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Jean-Pierre Geslin, professeur à l’IUFM du Bourget 1 La grenouille verte (Rana esculenta), commune dans toute l’Europe n’est pas toujours verte ! Sa couleur varie en réalité du vert au brun et il lui arrive parfois même d’être rousse ! C’est dire si la couleur n’est pas un critère pour la distinguer les 5 autres espèces de grenouilles vivant en France. Par contre, si vous repérez une ligne jaune ou vert clair qui suit sa colonne vertébrale c’est bien elle… la grenouille verte, celle surtout dont on consomme les cuisses. Intéressons nous ici à sa reproduction. I- L’accouplement et la ponte : A) La formation des couples Les grenouilles vertes hibernent dans la vase au fond de l’eau. Les couples se forment, chez les adultes ayant atteint la maturité sexuelle (adultes âgés de 3 ou 4 ans), en mai ou juin. La date est fonction de la température. Les mâles sont plus petits (ils peuvent atteindre 7,5 cm) que les femelles (elles mesurent jusqu’à 13 cm). Les mâles se rassemblent en premier sur les lieux de ponte et commencent à COASSER Ils peuvent effectuer cette opération dès l’âge de 18 mois. Le son est amplifié par 2 sacs vocaux qui se dilatent et sortent comiquement de chaque côté de la tête par une fente. Les mâles peuvent aisément se distinguer des femelles grâce à la présence de ces fentes et de leurs sacs vocaux, ces organes étant absents chez les femelles. Ces sacs, une fois gonflés, atteignent le volume d’une noisette. Le chant dure 2 à 3 secondes après quoi les sacs se vident rapidement. Quand de nombreux mâles occupent le même étang, le vacarme continue nuit et jour, presque sans interruption, pendant 5 ou 6 jours, au grand préjudice des habitants du voisinage. La voix des mâles guide quelques unes des femelles vers les lieux, tandis que d’autres (probablement celles qui ne sont pas encore prêtes à pondre) restent éloignées. On trouve ainsi, dans le même étang, plusieurs mâles pour une même femelle. La rivalité des mâles est néanmoins faible. Grenouille verte Dessin : R. Cazalas et M. Delattre On dit que la grenouille et le crapaud COASSENT et que le corbeau et la corneille CROASSENT.

I- L’accouplement et la ponte : A) La formation des couplesjpgeslin.free.fr/Reproduction Grenouille J-P Geslin.pdfIntéressons nous ici à sa reproduction. I- L’accouplement et

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Jean-Pierre Geslin, professeur à l’IUFM du Bourget 1

La grenouille verte (Rana esculenta), commune dans toute l’Europe n’est pas toujours verte ! Sa couleur varie en réalité du vert au brun et il lui arrive parfois même d’être rousse ! C’est dire si la couleur n’est pas un critère pour la distinguer les 5 autres espèces de grenouilles vivant en France. Par contre, si vous repérez une ligne jaune ou vert clair qui suit sa colonne vertébrale c’est bien elle… la grenouille verte, celle surtout dont on consomme les cuisses. Intéressons nous ici à sa reproduction.

I- L’accouplement et la ponte : A) La formation des couples

Les grenouilles vertes hibernent dans la vase au fond de l’eau. Les couples se forment, chez les adultes ayant atteint la maturité sexuelle (adultes âgés de 3 ou 4 ans), en mai ou juin. La date est fonction de la température. Les mâles sont plus petits (ils peuvent atteindre 7,5 cm) que les femelles (elles mesurent jusqu’à 13 cm). Les mâles se rassemblent en premier sur les lieux de ponte et commencent à COASSER Ils peuvent effectuer cette opération dès l’âge de 18 mois. Le son est amplifié par 2 sacs vocaux qui se dilatent et sortent comiquement de chaque côté de la tête par une fente. Les mâles peuvent aisément se distinguer des femelles grâce à la présence de ces fentes et de leurs sacs vocaux, ces organes étant absents chez les femelles.

Ces sacs, une fois gonflés, atteignent le volume d’une noisette. Le chant dure 2 à 3 secondes après quoi les sacs se vident rapidement. Quand de nombreux mâles occupent le même étang, le vacarme continue nuit et jour, presque sans interruption, pendant 5 ou 6 jours, au grand préjudice des habitants du voisinage. La voix des mâles guide quelques unes des femelles vers les lieux, tandis que d’autres (probablement celles qui ne sont pas encore prêtes à pondre) restent éloignées. On trouve ainsi, dans le même étang, plusieurs mâles pour une même femelle. La rivalité des mâles est néanmoins faible.

Grenouille verte

Dessin : R. Cazalas et M. Delattre

On dit que la grenouille et le crapaud COASSENT et que le corbeau et la

corneille CROASSENT.

