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Introduction Dans son Historia Anglicana, Thomas de Walsingham rapporte l’événement suivant, survenu en l’an 1275 : « Un français fortuné importa au Northumberland une brebis d’Espagne aussi grosse qu’un veau de deux ans, laquelle brebis, étant rotten, infecta si bien le pays que (le mal) se répandit dans tout le royaume. Cette peste animale dura vingt-huit ans avant de s’éteindre, et ce fut le premier rot connu en Angleterre ». Fleming, qui reproduit cette citation, hésite sur la signification exacte des mots rotten et rot employés par Thomas de Walsingham, mais conclut que la brebis (mérinos espagnole) était, probablement, atteinte à la fois de gale et de clavelée (6). Quoi qu’il en soit, ce texte est, à notre connaissance, le premier rapport documenté permettant de retracer l’origine d’une épizootie en Europe. Plusieurs siècles après le drame qui frappa l’élevage ovin anglais, une autre maladie fut introduite en Europe Rev. sci. tech. Off. int. Epiz., 2001, 20 (2), 413-419 Histoire de la traçabilité des animaux et des produits d’origine animale J. Blancou Directeur général honoraire de l’Office international des épizooties, 11 rue Descombes, 75017 Paris, France Résumé L’histoire de la traçabilité des animaux vivants et des produits d’origine animale est étudiée depuis l’Antiquité jusqu’au XIX e siècle. Cette étude permet de constater que les éleveurs, les propriétaires d’animaux ou les responsables de la production et de la santé animale ont eu, très tôt, le souci de cette traçabilité. En ce qui concerne les animaux vivants, leur identification individuelle par des marques corporelles remonte à plus de 3 800 ans (Code de Hammurabi ). Le marquage au feu, accompagné (ou non) d’un relevé écrit des caractéristiques de l’animal a été pratiqué dans la plupart des civilisations de l’Antiquité. Cette dernière méthode de marquage était employée essentiellement pour les animaux de valeur, notamment les chevaux, et elle s’accompagnait d’un enregistrement écrit. Le marquage individuel indélébile de diverses autres espèces animales s’est poursuivi aux siècles suivants, par exemple celui des cygnes appartenant aux rois d’Angleterre dès le XIII e siècle. Le marquage à visée sanitaire ne s’est développé que plus tard, à l’occasion des grandes épizooties (peste bovine, péripneumonie contagieuse bovine, morve, rage, etc.). Il s’est alors accompagné de mesures très pratiques et de sanctions beaucoup plus sévères que de nos jours en cas d’infraction. Sans disposer des méthodes modernes de la traçabilité, les anciens s’étaient bien assurés, dès le XVII e siècle, d’un marquage indélébile des animaux (fer rouge) et d’une certification sanitaire rigoureusement appliquée. Les produits d’origine animale ont été, également, très surveillés, notamment lors des épidémies de peste humaine du XIV e siècle. Certains de ces produits ne pouvaient faire l’objet d’échanges internationaux sans être accompagnés d’un certificat d’origine garantissant leur innocuité. Lors des grandes épizooties du XVIII e siècle, certains produits contaminés (viande, cuirs) étaient découpés, entaillés ou recouverts de chaux pour les reconnaître et les rendre inconsommables ou invendables. Mots-clés Identification – Histoire – Marquage – Produits animaux – Traçabilité.

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IntroductionDans son Historia Anglicana, Thomas de Walsingham rapportel’événement suivant, survenu en l’an 1275 : « Un françaisfortuné importa au Northumberland une brebis d’Espagneaussi grosse qu’un veau de deux ans, laquelle brebis, étantrotten, infecta si bien le pays que (le mal) se répandit dans toutle royaume. Cette peste animale dura vingt-huit ans avant des’éteindre, et ce fut le premier rot connu en Angleterre ».

Fleming, qui reproduit cette citation, hésite sur la significationexacte des mots rotten et rot employés par Thomas deWalsingham, mais conclut que la brebis (mérinos espagnole)était, probablement, atteinte à la fois de gale et de clavelée (6).Quoi qu’il en soit, ce texte est, à notre connaissance, le premierrapport documenté permettant de retracer l’origine d’uneépizootie en Europe.

