité. Il fut assailli par des famines et des guerres et, surtout,par des épidémies de peste. Cette maladie avait disparu de l'Europe depuis cinq ou sixsiècles. Venue d'Orient, elle fait un retour foudroyant à partir de 1347 et s'installe jusqu'au

    XVII e siècle.

    Les premières vagues, celles du XIV e siècle, furent les plus terribles. L'Europe occidentaleperdit la moitié de sa population en cinquante ou soixante ans. Cette proportion est la mêmepour la région genevoise. La dépopulation, l'omniprésence de la mort eurent desrépercussions dramatiques sur tous les aspects de la vie et de la mentalité des gens.

    La population croit fortement

    Le développement urbain

    Le succès des foires eut des répercussions sur la topographie et la population. Le Bourg-de-Four et la haute ville ne suffisaient plus à la foule des négociants et à l'abondance desmarchandises. En 1309, l'évêque Aymon de Quart, en contrepartie de la reconnaissanceaccordée à la commune, demanda aux citoyens de construire une halle aux marchandises.Ce bâtiment fut érigé au Molard. On gagna du terrain en mordant sur le lac et le rivagerecula des Rues-Basses à la rue du Rhône. Les pâtés de maisons qu'on bâtitprogressivement furent séparés par les trois places de Longemalle, du Molard et de laFusterie, chacune débouchant sur un port.

    La peur des grandes compagnies de soldats brigands qui sévissaient dans la vallée duRhône poussa les évêques Alamand de Saint-Jeoire et Guillaume de Marcossey àreconstruire une enceinte plus solide de 1364 à 1376. Les murs enfermèrent les quartiers

    récents. Sur la rive gauche, la surface intérieure de la ville n'augmentera plus jusqu'à ladémolition des fortifications dès 1849.

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    La population genevoise

    Conséquence de la prospérité, la population croît fortement. Le nombre d'habitants àGenève s'élève rapidement et dépassera les dix mille avant le milieu du XV e siècle. Dèslors, Genève est la ville la plus peuplée de la Suisse actuelle. Elle ne sera dépassée parZurich qu'au milieu du XIX e siècle.

    En conséquence, les faubourgs grossissent, notamment Plainpalais le long de la route deCarouge, mais c'est Saint-Gervais qui grandit le plus. Dès 1424, la rue de Coutance estbâtie. Les lotissements ne sont pas laissés au hasard ; l'opération est planifiée: les parcellesont toutes la même surface, des règles sont fixées sur la hauteur des maisons, les toitures,les fenêtres, les escaliers.

    Dans toutes les villes anciennes, l'augmentation du nombre d'habitants dépend del'immigration, car les naissances n'y compensent qu'à peine les décès. Les nouveauxcitadins sont attirés par les occasions de travail que fournit la prospérité de Genève et par

    les bons salaires. Les pertes humaines dues aux épidémies rendent la main-d'œuvre rare etbien payée. En ce qui concerne leur provenance, les immigrants sont avant tout des gensdes environs immédiats et de la Savoie, puis viennent les Français, des Bourguignonssurtout.

    Les Italiens forment une petite colonie, où l'on trouve les habitants les plus riches. En 1457,le plus gros contribuable est un Génois, qui paie le double de ce que verse François deVersonnex, le Genevois le plus cossu, On remarque aussi un groupe de juifs. Ils neparticipent pas aux grandes affaires, mais vivent du petit négoce.

    La vague d'antisémitisme qui déferla sur l'Europe à la fin du Moyen Age n'épargna pasGenève. En 1428, les juifs furent relégués dans un ghetto situé au Grand-Mézel. Ils furent

    expulsés en 1490 par une décision communale. A cette date, d'ailleurs, la plupart des villeseuropéennes les ont déjà bannis. Jusqu'à la Révolution, aucun d'eux ne fut plus autorisé àséjourner durablement à Genève.

    Religion et culture

    La religion

    Dans la première moitié du XV e siècle, l'évêché a à sa tête des hommes d'envergure. Jeande Bertrand, Jean de Rochetaillée, François de Metz (Metz près d'Annecy) s'efforcent defaire appliquer dans leur diocèse les règles de réforme ecclésiastique préconisées par lesconciles de Constance et de Bâle.

    Aux monastères du haut Moyen Age étaient venus s'ajouter, dans la deuxième moitié du XIIIe siècle, les couvents des Dominicains, à la Corraterie, et des Franciscains, à Rive. DesClarisses s'installèrent au Bourg-de-Four en 1476 ; leur maison servit, après la Réforme, àl'Hôpital général avant de devenir le Palais de justice. Un ultime couvent, celui des Ermitesde Saint-Augustin, se fixa en 1480 près du pont sur l'Arve.

    Les arts s'épanouissent 

    Au Moyen Age, les lettres et les sciences genevoises sont pauvres. En revanche, les artss'épanouissent au XV e siècle. L'aisance permet de reconstruire quatre églises paroissiales:

    la Madeleine, Notre-Dame-la-Neuve, Saint-Germain et Saint-Gervais.Le monument le plus intéressant est la chapelle Notre-Dame ou des Macchabées accolée àla cathédrale Saint-Pierre, terminée avant 1406, bel exemple de gothique tardif. Elle avait été

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    fondée par le cardinal Jean de Brogny, originaire du diocèse et évêque de Genève, de 1423à 1426.

    A la Réforme, d'innombrables sculptures et peintures religieuses furent détruites. La célèbre"Pêche miraculeuse", de Konrad Witz - gloire du Musée d'Art et d'histoire de Genève - estune des seules œuvres conservée.

    La maison de Savoie

    Au XIV e siècle, la Savoie avait occupé le Faucigny et le Pays de Gex: Genève était presquecernée. Elle l'est complètement en 1401 quand le comte de Savoie Amédée VIII, après lamort du dernier comte de Genève, se fait adjuger son héritage. Cet encerclement renforce lapression des princes savoyards sur Genève. Ils tâchent d'en obtenir la possession complète.

    Aux XIV e et XV e siècles, ils se contentent de moyens diplomatiques en tentant de se fairecéder par le pape la seigneurie de Genève, terre d'Eglise puisqu'elle appartient à un évêque.Ces projets furent annihilés par les évêques et la commune, qui parvinrent à convaincre les

    souverains pontifes de leur désir de ne rien changer à leur statut politique.

    Le péril savoyard 

    Le péril savoyard va prendre une autre forme à la suite de circonstances insolites. En 1416,l'empereur Sigismond avait accordé à Amédée VIII le titre de duc, qui correspondait à lagrandeur qu'avait atteinte l'Etat savoyard. Ce premier duc se retira en 1434 dans la maisonreligieuse qu'il avait fondée à Ripaille, près de Thonon.

    Le concile de Bâle (1431-1449), en lutte avec le pape, élut l'ex-duc comme pape dissident en1439 ; Amédée de Savoie devint Félix V. En 1444, il s'attribua l'évêché de Genève, vacantpar la mort de François de Metz. Félix abdiqua la papauté en 1449, non sans avoir reçu du

    pape Nicolas V un privilège permettant aux ducs de Savoie de désigner dorénavant lesévêques dans leur Etat, y compris à Genève.

    En conséquence, de 1451 à la Réforme, cinq des évêques et seigneurs de Genève furentdes membres de la maison de Savoie. Les quatre autres étaient issus de familles noblesvassales des ducs.

    Selon les apparences, le sort de Genève paraît réglé. Quand un duc le jugera bon, ilécartera l'évêque et l'incorporera à son Etat. Cette évolution paraît d'autant plus probableque la commune résistante du premier XV e siècle est devenue collaborationniste, malgréquelques sursauts. Les familles dirigeantes entretiennent des liens étroits avec la Savoie.

