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La Lettre du Gynécologue • n o 386-387 - novembre-décembre 2013 | 23 DOSSIER Iatrogenèse en analgésie obstétricale Obstetric analgesia and iatrogenesis F. Bayoumeu* * Pôle d’anesthésie réanimation, hôpital Paule-de-Viguier, CHU de Toulouse. L a iatrogenèse est "l’ensemble des conséquences néfastes sur l’état de santé individuel ou collectif de tout acte ou mesure pratiqués ou prescrits par un professionnel de santé habilité et qui vise à préserver, améliorer ou rétablir la santé" (1). Ce terme est issu du mot grec signifiant “provoqué par le médecin”. La iatrogenèse est difficile à distinguer des effets indésirables de l’intervention médicale, les 2 notions se chevauchant sans se recouvrir véri- tablement. La notion de gravité et d’évolution sur une durée relativement prolongée et nécessitant une prise en charge spécifique est attachée à la iatrogenèse. Dans ce texte, le propos sera limité aux situations particulièrement graves induites par le médecin anesthésiste en analgésie obstétricale, celle-ci étant définie comme l’élimination de la douleur pendant l’accouchement quelle qu’en soit la voie, sans perte de conscience. Anesthésie locorégionale périmédullaire L’anesthésie locorégionale périmédullaire (ALRPM) est très largement employée en France. Les chiffres de l’enquête périnatale rapportent un taux de recours de 80 % en 2010 (2). J.L. Hawkins fait une synthèse didactique remar- quable des connaissances actuelles dans le domaine de l’analgésie péridurale (3). La fréquence des effets adverses qu’il synthétise est résumée dans le tableau, p. 24. Ces fréquences sont confirmées par la dernière analyse de la Cochrane Data Base (4). La prévention des différents effets indésirables a été intégrée à la pratique quotidienne anesthésique. L’adaptation des protocoles – notamment la dilution des anesthésiques locaux et leur association aux morphiniques –, le respect des règles d’asepsie et des contre-indications exceptionnelles (coagulopathie non corrigée par la grossesse), et l’acceptation d’une prolongation de la durée de la phase d’engagement et d’expulsion ont permis de réduire l’observation de la plupart de ces effets. La iatrogenèse qui nous préoccupe réellement au quotidien est la céphalée par brèche méningée. Négligée, incorrectement traitée, elle peut véritablement nuire à la période du post-partum, altérer la relation mère/enfant et compromettre l’allaitement. Soixante-dix pour cent des brèches se compliquent de céphalées, la moitié environ requiert l’injection de sang autologue dans l’espace péridural (blood patch). La céphalée peut être révélatrice de la brèche passée inaperçue pendant la ponction. Des complications neuro- logiques graves peuvent être observées après une brèche, par exemple un hématome sous-dural intra- crânien (5). Des céphalées chroniques peuvent appa- raître (6). La réduction de la fréquence des brèches méningées, au-delà de l’expertise du médecin qui réalise le geste, qui n’est pas une garantie absolue, est difficile. Un taux incompressible est inhérent au geste. Ce taux doit être clairement indiqué à toutes les femmes enceintes lors de la consultation d’anesthésie prénatale. La réalisation d’un blood patch, parfois d’un second en cas de récurrence des céphalées, est le traitement de première intention. Sa réalisation doit être confiée aux membres les plus expérimentés de l’équipe. Les anesthésistes exerçant en maternité ont d’ailleurs développé une expertise dans le traitement des céphalées de l’hypotension intracrânienne, qu’ils mettent au service des autres spécialités. Un second axe pour la prévention de la iatrogenèse en ALRPM est la prévention des erreurs médica- menteuses sous-déclarées et mal connues. Peu de données sont disponibles dans la littérature à ce sujet, mais on en trouve actuellement de très intéressantes sur les sites consacrés à la sécurité dans l’utilisation des médicaments (7). Tous les

Iatrogenèse en analgésie obstétricaleEnfin, le retentissement sur le développement cognitif de l’enfant est un domaine à défricher. Mots-clés Céphalées Fièvre ... Recours

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La Lettre du Gynécologue • no 386-387 - novembre-décembre 2013 | 23

DOSSIER

Iatrogenèse en analgésie obstétricaleObstetric analgesia and iatrogenesis

F. Bayoumeu*

* Pôle d’anesthésie réanimation, hôpital Paule-de-Viguier, CHU de Toulouse.

