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Swiss Aids News 3 | SEPTEMBRE 2015 MÉDECINE | SOCIÉTÉ | DROIT Il était une fois… le foie

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Swiss Aids News3 | SEPTEMBRE 2015

MÉDECINE | SOCIÉTÉ | DROIT

Il était une fois… le foie

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É D I TO R I A L

Chère lectrice,Cher lecteur,Le foie a été une fois ce qu’est le cœur aujourd’hui, autrement dit le siège des sentiments et des humeurs. C‘est ainsi qu’il a donné naissance à de nombreuses expressions qui, dans certaines langues, sont restées bien vivantes. Mais il est bien plus que cela. C’est un organe fabuleux, un travailleur infatigable, et il mérite une considération bien plus grande que celle que nous sommes prêts à lui accorder communément. Chaque jour, il filtre quelque 2000 litres de sang au travers de ses 200 milliards de cellules, le nettoyant et le débarrassant de ses substances toxiques. Il se plaint rarement et même lorsqu’il est amputé, il a le pouvoir unique de se régénérer. Mais il peut aussi tomber malade, développer une hépatite par exemple, ce qui est grave pour les personnes séropositives. Autant de bonnes raisons pour prendre soin de son foie. Entièrement consacré au foie, ce numéro de Swiss Aids News cherche à comprendre pourquoi les cas d’hépatite C se multiplient tout en étudiant la manière dont les prix des médicaments sont négociés, et avec quels acteurs. Par ailleurs, la revue se dote dès à présent d’une nouvelle rubrique intitulée «La fleur de l’âge», dédiée à la génération des personnes séropositives de plus de 55 ans. Je vous souhaite une très agréable lecture.

Daniel SeilerDirecteur de l’Aide Suisse contre le Sida

Edité parAide Suisse contre le Sida (ASS)Office fédéral de la santé publique (OFSP)

RédactionBrigitta Javurek (jak), journaliste RP, rédactrice en chefDr jur. LL. M. Caroline Suter (cs)BLaw Cliff Egli (ce)Dr Andrea Six, journaliste scientifique (six)Bettina Maeschli (bm)lic. phil. Stéphane Praz (sp)

Rédaction photoMary Manser

Version française Line Rollier, Bussigny-près-Lausanne

Conception graphique et mise en pagesRitz & Häfliger, Visuelle Kommunikation, Bâle

SAN no 3, septembre 2015Tirage: 2700, parution trois fois par an© Aide Suisse contre le Sida, ZurichLes SAN bénéficient du soutien de l’Office fédéral de la santé publiquede Boehringer Ingelheim (Schweiz) SAde Bristol-Myers Squibb SAde Janssen-Cilag SALes partenaires industriels des Swiss Aids News n’exercent aucune influence sur son contenu.

Pour vos communicationsRédaction Swiss Aids NewsAide Suisse contre le SidaCP 1118, 8031 ZurichTél. 044 447 11 11Fax 044 447 11 [email protected], www.aids.ch

I M P R E S S U M

Programme national VIH/IST 2011–2017 3 Nouveaux médicaments contre l’hépatite C: à bas les œillères!

Médecine 4 Un organe digne de foi 6 Co-infection VIH et hépatite: nouvelle épidémie, nouvelle guérison

Société 8 Le grand marchandage 12 Entre le marteau et l’enclume

La fleur de l’âge 15 Conseils et bons plans pour avoir un foie sain

Pêle-mêle16 Exposition «John Waters How much can you take?»

Droit 17 Assurance-invalidité: le Tribunal fédéral rectifie son jugement19 Forum droit: nous répondons à vos questions

Sommaire

Illustration: Daniel Müller, illumueller.ch

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P R O G R A M M E N AT I O N A L V I H / I S T 2 011 – 2 017

Nouveaux médicaments contre l’hépatite C: à bas les œillères!Magnifique, on peut enfin guérir l’hépatite C! Plusieurs médi-caments sont disponibles depuis peu, et ils ont même baissé de prix. Est-ce à dire que tout est bien qui finit bien? Pas encore, si l’on tente de faire la synthèse.

Les épidémiologistes estiment qu’il y a en Suisse environ 100 000 personnes vivant avec une hépatite C. On suppose que bien plus de la moitié d’entre elles ne développeront pas de symptômes. Chez les autres, ceux-ci ne se manifestent généralement que plu-sieurs années, voire des décennies après l’infection. L’atteinte au foie est évaluée cliniquement à l’aide du degré dit de fibrose. Au cours du deuxième semestre 2014 et du premier semestre 2015, plusieurs nouveaux médicaments ont été admis et inscrits sur la liste des spécialités pour être pris en charge par l’assurance obligatoire des soins. Comme le fabricant avait fixé le prix très haut (environ CHF 60 000 pour le traitement de trois mois), l’OFSP a imposé une limitation qui restreignait cette prise en charge aux cas où la fibrose avait déjà atteint un stade avancé (à partir du degré 3). Depuis peu, les nouveaux médicaments peuvent aussi être utilisés dès le degré 2. Simultanément, l’OFSP a pu abaisser les prix d’environ 20%. Oscillant entre CHF 43 000 et CHF 50 000 par patient, ces traitements restent néanmoins très chers et les économies réalisées partent en fumée puisque le traitement est appliqué à un plus grand nombre de patients.

Nouvelle politique des prix de l’industrie pharmaceutique?Le directeur de l’OFSP, Pascal Strupler, a déclaré voilà près d’un an dans la Neue Zürcher Zeitung e à propos du premier de ces nou-veaux médicaments: «Sovaldi est le précurseur d’une nouvelle politique des prix qui essaie d’extorquer un maximum d’argent aux systèmes d’assurances sociales des pays développés, financés par les impôts et les primes. Quelques chiffres: 200 millions de dollars ont été nécessaires au développement de Sovaldi. La société Gilead qui commercialise aujourd’hui le médicament a acheté la molécule avec la start-up qui l’avait fabriquée pour 11 milliards de dollars. Avec cela, elle a réalisé un chiffre d’affaires de quelque 6 milliards de dollars rien qu’au premier semestre 2014. Le prix de vente est environ 500 fois supérieur au coût de production.» Après la baisse de prix qui vient d’être opérée, il n’est «plus que» 400 fois plus élevé.

Il faudrait une vision plus large … L’efficacité et le potentiel des nouveaux médicaments ne font aucun doute. Mais il y a toujours eu de nettes différences entre les études cliniques et la pratique médicale. Il serait souhaitable que l’on utilise maintenant les nouveaux médicaments et que l’on surveille non seulement leur efficacité, mais aussi les interruptions de traite-

ment, les échecs, les réinfections et les coûts – idéalement dans le cadre d’une étude de cohorte qui englobe tous les patients traités. Cela devrait pouvoir se faire à moindres frais, du moins pour les participants de l’étude suisse de cohorte VIH qui sont co-infectés par le VHC. Et simultanément, il serait bon de se rendre compte que l’hépatite C n’est pas plus fréquente parmi les gays qui ne sont pas infectés par le VIH qu’au sein de la population générale. r Voilà qui devrait clore le chapitre des recommandations et des «semaines» de dépistage, données probantes à l’appui. En revanche, il serait utile d’informer les gays en permanence qu’il y a un risque d’hépatite C pour certaines formes de consommation de drogue (partage de pailles pour la coke, «slamming») et pour le sexe en groupe lorsque des objets contaminés par du sang (godemichés, mais aussi parties du corps) sont introduits dans l’anus. Et que s’il y a contamination sexuelle par le sperme, c’est très rare.