    Parfois même, des mariages les unissent à la noblesse du duché. La politique des autoritéscommunales à l'égard de la Savoie est illustrée par une déclaration du syndic Pierre Braset,en 1482, à des ambassadeurs suisses: « Les syndics, citoyens et bourgeois ont à obéir auxordres du duc, auquel ils ne veulent déplaire en aucune manière ».

    Genève et les suisses

    L'aide des cantons suisses de Fribourg et Berne

    Au moment où la liberté semblait perdue, Genève sera sauvée grâce à l'aide de deuxcantons suisses, Fribourg et Berne. A l'origine, les relations de Genève avec les Suisses

    furent étroitement liées aux foires. Leur succès profita aux villes du Plateau suisse, quiécoulaient leurs produits sur l'ample marché genevois. Tel était le cas des Fribourgeois, grosproducteurs d'étoffes de laine. La circulation des hommes et des marchandises résultant desfoires était aussi avantageuse pour les cantons.

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    D'autre part, les deux cantons les plus à l'Ouest, Fribourg et Berne, admettaient mal laprésence savoyarde dans le Pays de Vaud. Berne, qui poursuivait une politique territorialeambitieuse, prit comme objectif la conquête du Plateau jusqu'à sa frontière naturelle du côtésud-ouest, le bassin de Genève.

    Durant les guerres de Bourgogne

    Les guerres de Bourgogne furent la première étape de cette poussée. La Savoie, alliée deCharles le Téméraire, duc de Bourgogne, fut victime des hostilités déclenchées en 1474.Comme Genève avait alors pour évêque Jean-Louis de Savoie, elle fut considérée commeennemie par les Confédérés, qui avaient occupé le Pays de Vaud et s'apprêtaient àl'attaquer. Gagnée par la peur qu'inspiraient les terribles guerriers suisses, la ville leurdépêcha des envoyés afin de les détourner de leur dessein. Les Confédérés renoncèrent àl'assaillir, mais au prix d'une énorme rançon.

    La guerre finie, l'évêque Jean-Louis rechercha l'amitié des cantons suisses. Il conclut unealliance, ou combourgeoisie, avec Berne et Fribourg, en 1477. La combourgeoisie n'était que

    temporaire et s'éteignit en 1482 à la mort de Jean-Louis. Elle constitue le premier acte officielscellé entre Genève et des cantons.

    C'était aussi le signe que Fribourg et Berne avaient reconnu l'importance stratégique deGenève pour leur sécurité. Une expression frappante prononcée pour la première fois en1476 énonce bien cette idée: « Genève, clef de la Suisse ». Elle sera souvent employée parla suite comme argument pour faire entrer la ville dans la Confédération suisse.

    La révolution du premier tiers du XVIe siècle

    Les événements du premier tiers du XVI e siècle font de cette période une phase capitale del'histoire de Genève. Son avenir s'y joua: la ville échappa à la Savoie, elle s'organisa en

    république indépendante de tout seigneur, elle adopta la Réforme.

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    L’époque moderne

    La résistance contre la Savoie 

    Charles IICharles II, duc de Savoie en 1504, réalise l'unification de son Etat en supprimant lesparticularismes locaux, si nombreux au Moyen Age. Moins encore que ses ancêtres, il nepeut tolérer la situation de Genève. Son but sera de faire passer sous sa souveraineté cet îlot resté autonome, au moins en droit. Cette annexion aurait été normale, en quelque sorte.A cette époque, beaucoup de villes-Etats semblables à Genève perdent leur autonomie.Elles sont absorbées par les Etats centralisateurs modernes. Genève, elle, sauvera saliberté.

    Le détail des agressions commises par Charles Il est trop long à raconter. L'important, c'estque la passivité pro-savoyarde de la commune est secouée par des hommes courageux qui

    se battront pour une Genève libre. Qui sont-ils ? Beaucoup sont des Genevois de toutefraîche date. Le chef de la résistance est Besançon Hugues ; son père ne s'est fixé àGenève qu'après 1470. Le héros martyr Philibert Berthelier était né à Virieu-le-Grand, dansle Bugey savoyard. Le premier en date des résistants, le syndic Pierre Lévrier, était né enSavoie. Ils se distinguent aussi par leur rang social. La classe dirigeant la commune est unearistocratie bourgeoise. Les défenseurs de l'autonomie appartiennent à la classe moyennedes marchands et des artisans.

    Ils refusent l'absorption dans la monarchie savoyarde au nom d'un idéal républicain. Cetteforme d'Etat leur garantit la participation politique comme citoyens, condition supérieure àcelle de sujets d'un royaume ou d'une seigneurie. Tout naturellement, leurs sympathies lesrapprochent des Suisses, avec lesquels certains sont en rapport d'affaires. Dans les cantons

    fleurit la liberté à laquelle ils aspirent. C'est auprès d'eux qu'ils chercheront l'aideindispensable. Seuls, ils le savent bien, ils succomberont devant la puissance ducale. « Si leduc veut nous attaquer, faisons-nous Suisses et changeons notre ville en un canton de leurpays», dira Philibert Berthelier.

    Une Genève libre

    Le détail des agressions commises par Charles Il est trop long à raconter. L'important, c'estque la passivité pro-savoyarde de la commune est secouée par des hommes courageux quise battront pour une Genève libre. Qui sont-ils ? Beaucoup sont des Genevois de toutefraîche date. Le chef de la résistance est Besançon Hugues ; son père ne s'est fixé àGenève qu'après 1470. Le héros martyr Philibert Berthelier était né à Virieu-le-Grand, dansle Bugey savoyard. Le premier en date des résistants, le syndic Pierre Lévrier, était né enSavoie. Ils se distinguent aussi par leur rang social. La classe dirigeant la commune est unearistocratie bourgeoise. Les défenseurs de l'autonomie appartiennent à la classe moyennedes marchands et des artisans.

    Ils refusent l'absorption dans la monarchie savoyarde au nom d'un idéal républicain. Cetteforme d'Etat leur garantit la participation politique comme citoyens, condition supérieure àcelle de sujets d'un royaume ou d'une seigneurie. Tout naturellement, leurs sympathies lesrapprochent des Suisses, avec lesquels certains sont en rapport d'affaires. Dans les cantonsfleurit la liberté à laquelle ils aspirent. C'est auprès d'eux qu'ils chercheront l'aideindispensable. Seuls, ils le savent bien, ils succomberont devant la puissance ducale. « Si le

    duc veut nous attaquer, faisons-nous Suisses et changeons notre ville en un canton de leurpays», dira Philibert Berthelier.

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    L'alliance avec les Confédérés

    Un premier pas est accompli en 1519. Une combourgeoisie avec Fribourg est acceptée parle Conseil général. Charles Il réagit. Il presse les cantons de faire annuler la combourgeoisie.« Les Genevois sont mes sujets, prétend le duc, et ils n'ont pas le droit de conclure destraités ». Fribourg s'incline. Charles Il veut faire sentir sa force aux rebelles. Il occupeGenève avec une armée. L'évêque Jean de Savoie, son cousin, ordonne l'arrestation etl'exécution de Berthelier, qui est décapité le 23 août 1519 devant le château de l'Ile.

    A présent, deux camps ennemis s'affrontent: d'un côté, les Eidguenots, partisans de laliberté et de l'alliance avec les Confédérés (Eidgenossen), de l'autre, ceux que lesEidguenots désignent par le sobriquet injurieux de Mammelus, tenants de la Savoie, traîtresà leur patrie comme les mamelouks, chrétiens passés à l'islam, étaient traîtres à la foichrétienne. Disputes et bagarres mettent la ville en effervescence.

