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IUT DE SAINT-DENIS / UNIVERSITÉ PARIS-NORD Histoire de la cuisine et des arts de la table Du Moyen âge au milieu du XX e siècle Année 2014-2015 Cours de M. EL HAGE

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IUT DE SAINT-DENIS / UNIVERSITÉ PARIS-NORD

Histoire de la cuisine et des arts de la table

Du Moyen âge au milieu du XXe siècle

Année 2014-2015 Cours de M. EL HAGE

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BIBLIOGRAPHIE

Ouvrages généraux

FLANDRIN (Jean-Louis), MONTANARI (Massimo) (sous la direction de), Histoire de l’alimentation,

Paris, Fayard, 1996. ***

MENNELL (Stephen), Français et Anglais à table du Moyen Âge à nos jours, Paris, Flammarion, 1987.

****

NEIRINCK (Edmond), POULAIN (Jean-Pierre), Histoire de la cuisine et des cuisiniers. Techniques

culinaires et pratiques de table, en France, du Moyen Âge à nos jours, Malakoff, Lanore, 1995. ****

QUENEAU (Jacqueline), Les Arts de la table. Us et coutumes du Moyen Âge à nos jours, Paris, Éditions de

la Martinière, 2001. **

RAMBOURG (Patrick), Histoire de la cuisine et de la gastronomie françaises, Paris, Perrin, Tempus, 2010.

*****

REVEL (Jean-François), Un festin en paroles. Histoire littéraire de la sensibilité gastronomique de

l’Antiquité à nos jours, Paris, Tallandier, Texto, 2007. **

ROWLEY (Anthony), Une histoire mondiale de la table, Paris, Odile Jacob, 2006. *

Sur le Moyen Âge

BIRLOUEZ (Éric), À la table des seigneurs, des moines et des paysans du Moyen Âge, Rennes, Ouest

France, 2008. ****

LAURIOUX (Bruno), Le Règne de Taillevent. Livres et pratiques culinaires à la fin du Moyen Âge, Paris,

Publications de la Sorbonne, 1997. ****

LAURIOUX (Bruno), Manger au Moyen âge, Paris, Hachette Littératures, 2002. ***

Sur l’époque moderne

BIRLOUEZ (Éric), Festins princes et repas paysans à la Renaissance, Rennes, Ouest-France, 2011. ***

Dix-huitième siècle : Aliments et cuisine, n°15, Paris, Garnier, 1983. ****

FERRIÈRES (Madeleine), Nourritures canailles, Paris, Le Seuil, L’Univers historique, 2007. ***

FLANDRIN (Jean-Louis), L’Ordre des mets, Paris, Odile Jacob, 2002. **

KRIKORIAN (Sandrine), Les Rois à table. Iconographie, gastronomie et pratiques des repas officiels de

Louis XIII à Louis XVI, Aix-en-Provence, Presses Universitaires de Provence, 2011. **

MEYZIE (Philippe), L’Alimentation en Europe à l’époque moderne, Paris, Armand Colin, U, 2010. ***

QUELLIER (Florent), La Table des Français. Une histoire culturelle (XVe-XIXe siècle), Rennes, PUR, 2007.

***

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Sur l’époque contemporaine

ARON (Jean-Paul), Le Mangeur du XIXe siècle, Paris, Robert Laffont, 1974. ****

PITTE (Jean-Robert), Gastronomie française. Histoire et géographie d’une passion, Paris Fayard, 1991. *

Ouvrages thématiques

FERRIÈRES (Madeleine), Histoire des peurs alimentaires. Du Moyen âge à l’aube du XXe siècle, Paris, Le

Seuil, L’Univers historique, 2002. ***

SPANG (Rebecca L.), The invention of the restaurant. Paris and modern gastronomic culture, Harvard,

Harvard University, 2000. **

Ouvrages sociologiques

ELIAS (Norbert), La Civilisation des mœurs, Paris, Presses Pocket, Agora, 2002. *

POULAIN (Jean-Pierre), Sociologie de l’alimentation, Paris, PUF, Quadrige, 2002. ***

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MÉTHODOLOGIE DU COMMENTAIRE DE DOCUMENT

Texte à commenter : Alfred FRANKLIN, La Vie privée d’autrefois du XIIe au XVIIIe siècle, d’après des

documents originaux ou inédits : la cuisine, Paris, Plon, 1888, III, p. 50-52.

« Les recettes fournies par Taillevent sont un peu plus faciles à exécuter, mais donnent des résultats

aussi lamentables. J’en puis parler avec connaissance de cause. Pour prouver à mes lecteurs que je ne recule

devant aucun sacrifice quand il s’agit de remplir vis-à-vis d’eux mes devoirs d’historien impartial et fidèle,

j’ai commandé à ma cuisinière un canard à la dodine rouge et une galimafrée. Notez que le canard était né

chez moi, et que, voué dès mon enfance à cette expérience scientifique, je l’avais nourri délicatement,

espérant qu’un jour il me rendrait la pareille. Son ingratitude dépassa toutes mes prévisions. Mais, comme je

ne lui avais pas donné le choix de la sauce à laquelle il devait être mangé, je ne lui ai pas gardé rancune. En

revanche, j’ai conservé une dent contre Taillevent, et il m’est pénible de penser qu’un roi aussi accompli que

Charles V était condamné à une semblable cuisine. Je puis maintenant présenter sans scrupules à mes

lecteurs les deux recettes qui m’ont si mal réussi. S’ils en sont les victimes, ce ne sera pas faute d’avoir été

prévenus.

Canard à la dodine rouge – Prenez du pain blanc, et le faictes rostir bien roux sur le gril. Et le mettez

tremper en un vin fait vermeil. Puis faictes frire des oygnons en sain de lard1. Passez vostre pain par

l’estamine. Puis, pour espices, canelle, muscades, clous de girofle, sucre et goustes de sel. Faictes tout

bouillir ensemble avec la gresse de vostre canart, et quant sera cuict, jettez sur vostre canart2.

