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INCIDENTS DE CLASSE EN CHINE les travailleurs chinois contre le capital mondial au XXI e siècle

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INCIDENTSDE CL ASSEEN CHINEles travailleurs chinois contre le capital mondialau XXIe siècle

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Textes complémentairesUnité? 8La question de la plus-value absolue 11Les travailleurs migrants en Chine 14La question des salaires 17Syndicats et modalité de l’exploitation 27Grèves et destructions 30

Et aussi...Carte 34Quelques chiffres et données 35Chronologie indicative 36Pistes bibliographiques 37

58 000 « incidents de masse »… 4

Brèves générales 7

Les neuf vies d’une ouvrière chinoise 9

L’exportation des prolétaires chinois 22

La Chine dans la crise mondiale 25

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Au cours du premier trimestre 2009, 58 000 « incidents de masse » ont,selon le Parti communiste chinois (PCC), perturbé « l’harmonie » de lasociété chinoise. Bigre : 58 000 grèves (sauvages puisqu’interdites),manifestations (sauvages également), blocages de voies 1, affronte-ments avec les flics, occupations (voire incendies) de bâtiments pu-blics, saccages d’usines, lynchages de cadres et de patrons, émeutes,etc. Des chiffres qui ne prennent pas en compte les pétitions, sit-in etautres formes plus modérées dont usent abondamment des protesta-taires qui font face, rappelons-le, à une dictature particulièrementsévère. Des chiffres qui connaissent une augmentation remarquabledepuis plusieurs années. Disciplinée, la main-d’œuvre de « l’atelierdu monde » ?Cette information, parmi quelques autres qui peuvent parfois surgirdans les médias, a suscité quelque curiosité 2 : mais que peuvent bienraconter ces chiffres, à l’échelle d’un pays aussi gigantesque – et quiserait, dit-on, le prochain maître du monde ? Y aurait-il, par hasard,un lien avec les conditions de l’exploitation en Chine – et dans lemonde ? D’ailleurs, où (en) est le prolétariat 3 aujourd’hui ? À quelleactualité internationale de la lutte des classes 4 (toujours féroce) fontécho les révoltes ouvrières en Chine ? Que révèlent les luttes contre lecapital qui ne prennent pas la forme de « conflits du travail » : paysanscontre les expropriations, habitants contre les empoisonnements in-dustriels, etc. ? Faut-il projeter dans ces colères prolétariennes lespremières manifestations d’une révolution « à venir » (et pourquoipas communiste 5) ?En guise d’introduction, revenons sur quelques points pour donnerun bref aperçu de la lutte des classes en Chine.Tout d’abord, brossons à gros traits le paysage chinois : depuis la mortde Mao (1976), on peut dire que le pouvoir central 6 de Beijing (Pékin)n’a fait que promouvoir une longue série de réformes visant à inté-grer pleinement le capitalisme d’État chinois dans la dynamiquemondiale du capital. [Une chronologie indicative évoque, p. 36, quel-ques dates marquantes de cette évolution, lente mais sûre.] Au-jourd’hui, le capital en Chine s’organise autour d’un secteur public endémantèlement depuis les années 1980 (mais pas moribond) et, pourle secteur privé, autour d’entreprises occidentales et de leurs sous-traitants chinois, centrés notamment sur les zones côtières. Il est ànoter que le secteur public comprend aussi bien les services et lesbanques que l’industrie. Mais surtout, le capital (mondial) en Chine se développe sur le dos de400 millions (au moins) de prolétaires (pour une population actived’environ 800 millions de personnes).Parmi ceux-ci, les quelques 150-200 millions de travailleurs migrants,la plupart « sans papiers » 7 : les mingong, comme tous les « sans-pa-piers » du monde, forment une main-d’œuvre idéale – enfin, plusexactement : formeraient, si leurs conditions d’exploitation ne lespoussaient pas à se révolter de plus en plus. Ces révoltes font écho auxrécentes mutineries dans les centres de rétention et autres camps enEurope, mobilisations énormes des latinos « illégaux » aux États-Unis

58 000 « incidents de masse »...