... et plus de courage!Il faudrait du courage pour continuer à faire pression sur l’industrie pharmaceutique afin que les prix des médicaments atteignent un niveau raisonnable et que l’OFSP puisse, en contrepartie, lever la limitation. Il faudrait aussi du courage pour chercher les raisons pour lesquelles certaines des personnes infectées tombent malades alors qu’une grande partie sont toujours en bonne santé même après plusieurs années. Pourquoi faudrait-il traiter trois infectés sur trois si seul l’un d’entre eux tombe malade? Mais qui va financer ces recherches? Certainement pas les pharmas. Pour terminer, on peut continuer à rêver d’éradication. Des générations entières de scientifiques l‘ont déjà fait en lien avec d’autres maladies infectieuses – mais jamais on n’est parvenu à éliminer un agent pathogène à l’aide d’un traitement médicamen-teux. Tirer parti des expériences de la médecine et de l’histoire de la lutte contre les maladies infectieuses tout en restant modeste et réaliste compte tenu des données scientifiques, voilà qui ne devrait pas être une question de courage.

Roger Staub, MPH, MAEAncien responsable du Programme national VIH

et autres IST 2011–17Office fédéral de la santé publique

e «NZZ» du 30 octobre 2014, tribune sur le thème «Medikamente effizient

einsetzen»

r Schmidt A.J. et al. 2014 et Clerc O. et al. 2014 dans les Checkpoints Zurich

et VD/GE

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M É D E C I N E

Quelle est cette chose brune de consistance épaisse, pesant un kilo et demi, à la surface brillante et lisse, étonnamment dure si on la touche? C’est le foie, situé entre le diaphragme et l’estomac, qui remonte presque timidement à droite, derrière les côtes. Si sa couleur et son apparence extérieure sont insignifiantes, on ne saurait en dire autant de la vie intérieure de notre centrale énergétique. Cet organe se com-pose d’un nombre si élevé de cellules qu’une fois mises bout à bout, elles pourraient s’enrou-ler cinq fois autour du globe. Ses 200 milliards de cellules, loin d’être amassées de manière anarchique, se combinent au sein d’unités octogonales subtilement construites qui sont quotidiennement traversées et irriguées par 2000 litres de sang. Ce lavage permanent est nécessaire, puisque le sang doit être nettoyé et débarrassé de ses substances toxiques. C’est en effet notre précieux foie qui filtre les éléments

nuisibles de l’environnement accumulés dans l’organisme et intercepte les produits de dégra-dation des cellules ou du métabolisme. Mais il en fait bien davantage puisqu’il fournit au flux sanguin des éléments frais dont le corps a besoin, tels que du glucose, du cholestérol, des acides gras ou des protéines, parmi d’autres.

Un réseau admirable pour la santéPour que ces échanges se déroulent efficace-ment, les plus petits vaisseaux du foie sont tissés en une construction ramifiée qui impressionna tant les anatomistes qu’ils la baptisèrent le «rete mirabile», le réseau admirable. Les minuscules miracles aux grands effets que l’on doit à cet organe sont nombreux: non content d’éliminer les déchets, il apporte combustibles et maté-riaux de construction aux parties du corps qui en ont besoin. Si nous nous blessons, des pan-

sements moléculaires venus tout droit du foie volent au secours du sang qui coule. Hormones, vitamines, substances nécessaires aux défenses immunitaires: le foie a des allures d’armoire à pharmacie cachée dans notre abdomen. En d’autres termes, comme l’exprimait en subs-tance Paracelse, médecin et mystique suisse, si le foie n’était pas là, il n’y aurait rien de bon

dans l’ensemble du corps. Notre alchimiste in-terne accomplit en outre sa mission avec une grande modestie, sans se plaindre ni se mani-fester par des douleurs, même quand nous lui donnons fort à faire en ingérant de l’alcool, des aliments malsains ou des drogues. Le foie ne

contient pas de nerfs. Il faut attendre qu’il enfle pour atteindre une taille tout à fait anormale, notamment en cas de cirrhose graisseuse d’un alcoolique, pour que la capsule hépatique s’étire et envoie des signaux de douleur.

Un as de la régénération Un autre miracle unique en son genre que l’on doit au foie, ce vrai magicien, est sa capacité à se renouveler. On peut ainsi retirer des par-

Un organe digne de foi Le foie: un organe de forme étonnante, aux pouvoirs magiques. Ses formidables capacités ont aussi bien inspiré des auteurs d’antiques légendes héroïques que des lauréats du prix Nobel de littérature.

«Cet organe se compose d’un nom-bre si élevé de cellules qu’une fois mises bout à bout, elles pourraient s’enrouler cinq fois autour du globe.»

«Un autre miracle unique en son genre que l’on doit au foie est sa capacité à se renouveler.»

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ties importantes de l’organe et voir ce dernier retrouver en peu de temps sa taille d’origine, pour autant que les tissus soient sains. Selon des spécialistes, un homme peut même sur-vivre après s’être vu enlever 80 pour cent du foie. Certes, d’autres tissus, comme la peau, se renouvellent eux aussi régulièrement et peuvent guérir après des blessures, mais si on en retire une grande partie, le tissu ne repousse pas et cicatrise en formant un amas de tissus conjonctifs assez désordonné et non fonctionnel. Il n’est dès lors pas surprenant que les Grecs anciens aient donné une place à ce miracle régénératif dans leur mytholo-gie. Prométhée, un géant aux traits humains, avait volé le feu aux dieux et l’avait apporté aux hommes grelottant de froid sur terre. Il fut puni pour cette impudence. Enchaîné à un rocher, il voyait venir chaque jour un aigle qui lui dévorait le foie. Une souffrance infi-nie, puisque le foie repoussait à chaque fois. Le mythe ne contient qu’une seule erreur: ce n’est pas parce que Prométhée était un dieu que son foie renaissait, mais parce que c’est là une qualité propre à cet organe et qui nous concerne tous. six

Ode au foieSi on le compare à la pompe musculaire enfouie dans notre cage thoracique, le célèbre cœur, l’organe polyvalent qu’est le foie n’a guère in-spiré les poètes. Heureusement, l’écrivain chilien Pablo Neruda, lauréat du prix Nobel de littérature, se laissa con-vaincre par un ami médecin de composer dans les années 1950 un poème à la gloire du foie, dans lequel on sent un peu de l’amour que nous devrions porter à cet organe:

Dans l’intérieurToi, tu filtres et distribues Sépares et divises,Multiplies et graisses, Fais monter et recueilles les grammes de la vie C’est de toi que j’attends justiceJ’aime la vie: sois fidèle! Travaille!N’arrête pas mon chant.

Pablo Neruda, «Ode au foie», Nouvelles odes élémentaires, Gallimard, 1976, p. 106 à 110

A, B et C: le b.a.-ba de l'hépatite

On a identifié à ce jour cinq agents pathogènes susceptibles de provoquer une inflam-mation du foie. Les maladies ont été désignées par une lettre de l’alphabet dans l’ordre de leur découverte. Les hépatites B et C jouent un rôle important en tant que co-infections du VIH. Hormis les virus classiques de l’hépatite, d’autres germes peu-vent s‘attaquer au foie lorsqu’il y a complications, notamment les virus de l’herpès et des oreillons ou les bactéries de la tuberculose.

