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65 Il faut sauver la forêt de la Maâmora (Maroc) par Saïd LAARIBYA Introduction La forêt est à l’ordre du jour dans le monde depuis la Conférence des Nations-Unies pour l’environnement et le développement (CNUED) tenue à Rio en 1992, suivie du 2 e Sommet de la Terre tenu à Johannesburg en 2002. Ainsi, les communautés scientifique et poli- tique internationales ont-elles pris conscience du rôle essentiel des forêts dans le maintien des systèmes vitaux de la planète, et dans le développement socio-économique des pays. Au Maroc, environ la moitié de la population (49%) est rurale. Près de 80% de celle-ci vit principalement de l’agriculture, de l’élevage et de la forêt. Dans ces conditions, le milieu naturel devrait jouer un rôle important en matière : – de conservation des sols et de régulation du régime des eaux ; – de production ligneuse (bois et liège, écorces et tan) et non ligneuse (plantes aromatiques et médicinales, champignons, fourrage, etc.) ; – d’amélioration des conditions de vie des populations rurales ; – de protection des facteurs de l’environnement et de conservation de la biodiversité. A cet égard, la forêt marocaine présente de nombreux atouts avec une étendue de 9 millions d’hectares, une grande diversité biologique, son impact sur l’équilibre socio-économique du pays, et le support qu’elle représente pour l’agriculture. Parmi les essences nobles du Maroc, le chêne-liège occupe une place et joue un rôle de première importance. En effet, le chêne-liège est une essence endémique sous climat méditerranéen, notamment sur les côtes atlantiques du Maroc, du Portugal, du Sud de la France jusqu’au golfe de Gascogne. Au Maroc, les subéraies s’étendent dans la partie nord-occidentale, depuis les plaines du littoral jusque dans le Rif Central et le Moyen- Atlas. Autrefois, le chêne-liège occupait au Maroc des surfaces considé- rables (BOUDY, 1950). Cet article sur la subéraie de la Maâmora (Maroc), est intéressant car il souligne la gravité d’une évolution régressive qui se poursuit inexorablement, bien que connue de longue date par les autorités. Il fait ressortir les causes et l’état inquiétant de la dégradation de cette forêt dont l’importance socio-économique n’est plus à démontrer. Il propose quelques remèdes en vue de son sauvetage, notamment une action vigoureuse de développement local par l’amélioration du niveau de vie des habitants usagers riverains. Il nous semble aussi capital, de souligner l’influence, sans doute majeure, de l’effet des prélèvements d’eau, pour les besoins urbains et agricoles, sur le niveau des nappes phréatiques de cette plaine qui ne peuvent plus alimenter les arbres, lors des sécheresses récurrentes de ces dernières années. forêt méditerranéenne t. XXVII, n° 1, mars 2006

Il faut sauver la forêt de la Maâmora (Maroc) · de la Maâmora (Maroc) par Saïd LAARIBYA Introduction ... sur le plan forestier au niveau national. Malgré les efforts entrepris

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Il faut sauver la forêtde la Maâmora (Maroc)

par Saïd LAARIBYA

Introduction

La forêt est à l’ordre du jour dans le monde depuis la Conférence desNations-Unies pour l’environnement et le développement (CNUED)tenue à Rio en 1992, suivie du 2e Sommet de la Terre tenu àJohannesburg en 2002. Ainsi, les communautés scientifique et poli-tique internationales ont-elles pris conscience du rôle essentiel desforêts dans le maintien des systèmes vitaux de la planète, et dans ledéveloppement socio-économique des pays.Au Maroc, environ la moitié de la population (49%) est rurale. Près

de 80% de celle-ci vit principalement de l’agriculture, de l’élevage et dela forêt. Dans ces conditions, le milieu naturel devrait jouer un rôleimportant en matière :– de conservation des sols et de régulation du régime des eaux ;– de production ligneuse (bois et liège, écorces et tan) et non ligneuse