1. Les méthodes de lutte contre ce monde sesont toujours adaptées aux évolutions desrapports sociaux et des modes de production.On voit qu’il n’est donc pas nécessaire d’êtreadepte de certaines thèses radicales, préten-dues novatrices, pour comprendre l’intérêtdu « blocage de flux » de marchandises ou detravailleurs.2. La lecture du livre de Bruno Astarian,Luttes de classes dans la Chine des réformes (1978-2009), apporte de précieuses informations etmême, quelques perspectives.3. Pour faire très vite, disons que le proléta-riat est la classe de ceux qui, n’ayant d’autremoyen de survivre, sont contraints de vendreleur force de travail (d’être salariés par ceuxqui possèdent les moyens de production) ; ilsn’ont donc aucun pouvoir sur l’emploi deleur vie. Cette classe, qui comprend entreautres les ouvriers et les employés, est enexpansion permanente et n’a jamais été aussimassive qu’aujourd’hui. « Il faut entendre parprolétaire le salarié qui produit le capital et le faitfructifier, et que M. Capital [...] jette sur le pavédès qu’il n’en a plus besoin. » (Karl Marx, LeCapital, 1867)4. La lutte des classes est l’affrontement declasses aux intérêts contradictoires : la classecapitaliste (détentrice des moyens de pro-duction) et le prolétariat qu’elle domine etexploite. Cette lutte est quotidienne, souventpeu visible (exploitation, résistance au tra-vail, sabotage, etc.) ou parfois très palpable(restructurations, licenciements, grèves,émeutes, etc.). « La lutte des classes existe, etc’est la mienne qui est en train de la remporter. »(le milliardaire Warren Buffet, s’exprimanten novembre 2006 dans le New York Times)5. Le communisme n’a évidemment rien àvoir avec les dictatures du XXe siècle impro-prement appelées « communistes » (Chinemaoïste comprise) qui étaient en fait des for-mes autoritaires de capitalisme d’État.Négativement, on peut dire que le commu-nisme sera la fin (l’abolition, le dépassement)de toutes les formes d’aliénation humaine, demédiation, de domination, l’abolition del’État, des classes (donc du prolétariat), dusalariat, de l’argent et de la valeur, du droit,de la morale, du genre, etc.6. Signalons qu’en Chine la séparation entrepouvoir central et pouvoirs locaux (provin-ces, municipalités) ne facilite pas toujours lagouvernance.7. Le hukou (rural ou urbain), passeport inté-rieur (généralisé par Mao en 1958), structurefondamentalement le contrôle des popula-tions chinoises. Voir p. 14 de cette brochure.

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en 2006, etc. L’économie a besoin de fabriquer et conserver une tellecatégorie de travailleurs, dont la condition d’expulsabilité est particu-lièrement adaptée aux besoins des employeurs, évidemment 8. Danscertains secteurs, il est en effet plus pratique de délocaliser (impor-ter) la main-d’œuvre que les entreprises. Le fait qu’en Chine ce sont des Chinois qui forment cette masse labo-rieuse 9 indique que la question des migrations et des « papiers » estpeut-être plus une question de travail (c’est-à-dire d’exploitation) quede frontières (c’est-à-dire d’État) 10. Les mingong forment une part importante du prolétariat révolté, dontla remarquable combativité peut surprendre par ici. Parmi les nom-breuses formes que peuvent prendre ces révoltes, les ouvriers chinoisont régulièrement la bonne idée de sortir des usines pour manifesterleurs colères, et rencontrer dans la rue de précieux complices 11. L’en-jeu du pouvoir (local) est alors fréquemment d’essayer de les en em-pêcher – ce qui entraîne des affrontements récurrents avec leskeufs 12. Le déploiement policier augmente souvent le niveau deconflictualité. Une fois parvenus à déborder les premières rangées deforces de l’ordre, les manifestants dirigent leur rage contre les bâti-ments officiels (caillassages, occupations, incendies). On peut imaginer que pour l’État, une alternative serait l’instaurationd’une relative liberté syndicale 13 (envisageable dans un possible pro-cessus de démocratisation). Ceci permettrait la mise en place de nou-velles structures de modération, de médiation et de contrôle des tra-vailleurs – et rendrait la contention éthiquement plus acceptablepour les consommateurs occidentaux que la matraque ou le char. Uneméthode particulièrement efficace qui a déjà fait ses preuves à traversle monde 14 mais qui ne semble pas, pour l’instant, séduire les diri-geants chinois [voir p. 27].