La iatrogenèse est "l’ensemble des conséquences néfastes sur l’état de santé individuel ou collectif de tout acte ou mesure pratiqués ou prescrits

par un professionnel de santé habilité et qui vise à préserver, améliorer ou rétablir la santé" (1). Ce terme est issu du mot grec signifi ant “provoqué par le médecin”. La iatrogenèse est diffi cile à distinguer des effets indésirables de l’intervention médicale, les 2 notions se chevauchant sans se recouvrir véri-tablement. La notion de gravité et d’évolution sur une durée relativement prolongée et nécessitant une prise en charge spécifi que est attachée à la iatrogenèse. Dans ce texte, le propos sera limité aux situations particulièrement graves induites par le médecin anesthésiste en analgésie obstétricale, celle-ci étant définie comme l’élimination de la douleur pendant l’accouchement quelle qu’en soit la voie, sans perte de conscience.

Anesthésie locorégionale périmédullaireL’anesthésie locorégionale périmédullaire (ALRPM) est très largement employée en France. Les chiffres de l’enquête périnatale rapportent un taux de recours de 80 % en 2010 (2).J.L. Hawkins fait une synthèse didactique remar-quable des connaissances actuelles dans le domaine de l’analgésie péridurale (3). La fréquence des effets adverses qu’il synthétise est résumée dans le tableau, p. 24. Ces fréquences sont confi rmées par la dernière analyse de la Cochrane Data Base (4).La prévention des différents effets indésirables a été intégrée à la pratique quotidienne anesthésique. L’adaptation des protocoles – notamment la dilution des anesthésiques locaux et leur association aux morphiniques –, le respect des règles d’asepsie et des contre-indications exceptionnelles (coagulopathie

non corrigée par la grossesse), et l’acceptation d’une prolongation de la durée de la phase d’engagement et d’expulsion ont permis de réduire l’observation de la plupart de ces effets. La iatrogenèse qui nous préoccupe réellement au quotidien est la céphalée par brèche méningée. Négligée, incorrectement traitée, elle peut véritablement nuire à la période du post-partum, altérer la relation mère/enfant et compromettre l’allaitement. Soixante-dix pour cent des brèches se compliquent de céphalées, la moitié environ requiert l’injection de sang autologue dans l’espace péridural (blood patch). La céphalée peut être révélatrice de la brèche passée inaperçue pendant la ponction. Des complications neuro-logiques graves peuvent être observées après une brèche, par exemple un hématome sous-dural intra-crânien (5). Des céphalées chroniques peuvent appa-raître (6). La réduction de la fréquence des brèches méningées, au-delà de l’expertise du médecin qui réalise le geste, qui n’est pas une garantie absolue, est diffi cile. Un taux incompressible est inhérent au geste. Ce taux doit être clairement indiqué à toutes les femmes enceintes lors de la consultation d’anesthésie prénatale. La réalisation d’un blood patch, parfois d’un second en cas de récurrence des céphalées, est le traitement de première intention. Sa réalisation doit être confi ée aux membres les plus expérimentés de l’équipe. Les anesthésistes exerçant en maternité ont d’ailleurs développé une expertise dans le traitement des céphalées de l’hypotension intracrânienne, qu’ils mettent au service des autres spécialités.Un second axe pour la prévention de la iatro genèse en ALRPM est la prévention des erreurs médica-menteuses sous-déclarées et mal connues. Peu de données sont disponibles dans la littérature à ce sujet, mais on en trouve actuellement de très intéressantes sur les sites consacrés à la sécurité dans l’utilisation des médicaments (7). Tous les

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RésuméLa céphalée par brèche méningée est la complication iatrogène la plus courante en analgésie obstétricale. Toute parturiente doit être informée de l’éventualité de sa survenue. L’organisation des soins en salle d’accouchement doit impérativement s’attacher à la prévention des erreurs de voie d’administration des médicaments. La fièvre de mécanisme inflammatoire ou infectieux en cours de travail sous analgésie périmédullaire est plus fréquente que lors du travail sans analgésie périmédullaire. Les morphiniques modernes utilisés en mode auto-administré présentent des risques de dépression respiratoire maternelle. Des erreurs de raisonnement sur les contre-indications à l’analgésie périmédullaire peuvent conduire à des décisions médicales absurdes. Enfin, le retentissement sur le développement cognitif de l’enfant est un domaine à défricher.