L’hépatite A se transmet par de l’eau contaminée ou par des aliments préparés par des porteurs du virus dans de mauvaises conditions d’hygiène. L’infection évolue souvent sans symptômes. Toutefois, une jaunisse pouvant être fatale peut apparaître. Une fois guérie, l’infection est définitivement surmontée. Vaccin disponible.

L’hépatite B se transmet par les rapports sexuels non protégés et par les aiguilles non stériles utilisées pour la consommation de drogues ou pour les tatouages. Le virus se transmet en outre par les brosses à dents, rasoirs ou limes à ongles. Après une phase d’infection aiguë, la maladie peut continuer à progresser et provoquer une atrophie du foie ou se transformer en tumeur maligne. Vaccin disponible.

L’hépatite C a besoin de sang pour être véhiculée. Le virus pénètre dans l’organisme via le partage de seringues ou des pratiques sexuelles à risques. On remarque rare-ment que l’on s’est infecté car la phase d’infection aiguë peut ne pas se manifester. Le cancer et la cirrhose du foie sont des conséquences possibles. Pas de vaccin dis-ponible à l’heure actuelle.

Hépatite: pour rappel Transmission possible par les contacts sexuels et le sang Se faire impérativement vacciner contre l’hépatite A et B (peu de frais, grands effets) Les virus de l’hépatite sont nettement plus résistants et plus contagieux que le VIH Ne pas partager le matériel d’injection, les articles de toilette, sextoys, gants pour le fist,

préservatifs, etc. Utiliser à chaque fois un nouveau préservatif/de nouveaux gants pour le sexe anal Utiliser son propre pot de lubrifiant

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M É D E C I N E

«A l’heure actuelle, on peut guérir de l’hépatite C avec un traitement de douze semaines. Mais celui-ci ne protège pas d’une nouvelle infection.»

Monsieur Rauch, il semblerait qu’une nouvelle épidémie menace les per-sonnes séropositives. Pourquoi les virus de l’hépatite sont-ils soudain devenus si dangereux?

Rauch: Effectivement, le nombre de séro-positifs qui souffrent simultanément des suites d’une hépatite virale augmente de façon dramatique. Ce sont avant tout les virus de l’hépatite B et C qui sont concernés. Quelque 60 pour cent de tous les séropositifs contractent l’hépatite B et 40 pour cent l’hépatite C. Ce qui est dangereux, c’est que ces deux virus restent dans l’organisme après une phase d’infection aiguë et qu’ils provoquent des

lésions à long terme. Ils peuvent ainsi entraîner un rétrécissement du foie ou déclencher un cancer du foie. Et ce sont précisément ces pathologies qui sont actuellement en hausse.

Pourquoi un nombre croissant de séro-positifs souffrent-ils de cirrhose et de cancer du foie?

Rauch: Paradoxalement, les causes sont liées à une évolution réjouissante: les succès massifs du traitement antirétro-viral diminuent fortement l’impact des maladies dites révélatrices du sida telles que la pneumonie ou l’abcès cérébral. Si, dans les débuts de l’épidémie, les per-sonnes atteintes mouraient rapidement de ce type de maladie, les séropositifs vivent aujourd’hui bien plus longtemps.

Mais hélas, cela laisse aussi plus de temps aux virus de l’hépatite pour provo-quer des dégâts dans l’organisme. C’est ainsi que les complications de l’hépatite sont devenues l’une des causes de décès les plus fréquentes chez les personnes séropositives.

Les deux virus de l’hépatite sont-ils aussi dangereux l’un que l’autre?

Rauch: B et C ont des effets similaires au final, mais ils suivent des voies diffé-rentes. Le virus de l’hépatite B introduit son matériel génétique dans le noyau d’une cellule. Il peut ainsi survivre indéfiniment et commencer son travail de destruction quand bon lui semble. Il existe toutefois des médicaments capables de freiner le réveil de cet agent pathogène qui sommeille. Comme dans le cas du VIH, ils doivent être pris à vie pour dompter les germes. Par chance, les médicaments utilisés sont efficaces à la fois contre le VIH et l’hépatite B, ce qui est un énorme avantage.

Et c’est très différent dans le cas de l’hépatite C?

Rauch: Le virus ne dissimule pas son matériel génétique dans le noyau. Si l’on interrompt sa prolifération à l’aide d’un médicament adéquat, on peut en élimi-ner toute trace dans l’organisme en peu de temps. Un traitement qui réussit est donc synonyme de guérison complète. Pendant longtemps, nous ne disposions pas d’un tel médicament. Les antiviraux qui agissent directement contre l’hépa-tite C ne sont disponibles que depuis deux ans. A l’heure actuelle, on peut gué-rir de l’hépatite C avec un traitement de douze semaines. Mais celui-ci ne protège pas d’une nouvelle infection.

Co-infection VIH et hépatite: nouvelle épidémie, nouvelle guérisonLes personnes qui contractent le VIH sont aussi susceptibles d’être porteuses d’un virus provoquant une dangereuse atteinte au foie. Les conséquences de ces co- infections prennent actuellement une ampleur dramatique. Le point avec le Dr Andri Rauch de l’Hôpital de l’Ile à Berne.

Le Dr Andri Rauch est médecin-chef à la Policlinique d’infectiologie de l’Hôpital de l’Ile à Berne. Il étudie l’interaction du VIH et des virus de l’hépatite ainsi que leur traitement.

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«Si l’accès au traitement est facilité et que la population est davantage sensibilisée au risque d’infection, on peut imaginer venir à bout de l’hépatite C.»

Pourrait-on se protéger à l’aide d’un vaccin?

Rauch: On peut se faire vacciner contre le virus de l’hépatite B. Un dépistage est ain-si systématiquement proposé aux séropo-sitifs qui participent à l’étude suisse de cohorte VIH e. S’ils ne sont pas porteurs de ce virus, ils doivent impérativement se faire vacciner. Contre l’hépatite C, il n’existe pas encore de vaccin agréé, mais des essais sont en cours. Il faut se protéger de l’hépatite C en utilisant des préservatifs. Le virus peut en effet se transmettre par l’intermédiaire de petites blessures lors de rapports non protégés avec des pratiques risquées.

Pourquoi les virus de l’hépatite sont-ils si souvent associés au VIH?

Rauch: C’est dû au mode de transmission qu’ils ont en commun. L’hépatite B se transmet avant tout par voie sexuelle, l’hépatite C essentiellement par le partage de matériel d’injection chez des toxicodépendants. Ces deux voies sont simultanément des portes d’entrée du VIH. De plus, étant affaibli, le système immunitaire d’une personne séropositive

risque de laisser pénétrer d’autres agents pathogènes dans l’organisme. Dans le cadre de l’étude suisse de cohorte, nous constatons toutefois que, chez les toxico-dépendants, c’est souvent d’abord le virus de l’hépatite C qui frappe puisqu’il se transmet plus facilement par les aiguilles. L’infection par le VIH suit dans de très nombreux cas.