Plusieurs siècles après le drame qui frappa l’élevage ovinanglais, une autre maladie fut introduite en Europe

Rev. sci. tech. Off. int. Epiz., 2001, 20 (2), 413-419

Histoire de la traçabilité des animaux et des produits d’origine animale

J. Blancou

Directeur général honoraire de l’Office international des épizooties, 11 rue Descombes, 75017 Paris, France

RésuméL’histoire de la traçabilité des animaux vivants et des produits d’origine animale estétudiée depuis l’Antiquité jusqu’au XIXe siècle.Cette étude permet de constater que les éleveurs, les propriétaires d’animaux oules responsables de la production et de la santé animale ont eu, très tôt, le soucide cette traçabilité.En ce qui concerne les animaux vivants, leur identification individuelle par desmarques corporelles remonte à plus de 3 800 ans (Code de Hammurabi ). Lemarquage au feu, accompagné (ou non) d’un relevé écrit des caractéristiques del’animal a été pratiqué dans la plupart des civilisations de l’Antiquité. Cettedernière méthode de marquage était employée essentiellement pour les animauxde valeur, notamment les chevaux, et elle s’accompagnait d’un enregistrementécrit. Le marquage individuel indélébile de diverses autres espèces animales s’estpoursuivi aux siècles suivants, par exemple celui des cygnes appartenant aux roisd’Angleterre dès le XIIIe siècle.Le marquage à visée sanitaire ne s’est développé que plus tard, à l’occasion desgrandes épizooties (peste bovine, péripneumonie contagieuse bovine, morve,rage, etc.). Il s’est alors accompagné de mesures très pratiques et de sanctionsbeaucoup plus sévères que de nos jours en cas d’infraction. Sans disposer desméthodes modernes de la traçabilité, les anciens s’étaient bien assurés, dès leXVIIe siècle, d’un marquage indélébile des animaux (fer rouge) et d’une certificationsanitaire rigoureusement appliquée.Les produits d’origine animale ont été, également, très surveillés, notamment lorsdes épidémies de peste humaine du XIVe siècle. Certains de ces produits nepouvaient faire l’objet d’échanges internationaux sans être accompagnés d’uncertificat d’origine garantissant leur innocuité. Lors des grandes épizooties duXVIIIe siècle, certains produits contaminés (viande, cuirs) étaient découpés,entaillés ou recouverts de chaux pour les reconnaître et les rendreinconsommables ou invendables.

Mots-clésIdentification – Histoire – Marquage – Produits animaux – Traçabilité.

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occidentale : la peste bovine. Dans ce cas il fut, également,possible de retrouver la trace de l’animal à l’origine del’introduction de l’épizootie en Italie. Il s’agissait d’un bœufhongrois dont l’histoire est résumée en ces termes par Reynal :« Tout le monde connaît l’histoire du bœuf Boromée, tellequ’elle a été recueillie par le célèbre Lancisi : le 27 août 1711,un troupeau de bœufs infectés venant de la Hongrie débarquasur le territoire de Venise ; il traversa le village de Sermeola, àune distance de deux lieues de Bidoa. Un bœuf s’égara dans ledomaine Pampagnini, appartenant au frère Boromée. Le pâtrele recueillit, l’hébergea dans les étables. L’animal fut rendu à sonpropriétaire, mais huit jours après que l’hospitalité eût étédonnée à ce bœuf, toutes les bêtes bovines de la fermetombèrent malades et succombèrent » (15).

De cette ferme la maladie s’étendit sur tout le territoire deVenise, puis à de nombreux autres pays d’Europe occidentaleoù plus de 200 millions de bovins périrent avant la fin dusiècle (13).

Ces deux exemples démontrent que, depuis des temps trèsanciens, les autorités sanitaires ont conduit des enquêtesépidémiologiques visant à retrouver l’origine d’une épizootie, etsemblent y avoir réussi. Si les responsables de ces enquêtes nepouvaient bénéficier des méthodes scientifiques d’investigationdisponibles aujourd’hui (bactériologiques, virologiques,sérologiques et génétiques), ils utilisaient souvent des procédésplus directs, tels que la dénonciation ou l’application de lourdespeines (y compris la mort) en cas de « rétention d’information »(voir ci-dessous).

