16
A la découverte de l’Histoire Cours d’Histoire 2013/2014. G. Durand 1 HISTOIRE DE LA MESOPOTAMIE COURS 3 : LA TROISIEME DYNASTIE D’UR ET L’EPOQUE PALEO-BABYLONIENNE (2100 – 1600 av. J.-C.) La troisième dynastie d’Ur (sous forme abrégée : Ur III) est, comme son nom l'indique, la troisième dynastie de la ville sumérienne d’Ur, selon la tradition historiographique mésopotamienne. Mais il s'agit surtout d’un grand empire fondé par les souverains de cette dynastie, qui domina toute la Mésopotamie d’environ 2112 à 2004 av. J.-C. Dans l'histoire mésopotamienne, cette expérience impériale se situe dans la continuité de celle des rois d'Akkad qui l'a précédée de deux siècles environ. La dynastie d'Ur III est toutefois d'origine sumérienne et non akkadienne contrairement à celle du premier empire. Ses rois, administrateurs et lettrés, ayant essentiellement fait usage du sumérien, cette période est parfois appelée « période néo-sumérienne », à laquelle on inclut également la dynastie de Gudea de Lagash qui s'achève avec le début de la domination d'Ur III, et qui constituerait une « renaissance sumérienne » après la domination des Akkadiens, même si cette vision est très discutable. Quoi qu'il en soit, la période d'Ur III est remarquable par la quantité de documentation écrite qui nous est parvenue, en grande majorité de nature administrative, et qui nous donne une connaissance importante du fonctionnement du royaume, de certains aspects de sa société et de son économie. Cette abondance documentaire et l'analyse des pratiques des administrateurs de l'époque ont pu donner l'impression d'un État « bureaucratique ». Il est au moins sûr que cet empire a vu l'administration des institutions officielles (temples et palais) prendre une importance sans précédent et rarement égalée par la suite dans l'histoire mésopotamienne, et a donné lieu à des expériences administratives originales. LES ORIGINES ET LE DEVELOPPEMENT DE LA TROISIEME DYNASTIE D’UR : Au milieu du XXIIe siècle, l'empire d'Akkad est détruit dans des circonstances mal connues : les Gutis semblent être des acteurs importants de ces événements, mais on remarque également que la Basse-Mésopotamie éclate en plusieurs royaumes qui se constituent autour de certaines cités (Uruk et Lagash notamment). Vers 2120 ou 2055, le roi Utu-hegal d'Uruk défait Tiriqan le roi des Gutis. Il peut alors exercer sa souveraineté sur le Sud mésopotamien. Mais son règne est de courte durée. Après environ huit ans de règne, il est détrôné par des notables de la cour à la tête desquels se trouve Ur-Nammu, le gouverneur d'Ur qui est sans doute son propre frère. La tradition mésopotamienne l'a reconnu comme le fondateur de la troisième dynastie d'Ur. L'histoire politique de la troisième dynastie d'Ur est reconstituée en premier lieu grâce aux noms d'années des rois qui sont connus de façon complète à partir du règne de Shulgi. Ils fournissent la durée des règnes, mais aussi leurs événements les plus remarquables (souvent militaires ou cultuels). Par exemple, la sixième année de règne de Shu-Sîn s'intitule « Shu-Sîn, roi d'Ur, a érigé une magnifique stèle pour Enlil et Ninlil » et la septième « Shu-Sîn, roi d'Ur, roi des quatre rives, a détruit le pays de Zabshali ». C'est l'événement considéré comme majeur parmi ceux ayant eu lieu l'année précédente qui est retenu : donc la prise de Zabshali a eu lieu la sixième année du règne de Shu-Sîn. Ces informations peuvent être complétées par plusieurs inscriptions royales, les plus développées sur des événements historiques datant du règne d'Ur-Nammu, tandis que des hymnes dédiés à des rois ou des textes administratifs fournissent des informations complémentaires. Il faut enfin mentionner des textes à caractère historiographique rédigés après la chute du royaume, comme des lettres se présentant comme la correspondance de rois d'Ur et de leurs administrateurs, dont on débat pour savoir dans quelle mesure elles rapportent des informations fiables.

HISTOIRE DE LA MESOPOTAMIE COURS 3 : LA … · Mésopotamie comme l'ont fait les rois d'Akkad avant lui. Sa domination en direction du nord-est vers la Diyala passe sans doute par

  • Upload
    vandat

  • View
    217

  • Download
    2

Embed Size (px)

Citation preview

A la découverte de l’Histoire

Cours d’Histoire 2013/2014. G. Durand

1

HISTOIRE DE LA MESOPOTAMIE

COURS 3 : LA TROISIEME DYNASTIE D’UR ET L’EPOQUE PALEO-BABYLONIENNE

(2100 – 1600 av. J.-C.) La troisième dynastie d’Ur (sous forme abrégée : Ur III) est, comme son nom l'indique, la troisième dynastie de la ville sumérienne d’Ur, selon la tradition historiographique mésopotamienne. Mais il s'agit surtout d’un grand empire fondé par les souverains de cette dynastie, qui domina toute la Mésopotamie d’environ 2112 à 2004 av. J.-C. Dans l'histoire mésopotamienne, cette expérience impériale se situe dans la continuité de celle des rois d'Akkad qui l'a précédée de deux siècles environ. La dynastie d'Ur III est toutefois d'origine sumérienne et non akkadienne contrairement à celle du premier empire. Ses rois, administrateurs et lettrés, ayant essentiellement fait usage du sumérien, cette période est parfois appelée « période néo-sumérienne », à laquelle on inclut également la dynastie de Gudea de Lagash qui s'achève avec le début de la domination d'Ur III, et qui constituerait une « renaissance sumérienne » après la domination des Akkadiens, même si cette vision est très discutable. Quoi qu'il en soit, la période d'Ur III est remarquable par la quantité de documentation écrite qui nous est parvenue, en grande majorité de nature administrative, et qui nous donne une connaissance importante du fonctionnement du royaume, de certains aspects de sa société et de son économie. Cette abondance documentaire et l'analyse des pratiques des administrateurs de l'époque ont pu donner l'impression d'un État « bureaucratique ». Il est au moins sûr que cet empire a vu l'administration des institutions officielles (temples et palais) prendre une importance sans précédent et rarement égalée par la suite dans l'histoire mésopotamienne, et a donné lieu à des expériences administratives originales.