Mots-clésCéphaléesFièvreErreurs médicamenteusesDépression respiratoireErreurs de raisonnement

SummaryHeadache by meningeal breach is the most common iatrogenic complication in obstetric anal-gesia.Any parturient should be informed of the possibility of its occurrence. The organiza-tion of care in the delivery room must focus on preventing errors of route of administra-tion of drugs. Fever of infec-tious infl ammatory mechanism during labor with an epidural is more frequent than without epidural analgesia. Morphine used in modern self-managed modeis at risk of maternal respiratory depression.Errors of reasoning about cons-indications to epidural analgesia may lead to absurd medical decisions. Finally, the impact on the cognitive devel-opment of the child is an area to clearify.

KeywordsHeadache

Fever

Medication errors

Respiratory distress

Fallaciesmédicaments ou antiseptiques utilisés en salle d’accouchement sont susceptibles d’être injectés accidentellement par voie péridurale et l’ont proba-blement été. Inversement, les solutions analgésiques peuvent être injectées par voie intraveineuse. La prévention de ces accidents repose sur l’éducation et la sensibilisation des soignants, mais aussi sur la mise en place de barrières de prévention telles que :

➤ l’identifi cation des ampoules et contenants ; ➤ des préparations ou présentations uniformes

dans une même structure ; ➤ des lignes d’administration repérées clairement

(code couleur par exemple, le jaune est suggéré pour la voie péridurale) ;

➤ des matériels d’administration automatisée dif-férents pour chaque voie, par exemple une pompe débimétrique pour la voie veineuse (ocytocine) et un pousse-seringue ou une pompe d’analgésie contrôlée par le patient d’un modèle différent pour la voie périmédullaire ;

➤ un stockage des préparations en des lieux dif-férents pour les différentes voies.L’utilisation d’anesthésiques locaux dilués et le choix des molécules les moins cardiotoxiques complètent la stratégie de prévention. La récupération doit aussi être organisée. Par exemple, l’administration intraveineuse des anesthésiques locaux pouvant conduire à un arrêt cardiaque de réanimation diffi -

Tableau. Effets indésirables de l’analgésie péridurale d’après J.L. Hawkins (3) et M. Anim-Somuah et al. (4).

Effets indésirables Données rapportées par Hawkins Données Cochrane 2011RR ou moy. ; IC95

Taux de césariennes Inchangé, même si analgésie instaurée précocement dans le travail

1,10 ; 0,97-1,25

Deuxième partie du travail Augmenté de 15 à 30 mn 13,66 ; 6,67-20,66

Extractions instrumentales Augmentées 1,42 ; 1,28-1,57

Recours à l’ocytocine Augmenté 1,19 ; 1,03-1,39

Altérations du rythme cardiaque 10 à 20 % précocement, sans impact sur le devenir néonatal

Apgar < 7 à 5 mn0,80 ; 0,54-1,20

Hypertonie utérine Observée principalement avec les morphiniques sous-arachnoïdiens

ND

Rétention urinaire Fréquente, d’autant plus que les concentrations sont élevées et que le bloc moteur est dense

17,05 ; 4,82-60,39

Hématome péridural 1 pour 168 000 ND

Abcès péridural 1 pour 145 000 ND

Séquelle neurologique persistante 1 pour 240 000 ND

Altération neurologique transitoire 1 pour 6 700 ND

Hypotension artérielle Jusqu’à 80 % 18,23 ; 5,09-65,35

Céphalée par brèche méningée 1 % 0,96 ; 0,81-1,15

Lombalgies chroniques Non augmentées 0,96 ; 0,86-1,07

Rachianesthésie “totale” Signalée, fréquence non rapportée ND

Toxicité systémique des anesthésiques locaux

Signalée, fréquence non rapportée ND

ND : non déterminé ; RR : risque relatif.