Dans la suite de cet exposé nous présenterons quelques-unesdes méthodes employées aux siècles passés pour identifier etsuivre les animaux ou les produits d’origine animale.

Traçabilité des animauxLes éleveurs ou les propriétaires d’animaux vivants ont eu,depuis très longtemps, le souci d’identifier leurs animaux pourles retrouver (en cas de perte ou de vol), pour les orienter verstel ou tel secteur de production ou d’activité, ou pour lesvaloriser.

Les trois principaux systèmes d’identification utilisés jadisfaisaient appel :

– soit à un document signalétique, attestation ou certificatpouvant se référer à un signe distinctif, ou à une marque,identifiant l’animal. Ce document était détenu par leresponsable de l’animal identifié, et éventuellement enregistrépar une autorité nationale ;

– soit à une simple marque corporelle apposée directement surle corps de l’animal (peau, cornes, sabots, pattes, bec, etc.) ;

– soit à une marque extérieure amovible (collier, bagues, etc.)attachée à l’animal.

Identification et enregistrement des animaux

L’identification des animaux, accompagnée d’un enregistrementde cette identification, pouvait avoir différents objectifs :zootechniques, administratifs, prophylactiques, etc.

L’identification des animaux de valeur ou appartenant à des services officiels

Les premiers fichiers signalétiques remontent, probablement, àdes temps très reculés lorsqu’on sait la valeur qu’attachaient lespeuples de l’Antiquité à leurs animaux domestiques etnotamment à leurs chevaux.

C’est ainsi que le cheval d’Alexandre le Grand (356-323 av. J.-C.), dénommé Bucéphale, devait sans doute son nom à latête de bœuf qui avait été reproduite, au fer rouge, sur sonpoitrail et sa croupe. Selon Karin Braun, le nom de ce cheval,comme tous ceux de la cavalerie athénienne, était reporté surdes tablettes en plomb qui accompagnaient les animaux et surlesquelles étaient, également, inscrits la couleur de la robe del’animal marqué, le nom de son propriétaire et le prix del’animal (8).

Sous l’Empire romain, les chevaux engagés dans des courses dechars étaient marqués au fer du nom de leur propriétaire et deleurs éleveurs (12).

Au VIIe siècle, les Chinois utilisaient également des marques aufeu (ou des entailles dans les oreilles), notamment pouridentifier les chevaux employés dans les services postaux ou lesanimaux reproducteurs des haras impériaux, et le nom de cesanimaux était reporté dans un registre officiel.

Les chevaux appartenant aux chevaliers de l’ordre Teutonique(Prusse) étaient également identifiés au fer rouge aux XIVe etXVe siècles (9).

Au XVIIe siècle, en Perse, les chevaux des haras royaux étaienttous enregistrés et marqués au fer rouge d’une tulipe. Certainsde ces chevaux étaient confiés à des cavaliers qui en avaientl’usage et la responsabilité jusqu’à la mort de l’animal. Lorsquece dernier mourait, le responsable devait découper la peaumarquée, attenante au muscle sous-jacent et apporter cettepièce à conviction au grand écuyer du roi. Ce dernier rayaitalors le nom de l’animal du registre, non sans avoir, aupréalable, fait jurer au responsable de l’animal que celui-cin’était pas mort faute de soins, ou n’avait pas été sacrifié,« ce que l’écuyer vérifiait en immergeant la pièce à convictiondans l’eau pendant quelques heures », puis il la détruisaitdéfinitivement (1 ; H. Tadjbakhsh, communication personnelle).

L’identification des animaux en vue de contrôlerles épizooties

La présentation de documents écrits accompagnant lesanimaux et certifiant leur origine fut à nouveau exigée en

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Europe lors des grandes épizooties qui frappèrent ce continentau cours des années 1700.