*La vive résistance des prolétaires n’est pas un particularisme local,car la Chine est certes le plus vaste « atelier du monde » 15, mais pas leseul. Par exemple, pour l’important secteur du textile, citons l’Inde, leVietnam, le Bangladesh, l’Égypte et l’Iran, où les conditions d’exploi-tation sont particulièrement dures (les salaires dans ce secteur sontparmi les plus bas au monde : environ 0,86 $/heure en Chine, 0,51 enInde, 0,44 en Indonésie, 0,38 au Vietnam, 0,22 au Bangladesh – quandils sont versés) et où l’expression de la lutte des classes est vive, parti-culièrement vive : grèves massives, émeutes, destructions de machi-nes, voire de leurs boîtes. Au Bangladesh, depuis 2006, ce sont plusieurs centaines d’usines qui ontété attaquées et souvent détruites. Le 10 mai 2009, les patrons d’uneusine de pulls à Narayanganj (cité portuaire et centre industriel tex-tile) sont malmenés par un groupe d’ouvriers réclamant plusieursmois de salaires impayés. Le lendemain, les ouvriers trouvent l’usinecadenassée. Ils décident alors de se rendre en cortège devant les au-tres usines de la ville : des milliers de travailleurs quittent leurs pos-tes pour les rejoindre. Des heurts se produisent avec les agents de sécurité. 20 000 travailleurs se mettent à saccager et à incendier desdizaines d’usines. Les deux principales autoroutes du pays sont blo-quées par les grévistes. Dans la soirée, les ouvriers d’autres Zones éco-nomiques spéciales du Bangladesh déclenchent à leur tour des émeu-tes, provoquant de nouveaux affrontements avec l’armée… mutine-ries et antitravail 16 radical qu’on préfèrerait voir exportés, plutôt quedes tee-shirts.

8. Elle permet de surcroît de maintenir unepression permanente sur l’ensemble destravailleurs et de renforcer leur division.9. Tout comme au XIXe siècle en France, oùBretons et Auvergnats ont constitué le pro-létariat nécessaire à l’industrialisation de larégion parisienne ou, en Italie au XXe siè-cle, les paysans du Sud qui ont permis ledéveloppement industriel du Nord.10. Et que « la frontière » est un système decontrôle géographiquement diffus, plusque la limite physique d’un territoire.11. Quand on est enfermé douze heures parjour, sept jours par semaine, dans uneusine, il n’est pas très étonnant qu’on aitparfois envie de prendre l’air... Il sembled’ailleurs que les occupations d’entreprisessoient assez rares. Quant aux nombreusesboîtes fermées et abandonnées par leurspatrons, les ouvriers chinois (tout commeleurs collègues français) ne paraissent pasrêver de les remettre en route en succom-bant aux sirènes de la contre-révolutionautogestionnaire.12. En Chine, la police nationale comprendenviron 1 500 000 hommes auxquels s’ajou-tent 700 000 militaires de la « police ar-mée » (qui comprend notamment les unitésanti-émeutes). En France, 150 000 policiers(dont 15 000 CRS) et 100 000 gendarmesprotégent la république de l’ennemi inté-rieur.13. La Fédération nationale des syndicatschinois (FNSC, que l’on trouve égalementsous le sigle ACFTU : All China federation oftrade unions) est l’unique syndicat, imposépar l’État ; à juste titre assimilé au PCC, ladéfiance des travailleurs à son égard estbien grande.14. C’est la fonction des syndicats (les « par-tenaires sociaux »), partout dans le monde,que d’œuvrer pour le maintien de la paixsociale, contre le prolétariat révolté.15. La Chine (1 300 millions d’habitants),qui produit 10 % des biens manufacturésdans le monde, est certes devenu en 2009 lepremier exportateur mondial en dépassantlégèrement l’Allemagne (82 millions d’ha-bitants)… mais reste encore derrièrel’Union européenne (500 millions d’habi-tants).16. Le terme « antitravail », forgé dans lesannées 1970, désigne les pratiques de résis-tance au travail et/ou à son intensificationpar des actes variés individuels ou collectifs(sabotage, freinage, absentéisme, turn-over,perruque, etc.).

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Par le jeu de la lutte des classes, l’atelier du monde se déplace et se ré-organise continuellement. Panasonic, par exemple, transfère au-jourd’hui ses usines de Beijing vers le Guangdong pour baisser sescoûts. En 2008, c’était Adidas qui se plaignait des salaires trop élevésen Chine (parions que la résistance des prolos n’y est pas étrangère)et annonçait la possible délocalisation de ses usines vers l’Inde, leLaos, le Cambodge, le Vietnam, l’ex-URSS ou l’Europe de l’Est. La relo-calisation incessante des lieux de production s’accompagne inévita-blement d’un redéploiement géographique permanent de la combati-vité ouvrière.

