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Histoire d’une mouvance territoriale entre le Maroc et l’Espagne, vers l’espagnité
marocaine et la marocanité espagnole
NACHOUI Mostafa, Enseignant chercheur, Université Hassan II, Casablanca
« Nous sommes les fils d’une histoire commune qui nous oblige à porter son fardeau, mais
que nous ne devons pas répéter d’une manière dramatique, car les intérêts qui nous unissent
sont bien plus importants que les problèmes qui nous séparent ». Hassan II à propos des
relations Maroc-Espagne
Résumé :
Cet article traite la question des occupations territoriales des marocains et des espagnols
durant le deuxième millénaire et comment ces territoires ont été récupérés.
Aux poussées des Almoravides et Almohades vers le Nord, principalement au Péninsule
Ibérique, se sont succédées les poussées ibériques vers le Sud, notamment leurs incursions au
Maroc.
De cette mouvance territoriale vers le Nord ou vers le Sud, le Maroc ne détient plus aucun
territoire en Espagne. Le Portugal de son coté ne possède plus aucun territoire sur le sol
marocain, par contre l’Espagne détient encore les deux villes de Sebta et Mélilia et 4 autres
iles, que le Maroc revendique toujours.
Le Maroc et l’Espagne doivent actuellement et dans l’avenir oublier ces souvenirs historiques
pour qu’ils ne se répètent pas, laissant la place aux projets communs, seuls capables de se
projeter pour construire un avenir commun de paix, reconnaissance mutuelle, de progrès et
prospérité partagée.
En outre, le Maroc et l’Espagne savent très bien que ce litige territorial ne peut être isolé des
jeux et enjeux géopolitiques et géostratégiques mondiaux, du fait de leur centralité aussi bien
régionale que mondiale et ils sont suffisamment mures pour les affronter et les déjouer en
commun et les vaincre impérativement ensemble.
Cela n’empêche de considérer et reconnaitre les colonies espagnoles au Maroc à l'heure
actuelle comme les plus anciennes colonies dans le monde, aux quelles l’Espagne refuse
d'engager des négociations, malgré les demandes répétées par le Maroc, et rejette
catégoriquement la formation d'une cellule de réflexion sur l'avenir des deux villes.
Les raisons de ce refus sont nombreuses, du fait que l’Espagne utilise ce contentieux
territorial pour faire pression sur le Maroc dans les instances régionales et internationales,
quant il s’agit de la question du Sahara, ou de défendre ses intérêts auprès de ses partenaires.
Dans le contexte mondial actuel, la coopération maroco-espagnole devrait revêtir une
nouvelle dimension et acquérir un caractère stratégique.
Mots clés : Occupations territoriales, Maroc, Espagne, dialogue pacifique, destin commun
History of a territorial movement between Morocco and Spain, towards Moroccan spain
and Spanish Marocainity
Abstract :
This article deals with the question of the territorial occupations of Moroccans and Spaniards
during the second millennium and how these territories were reclaimed.
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The pushes of the Almoravids and Almohads towards the North, mainly to the Iberian
Peninsula, were followed by the Iberian pushes towards the South, in particular their
incursions in Morocco.
From this territorial movement towards the North or towards the South, Morocco no longer
holds any territory in Spain. Portugal, for its part, no longer has any territory on Moroccan
soil, on the other hand Spain still owns the two cities of Sebta and Mélilia and 4 other islands,
which Morocco still claims.
Morocco and Spain must now and in the future forget these historical memories so that they
do not repeat themselves, giving way to common projects, the only ones capable of projecting
themselves to build a common future of peace, mutual recognition, progress and shared
prosperity.
In addition, Morocco and Spain know very well that this territorial dispute cannot be isolated
from the global geopolitical and geostrategic games and issues, because of their regional and
global centrality and they are ripe enough to confront and thwart them. together and
imperatively defeat them together.
This does not prevent considering and recognizing the Spanish colonies in Morocco at present
as the oldest colonies in the world, to which Spain refuses to enter into negotiations, despite
repeated requests by Morocco, and categorically rejects the formation of a think tank on the
future of the two cities.
The reasons for this refusal are numerous, owing to the fact that Spain uses this territorial
dispute to put pressure on Morocco in regional and international bodies, when it comes to the
Sahara issue, or to defend its interests with its partners.
In the current global context, Moroccan-Spanish cooperation should take on a new dimension
and acquire a strategic character.
Keywords: Territorial occupations, Morocco, Spain, peaceful dialogue, common destiny
ملخص
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59
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الاحرلالاخ ارزاتح، اغزب، اسثاا، احار اس، اصز اشرزن :اىاخ افاذح
Historia de un movimiento territorial entre Marruecos y España, hacia la España
marroquí y la Marocainidad española.
Resumen
Este artículo aborda la cuestión de las ocupaciones territoriales de marroquíes y españoles
durante el segundo milenio y cómo se recuperaron estos territorios.
Los empujes de los almorávides y almohades hacia el Norte, principalmente hacia la
península ibérica, fueron seguidos por los empujes ibéricos hacia el Sur, especialmente sus
incursiones en Marruecos.
Desde este movimiento territorial hacia el Norte o hacia el Sur, Marruecos ya no posee ningún
territorio en España. Portugal, por su parte, ya no tiene ningún territorio en suelo marroquí,
por otro lado, España todavía posee las dos ciudades de Sebta y Mélilia y otras quatro islas,
que Marruecos todavía reclama.
Marruecos y España deben olvidar ahora y en el futuro estos recuerdos históricos para que no
se repitan, dando paso a proyectos comunes, los únicos capaces de proyectarse para construir
un futuro común de paz, reconocimiento mutuo, progreso y prosperidad compartida.
Además, Marruecos y España saben muy bien que esta disputa territorial no puede aislarse de
los juegos y problemas geopolíticos y geoestratégicos mundiales, debido a su centralidad
regional y global y son lo suficientemente maduros como para enfrentarlos y frustrarlos.
juntos e imperativamente derrotarlos juntos.
Esto no impide considerar y reconocer a las colonias españolas en Marruecos en la actualidad
como las colonias más antiguas del mundo, a las que España se niega a entablar
negociaciones, a pesar de las reiteradas solicitudes de Marruecos, y rechaza categóricamente
la formación de un grupo de expertos sobre el futuro de las dos ciudades.
Las razones de esta negativa son numerosas, debido al hecho de que España utiliza esta
disputa territorial para presionar a Marruecos en los organismos regionales e internacionales,
cuando se trata del tema del Sahara, o para defender sus intereses con su socios.
En el contexto global actual, la cooperación marroquí-española debería adquirir una nueva
dimensión y adquirir un carácter estratégico.
Palabras clave: Ocupaciones territoriales, Marruecos, España, diálogo pacífico, destino
común.
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Introduction
Géographiquement, le Maroc terminus du Nord Ouest africain, la Péninsule Ibérique terminus
Sud Ouest européen, séparés par le Détroit de Gibraltar, large de 14 Km, sorte de cordon
ombilical, alimentant les deux rives de bien et de mal, selon les circonstances.
Le Maroc et l’Espagne, deux pays voisins, de part et d’autre du Détroit, que la géographie
rapproche, l’histoire partage, la politique diverge, l’économie oblige, la géopolitique
s’insurge, la mer submerge, la population compose, les intérêts communs convergent , depuis
le VIIIè siècle ont gérés, parfois individuellement et autres collectivement, tant bien que mal,
leurs convergences et divergences sur des questions d’ordre locales, régionales et
internationales, se rapportant aux domaines politiques, économiques, territoriaux et autres.
Dans cet article, nous nous limitons à l’aspect territorial, précisément les occupations
territoriales de part et d’autres, produisant périodiquement des rapports difficiles, des crises
politiques, des affrontements militaires, des malaises sociaux, des malentendus mais aussi
d’autres d’ententes, de coopération, de conciliation, de paix et prospérité entre les deux pays.
A ce terminus ouest des deux continents, s’ajoute sa centralité internationale qui provoque des
convoitises des riverains mais aussi suscite l’intérêt des puissances étrangères lointaines qui
interviennent ou complotent pour défendre leurs intérêts directes ou indirects, ce qui crée des
tensions, malentendus, confrontations localisées, qui peuvent être internationalisées.
Ainsi donc, ce n’est pas par hasard que des dynasties qui se sont formées et se sont
développées de part et d’autres du Détroit de Gibraltar, à des moments de l’histoire, à leurs
apogées ont formés des Empires dominants, voir devenir des puissances de premier ordre
mondial, et à d’autres moments faiblissaient et tombaient dans le déclin et seront dominées.
C’est précisément le cas des Empires Almoravides et Almohades, coté marocain, qui avaient
formés à leurs apogées des Empires au niveau régional du XIè au XIIè siècle, dans leurs
aventures expansionnistes avaient conquis la Péninsule Ibérique, et le cas des Empires
Portugais et Espagnols du XVI au XVIIIè siècle, qui avaient formés à leurs apogées des
Empires mondiaux hégémoniques, prenant revanche en occupant entre autres des territoires
marocains.