Galimafrée – Prenez un gigot de mouton cuict fraichement, et le hachez le plus menu que pourrez en

ung plat d’ongnons3. Mettre le tout estuver avec peu de verjus, du beurre, et pouldre blanche4, le tout

ensemble et assaisonné de sel.

Autre galimafrée – Soient prises poulaille ou chappons et taillés par pièces, et après fris en saing de

lard ou d’oye. Et quant sera bien frit, y soit mis vin et verjus, et pour espices pouldre de gingembre, et sel

par raison. »

1 Saindoux. 2 Il faut admettre que ledit canard a été rôti auparavant. 3 Oignons. 4 Poudre de gingembre blanc.

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Présentation et analyse du document (qui servira d’introduction)

1) Nature du document

- Extrait d’un ouvrage historique, La Vie privée d’autrefois du XIIe au XVIIIe siècle, d’après des

documents originaux ou inédits (188è-1902), dont le troisième tome est consacré à la cuisine.

2) Auteur

- Alfred Franklin (1830-1917), historien, écrivain et bibliothécaire français, auteur de nombreux livres

d’Histoire, de romans, et éditeur de sources historiques.

3) Date

- 1888

4) Contexte

- L’Histoire avait pris une apparence scientifique. Elle ne devait plus être le fruit de réflexions

contemporaines politiques. Son étude était appelée à être savante.

- La preuve documentaire était primordiale. On lui accordait même parfois une place telle qu’on ne

voulait plus le critiquer, car on accordait un crédit parfois excessif à la source écrite, voire au

témoignage concret du passé (autre quand il ne peut être écrit).

- La cuisine était également à la recherche d’une scientificité.

5) Analyse du document

- Le texte veut faire une critique historique des recettes de Taillevent. Le seul moyen, selon l’auteur,

est de goûter ces préparations. Son impression est négative. L’analyse historique est ici un

témoignage de l’auteur.

6) Problématique

- En quoi ce texte souligne-t-il l’évolution des goûts et de la cuisine en France au fil des siècles ?

7) Annonce du plan

- Plan en 3 parties :

I – Goûter pour décrire la cuisine du passé

II – Un rejet par manque d’habitude

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Plan détaillé

I – Goûter pour décrire la cuisine du passé

A. Le choix de Taillevent

- Franklin a choisi Taillevent

� La raison en est simple : c’est le cuisinier le plus connu. Il était toujours considéré comme l’auteur

du Viandier, car ce fut après 1892 que l’on comprit qu’il n’en était pas l’auteur, mais qu’il ne fit juste

qu’augmenter le texte, plus ancien.

B. La méthode choisie par Franklin

- « J’en puis parler avec connaissance de cause. Pour prouver à mes lecteurs que je ne recule devant

aucun sacrifice quand il s’agit de remplir vis-à-vis d’eux mes devoirs d’historien impartial et fidèle,

j’ai commandé à ma cuisinière un canard à la dodine rouge et une galimafrée. »

� L’approche de Franklin est typique de celle des historiens du XIXe siècle. Il faut une preuve

documentaire. Les historiens des institutions avaient les documents officiels, par exemple. Les

sources écrites ne posent pas problème. Mais qu’en est-il de l’histoire culinaire ? Franklin ne voulait

pas se cantonner à la simple description des livres de cuisine. Aussi voulut-il juger de la qualité de la

cuisine médiévale en la goûtant lui-même.

� C’est une approche historienne, car goûter le plat est comme consulter la source aux Archives.

II – Un rejet par manque d’habitude

A. Une réaction négative

- « Les recettes fournies par Taillevent sont un peu plus faciles à exécuter, mais donnent des résultats

aussi lamentables. »

- « En revanche, j’ai conservé une dent contre Taillevent, et il m’est pénible de penser qu’un roi aussi

accompli que Charles V était condamné à une semblable cuisine. Je puis maintenant présenter sans

scrupules à mes lecteurs les deux recettes qui m’ont si mal réussi. S’ils en sont les victimes, ce ne

sera pas faute d’avoir été prévenus. »

� Le résultat le révulsa. Mais sur quels critères se fonde-t-il ? Sur le goût.

� Franklin critiqua le goût de ces préparations culinaires, aux mélanges qu’il trouvait impropres à la

consommation, en dépit des matières premières qui lui paraissaient satisfaisantes.

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B. Une cuisine qui a évolué

- Franklin dit : « il s’agit de remplir vis-à-vis d’eux mes devoirs d’historien impartial et fidèle »

� Mais est-ce possible ?

� L’Histoire est subjective, car on donne une perception malgré tout personnelle des documents qu’on

étudie.

� Pour les préparations culinaires, c’est encore plus vrai. Le goût est différent selon les personnes et

selon les habitudes alimentaires de chaque époque.

� Le saindoux avait une place plus importante que le beurre et la margarine n’existait pas.

� Il y a une multiplication des épices, qui rendaient les plats plus forts en arômes, ce qui a propagé le

mythe de la dissimulation de la viande avariée.

� L’époque de Franklin était celle de préparations plus sophistiquées, avec des produits qui n’étaient

pas connus du temps de Taillevent.

Conclusion

- L’approche de Franklin était une fausse bonne idée.

- Certes, il s’agissait du meilleur moyen de connaître la cuisine qu’il souhaitait étudier, mais il est

impossible de se mettre entièrement dans la peau d’un homme du Moyen Âge.

- Nos habitudes alimentaires ne nous permettent pas d’apprécier la cuisine médiévale de la même

manière que ceux qui la consommaient tous les jours.