(plantes aromatiques et médicinales, champignons, fourrage, etc.) ;– d’amélioration des conditions de vie des populations rurales ;– de protection des facteurs de l’environnement et de conservation de

la biodiversité.A cet égard, la forêt marocaine présente de nombreux atouts avec

une étendue de 9 millions d’hectares, une grande diversité biologique,son impact sur l’équilibre socio-économique du pays, et le supportqu’elle représente pour l’agriculture.Parmi les essences nobles du Maroc, le chêne-liège occupe une place

et joue un rôle de première importance. En effet, le chêne-liège est uneessence endémique sous climat méditerranéen, notamment sur lescôtes atlantiques du Maroc, du Portugal, du Sud de la France jusqu’augolfe de Gascogne.Au Maroc, les subéraies s’étendent dans la partie nord-occidentale,

depuis les plaines du littoral jusque dans le Rif Central et le Moyen-Atlas. Autrefois, le chêne-liège occupait au Maroc des surfaces considé-rables (BOUDY, 1950).

Cet article sur la subéraie de laMaâmora (Maroc), est intéressant

car il souligne la gravitéd’une évolution régressive qui se

poursuit inexorablement, bienque connue de longue date par

les autorités. Il fait ressortirles causes et l’état inquiétant de

la dégradation de cette forêt dontl’importance socio-économique

n’est plus à démontrer. Il proposequelques remèdes en vue de son

sauvetage, notamment une actionvigoureuse de développement local

par l’amélioration du niveaude vie des habitants usagers

riverains. Il nous semble aussicapital, de souligner l’influence,

sans doute majeure, de l’effetdes prélèvements d’eau, pour

les besoins urbains et agricoles,sur le niveau des nappes

phréatiques de cette plaine qui nepeuvent plus alimenter les arbres,

lors des sécheresses récurrentesde ces dernières années.

forêt méditerranéenne t. XXVII, n° 1, mars 2006

Malgré leur importance, les subéraies sontsoumises à de fortes contraintes. Celles-ci setraduisent par des dépérissements et desdégradations qui résultent de l’actionhumaine, à travers les défrichements, le sur-pâturage, le prélèvement de bois de feu, com-binés aux stress hydriques dus aux séche-resses récurrentes, et aux attaquesparasitaires, notamment de défoliateurs(Lymantria dispar) et d’agents pathogènes(Hypoxylon mediterraneum).

La forêt de la Maâmora représente la plusvaste subéraie de plaine au monde, ellecouvre une surface de 133 000 ha, dont 60000 ha de chêne-liège pur. Elle constitue,d’une part, un espace récréatif de premièreimportance pour la population des grandesagglomérations urbaines (Rabat, Salé,Khémisset et Kénitra) avec environ deuxmillions d’habitants, et, d’autre part, la prin-cipale source de revenus pour une populationusagère d’environ 300 000 habitants, dontles besoins ne cessent d’augmenter.

La forêt de la Maâmora a fait l’objet deplusieurs plans de développement, pro-grammes de recherche-développement, deprojets de partenariat, mais elle ne bénéficiepas de la place qui lui revient normalementsur le plan forestier au niveau national.Malgré les efforts entrepris par les pouvoirspublics, pour la sauvegarde et la conserva-tion de cette forêt, sa dégradation ne cessed’inquiéter.

Des éléments structurels de l’écologie, dela technique de gestion, de la loi et de laréglementation, de l’économie et de la socio-logie, du mode de gestion de l’espace par lapopulation rurale, sont à la base de la pro-blématique actuelle de la Maâmora.La richesse et la diversité floristique font

que cette forêt intègre un ensemble de sys-tèmes écologiques à usages multiples, telsque la production de liège et de bois, le par-cours, la récréation, l’exploitation des res-sources cynégétiques, les activités et larécolte de produits divers comme le miel, leschampignons, etc. Elle est exploitée surtoutcomme un vaste espace d’élevage et offre denombreuses occasions d’emploi.La concertation avec la population rurale

usagère des massifs étudiés (hommes etfemmes), les organisations initiées des com-munautés concernées, et tous les partenairespotentiels qui opèrent dans la forêt, permet-tent ainsi d’aboutir à un véritable diagnosticconcerté et à une définition réelle de l’étatdes lieux.

Importance socio-économiquede la MaâmoraCette importance socio-économique se

dégage à travers les indicateurs suivants(DDF, 2000) :– Recettes forestières : 60 millions DH*

(moyenne annuelle).

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Fig. 1 :Carte de situation

de la forêtde la Maâmora

* 1 dirham marocain =0,0918 ! (déc. 2005),

soit environ5,5 millions d’!