A ce propos, on peut se poser la question : Si les marocains n’avaient pas conquis la Péninsule
Ibérique, est-ce que les espagnols et portugais auraient-ils fait de même après ?
En tout cas, dans tout pays voisins, malgré l’histoire partagée et les intérêts communs, les jeux
et enjeux géopolitiques et géostratégiques régionaux et mondiaux, avaient entachés et
entachent encore et toujours leurs relations et ne les laissent jamais à l’abri des soubresauts
politiques, économiques ou autres et sont loin d’être toujours harmonieux.
Le Maroc et l’Espagne voisins n’ont pas échappé à cette réalité. Ils ont vécus des périodes
difficiles, douloureuses, voire dramatiques et connaissent ses conséquences néfastes qui
peuvent faire tomber tout un Etat, pour ne rappeler que la bataille de Oued Al Makhazine en
1578 qui avait mis fin à l’Empire portugais, première puissance mondiale à cet époque.
A l’heure actuelle, se bornant au seul domaine territorial, le Maroc ne détient plus aucune
colonie terrestre ou maritime relevant du territoire ibérique, de même pour le Portugal au
Maroc, alors qu’il y a encore des colonies espagnoles sur le territoire marocain, aussi bien
terrestre que maritime.
Pour le Maroc, ces colonies sont un leg colonial qui doit être résolu, comme s’était le cas avec
d’autres différends territoriaux auparavant résolus par le dialogue et la concertation.
Pour l’Espagne, il n’est pas question de parler de l’abandon de ces colonies pour des raisons
stratégiques et géopolitiques.
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I : Aux sources du contentieux territorial entre le Maroc et l’Espagne
Généralement, du VIIIè au XVè siècle ( De 711, année du débarquement de Tarik Bnou Ziad
sur le sol de la péninsule Ibérique, comme conquérant, à 1492 année de la chute de Grenade,
marquant la fin de la présence marocaine dans la péninsule. Durant ces siècles, les
Almoravides et surtout les Almohades, à leurs apogées avaient constitués leurs empires,
atteignant au Sud le coude du fleuve Niger en Afrique, à l’Est couvrant l’actuel Algérie
jusqu’en Tunisie et au Nord annexant une grande partie de la Péninsule Ibérique. La
présence marocaine à la Péninsule ibérique, avait développé certes une vraie civilisation
florissante, mais elle était jalonnée de guerres et affrontements entre les espagnols qui veulent
acquérir leur indépendance et les marocains qui veulent maintenir leur occupation.
Cette situation va s’inverser complètement à partir du XV. L’Espagne et le Portugal vont
s’élancer dans leurs aventures hors leurs frontières ibériques et vont constituer deux immenses
empires mondiaux, que le traité de Tordesillas de 1494 les départage, bénie par l’Eglise
catholique et par le testament d’Isabelle la Catholique, qui préconisait à ses successeurs de
conquérir, puis de convertir au christianisme le nord de l'Afrique.
Tout au long du XIVè et XVè siècle, à l’époque des Mérinides et Wattassides, espagnoles et
portugais vont conquérir des territoires marocains, mettant en exécution le testament
d’Isabelle de Castille la Catholique qui, à partir de 1504, orienta définitivement la politique
extérieure de l’Espagne vers une guerre sainte contre l’Islam et un contrôle militaire de
l’Afrique du Nord, marquant la fin du Moyen Âge et le début de l’ère moderne, projetant
l’Espagne hors son territoire et l’émergeant en grande puissance mondiale, et surtout pour se
protéger contre autres reconquêtes éventuelles venant du Sud, notamment du Maroc, source
d’inquiétude sérieuse et au-delà par la suite.
A propos de la chute de Grenade, suite à la capitulation officielle le 2 janvier 1492, le Sultan
Abou Abdellah (Boabdil) en livrant les clés de l'Alhambra à don Gutierrez dans la tour de
Comares, se retourna vers la capitale de son royaume perdu et pleura. Sa mère Aicha Fatima
lui lança : « Pleure comme une femme pour un royaume perdu que tu n’as pas su défendre
comme un homme ! ».
I.1 : De l’union des catholiques à la désunion des musulmans
Dans la Péninsule Ibérique, pour légitimer la stratégie conquérante de l’Espagne et du
Portugal à l’extérieur et protéger ces nouveaux Etats catholiques naissants, le Pape
Alexandre VI couronne en 1494 Isabelle de Castille et Ferdinand II d’Aragon de « Rois
catholiques » qui ont donné naissance à l’Espagne moderne en 1469 à partir de l'union
dynastique des Couronnes de Castille, d'Aragon et León ; ont mis fin à la présence marocaine
à la Péninsule et se sont élancés à l’assaut des territoires hors l’Europe, via la maîtrise du
détroit de Gibraltar. La bénédiction de la papauté du traité de Tordesillas établi le 7 juin
1494 à Castille, visait le partage du Nouveau Monde, entre les deux puissances coloniales
émergentes, la Castille et le Portugal. D'après ce traité, le royaume de Castille, obtient entre
autres le droit de conquérir le territoire marocain ; de légitimer le prolongent de l’avancée
ibérique sur la côte nord de l’Afrique pour y installer des postes militaires, destinés à protéger
les côtes ibériques d’éventuelles incursions extérieures. C’est ainsi que Melilla est conquise
en 1497, Mers-el Kébir en 1505, Peñón de Vélez de la Gomera en 1508, Oran en 1509,
Bougie et Tripoli en 1510. Sebta prise par les portugais depuis 1415, revient à l’Espagne en
1580.
Ces postes militaires, appelés fronteras, s’échelonnaient alors le long des côtes
méditerranéennes de l’Afrique du Nord jusqu’à l’actuelle Libye. Ces places occupées étaient
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essentiellement défensives, ne serviront jamais de point de départ pour une conquête de
l’intérieur des terres, dépendaient entièrement dans leur l’approvisionnement en provenance
d’Espagne, et subissaient constamment les attaques fréquentes des tribus voisines.
Ainsi donc, au moment ou des royaumes ibériques s’unissent, et s’extériorisent, l’Afrique du
Nord se désunie et se repli sur elle-même. Le Maroc principale puissance de la région,
amorce sa décadence sous la dynastie des Mérinides, qui a vécu une lutte aveugle pour le
pouvoir, surtout après la mort du Sultan abou Inane en 1358, étranglé par un de ses ministres,
provoquant une grande instabilité politique au Maroc, (parmi les dix-sept sultans qui
succédèrent à Abou Inane, sept furent assassinés et cinq déposés, le pouvoir étant
véritablement entre les mains des vizirs) et une dislocation de l’Etat, en des fiefs émiettés
avec des régions entières se rendant quasiment indépendantes (dans le Souss, le Tafilalet, le
Rif, …). Ainsi, pendant plus d’un siècle, jusqu’en 1465, l’anarchie la plus complète régna au
Maroc, engendrée par les faiblesses des personnalités des rois mérinides, les intrigues de
palais, les dépositions et les assassinats des sultans, la méfiance entre l'autorité et l'armée, la
tyrannie des ministres et la corruption du gouvernement.
C’est dans cette conjoncture chaotique au Maroc, que les Ibériques, sous la coalition espano-
portugaise, saisissent l’occasion, écrasent les Mérinides dans la bataille de Tarifa en 1344,
sous le règne d’Abou Lhassan Othman. Par cette défaite, les Mérinides perdent Algéziras et
les ibériques poursuivent les Mérinides en territoire marocain. Ainsi, Henri III Roi de Castille
occupe Tétouan en 1399, massacrant la moitié de ses habitants et réduit l’autre en esclavage.
De son coté le Roi du Portugal Juan I occupe Sebta et l’ile Perçil en 1415, organise une
expédition contre Tanger en 1437. Mais l’expédition échoua, une partie du corps
expéditionnaire est fait prisonnier. Un traité intervient où les Portugais obtiennent le droit de
se rembarquer à la condition de rendre Sebta. Ils laissent comme otage l'infant Ferdinand,
pour garantir l'exécution de ce pacte. Poussé par le pape, Édouard Ier
préfère sacrifier son frère
plutôt que sa place de commerce. Ainsi, Ferdinand meurt à Fès le 5 juin 1443. Ces
occupations territoriales des Ibériques contribuèrent également à la décadence mérinide.
Les Wattassides qui succèdent aux Mérinides, dans un Maroc en déclin politiquement,
économiquement, socialement et financièrement, perdent successivement des territoires aussi
bien à la péninsule ibérique qu’au Maroc, ou les Portugais et espagnols y multiplient leurs
comptoirs.
A leur époque, le Maroc perd la quasi-totalité de l’Andalousie, seuls les Nasrides
conserveront Grenade et ses environs jusqu’en 1492. Le Maroc impuissant à intervenir en
Andalousie et au Maroc central, subit lui-même les invasions extérieures.
Le Roi du Portugal Alphonse V, surnommé l'Africain à cause de ses conquêtes au nord de
l'Afrique, avait préparé une armée pour le départ en croisade contre les ottomans à l'appel du
Pape, préfère finalement retourner ses forces contre le Maroc, occupe Ksar-es-Seghir en
1458 ; Anfa en1469 ; Tanger et Açilla en 1471 ; Santa Cruz del Mar pequenia en 1475.
