Idéologie et utopie dans le recueil Fisarmonica rossa L · PDF fileIdéologie et utopie dans le recueil Fisarmonica rossa 3 la rage, le rythme rouilleux et sourd de la révolte3 (Matacotta

  • Upload
    donhi

  • View
    217

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

  • LUZI Alfredo, Idologie et utopie dans le recueil Fisarmonica rossa, RiLUnE, n. 1, 2005, p. 1-13.

    Alfredo Luzi

    Idologie et utopie dans le recueil Fisarmonica rossa

    E RECUEIL DE VERS Fisarmonica rossa1 (Laccordon rouge) vit la lumire du jour au mois de septembre 1945, lorsque les horribles blessures de la guerre taient toujours saignantes.

    Proposer encore une fois, de nos jours, la lecture et linterprtation de ce texte revient mettre en branle une ultrieure enqute sur ces vnements douloureux en relisant luvre de Franco Matacotta, un pote qui a toujours vcu sa condition dhomme de lettres dans un tat de parfaite sincrit, mme lorsque cette sincrit devait se composer dans un contexte fort embrouill. savoir, il sagissait dune poque dbordante de revendications sociales, culturelles, idologiques et politiques, entasses les unes sur les autres au fil de lhistoire, une histoire bien trop htivement mise lcart dans les comptes rendus dune gnration contrainte vivre sa jeunesse entre la rhtorique du fascisme et lappel la rsistance. Voil quici la grisaille de loppression et la soif de libert venaient de se confronter les armes la main. Aujourdhui ce rexamen comporte tout aussi une ultrieure mise point: combien nous reste-t-il, en effet, de cette ide secrte, combien de ces boutons de fleurs blanches/bourgeonnant sur le nouvel arbre de la libert/qui ne pourront spanouir/sans le soleil de la libert2 ont port fruit? (ne fut-il que pour citer un pome de Ibsen, auteur auquel

    1 Tous les vers de Matacotta sont traduits vers le franais par Sergio Gilardino. 2 Bocci di fiori bianchi/sullalbero giovinetto della libert/non potranno aprirsi/senza il sole della pace, note manuscrite dans lexemplaire dactylographi de F. Monterosso (pseud. de Franco Matacotta), Confessione dun figlio della vecchia Europa, indit.

    L

  • Alfredo Luzi

    2

    Matacotta fut initi par Sibilla Aleramo aux temps bienheureux de leur amiti sur lle de Capri).

    Au niveau littraire le recueil Laccordon rouge simpose comme lun des textes exemplaires de la potique du no-ralisme, vers laquelle aboutissent les thories les plus disparates sur la littrature engage, avec tous les chambardements et les incertitudes de ces annes-l. Il sagit bien l dune potique qui se dissocie de celle de lhermtisme. En effet cette dernire avait t frappe par des accusations de dsengagement et dalination, puisquen elle le mouvement de la rsistance ntait pas ressenti comme mmoire, mais comme opportunit dcriture, au jour le jour. Au niveau humain et lyrique, la nouvelle potique reprsentait par contre le point magistral et totalisant dun intellectuel qui avait enfin dcouvert la route (ou qui, du moins, croyait lavoir dcouverte) pour raliser son rle de pote socitaire, tout en fcondant son enseignement stylistique-littraire par ce nouvel engagement humain. En effet, ce dernier risquait dapparatre, tel quil lavait propos jusqu quelques annes auparavant, comme un lot bienheureux, une citadelle lintrieur de laquelle il tait bon de dissimuler les vritables raisons de son gosme solitaire.

    Aprs lcriture mythique des Poemetti (Petits pomes), publis en 1941, Laccordon rouge reprsentait le renversement rhtorique auquel il tait parvenu en vertu dune violence expressive indite. Ctait bien la transition vers une exprience de vie et de posie vcue jusqu cet instant-l surtout comme un abris pour son propre ego, dvoy face lacceptation de lhistoire et de ses responsabilits morales et sociales quil venait de dcouvrir grce lexercice de la posie. Au printemps de 1942 Matacotta fut appel aux armes et envoy en Sardaigne. Au cur de cet immense silence, dans le dsert embras de lt torride de 1942 (dont il nous laissera plus tard, en 1948, un tmoignage dans le peu de verses quon retrouve dans le recueil de Naialuna), prend lessor la gense morale, spirituelle, thmatique de Laccordon rouge, avec tout son nouveau langage:

    Dans ces improvisations extravagantes au milieu desquelles je cachais la dure exprience du service militaire avec mes compagnons, voil que par degrs jy retrouvais aussi une vigueur native, une frache prsence desprit dans les rapports avec mes semblables, aprs bien des annes de dtachement [] Mon vieil instinct denfant du peuple reprenait fougueusement le pardessus au del de toutes les entraves de la culture bourgeoise [] Jarrtais dcrire. Voil que dans mon for intrieur mijotait des grumeaux de voix. Je dtestais prsent la musicalit sreuse et pteuse de mes vers dantan, je ressentais de nouveaux lans. Tout dans mon esprit assumait la couleur de

  • Idologie et utopie dans le recueil Fisarmonica rossa

    3

    la rage, le rythme rouilleux et sourd de la rvolte3 (Matacotta 1945: p. 306).