*Le capital, ayant toujours besoin d’augmenter ses profits, doit être enpermanence à l’offensive. L’intensification des résistances en Chine etailleurs conforte sa tendance à renforcer l’exploitation en Occident(réformes des retraites, allongement du temps de travail, flexibilité,etc.) où est aussi produite la plus-value. Car, bien qu’on nous parlesans cesse en France (par exemple) de fermetures et de délocalisa-tions d’usines, les ouvriers sont encore plus de six millions dansl’Hexagone (presque autant que dans les années soixante ; un quart dela population active) 17. Et les salariés français détiennent le recordmondial de productivité... Les rapports entre travailleurs asiatiques et occidentaux sont plusétroits qu’on pourrait le croire : le faible coût des produits que lespremiers fabriquent, et que les seconds consomment de manièrecroissante, permet en Occident de tirer les salaires vers le bas (de diminuer le coût de la reproduction de la force de travail : l’achat de chaussettes fabriquées en Chine est possible pour un smicard etmême pour un chômeur).Or, si les luttes des ouvriers chinois entraînent une hausse de leurs sa-laires, le prix des biens qu’ils produisent augmenteront également.Alors, le problème du « pouvoir d’achat » (en fait des salaires 18) risquede se poser encore plus sévèrement en Occident (la Chine étant le pre-mier exportateur mondial de téléphones portables, de cartes mères,d’appareils photo, d’aspirine, de vêtements pour bébés, de chaussu-res, de jouets, de briquets, etc.). On peut imaginer que cela s’accompagnera à terme, en réponse,d’une combativité croissante, les prolos occidentaux (avec ou sanstravail) ayant de moins en moins « à perdre ». On le constate d’ores etdéjà : bien que patrons et gouvernants brandissent la « menace » chi-noise (concurrence, délocalisations) pour faire pression (blocage dessalaires, conditions et temps de travail), les travailleurs occidentauxne sont pas, eux non plus, aussi soumis qu’on voudrait nous le fairecroire 19. En France, l’État reconnaît d’ailleurs que depuis plusieursannées la « conflictualité du travail » est devenue plus intense et quele nombre de grèves est en hausse 20. Les divers outils de pacification(syndicats, accès à la culture, consommation, etc.) devenant demoins en moins opérants, on peut s’attendre à ce que la répressions’intensifie encore 21.

*L’harmonie sociale n’existe pas plus en France qu’en Chine ou ailleurs,la guerre sociale est internationale et tout laisse à penser qu’elle n’estpas près de s’apaiser. Au contraire. D’ailleurs, qu’on le veuille ou non,nous sommes tous pris dans cet antagonisme quotidien et, quels quesoient nos moyens et nos perspectives, plus ou moins activement,nous y prenons part.Et c’est nous qui gagnerons à la fin.

17. En Occident, un enjeu, et une consé-quence, de la restructuration du capital aété « l’invisibilisation » de la classe ouvrière.Elle a accompagné l’acharnement à défaireles derniers liens de solidarité ouvrière lorsdes grands affrontements des années 1980 :Thatcher, Reagan, Mitterrand, l’entrée de laCEE en Espagne, etc., contre les mineurs, lesdockers, les métallos, etc.18. Le salaire ne représente pas le paiementdu travail effectué mais correspond au coûtde la reproduction de la force de travail dusalarié : de quoi lui permettre de se loger, demanger, de s’habiller, et de revenir bosserle lendemain matin ; il comprend aussi l’en-tretien du « reste » de la famille et doncl’élevage des futurs prolétaires. 19. Le niveau de rage et de résistanceconstaté début 2009 rien que dans le sec-teur automobile en Europe (Continental,Rencast, Visteon en Angleterre, etc.) peuten être un révélateur. Rappelons que lacrise de 2008 chamboule particulièrementce secteur clé (pour l’économie et l’organi-sation sociale du monde) en Europe ; leséquipementiers sont les premières entre-prises à morfler. Voir aussi l’évolution del’antagonisme en Grèce depuis quelquesannées, notamment depuis 2008.20. Notamment les grèves de courte durée…mais surtout dans les boîtes ayant mis enplace une organisation du travail à fluxtendu où les répercussions de telles grèvessont plus importantes ! [relire la note 1 p. 4]21. La répression (« criminalisation-du-mouvement-social » incluse) est tout sauf un« état d’exception ». La guerre sociale, com-me la révolution, n’est pas un dîner de gala.