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Document à commenter : Le Gastronome satisfait, lithographie publiée en 1821, reproduite dans Christian

Guy, Une histoire de la cuisine française, Paris, Les Productions de Paris, 1962, p. 115

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MÉTHODOLOGIE DU COMMENTAIRE DE DOCUMENT (Le Gastronome satisfait)

Présentation et analyse du document (qui servira d’introduction)

1) Nature du document

- Lithographie

-

2) Auteur

- Inconnu (vu dans un livre le nom de Lenglumé, sans avoir trouvé plus de précisions)

-

3) Date

- 1821

-

4) Contexte

- [dans le cas présent, le contexte politique et économique ne peut pas être utilisé, ce serait hors sujet ;

on peut y faire des allusions, mais comme le document a une vocation ici surtout gastronomique, il

faut privilégier le contexte gastronomique]

- En 1801 est apparu pour la première fois le mot « gastronomie », qui désigne « l’art de faire bonne

chère ». Le gastronome est donc la « personne qui aime faire bonne chère », si nous reprenons les

définitions du Larousse de la langue française.

- Le début du XIXe siècle fut donc le moment où on mettait des mots à un phénomène qui avait

commencé à se développer au XVIIIe siècle à Paris avec la création des restaurants. En 1782,

Antoine Beauvillier ouvrit le premier d’entre eux, celui à l’enseigne de la Taverne de Londres. En

1814 et 1816, son ouvrage L’Art du cuisinier fut publié, en deux volumes.

- La chute de Napoléon avait vu l’entrée des Alliés dans Paris, qui eurent parmi leurs premiers

souhaits l’idée de s’attabler dans les restaurants parisiens. Monta alors sur le trône Louis XVIII, frère

de Louis XVI, dernier roi de France. On appela cette période la Restauration, même si ce qu’on

appelait l’Ancien Régime n’avait pas été restauré.

- La différence entre Napoléon, aucunement gourmet et ayant chevauché à travers toute l’Europe, et le

roi Louis XVIII, obèse et impotent qui sortait rarement de son fauteuil roulant, symbolisa l’intérêt

renouvelé pour les plaisirs de la table, occultés après un quart de siècle de guerres européennes. Ces

plaisirs ne disparurent pas, mais la paix nouvelle leur donnait un écho nouveau.

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5) Analyse du document

- À première vue, nous avons l’image repoussante d’un homme obèse qui s’empiffre. Aucun

raffinement, aucune finesse n’est perceptible, mais le cadre laisse penser qu’il ne s’agit pas que de

simple goinfrerie, mais peut-être d’un reflet de l’esprit gastronomique de l’époque.

6) Problématique

- En quoi cette lithographie met-elle en évidence un phénomène nouveau dans l’expression de la

jouissance des plaisirs de la table ?

7) Annonce du plan

- Plan en 3 parties :

I – Un reflet de la société de la Restauration

II – Un désir de faire bonne chère

III – L’essor des restaurants

Plan détaillé

I – Un reflet de la société de la Restauration

- Lithographie qui présente des éléments faisant référence à la situation politique et sociale du

moment. Nous sommes en 1821. Napoléon venait de mourir en exil à Sainte-Hélène. On était encore

sous le règne de Louis XVIII.

A. Un renouveau de la noblesse ?

- Le personnage porte des bas de soie et une culotte. On perçoit une rupture avec les habits

révolutionnaires. Il est difficile de savoir s’il s’agit d’un ancien émigré de 1789, revenu en 1814, ou

d’un bourgeois parisien voulant manifestement paraître socialement plus élevé, ou encore d’un

anobli de l’époque napoléonienne.

� Dans Le Père Goriot, Balzac évoque la gastronomie de la Restauration : « Ce luxe de table (…) sous

la Restauration fut poussé au plus haut degré. M. de Bauséant, semblable à beaucoup de gens blasés,

n’avait plus d’autres plaisirs que celui de la bonne chère ; il était, en fait de gourmandise, de l’école

de Louis XVIII et du duc d’Escars (…). »

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B. Une obésité royale

- Le personnage présenté a une obésité morbide. Son gilet ne tient qu’avec un seul bouton.

L’empilement d’assiettes ramassées par le serveur, en plus de celles se trouvant sur la table, ainsi que

les arrêtes de poissons tombées sous la table, donnent une idée de la quantité de nourriture

consommée. Un estomac glouton, comme celui d’un roi, celui qui était alors en place…

� En 1821, Louis XVIII était le roi. Il était surnommé par le peuple « le gros cochon » ou « Louis dix

huîtres ». Sa corpulence était singulière. Il était si obèse qu’il ne pouvait plus monter à cheval ou

marcher sans être soutenu par deux serviteurs. Il était également connu pour le raffinement de ses

goûts culinaires (il inventa même des recettes), qu’il mangeait en grande quantité, comme le

soulignent les Mémoires d’une femme de qualité sur Louis XVIII, sa cour et son règne : « Louis

XVIII déjeunait ordinairement après ou avant la messe, selon que son temps était distribué ; il

admettait à sa table plusieurs des grands-officiers de sa maison ; il mangeait avec appétit, et surtout

des côtelettes de mouton arrangées d’une certaine manière qui lui permettait de les avaler d’une seule

bouchée ; il prenait volontiers des truffes sous la serviette cuites au vin de Champagne, mais il fallait,

pour lui plaire, qu’elles fussent brûlantes. »

II – Un désir de faire bonne chère

A. Une époque de recherche culinaire

- La pile d’assiettes laisse penser à une richesse des mets. Les restaurateurs étaient au premier rang des

innovateurs en matière culinaire.

� Ce fut à cette époque qu’Antoine Beauvilliers et Antonin Carême marquèrent leur temps, l’un en

publiant L’Art du cuisinier en conclusion de carrière, l’autre en plein essor.