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– Bois d’industrie : 300 000 m3/an (85% dela production nationale), principalementl’eucalyptus destiné à la pâte.– Liège : 6 000 tonnes (47% de la produc-

tion nationale).– Bois de feu : 600 000 m3/an (87% des

besoins de la zone).Les quantités de bois de feu prélevées illi-

citement par les usagers ne sont pas compta-bilisés, elles représentent une part assezimportante.– Production fourragère : 24 millions

UF/an pour 250 000 têtes ovines et bovines(75% des besoins du cheptel de la zone).– Produits non ligneux : champignons,

lichens (30 T/an), plantes médicinales ettanin (5000 T/an), miel (1000 T/an).– Emploi en milieu rural : 300 000 jour-

nées de travail par an.Ces produits sont mobilisés essentielle-

ment par :– des entreprises forestières 1 ;– des exploitants de bois 2 ;– et des coopératives forestières 3.

Problématique de la subéraiede la Maâmora

La Maâmora ne cesse de se dégrader au fildes années, par de nombreuses agressionsd’origine humaine (parcours, délits…) quis’accentuent de plus en plus. Il est doncurgent d’assurer sa conservation et son déve-loppement.

La régression de la subéraieL’histoire de cette forêt nous rappelle que

le problème de sa reconstitution et de larégénération du chêne-liège n’est pas nou-veau. Il remonte au début du siècle. En effet,les périodes de sécheresse successives qu’aconnues la Maâmora à travers son histoire,la tendance décroissante des précipitationsdepuis 1910 et l’absence de régénérationnaturelle, ont conduit l’Administration fores-tière, entre 1920 et 1951, à entreprendre unvaste programme de rajeunissement duchêne-liège par recépage sur une importantepartie de la forêt.Face à cette situation, l’Administration a

accordé à cette suberaie une attention parti-culière par la mise en œuvre de trois plansd’aménagement en 1951, 1972 et 1992.

L’inventaire réalisé en 1992 dans la forêtde la Maâmora a fait ressortir que la superfi-cie en chêne-liège a diminué de plus de 30%entre 1951 et 1992 (Cf. Tab. I).Cette régression de la superficie du chêne-

liège au profit d’espèces plus productives etrépondant mieux aux besoins de l’économiemarocaine (eucalyptus, pins…) entraîne uneaggravation de la dégradation des peuple-ments restés en chêne-liège, et soumis dèslors à une pression accrue du pâturage etd’autres prélèvements.En terme de densité, on assiste à une forte

réduction de l’ensouchement, due à la pres-sion qui s’exerce sur ces écosystèmes. Eneffet, la classe de densité inférieure à 100souches/ha représente actuellement 46,4%de la superficie de la subéraie, alors qu’ellene représentait que 11% en 1951 (Cf. Tab.II).Cette chute de l’ensouchement est inquié-

tante, car elle marque la disparition progres-sive de la subéraie.

Le dépérissementdu chêne-liègeLe chêne-liège connaît aujourd’hui indé-

niablement des dépérissements couvrant delarges surfaces. Les peuplements les plusdépérissants se situent principalement dansl’étage semi-aride, et les chiffres relatifs au

Formation 1951 1972 1992

Chêne-liège 102 300 86 262 60 800Eucalyptus 30 000 39 721 59 100Acacia 0 1 000 1 000Résineux 1 200 6 517 12 600

Total 133 500 133 500 133 500

Tab. I :Evolution des superficiesforestières (ha)en Maâmora

Superficie (ha)Densité 1951 1972 1992

(souches/ha)>200 60 485 14 067 16 332

100 à 200 28 485 18 030 15 715<100 11 603 54 929 27 818

Total chêne-liège 100 573 87 026 59 865

Tab. II :Evolution de la densitédans les peuplementsde chêne-liège depuis1951 en Maâmora*

1 - Entreprisesforestières : sociétésopérant dans le secteurforestier (abattagedu bois, transportdes produits forestiers…)2 - Exploitants de bois :entrepreneur s’occupanten général d’abattageet débardage de boiset souvent ausside transport,de conversionset de transformationsprimaires du bois.3 - Coopérativesforestières : groupementassociatif agissantdans le secteur forestier,caractérisé par l’égalitéde droits de chacunde ses membres quantà sa gestion.