    Une fois rentr chez lui dans les Marches, sa rgion, avec la lourde tche de cacher les prisonniers allis qui staient enfuis des champs de concentration, Matacotta organise son langage potique; il retrouve dans son for intrieur la nouvelle ralit avec toute la violence de ses argumentations. La culture littraire quil avait antrieurement acquise est maintenant plie aux raisons sociales de la posie. Par ce moyen-l les expdients rhtoriques assujettissent son criture aux implications morales du discours. Aprs trente ans et dans un climat historique et psychologique tout fait diffrent, il renouvelle la recherche dUngaretti, la qute de la parole innocente, purifie par le feu de la guerre. Voir, en prsence de situations individuelles semblables, il rpte dans ses vers les gestes du simple soldat qui avait t Ungaretti, ce pote que lui, Matacotta, sous lempire dune violente iconoclastie littraire, avait rejet puisquil trouvait dans ses vers un excs dintriorisation subjective du processus potique. Par contre lhomme Matacotta aboutissait maintenant lexprience dun espoir collectif. Il devenait conscient du fait que ses mots se revtissaient dun vritable sens seulement en vertu des qualits unanimes et populaire du langage:

    Voil que javais repris composer de vers. Avec des mots nouveaux, forts. Je les crivais au cours de mes randonnes bicyclette, le jour et la nuit, dans les circonstances les plus incroyables. Les images me montaient lesprit dans les sprints brides leves sur les ctes des collines ou dans mes dtours par les champs ou bien encore assis dans les fermes la campagne, un ver de vin cuit la main, en attendant les prisonniers de guerre. Je gribouillais la hte les vers dans mon calepin et je le cachais sous ma salopette. Lorsque je croisais les camions des allemands mon seul souci ctais bien de sauver cette liasse de petite feuilles notes au crayon, o sabritaient toute ma vie et mon dsespoir de ces temps-l, et le dsespoir de la jeunesse italienne aussi, le sang, la foi et lamour envers toutes celles et tous ceux qui luttaient pour survivre [] La voix de la posie pulsait dans ma poitrine avec une clameur qui dpassait celle de leau par son intangibilit souveraine, plus souveraine de la lune, par sa force plus forte

    3 In quelle improvvisazioni bizzarre in mezzo alle quali io nascondevo insieme coi miei compagni la durezza della naja venivo riacquistando una sorta di nativo vigore, una fresca prontezza nei rapporti col prossimo dopo anni di distacco [...] Il mio istinto di popolano tornava a riaffiorare impetuoso di l da tutte le sovrastrutture della cultura borghese [...] Cessai di scrivere. Mi ribolliva dentro come un nuovo grumo di voci, detestavo adesso la grassa sierosa musicalit dei miei versi di prima, sentivo nuovi scatti. Tutto dentro di me prendeva il colore della collera, il ritmo rugginoso e sordo della ribellione.

  • Alfredo Luzi

    4

    que la mort, que toutes ces haines, ces deuils, ces misres qui frappaient

    lhumanit entire4 (Matacotta 1945: p. 489).

    Entre-temps sapprochaient les jours de la libration. LItalie entire semblait se trouver sous lemprise dun raz-de-mare dattente et despoir. Lutopie, spanouissant comme un bourgeon lintrieur de ses croyances, se transformait en ralit grce laction. Mme les temps de la haine semblaient dsormais rvolus, la mitraillette ne servait plus rien, son canon ntait plus quun tuyau dlabr de conduite, une clarinette avec ses petits trous pour y siffloter une chanson campagnarde. La conscience de classe avait ralli sous le mme idal les ouvriers, les paysans, les intellectuels et les bourgeois qui, ensemble, avaient choisi de lutter avec le peuple pour le peuple. Comme dans un rve, Matacotta entrevoyait le nouveau monde de justice sociale et de paix quil fallait btir. Il comprenait que le moment dagir tait arriv et que lui, le pote, homme parmi les hommes, ne pourrait pas sy soustraire sil voulait bien que la posie soit de la partie dans un monde qui aspirait un avenir meilleur. Mais, dun mme souffle, il faisait la dcouverte de la valeur sociale de la posie, de ces odes ddies la renaissance, de ces chansons rythmes sur le pas des marches des patriotes qui lavaient rveill de lengourdissement de la raison pour lamener la ralit. Voil enfin venue la fin dune civilisation littraire et le dbut dune nouvelle faon de concevoir la profession de pote et les responsabilits sociales qui en dcoulaient:

    En ralit, plus nous nous sentons vivants, plus lobjet de nos discours, de nos soucis et de nos amours est lensemble des autres tres humains, leur douleur et leur justice eux [] Sil faut bien crire, on pourra le faire

    seulement comme on combat5 (Matacotta 1945: p. 568).

    4 Di nuovo scrivevo versi. Con parole nuove, forti. Li scrivevo durante le mie galoppate in bicicletta di giorno o di notte, nei momenti pi impensati. Le immagini mi nascevano nelle volate a capofitto per le discese delle colline o girando pei campi o seduto sulle logge delle case coloniche