B. Un service copieux

- Le service paraît copieux, et les cartes de restaurants ou semblent aller dans ce sens.

� La carte du restaurateur Véry en 1814 est composée d’une centaine de plats. Les combinaisons sont

multiples.

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C. Le désir d’oublier dans la nourriture les temps difficiles ?

- La France de la Restauration est une France qui était encore sonnée par la défaite finale, effaçant

dans les faits, mais non dans tous les esprits, près d’un quart de siècle de batailles et de conquêtes

glorieuses.

- La tenue du personnage est soignée : gilet, bas de soie, culotte, chaussures à boucle. Il appartient fort

probablement à la haute société, ou du moins à la grande bourgeoisie.

� La noblesse n’avait plus de moyens concrets de se distinguer depuis la Révolution, sauf en reprenant

des coutumes anachroniques, qui suscitèrent plus des moqueries qu’autre chose.

� La noblesse n’était plus à vocation militaire comme dans le passé. Il n’y avait plus de gloire à retirer.

Idem pour les bourgeois ou nobles d’Empire. Le personnage de Balzac résume bien, de façon

gastronomique le « mal du siècle ».

III – L’essor des restaurants

A. Un lieu gastronomique

- Le personnage mange dans un restaurant.

� La cuisine française était très réputée et les souverains alliés avaient tenu à manger dans des

restaurants parisiens en 1814. Les restaurants, surtout ceux du Palais-Royal, étaient les représentants

d’une cuisine française raffinée, élevée. Il n’était pas question seulement de manger beaucoup, mais

de manger des mets à la préparation plus ou moins élaborée.

� Une connaissance culinaire en découlait. On recherchait des saveurs rares ou qui sortent tout

simplement de l’ordinaire de la cuisine-maison ou des gargotes des faubourgs parisiens.

B. Un lieu de culture

- Le restaurant est un lieu de culture française.

� Jean-Paul Aron compare « ce bonheur du corps » consistant à avoir « bon estomac » et faire bonne

chère à « la politesse, la mode, le patriotisme », faisant partie de « la culture ».

� Depuis le XVIIe siècle, la France soulignait son importance culinaire, au même titre que ce

qu’évoque Aron, à l’exemple de l’éditeur-préfacier du Cuisinier françois de La Varenne en 1651.

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Conclusion

- La lithographie Le Gastronome satisfait donne une idée du gastronome telle qu’elle se concevait au

début du XIXe siècle. C’était un individu qui faisait bonne chère.

- Certes, la figure est caricaturale, mais elle incarne parfaitement la richesse de la cuisine française et

des plats proposés par les restaurants français, notamment parisiens.

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BnF, Manuscrits français 9140, folio 361 verso, miniature reproduite dans Éric BIRLOUEZ, À la table des

seigneurs, des moines et des paysans du Moyen Âge, Rennes, Ouest-France, 2009, p. 121

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LA CARRIÈRE DE TAILLEVENT

(Bruno LAURIOUX, Le Règne de Taillevent, op. cit., p. 103-105)

« Au XVIII e siècle on pensait encore que Taillevent était un cuisinier du XVe siècle. Dès 1843, Jérôme

Pichon l’identifiait définitivement à Guillaume Tirel, qui portait ce sobriquet dans de nombreux documents.

La reconstitution de la vie (1301 / 1315-1395) et de la carrière de Taillevent, que le même érudit proposait

dans l’édition de 1892, n’a pas été dépassée. On trouvera ici les étapes du cursus « tirellien », sommairement

énumérée dans l’ordre chronologique (et en dates « nouveau style ») – la première date étant la plus

ancienne pour un « grade » déterminé et la seconde évidemment la plus récente. (…)

LA CARRIÈRE DE TAILLEVENT5

DATE TITRE MAÎTRE

Pentecôte 1326 Enfant de cuisine Reine

1er mars – 1er juillet 1327 ? [Reine]

Novembre 1330 Valet de cuisine [Roi]

12 mai – 24 octobre 1346 Queux Roi

Septembre 1349 Queux de bouche [Roi]

12 août 1355 Ecuyer de l’hôtel Dauphin

19 août 1355 – 1361 Queux [Dauphin]

Juin 1364 – 12 juin 1371 ? Roi

24 janvier 1378 Premier queux [Roi]

Janvier 1387 Ecuyer de cuisine [Roi]

26 novembre 1388 Premier écuyer de cuisine [Roi]

20 juillet 1392 Ecuyer de cuisine,

maître des garnisons

[Roi]

Voilà une carrière fort longue, puisqu’elle s’étend sur plus de 66 ans. À tel point qu’on peut douter

d’avoir affaire au même personnage. N’y aurait-il pas eu deux Guillaume Tirel / Taillevent, par exemple le

père et le fils ? – on a un cas semblable au XIIIe siècle avec la dynastie des Isembart. S’oppose cependant à

cette hypothèse le fait que la carrière de Taillevent est toujours ascendante, et sans interruption

documentaire nette. Au reste une aussi longue carrière n’est pas sans précédent, puisque les premiers

documents mentionnant Isembart « le père » comme queux remontent à 1256/1257 et qu’il occupe encore

5 Nous avons un peu remanié le tableau afin de lui donner plus de clarté.

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les mêmes fonctions en 1285 ; ces trente années ou presque sont comparables à la période où Taillevent fut

également « keu » (1346 au plus tard à 1378 au moins). »

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Bibliographie historique établie par Florent Quellier

(La Table des Français, Rennes, PUR, 2010, p. 239-240)

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TABLE DES MATIÈRES DU Mesnagier de Paris (1393)

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LA SALADE

« Lave ta main, blanche, gaillarde et nette,

Trace mes pas, apporte une serviette,

Allons cueillir la salade, et faison

Part à nos ans des fruits de la saison.