    Les Mammelus 

    De 1519 à 1525, les Mammelus l'emportent dans les conseils. Pour leur part, les Eidguenotscontinuent leur propagande en faveur de l'indépendance et de l'alliance suisse. LesMammelus usent de l'argument pacifiste: «N'aimeriez-vous pas mieux être à Monseigneur leduc, qui est si bon prince, plutôt qu'aux Suisses, qui ne sont que canailles et contraignent lesgens à aller à la guerre ?»

    Les Mammelus triomphent: le 10 décembre 1525, lors du Conseil général dit desHallebardes (parce que des hallebardiers savoyards surveillent l'assemblée), les citoyenssont obligés de reconnaître Charles Il comme « leur protecteur en souveraine protection ».C'est l'annexion, déguisée en protectorat.

    La combourgeoisie de 1526La combourgeoisie avec Berne et Fribourg

    Trop confiant, Charles Il a quitté Genève tôt après le Conseil des Hallebardes, sûr que sonrêve est réalisé. Il ne se doute pas qu'aucun duc de Savoie ne remettra jamais plus le pied àGenève. Par un extraordinaire coup de théâtre, en quelques semaines, le cours desévénements se renverse et la liberté de la cité est définitivement établie grâce à un pacteavec Fribourg et Berne.

    Comment s'explique ce revirement ? En automne 1525, les principaux Eidguenots craignantpour leur vie avaient fui à Fribourg et entamé des pourparlers avec les autorités de cette citépour conclure un nouveau traité. Ils y parvinrent. Surtout, ils réussirent à convaincre Bernede se joindre à Fribourg. Jusque-là, la puissante république avait hésité à soutenir Genève.Elle était retenue par sa diplomatie, dont l'amitié avec la France était la base. Or la Savoieétait l'alliée du roi François I, en guerre avec l'empereur Charles Quint. Placée dans le mêmecamp que le duc, Berne n'osait rien entreprendre contre lui de peur de mécontenter laFrance. Mais, en 1525, le duc se rangea du côté de l'empereur. Berne n'avait plus à leménager, elle pouvait se lier à Genève.

    En février 1526, la combourgeoisie entre Genève, Berne et Fribourg est scellée ; elle estconfirmée par le Conseil général le 25 février. Le lendemain, les familles prosavoyardescommencent à émigrer. Le contenu du pacte est simple. Il s'agit d'un traité d'assistance

    mutuelle. Si l'une des villes est attaquée, les deux autres doivent lui porter secours. Laportée de la combourgeoisie de 1526 est immense. Sans elle, Genève serait devenuesavoyarde. Elle n'aurait pas accueilli la Réforme et Calvin ; ville de second ordre, elle auraitvivoté à l'arrière-plan de l'histoire.

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    Le pouvoir à la commune

    La sécurité extérieure assurée, l'aile la plus énergique des Eidguenots vainqueurs, ceuxqu'on nomme les «communautaires», dépossède le prince-évêque des droits qui lui restent:il régnera, mais ne gouvernera pas. La combourgeoisie était déjà un acte de rébellion, lapolitique étrangère étant du ressort du seigneur. Dès 1527, la commune administre la justicecivile ; on se souvient qu'elle détenait la justice pénale au moins depuis 1364.

    Quelle fût la réaction de l'évêque, qui était, depuis 1522, Pierre de La Baume, membre d'unegrande famille noble vassale de la Savoie ? Il eût fallu un homme d'Etat exceptionnel pourfaire face à une situation aussi épineuse. La Baume se bornera à des protestations verbalesou à des admonestations comme dans cette lettre de 1532 où se lit le mépris du noble pourles bourgeois: « Je pense que vous croyez être les princes. Contentez-vous d'être ce quevous étiez et de vivre comme vos parents, qui étaient de bons marchands ! »

    Le conseil des deux-cent

    Dans le cours de 1526, année décisive, apparaît un nouvel organe, le Conseil des Deux-Cents. Cette assemblée est l'ancêtre du Grand Conseil genevois comme le Petit Conseil estcelui du Conseil d'Etat.

    Les contemporains ne nous ont pas laissé d'explication de cette création. A Berne et àFribourg, l'assemblée générale des citoyens avait perdu ses pouvoirs, transférés à un GrandConseil de deux cents membres. L'imitation de ce modèle helvétique joua certainement.Mais le nouveau conseil n'abolit pas le Conseil général, bien qu'il lui retire une partie de soninfluence.

    Dès l'origine, les membres des Deux-Cents furent choisis par les syndics et le Petit Conseil.

    A partir de 1530, le Conseil des Deux-Cents estima qu'il ne fallait pas laisser les syndics élireseuls leurs conseillers ; il s'attribua le choix des membres du Petit Conseil. Cette cooptationréciproque des deux conseils resta une des bases de la constitution

    Les débuts de la réforme

    Les mobiles de la conversion

    Dès 1526, des marchands allemands propagent les idées de la Réforme intitiée par MartinLuther parmi quelques commerçants genevois. Pendant longtemps, les adeptes de lanouvelle foi protestante restent peu nombreux. Au commencement des années 1530, lecourant se développe sous l'influence de prédicateurs de talent, dont Guillaume Farel. CeDauphinois peut exercer ses capacités de convertisseur grâce à la protection des Bernois,qui ont adopté la Réforme en 1528. Il devient leur missionnaire en terre romande. Le jour del'an 1533, les réformés sortent de la clandestinité et organisent un sermon public prêché surla place du Molard par Antoine Froment. Durant cette même année, la majorité de la classedirigeante passera à la Réforme.

    Les raisons de cette conversion sont complexes. Mettons en tête les motifs religieux. Depuisle XV e siècle, la bourgeoisie des villes acceptait de plus en plus mal l'Eglise romaine quitardait à corriger des abus dénoncés depuis longtemps. L'enseignement de Martin Luthercorrespondait mieux à ses aspirations religieuses, de même qu'à ses intérêts matériels.Souvent, seule la réaction vigoureuse des autorités municipales ou des princes voisins

    permit au catholicisme de se maintenir dans les villes. Sinon, les esprits des citadins selaissaient assez facilement convaincre de la justesse de la foi nouvelle.

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    Fréquemment, des raisons politiques renforcèrent les motifs religieux. Genève en offre unbon exemple. Après 1526, Charles Il cherche à reconquérir la ville. En 1528, ses vassaux,les gentilshommes dits de la Cuiller, la bloquent et ravagent les environs. En 1530, unearmée savoyarde va donner l'assaut ; des soldats bernois, fribourgeois et soleuroisaccourent à l'aide. Charles doit négocier. Un traité l'oblige à mettre en gage le Pays de Vaud; s'il attaque de nouveau Genève, Berne et Fribourg auront le droit de l'occuper. Mais toutessortes d'escarmouches prouvent qu'il n'a nullement renoncé à Genève. Par mesure desécurité, les autorités firent raser les faubourgs qui s'étaient développés hors des remparts etfacilitaient les infiltrations ennemies.

    D'autre part, le duc reste inébranlablement attaché à la foi catholique. Il pourchasse lesréformés dans son Etat. Tout naturellement, une association se produit dans l'esprit desGenevois entre l'ennemi politique qu'est Charles Il et sa défense du catholicisme. La hainedont il est l'objet se reporte aussi sur sa religion. La cause de la liberté politique et celle de laRéforme se confondent.

    L'attitude de l'évêque pousse à la même réaction, car, après des atermoiements, il s'est

    rangé du côté du duc. En juillet 1533, il réapparaît après une longue absence. Si lescatholiques espèrent beaucoup de sa présence pour résister au courant réformé, ils sontdéçus cruellement. Apeuré, Pierre de La Baume s'enfuit au bout de quinze jours ; il nerentrera plus. L'année suivante, les Conseils proclament vacant le siège de l'évêque etfrappent des monnaies à leur nom. Cela signifie qu'ils se considèrent comme souverains: lesautorités communales se sont élevées au rang de gouvernement d'un Etat.