Les premiers certificats de ce type ont été exigés au début duXVIIIe siècle. En voici deux exemples :

– Le 20 octobre 1716, Frédéric-Guillaume Ier, roi de Prusse,rappela par décret les mesures à appliquer pour éviterl’extension de la peste bovine : les animaux importés des paysétrangers ou déplacés dans le royaume, devaient être marquésau fer rouge, à la corne droite, des lettre F/W (FriedrichWilhelm). Ils étaient accompagnés d’un document datéprécisant leur origine et le nom de leur propriétaire. En casd’achat de ces bovins par un boucher, ce dernier était tenud’apposer ses propres initiales sur la corne gauche et d’attendretrois jours avant l’abattage (pour vérifier que l’animal n’était pasen incubation de la maladie). Certaines de ces mesures avaientdéjà été édictées en 1711 et 1714. Les contrevenants étaientemprisonnés, marqués aux fers, ou exécutés, selon l’importancedu délit (19).

– Le 19 juillet 1746, le Conseil d’État du roi de France prendun arrêt « qui indique les précautions à prendre contre lamaladie épidémique sur les bestiaux ». Cet arrêt prévoyait,notamment, que les animaux qui étaient atteints de pestebovine devaient être marqués à la corne de la lettre M et abattussur le champ. Tous les animaux sains déplacés de leursétablissements d’origine devaient, par ailleurs, êtreaccompagnés d’un certificat d’officier de police (visé par le curéou un officier de justice). Ce document mentionnait la ville (oula paroisse) d’origine de ces animaux, l’état de ces villes etparoisses « sur le fait de la maladie » ainsi que le nombre et ladésignation des bêtes déplacées. Il était requis à l’entrée desfoires et marchés et ceux qui délivraient des certificats« contraires à la vérité » étaient passibles d’une amende de1 000 livres, et d’une peine « afflictive ou infamante » (15).

La présentation de ces certificats d’origine fut rendue obligatoireultérieurement, dans de nombreux pays, et pour différentesmaladies. C’est ainsi que Delafond suggérait, en 1844, decompléter le système de marquage prévu en 1746, 1784 et1795 en cas de peste bovine pour l’appliquer au cas particulierde la péripneumonie contagieuse bovine. Ce marquage auraitalors été effectué au fer rouge « à l’épaule plutôt que sur la corneou le sabot car ces marques peuvent être effacées en raclant lacorne ». Il aurait utilisé les lettres M (malade), S (suspect) ou G(guéri) (2).

Marques corporellesNombre des documents signalétiques mentionnésprécédemment se référaient à des marques individuelles,apposées directement sur le corps de l’animal. Nous présentonsci-après les plus usitées d’entre elles.

Les marques au feuLa marque consécutive à l’application, sur la peau des animaux,d’un fer rougi au feu semble avoir été une méthode très

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ancienne puisque des bas-reliefs égyptiens représentent desbovins couchés, les quatre membres attachés, ainsi marqués àl’épaule gauche (13).

Par ailleurs, comme nous l’avons indiqué précédemment, leschevaux de l’armée grecque, ceux des services postaux ou desharas chinois, ou ceux des chevaliers Teutoniques, étaient aussimarqués au feu. Ce procédé semble avoir été également utilisépar les éleveurs de bovins romains, si l’on se réfère à ce conseilde Virgile (70-19 av. J.-C.) dans les Géorgiques (livre III, 157-161) : « Lorsque les étables seront remplies de petits,l’éleveur méthodique procédera à un classement, en marquantles veaux au fer chaud, pour indiquer leur origine et distinguerceux qu’on choisit pour perpétuer le cheptel, ceux qu’onréserve aux autels pour les sacrifier, et ceux qui devront fendrela terre et retourner la plaine inculte en brisant les mottes » (8).

Une marque au feu pouvait également être appliquée sur lescornes des bovins (voir ci-dessus) ou les sabots des chevaux.

Elle l’était aussi sur la peau qui recouvre le bec ou les pattes descygnes (Cygnus olor) pour identifier leurs propriétaires : cemarquage a été employé du XIIIe au XIXe siècle en Angleterre(Fig. 1). Il était strictement réglementé, toutes les marquesutilisées et les oiseaux marqués devant faire l’objet d’unenregistrement officiel par le Royal Swan-Master (14).