Nombre d’incidents de masse1993 : 8 7001994 : 12 0001998 : 25 0001999 : 32 0002002 : 50 0002003 : 58 0002004 : 74 0002005 : 87 0002006 : 90 0002007 : 116 0002008 : 120 0001er trim. 2009 : 58 000

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Depuis une quinzaine d’années, lesstatistiques officielles du gouverne-ment chinois révèlent une augmenta-tion des « incidents de masse » : grè-ves, rassemblements, manifs, sit-in,séquestrations de dirigeants, occupa-tions, attaques de bâtiments, émeuteset affrontements avec les keufs, lyn-chages de cadres et patrons… (listenon exhaustive car la définition estfloue et peut changer d’une provinceà l’autre).Toujours aux dires des offi-ciels, ces conflits croissent en nom-bre, en « intensité » et en « violence »,et les formes qu’ils prennent sont deplus en plus variées. Le nombre departicipants à ces « incidents » seraitégalement en progression (730 000en 1994, 3 760 000 en 2004). On peutsupposer que les prolos chinois n’ontpas (plus) grand-chose à perdre (à dé-fendre) et que, du coup, les « débor-dements » surgissent rapidement. Lesexperts gouvernementaux l’expli-quent par l’absence de structures derégulation et de médiation. Mais poureux, ces événements ont beau être enaugmentation et perturber « l’harmo-nie de la société chinoise », ces luttessporadiques et isolées ne menacentpas la stabilité de l’État et du capitalen Chine. Qu’ils se fourrent le doigtdans l’œil, jusqu’au coude !

Ces experts désignent comme princi-pales causes de conflits : le travail, lesexpropriations urbaines ou rurales et

la pollution. En effet, les révoltes con-cernent majoritairement des luttesd’ouvriers (salaires impayés, horaires,licenciements, rachats et restructura-tions, accidents du travail…) ; des lut-tes liées à des restructurations urbai-nes ou rurales (gentrification, cons-truction de lieux de loisirs pour les riches, ou de nouvelles usines) ; des mobilisations suite à des empoisonne-ments collectifs, ou pour empêcher laconstruction d’usines polluantes ; desprotestations massives et spontanéescontre la répression (les affronte-ments contre la police sont monnaiecourante partout dans le monde, onse demande bien pourquoi).

Vous trouverez au fil des pages decette brochure un recueil d’incidentsde masse qui donnera un aperçuconcret (mais non exhaustif) de lalutte des classes en Chine de 2008 àdébut 2010 [date, lieu (province)]. Ou-tre des révoltes collectives qui témoi-gnent de la combativité et du climat detension générale figurent égalementquelques pétages de plomb indivi-duels, qui montrent à quel point lapression est grande, à tous les niveaux.

Certaines brèves sont imprécisesparce qu’il est encore plus difficile detrouver des infos sur les luttes dansune dictature que dans une démocra-tie. Infos vues, de toute façon, par lefiltre de la censure et de la presse

(bourgeoise ou militante). Par exem-ple, n’ont transparu que peu de don-nées sur les conflits liés aux Jeuxolympiques : la restructuration urbai-ne à Beijing a entraîné beaucoup d’ex-pulsions et de chantiers, donc un fortbesoin de main-d’œuvre, des mingongpour la plupart, sous pression pour fi-nir les travaux dans les temps, etc. Lesgrandes vagues d’émeutes qui ont se-coué le Tibet et le Xinjiang (Ouï-ghours) n’apparaissent pas ici, parcequ’elles relèvent d’autres problémati-ques : nationalismes et luttes contrel’occupation d’un territoire (même sion peut supposer que des conflits declasses sont sous-jacents, la questionmériterait d’être creusée).

brèves générales

2008

7-11 janvier, Foshan(Guangdong) : grève de3 000 ouvriers de la so-ciété de bijouterie en

métaux précieux Haoxin pour le paiementde deux ans d’arriérés d’heures supplé-mentaires et le versement de cotisations.2 000 ouvriers se rassemblent à la mairieet affrontent la police.

12 janvier, Shanghai : manifestation de2 000 personnes devant la municipalitépour protester contre la constructiond’une ligne de train à lévitation magné-tique. Ils craignent pour leur santé et lebruit lié au trafic et redoutent une dévalo-risation de leurs propriétés immobilières.

17 janvier, Shenzhen (Guangdong) :grève et révolte des 2 000 travailleurs del’usine de conteneurs de Machong de lamultinationale danoise des transports ma-ritimes Maersk. Poussé par la brièveté dela pause cantine, un des ouvriers voulantpasser prioritairement dans la queue a ététabassé par un des sbires de l’usine. Latension préexistait dans l’usine avec l’ac-célération des cadences et le non-paie-ment des heures supplémentaires.