* Dans le mode de calcul lié à la densité, certains vides n’ont pas été comptabilisés, ce qui expliqueles légères différences avec le total du Tab. I.

dépérissement montrent que 10 à 44% desarbres sont atteints selon les cantons.Outre les causes liées à la sécheresse,

aggravée d’ailleurs par le pompage dans lesnappes pour l’irrigation et parl’approvisionnement en eau des villes (OuedFouarat par exemple) 4, il convient de citerles autres agents aggravant la situation :attaques d’insectes défoliateurs (Lymantriadispar) et de champignons (Hypoxylon medi-terraneum), émondage des arbres, et avanttout le surpâturage, disparition aussi desespèces ligneuses des sous-bois (genêts,ajoncs, cistes, doum, etc.)

Le déséquilibredes classes d’âgeEn plus des dégâts causés par le dépérisse-

ment, le déséquilibre des classes d’âge esttrès apparent, ce qui donne à la subéraiel’aspect d’arbres vieillis. Au-delà du déséqui-libre écologique et dendrométrique lié à cetétat, les conséquences économiques risquentd’être désastreuses à moyen terme. A trèscourt terme, des surfaces considérables dechêne-liège devraient être régénérées (plusde 2000 hectares/an).

Les difficultés de régénérationCompte tenu de l’état vieilli des futaies, la

régénération par recépage, classiquementutilisée par le passé, n’est plus recomman-dée. Les débats sur la régénération font tousétat des difficultés à obtenir des semis natu-rels, ou à installer avec succès une planta-tion. Les causes essentielles des échecs sontle surpâturage des forêts, la présence de versblanc (larves de hannetons) qui s’installentdans la racine pivotante des jeunes plantspour s’en nourrir, la faible reprise des plantssur des sols pauvres qui se dessèchent bruta-lement dès l’arrivée de l’été. Ces problèmesont fait l’objet de nombreuses recherchesdepuis les années cinquante, sans qu’unesolution satisfaisante ait été trouvée(BELGHAZI et al, 2001) 5.Néanmoins, les avis concordent quant aux

moyens qu’il faut développer pour obtenirune régénération par semis naturels ou arti-ficiels (préparation adéquate du sol, choixdes glands sur des sites semenciers bienidentifiés, mise en défens stricte, entretienstrès précoces et réguliers, voire arrosage…).Il est à signaler que la réussite de la régéné-ration ne peut être acquise que par un effortcontinu sur plusieurs années.

Facteurs de dégradationde la subéraie de la Maâmora

La pression humaine chronique enMaâmora s’est traduite par une détériora-tion et une dégradation croissante de lasubéraie dont les principaux facteurs sont :– la croissance démographique qui a

accru le nombre d’usagers et, par là-même,la pression sur la forêt. En effet, la popula-tion des riverains a vu ses effectifs doublésen l’espace de 23 ans de 1971 à 1994, pas-sant de 212 000 à 420 000 habitants, soitune progression moyenne annuelle de 4%, cequi dépasse de loin la moyenne nationale.C’est là une des causes de l’explosion desprélèvements sur la forêt ;– les prélèvements délictueux de bois :

ces prélèvements, quasi généralisés, sontpratiqués par la plupart des ménages. Tousles besoins en bois de feu et charbon de lapopulation sont satisfaits à partir de cetteforêt, et entament énormément le capital surpied ;– le surpâturage : le cheptel pâturant en

forêt, composé de têtes d’ovins (200 000têtes) et de bovins (50 000 têtes), séjournetoute l’année en forêt. La charge pastoralesusceptible d’être supportée par la forêt estexcessive. La présence de ce bétail, souventen association entre usagers et non usagers,en si grand nombre toute l’année en forêt,empêche toute possibilité de régénérationnaturelle, par le tassement du sol, laconsommation des glands etl’abroutissement des quelques semis ayantréussi à germer ;– l’écimage et l’ébranchage : la pratique

de l’écimage et de l’ébranchage destinés àl’alimentation du bétail pendant les périodesde soudure et de disette, touche plus du 1/3des arbres. En période de sécheresse, cettepratique est généralisée à l’ensemble de laforêt. Ces pratiques anarchiques provoquentdes blessures, entraînent des stress physiolo-giques et prédisposent les peuplements auxattaques parasitaires qui conduisent inévita-blement au dépérissement et à la mort desarbres ;– le ramassage des glands : le ramas-

sage des glands destinés à l’alimentation dubétail, à la vente pour la consommationhumaine car les glands de la Maâmora sontdes glands doux (variété « balota »), est prati-qué par la plupart de ménages. Cette récolte,qui avoisine la production totale de la forêt,est souvent commercialisée le long des axes