• LES ORIGINES ET LE DEVELOPPEMENT DE LA TROISIEME DYNASTIE D’UR :

Au milieu du XXIIe siècle, l'empire d'Akkad est détruit dans des circonstances mal connues : les Gutis semblent être des acteurs importants de ces événements, mais on remarque également que la Basse-Mésopotamie éclate en plusieurs royaumes qui se constituent autour de certaines cités (Uruk et Lagash notamment). Vers 2120 ou 2055, le roi Utu-hegal d'Uruk défait Tiriqan le roi des Gutis. Il peut alors exercer sa souveraineté sur le Sud mésopotamien. Mais son règne est de courte durée. Après environ huit ans de règne, il est détrôné par des notables de la cour à la tête desquels se trouve Ur-Nammu, le gouverneur d'Ur qui est sans doute son propre frère. La tradition mésopotamienne l'a reconnu comme le fondateur de la troisième dynastie d'Ur. L'histoire politique de la troisième dynastie d'Ur est reconstituée en premier lieu grâce aux noms d'années des rois qui sont connus de façon complète à partir du règne de Shulgi. Ils fournissent la durée des règnes, mais aussi leurs événements les plus remarquables (souvent militaires ou cultuels). Par exemple, la sixième année de règne de Shu-Sîn s'intitule « Shu-Sîn, roi d'Ur, a érigé une magnifique stèle pour Enlil et Ninlil » et la septième « Shu-Sîn, roi d'Ur, roi des quatre rives, a détruit le pays de Zabshali ». C'est l'événement considéré comme majeur parmi ceux ayant eu lieu l'année précédente qui est retenu : donc la prise de Zabshali a eu lieu la sixième année du règne de Shu-Sîn. Ces informations peuvent être complétées par plusieurs inscriptions royales, les plus développées sur des événements historiques datant du règne d'Ur-Nammu, tandis que des hymnes dédiés à des rois ou des textes administratifs fournissent des informations complémentaires. Il faut enfin mentionner des textes à caractère historiographique rédigés après la chute du royaume, comme des lettres se présentant comme la correspondance de rois d'Ur et de leurs administrateurs, dont on débat pour savoir dans quelle mesure elles rapportent des informations fiables.

A la découverte de l’Histoire

Cours d’Histoire 2013/2014. G. Durand

2

Au final, la chronologie relative générale de la dynastie peut être établie, mais il reste beaucoup de lacunes. La chronologie absolue est bien plus incertaine : il n'y a pas d'accord pour la datation absolue des règnes, les spécialistes hésitant entre une « chronologie moyenne » et une « chronologie basse », en sachant que les deux restent très approximatives pour une période aussi reculée dans le temps.

L'extension approximative de l'empire de la troisième dynastie d'Ur sous le règne de Shulgi, et son

organisation centre/périphérie.

Ur-Nammu : le fondateur

Dès son intronisation, Ur-Nammu (c. 2112-2095 av. J.-C. selon la chronologie moyenne, 2047-2030 selon la chronologie basse) affirme sa domination sur le territoire dirigé auparavant par Utu-hegal, centré sur Uruk et Ur, puis étend ses possessions sur toute la Basse Mésopotamie. Il prend alors le titre de « roi de Sumer et d'Akkad » symbolisant l'unification des cités-États de la Basse-Mésopotamie comme l'ont fait les rois d'Akkad avant lui. Sa domination en direction du nord-est vers la Diyala passe sans doute par une victoire sur les troupes élamites. Ur-Nammu a procédé par la suite à une réorganisation des territoires dominés : restaurations des grandes villes et de leurs sanctuaires, des canaux d'irrigation, sans doute aussi une réorganisation administrative, tandis que son « Code » symbolise sa volonté de se montrer comme un roi juste. Il est mort au cours d'un combat si on se fie à une tradition postérieure, après environ 18 ans de règne.

A la découverte de l’Histoire

Cours d’Histoire 2013/2014. G. Durand

3

Tablette du Chant d'Ur-Nammu, hymne faisant les louanges de ce roi, rédigé bien après sa mort.

La Stèle d'Ur-Nammu, représentant une scène de culte au Dieu-Lune Nanna.

Shulgi : l'empire d'Ur

C'est alors son fils Shulgi (c. 2094-2047 ou 2029-1982) qui lui succède, dans des conditions difficiles si son père est effectivement mort dans une expédition militaire. De la première vingtaine d'années de son règne ne sont connues que des activités cultuelles, notamment à Ur et Nippur. Les 18 années qui suivent placent ce roi parmi les plus brillants de l'histoire mésopotamienne. Il étend son royaume à la suite de plusieurs conquêtes en direction du nord et surtout vers le nord-est : ses campagnes militaires ont abouti à des victoires dans la région du Haut-Tigre et du Zagros occidental (Arbelès, Simurrum, Lullubum, Kimash, etc.), et l'Élam (Anshan). Des alliances matrimoniales sont arrangées avec des royaumes du plateau Iranien dont le puissant Marhashi, pour trouver des solutions

A la découverte de l’Histoire

Cours d’Histoire 2013/2014. G. Durand

4

pacifiques aux conflits. Les régions conquises sont constituées en provinces-tampons face aux royaumes restés indépendants. Une muraille est construite dans le Nord du pays d'Akkad pour faire face aux incursions des populations du Nord-Ouest, les MAR.TU/Amorrites. Shulgi procède aussi à de nombreuses réformes qui réorganisent profondément les provinces centrales. Une partie de celles-ci a pu être initiée par son père, car il est parfois difficile de démêler l'œuvre de l'un de celle de l'autre. Cela concerne notamment le système de taxation (mise en place du BALA), l'organisation des domaines des temples, la formation des scribes et l'écriture, le calendrier royal, la construction d'un important centre administratif (et peut-être résidence royale) à Puzrish-Dagan. Il en a résulté une bureaucratisation de l'administration, expliquant l'inflation documentaire qui a alors lieu. Le règne de Shulgi a également vu le roi être divinisé et la rédaction de toute une littérature le glorifiant. Plusieurs de ses fils et filles ont été placés à la tête de grands sanctuaires. Shulgi est mort après 48 ans d'un règne bien accompli. Les causes de son décès sont aussi peu claires que celles de son père, et il est possible que ses dernières années aient été tourmentées.