En parallèle avec les menaces et occupations des places marocaines par les ibériques venant
du Nord, à partir de 1380 commence l’ascension des Ottomans qui réussissent à étendre leur
territoire sur la rive Sud de la Méditerranée jusqu’à l’actuelle Algérie et menaçaient sans
cesse d’occuper le Maroc.
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Finalement, les Wattassides n’auront en rien amélioré la situation marocaine. Il faudra
attendre les Saâdiens pour rétablir l’ordre et repousser les ambitions expansionnistes des
Royaumes de la péninsule Ibérique
Ainsi donc, le Maroc en décadence, se trouve entre deux feux : Les ibériques qui s’organisent,
s’unissent et occupent des territoires au Maroc et les Ottomans, qui semble personne ne peut
les arrêter.
Le territoire marocain devient ainsi le grand jeu des empires occidentaux venant du Nord et
l’empire Ottoman venu de l’Est.
I.2 : Le partage du territoire marocain entre espagnols et portugais
Pour se départager le territoire marocain, le Portugal et la Castille signent en 1479 le traité
d’Alcáçovas par lequel les deux royaumes se partagent les zones d'influence au Maroc. Par le
même traité, la Castille reconnaît Sebta comme possession portugaise et confirme n'avoir
aucun droit historique sur la ville occupée par le Portugal depuis 1415. Par le traité de
Tordesillas de 1494, l’Espagne reconnait de nouveau Sebta comme possession portugaise et
par la capitulation de Cinta de 1509, l'Espagne reconnaît n'avoir aucun droit sur les colonies
portugaises dans la côte marocaine allant de Ceuta à Boujdour.
Dans ce partage territorial, les portugais construisent et fortifient des comptoirs le long de la
côte Atlantique marocaine : Massa en 1497, El Jadida (Mazagan) en1502, Castello réal en
1506, Azemmour en1513, Safi en1518, Essaouira en 1519. Les espagnols de leur coté
reprennent Gibraltar en 1462 à l’époque de Ferdinand IV de Castille, et occuperont des
présidios le long de la côte méditerranéenne : Larache en 1489, Mélilia en 1497, Badis en
1507 au Maroc et poursuivent leurs occupations au reste du Maghreb, Oran en 1509,
Annaba en Algérie et Bejaia en Tunisie, Tripoli en Libye en 1510….
I.3 : La reprise des possessions étrangères au Maroc
Les Wattassides (1465-1559), n’ont pu établir un pouvoir central puissant au Maroc, n’ont pu
empêcher la chute de Grenade en 1492, et l’occupation des Ottomans du Maroc central et
Ifriquia, n’ont pas pu empêcher l’occupation du territoire marocain même. Devant leur
impuissance totale et faiblesse à la résistance, des Zaouyas Jihadistes se sont manifestées
comme autorités religieuses proclamant la résistance pour libérer le pays. Elles ont tout
d’abord retiré leur soutien et reconnaissance aux Wattassides et ont commencé à organiser la
résistance, à défendre l’intégrité territoriale du pays contre l’occupation étrangère, en se
proclamant défenseurs de l’Islam.
Parmi ces Zaouyas, s’est distingué le mouvement des Saâdiens. Son fondateur Abou
Abdallah al-Qaim, en obtenant une victoire sur les Wattassides à la bataille de l'Oued el-Abid
en 1537, entama à l'initiative de la confrérie Jazoula une guerre sainte contre les Portugais dès
le mois d'août 1511. Par la suite, les Saâdiens libérèrent Agadir de l’occupation Portugaise
en 1541, et reprennent tour à tour tous les comptoirs portugais hormis Tanger, Ceuta et
Mazagan.
Après ces exploits, les portugais se sont retirés d’eux mêmes d’Azemmour, Safi et Kasr Srhir
et Azila en 1550. Ainsi, les Saâdiens apparaissaient comme les défenseurs de l'islam, alors
que les Wattassides qui cherchaient à négocier avec les chrétiens seront vite évincés par
les Saâdiens en 1554.
Cela nous rappelle la comparaison de cet état à l’époque féodale européenne, face à l’absence
de l’Etat devant la puissance des féodaux et la proclamation de la résistance religieuse et
politique par le christianisme, même si les situations ne sont pas les mêmes et n’ont pas donné
les mêmes résultats.
64
Les Saâdiens avec l’aide des espagnols reprennent Badis aux Ottomans en 1564, gagnent la
bataille Oued Al Makhazine ou des trois Rois en 1578 contre les portugais. Le roi du Portugal
D. Sebastião perd la vie au cours de cette bataille, sans laisser d’héritier au trône. Les
royaumes d’Espagne et du Portugal sont alors réunis sous l’autorité de Philippe II et les
possessions et colonies portugaises seront incorporées au royaume d'Espagne.
La politique territoriale saâdienne consistait à :
- Décoloniser les villes marocaines des occupations portugaises et espagnoles ;
-Renoncer à l’occupation des territoires ibériques ;
-Encourager la piraterie maritime ;
-Stopper l’avancée des Ottomans ;
-Etendre le territoire marocain vers l’Afrique Subsaharienne jusqu’à Tambouktou et Gao au
Mali, surtout à l’époque du Roi Ahmed Al Mansour Addahbi qui régna de 1578 à 1603,
marquant la période la plus prospère du Maroc. Mais après sa mort, le pays connaîtra 60 ans
de troubles, d’instabilité et désordre, ouvrant la porte à la dynastie Alaouite à partir de 1660.
C’est en cette période de troubles au Maroc, quand le Portugal s’émancipe de la tutelle
espagnole en 1660, que Sebta choisit de rester espagnole et c’est le traité de 1668 entre le
Portugal et l'Espagne qui reconnait officiellement l'appartenance de Sebta à l'Espagne.
Sous la dynastie alaouite, au cours du XVIIe siècle, la plupart des fronteras seront reprises par
le Maroc, en particulier par le Roi Moulay Ismaël qui a régné de 1672 à 1727, qui a récupéré
la Maâmora (Kénitra) en 1681, Tanger en 1684 et Larache en 1689, tenta la récupération de Sebta et
Melilla, en menant un long siège devant Sebta, mais n’a pas réussi à s'en emparer.
Les Sultans Moulay Mohammed Ben Abdallah et Moulay Yazîd, ont eu aussi assiégés la ville de
Sebta en 1774 et 1790, sans résultat.
Le début du XIXè siècle connaîtra un nouvel ordre mondial caractérisé par la perte de
l’Espagne de sa puissance mondiale. Elle a subit l’invasion napoléonienne en 1808 et a perdu
ses colonies aux Amériques de 1806 à 1830. Dans cette voie des indépendances, les Cortes de
Cadix, par deux fois en 1811 et 1821 déclarèrent que les « presidios menores », c'est-à-dire
de Melilla, du peñon de Vélez de la Gomera et du peñon d'Alhucemas, mais pas de la Plaza de
Sebta, ne font pas partie du territoire espagnol. La première fois, le 26 mars 1811, un vote
favorable à leur cession obtient la majorité des voix, mais la cession n’aura pas lieu, pour des
raisons liées à des pressions britanniques, du fait de leur occupation de Gibraltar. La
deuxième fois en 1821, lors de la période du Trienio Liberal, faisant triompher les idées
libérales opposées à tout colonialisme, les Cortes autorisèrent la cession des trois Presidios
menores, sans résultat.
Eu égard aux énormes frais que la présence espagnole sur les Presidios entraînait, plusieurs
commissions d'enquête des Cortes étudièrent leur éventuelle cession au Maroc en 1831, 1846,
1863 et 1872, mais aucune n'a aboutit. Pourtant si l'on en croit les commentaires que Pascual
Madoz intègre à son Atlas de España y sus posesiones de ultramar publié en 1850, la situation
semble mûre pour une restitution au Maroc :
Si se exceptua Ceuta, plaza notable por sus grandiosas fortificaciones y por su interesante
posición en el estrecho de Gibraltar, bien puede decirse que nuestra ocupación en Africa no
nos reporta ventaja alguna y es por el contrario, onerosa para nuestro erario y aun poco
gloriosa para nuestras armas.
65
« Si l'on excepte Ceuta, lieu remarquable pour ses grandes fortifications et sa position
intéressante dans le détroit de Gibraltar, on peut bien dire que notre occupation en Afrique ne
nous donne aucun avantage et est au contraire lourde pour notre trésor et même peu glorieuse
pour nos armes ».
I.4 : De la reconquista à la conquista
L’occupation française de l’Algérie en 1830 ; la cessation de l’île Persil aux américains en
1834 ; le partage de l’Afrique entre les puissances européennes ; la défaite marocaine face aux
armées françaises dans la bataille d’Isly le 14 Aout 1844 à la frontière algéro-marocaine, vont
éveiller chez l’autorité espagnole l’esprit d’ancienne puissance coloniale et la pousser à
essayer de compenser la perte des territoires américains par la colonisation d’autres territoires
en Afrique, pour trouver une place dans le concert des grandes nations.