21 janvier : 200 anciens employés de laBanque industrielle et commerciale deChine et de la Banque chinoise de cons-truction manifestent devant le siège de laFédération des syndicats pour exiger leurréembauche par les deux firmes (une cen-

taine d’arrestations). Les salariés affirmentque s’ils ont quitté leur banque, c’estaprès tromperies et pressions diverses ; ilsdemandent l’annulation de la décision quia mis fin à leur contrat.

18 février, Dongtou (Zhejiang) : sit-ind’une centaine de paysans devant la mairiepour l’indemnisation de leurs champs ré-quisitionnés et détruits par les autoritéslocales. Ces terres ont été vendues auprix fort à des promoteurs immobiliers.

7 mars, district de Kai (Sichuan) : dansle dernier district à évacuer dans la zonedu barrage des Trois-Gorges, 4 000 per-sonnes s’opposent à leur expropriationfaute de règlement des différends sur lesconditions de leur relogement et sur les

Sources :China Labour Bulletin : <www.clb.org.hk>,Des nouvelles du front : <http://dndf.org>,Dans le monde une classe en lutte (bulletin tri-mestriel) : <www.mondialisme.org/spip.php?rubrique4>, Anthropologie du présent (site d’un universitaire consacréaux émeutes dans le monde) :<http://berthoalain.wordpress.com>,Bulletin mensuel Les Droits de l’homme en Chine de la LDH, et si ! : <www.ldh-france.org/-groupe-chine->, Brèves du désordre : <http://cettesemaine.free.fr/spip/>, Libertarian communism :<http://libcom.org> (site d’infos et immense bibliothèque in english),presse bourgeoise (dont la presse économique), glanage sur internet…

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unité ?D’une part, l’unité du prolétariat n’est pasune condition préalable nécessaire à une

avancée victorieuse du prolétariat, même sur un plan pure-ment revendicatif. Le prolétariat est toujours, nécessaire-ment, fractionné. Il l’est parce que le capital l’est (en pays, ensecteurs, en entreprises) et parce que les patrons s’attachentà le diviser. Il l’est enfin parce que les travailleurs sont enconcurrence sur le marché du travail. Vouloir surmonter cesdivisions par une construction politique ou syndicale préala-ble, c’est en dernière analyse viser une révolution politique,où la pseudo unité de la classe n’existe que dans une unitéréelle d’un pouvoir qui la domine, que ce soit celui desconseils ouvriers ou celui du parti. L’appel traditionnel àl’unité s’inscrit dans une vision politique de la révolution, oùtous les prolétaires doivent faire masse face à l’État qu’il fau-drait conquérir ou abattre, selon les versions, face aux pa-trons qu’il faut déposséder de leurs moyens de production.Cette unité-là, c’est celle de la massification. Elle correspondaux besoins des politiques et procède de la massification dutravailleur collectif dans les usines et les quartiers. La révolu-tion dont parle cette unité, c’est l’affirmation des travailleursen tant que travailleurs pour la généralisation du travail et ladictature du prolétariat. Cette idéologie appartient au passédu mouvement ouvrier. La Chine ne fera pas exception.Aujourd’hui, l’unité réelle de la classe dans la lutte ne se véri-fie pas dans sa massification (formation d’une masse de ma-nœuvre pour les politiques ?). Elle se vérifie lorsque, dans lacrise, le prolétariat se trouve largement confronté à son ab-sence de réserve, ce statut commun, cette vraie communautédu prolétariat, peu visible dans la prospérité, qui l’unifie defait malgré la diversité des situations particulières et créeraune langue et une pratique communes, celles de la communi-sation de la société. L’unité se fera dans la lutte. Des divisionssociologiques actuelles, qui semblent profondes et détermi-nantes, seront dépassées naturellement si la lutte prend del’ampleur.

Bruno Astarian, Luttes de classes dans la Chine des réformes (1978-2009), p. 97

indemnisations correspondantes. Les au-torités locales leur coupent l’eau et l’élec-tricité. Jusqu’à présent, les migrations for-cées liées au projet ont concerné 1,8 mil-lion de personnes.

20 mars, Jinma (Sichuan) : 200 poli-ciers entrent dans le village pour en ex-pulser les habitants. Plusieurs maisonssont démolies. Les terres des villageoisavaient été réquisitionnées pour cons-truire des habitations de luxe.

31 mars : pour appuyer des revendica-tions de salaire, les pilotes de la China Eas-tern Yunan Airlines font demi-tour après ledécollage et reviennent au sol en prétex-tant les mauvaises conditions météorolo-

giques. Deux semaines plus tôt, quarantepilotes de la Shanghai Airlines s’étaient missimultanément en arrêt maladie.