Poids d'une demi-mine consacré au dieu-lune par Shulgi, musée du Louvre

La lente désagrégation du royaume :

Amar-Sîn (c. 2046-2038 ou 1981-1973) succède à son père Shulgi et règne neuf années. Ses troupes combattent à plusieurs reprises dans les périphéries du Nord et de l'Est (Arbèles, Kimash, Huhnur, etc.) où la domination du royaume d'Ur doit être régulièrement affirmée, tandis que les relations diplomatiques avec les rois du plateau Iranien se poursuivent. Le système administratif mis en place par son prédécesseur fonctionne toujours bien. Shu-Sîn (c. 2037-2029 ou 1974-1962), frère ou fils du précédent et régnant lui aussi neuf années, doit à nouveau affirmer son autorité dans les périphéries du nord et de l'est. Le tribut perçu depuis celles-ci semble arriver moins régulièrement, signe d'un affaiblissement de l'emprise du roi d'Ur. Le danger le plus menaçant vient du nord-ouest, du fait des incursions des groupes amorrites.

A la découverte de l’Histoire

Cours d’Histoire 2013/2014. G. Durand

5

Ibbi-Sîn (c. 2028-2004 ou 1963-1940), sans doute le fils du précédent, règne vingt-quatre années durant lesquelles la désagrégation du royaume se poursuit inexorablement. Les archives des grands centres administratifs des régions centrales se sont taries dès le début de son règne. Plusieurs campagnes sont menées contre les entités politiques situées aux marges orientales du royaume (Anshan, Huhnur, Suse) qui ont pris leur autonomie. Par la suite, les provinces proches du centre se rendent à leurs tours indépendantes : c'est bien connu pour Eshnunna et surtout Isin sous la direction d'Ishbi-Erra, gouverneur renégat d'origine amorrite. Les incursions des tribus amorrites sont de plus en plus violentes, tandis qu'une situation de disette éclate. La chute de la troisième dynastie d'Ur a lieu une quarantaine d'années après la mort de son plus grand roi, sous le règne de son petit-fils. Plusieurs causes ont été avancées pour expliquer cet effondrement : l'organisation bureaucratique complexe de l'empire semble lourde et fragile car difficile à maintenir dans la durée, tandis que les gouverneurs provinciaux ne sont bien tenus que quand le pouvoir du souverain est fort, pouvant prendre leur autonomie dès que celui-ci s'affaiblit, à commencer par ceux de la périphérie. De plus, les relations avec les régions voisines n'ont jamais été pacifiées malgré de nombreuses tentatives, notamment avec les royaumes élamites et les tribus des Martu/Amorrites. Plus récemment, un autre type d'explication a été proposé : un réchauffement climatique qui aurait entraîné la disette des dernières années du royaume. Le déroulement exact de la chute d'Ur est mal connu, car il est reconstruit avant tout par des sources postérieures dont la fiabilité est mal établie, notamment les lettres apocryphes évoquées plus haut qui donnent des éléments sur les conditions de la sécession d'Ishbi-Erra d'Isin, qui a lieu sur fond de crise de subsistance. Le coup de grâce semble avoir été porté à Ur par une expédition menée par le roi élamite Kindattu de Simashki, dirigeant une coalition constituée de troupes venant aussi du Zagros. Ibbi-Sîn aurait alors été emmené en Élam avec la statue du dieu Nanna, patron d'Ur, symbolisant sa défaite totale. Néanmoins, les troupes élamites sont ensuite chassées par Ishbi-Erra qui récupère les bénéfices de la chute d'Ur, puisqu'il exerce par la suite l'hégémonie sur les cités de Sumer, sans pour autant être en mesure d'établir un royaume de la taille de celui d'Ur III. Le royaume d'Ur III a posé les bases des grands royaumes qui lui succèdent. Tandis que les Sumériens disparaissaient en tant que peuple, une nouvelle ère s'ouvrait dans l'histoire mésopotamienne, la période paléo-babylonienne ou amorrite. Les premiers rois amorrites (surtout Isin et Larsa) ont assumé l'héritage d'Ur III : leur titulature reprend celle des rois d'Ur, ils continuent un temps à se faire diviniser et patronnent un art et une littérature dans la continuité de ceux de la période néo-sumérienne. Sous les rois d'Isin sont rédigés des textes de « lamentations » commémorant la chute du royaume d'Ur et de ses grandes villes (Ur, Uruk, Nippur et Eridu). Elles ont en fait pour but de justifier la chute d'Ur et de légitimer la domination des nouveaux maîtres du sud mésopotamien en les présentant comme des décisions divines. Des hymnes et récits relatifs aux rois d'Ur III, surtout Ur-Nammu et Shulgi, sont encore recopiés et perpétuent le souvenir de leurs brillants règnes, de même que les lettres apocryphes des rois d'Ur qui sont recopiées dans le milieu scolaire.

• Une « Renaissance sumérienne » ?