C’est dans ce contexte géopolitique international que l’Espagne va s’élancer dans une
nouvelle aventure coloniale en Afrique, en commençant par reprendre la conquête du
territoire marocain. Cette fois ci, elle ne satisfera pas des enclaves ou des villes portuaires,
mais la colonisation de grands territoires. Ainsi, elle utilisa Sebta et Melilla déjà occupées
comme « tête de pont » à sa pénétration plus profonde dans le territoire marocain. Par les
ports de ces deux villes transiteront l’armée espagnole et ses munitions, permettant à
l’Espagne de s’emparer en 1848 des Îles Jaâfarines et de remporter une éclatante victoire
contre le Maroc dans la guerre de Tétouan en 1859-1860.
Pour l’Espagne, elle baptisa la bataille de Tétouan de « guerra de Africa », lui donna une
envergure continentale, et en a fait une affaire d’honneur national. Quant au général
Leopoldo O’Donnell qui commandait lui-même les troupes, était en même temps chef du
gouvernement espagnol, se prenait pour un héros national.
Pour le Maroc, la défaite de Tétouan était très humiliante et désastreuse, du fait que le Traité
de paix du 26 avril 1860 stipule entre autres : l’extension des frontières de Sebta ; l’octroi
d’un établissement de pêche dans le Sud comprenant le territoire de Santa Cruz de Mar
Pequeña ; des avantages et des garanties de commerce ; des privilèges pour le culte religieux;
et le versement en quatre échéances de deux mois, d’une indemnité de guerre de 20.000
douros (100 millions de francs or) en contrepartie de l’évacuation de Tétouan et de sa zone et
l’installation dans les ports d’agents espagnols pour percevoir directement la moitié des 10%
des droits de douane exigés à l’entrée des marchandises.
Cette clause dramatique pour le Maroc, et sur laquelle les Espagnols se montrèrent
intransigeants, assécha le Trésor public marocain à la première échéance, et le met dans un
état d’incapacité à payer l’indemnité de guerre, ce qui le contraint à se plier à un emprunt
anglais, remboursable en vingt ans, ce qui avait aggravé encore la situation financière du pays.
Sachant que c’est l’intervention de l’Angleterre qui a mis fin aux avancées espagnoles et la fin
de la guerre de Tétouan.
Suite à la guerre de Tétouan, on peut dire, que le Maroc est entré officieusement dans une
nouvelle époque de colonisation financière, qui ouvrira la porte à la colonisation politique
officielle par la suite.
66
En effet, en 1884 l’Espagne colonise toute la partie Sud du Maroc, à savoir le Sahara
Occidentale (Plus de 200 000 Km2). Cette colonisation sera légitimée par la Conférence de
Berlin 1885, qui selon la théorie de l’Hinterland, autorise chaque puissance signataire à
étendre sa zone d’influence, à partir du littoral qu’elle occupait vers l’intérieur du continent,
jusqu’au point où elle rencontre la zone d’influence d’une autre puissance. Du fait de sa
présence aux îles Canaries, cela lui permettra d’étendre son territoire au Sahara, sur la base
des actes de la conférence de Berlin. Et du fait de sa présence à Sebta et Mellilia et les îles le
long de la côte marocaine en Méditerranée ; sa victoire dans la bataille de Tétouan, la
conférence de Madrid de 1880 et l’acte du Protectorat de 1912, l’Espagne s’est basée sur ces
données pour étendre sa colonisation au Nord du Maroc, englobant le Rif (Plus de 20 000
Km2).
Ainsi, en 19012 le territoire marocain sera dépecé et partagé entre la France qui occupe le
Maroc central et l’Espagne qui occupe les périphéries Nord et Sud du Maroc et 30 enclaves.
Tanger restera une zone internationale.
II : L’indépendance du Maroc et la récupération de ses territoires spoliés
Le territoire marocain a été occupé à différentes dates, il sera récupéré à différentes dates
également.
L’Indépendance du Maroc en 1956 concerne les territoires colonisés par la France et
l’Espagne selon le Traité de Fès 1912. Mais il reste d’autres territoires occupés par
l’Espagne avant 1912 que le Maroc continue à revendiquer leurs indépendances. Ainsi, il a
récupéré par étapes des territoires au Sud, dont Tarfaya en 1958 ; Sidi Ifni en 1969 ; le Sahara
en 1975 et continu de réclamer l’indépendance du reste des territoires occupés par l’Espagne
au Nord du Pays.
En tout, le Maroc en a récupéré 24 et six sont encore sous occupation espagnole, dont les
plus importantes sont Sebta et Melilla. Depuis la prise de ces deux villes par l’Espagne, le
Maroc n’a cessé de tenter de les récupérer en assiégeant 11 fois Sebta et 14 fois Melilla, et
en lançant 141 attaques contre Sebta et 59 contre Melilla. Cette présence permanente de
l’occupation espagnole dans ces deux villes crée un différend continuel entre le Maroc et
l’Espagne.
II.1 : Hassan II et la récupération des territoires occupés
Hassan II est connu internationalement surtout par sa Marche Verte pour la récupération du
Sahara. Durant son règne, il n’a cessé de réclamer politiquement la récupération des autres
territoires marocains occupés par l’Espagne au Nord. Son slogan envers l’Espagne était
« nous sommes les fils d’une histoire commune qui nous oblige à porter son fardeau, mais
que nous ne devons pas répéter d’une manière dramatique, car les intérêts qui nous unissent
sont bien plus importants que les problèmes qui nous séparent ». C’est pourquoi il disait
souvent que même s’il était obligé de faire la guerre à ses voisins, elle devrait être, selon lui,
un moyen pour défendre la paix et instaurer la confiance.
C’est dans cette voie, qu’il a porté ses revendications concernant les villes de Sebta et Melilla
devant l’assemblée générale de l’ONU en 1961, soutenu par de nombreux pays arabes ainsi
que par l’URSS.
67
Pour ne pas offenser l’Espagne, tout en privilégiant le dialogue et le bon voisinage, il a
rencontré le Général FRANCO le 6 Juin 1963 à Barajas pour instaurer un climat de confiance
et secouer la rigidité de la position de Franco et son immobilisme.
Les grandes lignes de cette rencontre défendue par Hassan II, avec insistance, devant Franco à
Barajas, peuvent se résumer aux éléments suivants :
- L’Espagne ne peut faire exception face au mouvement de décolonisation soutenu et
encouragé par l’ONU, et Franco devait l’accepter dans ses colonies africaines pour se mettre
en diapason avec les nations civilisées.
- Toute réaction positive de la part de l’Espagne envers ce mouvement, et en l’occurrence
envers les revendications marocaines, renfoncerait sa position au sein des nations libres et de
la communauté internationale, et l’aidera à sortir de son isolement. Et si l’Espagne ne change
pas d’attitude, elle ne fera que reproduire l’exemple portugais de Salazar, situation qui
l’exposera à une condamnation mondiale.
- L’Espagne doit entamer un dialogue sur des propositions réalistes et viables, à savoir la
rétrocession de Sidi Ifni et du Sahara, et la discussion sur le sort de Sebta et Melilla, pour ne
pas se voir obligé de céder, sous la pression et la contrainte, situation qui risquerait
d’envenimer les relations entre les deux pays,
- Les relations d’amitiés et du bon voisinage sont le seul choix stratégique pour garantir la
stabilité durable dans toute la zone. De telles relations créeront un climat de confiance qui
permettra à l’Espagne de participer au développement d’un Maroc moderne, fort et stable.
Devant l’obstination de Franco, Hassan II ne désespère pas et restera fidèle à son choix en
rendant visite à Franco au mois de février 1965, pour réaffirmer ses revendications et essayer
d’aliéner ses positions, de ne rien céder face au Maroc. II est même allé jusqu’à soutenir les
prétentions espagnoles sur Gibraltar en 1966, affirmant que, si le territoire britannique était
décolonisé, alors Sebta et Melilla devraient automatiquement être restituées au Maroc.
Pour apaiser les tensions, dans une réunion à Rabat en Février 1966, les deux pays se sont mis
d’accord pour la mise en place du comité Averroès, qui rassemblait des acteurs de la société
civile des deux pays pour y échanger, loin des contraintes et pressions politiques, leurs points
de vue et réflexions, et pour penser et proposer des solutions viables et s'assigne pour mission
de promouvoir la connaissance, la compréhension, la coopération et l'entente entre Marocains
et Espagnols à travers l'engagement d'un dialogue fructueux fondé sur le respect mutuel.
Résultat de ces pourparlers et les pressions et les résolutions onusiennes (Résolution 2072 de
l’Assemblée Générale des Nations Unies du 17 Décembre 1965), Franco cède le territoire de
Sidi Ifni au mois de Juin 1969, après l’accord de Fès du 4 janvier de la même année et
l’approbation du conseil d’Etat espagnol qui justifie la cession de Sidi Ifni, comme étant une
68
province fonctionnelle et non un territoire de souveraineté nationale, marquant ainsi la
différence entre ce qui est espagnol, et ce qui est de l’Espagne.