D’un vague pied, d’une vue écartée,

Deçà delà jetée et rejetée

Or’ sur la rive, ores sur un fossé,

Or’ sur un champ en paresse laissé

Du laboureur, qui de lui-même apporte

Sans cultiver herbes de toute sorte,

Je m’en irai solitaire à l’écart.

Tu t’en iras, Jamyn, d’une autre part

Chercher soigneux la boursette touffue,

La pâquerette à la feuille menue,

La pimprenelle heureuse pour le sang

Et pour la rate, et pour le mal de flanc;

Je cueillerai, compagne de la mousse,

La réponsette à la racine douce,

Et le bouton des nouveaux groseliers,

Qui le Printemps annoncent les premiers.

Puis, en lisant l’ingénieux Ovide

En ces beaux vers où d’amour il est guide,

Regagnerons le logis pas à pas.

Là recoursant jusqu’au coude nos bras,

Nous laverons nos herbes à main pleine

Au cours sacré de ma belle fontaine,

La blanchirons de sel en mainte part,

L’arroserons de vinaigre rosart,

L’engraisserons de l’huile de Provence;

L’huile qui vient aux oliviers de France

Rompt l’estomac, et ne vaut du tout rien.

Voilà, Jamyn, voilà mon souv’rain bien… »

(Pierre de RONSARD)

« Monsieur Jourdain a raison, Madame, de parler de la

sorte, et il m'oblige de vous faire si bien les honneurs de

chez lui. Je demeure d'accord avec lui que le repas n'est

pas digne de vous. Comme c'est moi qui l'ai ordonné, et

que je n'ai pas sur cette matière les lumières de nos

amis, vous n'avez pas ici un repas fort savant, et vous y

trouverez des incongruités de bonne chère, et des

barbarismes de bon goût. Si Damis, notre ami, s'en était

mêlé, tout serait dans les règles; il y aurait partout de

l'élégance et de l'érudition, et il ne manquerait pas de

vous exagérer lui-même toutes les pièces du repas qu'il

vous donnerait, et de vous faire tomber d'accord de sa

haute capacité dans la science des bons morceaux, de

vous parler d'un pain de rive, à biseau doré, relevé de

croûte partout, croquant tendrement sous la dent; d'un

vin à sève veloutée, armé d'un vert qui n'est point trop

commandant; d'un carré de mouton gourmandé de

persil; d'une longe de veau de rivière, longue comme

cela, blanche, délicate, et qui sous les dents est une

vraie pâte d'amande; de perdrix relevées d'un fumet

surprenant; et pour son opéra, d'une soupe à bouillon

perlé, soutenue d'un jeune gros dindon cantonné de

pigeonneaux, et couronnée d'oignons blancs, mariés

avec la chicorée. Mais pour moi, je vous avoue mon

ignorance; et comme Monsieur Jourdain a fort bien dit,

je voudrais que le repas fût plus digne de vous être

offert. »

(MOLIÈRE, Le Bourgeois gentilhomme, acte IV, scène

1)

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François RABELAIS, Le Quart livre (1547, édition de

1783)

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« Pour vaincre la rosée et mauvais air, il déjeunait ensuite

de belles tripes frites, de succulentes tranches de bœuf

grillées sur des charbons, de délicieux jambons, de

savoureuses grillades de chevreaux et de force soupes de

primeurs. (…) Etant naturellement flegmatique, il

commençait son repas par quelques dizaines de jambons,

de langues de bœuf fumées, de cervelas, d’andouilles et

tels autres avant-coureurs de vin. Pendant ce temps,

quatre de ses gens lui jetaient dans la bouche, l’un après

l’autre et sans cesse de la moutarde à pleines palerées ;

après quoi, il buvait un honorifique trait de vin blanc pour

lui soulager les rognons. Selon la saison, il continuait

d’ingurgiter des viandes, à son appétit, et cessait de

manger lorsqu’il éprouvait des tiraillements au

ventre. Pour ce qui est de boire, il n’avait ni fin ni règle ;

il disait que l’on devait seulement s’arrêter lorsque le

siège de vos pantoufles enflait en haut d’un demi-pied. »

(François RABELAIS, Gargantua)

« Une preuve et un témoignage de toute première

importance est, au premier chef, ceux que nous apporte

Rabelais, surtout dans le Quart livre. Pantagruel y visite

le pays de Messire Gaster et des Gastrolâtres. Parmi les

mets dont ceux-ci se régalent, on relève les « longes de

beau rousty froides, sinapisées de poudre zinzibérine » (le

gingembre), les « salmigondins », les « coustelettes de

porc à l’oignonade », une infinité de salades. Sans

allonger l’énumération dont Rabelais nous gave, il est

aisé de constater le cachet encore tout médiéval de

l’ordinaire des Gastrolâtres, dans ce livre paru en 1547.

Médiéval n’a d’ailleurs rien de péjoratif, puisque maintes

viandes rabelaisiennes héritées du Moyen Âge se sont

transmises de génération en génération, sans changement

jusqu’à nous ; c’est le cas de la charcuterie : les

andouilles, les boudins, les saucisses, les cervelas. Mais

en affichant « soixante et dix huit espèces de confitures

seiches et liquides », Rabelais fait percer la Renaissance

sous le Moyen Âge. »

(Jean-François REVEL, Un festin en paroles)

« Ce fut par hasard qu’une belle huître que je donnai

à Émilie, en approchant la coquille de ses lèvres,

tomba au milieu de sa gorge ; elle voulait la

reprendre, mais je l’ai réclamée de droit, et elle dut

céder, se laisser délacer, et me permettre de recueillir

avec mes lèvres au fond où elle était tombée.