Aux Etats-Unis et en Australie, le nombre d’hépatites explose surtout dans les grandes villes. Qu’en est-il en Suisse?

Rauch: On pourrait imaginer que l’hépa-tite C fait des ravages dans de petits cercles dans les centres urbains, là où se concentrent les comportements à haut risque d’hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, et que ce foyer d’infection se déchaîne en marge du reste de la population. Ça n’est pas le cas en Suisse. Nous avons examiné les ten-dances et nous savons que les hépatites C et B sont répandues dans tout le pays.

Mais les nouveaux traitements permet-traient de venir à bout de l’hépatite C?

Rauch: C’est exact, nous avons des chances d’éliminer le virus de l’hépatite C. Comme dans le cas de la variole ou de la poliomyélite, on pourrait stopper sa propagation en traitant toutes les per-sonnes infectées à l’aide des nouveaux médicaments. Comme le virus est défini-tivement éliminé, le nombre de porteurs du virus pourrait être abaissé jusqu’à la disparition complète de cet agent pathogène. Si l’accès au traitement est facilité et que la population est davantage sensibilisée au risque d’infection, on peut imaginer venir à bout de l’hépatite C.

e L’étude suisse de cohorte VIH réalise depuis 1988

une étude à long terme sur les personnes vivant avec

le VIH en Suisse. Elle regroupe des cliniques et ca-

binets médicaux désireux d’améliorer le traitement

et la prévention de l’infection par le VIH ainsi que la

recherche qui lui est associée.

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Si l’on parle d’hépatite C aujourd’hui, c’est d’abord pour se réjouir de l’arrivée des tout nouveaux médicaments, et ensuite pour en évoquer le prix. Celui-ci fait l’objet d‘une vive controverse depuis que la société Gilead a lancé sa préparation Sovaldi© à plus de mille dollars la pilule. Ce prix a non seulement été jugé tota-lement exagéré par bien des professionnels, mais il a aussi incité les autorités sanitaires de nombreux pays à limiter la distribution de ces nouveaux médicaments (voir encadré). Depuis, d’autres substances émanant de différents fa-bricants sont arrivées sur le marché et les prix ont quelque peu baissé, y compris en Suisse. Il n’empêche qu’un traitement de trois à six mois coûte encore entre 45 000 et 120 000 francs. Dans les médias spécialisés et grand public, les médicaments contre l’hépatite C sont devenus emblématiques du débat autour du «juste» prix des médicaments. Pourquoi un tel débat? Pour d’autres pro-duits, on se contente en effet de laisser jouer les lois du marché et les prix finissent par s’adapter à l’offre et à la demande. Mais ici, c’est de la vie qu’il s’agit. On peut renoncer à une voiture si elle est trop chère, pas aux médicaments. De plus, il n’y a pas de marché libre pour les médicaments dans la plupart des pays, et notamment dans le domaine de l’assu-rance de base. Urs Brügger, directeur de l’Ins-titut d’économie de la santé de Winterthour, explique: «Médecins et patients décident des médicaments à prendre, mais ils ne les paient pas eux-mêmes. Ce sont d’autres personnes, à savoir les assureurs-maladie, qui sont tenues de le faire, bien qu’elles ne puissent pas don-ner leur avis.» Voilà pourquoi les mécanismes usuels du marché ne peuvent pas s’appliquer.

La politique fixe le cadreDe fait, le prix des médicaments est en grande partie affaire de négociation entre l’industrie pharmaceutique et les autorités sanitaires, au-trement dit l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) pour la Suisse. Toutefois, ces négociations se font dans un cadre de régulation complexe qui inclut notamment des prescriptions pour

une fourchette de prix fixée par comparaison avec l’étranger ou encore des contraintes pour certains modèles afin d’évaluer le supplément de bénéfice qu’apporte un nouveau médica-ment par rapport à un autre. Ces directives sont formulées par le Conseil fédéral par voie d’ordonnances, puis précisées par l’OFSP. «Il s’ensuit que le débat relatif au prix des médicaments est aussi politique et social », déclare Brügger. En effet, les arguments et les conditions générales diffèrent suivant l’angle de vue adopté. Le montant que l’on est prêt à payer pour un médicament, le modèle selon lequel on évalue le bénéfice au plan médical, les pays de référence pris en compte pour la comparaison du prix (et à quel taux de change), tous ces éléments sont finalement très arbi-traires et se laissent influencer. Dans ces cir-constances, rien d’étonnant à ce que chacun y aille de son couplet. Les uns se plaignent de la forte pression exercée sur le secteur pharmaceutique et font remarquer qu’une nouvelle baisse des prix pourrait mettre la recherche en péril car s’il n’y a pas d’argent, il n’y a pas non plus de recherche. Et qui dit pas de recherche, dit pas de nouveaux médica-ments. En Suisse, cet argument invoqué par les entreprises pharmaceutiques s’accompagne souvent de la menace qu’elles pourraient se voir contraintes de s’installer à l’étranger où la recherche coûtera moins cher. Simultanément, les autres (et parmi eux les autorités sanitaires et les caisses-maladie) se lamentent avec non moins de véhémence sur les prix délirants et évoquent un scénario catastrophe où le sys-tème de santé arrive à ses limites financières à cause du prix des médicaments. Les deux visions sont exagérées: les gains des grandes sociétés pharmaceutiques sont solides (Gilead a réalisé en 2014 un bénéfice net de 12,1 mil-liards de dollars) et les coûts des médicaments en 2014 n’ont pas atteint les dix pour cent de l’ensemble des coûts de la santé en Suisse, avec une tendance à la baisse.

Mille et un bons argumentsEt dans le cas concret? Peut-on calculer le

Le grand marchandageLes nouveaux médicaments contre l’hépatite C relancent le débat autour d’un sujet des plus controversés: celui du «juste» prix d’un médicament.

«Le débat relatif au prix des médicaments est aussi poli-tique et social.»

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Prix des médicaments –un marchandage à tout prix.

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S O C I É T É

«juste» prix d’un médicament déterminé ? «Non, répond l’économiste de santé Heinz Locher, il n’y a pas de formule pour cela. Mais il existe dif-férentes approches économiques qui peuvent servir de repères.» En effet, si l’on examine de près le débat sur le prix des médicaments contre l’hépatite C dans la presse spécialisée et grand public, on y trouve une multitude de bons arguments, tous étayés par des modèles convaincants. Mais ils aboutissent, hélas, à des conclusions très variables concernant le «juste» prix. De plus, chaque argument est susceptible d’être contrebalancé par un autre, tout aussi pertinent. Interrogé par le magazine gay alé-manique «Mannschaft», André Lüscher, direc-teur général de Gilead Suisse, a justifié les prix élevés en déclarant que les nouveaux médica-ments allaient générer à l’avenir des économies bien supérieures pour le système de santé. En effet, une guérison préviendrait des compli-cations telles que la cirrhose ou le cancer du foie. Cette approche fondée sur la valeur est contrée par Santésuisse, l’association des assu-reurs-maladie suisses, qui avance un argument lié à l’impact budgétaire: si l’on traitait à ce prix-là la totalité des 80 000 personnes qui, selon les estimations, sont touchées en Suisse, cela suffirait pour faire grimper les primes de 12% – avec effet immédiat. Reprenant l’approche fondée sur la valeur, Peter B. Bach, médecin,

chercheur et observateur américain de la poli-tique de la santé, fait remarquer de son côté que l’on pourrait réclamer des prix nettement plus élevés pour tous les antibiotiques qui, eux aussi, préviennent de graves séquelles. Mais cela ferait exploser définitivement les coûts de la santé. On pourrait remplir des pages et des pages avec des arguments, modèles écono-miques et calculs relatifs au «juste» prix d’un médicament, sans pour autant aboutir à une conclusion indubitable. «C’est en définitive

une affaire de négociation, déclare Brügger de l’Institut d’économie de la santé. La forma-tion du prix des médicaments est un souk qui se situe simplement à un niveau un peu plus élevé.» Ce qui implique aussi des débats émo-tionnels et enflammés, des arguments retors et des chiffres outranciers, une pression et une résistance. Il reste à espérer que les marchan-deurs n’oublient pas une chose: qu’il s’agit là de médicaments vitaux. sp