La période néo-sumérienne (qui inclut, en plus de la troisième dynastie d'Ur, la seconde dynastie de Lagash, représentée avant tout par le règne de Gudea) a été caractérisée par le passé comme une période de « Renaissance sumérienne », sur la base d'une lecture nationaliste et ethnique de l'histoire antique : les Sumériens auraient perdu le pouvoir sous la dynastie d'Akkad, sémite (« akkadienne »), et les rois d'Ur III marquent leur retour au pouvoir avant leur disparition définitive. Cette grille de lecture a été abandonnée depuis longtemps, et il est couramment reconnu qu'on ne peut pas vraiment déceler de tensions entre Sumériens et Akkadiens dans les derniers siècles du IIIe millénaire. Les rois d'Ur III ont certes utilisé la langue sumérienne comme langue administrative et surtout littéraire, mais celle-ci tend alors à ne plus être une langue vernaculaire sous leur domination, comme l'illustre le fait que les trois derniers rois d'Ur III aient des noms en akkadien. La

A la découverte de l’Histoire

Cours d’Histoire 2013/2014. G. Durand

6

date de disparition du sumérien parlé est controversée : certains pensent qu'il a déjà disparu ou achève de disparaître à cette période, d'autres pensent qu'il existe encore et disparaît dans les premiers siècles du IIe millénaire. Quoi qu'il en soit, le sumérien est alors consacré comme langue littéraire, ce qu'il reste durant les siècles suivants, comme le latin dans l'Europe médiévale. Cette affirmation peut à la rigueur être liée à la primauté qu'exercent les centres scribaux des cités sumériennes à cette période sous la protection des rois, en premier lieu leurs capitales Nippur et Ur84. Pour le reste, l'art, la littérature et l'idéologie des rois d'Ur III ne révèlent pas de rejet de l'héritage des rois d'Akkad, mais au contraire ils s'ancrent dans leur continuité en les intégrant dans leur tradition historiographique comme étant leurs prédécesseurs. Après un règne d'Ur-Nammu marqué par une reprise des traditions anciennes, sans doute par souci de légitimation du fait des conditions de sa prise de pouvoir, les rois suivants accomplissent des changements plus profonds dans l'idéologie royale, en se faisant diviniser (comme les rois d'Akkad avant eux) et mettre en avant dans plusieurs pièces littéraires et dans l'art, ce qui est la caractéristique la plus marquante de la culture des élites de cette période.

• LA LITTERATURE SUMERIENNE

La période d'Ur III a vu la mise par écrit de nombreux textes littéraires en sumérien, la langue littéraire et administrative dominante, même si elle est alors en déclin en tant que langue vernaculaire. Les inscriptions royales et textes relevant des « belles-lettres » ou les rituels ont donc été quasi-exclusivement rédigés en sumérien. Cet épanouissement fut grandement impulsé par le pouvoir royal, notamment Shulgi qui patronna la création d'une institution scolaire (l'É.DUB.BA, souvent traduit par « maison des tablettes ») et donc la réforme de la formation des scribes. Cela explique la forte coloration politique des œuvres littéraires. Les hymnes à la gloire de ce roi le présentent comme un brillant lettré et proclament sa volonté que le genre hymnique soit très répandu dans les temples. Cependant, les versions que l'on connaît des œuvres datables du temps des rois d'Ur sont des copies du XVIIIe siècle provenant en majorité de Nippur (centre culturel majeur et vraisemblablement le lieu d'origine de nombre de ces pièces littéraires), et il est donc difficile de reconstituer avec précision l'histoire littéraire de cette période. Il n'empêche qu'on peut dégager quelques tendances marquantes. Le genre qui paraît le plus en vogue à cette époque est donc celui des hymnes, dédiés à des divinités, des rois ou bien des temples et des villes. Les hymnes royaux sont les plus importants, mettant en avant les qualités remarquables du roi glorifié, commémorant ses réalisations religieuses et ses exploits militaires, ainsi que son intelligence et son charisme. Un groupe d'hymnes d'amour à connotation érotique, notamment dédiés à Shu-Sîn et au couple divin Dumuzi-Inanna, est lié au thème du mariage sacré. Le genre hymnique se divise en plusieurs sous-genres, par exemple les BALBALE qui ont la forme de dialogues. La littérature à caractère historiographique a également pour sujet majeur la royauté. Plusieurs récits sont rédigés pour expliquer la gloire et la chute des prédécesseurs des rois d'Ur, les rois d'Akkad98. La Malédiction d'Akkad met ainsi en scène Naram-Sîn, présenté comme le dernier roi de cette dynastie alors qu'il a eu plusieurs successeurs, et attribue sa chute à son impiété envers le roi des dieux Enlil, qui fait et défait les dynasties suivant sa volonté. Cette vision historiographique classique de la civilisation mésopotamienne ressort également de la Liste royale sumérienne, dont le plus ancien exemplaire connu date de cette période. Elle propose une reconstruction semi-légendaire des dynasties passées ayant eu la royauté grâce aux faveurs divines avant de les perdre à la suite du report de la bienveillance divine vers une autre lignée. La littérature épique a connu une floraison avec la mise par écrit de plusieurs récits une nouvelle fois liée à la dynastie royale, les mythes relatifs aux exploits de trois rois semi-légendaires d'Uruk : Enmerkar, Lugalbanda et Gilgamesh. Les rois d'Ur III, dont la dynastie était originaire d'Uruk, se présentaient en effet comme les descendants de ces héros passés. Ur-Nammu et Shulgi se disaient

A la découverte de l’Histoire

Cours d’Histoire 2013/2014. G. Durand

7

même « frères » de Gilgamesh dans certaines inscriptions, puisqu'ils se voulaient descendants des parents de ce dernier dont la déesse Ninsun. D'autres textes pouvant dater de cette période relèvent du genre des « sagesses », qui se placent au niveau des simples mortels, comme la Lettre de Lu-dingirra à sa mère, dans laquelle un homme exprime son amour filial à sa mère dont il est éloigné, ou Un homme et son dieu, plainte d'un homme envers son dieu personnel pour avoir été accablé de malheur injustement, première variation connue sur le thème du « juste souffrant » qui culmine dans le Livre de Job.

Tablette d'époque paléo-babylonienne de la Lamentation sur la destruction d'Ur, Musée du Louvre.