    Le choix à opérer entre Fribourg et Berne

    Une seconde cause politique du changement de religion fut le choix à opérer entre Fribourget Berne. Les Fribourgeois défendent l'ancien culte et incitent les magistrats à proscrire lesprêcheurs réformés, à qui Berne exige qu'on laisse la pleine liberté d'expression. La raison

    politique imposait d'opter pour Berne, infiniment plus puissante, et de laisser libre cours à lapropagande protestante. Aussi les Fribourgeois dénoncèrent-ils la combourgeoisie en mars1534.

    Durant cette année 1534, la plus grande partie de la population adhère à la Réforme. Le 10août 1535, le Conseil des Deux-Cents suspend la messe. C'est le signe du passage deGenève à la Réforme. Les catholiques émigrent ou se terrent ; ils n'ont plus d'existencelégale. Ils seront tolérés, petit à petit, au XVIIe et, plus encore, au XVIIIe siècle à mesure quel'économie genevoise réclamera davantage de main-d'œuvre. Le plus souvent, ils exercerontles tâches les plus humbles, seront domestiques ou manœuvres.

    Le 21 mai 1536, le Conseil général confirme l'adoption de la Réforme, mais cette ratification

    est de pure forme ; à cette date, il était hors de question de revenir en arrière.

    La Savoie éliminée et le territoire de Genève

    La fin du cauchemar savoyard

    L'année 1536 reste néanmoins fameuse. Tout d'abord, elle supprime le cauchemarsavoyard. En 1535, la ville est menacée, une fois de plus. On appelle Berne à la rescousse.Le 16 janvier 1536, elle déclare la guerre à Charles Il. Une campagne éclair lui livre le Paysde Vaud, le Pays de Gex, une partie de l'ancien comté de Genève, le Chablais jusqu'à laDranse. La Réforme est introduite dans ces conquêtes.

    Genève avait été sauvée grâce aux Bernois, qui prièrent les Genevois de bien vouloir lesaccepter comme souverains. Les Conseils répondirent qu'ils n'avaient pas combattu pendantvingt ans pour devenir les sujets de qui que ce soit! Berne n'insista pas.

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    De son côté, la France avait attaqué la Savoie et occupé le reste du duché. L'Etat savoyardavait cessé d'exister, sauf un lambeau dans le Piémont, la vallée d'Aoste et Nice. Genèverespirait. Elle avait devant elle près de cinquante ans de paix pour organiser la républiqueprotestante qui avait remplacé la principauté épiscopale.

    Le territoire de la République de Genève

    Le territoire genevois est composé des anciennes possessions ecclésiastiques, qui ont éténationalisées. En tête, figurent les terres de l'évêque: la ville de Genève, sa banlieue, lesmandements de Peney et de Jussy ; l'opposition de la France prive Genève du mandementde Sallaz. La République genevoise reprend encore les terres détenues par le chapitrecathédral et le prieuré de Saint-Victor. Ce territoire rural est exigu, morcelé et enclavé dansdes possessions étrangères.

    La condition des paysans, sujets de la République, reste inchangée. ils demeurent sous ladomination seigneuriale, incarnée non plus par le clergé, mais par le gouvernement de laville. Le servage pesant sur certaines familles survivra jusqu'à l'abolition du régime féodal par

    la Révolution. Une partie des biens ecclésiastiques servit à financer l'assistance publique,réorganisée avec la fondation de l'Hôpital général en 1535.

    Calvin et la « Rome protestante » 

    Jean Calvin

    En juillet 1536, fait étape à Genève un Picard de vingt-sept ans, Jean Calvin, auteur déjàcélèbre de « l'Institution chrétienne », l'une des grandes œuvres théologiques duchristianisme. Guillaume Farel parvient à le retenir pour l'aider à consolider la Réforme et àtransformer Genève en une cité vivant selon l'Evangile. C'est un moment mémorable. Calvinfera la gloire de Genève en l'élevant au rang de «Rome protestante».

    Son action fut immense et s'étendit à tous les domaines: religion, culture, politique,économie. il est faux de voir en lui un dictateur qui s'impose par la force. Sa seule fonctionofficielle est la présidence de la Compagnie des pasteurs. Il n'occupe aucune chargepolitique.

    Mais son génie est tel que les magistrats recourent à ses lumières à tout propos. Lesoccasions ne manquent pas en ces temps difficiles où il s'agit de reconstruire un Etat sur desbases nouvelles. Il rédige pour l'essentiel les Edits civils de 1543, qui servent de constitutionà la République, tâche à laquelle sa formation de juriste le rend mieux apte que les membresdu gouvernement, dont aucun n'a fait d'études universitaires. En 1541, il avait déjà composé

    les Ordonnances ecclésiastiques, lois constitutives de l'Eglise. Ainsi, tant dans le domainereligieux que dans le domaine politique, Calvin fut le législateur de la Genève de l'AncienRégime.

    Jusqu'en 1555, Jean Calvin rencontra des adversaires farouches. Il ne s'agit pas decatholiques, il n'y en a plus ou bien ils se cachent. Ce sont plutôt des familles notables quiavaient été parmi les premières à se convertir et les plus empressées à accueillir leréformateur. Elles le rejetteront peu à peu.

    Leur animosité provient d'abord de la place que Calvin fixe à l'Eglise et à ses représentants,les pasteurs. Alors que dans les autres cantons gagnés par la Réforme l'Eglise entre dans ladépendance de l'Etat, Calvin veut instituer un équilibre entre le pouvoir ecclésiastique et le

    pouvoir politique.

    En second lieu, Calvin lutte pour une discipline de vie sévère, moralité et religion étantétroitement associées. Les mœurs doivent être surveillées de près, le luxe réprimé. Un

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    tribunal, le Consistoire, comprenant des pasteurs et des laïcs, est chargé de punir lesinfractions.

    Dans les principes, rien de nouveau. L'Antiquité, le Moyen Age ont connu des prescriptionsmorales et des lois destinées à combattre le luxe, vestimentaire par exemple. La différenceréside dans l'application. Ailleurs, si la règle est stricte, la pratique l'est beaucoup moins. AGenève, sous l'impulsion de Calvin, on s'efforcera de faire coïncider, le mieux possible, la loiet la répression. Cette volonté suscitera «un despotisme pesant sur la vie privée ». Lesrebelles à la discipline sont semoncés ou excommuniés par le Consistoire, à quoi s'ajoutentsouvent des sanctions pénales infligées par le Petit Conseil. Des membres de famillesconnues sont condamnés, ce qu'elles n'apprécient guère.

    Xénophobie contre les réfugiés

    A partir de 1550, Genève accueille des protestants qui s'exilent de France et d'Italie àmesure que croissent, dans ces pays, les persécutions dont ils sont victimes. Un flot humainse déverse sur Genève. Le déclin économique avait ramené la population à dix mille

    habitants. En 1560, soit en dix ans, ce nombre a doublé: on atteint les vingt mille âmes. Lesvieux Genevois sont mécontents et vitupèrent contre ces "chiens de Français». Les ennemisde Calvin, nombreux dans les charges publiques, sont particulièrement furieux contre cetenvahissement qui menace, à long terme, leurs privilèges.

    Pour toutes les raisons énumérées, une bonne partie de la classe dirigeante entretient uneopposition plus ou moins ouverte. En 1555, le Conseil général choisit pour syndics quatrepartisans de Calvin. Un faux pas de ses adversaires, qui fomentent une émeute, permet auxConseils d'agir contre ces hommes coupables de trahison. Quelques-uns sont exécutés,d'autres s'enfuient. Pendant les neuf ans qui lui restent à vivre, Calvin aura un pouvoir civilami à ses côtés.