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DOSSIER

cile dans le contexte particulier de la grossesse, les solutions lipidiques (huile de soja purifi ée) et leur protocole d’utilisation doivent être disponibles en salle d’accouchement. On peut rapprocher de ces erreurs médicamenteuses la rachianesthésie étendue par injection sous-arachnoïdienne de la solution analgésique destinée à la voie péridurale, qui peut conduire à une détresse respiratoire et hémodyna-mique. La réanimation de ces événements excep-tionnels, dont la fréquence exacte est inconnue, doit être organisée dans la salle d’accouchement. L’équipement matériel nécessaire est prévu par les décrets qui régissent l’anesthésie et la périnatalité. La formation des équipes médicales, incluant tous les acteurs de la naissance dans le domaine du diagnostic et du traitement, devrait être conduite méthodiquement par la mise en place de séances d’entraînement ou de simulation.Enfi n, la fi èvre pendant le travail sous analgésie péri-durale est un phénomène identifi é et discuté depuis plus de 2 décennies et connaît un regain d’actualité par les avancées sur ses mécanismes. Le risque relatif est de 3,34 (2,63-4,23) par rapport à un travail mené sans ALRPM (4). Cette fi èvre peut poser des pro-blèmes de diagnostic différentiel avec un phéno-mène infectieux (8). On l’a d’abord attribuée à un déséquilibre entre la production et la dispersion de chaleur maternelle. La distinction exacte entre fi èvre d’origine infectieuse et fi èvre liée intrinsèquement à l’ALRPM est diffi cile à établir dans la mesure où, dans la plupart des travaux, l’ALRPM était plus volontiers proposée à des patientes primipares au travail long – parfois sur rupture prolongée des membranes – plus souvent déclenchées, examinées de multiples fois pendant le travail, toutes circonstances qui augmen-tent le risque infectieux per partum et la durée de l’analgésie. L’analgésie péridurale était ainsi rendue responsable d’antibiothérapies, maternelle et néo-natale, inutiles dans le péripartum, voire d’hospi-talisations néonatales. On sait par ailleurs que la fi èvre en cours de travail est susceptible d’aggraver, indépendamment de son étiologie, les lésions céré-brales néonatales hypoxiques de toute étiologie qui pourraient survenir. Par ailleurs, des travaux récents semblent établir un lien entre fi èvre maternelle et état neurologique du nouveau-né à la naissance en dehors de l’existence de lésions hypoxiques (9). La fi èvre maternelle peut aussi conduire plus facilement à l’interventionnisme obstétrical. Aujourd’hui, des mécanismes d’ordre infl ammatoire, avec implication de l’interleukine 6, sont particulièrement suspectés dans le rapport entre fi èvre maternelle et état neuro-logique du nouveau-né à la naissance, renouvelant

l’intérêt de cette question (8). La prévention et le traitement de l’hyperthermie au cours du travail ouvrent un large champ d’investigation (10). Le para-cétamol est actuellement le plus utilisé de façon empirique.

Morphiniques administrés en PCA par voie intraveineuseLes morphiniques ont été largement utilisés avant les ALRPM, surtout par voie intramusculaire. Les sages-femmes bénéfi ciaient en France d’un droit de prescription de la péthidine, jusqu’à 200 mg, pendant le travail. Les effets délétères sur le nou-veau-né de cette molécule, qui resterait le mor-phinique le plus utilisé dans le monde, ont été largement documentés (11). Première à avoir été utilisée par voie intraveineuse pour l’analgésie contrôlée par la patiente (ACP IV) en obstétrique dans les années 1970, elle a été remplacée en droit de prescription des sages-femmes par la nalbuphine 20 mg pour un travail selon un protocole mis en place avec le médecin anesthésiste-réanimateur. Au cours des 2 décennies écoulées, d’autres molé-cules ont été essayées pendant le travail dans des situations de contre-indication à l’ALRPM. On peut citer le fentanyl, le sufentanil et, plus récemment, le rémifentanil. Ce dernier, un morphinique très puis-sant au très court délai d’action associé à une demi-vie contextuelle de 3,3 minutes, a une cinétique correspondant assez bien aux caractéristiques de la douleur obstétricale : installation rapide et durée brève, intensité élevée. Son métabolisme est assuré par les estérases plasmatiques et tissulaires pré-sentes également chez le fœtus et le nouveau-né. Le transfert placentaire est important et rapide, cependant les rapports entre les concentrations artérielle et veineuse ombilicales montrent que le métabolisme est rapide chez l’enfant. Les séries publiées montrent jusqu’à présent un faible reten-tissement néonatal. Cependant, un cas de rigidité thoracique rapidement résolutive a été rapporté au décours d’une césarienne (12). L’utilisation en ACP IV comporte des bolus de 0,25 à 0,5 μg. kg-1 et des périodes réfractaires de 2 à 3 minutes. L’effi cacité analgésique pour la première partie du travail et la satisfaction maternelle pour la globalité du travail semblent supérieures à celles des autres morphi-niques, en particulier ceux contenant de la péthi-dine (11). Les scores douloureux restent élevés pour la seconde partie du travail. Sédation et hypoxie maternelles sont rencontrées. L’association à un