• L’ART

La période de la troisième dynastie d'Ur est considérée comme assez peu marquante sur le plan artistique. Peu d'œuvres de premier plan nous sont parvenues de cette époque, comparé à la floraison artistique de Lagash sous le patronage de Gudea qui précéda de peu l'avènement des rois d'Ur (ou en est contemporaine). L'art restait fortement inspiré par la tradition des périodes précédentes, et on n'y retrouve pas l'originalité des œuvres littéraires contemporaines. Le règne d'Ur-Nammu est le mieux documenté. C'est sans doute de cette période qu'il faut dater la Stèle d'Ur-Nammu en calcaire brun-rose, retrouvée dans le sanctuaire d'Ur en état très fragmentaire, rendant sa reconstitution problématique. Les bas-reliefs restant témoignent néanmoins d'une grande finesse d'exécution. Les deux faces de la stèle étaient chacune divisées en cinq registres horizontaux présentant une vision classique du rôle cultuel du roi et ses rapports aux dieux : hommage à des divinités assises sur des trônes, scènes de festivités et construction d'un temple pour ce qui est lisible. Une autre stèle, retrouvée à Suse (où elle a été amenée en butin) représente aussi Ur-Nammu dans un contexte cultuel. Ce règne a vu l'élaboration de cônes de fondation originaux car anthropomorphes, représentant le roi en train de soulever au-dessus de sa

A la découverte de l’Histoire

Cours d’Histoire 2013/2014. G. Durand

8

tête une corbeille à briques, symbolisant sa fonction de roi-bâtisseur. Ce type d'objet est courant sous le règne de Shulgi. On dispose aussi de statues datées de la période néo-sumérienne qui ont sans doute été réalisées à la troisième dynastie d'Ur. Une statue en diorite, elle aussi retrouvée à Suse et originaire d'Eshnunna, représente un roi barbu assis sur un trône. Le style des statues de cette époque est très proche de celui de celles retrouvées à Girsu datant du règne de Gudea.

Détail d'une reconstitution possible de la Stèle d'Ur-Nammu : le roi effectue des libations face au dieu Nanna

assis sur son trône.

La glyptique de l'époque d'Ur III est caractérisée par des scènes dites « de présentation » : le détenteur du sceau-cylindre, généralement un fonctionnaire important, est représenté en train de lever la main en signe de prière alors qu'il est guidé par une divinité vêtue d'une robe à franges en direction d'un grand dieu ou d'un roi divinisé assis sur un trône, tenant souvent une petite coupe. Un symbole astral surmonte la scène. Ce thème, déjà populaire sous l'empire d'Akkad, devient alors très courant, standardisé, et se banalise durant les siècles suivants. Il semble lié à l'existence d'une haute classe de grands fonctionnaires de l'État proches du souverain et à l'affirmation de l'aspect sacré de la fonction de celui-ci.

Empreinte de sceau-cylindre représentant une scène de présentation : Harshamer, gouverneur d'Ishkun-Sîn,

est présenté au roi Ur-Nammu divinisé assis sur son trône

A la découverte de l’Histoire

Cours d’Histoire 2013/2014. G. Durand

9

• L’ARCHITECTURE

Les rois d'Ur III ont été des bâtisseurs très actifs. La majorité des inscriptions officielles (ainsi que quelques noms d'années) de cette période commémorent les constructions et restaurations qu'ils ont patronnées, ainsi que celles que plusieurs de leurs gouverneurs ont fait entreprendre. Ces travaux ont concerné les métropoles du pays de Sumer mais aussi les principaux centres des provinces centrales et périphériques. Peu de ces édifices ont été mis au jour par les archéologues, car ils ont bien souvent été remaniés par les souverains des périodes suivantes ou bien supplantés par d'autres édifices. Même le complexe cultuel du centre d'Ur qui est généralement considéré comme exemplaire de l'architecture de cette période est en fait surtout connu pour la période d'Isin-Larsa (début du IIe millénaire), même s'il est vrai que son plan et son organisation n'ont pas fait l'objet de remaniements substantiels. L'autre site pour lequel plusieurs constructions de la période d'Ur III ont pu être mises au jour est Tell Asmar, l'antique Eshnunna (un palais et un temple dédié à Shu-Sîn). Les inscriptions indiquent que les attentions des rois se sont surtout portées vers des édifices cultuels, et de toute façon ils n'avaient pas l'habitude de commémorer la construction d'édifices profanes en dehors des canaux et des ouvrages militaires. Parmi ces derniers, il y a plusieurs mentions de constructions défensives : les murailles d'Ur par Ur-Nammu, ainsi que les murs érigés par Shulgi et Shu-Sîn dans le Nord de la région centrale pour repousser les incursions des peuples du nord. Les seuls édifices à finalité profanes connus pour cette période sont le palais de Shu-iliya d'Eshnunna et l'Ehursag d'Ur si on l'interprète comme un palais. Ils étaient organisés autour d'une cour centrale desservant plusieurs unités, dont une pièce pouvant être identifiée comme une salle du trône et plusieurs espaces de réception. Ils peuvent donc être considérés comme un lien entre les palais des Dynasties archaïques et ceux des premiers siècles du IIe millénaire106. Pour ce qui concerne les édifices religieux, les rois d'Ur sont surtout connus pour les travaux qu'ils ont fait exécuter dans les grands complexes religieux sumériens : Ur, Eridu, Uruk et Nippur. Celui de leur capitale est le mieux connu : le grand temple du dieu Nanna était organisé autour de deux grandes cours, la plus vaste, construite sur une terrasse comprenant les salles principales du culte et la ziggurat É.TEMEN.NI.GUR (« Maison au fondement imposant »). Au sud se trouvaient d'autres édifices majeurs : le Giparu, divisé entre la partie servant de résidence de la grande prêtresse de Nanna et le temple de la déesse Ningal, le Ganunmah qui servait probablement d'entrepôt, l'Ehursag déjà évoqué qui était peut-être un palais royal. Plus au sud encore se trouvait un bâtiment cultuel avec des tombes souterraines souvent identifié comme le mausolée de Shulgi et d'Amar-Sîn même si cette fonction est loin d'être acquise. Les quatre lieux de culte majeurs ont été dotés de tels complexes, tous dominés par les imposantes ziggurats qui sont généralement considérées comme des innovations de cette période, même si elles semblent prendre la place de plus anciens temples sur terrasse qu'elles ont recouverts (au moins à Uruk et Ur). Il s'agissait de vastes édifices de base rectangulaire (62,50 × 43 mètres à Ur), constitués de trois terrasses superposées sans doute surplombées par un temple haut. Leur fonction religieuse reste débattue, mais leur aspect monumental est évident. Elles sont la meilleure illustration par l'architecture des capacités du royaume d'Ur à mobiliser d'importantes ressources et planifier des travaux de grande ampleur grâce à son appareil administratif. Pour les réaliser, les maîtres d'œuvre reprennent et perfectionnent les techniques architecturales développées par leurs prédécesseurs : mise au point de briques standardisées, d'un appareil ingénieux alternant briques posées de chant et briques posées à plat, massif en briques crues recouvert d'un revêtement en briques cuites plus solides, chaînage de lits de roseaux et ancrage avec des cordes en roseau tressé.