    L'exécution de Michel Servet

    L'année 1553 est célèbre par le grand crime, tant reproché à Calvin, la mort de MichelServet, brûlé à Champel. Il faut observer que Michel Servet, en niant le dogme de la Trinité,s'était rendu haïssable à toutes les Eglises. Il avait déjà été condamné à mort par l'Inquisitioncatholique et n'avait échappé au châtiment que par une évasion.

    A Genève, il fut puni de mort par une sentence du Petit Conseil, seul capable d'émettre dessentences criminelles. Certes, Calvin et les autres pasteurs de Genève avaient été consultéset avaient donné un préavis de mort, de même que les Eglises protestantes de Suisse,interrogées elles aussi. Servet fut une des seules victimes, à Genève, de ses opinionsreligieuses ; aucun catholique n'y fut jamais exécuté pour avoir professé sa foi.

    Développement culturel et relance économique

    Le développement culturel

    Le XVI e siècle genevois est d'essence religieuse. La religion règle les valeurs et lescomportements. Le réveil économique même dépend d'elle indirectement. Quant à la culture,elle reçoit un élan très vif. La Genève du Moyen Age n'avait eu qu'une vie intellectuellepauvre, la Réforme en fait une ville savante.

    Les deux fondements du renouveau culturel, le Collège et l'Académie, sont érigés par Calvin

    en 1559. Le premier recteur de l'Académie est Théodore de Bèze, qui succédera à Calvin àla présidence de la Compagnie des pasteurs.

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    La Réforme propage aussi l'instruction élémentaire ; le taux d'alphabétisation des Genevoiset des Genevoises sera toujours plus élevé que chez leurs voisins catholiques.

    La relance économique 

    La religion relance l'économie par l'intermédiaire des réfugiés. Ce n'est pas la quantité desimmigrés qui importe. La plupart des Français ne résident que temporairement, soit qu'ilsregagnent leur patrie lors du ralentissement des persécutions ou qu'ils se rendent dansd'autres lieux d'accueil. La Saint-Barthélemy apporte un nouvel afflux en 1572, momentanélui aussi. Finalement, dans les dernières années du siècle, quand le protestantisme esttoléré en France, la population de Genève ne dépasse pas treize mille ou quatorze milleâmes.

    Si le refuge du XVI e siècle eut des conséquences modestes en quantité, en qualité soninfluence fut primordiale. Ces nouveaux venus, ne serait-ce que parce qu'ils ont quitté leurpatrie pour garder leur foi, font partie d'une élite intellectuelle et morale, qu'ils soient savantsde profession, hommes d'affaires ou travailleurs manuels. Outre son développement culturel,

    Genève leur dut sa renaissance économique.L'économie

    L'économie, affaiblie à la fin du XV e siècle, avait continué à se dégrader dans la premièremoitié du XVI e . Les réfugiés ramènent Genève dans les circuits économiquesinternationaux. On trouve parmi eux des capitalistes, notamment dans la petite colonieitalienne, mais les marchands banquiers français ne sont pas absents. Ces gens apportentde l'argent, de l'expérience, des relations avec les milieux d'affaires étrangers.

    Grâce à eux naît pour la première fois à Genève une industrie travaillant pour l'exportation.Cette industrie exportatrice prospéra rapidement, Surgie après le milieu du XVIe siècle, elle

    occupera plus de 50 % de la population active à la fin du siècle suivant.

    L'imprimerie

    L'imprimerie fut la première branche à s'affirmer. Importée en 1478, elle n'avait eu jusqu'alorsqu'une portée régionale ; les réfugiés lui donnent un rayonnement international. Produisantavant tout des œuvres religieuses, elle est à la jonction du spirituel et de l'économique ; avecses livres, Genève, à la fois, répand les idées réformées et gagne de l'argent. En 1560,l'imprimerie sera le premier métier à être organisé en corporation, suivie peu à peu pard'autres professions. Jusqu'à cette date, la ville n'avait pas connu ces associations d'artisansgroupés en vue de réglementer leur métier et de défendre leurs intérêts, sous le patronagedes autorités.

    A la fin du XVI e siècle, la production du livre s'étiole. Elle cède la première place au travailde la soie. En 1600, Genève est une des capitales de la soierie. Dans ce secteur, les Italienssont les maîtres. Le plus riche des Genevois, François Turrettini, tire de la soie le plus grosde sa fortune. Il fit construire, en 1620, la belle maison du No 8 de la rue de l'Hôtel-de-Ville.Turrettini est aussi banquier et négociant, car Genève est redevenue un centre commercialanimé par les ventes de la production locale et par la redistribution d'importations étrangères.Des quantités de marchandises arrivent et repartent: textiles d'origines diverses, métauxvenus principalement d'Allemagne, sel de Provence, sucre, épices, etc. Ce rôle de relais iraen grandissant pendant tout l'Ancien Régime.

    La classe industrielle et commerçante

    Au tournant des XVI e et XVII e siècles, la classe industrielle et commerçante genevoise faitbonne figure parmi les bourgeoisies d'affaires européennes. Dans ses coffres, les capitaux

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    s'accumulent. La vie des travailleurs est rude. Les horaires varient entre douze et quatorzeheures par jour, six jours par semaine, sans autre interruption que le dimanche ; dans laGenève calviniste, toutes les fêtes religieuses chômées, y compris Noël, ont été abolies. Dece fait, la productivité est plus grande que dans les villes catholiques avec leurs nombreux jours de fête obligatoirement chômés. Quant aux salaires réels, ils baissent partout en raisonde la forte montée des prix qui distingue le XVI e siècle.

    Le monde ouvrier

    Le monde ouvrier du Moyen Age et de l'Ancien Régime englobe beaucoup de femmes,qu'elles soient seules ou mariées, car le salaire du mari est souvent trop faible pour fairevivre une famille et rend indispensable l'apport de celui de l'épouse et, souvent, des enfants.Faute d'autres possibilités, il n'est pas rare que les femmes participent à des travaux deforce, tels les terrassements. Dans tous les cas, leur rémunération est bien moindre quecelle des hommes.

    Dans les périodes de crise, maints salariés, maints artisans tombent dans la classe des

    nécessiteux assistés habituellement par l'Hôpital général ou les organes appelés Boursesquand les secours sont demandés par des étrangers.

    La réforme à Genève

    La présence de Calvin va avoir un impact durable dans la cité lémanique et bien au-delà, etla théocratie qu’il tente d’instaurer ne laisse personne indifférent, que l’on apprécie ou nonson idéal de faire de Genève la nouvelle « ville sainte ».

    Sous Calvin, la cité change radicalement, à cause bien sûr de la nouvelle forme degouvernement qu’il y introduit, mais aussi, et surtout, de l’afflux massif de protestantsfrançais, italiens, néerlandais et anglais qui fuient les persécutions dont ils sont l’objet dans

    le reste de l’Europe. Ces nouveaux venus tendent tout naturellement à soutenir Calvin, cequi déplait à la bourgeoisie locale qui craint pour son pouvoir et son influence. En 1555, unerébellion contre les réfugiés est réprimée et permet à Calvin d’asseoir solidement sonautorité.

    Les réfugiés les plus fidèles sont formés à l’exercice du ministère afin d’aller répandre ladoctrine de Calvin dans d’autres contrées. Parmi ces disciples, on citera John Knox qui, deretour dans son pays d’origine, y fondera l’Église d’Écosse.