Le premier des nouveaux médicaments contre l’hépatite C était disponible en Suisse à partir du 1er août 2014. Mais toutes les personnes infectées n’ont pas pu se réjouir: l’OFSP a décidé que les caisses-maladie ne prendraient le nouveau traitement en charge que pour les patients dont le foie était déjà gravement atteint (fibrose de degré 3 ou 4, p. ex. cirrhose ou cancer). Cette limitation devait prévenir une explosion des coûts étant donné que le prix des médica-ments se montait à 57 624 francs pour un traitement de 12 semaines. On n’en est pas resté là: par la suite, la restriction a été étendue à tous les nouveaux médicaments contre l’hépatite C. Il aura fallu attendre un an pour que l’OFSP introduise un assouplissement: depuis août 2015, cer-tains médicaments sont aussi remboursés pour des patients à un stade antérieur de la maladie (degré 2). La raison? Certains fabricants – mais pas tous – ont baissé leurs prix qui, soit dit en passant, restent élevés. La bataille des prix se poursuit. Aux dernières nouvelles, d’autres baisses de prix sont annoncées à partir du 1er septembre et la limitation est une nouvelle fois assouplie.

Des traitements au compte-gouttes

«Chaque argument est susceptible d’être contrebalancé par un autre, tout aussi pertinent.»

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A N N O N C E

Quand avez-vous parlé de sexe pour la dernière fois avec vos patients?

www.drgay.ch

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12 Swiss Aids News 3 | septembre 2015

S O C I É T É

Que saviez-vous au sujet de l’hépatite C?

Je savais que l’infection peut se trans-mettre par voie sexuelle, mais que c’est extrêmement rare. Le partage de serin-gues présente nettement plus de risques. Je savais aussi que l’hépatite C reste longtemps en veilleuse dans l’organisme et qu’elle n’attaque le foie que bien plus tard. Et qu’il existe des médicaments qui, avec peu de chances de réussite et beaucoup d’effets secondaires, sont susceptibles de vaincre le virus. Une de mes connaissances, un ami qui souffre lui aussi d’une co-infection et qui a suivi ce traitement voilà cinq ans, n’a plus pu travailler pendant toute une année.

Avez-vous imaginé que vous pourriez un jour être atteint d’hépatite C?

Non. Je ne fréquente pas le milieu de la drogue, je n’en consomme pas. Depuis que j’ai contracté le VIH, je suis de près les progrès médicaux. Je savais que d’après des études à l’échelle mondiale, les séropositifs ne transmettent pas le VIH s’ils prennent leurs médicaments régulièrement, qu’ils sont au-dessous du seuil de détection depuis un certain temps et qu’ils n’ont pas d’autre infection sexuellement transmissible.

Vous êtes sous traitement antirétroviral?

Oui. J’ai commencé à prendre des antiré-troviraux environ deux ans après mon infection par le VIH, donc au début des années 90. A l’époque, c’était encore le régime strict avec un grand nombre de pilules par jour et de graves effets secon-daires. Aujourd’hui, je vis sans effets secondaires et je suis depuis longtemps au-dessous du seuil de détection du VIH.

Comment avez-vous appris le diagnos-tic d’hépatite C?

C’était lors d’un de mes contrôles chez le médecin. Il m’a dit de but en blanc que je m’étais infecté par le virus de l’hépatite C (VHC). Ce fut un choc pour moi. Je sais qu’une co-infection VIH-VHC entraîne l’un des taux de mortalité les plus élevés chez les patients séropositifs, la plupart du temps suite à une insuffisance hépatique. Mes doutes et mes angoisses étaient similaires à ce que j’avais ressen-ti au moment de mon diagnostic de VIH. Mais mon médecin a pu dissiper mes craintes en évoquant l’arrivée prochaine sur le marché de nouveaux médicaments extrêmement efficaces.

Avez-vous eu des symptômes qui vous ont fait penser à une hépatite C?

Non, rien du tout. Pas de douleurs, pas de symptômes. Rétrospectivement, je me dis que j’ai eu une ou deux fois des problèmes de digestion, mais que j’ai associés sur le moment à ce que j’avais mangé.

Que vous a conseillé le médecin?

Après la mauvaise nouvelle, j’en ai reçu une bonne: je n’avais que peu de virus de l’hépatite C dans le sang. Mon médecin et moi avons évoqué ce qui se passerait si les nouveaux médicaments contre l’hépa-tite C étaient autorisés. A ce moment-là,

Entre le marteau et l’enclumeDavid X.*, 50 ans, habite une petite ville suisse et travaille dans l’industrie du voyage. Il est séropositif depuis 1989 et a été testé positif à l’hépatite C voilà une année et demie. S’il a son infection par le VIH sous contrôle depuis longtemps, il n’en va pas de même de l’hépatite C. Celle-ci évolue plus rapidement que prévu. La nouvelle génération de médicaments contre l’hépatite C est porteuse d’espoir, mais leur dis-tribution est restreinte.

«C’est ainsi que je suis tombé sur le chardon-marie, un produit natu-rel qui a fait ses preuves et qui est bénéfique pour le foie. D’entente avec mon médecin, j’ai commencé une cure de chardon-marie.»

Fibrose

On distingue quatre degrés de fibrose. Au

degré 4, une cirrhose ou un cancer du foie

peuvent se déclarer et, le cas échéant, rendre

nécessaire une greffe du foie. Jusqu’il y a peu,

les nouveaux médicaments n’étaient admis

en Suisse, et donc remboursés par les caisses-

maladie, que pour les stades 3 et 4. Depuis

août 2015, un traitement est désormais égale-

ment envisageable au degré 2. L’Office fédéral

de la santé publique exige deux examens par

FibroScan® à un intervalle de trois mois.

Note

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on-treatment-of-hepatitis-c-2015/report/4

*Nom connu de la rédaction

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ils ne l’étaient pas encore. Et nous avons attendu. J’ai continué mes examens régu-liers chez mon infectiologue. Comme je suis curieux, j’ai tâché de me documenter sur Internet. C’est ainsi que je suis tombé sur le chardon-marie, un produit naturel qui a fait ses preuves et qui est bénéfique pour le foie. D’entente avec mon médecin, j’ai commencé une cure de chardon-marie. J’espérais faire partie de ces rares personnes, 5 à 10%, chez qui une hépatite C guérit spontanément en l’espace de trois à six mois.