A la découverte de l’Histoire

Cours d’Histoire 2013/2014. G. Durand

10

Ruines de la ziggurat d'Ur.

A la découverte de l’Histoire

Cours d’Histoire 2013/2014. G. Durand

11

LA PERIODE PALEO-BABYLONIENNE OU AMORRITE (1900-1600 av. J.-C.)

L'histoire babylonienne est traditionnellement divisée en trois phases. La période dite paléo-babylonienne couvre trois siècles, de 1894 à 1595 avant J.-C. ; elle fut dominée par la figure de Hammurabi. L'époque médio-babylonienne commença par plusieurs siècles de domination kassite et s'acheva avec les invasions araméennes. C'est enfin dans le courant du Xe siècle que débuta la troisième phase, dite néo-babylonienne. Elle vit d'abord une longue confrontation avec les Assyriens, avant de connaître son apogée sous Nabuchodonosor. En 539 avant J.-C., les Perses s'emparèrent de la Babylonie, qui perdit définitivement son indépendance politique.

• DES ORIGINES MODESTES

Attestée dès l'époque d'Akkad (2340-2200 avant J.-C. environ), Babylone avait été le siège d'un gouvernorat sous l'empire néo-sumérien d'Ur. La disparition de celui-ci en 2004 avant J.-C. permit à des dynasties d'origine amorrite de s'emparer du pouvoir dans la plaine mésopotamienne. On ignore tout du sort de Babylone durant le XXe siècle, qui vit s'affronter les dynasties d'Isin et de Larsa. Aux alentours de 1900, toute une série de villes de Babylonie du nord devinrent à leur tour des centres de pouvoir autonomes. Babylone fut le siège d'une de ces dynasties : Sûmû-abum (1894-1881) s'y déclara roi, mais il n'eut, semble-t-il, pas de descendance et le pouvoir passa alors à Sûmû-la-El (1880-1845). C'est ce dernier qui fut considéré par les rois de Babylone postérieurs comme l'ancêtre de leur lignée. Sous son règne, tous les petits royaumes environnants furent progressivement absorbés par Babylone. Dès lors, les principales villes du royaume de Babylone, outre la capitale, furent Sippar au nord, Kish à l'est, Borsippa, Dilbat et Marad au sud. Sûmû-la-El conclut une alliance avec le roi d'Uruk Sîn-kâshid à qui il donna sa fille Shallurtum en mariage. Son fils Sabium (1844-1831) affronta les troupes de Larsa, sur lesquelles il prétend avoir remporté une victoire. Apil-Sîn (1830-1813) repoussa les frontières du royaume de Babylone jusqu'au Tigre. Sîn-muballit (1812-1793) agrandit au contraire son territoire vers le sud ; il réussit même à conquérir les villes d'Isin et de Nippur, dont le roi de Larsa Rîm-Sîn reprit toutefois rapidement possession.

• UN EMPIRE PALEO-BABYLONIEN EPHEMERE

Les règnes de Hammurabi (1792-1750) et de son fils Samsu-iluna (1749-1712) marquèrent l'apogée de la première dynastie de Babylone. Le premier tiers du règne de Hammurabi, mal connu, est marqué par des exploits sans lendemains. En 1776 mourut Samsî-Addu : le vaste royaume que ce dernier avait créé en Haute Mésopotamie fut démembré, mais Babylone n'en profita pas immédiatement. Dans un premier temps, c'est en effet le roi d'Eshnunna, Ibâl-pî-El II, qui tenta de reconstituer à son profit le royaume de Haute Mésopotamie. Lorsqu'Ibâl-pî-El s'en prit au royaume de Mari, Hammurabi se rangea du côté de son roi, Zimrî-Lîm. Une paix de compromis fut conclue en 1770 ; Zimrî-Lîm récupéra la région du Suhûm. Un problème surgit alors avec Hammurabi concernant la délimitation de la frontière sur l'Euphrate entre les royaumes de Mari et de Babylone ; les négociations achoppèrent sur le statut de Hît. Cinq ans plus tard, l'empereur d'Elam attaqua Eshnunna : Hammurabi, tout comme Zimrî-Lîm, apporta son aide aux attaquants venus d'Iran. Mal leur en prit, car l'Élamite, sitôt Eshnunna conquise, exigea une soumission inconditionnelle. Hammurabi prit alors la tête d'une alliance anti-élamite qui finit par triompher : ce fut sa première grande victoire (an 29, soit 1764 avant J.-C.). Dès lors, les succès s'enchaînèrent. Ce fut d'abord l'annexion du royaume de Larsa (an 30, soit 1763 avant J.C.) qui augmenta considérablement sa puissance et sa richesse. Hammurabi étendit ensuite son influence sur la région du Djebel Sindjar. L'année suivante (an 31, soit 1762), Silli-Sîn d'Eshnunna ayant pris les armes contre Babylone, fut vaincu. Puis vint le tour de Mari, que Hammurabi épargna dans un premier temps (an 33, soit 1760) puis finit par détruire totalement après l'avoir vidée de ses richesses (an 34, soit 1758). Heureusement pour les historiens, les archives furent pour l'essentiel laissées sur place, ensevelies dans les ruines du palais. Hammurabi étendit ensuite sa domination

A la découverte de l’Histoire

Cours d’Histoire 2013/2014. G. Durand

12

vers le nord, dans les régions riveraines du Tigre. Les événements de la fin de son règne sont moins connus, la source essentielle que constituent les archives de Mari étant tarie. À sa mort, Hammurabi légua à son fils Samsu-iluna un véritable empire, qui ne devait lui survivre qu'une douzaine d'années.