    Il y a, parmi ces réfugiés, une grande concentration d’imprimeurs et d’éditeurs quicontribuent aussi à l’essor de la nouvelle religion en imprimant les textes bibliques et lestraités de théologie. De plus, l’Académie fondée en 1559 attire un grand nombre de

    professeurs et d’étudiants étrangers à Genève.

    Les persécutions religieuses font aussi converger de nombreux artisans vers la cité deCalvin, notamment des banquiers qui vont contribuer au développement de la ville.

    Parmi les opposants les plus acharnés à la ville, la Maison de Savoie cherche régulièrementà faire valoir ses prétentions territoriales. Le duc Charles-Emmanuel Ier de Savoie tente undernier coup de main pour reprendre Genève en 1602, mais la garde donne l’alerte et lesGenevois repoussent l’assaillant qui cherche à franchir les murs de la ville à l’aide degrandes échelles, d’où le nom de « L’Escalade » donné à cet épisode.

    Suite à cette défaite, le duc de Savoie est contraint de signer le Traité de Saint-Julien (1603)par lequel il renonce définitivement à Genève.

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    La guerre de 1589 et l’Escalade

    Réapparition de la menace savoyarde

    Les transformations religieuses et politiques et l'économie avaient eu la chance de profiter

    d'une cinquantaine d'années de paix. En 1559, l'Etat savoyard est reconstitué. En 1564, parle Traité de Lausanne, les Bernois, pour conserver le Pays de Vaud, durent rendre toutesleurs autres conquêtes à la Savoie. Redevenues savoyardes, ces terres retournèrent peu àpeu au catholicisme. Genève est à nouveau encerclée et séparée de la plus grosse partie deson arrière-pays par une frontière politique renforcée d'une barrière religieuse.

    Le rénovateur de la Savoie, le duc Emmanuel-Philibert, n'attaque pas, mais son fils, Charles-Emmanuel, sera aussi redoutable que Charles II, son grand-père. Dès son avènement, en1580, les agressions se multiplient, Pour se prémunir, Genève s'appuie sur l'alliancebernoise.

    En 1579, Berne s'associe à la France et à Soleure dans un traité destiné à protéger Genève.

    Le 30 août 1584, Zurich, conjointement avec Berne, s'allie à Genève par un pacted'assistance. L'alliance avec Berne et Zurich restera le seul lien de la ville avec la Suisse jusqu'au XIXe siècle. Des efforts opérés à plusieurs reprises pour étendre cette alliance oupour faire de Genève un canton échoueront devant la résistance des cantons catholiques.

    La guerre de 1589

    Les vexations savoyardes poussèrent à bout les Genevois. Ils prirent l'initiative d'une guerreen avril 1589. Aidés par des renforts français et bernois, ils remportèrent d'abord desvictoires. Une contre-offensive des Savoyards fut suivie d'une trêve. Les Genevois se crurentcompris dans des accords passés entre la Savoie et la France.

    L'Escalade de 1602 

    Les Genevois furent brutalement détrompés par l'Escalade du 11 décembre 1602, attaquenocturne par laquelle le duc Charles-Emmanuel espérait enfin s'emparer de Genève. Sonentreprise échoua et cette victoire des Genevois est restée le souvenir le plus vivant de leurhistoire. C'était une victoire nationale, c'était aussi une victoire de la liberté républicainecontre l'assujettissement monarchique. Victoire d'hommes, certes ; pourtant seules deuxcombattantes ont transmis leur nom à la mémoire populaire, dame Royaume et damePiaget.

    La première, très célèbre, abattit un assaillant d'un jet de marmite, la plus illustre marmite del'histoire puisqu'elle est ressuscitée chaque année sous la forme de milliers d'exemplaires enchocolat. La seconde dame résista en entassant les meubles les plus lourds devant la portede sa maison, qui faisait partie de l'enceinte protégeant la ville du côté de la Corraterie.

    Dans le Traité de Saint-Julien signé en 1603, le duc de Savoie reconnaissait l'indépendancede Genève. Celle-ci pouvait bénéficier d'une protection plus active de la France, sa voisine,depuis que Charles-Emmanuel avait été contraint de céder le Pays de Gex au roi Henri IV en1601.

    Pendant quelques années, Charles-Emmanuel échafauda encore des plans contre Genève,de plus en plus chimériques à mesure que lui-même et ses successeurs tournaientdavantage leurs intérêts vers la politique italienne. N'empêche que pendant presque tout le

    XVIIe siècle, les Genevois vécurent dans la peur d'une nouvelle attaque. Ils améliorèrent leurenceinte fortifiée, déjà refaite dans la seconde moitié du XVI e siècle. Pour ces travaux,Genève reçut des fonds de l'Europe protestante, manifestation de la sympathieinternationale dont elle jouissait.

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    Le XVIIème et la révocation de l’Edit de Nantes

    La conjoncture au XVIIe siècle 

    Genève traverse une crise qui dure de 1610 à 1640. Elle est touchée par des épidémies de

    peste, les dernières qu'elle subira. Le commerce avec l'étranger baisse, l'industrie est enrégression. La principale activité, la soierie, s'éteint ; dans ce domaine, comme pour lesfoires au XVe siècle, Genève est supplantée par Lyon.

    Vers 1650, la conjoncture se redresse. Le commerce reprend dans des proportions jamaisconnues. La passementerie et la dorure utilisées pour les vêtements chamarrés du tempsremplacent la soierie. C'est alors que passent au-devant de la scène l'horlogerie et lesmétiers d'art qui lui sont associés: l'orfèvrerie, la bijouterie, la gravure, l'émail. Les montresportatives avaient été inventées au début du XVIe.

    La révocation de l'Edit de Nantes : un second refuge

    Les difficultés sont accrues par une nouvelle vague de réfugiés. En 1598, l'Edit de Nanteslégalisait l'existence des protestants en France. Louis XIV l'abroge en 1685. La Révocationde l'Edit de Nantes met le protestantisme hors la loi et contraint à l'exil ceux qui ne veulentpas abjurer. Des milliers de réfugiés arrivent à Genève. La ville ne peut les retenir tous. Laplupart s'en vont en Suisse ou en Allemagne.

    Néanmoins, beaucoup s'installent. De 16'000 habitants en 1690, la population s'élève à prèsde 19'000 en 1710. La majorité des réfugiés sont originaires du Languedoc, des Cévennes etdu Dauphiné. L'apport démographique du premier refuge avait été faible parce qu'il survenaità un moment où l'économie genevoise était encore incapable de procurer du travail auxémigrés. Lors du second refuge, malgré des disettes, l'économie est en plein essor et il estpossible à plusieurs milliers d'arrivants de trouver un emploi.

    Les Genevois s'efforcent d'accueillir le mieux possible ces frères en religion. On s'entassedans les logements existants, on surélève les maisons, on construit dans les cours et les jardins. Cet effort n'exclut pourtant pas de nouveaux accès de xénophobie. En 1696, plus dedeux cents marchands et artisans se plaignent, dans une pétition, de la facilité avec laquellele gouvernement admet les Français. Ce texte hostile leur attribue bien des défauts: cesMéridionaux sont trop remuants, ils se conduisent mal, ils n'ont pas l'esprit civique quiconvient à une république, ils acculent à la ruine les commerçants et les artisans indigènespar des pratiques qu'on juge déshonnêtes. Le gouvernement ramena le calme en formulantdes restrictions à l'exercice du négoce par les étrangers.

    L’Aurore des lumières

    Le tournant du siècle est marqué par l'apparition en Europe des idées que développera lesiècle appelé des Lumières à cause de son apport à la conception rationnelle du monde etau progrès de la pensée scientifique. Cette révolution intellectuelle est bien attestée àGenève.