Les autres marquesDans le Code de Hammurabi, édicté par ce roi de Mésopotamieil y a environ 3 800 ans et gravé dans un bloc de dioriteconservé au musée du Louvre à Paris, l’article 265 stipule : « Siun pasteur à qui a été remis du gros ou du petit bétail pour lefaire paître a voulu tromper en changeant la marque (des bêtes)et (les) a vendues, on le convaincra et il rendra à leurpropriétaire jusqu’à 10 fois ce qu’il a volé en gros ou en petitbétail. »

Selon Finet, les bêtes alors confiées aux pasteurs deMésopotamie, étaient identifiées par des marques de couleur(correspondant à leurs différents propriétaires), comme cela sepratique encore de nos jours (4).

Des colorants (appliqués en divers points du corps) ou desboucles auriculaires ont été également utilisés depuis fortlongtemps, en Perse, pour identifier grands et petits ruminants(H. Tadjbakhsh, communication personnelle).

Selon le Corpus Hippiatricum Graecorum (livre II, p. 281.1), lapotasse (nitre) était employée dans l’Antiquité gréco-romaine,pour marquer le pelage des chevaux sans employer le fer rouge(8).

En Angleterre, le marquage des cygnes (voir ci-dessus) pouvaitêtre réalisé à l’aide d’une fine lame de couteau qui laissait unecicatrice indélébile sur la peau du bec ou des pattes de l’oiseau(14).

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En France, un arrêt du Conseil du roi pris le 16 juillet 1784imposait le marquage des animaux « soupçonnés de la morveou de toute autre maladie contagieuse telle que le charbon, lagale, la clavelée, le farcin et la rage », à l’aide d’un cachet de cireverte appliqué sur le front de la bête malade et portant les mots« animal suspect ». Les animaux ainsi marqués étaient conduitset enfermés dans des lieux séparés et isolés (15).

En 1875, cependant, Hurtrel d’Arboval considère cette dernièreméthode comme « radicalement mauvaise » et écrit : « Onpréfère aujourd’hui lui substituer le plombage, qui est surtoutd’une application utile chez les bêtes bovines. Une ficelle estpassée autour des cornes, et les deux bouts passent par unplomb creux, analogue à celui dont se sert la douane, qu’oncomprime ensuite à l’aide d’une pince portant un signeconvenu ; cette marque s’enlève dès qu’elle est devenue inutile,et cependant elle ne peut être changée sans que cette actionlaisse des traces sensibles » (11).

Marques non corporellesD’après Hérodote, les animaux immolés dans l’Égypte ancienneétaient inspectés ante-mortem par une classe spéciale deprêtres. Ces derniers entouraient la corne des animauxreconnus propres au sacrifice d’un papyrus cacheté : quiconqueabattait un animal ne portant pas ce cachet était puni demort (3).

Le collier était surtout utilisé chez le chien. Les premiers textesakkadiens, écrits en caractères cunéiformes il y a près de 5 000ans, mentionnent déjà le port du collier (h. ullu) avec laisse, parles chiens domestiques (5). L’avantage du collier était depouvoir y fixer un médaillon sur lequel figurait éventuellementune inscription permettant d’identifier l’animal ou sonpropriétaire.

Au XVIIIe siècle, l’identification des chiens fut rendue obligatoiredans de nombreux pays européens pour faciliter la prophylaxiede la rage canine. C’est ainsi qu’en 1778 le port du collier portantle nom et l’adresse du propriétaire ainsi qu’un numérod’enregistrement, était exigé pour les chiens de la ville de Strasbourg (France), en 1786 pour ceux de la ville de Barcelone(Espagne), en 1788 pour ceux de Lisbonne (Portugal), etc. (7, 17).

Les bagues étaient employées, aux siècles passés, par lesfauconniers persans pour identifier les faucons et les aiglesutilisés à la chasse (H. Tadjbakhsh, communicationpersonnelle).

Remarquons que dans certains cas, l’identification portait nonpas sur un animal, mais sur tout un troupeau, ou tout unélevage. Ce fut le cas lors des épizooties de fièvre charbonneuseen Angleterre, au XVIe siècle, durant lesquelles les fermescontaminées étaient repérées de très loin par la présence d’unetête de bovin mort de la maladie plantée en haut d’un mât (16). Ce fut également le cas, en 1769, au Luxembourg, où les fermesinfectées de peste bovine étaient repérées par des torches depaille fixées au bout d’une perche (18).