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Iatrogenèse en analgésie obstétricale

DOSSIERIatrogenèse

en médecine périnatale

autre morphinique (par exemple la nalbuphine en début de travail) et l’administration concomitante de protoxyde d’azote majorent le risque d’hypoxie maternelle. Le risque de dépression respiratoire maternelle impose la possibilité d’une oxygéno-thérapie, un monitorage de la SpO2, une voie vei-neuse munie d’un dispositif antiretour et la présence continue d’un personnel soignant, susceptible de détecter la dépression respiratoire maternelle, ce qui limite à l’évidence la diffusion de cette alterna-tive. Un cas récemment rapporté par J.C. Bonner et al. montre clairement que ces situations existent et que ce morphinique ne peut être manipulé de façon banale (13). Ce cas clinique a suscité dans la presse spécialisée la réaction de nombreux anes-thésistes exerçant en obstétrique. Le rémifentanil est un agent dont l’utilisation ne relève pas de per-sonnel non compétent en anesthésie. En France, sa prescription ne peut être que du ressort d’un médecin qualifi é en anesthésie-réanimation qui, logiquement, assure la surveillance et le traitement des effets indésirables. La proposition de faire du rémifentanil une alternative routinière à l’ALRPM se discute donc aussi en termes de iatrogenèse malgré les évaluations positives de certaines équipes qui y voient une technique de substitution à l’ALRPM quand celle-ci n’est pas facilement disponible pour des problèmes de ressources humaines anesthé-siques (14) ! En dernier lieu, on peut souligner que cette technique d’analgésie ne peut se transformer en technique d’anesthésie si la demande en est faite par l’équipe obstétricale en cours de travail, contrai-rement à l’ALRPM.

Erreurs de raisonnement dans la stratégie analgésique

La iatrogenèse peut aussi provenir d’erreurs de rai-sonnement autour de la stratégie analgésique. La plupart des femmes vues en consultation d’anes-thésie au troisième trimestre sont exemptes de pathologie associée. Cependant, elles constituent un échantillon représentatif de la population générale en termes de comorbidités associées au même âge. La méconnaissance ou la connaissance approximative du retentissement et de l’inter-action avec l’ALRPM de ces pathologies associées peut conduire à une contre-indication posée assez facilement à l’ALRPM, qui n’est après tout qu’une technique facultative. Quand cette contre- indication anesthésique rencontre, parfois sans dialogue, une réticence obstétricale à un accouchement sans

technique analgésique pouvant se transformer à tout moment en technique anesthésique, on peut aboutir à des décisions absolument iatrogènes. Pour illustrer ce propos, on peut rapporter le cas d’une patiente primipare porteuse d’un syndrome d’hyper-tension intracrânienne bénigne, sans complication rétinienne, pour laquelle le médecin anesthésiste consulté contre-indique l’analgésie péridurale, car, dans son esprit, “hypertension intracrânienne” est une contre-indication absolue et il a raison si le mécanisme est un processus expansif. L’obstétri-cien veut limiter les efforts expulsifs susceptibles d’aggraver, selon lui, la pression intracrânienne ; comme il n’y aura pas d’ALRPM, il pose l’indication en l’absence de tout autre motif d’une césarienne et son confrère anesthésiste lui propose la seule tech-nique qui lui semble possible : l’anesthésie générale. Ainsi, on induit une double prise de risque, alors que dans le cas en question, ni l’ALRPM, ni la voie basse ne sont contre-indiquées. Ces erreurs de raisonne-ment ne peuvent se prévenir que par la discussion collégiale des situations inhabituelles.