    A l'Académie, Jean-Robert Chouet introduit des expériences dans ses cours de philosophieet de sciences. En 1705, Jean-Alphonse Turrettini est nommé professeur de théologie ; ilinaugure une doctrine plus tolérante vis-à-vis des divergences d'interprétation et ouverte àl'esprit critique. En 1708, Jean-Antoine Gautier entreprend d'écrire une histoire de Genèveoù la légende n'aura pas place ; à cette fin, il consulte les documents d'archives qu'il

    examine avec une critique rigoureuse.

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    Ces initiateurs préludent à la brillante contribution des savants genevois à l'histoire dessciences au XVIII e siècle avec, pour ne citer que les trois plus illustres, les biologistesCharles Bonnet et Abraham Trembley et le géologue Horace-Bénédict de Saussure.

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    L’Epoque Moderne

    L’épanouissement économique au XVIIIème

    La FabriqueL'économie du XVIII e siècle est dominée par le triomphe de l'horlogerie et des métiersannexes regroupés sous le nom général de «Fabrique». Ce terme fait penser aujourd'hui àune concentration en usine, c'est tout le contraire. Les montres et les bijoux sontconfectionnés dans de petits ateliers artisanaux composés d'une demi-douzaine depersonnes ayant à leur tête un maître. Beaucoup de ces ateliers ont leur siège à Saint-Gervais, mais il s'en trouve dans tous les autres quartiers, à l'étage supérieur des maisons,là où la lumière est la meilleure.

    Un groupe de maîtres domine les autres, les maîtres marchands. Horlogers, orfèvres oubijoutiers, comme tous leurs collègues ils ont travaillé à l'établi et, conformément aux règles

    corporatives, exécuté un chef-d'œuvre pour accéder à la maîtrise. Ils se distinguent par lapossession de capitaux suffisants. Ces disponibilités en font les fournisseurs des matièresprécieuses qui servent à fabriquer les montres et les autres objets de valeur. D'autre part, unmaître ordinaire n'est pas à même de vendre directement sa production. La Fabriquetravaille pour l'exportation et seuls les maîtres marchands sont capables de commercialiserses produits. Ils achètent donc l'ouvrage des autres et le revendent. Bien menée, cetteactivité enrichit vite.

    Cependant, quelle que soit leur fortune, les maîtres horlogers sont fiers du travail hautementqualifié qu'ils accomplissent. Ils se considèrent comme l'élite des travailleurs. La bonnemarche des affaires leur accorde des loisirs. Certains lisent beaucoup, non seulement desromans, mais aussi des ouvrages sérieux: classiques anciens et modernes, historiens,

    auteurs politiques et philosophiques.

    Les autres activités économiques

    Organisée d'une manière très différente de la Fabrique, l'industrie des indiennes, ou destoiles peintes, prend naissance dans le premier tiers du XVIII e siècle et devient la deuxièmeindustrie en importance. Elle n'est pas soumise au régime corporatif, qui interdit les grandsateliers. Au contraire, les indiennes sont produites dans de grandes manufactures.L'entreprise Fazy, aux Bergues, aurait employé jusqu'à deux mille ouvriers. La plupart sontdes travailleurs étrangers non qualifiés, des femmes et des enfants.

    Dans ces premières décennies du siècle, le commerce et la banque se portent bien. Descolonies genevoises, à Paris, Londres, Amsterdam, Gênes, favorisent les transactionsinternationales.

    Le début du XVIII e siècle fut une époque remarquable aussi par l'activité du bâtiment tantpour les édifices publics que pour les maisons de particuliers. La plupart de cesconstructions ont survécu: l'Hôpital, maintenant devenu le Palais de Justice, élevé de 1709 à1712, le temple de la Fusterie (1713-1715), et une série de belles maisons à la rue Calvin, àla cour Saint-Pierre et à la rue des Granges. Il s'y ajoute, dès 1717, l'édification d'un nouveausystème fortifié.

    La seconde moitié du XVIIIe siècle

    Une baisse de conjoncture survient entre 1730 et 1750. La période postérieure apporte unprogrès sans pareil dans tous les secteurs. La population croit: vingt-trois mille âmes en1750, vingt-sept mille en 1790. Comme toutes les villes, Genève doit sa croissance à

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    l'immigration, car les naissances y restent inférieures aux décès, même si la mortalitégenevoise des enfants bénéficie d'un recul spectaculaire entre le XVII e et le XVIII e siècle:sur mille nouveau-nés qui viennent au monde de 1660 à 1670, plus de la moitié (550)mourront avant d'avoir atteint leur onzième année ; soixante-dix ans plus tard, ils ne sontplus que 325 à périr avant cet âge, progrès considérable et irréversible. Les immigrants quiforment ce surplus sont pour moitié des Français jusque vers 1750, relayés ensuite par desSuisses protestants, avec une grosse majorité de Vaudois. Le plus souvent, les étrangersexercent les professions inférieures que les Genevois méprisent, la manutention ou lestâches du bâtiment, par exemple.

    En 1770, 70 % des hommes actifs sont employés dans l'industrie ou le bâtiment, dont 32%dans la Fabrique. Les femmes composent près du tiers des travailleurs de l'horlogerie. AuXVII e siècle, existaient des «horlogères» ayant fait l'apprentissage complet de la confectiond'une montre. Au XVIII e siècle, les femmes sont cantonnées dans les parties les plushumbles de la fabrication.

    La fortune accumulée grâce à la bonne marche de l'économie permet aux Genevois,

    aristocrates et bourgeois, de souscrire massivement aux emprunts d'Etat français de la fin del'Ancien Régime. Les intérêts perçus sont considérables. Aussi la banqueroute provoquéepar la Révolution entraînera des désastres à Genève. Un autre signe de la réussiteéconomique est le nombre de domestiques: un tiers des ménages ont au moins un serviteurou, plus souvent, une servante.

    Le progrès urbain est attesté par le perfectionnement de la voirie, la distribution de l'eau duRhône jusqu'aux points les plus hauts grâce à une pompe élévatrice, «machine» dont un denos ponts conserve le souvenir, l'éclairage systématique des rues.

    Les révolutions de Genève

    Les classes politiques genevoises 

    Ce XVIII e siècle économiquement et culturellement si florissant est secoué par des troublespolitiques, que les contemporains appelleront les «révolutions de Genève». Tempêtes dansun verre d'eau quant aux effectifs, ces conflits n'en remuent pas moins des idées de valeurgénérale. Leur origine provient de l'inégalité dans les droits dont jouissent les Genevois del'Ancien Régime. Une première division sépare les détenteurs des droits politiques et de tousles droits civils de ceux qui n'ont aucun droit politique et sont dépourvus de certains droitscivils. Les privilégiés sont les citoyens et les bourgeois. Ces derniers sont des naturalisés quiont acquis la bourgeoisie moyennant le paiement d'une taxe. Leurs descendants en lignedirecte sont appelés citoyens.

    Au XVI e siècle le statut d'habitant est créé. Le mot a ici un sens spécial et ne désigne pastous les domiciliés: on est admis à l'habitation comme à la bourgeoisie contre paiementd'une taxe, modeste dans ce cas. Les habitants n'ont pas de droit politique et souffrent dediverses restrictions dans leur activité économique ; ainsi, ils ne peuvent être reçus maîtresdans les professions considérées, comme celles de la Fabrique. Leur condition esthéréditaire ; les descendants d'habitants, appelés natifs, sont soumis aux mêmesdésavantages. Bonne illustration de cette inégalité: à l'Hôpital, les citoyens et les bourgeoisont des chambres séparées des autres classes.

    Pour les habitants et les natifs de Genève, le seul moyen de sortir de leur infériorité estd'acquérir la bourgeoisie. Cette acquisition est restée assez bon marché pendant longtemps,

    mais au milieu du XVII e siècle, la taxe augmente de façon prohibitive. Habitants et natifs nepeuvent plus quitter leur condition. Progressivement, ils deviennent la partie la plusnombreuse de la population.