Dans le cas d’épidémies humaines, l’identification des individusou groupes d’individus était plus facile. C’est ainsi qu’au MoyenÂge, les lépreux étaient signalés par la crécelle, qu’ils devaientagiter en permanence, tandis que les pestiférés devaient porterune canne colorée qui prévenait toute approche (20).

Traçabilité des produitsContrairement à l’identification des animaux vivants, celle desproduits d’origine animale ne semble avoir constitué quebeaucoup plus tardivement l’objectif des autorités sanitaires.

Il est possible de distinguer deux buts différents, donc deuxgrandes classes de dispositions réglementaires, selon que cesdernières visaient à s’assurer de l’origine des produits d’origineanimale ou de leur devenir.

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Fig. 1Identification des cygnes par entaille de la peau du becDu XVIIIe au XIXe siècles, des marques différentes étaient faites, avec unepointe de couteau, sur le bec de chacun des cygnes appartenant auxrois d’Angleterre, et relevées dans un registre spécialPhoto : A. MacGregor, Ashmolean Museum, Université d’Oxford

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Lors des épizooties de peste bovine du XVIIIe siècle en Europe,les cadavres des animaux ayant succombé à la maladie étaientdécoupés en quartiers et recouverts de chaux vive (15). Cesmesures, sans constituer un marquage spécifique des viandescontaminées, permettaient de les reconnaître et les altéraient aupoint de les rendre invendables ou inutilisables.

Les cuirs et peauxAu XVIIIe siècle, afin d’éviter le commerce ou l’utilisation despeaux d’animaux atteints de maladie contagieuse, on procédaitau marquage de ces peaux avant de les enterrer. C’est ainsiqu’en 1773, Haller faisait la recommandation suivante en cas demortalité du bétail par péripneumonie contagieuse bovine :« Le cuir sera coupé en croix et enfoui, avec la bête, dans unefosse profonde de six pieds, remplie de chaux et bordéed’épines » (10). Le même genre de disposition figure dans unarrêt du Conseil du roi de France du 30 janvier 1775 quiprécise que les cuirs des animaux morts de peste bovine« seront tailladés de manière à ce qu’on ne puisse plus en faireusage » (15).

ConclusionCette brève étude historique permet de constater que leséleveurs, les propriétaires d’animaux ou les responsables de laproduction et de la santé animale ont eu, très tôt, le souci de latraçabilité des animaux vivants et de leurs produits.

En ce qui concerne les animaux vivants, leur marquage au feu,accompagné d’un relevé écrit de leurs caractéristiques remonteclairement à plus de 2 000 ans.

Si le marquage à visée sanitaire ne s’est développé que plus tard,à l’occasion des grandes épidémies ou épizooties, il s’estaccompagné de mesures très pratiques et de sanctionsbeaucoup plus sévères que de nos jours en cas d’infraction.Sans disposer des méthodes modernes de la traçabilité(identification électronique, fichiers informatiques, marqueursgénétiques, etc.), les anciens s’étaient bien assurés, dès leXVIIe siècle, d’un marquage indélébile et d’une certificationsanitaire rigoureusement appliquée.

RemerciementsL’auteur remercie vivement les personnes qui l’ont aidé dans larecherche de documents historiques concernant l’identificationou le marquage des animaux et produits d’origine animale,notamment Madame Liliane Bodson, ainsi que les DocteursV. Carlier, B. Clerc, A.H.H.M. Mathijsen, P.-P. Pastoret,H. Tadjbakhsh et L. Touratier.

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Dispositions réglementaires visant à s’assurerde l’origine des produits d’origine animaleLa plus ancienne preuve d’une attention particulière à l’originede la sécurité sanitaire semble remonter au XIVe siècle, lors desgrandes épidémies de peste humaine que certains pensaientalors transmissible aux, et par, les animaux. Dans une lettreadressée le 24 avril 1348 aux autorités de la ville de Lérida(Espagne), Jehan Jacmé d’Agramont indique d’abord que la« pestilence » peut polluer les eaux et entraîner la mort despoissons, mais peut également polluer l’air et affecter leshommes, les oiseaux, les bêtes et… les plantes. Il convientdonc, selon d’Agramont, que les autorités de la ville exigent uncertificat (d’origine) des commerçants d’aliments attestant queces derniers ne proviennent pas de régions ou de ports où règnecette pestilence (20).