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4 - NDLR C’est sansdoute la cause principale

de ces dépérissements,car les sols sableux ayant

une très faible capacitéde rétention en eau, lechêne-liège va recher-

cher celle-ci dans lanappe, de plus en plus

profondément, mais cetapprofondissement de

l’enracinement a deslimites !

5 - NDLR Une étudede la baisse du niveau

des nappes phréatiques,suite aux pompages pour

l’alimentation humaine,serait, peut-être,

une explication simplede ces phénomènes

de dépérissement.

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routiers, en villes et sur les souks. Le resteest consommé par les riverains et leur chep-tel. L’opération de gaulage pour une récolteprécoce des glands, provoque des blessures etfavorise le dépérissement et l’installation dechampignons parasites ;– la récolte de liège : la récolte de liège

exécutée par une main d’œuvre non qualifiéeconduit à des blessures qui affaiblissent lesarbres et conduisent à leur dépérissement ;– les infrastructures publiques et

l’urbanisation : par sa proximité desgrandes agglomérations, la forêt de laMaâmora est considérée comme une réservefoncière, facilement mobilisable pourrépondre aux besoins d’extension de cesvilles et villages. A titre d’exemple,l’autoroute Rabat-Tanger avait écorné unebonne surface de la forêt ;– les facteurs édapho-climatiques : la

sécheresse qui a sévi ces dernières années,l’irrégularité des précipitations et leur déficitchronique, combinés à leurs effets et à ceuxde la nature du sol sablonneux de laMaâmora, aggravent encore la situation 6 ;– le manque d’encadrement des usa-

gers : le parcours de bétail dans la Maâmorase fait sans aucune limitation de la charge.La sauvegarde de cette subéraie doit passerimpérativement par l’encadrement et l’orga-nisation des usagers, tel que le prévoit la loi.

Evolution de la forêtet investissements consentisLa forêt de la Maâmora, située dans les

étages bioclimatiques subhumide à semi-aride, se trouve à la limite de l’aire de répar-tition naturelle du chêne-liège. Cette situa-tion géographique, en marge de son aire dedistribution, rend cette forêt particulière-ment sensible. Les facteurs qui menacentd’enrayer cet écosystème fragile sont donc,comme nous l’avons vu plus haut, en plus dela sécheresse chronique qui est devenue unphénomène structurel 6 : le surpâturage,l’écimage, le ramassage des glands, les prélè-vements délictueux de bois, l’absence derégénération du chêne-liège, le manqued’encadrement des usagers et les attaquesparasitaires succédant aux longues et fré-quentes sécheresses qui affaiblissent lesarbres. Il est vrai que des reprises végéta-tives ont été constatées après les précipita-tions des dernières années, mais beaucoupd’arbres peuvent être considérés comme défi-nitivement morts.

Cet état de fait est source du déséquilibreécologique de la forêt. Les pertes enMaâmora sont estimées à plus de 1 000 hec-tares par an. Son atonie est bien trompeuse,elle couvre une dégradation qui a atteint undegré tel que sa réhabilitation semble actuel-lement très difficile et longue. Non jugulée,les facteurs extérieurs de dégradation ontrendu difficile l’application des plans succes-sifs d’aménagement de la forêt. Cette dégra-dation entraînerait la détérioration del’environnement et de la biodiversité, l’ensa-blement des infrastructures et des terrainsagricoles, une perte économique aussi bienpour la communauté locale que pour lanation.

Photo 1 :Malgré son état,la Mâamora continueà être exploitée !

Photo 2 :Exploitationde l’Eucalyptusdans la Mâamora

6 - Voir NDLRprécédentes

Cette évolution apparente des facteursnaturels et physiques, liée à une adaptationpratique des modes de gestion de l’espace, apoussé les populations à revoir leur moded’exploitation et leur gestion des systèmes deproduction. Cette réadaptation a affecté dif-férents domaines, tels que l’élevage,l’agriculture, les pratiques d’exploitation desmenus produits (glands, champignons...).Cependant, cette mutation ne peut être

durable puisque la dépendance des systèmesde production vis-à-vis de cet espace forestierest très grande et ne peut être soutenue enabsence de la forêt !