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    Dès la fin du XVII e siècle, citoyens et bourgeois ne représentent que 37 % des Genevois.En 1781, ils ne sont plus que 27 % ; on compte 34 % de natifs, 12 % d'habitants, le resteenglobant les étrangers. Il est important de constater que cette division politique recoupe lesclasses sociales. Les citoyens et les bourgeois ont presque tous des professions supérieureset lucratives et monopolisent l'essentiel de la fortune nationale.

    Le conflit entre l'aristocratie et la bourgeoisie 

    C'est toutefois à l'intérieur du groupe privilégié formé par les citoyens et les bourgeois que lalutte va éclater. Dans son sein, une aristocratie a accaparé peu à peu l'autorité politique, enutilisant notamment les possibilités qu'offre le recrutement par cooptation du Petit Conseil etdu Conseil des Deux-Cents. Cette aristocratie politique est aussi une aristocratie d'argent ;elle comprend quelque quatre cents chefs famille qui se partagent 80 % de la fortunegenevoise en 1780. Les réfugiés aisés s'y étaient intégrés rapidement et étaient même lamajorité: parmi les trente-deux familles les plus riches de Genève en 1690, vingt provenaientdu refuge du XVI e siècle.

    Monopolisant le pouvoir, l'aristocratie gouverne sans plus demander l'avis du Conseilgénéral, qui rassemble tous les citoyens et bourgeois. Encore fréquemment consulté au XVIe siècle jusqu'à la guerre de 1589, il l'est de moins en moins depuis. La bourgeoisieconsentit alors à abandonner d'importantes prérogatives pour permettre au gouvernement deprendre les mesures urgentes que réclamait la guerre. La paix faite, le Petit Conseil nemontra aucun empressement à restituer ces pouvoirs extraordinaires. Les citoyens selaissent faire et s'accoutument à ne plus être réunis en Conseil général que pour élire lessyndics et quelques autres magistrats. Cette élection n'était guère plus qu'une formalité, lechoix des votants se réduisant aux noms portés sur une liste établie par le Petit Conseil,sans possibilité de donner leur suffrage à quelqu'un d'autre.

    Le réveil de la conscience politique des citoyens au début du XVIII e siècle aura tout

    naturellement pour objectif principal de redonner au Conseil général le rôle qu'il avait perduafin qu'il puisse exercer un contrôle efficace sur les actes des conseils gouvernementaux.Leur action est dirigée par un principe d'égalité contre la prédominance de l'aristocratie et unprincipe de liberté qui vise à conférer aux citoyens des droits fondamentaux telles la libertéde réunion et la liberté d'expression. Ils sont influencés par les idées des théoricienspolitiques anglais du XVII e siècle.

    Exprimés d'abord de manière limitée et pratique, ces principes seront approfondis au coursdu XVIII e siècle, suivant le développement de la philosophie politique, dont le représentantle plus illustre est le philosophe Jean-Jacques Rousseau, né à Genève en 1712. Les phasesviolentes de la discorde embrassent quatre périodes: 1707, 1734 à 1738, 1764 à 1770 et1781 à 1782.

    La révolte de 1707

    Le mouvement de 1707 est préparé par un mécontentement supplémentaire, d'ordreéconomique. L'aristocratie abuse de son pouvoir et le met au service de ses intérêtséconomiques, ce qui entraîne des préjudices pour la classe moyenne. De plus, lescapitalistes genevois inaugurent une pratique qu'on leur reprochera presque jusqu'à nos jours. Ils investissent peu dans l'industrie locale, préférant les placements à l'étranger, plusfructueux.

    La révolte de 1707 a pour chef un membre de l'aristocratie, l'avocat Pierre Fatio, qui fixe unprogramme aux aspirations confuses clés citoyens. Le point central était de rendre auConseil général une participation plus active. Le soulèvement échoua. Ainsi qu'il le feraconstamment pour réduire les rébellions, le Petit Conseil appelle l'étranger à son secours.Un contingent de Bernois et de Zurichois vint renforcer la garnison.

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    L'ordre rétabli, Fatio, aristocrate, fut fusillé secrètement à la prison ; un autre meneur,Lemaître, simple citoyen, fut pendu publiquement à Plainpalais. La justice expéditive rendueà cette occasion fut excusée par cette opinion d'un gouvernant qu'il ne fallait «pas tants'attacher à la procédure dans les jugements qu'au salut de l'Etat».

    Les troubles de 1734-1738 et l’intervention de la France

    Des troubles éclatent de nouveau en 1734. L'allure improvisée et désordonnée de la révoltede 1707 a fait place, chez les citoyens genevois, à une détermination plus assurée: labourgeoisie a acquis la conscience de classe et la vision théorique qui lui manquaient. Cetteévolution n'est pas sans relation avec son enrichissement dû à la conjoncture antérieure, trèsfavorable. La cause du mouvement vint des nouvelles fortifications.

    De mauvaises langues, dont Jean-Jacques Rousseau, diront que ce gigantesque ensemble,plus étendu que la superficie de l'intérieur de la ville, était surtout conçu pour mater lescitoyens. En effet, ces positions réclamaient une garnison nombreuse de soldats de métierqui pouvaient servir, en cas de besoin, contre les adversaires de la classe gouvernante.

    Dans l'immédiat, le financement de ce plan grandiose devait se faire par la perceptiond'impôts supplémentaires. Ces taxes furent décidées par le Petit Conseil et les Deux-Cents ;le Conseil général ne fut pas consulté, ce qui souleva les protestations de la bourgeoisie.Des maladresses de l'aristocratie suscitèrent des violences. En 1737, une échauffourée fitonze morts.

    Vaincu, le gouvernement alerte la France. Des intérêts économiques, bancaires enparticulier, lient l'aristocratie au royaume voisin. Des affinités politiques et psychologiquesl'orientent en direction de la Cour de Versailles, éblouissant modèle pour les aristocratieseuropéennes. Au contraire, la bourgeoisie et le peuple nourrissent de l'antipathie à l'égard dela monarchie française, persécutrice des protestants, entourée d'un luxe qui répugne à leur

    austérité et exemple le plus parfait du pouvoir absolu qu'ils combattent chez eux.

    Néanmoins, l'intervention française se termine par un arbitrage satisfaisant pour les citoyens.Ce «Règlement de la Médiation», accepté par le Conseil général, en 1738, servira pendanttrente ans de constitution. Il accorde au Conseil général des droits appréciables: votation desnouvelles lois et des nouveaux impôts, droit de se prononcer sur les traités conclus avecl'étranger, etc. Les natifs, qui avaient combattu aux côtés des citoyens, reçoivent lapossibilité d'être admis comme maîtres dans tous les métiers.

    Dans le quart de siècle de tranquillité relative qui prolonge la paix de 1738, deux traités sontsignés en 1749 et en 1754 avec la France et la Savoie, devenue le royaume de Sardaigne.Ces actes liquident, par des échanges mutuels, la survivance médiévale que constituait la

    superposition de droits genevois et étrangers sur des parties de la campagne. Désormais,Genève est entièrement maîtresse de son territoire rural, mais celui-ci reste enclavé parmiles possessions françaises et savoyardes.

    L’affaire « Rousseau » et les troubles de 1763-1770

    L'article «Genève» dans l'Encyclopédie 

    Au milieu du siècle naît un second mythe de Genève. Le premier, création du XVII e siècle,était celui de la Rome protestante, ville sainte pour les réformés et repaire d'abominationspour les catholiques.

    Les penseurs français, qui sont à la tête du mouvement intellectuel européen, font deGenève une ville modèle où sont incarnée