Elle dut souffrir par là que je la découvrisse

entièrement ; mais j’ai ramassé l’huître d’une façon

qu’il n’y eut aucune apparence que j’eusse ressenti

autre plaisir que celui d’avoir repris, mâché et avalé

l’huître.

Quatre ou cinq huîtres après, j’ai donné une huître à

Armelline, la tenant par ma cuisse, et adroitement je

l’ai versée sur sa gorge, ce qui fit beaucoup rire

Émilie qui dans le fond était fâchée qu’Armeline allât

exempte d’une épreuve d’intrépidité pareille à celle

qu’elle m’avait donnée. Mais j’ai vu Armelline

enchantée de l’accident malgré qu’elle ne voulait pas

en faire semblant.

- Je veux mon huître, lui dis-je.

- Prenez-la.

Je lui délace tout le gilet, et l’huître étant tombée en

bas tant que possible, je me plains de devoir l’aller

chercher avec ma main. Grand Dieu ! Quel martyre

pour un homme amoureux de devoir dissimuler

l’excès de son contentement dans un pareil moment !

Armelline ne pouvait m’accuser de rien sous le

moindre prétexte, car je ne touchais ses charmants

seins, durs comme du marbre, que pour chercher

l’huître. Après l’avoir prise et avalée, j’ai empoigné

un des seins en réclamant l’eau de l’huître qui l’avait

inondé, je me suis emparé du bouton de rose avec

mes lèvres avides, en me livrant à toute la volupté que

m’inspirait le lait imaginaire que j’ai sucé pour deux

ou trois minutes de suite. »

(CASANOVA, Mémoires)

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Journal d’un bourgeois de Paris (l’extrait va de la fin de l’année 1418 au début de l’année 1419)

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LA FAMINE DU SIÈGE DE PARIS VUE PAR PIERRE DE L’ESTOILE EN 1590

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Pierre de L’ESTOILE, Mémoires-Journaux

(1574-1611).

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Extrait de la préface du libraire au Cuisinier

françois de La Varenne (1651).

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Extrait de la préface du Cuisinier royal et bourgeois de Pierre Massaliot (1691)

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Lettre du 28 octobre 1716 :

« Je taquine souvent Mme de Berry, et je lui dis qu’elle se figure qu’elle aime la chasse, mais qu’au fond

elle aime seulement à changer de place ; elle ne se soucie que de la fin de la chasse, et elle aime mieux celle

au sanglier que celle au cerf, parce qu’elle y trouve l’occasion de manger de bons boudins et des

saucisses… »

Lettre du 18 novembre 1717 :

« Mme de Berry ne mange guère à dîner, et il est impossible qu’il en soit autrement, car elle se fait apporter,

avant de se lever, toute espèce de choses à manger ; elle ne bouge pas de son lit avant midi ; à deux heures,

elle se met à table, elle n’en sort guère avant trois heures ; elle ne fait aucun exercice ; à quatre heures, on lui

apporte encore des aliments de tout genre, des fruits, de la salade et du fromage ; à dix heures, elle se met à

souper ; entre une ou deux heures, elle se couche ; elle boit l’eau-de-vie la plus forte. »

Lettre du 5 décembre 1718 :

« Le roi, feu Monsieur, Monseigneur le Dauphine et M. le duc de Berry étaient de grands mangeurs. J’ai vu

souvent le roi manger quatre pleines assiettes de soupes diverses, un faisan entier, une perdrix, une grande

assiette de salade, deux tranches de jambon, du mouton au jus et à l’ail, une assiette de pâtisserie, et puis

encore du fruit et des œufs durs. Le roi et feu Monsieur aimaient beaucoup les œufs durs. »

Lettre du 16 août 1719 :

« La reine mangeait souvent et longtemps ; mais elle ne mangeait pas plus qu’une autre, car elle ne prenait

que de tout petits morceaux, comme on aurait pu en donner à un serin. »

Extraits des lettres de la Princesse Palatine.

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2 mai 1740 :

« M. de Mailly, mari de la maîtresse du roi, a eu ordre de sortir de Paris pour avoir tenu chez lui loge et

souper de francs-maçons, malgré les ordres réitérés du roi. L’auguste qualité de cocu du roi ne l’a pas

exempté de cette proscription. Ainsi cette dame voit en ce moment son père et son mari exilés. »

22 novembre 1740 :

« Hier, M. de Richelieu donna un grand souper à sa petite maison, par-delà la barrière de Vaugirard. Tout y

est en galanteries ou en obscénités ; les lambris surtout ont au milieu de chaque panneau des figures fort

immodestes en bas-relief. Le beau du début de ce souper était de voir la vieille duchesse de Brancas vouloir

voir ces figures, mettre ses lunettes, et, avec une bouche pincée, les considérer froidement, pendant que M.

de Richelieu tenait la bougie et les lui expliquait. »

17 janvier 1741 :

« Le roi et Mme de Mailly se sont brouillés comme des enfants. On est beaucoup dans le goût de la

tapisserie à la Cour ; Mme de Mailly était si absorbée par cette occupation qu’elle ne répondait pas au roi qui

lui parlait et l’interrogeait. Enfin, le roi impatienté la menaça, puis tira un couteau et coupa la tapisserie en

quatre : querelle horrible, brouillerie, puis enfin il a fallu les raccommoder, et pour cela est faite une partie

extraordinaire et dont on parle beaucoup. C’est que le roi va souper en ville, dit-on. Eh bien ! le grand mal à

cela ? Le roi a donc été souper chez Mme de Mailly, dans sa petite chambre. Elle a emprunté un cuisinier et

a donné un assez joli souper à son amant. Il n’y avait que cinq ou six convives. »

27 juillet 1741 :

« On croit que le roi pourra bien aller à la guerre en Flandre, si les puissances maritimes s’ameutent et nous

présentent une armée digne du courage français ; on travaille sourdement à de très grands équipages qui ne

peuvent être que pour le roi. On dit que le roi a demandé l’autre jour à son grand cuisinier, à Choisy :

« Pajot, as-tu du cœur ? Iras-tu bien à la guerre ? » Que celui-ci a répondu qu’il ne craindrait rien pour lui,

mais seulement pour Sa Majesté, et qu’il lui ferait d’aussi bons ragoûts à l’armée qu’à Choisy. »

Extraits du Journal du marquis d’Argenson.