Les mêmes dispositions furent prises lors d’épidémiesultérieures. En 1556, un médecin vénitien, Nicolo Masse,dresse une liste des produits qu’il considère commesusceptibles de transmettre la peste (laine, peau, plumes, etc.),donc à exclure des échanges commerciaux, et une liste de ceuxne devant pas faire l’objet de telles restrictions, car noninfectieux (grains, légumes, fruits, vins, etc.). Des dispositionsde même nature seront édictées et appliquées à Naples en1557. Des contrôleurs officiels étaient alors postés à l’entrée dela ville et examinaient les « bulletins sanitaires » accompagnantles personnes et les biens entrant à Naples. Ces bulletinsdevaient être visés par les autorités universitaires de la villed’origine. Quant aux marchandises accompagnant lesvoyageurs, il ne pouvait s’agir que de plantes aromatiques ou demédicaments, l’importation de tout autre produit étantformellement interdite. Toute négligence grave, ou corruptionavérée d’un contrôleur, était punie de mort.

En Perse, aux siècles passés, certains produits d’origine animale(viande, poissons et fromages, séchés ou salés) étaient exportésdans des sacs ou des boîtes en fer blanc scellées. Un cachetidentifiant l’expéditeur était apposé sur ces sacs ou ces boîtes(H. Tadjbakhsh, communication personnelle).

Dispositions réglementaires visant à s’assurerdu devenir des produits d’origine animaleCes dispositions avaient pour but soit d’écarter certainsproduits de la chaîne alimentaire, humaine ou animale, soit deles détruire partiellement ou totalement. Les principauxproduits visés étaient la viande, les cuirs et les peaux.

La viandeEn France, un décret du 18 juin 1714 interdit la vente deviandes ne portant pas une marque, attestée par des inspecteursdu lieu de provenance de l’animal abattu et accompagnée d’uncertificat signé et légalisé par l’autorité administrativecompétente (3). �

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Historia de la rastreabilidad de los animales y los productos deorigen animal

J. Blancou

ResumenEl autor repasa la historia de la rastreabilidad de los animales vivos y susderivados desde la antigüedad hasta el siglo XIX.Este repaso sirve para poner de manifiesto que la cuestión de la rastreabilidad fuedesde muy pronto una de las preocupaciones de los criadores, propietarios oresponsables de la producción y sanidad animal.En lo que se refiere a los animales vivos, la práctica de marcar el cuerpo de losanimales para identificarlos se remonta a hace más de 3.800 años (Código deHammurabi ). En la mayor parte de las civilizaciones del mundo antiguo semarcaba a los animales a fuego, acompañando (o no) el marcado de una relaciónpor escrito de las características de cada ejemplar. Este último método seutilizaba sobre todo para los animales de valor, principalmente los caballos, y secompletaba con la inscripción del animal en un registro escrito. Desde entoncesse vienen aplicando marcas individuales e indelebles a otras muchas especiesanimales, por ejemplo los cisnes de los reyes de Inglaterra a partir del siglo XIII.El marcado con fines sanitarios llegó más tarde, motivado por la aparición de lasgrandes epizootias (peste bovina, perineumonía contagiosa bovina, muermo,rabia, etc.) y acompañado de una serie de medidas muy prácticas y de sancionesmucho más severas que las de hoy en día para castigar a los infractores. Auncareciendo de las modernas metodologías de rastreo, las gentes del siglo XVII yahabían puesto en marcha un sistema de marcado indeleble de los animales (conhierro candente) y un certificado sanitario que se aplicaba con todo rigor.Los productos de origen animal también han sido objeto, históricamente, de unavigilancia muy estricta, sobre todo durante las epidemias de peste humana delsiglo XIV. Para el comercio internacional de algunos de esos productos eraobligatorio un certificado de origen que garantizara su inocuidad. Durante lasgrandes epizootias del siglo XVIII se procedía a trinchar, muescar o encalar ciertosproductos contaminados (como la carne o el cuero) con el fin de reconocerlos eimposibilitar su venta o consumo.

Palabras claveIdentificación – Historia – Marcado – Productos animales – Rastreabilidad.

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