Conséquencesde la dégradation

Nous l’avons vu, la pression sociale consti-tue le facteur déterminant dans le processusde dégradation progressive de la Maâmora.Les conséquences qui résulteront del’amplification de ce phénomène peuvent serésumer comme suit.Détérioration de l’environnement : en

effet, la Maâmora constitue une réserved’une richesse floristique indéniable, un véri-table poumon vert pour les agglomérationsavoisinantes et un vaste espace de récréa-tion. Sa destruction entraînera une détério-ration de la qualité de la vie des citoyens.Erosion et dégradation des sols : au

rythme actuel de dégradation, les sols de laMaâmora seront menacés par l’érosion.

Ensablement : la disparition du couvertvégétal entraînera des phénomènesd’ensablement dus à la nature sablonneusede la Maâmora et menacerait les infrastruc-tures et agglomérations existantes.Perte économique : le recul de cette forêt

aura de graves conséquences sur l’économierégionale (manque à gagner des communesrurales, perte d’emplois…) et nationale(affaiblissement du tissu industriel lié auliège, perte en devises).Exode rural : qualifiée comme réserve

fourragère, énergétique, et génératriced’emploi, sa disparition rendra le milieuinhospitalier et provoquera de ce fait un fluxmigratoire vers les grandes agglomérations,avec toutes les conséquences que cela poserasur le plan social.

PerspectivesLa recherche d’une stratégie de développe-

ment et de sauvegarde de la Maâmora doitreposer sur un constat de base qui orientel’ensemble de sa démarche : malgré la situa-tion de surexploitation actuelle des res-sources naturelles, et les menaces de déserti-fication, le processus n’est pas irréversible, etil est possible de l’inverser. Néanmoins, ladégradation physique et physionomique despeuplements forestiers est à un stade trèsavancé, et le seuil de non retour est approchédans de nombreuses situations.La stratégie de réhabilitation et de déve-

loppement de ce patrimoine visant l’arrêt duprocessus d’évolution régressive des res-sources naturelles de la subéraie, de restau-ration et de développement des écosystèmesnaturels devrait passer obligatoirement pardes actions de développement local et parl’amélioration du niveau de vie des popula-tions des différentes communes rurales.Conscients de l’importance de cet écosys-

tème, les pouvoirs publics ont entrepris desmesures pour sa sauvegarde par des inves-tissements en opérations de mise en valeuret de protection.Cependant, le développement de la forêt de

la Maâmora ne peut être envisagé séparé-ment de son environnement socio-écono-mique, lequel constitue un support fonda-mental pour le développement local et lavalorisation du patrimoine forestier naturelet de biodiversité de la région. Par ailleurs,l’homme est le facteur clé de tout programmede développement.

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Photo 3 :Chêne-liège en délits

dans la Mâamora

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Comme le prévoit le Dahir du 20 sep-tembre 1976 relatif à la participation de lapopulation au développement de l’économieforestière, des actions devront être entre-prises en matière d’organisation des usagers.Pour limiter et atténuer les effets néfastesdes prélèvements délictueux de bois, et cepar l’encouragement à la création de coopé-ratives forestières multiservices.Globalement, et en plus des actions fores-

tières qui visent la reconstitution et la sau-vegarde des ressources forestières enMaâmora, le Haut-Commissariat aux Eauxet Forêt et à la Lutte contre la désertificationdoit initier et prévoir la mise en œuvre d’uncertain nombre d’actions visant àl’amélioration des systèmes de production(agriculture, élevage, pastoralisme, etc.) 7, lamise en place d’infrastructures rurales etd’équipement communautaires, et la promo-tion d’activités génératrices de revenus (api-culture, petit élevage, artisanat, plantes aro-matiques et médicinales). De même, il y alieu de repenser la participation des popula-tions au développement de l’économie fores-tière dans la perspective de faire bénéficierles populations usagères de recettes fores-tières afin de susciter leur adhésion au déve-loppement durable des ressources fores-tières.

S.L.