Troubles de l’organisation neurocomportementale du nouveau-né et de l’enfant

L’innocuité sur le nouveau-né des agents de toute nature utilisés pour soulager la douleur du travail est un sujet récurrent qui prend parfois un aspect passionné. Dans le passé, des données extraites de leur contexte ont été utilisées pour s’opposer à la demande des femmes, en particulier dans le domaine de l’ALRPM ou même des morphiniques. Certains ont avancé sans véritable preuve que, par exemple, l’enfant dont la mère a reçu des morphi-niques serait plus volontiers exposé à une toxico-manie ultérieure, ou que l’allaitement était voué à l’échec pour les femmes bénéfi ciant de l’ALRPM. Des relations entre autisme et anesthésie générale ou ALRPM, mais aussi présentation du siège, ont été retrouvées dans des travaux rétrospectifs. La toxicité des agents anesthésiques, provoquant chez l’animal une apoptose prématurée des neurones en voie de développement, a également suscité des interrogations dans le milieu de l’anesthésie pédiatrique et obstétricale. Des travaux cliniques remettent ces questions dans le champ des discus-sions scientifi ques. Un travail récent, mais portant sur un tout petit effectif, rapporte une altération de la structuration du comportement de succion

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LA CONTRACEPTION EN PRATIQUEDe la situation clinique à la prescriptionBrigitte Raccah-Tebeka est praticien hospitalier à l’hôpital Robert-Debré de Paris.Geneviève Plu-Bureau est professeur des universités et praticien hospitalier à l’hôpital Cochin-Port-Royal, Université Paris Descartes.

La contraception est un enjeu majeur de santé publique concernant toutes les femmes en pé-riode d’activité génitale.Comment fournir à chaque femme la contraception la plus adaptée et la plus sûres ?L’ouvrage, élaboré sous forme de chapitres synthétiques et pratiques, structurés toujours selon le même plan (la défi nition de la situation clinique, son épidémiologie, le risque des contra-ceptions de développer l’éventuelle pathologie et enfi n les stratégies contraceptives dans le contexte clinique défi ni), a pour objet de passer en revue les diverses situations cliniques, de la plus simple aux pathologies plus rares, face auxquelles les éléments de choix des différentes stratégies contraceptives envisageables sont moins connus.Une solution contraceptive est toujours proposée pour chaque situation clinique sur la base des recommandations françaises ou internationales régulièrement mises à jour au fi l des progrès de la recherche. Ainsi, cet ouvrage tente de répondre aux questions précises des praticiens de terrain au vu de l’évolution constante des différentes molécules ou contraceptions disponibles.Il s’adresse à tous les praticiens concernés à l’hôpital comme en médecine de ville : gynécologues médicaux, obstétriciens, chirurgiens gynécologiques, généralistes, sages-femmes et internes en formation.

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DOSSIER

après une analgésie péridurale, en particulier chez les fi lles (15). Les méta-analyses ne sont pas capables de trancher dans le domaine des comportements de succion et des taux de succès de l’allaitement qui dépend d’une multitude de facteurs (3). Un autre travail montre que l’ALRPM pour l’accouchement par voie basse ne protège pas les enfants des troubles de l’apprentissage, contrairement à ce que la même équipe avait montré pour la césarienne sous ALRPM en comparaison de l’accouchement par voie basse ou la césarienne sous anesthésie générale (16).

Ces travaux montrent la nécessité de se pencher de façon prospective, avec une méthodologie irré-prochable, sur cette question de l’effet à long terme des facteurs multiples, dont l’analgésie et ses agents, intervenant pendant la naissance. Pour conclure, l’analgésie obstétricale génère un certain nombre de risques qu’il faut contenir par une politique de prévention adaptée. Les acci-dents graves sont rares et classent cette activité médicale dans la catégorie des activités de grande sûreté. ■

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Références bibliographiques

ÉÉÉÉÉÉdi i El i Mdi i El i MM

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.