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B) L’accouplement : L’accouplement a lieu en pleine eau (8 à 15 cm de profondeur). Le mâle serre la femelle sous les aisselles avec ses « mains » dont le « pouce » est muni, sur sa face interne, d’une callosité cornée. En fait le « pouce » est atrophié, la patte antérieure ne comporte que 4 doigts et c’est le doigt II qui porte la callosité. Avec leur intelligence limitée, les mâles sont incapables de reconnaître un mâle d’une femelle sans se référer au coassement. Il arrive parfois qu’un mâle grimpe sur le dos d’un autre mâle silencieux. Ce dernier se met immédiatement à grogner et cherche à se dégager. Le mâle dans l’erreur, averti de sa méprise par le grognement, lâche alors immédiatement prise.

C) La ponte et la fécondation : Après une longue attente, une femelle âgée d’au moins 4 ans, pond ses ovules (= œufs non fécondés) qui sont arrosés immédiatement par la semence du mâle. La fécondation se produit dans l’eau et non pas dans le corps de la femelle, on dit qu’elle est externe.

L’abbé Spallanzani Lazzaro a montré en 1775, le rôle joué par les mâles de grenouilles en leur faisant porter de petites culottes serrées munies de bretelles ! Les mâles affublés de ces culottes ne parvenaient pas à féconder les ovules pondus par les femelles et ces ovules pourrissaient. Si (dans un second temps) Spallanzani récupérait le liquide émis par les mâles dans les caleçons et s’il plaçait ce liquide en présence des ovules : ceux-ci étaient fécondés et donnaient naissance à des têtards. Dans les conditions normales, la ponte s’effectue sur 1 à 2 jours en plusieurs émissions chacune dépassant rarement 300 « œufs ». Le nombre total d’ « œufs » (en fait d’ovules) pondus par la femelle de Rana esculenta au cours d’une saison peut atteindre 5000 à 10 000. Les œufs fécondés flottent d’abord, accrochés aux herbes, à quelques centimètres de la surface, puis coulent au fond. Ils sont abandonnés par les parents.

Compléments : 1) La grenouille rousse, bien adaptée au froid, pond ses œufs de février à avril puis les abandonne.

2) Après la ponte de la femelle, le pipa ♂ place les œufs, qu’il a fécondés, sur le dos spongieux de sa partenaire. La peau de la ♀ gonfle rapidement et les recouvre pendant tout leur développement.

La fécondation :

Document extrait de « Sciences et technologie », nouvelle collection Tavernier CE2. Bordas.

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II- L’éclosion et la vie fixée : A) L’éclosion :

Les œufs, de couleur foncée, sont entourés d’une enveloppe gélatineuse qui gonfle au contact de l’eau après la fécondation. Ils atteignent ainsi 2 à 3 mm et ressemblent à une groseille blanche renfermant un pépin noir. La masse noirâtre de l’œuf prend peu à peu la forme d’une virgule et commence à remuer faiblement. L’éclosion a lieu 4 à 10 jours après la ponte. En élevage, on évitera de changer l’eau avant que l’ensemble des éclosions soient terminées. Attention… l’eau ne sera d’ailleurs jamais changée en totalité mais par fractions.

Il sort de l’œuf, non pas une petite grenouille, mais un être dépourvu de pattes, muni d’une queue et présentant une grosse tête… d’où le nom de têtard. En fait, ce qu’on appelle la tête correspond à l’ensemble tête + tronc.

Le têtard est encore imparfait : * Les yeux sont clos. * La bouche n’est pas encore apparue. * Les fentes respiratoires ne sont pas percées et le têtard respire par la peau (= respiration cutanée).

Le têtard va achever de se modeler en épuisant les réserves de l’œuf emmagasinées dans son corps.

B) La vie fixée : Dès sa sortie de sa gangue gélatineuse, la larve se fixe grâce à sa ventouse sur une plante aquatique ou un caillou, de préférence verticalement.

III- Le têtard : A) Le têtard à branchies externes :

Très rapidement le têtard s‘enhardit. Il nage par brèves saccades grâce au mouvement de sa queue aplatie latéralement.

Vers le 2ème jour, il apparaît de chaque côté de la tête, d’abord 2 puis une 3ème fentes branchiales garnies chacune d’une branchie externe ramifiée où le sang, poussé par un cœur fonctionnel, circule abondamment. La 3ème branchie restera toujours plus petite.

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La bouche et l’anus se percent et la larve, désormais pourvue d’un bec corné, broute la gangue des œufs, des herbes en décomposition et des infusoires (= protozoaires ciliés). A partir de ce moment, on la nourrira en élevage avec un peu de salade cuite.

B) Le têtard à branchies internes : Une semaine plus tard, les branchies externes vont disparaître du fait de la formation de 2 replis cutanés droit et gauche qui, en 2 ou 3 jours, vont se développer vers l’arrière et les recouvrir. Ces replis vont se souder, ne laissant ouvert qu’un SPIRACLE unique situé à gauche.

Les branchies externes vont ensuite se résorber et des branchies internes vont les remplacer. A partir de ce moment, le têtard ouvre et ferme continuellement la bouche : l’eau y pénètre, baigne les branchies et ressort par le spiracle sur le côté gauche. Cette respiration aquatique est tout à fait comparable à celle des poissons.