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PARIS ET SA BANLIEUE AU XVIIIe SIÈCLE (CARTE DE CASSINI)

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Arthur YOUNG, Voyages en France pendant les années 1787, 88, 89, 90.

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Magasin historique, ou Journal général (1792).

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Edmond et Jules de GONCOURT, Histoire de la société française pendant la Révolution (1864).

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Le 8 septembre [1870], parut un arrêté du gouverneur de la place [de Metz] prescrivant à chaque

régiment de cavalerie de livrer pour la consommation quarante de ses chevaux, choisis, bien entendu, parmi

les plus éprouvés par la fatigue et les privations. (…) À partir du 10 septembre, la viande de cheval fut la

seul que l’on pût se procurer, les quelques bœufs qui restaient étaient réservés aux malades.

Le 13 septembre, la ration de pain subit une nouvelle diminution, elle fut ramenée de 750 à 500

grammes.

(…)

Ce fut vers le 15 septembre que commença à se faire sentir la disette de vivres et que je dus attaquer

ma réserve. La viande de cheval forma dès lors mes pièces de résistance. Et mes menus comportaient : un

jour le pot-au-feu de cheval, le lendemain du cheval braisé, aux macaronis, aux lentilles, aux haricots, à la

purée de pois, etc.

Je puis dire que la chair de « la plus belle conquête de l’homme » fut par moi, à cette époque, non pas

mise à toutes les sauces, mais enrichie de toute la lyre des garnitures de légumes secs. Mais j’avais toujours

le soin de blanchir le morceau dont je disposais et de le rafraîchir ensuite. Cette simple précaution lui

enlevait son goût âcre et le rendait plus agréable à manger. Il est facile de comprendre que cette viande ne

pouvait posséder de bien grandes qualités gustatives, étant donné les privations dont avaient souffert ces

pauvres animaux et le fait que l’on n’abattait, pour commencer, que les plus mauvais chevaux.

Dès cette époque, je m’appliquai à économiser le plus possible, tout en donnant toujours à la table de

mes officiers une certaine abondance, et ce en prévision de l’avenir. Les menus du dîner se composaient

d’un potage gras ou maigre, après lequel venaient le relevé et un rôti pris parmi les hôtes de ma basse-cour,

suivi d’une salade, d’un entremets de fruits, enfin le café et le Cognac complétaient ces repas qui n’avaient

rien de sardanapalesque en temps ordinaires, mais qui cependant semblaient l’être en ce temps-là.

Le déjeuner était presque toujours composé des reliefs du dîner de la veille, et certes je m’élevai alors

à des hauteurs inconnues dans l’art d’accommoder les restes (…) combinant de superbes gratins avec les

parcelles de volailles détachées des carcasses auxquelles j’ajoutais du macaroni coupé en fragments, en liant

le tout avec quelques cuillerées de béchamel. De temps à autre, et ce jour-là il y avait jubilation parmi les

élus, je pouvais me procurer, mais à quel prix, et quelles difficultés, des petits brochetons pêchés dans la

Moselle, que j’accommodais en matelotes.

Auguste Escoffier, Souvenirs culinaires.

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« Dimanche 9 octobre [1870].

(…)

Une nouvelle viande a fait son apparition, c’est celle d’âne. On la dit préférable au cheval ; dans

quelques jours on sera à même d’en juger. Il ne faut pas récrier, en interrogeant les vieilles chroniques : on y

trouve que le bon roi Henri IV, de glorieuse mémoire, se faisait souvent servir de l’ânon rôti. Nous pouvons

donc bien en manger.

Le cheval entre de plus en plus dans la consommation. Les petits restaurants et les marchands de vins

débitent cette viande sous le nom de bœuf, ce qui leur procure un très gros bénéfice.

Le poisson de Seine est assez abondant. Quelques charcutiers et pâtissiers ont encore des pâtés de

volaille et de jambon, filet de bœuf et jambon de 3 à 6 francs, suivant la grosseur. Quelques-uns aussi

débitent du rosbif et du filet rôti à raison de 3 et 4 francs.

On peut avoir un peu de beurre salé à 9 francs le kilo. À part quelques morues de qualité médiocre, il

n’y a plus de salaisons aux halles centrales.

(…)

Dimanche 23 octobre.

Lorsqu’au début du siège, le gouvernement a dit que Paris avait pour deux mois de vivres, on n’y a

pas cru ; cependant voilà un bon mois écoulé, et il n’y a pas encore ce qu’on peut appeler vraiment une crise

alimentaire.

Le pain et le vin abondent ; la viande seule subit un rationnement. Quant aux légumes, on les vend

dans les vend dans les rues comme aux temps ordinaires ; plus cher, c’est vrai. Pour le moment, le lait et le

beurre sont très rares. (…) Pour les liquides, rien n’est non plus à craindre. Bercy en regorge. Quant à la

viande, on aurait dû la rationner dès le début. Il y avait environ 12 millions de kilos de viande fraîche ;

aujourd’hui nous n’en avons plus que 6 millions. Voici d’où provient le rationnement à 100 grammes. Ici

l’imprévoyance est la seule cause de cette disette. On estime le débit de la viande, avec le rationnement à

100 grammes, à 125 000 kilos par jour. En comptant ainsi, nous serions donc encore approvisionnés pour

quarante-cinq jours. (…)

Le cheval entre de plus en plus dans la consommation et nous donne encore un appoint de chair

fraîche. Le nombre des chevaux abattus chaque jour à Paris est en moyenne de 100, soit un millième de la

quantité existante.