Votre espoir était-il justifié?

Au bout de quelques semaines, ma charge virale de l’hépatite C avait encore baissé, devenue pratiquement indétec-table. Mais l’effet n’a pas duré et après trois mois, le verdict était clair: la mala-die était chronique. Là encore, mon méde-cin m’a rassuré en me disant qu’avec nos tests réguliers, il n’y avait rien à craindre. J’ai suivi avec intérêt la procédure d’auto-risation des tout nouveaux médicaments contre l’hépatite C.

Le premier a été autorisé en Suisse en 2014, mais avec des restrictions. Faisiez-vous partie des bénéficiaires?

Hélas non, le nouveau médicament n’était pas prévu pour mon cas. Pourtant, il est prouvé que l’hépatite C évolue plus rapi-dement en présence d’une co-infection avec le VIH. En automne 2014, j’ai écrit à l’Office fédéral de la santé publique, lui demandant s’il serait possible de lever les restrictions frappant les nouveaux médi-caments pour les personnes atteintes de co-infection au VIH et VHC. La réponse n’a pas tardé: on était en train de faire tous les contrôles nécessaires concernant l’efficacité, l’adéquation et le caractère économique, après quoi on procéderait, le cas échéant, aux adaptations requises.

Autrement dit, pas de médicaments pour vous, à moins que vous ne les payiez de votre poche?

Exactement. En avril de cette année, mon médecin m’a envoyé faire un FibroScan® (mesure indolore de la rigidité du foie). Et là, il est apparu qu’en dépit de tous les

bons pronostics, mon hépatite C évolue très rapidement et que j’ai déjà atteint un stade 3, ce qui n’est, hélas, pas si excep-tionnel en cas de co-infection avec le VIH.

Malgré cette évolution rapide et un diagnostic de degré 3, vous n’avez pas non plus obtenu les médicaments au début de cette année?

En effet. Mon médecin a écrit à ma caisse-maladie pour décrire mon cas, évoquant l’évolution rapide de la maladie et l’impossibilité d’une guérison spontanée. Il a également précisé que, dans mon cas, il ne servirait à rien de refaire un scan dans trois mois comme l’exige l’OFSP, que mes valeurs étaient mauvaises et qu’elles n’allaient pas s’améliorer, au contraire. La réponse de l’assurance ne s’est pas fait attendre: le traitement n’était pas autorisé puisque les conditions n’étaient pas entièrement remplies.

Quelle a été votre réaction?

J’ai été écœuré. D’autant plus que d’autres caisses-maladie payaient déjà le traitement dans des cas similaires, sans tergiverser.

Comment se présente l’avenir?

Je vais devoir faire un deuxième Fibro-Scan® et si les mauvais résultats sont confirmés, je vais enfin remplir les condi-tions imposées, donc je devrais pouvoir obtenir les médicaments sans plus tarder. J’espère vraiment que l’état de mon foie ne s’est pas encore dégradé au cours des trois derniers mois (stade 4, cirrhose). Qui sait s’il pourrait s’en remettre. Chez les patients co-infectés par le VIH-VHC, il y a par ailleurs un risque plus élevé d’avoir un cancer du foie, malgré le traitement. Quoi qu’il en soit, il reste une grosse déception: à ce jour, l’OFSP n’a ni levé ni adapté les restrictions pour les personnes co-infectées par le VIH et le VHC. D’après

les recommandations de l’Association eu-ropéenne pour l’étude du foie (EASL) e, il faut pourtant traiter ces patients de fa-çon prioritaire. La déception est aussi liée aux pharmas qui gagnent énormément d’argent sur le dos des malades et ne baissent les prix que très lentement. Cela dit, j’espère une percée dans le domaine des vaccins. Si l’on trouvait un vaccin, on pourrait vaincre cette terrible maladie et renoncer à des médicaments dont le prix est totalement surfait.

Merci de cet entretien.

«J’espère vraiment que l’état de mon foie ne s’est pas encore dé-gradé au cours des trois derniers mois.»

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Le chocolat noir,à savourer sans remords.

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L A F L E U R D E L’ ÂG E

La fleur de l’âge

Conseils et bons plans pour avoir un foie sain Le rôle du foie pour notre métabolisme est essentiel. Les personnes séropositives, en particulier, ne peuvent pas toujours éviter des atteintes au foie car la prise régulière de médicaments qu’implique le traitement antirétroviral peut, à long terme, avoir des répercussions néfastes sur cet organe. Il existe cependant des moyens de le ménager et de le maintenir en bonne santé. Qu’est-ce qui fait du bien au foie et qu’est-ce qui lui nuit?

Ce qui fait du bien au foieBoire au moins deux litres par jour d’eau ou de tisane. En effet, lorsque le corps dispose de suffisamment de liquide, les éléments toxiques sont plus rapidement transportés vers le foie, qui les détruit et les élimine. Les substances amères ont un effet positif sur le foie car elles relancent la production de bile. On les trouve notamment dans l’artichaut, la chicorée, l’endive, le pissenlit, la trévise, le chou de Bruxelles ou la sauge. Préparez-les en accompagnement ou intégrez-les à votre salade. Le pissenlit et la sauge se consomment aussi sous forme de tisanes. Le chardon-marie est un remède végétal qui, non seulement, protège le foie, mais stimule également sa régénération en cas de lésions. On le trouve dans les pharma-cies et les magasins d’alimentation diététique sous forme de gélules surtout. Vous pouvez également préparer régulièrement une tisane de chardon-marie. Le chocolat noir, en raison de sa teneur élevée en cacao, abaisse non seulement la tension artérielle, mais peut aussi avoir un effet bénéfique sur le foie.Trois à cinq tasses de café par jour sont non seulement sans danger, mais même bonnes pour le foie.

Ce qui nuit au foieLa consommation régulière d’alcool, qui risque à terme de causer des lésions des cellules hépatiques et d’entraîner des pathologies telles qu’une cirrhose du foie.De grandes quantités de sucre. En effet, le corps transforme très rapidement certaines molécules du sucre en graisse, ce qui favorise l’apparition d’une stéatose (foie gras). Il en va de même pour les boissons sucrées avec du fructose. Le paracétamol (antalgique) peut endommager le foie s’il est pris régulièrement.Le fait de manger rapidement ou sur le pouce, qui stresse le tractus intestinal et l’empêche d’être bien irrigué. Le foie est à son tour touché puisqu’une mauvaise irrigation sanguine ne lui permet pas de fonctionner parfaitement. Les colorants, les exhausteurs de goût et les agents de conservation: tous ces additifs prolongent le processus de détoxication dans le foie.

Cure de bien-être pour le foiePour faire du bien à son foie, il suffit d’une compresse. Plongez un petit linge de toilette dans de l’eau chaude salée, tordez-le et posez-le sur le foie (à droite sous les côtes). Recouvrez-le d’un linge sec et d’une bouillotte. Puis glissez-vous sous la couette, fermez les yeux et détendez-vous pendant 20 minutes.

De nombreuses personnes séro-positives sont maintenant dans la fleur de l’âge. Cette rubrique traite des sujets qui présentent un intérêt particulier pour elles.

La fleur de l’âge

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Swiss Aids News 3 | septembre 2015

P Ê L E - M Ê L E

Le mauvais goût de John Waters est légendaire. On aime ou on déteste: il n’y a pas de milieu car Waters est trop radical pour permettre le compromis. Cela s’applique notamment à ses films.