Selon cette formule, on se pose la question. Si le conseil d’Etat espagnol avait considéré Sidi
Ifni de Province fonctionnelle et non territoire espagnol, alors comment qualifier le Sahara,
les Présides et les îles encore occupés au Nord du Maroc par l’Espagne ?
La récupération de Sidi Ifni est considéré une petite victoire pour le Maroc, mais une grande
déception pour l’Espagne de Franco, qu’il ne faut pas qu’elle se répète avec le Maroc.
Après la récupération de Tarfaya en 1958 et Sidi Ifni en 1969, le Maroc continue à réclamer le
retour à la mère patrie les autres territoires encore occupés par l’Espagne, toujours
pacifiquement en privilégiant le dialogue, la concertation et le recours aux instances
internationales.
Le Maroc poursuivant le même objectif, réclama la récupération du Sahara à partir de 1970 et
obtint cause en 1975.
Concernant l’affaire du Sahara, elle a retenue l’attention internationale et était sujet de
milliers d’études un peu partout dans le monde. Pour être très bref, le 13 décembre 1974,
l'Assemblée générale des Nations Unies vota la résolution 3292, par laquelle elle décide « de
demander à la Cour de justice internationale de donner son avis consultatif relatif à la question
du Sahara ».
Le 16 Octobre 1975, la cour internationale de justice rend son avis, précisant qu’iI existe au
moment de la colonisation espagnole du Sahara des liens juridiques d'allégeance entre le
Sultan du Maroc et les tribus vivant sur le territoire du Sahara occidental.
Suite à cet avis, le 16 Octobre 1975 Hassan II annonce l’organisation d’une marche verte
pacifique vers le Sahara, qui sera exécutée le 6 Novembre 1975 par 300 000 hommes et
femmes.
Le 25 novembre 1975, dans une interview à Rabat, Hassan II déclarait : « si notre Sahara ne
pouvait pas venir vers nous, nous devions y aller, car il nous attendait.. »
La récupération du Sahara a soulevé des réactions internationales, très diverses, nous citons
des exemples de personnalités espagnoles influentes qui demandent à reconsidérer la position
de leur pays eu égard le reste des territoires marocains occupés par l’Espagne. Comme :
Máximo Cajal López, qui avait occupé les postes de secrétaire adjoint du ministère des
affaires étrangères espagnole, puis ambassadeur d'Espagne au Guatemala, en Suède et
en France jusqu’en 1996 , ainsi que représentant permanent de l'Espagne auprès de l' OTAN ;
Jaime de Piniés qui avait occupé les postes d’ambassadeur d’Espagne à Cuba, au Royaume-
Uni , aux États-Unis et aux Philippines, représentant permanent aux Nations Unies entre
1968 et 1972 et entre 1973 et 1985 ; le général Gutiérrez Mellado, , nommé en juin
1975 délégué du gouvernement et commandant général à Sebta, puis premier vice-président
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du gouvernement , chargé des Affaires de la défense et ministre de la Défense. Ces
personnalités ont osé lever leur voix pour une solution définitive avec le Maroc sur les
différends territoriaux. Selon eux, résoudre le problème des territoires marocains occupés par
l’Espagne, renforcera la position de leur pays dans ses discussions avec la Grande-Bretagne
sur le sort du Gibraltar, et garantira la paix et la stabilité dans une zone devenue prioritaire
pour l’Espagne, ainsi que pour l’Union européenne. Le général Gutiérrez Mellado, affirma,
avec conviction, au moment de la Marche verte «qu’il ne faut pas obliger Hassan II à faire la
guerre, c’est un homme de paix».
II.2 : Le Maroc face à l’Espagne européanisée
Avec les évolutions en Europe, la bataille territoriale et autres entre le Maroc et l’Espagne se
jouera désormais de plus en plus au sein des instances européennes.
Pour renforcer et consolider son poids, l’ l’Espagne demande son adhésion à l’OTAN qui
sera accepté en 1981. Malgré l’importance de cette adhésion, elle n’influera pas beaucoup sur
la balance d’équilibre entre le Maroc et l’Espagne, du fait que l’article 5 du Traité de
Washington, exclu explicitement les deux enclaves de Sebta et Mélilia de l’espace de
défense commune de l’OTAN. Pour le Maroc, sa position géographique stratégique dans les
enjeux géostratégiques pour l’OTAN et l’Europe, et ses liens avec les pays influents de
l’Alliance Atlantique jouent leurs rôles stabilisateurs.
Au niveau européen, l’Espagne et le Maroc demandent leur adhésion à la Communauté
économique européenne. La demande du Maroc sera refusée par le Conseil européen en juin
1984, et rejetée en octobre 1987. En revanche, l’Espagne sera admise à la communauté
économique européenne en 1986, ce qui va changer la donne, du fait que les différents
problèmes entre le Maroc et l’Espagne, dont le contentieux territorial, seront traités comme
affaires/problèmes européens.
Avec l’entrée de l’Espagne dans l’Union européenne (UE) en 1986, les « territoires de
souveraineté espagnole » ont été intégrés à l’ensemble communautaire. Ainsi, les enclaves
espagnoles au Maroc font partie de la communauté européenne.
L’adhésion de l’Espagne aux accords de Schengen en 1991 va renforcer encore la position
politique dominante de l’Espagne sur le Maroc et par conséquence ses revendications
territoriales, notamment le sort des deux Villes autonomes, puisque l’Espagne s’est trouvée
dotée, dans ce cadre, d’une frontière extérieure européenne.
II.3 : L’espagnité marocaine et la marocanité espagnole
Les nouvelles donnes du début des années 1990, dont l’effondrement de l’URSS et le bloc de
l’Est ; la mondialisation et l’unipolarité américaine ; le passage de la communauté
économique européenne à l’Union Européenne et son extension vers l’Est ; la montée de
l’intégrisme religieux et l’immigration clandestine…, imposent à l’Espagne, dans une
perspective de rationalité et de realpolitik, de se concilier et coopérer avec le Maroc qui
70
constitue la frontière Sud de l’Europe, gardien du Sud du Détroit de Gibraltar, pont
incontournable de l’Europe vers l’Afrique de l’Ouest, en cherchant un rééquilibrage avec
l’appui du Maroc, et au Maroc de s’entendre avec l’Espagne, considéré comme un passage
obligé pour accéder à l’union, , en vue d’y défendre sa candidature pour un partenariat
avancé et ses accords avec l’UE.
Pour défendre leurs intérêts communs, les deux pays vont signés le Traité d’amitié, de bon
voisinage et de coopération en 1991. Dans ce cadre, une dérogation est accordée aux
marocains résidant dans les régions de Tétouan et de Nador, de se rendre sans visa dans les
deux villes espagnoles de Sebta et Mélilia, dans le cadre d’un petit commerce frontalier.
En plus de çà, avec le nombre croissant des marocains émigrés en Espagne, des
investissements espagnols au Maroc, le développement des échanges commerciaux et autres
entre les deux pays, et les défis et enjeux internationaux qui doivent être affrontés et résolus
en commun, on est en mesure de dire qu’on est entré dans un nouveau processus qu’on
qualifie « d’espagnité marocaine et marocanité espagnole ». Le voisinage doit évoluer vers la
fraternité.
II.4 : Le retour des malentendus maroco-espagnol
Malheureusement, très rapidement, les relations maroco-espagnoles vont s’envenimer à partir
de 1995, au point d’atteindre parfois les stades de crises diplomatiques et risques de
confrontations militaires.
Nous illustrons ces malentendus par les exemples suivants :
a) En 1995, les Cortes Generales adoptèrent une Loi organique, accordant à Sebta et Mélilia le
statut de villes autonomes (Ciudad Autónoma), ce qui avait soulevé une indignation et
réaction officielles, un mécontentement et une forte contestation sociale, par l’appel à une
grève générale dans les deux villes et l’organisation d’une marche vers Madrid.
b) Le 17 Juillet 2002, l’intervention musclée de l’Espagne à l’Ile Persil (Perejil pour
l'Espagne, Leïla pour le Maroc), aggrava la situation entre les deux pays.
Cette intervention a ravivé la tension entre les deux pays, au point d’une grave crise
politique et a faillit tourner à une confrontation militaire entre les deux pays. L'affaire a pris
une ampleur internationale avec le soutien apporté par l'Union européenne à l'Espagne,
nécessitant l’intervention de la diplomatie américaine pour trouver une issue rapide à la crise.
Cette petite ile occupée par l'Espagne depuis 1668, et par la Grande Bretagne en 1808, rendue
à l’Espagne en 1813, concédée aux Etats Unis par le Maroc en 1834, non loin de la côte
marocaine de plus de 100 mètres, inhabitée, fréquentée par des bergers marocains lors de la
marée basse, mais d’une grande importance stratégique à l’entrée du Détroit, au quelle
l’Espagne maintien sa souveraineté, alors que le Maroc réplique par son attachement au
territoire marocain indépendant en 1956.