Dans cette nomenclature, je ne parle ni des salaisons, ni des conserves, ni du riz, ni des légumes

secs ; chocolat, café et sucre en très grande abondance.

Beaucoup de choses ont disparu de la consommation, mais je suis convaincu que, si le siège se

prolonge, ces denrées alimentaires, momentanément cachées, reparaîtront. (…)

Un grand nombre de restaurants sont fermés. D’autres établissements préviennent que, par ordre

supérieur, ils ne peuvent donner qu’un plat de viande par repas. (…)

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Dimanche 20 novembre.

(…)

On dit que nous sommes à bout de nos bœufs et de nos moutons. La chose n’est point surprenante, et

l’on parle de nous mettre, pendant trois jours, à la viande salée, et pendant trois jours à la viande fraîche de

cheval. (…)

Le gouvernement possède une assez grande quantité de fromages, de morues et d’autres genres de

poissons salés. Les marchands ont encore en magasin de nombreuses quantités de riz, de sucre, de café et de

chocolat.

Les boutiques de comestibles ont encore des pâtés, mais ils sont hors de prix. Les boîtes de conserves

deviennent inabordables pour les ménages dont les ressources sont restreintes à une dépense moyenne. (…)

On vient d’assassiner tous les animaux du Jardin d’Acclimatation pour les livrer à l’alimentation. On

a cependant épargné les chameaux et les éléphants.

Adieu donc, gentils canards à aigrettes lamées d’or et d’argent !… Adieu, daims gracieux, ours mal

léchés, renards, malins et stupides bisons… vous êtes livrés à l’appétit de la Ville-Gargantua. (…)

Dimanche 1er janvier [1871].

(…)

Au moment où j’écris ces lignes, il y a encore des établissements à Paris qui, pour 5 francs 50 ou 6

francs, vous donnent deux plats, un dessert et une demi-bouteille de vin. (…)

Tous les animaux de Paris y passent. Les pigeons des Tuileries ont été tués ainsi que les moineaux.

Les éléphants du Jardin d’acclimatation ont été payés 27 000 par M. Deboos, propriétaire de la boucherie

anglaise. (…)

Dimanche 8 janvier.

(…)

On paye 12 francs un beau chat. Trois pigeons ont été faits par un paysan 80 francs. (…) Chez

Martin, rue des Filles-Saint-Thomas n°5, on vend :

Saucisses d’ours : 1 franc ;

Un cuisseau d’ours : 14 francs ;

La livre d’éléphant : 20 francs ;

On vend aussi des pâtés de langue et de foie d’éléphant.

(…)

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Dimanche 15 janvier.

(…)

Nous voici arrivés à la phase critique du pain bis mélangé. L’aspect n’en est pas plus appétissant que

le goût, c’est horrible à manger. Une livre de ce pain renferme : 1 huitième de farine commune de blé, 4

huitièmes d’un mélange composé de fécule de pomme de terre, de riz, de lentille, de pois cassés, de vesces,

d’avoine et de seigle moulus dans des proportions anormales, 2 huitièmes d’eau, 1 huitième de paille et

d’autres détritus d’enveloppes de grains de légumes. Une pareille base d’alimentation accroîtra sans aucun

doute la mortalité d’une manière considérable. Pour ceux qui sont robustes, ce n’est qu’avec peine qu’ils

pourront s’habituer à cette affreuse nourriture. (…)

En dehors des boucheries municipales, le cheval, l’âne, et le mulet, valent de 10 à 1é francs la livre.

Presque tous les restaurants sont fermés. Cependant, en y mettant le prix, on peut encore, vis-à-vis

l’Opéra-Comique, déjeuner ou dîner très confortablement ; c’est même assez curieux. Cette taverne anglaise

possède jambons, volailles, bœuf, etc. Ce qui me confond, c’est qu’on puisse trouver encore à se nourrir. »

Jacques-Henry PARADIS, Journal du siège de Paris (Septembre 1870-Janvier 1871), 1ère édition 1872.

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IL FAUT REVENIR À LA BONNE VIEILLE SOUPE MÊME AU REPAS DE MIDI

Bon gré mal gré il nous faut au seuil de temps difficiles en revenir à la sagesse de nos aïeux, à des

façons de vivre trop oubliées. Les vérités les plus humbles, les coutumes les plus quotidiennes ne seront pas

les moins puissantes à nous sauver. (…)

Pourquoi ne pas l’avouer ? Notre génération d’enfants gâtés avait perdu le goût de la soupe, de celle

de midi surtout qui seule pouvait « caler » les estomacs. On lui préférait les hors-d’œuvre plus agréables,

certes, mais dont le nom même dit assez qu’ils sont hors de l’œuvre nutritive du repas. (…) Plus de

nourritures d’anémiques, de décadents, il nous faut revenir au régime de la bonne soupe paysanne puisque

aussi bien c’en est fait de celui de l’assiette au beurre. »

(Article du Petit Marseillais du 17 août 1940)

LES MENUS DES RESTAURANTS

La préfecture de police rappelle que, dans les restaurants, hôtels, pensions et établissements

similaires, le menu du repas qui peut être servi à une même personne ne doit pas comprendre plus de : 1

potage ou 1 hors-d’œuvre ; 1 plat de viande garni ; 1 dessert. Les infractions seront poursuivies devant les

tribunaux compétents. En outre, les établissements qui auront contrevenu à ces dispositions pourront faire

l’objet d’une mesure de fermeture.

(Article du journal Le Matin du 24 juin 1940)

RESTAURANT PARISIEN (ÉTÉ 1940)