Il s’est fait connaître avec «Pink Flamingos» en 1972 où il a sondé sans tabou obses-sions sexuelles, perversions et fantasmes, fixant sur pellicule tout le poids de sa créativité et de son intrépidité avec Divine, son acteur (et chanteur) fétiche de 150 kilos décédé en 1988. D’autres films cultes ont suivi, comme «Female Trouble» et «Hair-spray». Le Kunsthaus de Zurich expose en ce moment des œuvres récentes de Waters se servant d’images de films, des collages avec des objets plastiques, des citations provocantes et des travaux plastiques, tous issus de la collection Matthias Brunner. Une bonne occasion de découvrir l’originalité de John Waters au-delà de l’œuvre à scandale.

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Kunsthaus de Zurich, jusqu’au 1er novembre 2015, fermé le lundi

La cuisine méditerranéenne est l’une des plus saines – pour autant que l’on mette soi-même la main à la pâte et qu’on laisse de côté les ingrédients de fabrication industrielle.

Que l’on soit fin gourmet ou simplement soucieux de s’alimenter sainement, la cuisine turque séduit tous les palais. Istanbul se situe au carrefour des traditions culinaires les plus diverses. Arméniens, Kurdes, Grecs, Lazes, Arabes, Bosniaques, Alaouites et bien d’autres encore ont laissé des traces dans la cuisine stambouliote, et ce pour le plus grand bonheur de tous les amateurs de boulgour, de fines herbes, de poisson, de yogourt, de boulettes de viande, de fromage, d’aubergine et de mille et une autres saveurs. Hoummos, köfte à la viande en croûte de boulgour, feuilles de vigne farcies, ragoût d’agneau à la purée d’aubergine ou encornets farcis, ce livre de cuisine regorge de recettes très colorées, toutes plus savoureuses les unes que les autres. Bon appétit! •jak

Istanbul – La cuisine turque en 100 recettes d’Andy Harris et David Loftus, Hachette Pratique, 2014

Dans la province du KwaZulu-Natal, la journaliste spécialisée dans les affaires criminelles Maggie Cloete, filant sur sa moto, enquête dans la mouvance de la droite nationaliste, dans le milieu poli-tique et au sein du clan familial sur la fin tragique de Balthasar Meiring, activiste engagé dans la lutte contre le sida.

Qui avait intérêt à réduire Meiring au silence? Ses parents qui n’acceptaient pas son homosexualité? L’un des innombrables guérisseurs traditionnels qui voyaient en lui un rival sérieux? Ou des forces politiques sont-elles ici à l’œuvre? Autant de questions auxquelles Maggie Cloete s’efforcera de répondre. Bien documenté, le roman de Charlotte Otter tient le lecteur en haleine et donne un aperçu de la vie en Afrique du Sud au temps où Thabo Mbeki dirigeait la République. Niant le lien entre VIH et sida, celui-ci est tenu responsable des décès et de la croissance exponentielle du VIH/sida en Afrique du Sud. Sa ministre de la santé à l’époque recommandait l’huile d’olive, l’ail et la betterave rouge pour lutter contre la maladie. •jak

«Balthasar’s Gift» de Charlotte Otter, roman policier, Modjaji Books

SANTÉ

«Istanbul - La cuisine turque en 100 recettes

ROMAN POLICIER

«Balthasar’s Gift»

EXPOSITION

«John Waters How much can you take?»

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Swiss Aids News 3 | septembre 2015

D R O I T

Dans un arrêt datant de 2004, le Tribunal fé-déral a établi que les personnes souffrant de douleurs qui ne peuvent être objectivées par une atteinte organique (qualifiées de «troubles somatoformes douloureux») n’ont, en règle générale, pas droit à une rente d’invalidité. Il part du principe qu’il existe une présomption que les douleurs chroniques ou leurs effets peuvent être surmontés par un effort de vo-lonté raisonnablement exigible et qu’ils n’ont par conséquent aucun impact invalidant sur la capacité de travail.

Caractère surmontable des troubles somatoformes douloureuxCe changement de pratique a certainement eu avant tout une motivation politique: les assu-rances sociales étant alors soumises à une énorme pression sur les coûts, les tribunaux et le législateur se sont vus contraints de rendre l’accès à la rente plus difficile. Peu de temps après, le critère du caractère objectivement surmontable a été introduit également dans la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales (LPGA). De ce fait, les offices AI ont été de plus en plus enclins à évaluer même les personnes souffrant à la fois d’une maladie organique (p. ex. l’infection par le VIH) et d’un trouble dou-loureux uniquement en fonction de ce dernier, leur refusant l’octroi d’une rente.

Extension à d’autres pathologiesEn dépit des vives critiques émanant de ju-ristes, de médecins et d’organisations de pa-tients, le Tribunal fédéral a maintenu son arrêt et il a par la suite élargi le champ d’application à d’autres pathologies: fibromyalgie (rhuma-tisme généralisé des parties molles), syndrome de fatigue chronique et de neurasthénie, anes-thésie dissociative et atteintes sensorielles

ainsi que troubles moteurs dissociatifs (perte de l’intégration normale des souvenirs, de la conscience de l’identité, des sensations immé-diates et du contrôle des mouvements corpo-rels), traumatisme à la colonne cervicale (de type «coup du lapin») ainsi qu’hypersomnie sans constat organique (fatigue extrême). Nombreux sont ceux qui ont interprété l’ex-clusion de certaines pathologies du droit aux prestations comme une violation du principe de non-discrimination inscrit dans la Constitu-tion, étant donné que cette pratique entraîne une inégalité de traitement. Ainsi, la FMH a parlé d’une discrimination inacceptable de tout un groupe de patients. Le Tribunal fédéral a répondu à la critique en déclarant que ces pathologies peu claires se distinguaient des autres maladies sur un point essentiel: elles n’étaient pas mesurables et par conséquent difficilement vérifiables. Cette absence de caractère objectivable justifiait à ses yeux un traitement différencié. On ne dérogeait à titre

Assurance-invalidité: le Tribunal fédéral rectifie son jugement Le Tribunal fédéral a rendu voilà onze ans un arrêt lourd de conséquences : la personne souffrant de troubles douloureux non objectivables n’est pas limitée dans sa capacité de travail et n’a donc pas droit à une rente d’invalidité. Au fil des ans, cette jurisprudence a été étendue à d’autres pathologies et a parfois concerné aussi des personnes séropositives. Or, un récent arrêt du Tribunal fédéral laisse entrevoir une modification de cette pratique discriminatoire.

«Il conviendra désormais d’évaluer la capacité de travail effective de toute personne confrontée à un tel diagnostic sans résultat prédéfini.»

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18 Swiss Aids News 3 | septembre 2015

D R O I T

Service de consultation juridique

de l’Aide Suisse contre le Sida

Nous répondons à des questions juridiques

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Notre équipe est à votre service:

mardi et jeudi: de 9 h à 12 h et

de 14 h à 16 h.

Tél. 044 447 11 11

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exceptionnel à la présomption du caractère surmontable qu‘en présence d’une comorbidité psychiatrique avérée d’une acuité et d’une durée importantes.