71
c) En Octobre 2007, le Roi d’Espagne Juan Carlos en visite d’Etat dans les deux villes Ceuta
et Mélilia, la première depuis son accession au trône en 1975, va envenimer les relations entre
les deux pays. Puisqu’au cours de cette visite le Roi a affirmé sa volonté politique de les
ancrer définitivement dans le territoire national espagnol, même au prix d’une intervention
militaire, ce qui a provoqué une crise politique entre les deux pays.
Très choqué par cette visite de Juan Carlos, le Roi Mohamed VI a rappelé son ambassadeur
Omar Azzimane pour consultation en qualifiant de «regrettable» ce déplacement dans deux
villes considérées comme occupées. La visite du souverain espagnol fut suivie de plusieurs
manifestations à côté des postes frontaliers de Ceuta et Melilla et dans plusieurs villes
marocaines devant l’ambassade et les consulats espagnols….
Dans cette affaire, la position du Maroc est confortée par l’Union Africaine, l'Organisation de
la conférence islamique, la Ligue arabe, et l'organisation de l'Union du Maghreb arabe, qui
soutiennent et déclarent ne pas reconnaître la souveraineté espagnole sur Ceuta et Melilla.,
que l'Espagne doit décoloniser ces territoires et les restituer au Maroc. Alors que la position
espagnole est soutenue par l’Union européenne.
d) Du 13 Novembre au 18 Décembre 2009, la pression espagnole sur le Maroc dans l’affaire
Aminatou Haidar et ses positions à la question du Sahara, soutenue par l’union européenne
e) Novembre 2010, les attaques diffamatoires des journaux espagnols contre le Maroc, lors
des manifestations du 8 Novembre à Laayoune …
D’après ces exemples, et bien d’autres, Il paraît que les dialogues maroco-espagnols et les
partenariats avec l’union européenne n’ont rien arrangés à propos du Sahara et des territoires
marocains encore occupés par l’Espagne.
Il paraîît que par ces provocations périodiques, l’Espagne utilise la question du Sahara
comme outil de pression sur le Maroc, dans les organisations internationales ou européennes,
pour le faire taire sur la récupération des territoires encore occupés au Nord du pays.
III : Cartographie des territoires marocains encore occupés par l’Espagne
Concernant la récupération des territoires spoliés par l’Espagne, Hassan II disait: « Le Maroc
de tout temps n'a jamais réclamé que ce qui lui appartient ». Ainsi, le droit de reconquérir la
souveraineté marocaine sur ces territoires semble légitime et ne vise qu’à mettre fin à une
situation anachronique qui joue constamment en défaveur du Maroc.
Après la récupération de Tarfaya, Sidi Ifni et le Sahara, il reste à récupérer les enclaves
marocaines occupées par l'Espagne depuis le début du XVIe siècle au Nord du pays. Ces
enclaves sont : Sebta et Mélilia et 6 îles, que l’Espagne les considère une partie intégrante de
son territoire et sa souveraineté, lui permettant d'avoir un double accès stratégique au Nord et
au Sud du détroit, ainsi que la surveillance des zones au large de leurs côtes. Alors que pour le
72
Maroc c’est un leg colonial qui doit être résolu, comme s’était le cas avec d’autres différends
territoriaux auparavant résolu par le dialogue et la concertation.
La carte ci-dessous, nous montre les territoires encore occupés par l’Espagne au Nord du
Maroc. Elle fait apparaître les deux villes de Sebta et Mélilia ; les îles : Persil, Peñón de Velez
de la Gomera, Peñón d’Al Hoceima ; d’Elboran, les îles Jaâfarines.
Carte n° 1 : les territoires encore occupés par l’Espagne au Nord du Maroc
III.1 : L’île Badis ou le rocher Peñon de Vélez de La Gomera
Cette presqu’île située à 30 km d’Al Hoceïma, d’une superficie de 1,9 hectares, attachée au
territoire marocain par banc de sable de 85 mètres de long.
Après une première occupation qui a duré du 23 juillet 1508 au 20 décembre 1522, par Pedro
Navarro, qui procède à sa fortification. Le commandant de la garnison, Juan de Villalobos, voyant
approcher une flotte qu'il croyait d'Andalousie ouvre les portes du rocher et livre la ville à des navires
envoyés par les Wattassides. À la fin d'octobre 1525, le futur vice-roi de Navarre, Lui Hurtado de
Mendoza y Pacheco, Marquis de Mondéjar, a échoué dans son intention de récupérer le Peñón de
Vélez de la Gomera.
En juillet 1563, une nouvelle expédition sans succès sous le commandement de Sancho de
Leiva y Ladrón de Guevara. En 1564, Philippe II roi d'Espagne est furieux contre les attaques
des pirates turcs qui ont fait de Badis leur port d'attache et delà, organisaient leurs attaques,
qui menaçaient même Valence. En septembre de cette même année, il lança une attaque
contre la garnison, massacra les 150 Turcs qui s’y trouvaient, reprend le peñón de Vélez de la
Gomera qui restera occupé par l’Espagne depuis cette date.
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Aujourd’hui, inhabitée, n’a plus aucune fonction, l’armée espagnole sur cette île est formée de
"Regulares", qui justifie la présence espagnole sur l’ile réclamée toujours par le Maroc.
Photo : L’île Badis ou le rocher Peñon de Vélez de La Gomera
III.2 : L'île d’Alborán
L'île d’Alborán se trouve à 57 km des côtes marocaines et à 92,6 kilomètres des côtes de la
ville d'Almería, commune dont elle dépend sur le plan administratif. Sa superficie est de 7,12
ha. L'île consiste en une plateforme culminant à 15 mètres, a servi aux Espagnols pour la
conquête de Melilia.
Son occupation remonte à 1540. Elle a été prise au corsaire Al Borani par l'Espagne, ce qui lui
a valu le nom d’Al Boran. L’île sert de relais entre la vile d’Almería et l’enclave de Melilla.
Le gouvernement espagnol l’utilise comme base militaire.
74
Photo n 2 : L'île d’Alborán
L'île d'Alboran et l'îlot de la Nube
III.3 : L’îlot du Persil
L’îlot du Persil (Perejil pour l'Espagne, Leïla pour le Maroc) située à moins de 100 m des
côtes marocaines, en face du village de Belyounech, inhabitée, fréquentée par des
bergers marocains lors de la marée basse. Colonisée par l’Espagne en 1668, occupée par la
Grande Bretagne en 1808, rendue à l’Espagne en 1813, concédée par le Maroc aux Etats Unis
en 1834, prise pour indépendante par le Maroc en 1956.
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Photo n°3 : L’îlot du Persil
L'îlot Persil est le théâtre d'une confrontation entre l'Espagne et le Maroc en 2002. L'affaire a
pris une ampleur internationale avec le soutien apporté par l'Union européenne à l'Espagne,
finalement le problème est résolu après une médiation américaine, Un consensus semble
exister au moins sur le terrain : ni marocains, ni espagnols sur l’île.
Sur cette carte, on voit très bien la position stratégique de l’île dans le détroit de Gibraltar.
Carte n °2 : Position de l’île Persil
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III.4 : L’île de Nekkor, ou rocher d'Al Hoceïma
Le Peñón de Alhucemas (ou rocher d'Al Hoceïma), encore appelée île de Nekkor. Outre l'île
elle-même, y sont rattachés deux îlots inoccupés : l'isla de Mar (« île de Mer ») et l'isla de
Tierra (« île de Terre ») ; l'ensemble forme les îles Alhucemas. L'île est située à 300 m au
large face à la ville d'Al Hoceïma (en espagnol Alhucemas, autrefois Villa Sanjurjo), à
155 km à l'est de Sebta et 100 km à l'ouest de Melilla.
L’île de Nekkor, principale île du groupe, est d’une superficie de 15 hectares, d’une longueur
de 70 mètres, une largeur de 50 mètres et une hauteur de 27 mètres. ·
Les deux autres îles sont rattachées à l'île de Nekkor. La Isla de Mar ou encore île de la mer
dont la hauteur atteint les 4 mètres. Quant à la Isla de Tierra ou île de la terre, c’est un rocher
haut de 11 mètres.
Ces deux îles sont officiellement inoccupées même si des militaires campent sur l’île de la
terre.
Les trois îles sont rattachées administrativement à Melilla. Leur occupation date de 1673,
après avoir massacré 25 Marocains qui s’y trouvaient. Les Anglais ont essayé de l’acheter
mais sans succès. Proclamée colonie espagnole en 1885, le rocher principal, à savoir l’île de
Nekkor, était habitée par près de 400 personnes (bagnards compris) et comptait de nombreux
commerces au début du 20ème
siècle. son statut évoluera en 1956, ou l'île rejoindra les plazas
de soberania Espagnoles.
Comme les autres Plazas de soberanía , les trois îlots sont toujours revendiquées par le Maroc.
77
Photo n°4 : L’île de Nekkor, ou rocher d'Al Hoceïma
L’île de Nekkor (vu depuis la côte marocaine)
III.5 : Les îles Jaâfarines ou islas Chafarinas
Les îles Jaâfarines ou islas Chafarinas en espagnol sont un groupe de 3 îles : l’île du
Congrès, l’île du Roi, et l’île Isabelle II, d’une superficie totale de 52,5 ha, dont 25,6 ha pour
l’ile du congrès ; 15,3 ha pour l’ile Isabelle II et 11,6 ha pour l’ile du Roi.