9 avril, Haikou (Hainan) : manifesta-tion de 10 000 villageois contre des ré-quisitions foncières destinées à laconstruction de trente-six terrains degolf, à l’occasion de la visite du chef del’État Hu Jintao dans l’île. La police encer-cle les villages, frappe et arrête des mani-festants (800 blessés). Huit voitures depolice partent en fumée.

28 juin, Weng’an (Guizhou) : 30 000personnes assiègent et incendient des bâ-timents administratifs (160 bureaux dé-truits), attaquent la police et détruisent

une quarantaine de véhicules pour protes-ter contre les premières conclusionsd’une enquête sur le viol et la mort d’uneadolescente. La police affirme que la jeunefille s’est suicidée alors qu’elle a été violéeet assassinée par le fils d’un notable local.Cent cinquante personnes sont blessées ;le 14 novembre, six personnes accuséesd’avoir participé à l’émeute sont condam-nées à des peines allant de deux à seizeans de prison.

17 juillet, Huizhou (Guangdong) : plusd’une centaine de personnes attaquent uncommissariat, un bâtiment des autoritéslocales et plusieurs commerces de proxi-mité après la mort d’un motocycliste lorsd’un contrôle routier.

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les neuf vies d’une ouvrière chinoise

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Introduction

Le récit de Mademoiselle Zhang publié le 8 mars 2006 par leChina Labour Bulletin1 (<www.clb.org.hk/public/main>puis rubrique «Feature article») est intéressant en ce qu’ildécrit bien les conditions de vie et de travail des millions detravailleurs migrants déracinés qui n’ont aucun droit. Or ilsconstituent une section importante du prolétariat chinoisactuel, source de ce «miracle chinois» dont les médias fontl’apologie sans discernement depuis quelques années. Aprèsla mise en place des réformes lancées par Deng Xiaoping audébut des années 1980, la situation du prolétariat chinois achangé de façon dramatique et rapide. Les ouvriers étaientauparavant employés à vie par leur usine, qui constituaitpour eux non seulement un lieu de travail mais le centre deleur vie: le logement, les soins, l’éducation des enfants, lesloisirs – tout dépendait de l’entreprise d’État où ils travail-laient. Les réformes ont mis fin à cette sécurité. Les entrepri-ses publiques sont devenues des entreprises commercialesordinaires, avec les mêmes règles de gestion économique queles autres, et notamment le droit de licencier. Ce qu’elles ontfait de façon massive, envoyant au chômage (souvent non in-demnisé) et à la retraite anticipée (souvent non payée) desdizaines de millions de travailleurs.Les travailleurs migrants, dont Mademoiselle Zhang faitpartie, constituent une section bien distincte du prolétariatchinois. Ils sont appelés ainsi parce qu’ils sont, en quelquesorte, des sans-papiers de l’intérieur. En effet, le systèmemaoïste du permis de résidence (hukou) n’a pas été abolilorsque la libéralisation du marché a entraîné un exode ru-ral massif au cours des années 1980 et encore aujourd’hui.Ces paysans, chassés de la campagne par la misère et par leslimites de l’«industrie rurale» qui était censée les absorber,

arrivent dans les villes de la côte Est sans avoir vraiment ledroit de s’y trouver, ce qui permet aux capitalistes occiden-taux et à leurs sous-traitants chinois de les exploiter dansun système «dortoir-usine» qui est décrit de façon très vi-vante par Mademoiselle Zhang.Dans ce système, les travailleurs ne restent pas en ville s’ilsn’ont pas de travail. Leur logement est strictement lié à leuremploi. Ils dépendent encore de leur région d’origine, où setrouvent leurs familles et leurs enfants, leurs écoles et tou-tes les bases de leur reproduction. Quand ils ne travaillentpas, les autorités ne les prennent pas en charge, ou si peu.Pour l’instant, les capitalistes disposent d’une réserve de mi-grants si importante qu’ils ne se soucient absolument pas destabiliser cette main-d’œuvre à long terme. Au contraire, lesystème «dortoir-usine» est fait pour organiser leur exploi-tation maximale pendant une période relativement brève etleur rotation rapide. Si le capitaliste investit pour un dortoirdans la cour de son usine, ce n’est pas pour fixer la main-d’œuvre qui y loge, mais simplement pour que celle-ci, tantqu’elle est là, soit disponible vingt-quatre heures sur vingt-quatre, ou en tout cas dix-huit si l’on en croit le témoignagede Mademoiselle Zhang.Ce n’est pas par hasard que la description de l’exploitationdes travailleurs migrants fait penser aux premiers âges ducapitalisme européen. Les formes féroces de l’exploitationsubie par les travailleurs migrants (misère absolue, absencede couverture sociale, autoritarisme sans pitié des patrons,et surtout longueur des journées de travail) ressemblent eneffet à cette époque du capitalisme occidental où l’accumu-lation du capital reposait principalement sur la plus-valueabsolue, celle que le capital obtient en allongeant la journéede travail. Et de fait, en Chine comme dans tous les pays oùles délocalisations du capitalisme occidental recherchentdes bas salaires, le niveau de vie des travailleurs est si basqu’une hausse de la productivité appliquée à la production