Fatigue chronique L’extension à d’autres pathologies a aussi eu des répercussions pour les personnes séropositives puisque l’infection à VIH ou le traitement anti-rétroviral s’accompagnent souvent de fatigue. La recherche n’a pas encore permis d’établir clairement les causes et l’origine de la fatigue chronique. La doctrine part du principe qu’il y a interaction de facteurs somatiques, émotion-nels, cognitifs et psychosociaux. Compte tenu du changement de pratique opéré en 2004, les assurés séropositifs souffrant de fatigue chro-nique ont souvent été jugés entièrement aptes à travailler et n’ont pas reçu de rente même si, de l’avis des médecins traitants, leur capacité était clairement limitée. Le Tribunal fédéral s’est écarté de cette pra-tique restrictive en 2013 dans un arrêt relatif à un patient atteint de cancer et souffrant de fatigue. Celui-ci avait recouru contre la déci-sion de l’office AI. D’après le Tribunal fédéral, le syndrome de fatigue lié à la tumeur ne peut pas être surmonté de manière générale par un effort de volonté raisonnablement exigible; c’est aux médecins de juger au cas par cas dans quelle mesure la fatigue limite la capacité de travail. Cette appréciation différenciée aurait dû s’appliquer aussi à d’autres maladies chro-niques, et notamment à l’infection à VIH.

Expertise portant sur la pratique controversée du Tribunal fédéralMandaté par des avocats de patients, le Profes-seur Peter Henningsen a été prié de réaliser en 2014 une expertise portant sur la pratique du Tribunal fédéral en lien avec le caractère sur-montable de la douleur. Il y déclare notamment que la présomption qu’il existe une différence fondamentale entre les troubles somatoformes/fonctionnels et d’autres troubles psychiques en ce qui concerne leur degré de gravité et leur capacité à être surmontés par un effort raison-nablement exigible ne se justifie pas d’un point de vue empirique. En outre, la présence d’une atteinte organique définie et, partant, d’une pathologie dont l’existence peut être prouvée par les sciences naturelles elles-mêmes, ne dit rien sur l’activité et la capacité à participer

dans de très nombreux cas. Il est donc parvenu à la conclusion que la pratique du Tribunal fé-déral n’est pas étayée empiriquement, dénuée de fondement logique, inadéquate au bout du compte et globalement erronée.

Le nouvel arrêt et ses conséquences possiblesCette expertise a vraisemblablement contri-bué à inciter le Tribunal fédéral, dans un arrêt datant de juin 2015, à renoncer à la présomp-tion selon laquelle les troubles somatoformes douloureux et d’autres affections psychosoma-tiques assimilées peuvent être surmontés par un effort de volonté raisonnablement exigible. Il conviendra désormais d’évaluer la capacité de travail effective de toute personne confron-tée à un tel diagnostic sans résultat prédéfini. En présence de plusieurs troubles somatiques et/ou psychiques, il s’agit de considérer globa-lement leurs interactions. Toutefois, il incombe toujours à la personne assurée d’apporter la preuve de l’incapacité de travail. Dans le cas contraire, aucune rente n’est octroyée. La nouvelle jurisprudence doit déjà s’appli-quer aux procédures en cours. Elle doit égale-ment être prise en compte dans une procédure de révision s’il y a modification de l’état de santé et, partant, un motif de révision. La ques-tion du droit à un réexamen de la situation pour les assurés dont la rente a été refusée, réduite ou supprimée en raison de la pratique en vi-gueur jusqu’ici n’est pour l’instant pas encore clarifiée. De l’avis des experts, une annulation des décisions des dix dernières années semble plutôt improbable. La jurisprudence future le dira. cs

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F O R U M D R O I T

Nous répondons à vos questions

Caroline Suter, docteur en droit,

consultation juridique de l’Aide Suisse

contre le Sida

Question de Monsieur P. M.Conséquences d’une infection par le VIH et le VHC sur une activité dans le domaine médical

J’ai été dépisté récemment positif au VIH et à l’hépatite C. Je me suis peu à peu remis du choc initial et ma santé est bonne. Mais étant infirmier dans un hôpital, je me fais du souci pour mon avenir professionnel. Suis-je tenu d’informer mes supérieurs de ma séroposi-tivité et/ou de mon infection par le virus de l’hépatite C? Dois-je avoir peur de perdre mon emploi?

Réponse de Caroline Suter, Dr en droitUn employeur n’est pas autorisé à exiger d’un travailleur qu’il dévoile des données dites sensibles, et notamment le statut VIH et VHC. La question concernant le VIH ou l’hépatite C serait illégale étant donné qu’elle porte atteinte aux droits de la personnalité du travailleur et qu’elle est contraire à l’article 328b du Code des obligations. Celui-ci dit qu’un employeur n’a un droit d’être informé que s’il s’agit de données portant sur les aptitudes du travailleur à rem-plir son emploi ou nécessaires à l’exécution du contrat de travail. On peut donc en déduire a contrario que l’on n’a aucune obligation d’infor-mer l’employeur si l’infection par le VIH ou le VHC n’affecte pas l’aptitude à travailler. Même si cette dernière est compromise, il n’y a pas d’obligation de communiquer le diagnostic; il suffit d’informer qu’à l’avenir on ne pourra plus assumer qu’un pourcentage de travail réduit. Une interdiction de travailler pour cause de VIH ou d’hépatite C ne serait justifiée ni au regard du principe de proportionnalité ni d’un point de vue épidémiologique. Cela s’applique aussi aux professions médicales. Pour autant que l’on respecte les mesures d’hygiène et de protection requises dans ce domaine (selon les directives de la SUVA et de l’Office fédéral de la santé publique, le sang et les liquides organiques doivent toujours être considérés comme potentiellement infectieux), il n’y a en

règle générale aucun risque de transmission. L’Office fédéral de la santé publique a formulé des recommandations à l’intention du person-nel soignant atteint d’hépatite B, d’hépatite C ou d’immunodéficience humaine afin de préve-nir le risque de transmission de maladies aux patients par le sang. Il y est précisé que même l’exécution d’actes invasifs par du personnel médical porteur du VHC ou du VIH n’est en principe pas contre-indiquée. On entend par là les procédures au cours desquelles les mains du personnel médical, protégées par des gants, sont susceptibles d’entrer en contact avec des instruments tranchants ou pointus ou avec des tissus acérés (éclats d’os, dents), dans un espace

anatomique confiné, autrement dit des actes de chirurgie typiques. Dans ce cas, l’Office fédéral de la santé publique recommande aux personnes concernées d’informer le médecin du personnel (et non pas l’employeur ou le supérieur!) afin de pouvoir évaluer l’activité professionnelle et les conditions pour la pra-tique des procédures médicales. Il s’agit ici d’une recommandation et non d’une obligation. Au vu de ce qui précède, vous n’avez donc aucune obligation d’informer votre employeur et celui-ci n’a pas le droit de vous donner votre congé à cause de l’infection à VIH et de l’hépa-tite C. Un tel licenciement serait abusif.

«Une interdiction de travailler pour cause de VIH ou d’hépatite C ne serait justifiée ni au regard du principe de proportionnalité ni d’un point de vue épidémiologique. Cela s’applique aussi aux professions médicales.»

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Swiss Aids News 3 | septembre 2015

A N N O N C E

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