Habitées par une centaine de militaires espagnoles. Elles sont situées à 1 km des côtés
marocaines, face à Ras El Ma « Cabo de Agua », non loin de l’embouchure du Moulouya. Ces
îles étaient longtemps convoitées par l’Angleterre, la France et l’Allemagne mais c’est
aujourd’hui l’Espagne qui les détient, et ce depuis 1848, toujours revendiquées par le Maroc.
Lors de la réunion à haut niveau entre la Maroc et l’Espagne, le 3 Octobre 2012, un groupe de
nationalistes marocains, du « Comité de coordination pour la libération des revendications
Sebta et Melilla » a pris d’assaut les îles Jaâfarines.
Photo n°5 : Les îles Jaâfarines ou islas Chafarinas
78
Les îles Jaâfarines vues depuis Ras El Ma, au Maroc
III.6 : Les enclaves de Sebta et Mélilia
Sebta et Mélilia, que les espagnols appellent présides, de l’espagnol presidio, terme qui
désigne alors les possessions espagnoles sur la côte marocaine. Ou encore Plaza de soberanía,
autre terme espagnol pour désigner ces possessions à partir du XXe siècle.
Les marocains les appellent les enclaves occupées par l'Espagne depuis le début du XVIe
siècle. Cette présence permanente de l’occupation espagnole dans ces deux villes crée un
différend continuel entre le Maroc et l’Espagne.
Il s'agit de deux des plus anciennes colonies de l'histoire, du fait même que les mouvances
colonialistes que le monde a connue dans le passé ont toutes été réglées aujourd'hui, tant en
Amérique latine, qu’en Afrique et en Asie.
Depuis la prise de ces deux villes par les espagnols, le Maroc n’a cessé de tenter de les
récupérer en les assiégeant à 11 reprises (Sebta) et 14 reprises (Melilla), et en lançant 141
attaques contre Sebta et 59 contre Melilla.
Depuis son accession à l’indépendance, le Maroc n’a cessé d’exprimer ses revendications
légitimes relatives aux deux villes, même si ses revendications n’ont été clairement définies
que depuis les années 80, quand le Roi Hassan II a appelé à la création d’une cellule de
réflexion sur leur avenir.
79
Selon la Constitution espagnole de 1978, les petits territoires de Sebta (18.5 km2) et de
Melilla (12,3 km2) font partie intégrante du territoire espagnol.
En 1987, les marocains des deux villes s’opposèrent à la Ley de Extranjería : avec
l’application de cette loi, les marocains installés à Sebta et Melilla, parfois depuis plusieurs
générations, et qui n’avaient pas officiellement la nationalité espagnole mais une simple carte
de recensement (la tarjeta de estadística) devenaient de fait des étrangers et devaient se faire
recenser comme tels. Voir Yves Zurlo, « Ceuta et Melilla. Histoire, représentations et devenir
de deux enclaves espagnoles », L’Harmattan, Paris, 2005, p 49.
En 1995, les Cortes Generales adoptent la loi organique accordant à Sebta et Mélilia le statut
de villes autonomes (en espagnol: Ciudades Autónomas).
L’enclave de Sebta
Ville marocaine depuis 789 jusqu’à 1415, centre de construction navale et commercial à
l’époque des Almoravides et Almohades, occupée par le Portugal en 1415, annexée par
l’Espagne en 1518, qui lui accorde le statut de ville autonome en 1992, d’une superficie de
18,5 km² , compte 78 861 habitants (recensement de 2000) pour une densité de 4 262,76
habitants par ha, sa frontière terrestre s’étend sur 8 km, avec double enceinte grillagée.
Carte n° 3 : Ville de Sebta
Dates importantes dans l’histoire de Sebta
1437 : Échec d'une expédition portugaise menée par Henri le Navigateur contre Tanger. Une
partie du corps expéditionnaire est fait prisonnier et l'infant Ferdinand est gardé en otage. Un
traité est signé par lequel les Portugais obtiennent de pouvoir partir à condition de rendre
Ceuta et de laisser l'infant en otage, pour garantir l'exécution de ce pacte, mais l'infant meurt
en captivité et le pacte n'est pas respecté.
1479 : Le Portugal et la Castille signent le traité d’Alcáçovas par lequel les deux royaumes se
partagent les zones d'influence sur le Maroc, alors sous domination Wattasside ; la Castille y
80
reconnaît Ceuta comme possession portugaise et confirme n'avoir aucun droit historique sur la
ville.
1494 : Traité de Tordesillas entre le Portugal et l'Espagne, cette dernière reconnaît de nouveau
Ceuta comme possession portugaise.
1509 : L'Espagne et le Portugal signent la capitulation de Cintra dans laquelle l'Espagne
reconnaît n'avoir aucun droit sur les colonies portugaises dans la côte marocaine allant de
Ceuta à Boujdour.
1578 : Mort du roi portugais Sébastien Ier
, en 1578 à la bataille des Trois Rois, sans héritier.
1580 : L'Espagne remporte la bataille d'Alcántara. Philippe II d'Espagne est proclamé Roi de
Portugal (Philippe Ier
), les possessions et colonies portugaises sont incorporées au royaume
d'Espagne.
1640 : Le Portugal recouvre son indépendance mais Ceuta, peuplée par une majorité d'origine
espagnole, reste sous la souveraineté espagnole.
1668 : Le traité de Lisbonne entre le Portugal et l'Espagne garantit la séparation entre les deux
pays, mais au prix de la reconnaissance officielle de l'appartenance de Ceuta à l'Espagne.
1694-1724 : Le sultan Moulay Ismaïl, de la dynastie alaouite, prend plusieurs villes
portugaises et espagnoles sur la côte atlantique de l'actuel Maroc, puis mène un long siège
devant Ceuta qui se solde par un échec dû au ravitaillement de la ville par voie maritime
depuis la péninsule Ibérique.
1702 : La ville est attaquée par l'Angleterre ; Ceuta résiste mais Gibraltar est conquise en
1704. L'Espagne reconnaît la souveraineté britannique sur ce dernier territoire par le
second traité d'Utrecht (1713) avec le Royaume-Uni.
1791 : L'Espagne cède Oran et Mers-el-Kebir à la régence d'Alger.
1808 : Les Anglais évacuent l'îlot Persil en 1813 à la demande du roi d'Espagne Ferdinand
VII.
1811 : Les Cortes de Cadix déclarent que les « presidios menores » ne font pas partie du
territoire espagnol et un vote favorable à leur cession obtient la majorité des voix.
1859-1860 : Profitant d'un incident aux frontières de la ville, l'Espagne déclare la guerre
au Maroc (guerre d'Afrique ou de Tétouan) et la remporte et élargit les frontières de Ceuta et
de Melilla.
1902 : Négociations entamées entre le Foreign-Office et le Maroc pour la cession de l'îlot
Persil.
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1995 : Promulgation du Statut d'autonomie de la ville, suivant l'aménagement du reste des
territoires d'Espagne.
2007 : À la suite de l'annonce officielle de la visite du roi Juan Carlos et de la reine Sofía à
Sebta et Melilla, le roi Mohammed VI très choqué par cette visite rappelle son ambassadeur
en Espagne pour consultations (jusqu'au 8 janvier 2008), en qualifiant de «regrettable» ce
déplacement dans deux villes considérées comme «occupées». Des manifestations de
protestation ont lieu au Maroc pendant la visite.
Sa population était estimée à 79 000 habitants en 2006 dont plus de 40% est musulmane
(selon l’ONG Observatoire Internationale).
Pour lutter contre l’immigration clandestine, la double enceinte grillagée qui entoure les
enclaves a ainsi été rehaussée à 6 mètres dès 1995, Sous l’impulsion de l’Europe, appuyées
par un système sophistiqué de surveillance par radar et caméras à infra-rouge (Sistema
Integrado de Vilgilancia Exterior – SIVE) a été installé le long du détroit de Gibraltar depuis
2002.
Photo n°6 : Double enceinte grillagée autour de Sebta
L’enclave de Mélilia
Appelée Russadir par les Phéniciens, occupée par les romains, rattachée à l’émirat de Cordoue
en 927, passa sous le contrôle des Almoravides, Almohades, Mérinides et Wattassides
jusqu'en 1497. Occupée par l’Espagne le 17 septembre 1497. Les Saadiens et les alaouites
essayèrent plusieurs fois de la récupérer sans succès.
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En 1774-1775, Sidi Mohammed ben Abdallah dans sa politique de libérer les territoires
marocains occupés, assiégea Sebta, Alhoceima et Mélilia, mais ses armés seront repoussées
par les espagnols.
En 1808, l'Espagne est confrontée à de graves problèmes de ravitaillement dans sa lutte contre
les Français, envisagea de céder Sebta, Melilla et les îles au Nord du Maroc contre des vivres.