L'extension approximative du royaume babylonien sous le règne de Hammurabi et de ses successeurs.

Hammurabi ne fut pas seulement un conquérant. Ce fut aussi un habile diplomate, comme le montrent de nombreux comptes rendus des audiences qu'il tenait dans son palais de Babylone, rédigés par des ambassadeurs mariotes pour leur souverain Zimrî-Lîm. Ses talents d'administrateur sont visibles dans sa correspondance, quelques centaines de lettres, adressées en particulier à plusieurs responsables de l'ancien royaume de Larsa, comme Sîn-iddinam ou l'intendant du domaine royal, Shamash-hâzir. Ses grands travaux ne peuvent plus guère se juger que d'après ses inscriptions commémoratives et ses noms d'années, qui célèbrent également les ex-votos qu'il voua à de nombreuses divinités. Mais c'est bien entendu son activité législative qui a le plus contribué à perpétuer son nom, dans l'antiquité comme de nos jours ; son « Code de lois » se voulait d'ailleurs aussi un mémorial.

A la découverte de l’Histoire

Cours d’Histoire 2013/2014. G. Durand

13

Le roi Hammurabi de Babylone face au dieu Shamash, détail de la stèle du Code de Hammurabi, XVIIIe siècle.

Détail de « lois » inscrites sur la stèle du Code de Hammurabi, musée du Louvre

« § 209 : Si quelqu'un a frappé une fille de notable (awīlum) et lui a fait expulser son fœtus, il payera 10 sicles (environ 80 g) d'argent pour le fœtus. § 210 : Si cette femme est morte, on tuera sa (= de l'agresseur) fille. § 211 : S'il a fait expulser son fœtus à la fille d'un homme du peuple (muškēnum) en (la) frappant, il payera 5

sicles (environ 40 g) d'argent. § 212 : Si cette femme est morte, il payera une demi-mine d'argent. § 213 : S'il a frappé l'esclave femme (amtum) de quelqu'un et lui a fait expulser son fœtus, il payera 2 sicles (environ 16 g)

d'argent. § 214 : Si cette esclave est morte, il payera un tiers de mine d'argent. »

A la découverte de l’Histoire

Cours d’Histoire 2013/2014. G. Durand

14

Samsu-iluna occupa le trône de Babylone trente-neuf ans, de 1749 à 1712 avant J.-C. Dès l'an 8 éclata une triple crise : économique, politique et militaire. La situation économique se dégrada si rapidement que le roi fut obligé, huit ans après sa première remise de dettes – mîsharum – d'en proclamer une seconde. On constate d'autre part la volonté d'indépendance des cités du sud, mal résignées à la domination babylonienne malgré l'habileté dont Hammurabi avait fait preuve. Le mieux connu des « vingt-six rois rebelles » que Samsu-iluna dut alors affronter, est le souverain de Larsa Rîm-Sîn II. Pour Samsu-iluna, la situation se compliqua encore davantage avec une invasion, celle des Kassites, sur lesquels il remporta une victoire. La reprise en main de la situation par Samsu-iluna, qui eut lieu dans le courant de sa dixième année, fut de courte durée. Dès la fin de l'an 11, la documentation écrite à Ur, Uruk et Larsa s'interrompt, et ce pour plusieurs siècles. On a pu repérer des indices archéologiques montrant que ces sites ont été abandonnés pendant une longue période. Que devinrent les habitants de ces villes ? Il semble qu'un exil massif vers le nord se produisit alors. On a en particulier de nombreuses traces de la présence d'habitants d'Uruk réfugiés à Kish, et de leurs descendants, à la fin de la première dynastie. Une deuxième période dans le règne de Samsu-iluna s'ouvrit en l'an 12. Après avoir vaincu le roi d'Eshnunna et imposé son autorité dans la vallée de la Diyala, Samsu-iluna s'aventura en 1728 jusqu'au cœur du « triangle du Habur ». Il y mit fin au royaume d'Apum. La destruction de sa capitale, Shubat-Enlil/Shehnâ, est pour nous providentielle, car dans les décombres du palais de la ville basse de Tell Leilan, partiellement fouillé en 1985 et 1987, on a découvert une fraction des archives des rois locaux datant des décennies précédentes. Samsu-iluna tenta ensuite de rééquilibrer son royaume en direction du Moyen Euphrate. Il construisit une petite ville fortifiée à Harrâdum, qui a été découverte par une équipe française à Khirbet ed-Diniye ; il s'agissait d'un point fortifié avant sa campagne contre Terqa, qui eut lieu en l'an 27. Le fils du roi local fut installé sur le trône, sous tutelle babylonienne. L'année 30 de Samsu-iluna fut marquée par une nouvelle amputation territoriale. Ce qui restait du sud sumérien fut perdu, dans des conditions encore obscures. Comme dix-huit ans plus tôt à Ur, Larsa ou Uruk, la documentation écrite s'interrompt à Isin et à Nippur pour plusieurs siècles. Les dernières années du règne sont très mal connues. Samsu-iluna s'est donc révélé incapable de conserver tel quel l'empire créé par son père. En deux étapes, en l'an 12 puis en l'an 30 de son règne, le sud de la Babylonie échappa pour des siècles à la domination babylonienne.