IV- Du têtard à la grenouille :

A) Changement de régime alimentaire : Le têtard muni de branchies internes amorce une longue croissance qui va durer 2 mois et lui permettra d’atteindre 5 cm de long. Vers la fin de ces 2 mois, son régime alimentaire se modifie et il râpe de son bec corné les vers, les animaux morts (escargots d’eaux douces, têtards) : il est devenu omnivore. En élevage, on le nourrit alors de salade crue ou d’une rondelle de pomme de terre crue souvent changée (afin d’éviter les fermentations) + quelques pincées de daphnies séchées.

B) Apparition des pattes postérieures :

A la fin de ces 2 mois, soit 80 jours après la ponte, une paire de bourgeons se déve-loppent à la base de la queue. Ils se transforment progressivement en pattes postérieures dont les proportions sont celles de l’adulte.

A partir de ce moment, on nourrit les têtards de daphnies séchées et de vers de vase que l’on laisse vivre dans l’aquarium.

C) Apparition des pattes antérieures : 15 jours plus tard, les pattes antérieures (dont les bourgeons se forment sous l’opercule), apparaissent.

La patte gauche sort la première, par le spiracle, tandis que la patte droite perfore l’opercule et sort un peu plus tard. En fait, il ne s’agit pas d’une déchirure mais d’une autolyse spontanée.

Remarque : chez les urodèles (tritons et salamandres), ce sont les membres antérieurs qui apparaissent les premiers.

A noter que l’anus est un peu décalé sur la droite.

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D) Remaniements généraux : Le régime est devenu franchement carnivore et l’appareil digestif s’adapte : l’intestin se raccourcit et la spiralisation intestinale qui était visible par transparence chez le têtard disparaît. A ce moment certains proposent de nourrir les têtards avec de minuscules morceaux de beefsteak. En mettre 3 fois par semaine et enlever les fragments restants au bout de 2 heures à chaque fois… de façon à éviter que la viande se décompose et empoisonne les têtards. La queue régresse. Les têtards les plus avancés remontent vers la surface et rejettent par leurs narines, désormais percées, une bulle d’air : les poumons sont devenus fonctionnels. Les branchies, après avoir coexisté quelques jours avec les poumons, ont été résorbées et la circulation est devenue pulmonaire. Le cœur a son oreillette cloisonnée en 2 mais le ventricule reste non divisé. Enfin, les têtards à 4 pattes montent sur des pierres émergées. En élevage, ne pas omettre de placer des morceaux de liège en surface ou de disposer des grosses pierres dépassant de cette surface. Encore quelques jours et la grenouille sautera, chassant alors uniquement des aliments mobiles (vers minuscules, moucherons…). Il devient alors difficile d’assurer la pérennité de l’élevage. Devenues plus volumineuses, les grenouilles mangeront ultérieurement des rainettes, de très jeunes crapauds, des petits poissons et bien sur des insectes et des vers. Elles pourront même se montrer cannibales en élevage si la promiscuité est trop importante.

V) Quelles sont les causes de la métamorphose ? Les changements successifs d’organisa-tions et de milieux de vie précédents sont appelés des métamorphoses. * En 1916, Allen enlève une glande : la thyroïde sur des têtards et observe que la métamorphose ne se produit pas et que la croissance se poursuit mais lentement : on aboutit à des têtards géants. * Si on nourrit des têtards avec des fragments de thyroïde de mouton (comme l’avait fait Gudernatsch dès 1912) ou si on ajoute dans l’aquarium des extraits de thyroïde, on observe des métamorphoses anticipées avec apparition de grenouilles naines. * L’implantation d’extraits de thyroïde localement dans le corps d’un têtard entraîne, selon le lieu, une disparition des dents cornées, une fonte des branchies, un raccourcissement de l’intestin ou une régression de la queue.

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Conclusion : durant la phase larvaire, la thyroïde n’est pas fonctionnelle. Dans la période qui précède la métamorphose, elle commence à produire une substance appelée « HORMONE » (ici elle a reçu le nom de thyroxine) qui enclenche la métamorphose. Si on fournit plus tôt la thyroxine, la métamorphose se produira de façon anticipée.

Récapitulation et conclusion :

Le développement de la grenouille passe par 2 stades séparés par une métamorphose. A l’état larvaire, la grenouille vit et respire dans l’eau. A l’état adulte, elle vit sur terre ET dans l’eau et respire l’air atmosphérique : elle est AMPHIBIE. La grenouille appartient en conséquence à la classe des AMPHIBIENS… on dit encore classe des BATRACIENS (du grec batrakos = grenouille).

« Sciences et technologie », collection Tavernier. CM. Bordas.

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Documents photographiques :

Œuf isolé de grenouille rousse. A noter la présence de branchies de

chaque côté de la tête.

Têtard au stade 2 pattes postérieures. On

devine les pattes antérieures sous la peau, à l’intérieur de la chambre branchiale.

Jeune grenouille avec moignon de queue. La respiration est maintenant pulmonaire.

Illustrations de Claude Nuridsany et Marie Perennou.