La ville Melilla considérée comme enclave occupée, est revendiquée par le Maroc, a perdu
toutes ses industries après 1956, le commerce transfrontalier avec le Maroc (légal ou de
contrebande) constitue la source principale de revenus. Administrativement, la ville fait partie
de la circonscription de Malaga, les estimations de 2015 chiffrent sa population à 85 584
habitants.
Carte n°4 : Ville de Mélilia
La ville de Melilla est limitée par une frontière en forme de demi-cercle matérialisée par un
double système de grillages de 6 mètres de haut, sur 12 km de long, ponctué de miradors,
renforcé par la garde civile espagnole qui dispose d’un système électronique de détection,
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pour parer à toute tentative d’immigration clandestine. L’ensemble a été financé par l'Union
européenne, dans le cadre du Système Intégré de Vigilance Extérieur (SIVE) initié en 1998 et
appliqué à Sebta et Mélilia en 2002.
En 2018 une crise suite à la suspension unilatérale du trafic douanier à Melilla, voulue par
Rabat. La fermeture de la frontière commerciale, qui sépare le Maroc de l’enclave espagnole,
le 31 juillet 2018, a jeté un coup de froid dans les relations commerciales entre les deux
royaumes.
Rabat a décidé d’autoriser seulement le dédouanement des marchandises au port de Beni
Ansar qui jouxte la ville espagnole, afin de lutter contre l’économie informelle et l’évasion
fiscale et d’accroitre l’économie locale dans le nord du pays. Les importantes pertes subies
par la ville de Melilla ont alors poussé le gouvernement espagnol à intensifier les rencontres
avec le Maroc et créer un groupe de travail pour proposer des solutions aux problèmes
rencontrés. Le groupe qui ne s’est rencontré qu’une fois, le 11 décembre 2018 à Malaga, n’a
apporté aucune solution satisfaisante à part accorder quelques 15.000 à 20.000 permis
supplémentaires demandés par Rabat pour les camions de transport, ce dans le cadre de
l’accord bilatéral de transport, selon des sources espagnoles reprises par El Confidencial.
Photo n°7 : Barrière de Melilla vue du côté espagnol
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Photo n°8 : Tentative d’africains subsahariens de franchir la barrière de grillage pour entrer à
Mélilia.
Au problème de l’immigration clandestine aux frontières, s’ajoute l’intégrisme islamiste à
l’intérieur des deux villes, inspiré par le Wahhabisme qui considère ces deux villes de
« cancers infidèles et chrétiens en terre d’Islam » qu’il faut libérer.
Conclusion
Au cours de ce dernier mille ans, les territoires marocains et espagnoles se sont élargis ou
rétrécis selon la puissance ou la faiblesse des Etats, constituant parfois des empires dominants,
voire hégémoniques et autres fois des petits Etats émiettés, dominés et soumis.
Ainsi donc, leurs frontières actuelles sont « les cicatrices de leurs histoires sur leurs
géographies », avec ses heurs et malheurs des deux cotés. Si cette réalité ne peut être
oubliée, elle doit être dépassée pour quelle ne se répète pas, laissant la place aux projets
communs, seuls capables de se projeter pour construire un avenir commun de paix,
reconnaissance mutuelle, de progrès et prospérité.
En outre, le Maroc et l’Espagne savent très bien que ce litige territorial ne peut être isolé des
jeux et enjeux géopolitiques et géostratégiques mondiaux, du fait de leur centralité aussi bien
régionale que mondiale et ils sont suffisamment mures pour les affronter et les déjouer en
commun et les vaincre impérativement ensemble.
Cela n’empêche de considérer et reconnaître les colonies espagnoles au Maroc à l'heure
actuelle comme les plus anciennes colonies dans le monde, aux quelles l’Espagne refuse
d'engager des négociations, malgré les demandes répétées par le Maroc, et rejette
catégoriquement la formation d'une cellule de réflexion sur l'avenir des deux villes.
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Les raisons de ce refus sont nombreuses, du fait que l’Espagne utilise ce contentieux
territorial pour faire pression sur le Maroc dans les instances régionales et internationales,
quant il s’agit de la question du Sahara, ou de défendre ses intérêts auprès de ses partenaires.
Nous énumérons ci-dessous les principales questions qui lient le Maroc avec ses partenaires,
qui intéressent l’Espagne de près ou de loin, et le pousse à intervenir favorablement ou
défavorablement selon les conjonctures, les circonstances, ses intérêts et l’état de ses rapports
avec le Maroc.
Bien évidemment, la question du Sahara vient en tête des rapports entre le Maroc et
l’Espagne. Il paraît que les politiciens espagnols ne veulent pas une résolution définitive de
la question du Sahara qui libérerait le Maroc d’un problème majeur et lui permettrait de se
consacrer exclusivement à la question de Sebta et Melilla, d’un coté. De l’autre, chaque
année, lors du renouvellement de la résolution des Nations Unies sur le Sahara, le Maroc
accorde une grande attention à la position espagnole qui peut lui causer de sérieux problèmes.
C’est ce qui s’est produit effectivement maintes fois.
La question des eaux territoriales marocaines vient en second lieu des préoccupations aussi
bien marocaines qu’espagnoles. L’Espagne utilise son adhésion à l’UE pour faire pression sur
le Maroc quant il s’agit de défendre ses intérêts, notamment dans le renouvellement des
accords de pêche avec l’UE, ou l’exploitation des ressources naturelles du Sahara, ou les
accords commerciaux et agricoles entre l’Union Européenne et le Maroc…, combien de fois
rejetés et renégociés difficilement en partie, à cause des manœuvres espagnoles à travers les
eurodéputés, notamment du Parti Populaire espagnol, et la pression du lobby espagnol,
accusant le Maroc d’utiliser toujours le renouvellement de ses accords avec l’UE pour
accroitre l’aide communautaire en échange de l’accès à ses eaux et améliorer ses possibilités
d’exportation des produits agricoles ou autres vers l’UE, qui concurrençaient soi-disant les
produits espagnols.
Les délocalisations industrielles sont vues d’un mauvais œil espagnol, qui y voit une
concurrence déloyale, vu les coûts réduits de la main d’œuvre marocaine.
Le port de Tanger Med un sérieux concurrent du port d’Agéziras et de Sebta et le future port
de Nador West qui mettra en mal le port de Mélilia, sont autres éléments qui ne sont pas
appréciés par l’Espagne économique.
L’immigration marocaine croissante en Espagne est vue par la population espagnole
d’envahisseurs, alimentée par les médias.
D’un coté, le Maroc serait obligé de passer à travers l’Espagne pour accéder à cette Union, en
vue d’y défendre sa candidature pour un partenariat avancé. De l’autre côté, dans une
perspective de rationalité et de realpolitik, l’Espagne sera obligée de se concilier et coopérer
avec le Maroc, pont incontournable de l’Europe vers l’Afrique de l’Ouest.
Bref, l’histoire hypothèque certes les relations entre les deux pays, la persistance espagnole de
considérer ces territoires de la souveraineté nationale, et l’intention marocaine de récupérer
ses territoires encore occupés par l’Espagne ne facilite pas une entente cordiale et le
rétablissement des relations sur des bases durables.
Devant ces deux comportements totalement opposés, reste la volonté de construire un avenir
commun, basé sur la coopération, les partenariats, la convergence des intérêts, les
intelligences des personnes, des territoires, des acteurs socio-économiques…, qui peuvent
enterrer l’histoire et faire renaître un avenir commun, partagé, plus radieux, de paix et
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prospérité, dépassant le bon voisinage vers une vraie fraternité, capable si j’ose dire
d’espagniser le maroc et de marocaniser l’Espagne, qui fasse prévaloir l’esprit des sages
sur le comportement des otages, faire triompher un avenir meilleur, sur le passé douloureux,
régler le différend territorial par l’entente comportemental…
Cette intelligence existe des deux cotés, il faut la chercher, l’activer, lui donner l’occasion de
s’exprimer et proposer la bonne voie et la mettre en œuvre dans ce monde convulsif et
tumultueux.
Il ne faut pas punir ou châtier le Maroc actuel de l’histoire Almoravide ou Almohade. En tout
cas, il est suffisamment puni et il est temps de tourner la page historique, bien comprendre et
analyser l’état actuel, qui conditionnera le destin commun des deux Etats.
Bibliographie
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colonialista español en Marruecos: Instituto de Estudios Hispano-Lusos, 2009. - 323 p.
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Institut royal des études stratégiques (IRES) 2012, Les relations Maroc-Espagne : les leviers
d’une stratégie de coopération durable
PERIN. François Papet, "La mer d'Alboran ou le contentieux territorial hispano-marocain sur
les deux bornes européennes de Ceuta et Melilla". Tome 1, 794 p., tome 2, 308 p., thèse de
doctorat d'histoire contemporaine soutenue en 2012 à Paris 1-Sorbonne sous la direction de
Pierre Vermeren.
ZURLO. Yves (préface de Bernard Bessière) 2002, Ceuta et Melilla : histoire, représentations
et devenir de deux enclaves espagnoles, Paris, Budapest et Turin, L'Harmattan, « Recherches
et documents. Espagne », 2005, 320 p. Texte remanié d'une thèse de doctorat en espagnol,
soutenue en 2002.