• LA FIN DE LA PREMIERE DYNASTIE DE BABYLONE

Les quatre derniers rois de la première dynastie régnèrent pendant plus d'un siècle, généralement désigné comme période paléo-babylonienne tardive. Il ne semble pas y avoir eu de difficultés de succession, et les règnes de ces souverains ont été longs, ce qui est souvent considéré comme un gage de stabilité. Toutefois, les signes d'un déclin politique sont évidents. La raréfaction des inscriptions commémoratives n'est pas due au hasard des fouilles, étant donné l'abondance des sources d'archives pour la même période : plus de 1700 textes juridiques et administratifs publiés, sans compter des centaines de lettres. On ne peut manquer en outre d'être frappé par une inflexion dans la thématique des formules de « noms d'années » : la commémoration des événements militaires est réduite à la portion congrue, de sorte qu'il est impossible d'écrire une histoire politique un tant soit peu continue. La raréfaction des sources officielles ne doit cependant pas nous conduire à une vision misérabiliste de la première dynastie de Babylone sous ses quatre derniers souverains. Il apparaît que plusieurs tentatives de reconquête furent menées, dans trois directions principales : vers le sud, le long de la Diyala et enfin vers le Moyen Euphrate, où l'autorité d'Ammi-zaduqa et Samsu-ditana fut reconnue jusqu'à Terqa, comme l'ont montré les textes récemment découverts à Tell Ashara. Même si le temps n'est plus où les invasions servaient systématiquement aux historiens à expliquer les changements dans l'histoire de la Mésopotamie, force est de constater que la fin de la première

A la découverte de l’Histoire

Cours d’Histoire 2013/2014. G. Durand

15

dynastie est étroitement liée à des mouvements de population, notamment des Kassites, des Hourrites et des Hittites. D'après une chronique babylonienne récente, sous Samsu-ditana, les armées hittites de Mursili envahirent la Babylonie en 1595.

• L’ART PALEO-BABYLONIEN : Si l'art mésopotamien du début du IIe millénaire est plutôt bien documenté, les œuvres provenant du royaume babylonien sont peu nombreuses. L'une des formes d'art les mieux connues est la sculpture sur terre cuite. Elles représentent souvent des divinités, avec leurs symboles, ainsi que des scènes mythologiques et parfois des scènes profanes ou érotiques. Ces objets étaient sans doute les plus accessibles au peuple babylonien. Ils ont pu être offerts à des temples, ou ont eu une fonction protectrice dans des maisons, ou ont pu servir d'images cultuelles dans de petits sanctuaires. C'est sans doute la forme d'art la moins élitiste qui soit connue. La sculpture sur pierre de la période paléo-babylonienne reprend les codes artistiques posés durant les siècles précédents, sans originalité. On connaît des exemples de bas-reliefs sur stèles comme celui qui domine la stèle du Code de Hammurabi représentant le roi debout en prière face du dieu Shamash assis sur un trône. Deux autres sculptures représentent peut-être ce même souverain : une stèle en calcaire vouée par un fonctionnaire royal à la déesse Ashratum, fragmentaire, et une tête qui appartenait à une statue en ronde-bosse en diorite dont le corps a été perdu, représentant un roi idéalisé, sans expression. Des statuettes en matière vitreuse, couramment appelée « faïence », sont également connues.

Tête sculptée d'un roi inconnu (Hammurabi ?), le reste du corps ayant disparu, diorite, Musée du Louvre.

A la découverte de l’Histoire

Cours d’Histoire 2013/2014. G. Durand

16

Des statuettes en métal ont également été réalisées par les artisans de l'époque, la plus remarquable étant l'« adorant de Larsa », en cuivre partiellement plaqué d'or. Elle représente un personnage genou à terre levant la main, geste d'hommage au dieu Amurru auquel elle a été vouée par un certain Lu-Nanna « pour la vie de Hammurabi ». D'autres statuettes en métal, représentant des orants ou des animaux, témoignent également du grand niveau de maîtrise atteint par les fondeurs et orfèvres de la Basse Mésopotamie à cette période. Ils maîtrisent depuis plusieurs siècles des techniques comme l'incrustation, de soudage et de filigrane, et cela se voit dans les bijoux en or qu'ils réalisent, notamment des épingles, et des pendentifs et pendeloques représentant des symboles divins (croissant de lune, disque solaire, foudre) ou des déesses-protectrices suivant un style international courant à cette période. En ce qui concerne la glyptique, son support privilégié est alors le sceau-cylindre caractéristique de la civilisation mésopotamienne, dont le nombre croît fortement à la période paléo-babylonienne avec la multiplication des actes juridiques qu'il servait à authentifier89. Ces cylindres sont taillés dans plusieurs types de pierres : l'hématite surtout, mais aussi la cornaline, la chlorite, la serpentinite, l'agate, le cristal de roche, le calcaire, etc. Les artisans spécialisés dans la réalisation de sceau-cylindres, les lapicides, ont développé au début du IIe millénaire de meilleures techniques de travail de la pierre, notamment pour la perforation. Les représentations qui sont gravées sur les sceaux-cylindres, pensées pour pouvoir se dérouler en continu, reprennent souvent un type de scène dit « de présentation » déjà courant à la période d'Ur III, mettant en scène le roi au service duquel est le détenteur du sceau (dont le nom est souvent inscrit), en position d'orant, face à des divinités protectrices (les déesses Lama), ou des divinités importantes du panthéon comme Shamash ou Ishtar.

L'« adorant de Larsa », statuette en cuivre d'un homme en position de prière offerte au dieu Amurrum, règne

de Hammurabi, musée du Louvre. L'inscription de dédicace dit : « À Amurrum, son dieu, pour la vie de Hammurabi, roi de Babylone, et pour sa propre vie, Lu-Nanna, [(titre)], fils de Sîn-le'i, a façonné une statuette

de cuivre (en attitude) de suppliant, le visage plaqué or, et la lui a vouée pour (qu'elle représente) son serviteur. »