Référencesbibliographiques

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Saïd LAARIBYAIngénieur d’Etatprincipal, Chercheur,Haut-commissariataux Eaux et Forêtet à la lutte contrela désertificationQuartieradministratifRabat ChellahMarocMél : [email protected]

7 - NDLR Sachantcependant que toutpompage supplémentairedans les nappesphréatiques, notammentpour l’irrigation, risqued’aggraver la baissede leur niveauet le dépérissementdes arbres.

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We must save the Maârmora cork oak forest in Morocco!The Maâmora cork oak forest, considered to be the world’s most extensive cork oak forest on flat-lands, covers 133,000ha of which 60,000 are pure stands. It constitutes a recreational space for theresidents of the great urban centres (Rabat, Salé, Khémmiset and Kénitra) and the principal source ofincome for a user population whose needs are constantly on the increase (300,000 inhabitants).Because of its importance, Maâmora is subject to strong pressures manifested by degradation entailedby human activity : clearing, overgrazing, removal of firewood, and compounded by the lack of waterdue to recurring droughts as well as by pest attacks.Maâmora has been the object of several development schemes, research and development plans andpartnership projects. Yet it does not occupy the place it normally should in national forestry policy andplanning. Despite the efforts undertaken by the authorities for the protection and conservation ofthese woodlands, its continued decline remains the cause of worry.Saving this forest has become an absolute priority but remains conditional on determined, concertedaction over time and over a wide area. It especially depends on prolonged local development and animprovement in the standard of living of the surrounding user population.

Résumé

Resumen

Summary

La forêt de la Maâmora est considérée comme la plus vaste subéraie de plaine au monde, elle couvreune surface de 133 000 ha dont 60 000 ha de chêne-liège pur. Elle constitue un espace récréatif pourla population des grandes agglomérations urbaines (Rabat, Salé, Khémisset et Kénitra), et la principalesource de revenus pour une population usagère, dont les besoins s’accroissent de plus en plus(300 000 habitants).De par son importance, la Maâmora est soumise à de fortes pressions. Celles-ci se traduisent par desdégradations qui résultent de l’action humaine, à travers les défrichements, le surpâturage, le prélève-ment de bois de feu, combinés aux stress hydriques dus aux sécheresses récurrentes, et aux attaquesparasitaires.La Maâmora a fait l’objet de plusieurs plans de développement, de programmes de recherche-dévelop-pement, de projets de partenariat, mais elle ne bénéficie pas de la place qui lui revient normalementsur le plan forestier national. Malgré les efforts entrepris par les pouvoirs publics pour la sauvegarde etla conservation de cette forêt, sa dégradation ne cesse d’inquiéter.Le sauvetage de cette forêt est devenu une priorité absolue et reste subordonné à des actions vigou-reuses dans le temps et dans l’espace et notamment dans la durée du développement local etd’amélioration des conditions et du niveau de vie des populations riveraines usagers.

El bosque de Maâmora se da por lo más extenso sube de llano del mundo (133.000 Ha. de las cuales60.000 Ha. de roble-corcho puro). Constituye el espacio recreativo para la población de los grandesnúcleos urbanos (Sale, Rabat, Khémisset y Kénitra), y la principal fuente de ingresos para una pobla-ción usag cuyas necesidades son cada vez más crecientes (300.000 habitantes).De parte su importancia, Maamora se sujeta a los apremios fuertes. Ésos son traducidos por las degra-daciones que resultan de la acción humana, con los claros, el overgrazing, el quitar de la leña, com-puestos a las tensiones acuosas debido a los drynesses que se repiten, y con los ataques parásitos.Lo Maâmora fue objeto de varios planes de desarrollo, programas de investigación desarrollo, proyec-tos de asociación, pero no se beneficia del lugar que le corresponde normalmente a nivel forestalnacional. A pesar de los esfuerzos emprendidos por las autoridades públicas para la protección y laconservación de este bosque, su degradación no deja de preocupar.El rescate de este bosque se convirtió en una prioridad absoluta y sigue siendo subordinado a lasacciones vigorosas en tiempo y el espacio y en detalle en la duración del desarrollo local y de la mejorade las condiciones y del estándar la vida de los usuarios de las poblaciones que confinaban.

forêt méditerranéenne t. XXVII, n° 1, mars 2006