19 juillet, district de Pu’er (Yunnan) :manifestation qui vire à l’affrontement en-tre des villageois producteurs de caout-chouc et la police (deux morts, 61 blessés,neuf véhicules officiels détruits). Il y auraità l’origine un conflit entre les ouvriers etles sociétés qui les emploient. La directionlocale du PCC avait soutenu les patrons (àla surprise de tous, isn’t it ?) et traité lesouvriers de « gangsters », ce qui avait dé-clenché la colère des manifestants.

22 août, Shenzhen (Guangdong) :grève de 5 000 travailleurs d’une usine deportables contre un accroissement deshoraires de travail sans augmentation desalaire.

22 août, Hubei : grève de 600 mineurs

dans une mine de charbon privée contredes réductions de salaire.

3-4 septembre, Jishou (Hunan) :50 000 « investisseurs » affrontent la policeaprès l’arrêt des versements d’intérêtspromis aux porteurs de fonds de la so-ciété immobilière Fuda. Ils bloquent untrain et interrompent le trafic pendantdeux jours, une fois rejetée leur démarcheauprès de la préfecture (50 blessés, 20 ar-restations).

4 septembre, Ningbo (Zhejiang) : ma-nifestation de milliers de mingong del’usine textile Jinxu suite au décès d’unouvrier. Certains d’entre eux attaquentl’usine et affrontent la police (20 blessés,10 arrestations).

5 septembre, district de Shenqiu(Henan) : plusieurs milliers d’élèvesd’une école secondaire assiègent des bâti-ments administratifs, dont le siège duPCC, tentent de l’incendier et affrontentla police. Ils protestent contre la destruc-tion de leur terrain de jeux par une so-ciété immobilière.

18 septembre, Chengdu (Sichuan) :500 étudiants du conservatoire de musi-que affrontent la police car certains deleur profs ont été frappés dans l’après-midi par des fonctionnaires municipaux(cinq blessés).

18 septembre, Lishui (Zhejiang) :10 000 victimes d’une levée illégale defonds manifestent devant les bâtiments de

1. Fondé en 1994 par le dissident Han Dongfang, le China Labour Bulletinest aujourd’hui une ONG basée à Hong Kong qui défend les droits destravailleurs et les droits de l’homme en Chine.

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de leurs subsistances (mécanisme de la plus-value relative)ne dégagerait que bien peu de surtravail supplémentaire.Les capitalistes ne peuvent donc augmenter leur profitqu’en allongeant et en densifiant la journée de travail.

Une logique mondialeMais au-delà de cette similitude avec les premiers temps ducapitalisme européen, l’exploitation des travailleurs chinoiset autres s’inscrit dans le mécanisme de production de laplus-value relative à l’échelle mondiale. Car, pour unegrande part, les marchandises qu’ils produisent à bas coûtviennent ensuite faire partie des subsistances des prolétai-res occidentaux, dont les salaires peuvent alors être bloquésou réduits, dégageant une plus-value supplémentaire pourle capital dans son ensemble.C’est là la grande différence avec les origines du capitalismeoccidental : l’essor du capitalisme chinois s’inscrit dès le dé-part dans une logique mondiale où les capitalistes chinoisn’ont pas grand-chose à dire : leur marché intérieur est trèslimité, et ils dépendent de leurs collègues occidentaux pourles investissements et pour les débouchés. De fait, les délo-calisations occidentales en Chine et le développement dessous-traitants chinois à leur service s’inscrivent dans unmécanisme de lutte contre la baisse de rentabilité du capi-tal mondial qui détermine en très grande partie les aléas del’accumulation de capital en Chine. À la différence de leursancêtres européens, les capitalistes chinois ne font pas l’his-toire, mais ils la subissent.Toutes ces questions devront être examinées de façon plusapprofondie, afin de mieux évaluer la part d’illusion et depropagande que les médias occidentaux mettent dans leurapologie sans fin du «miracle chinois». Il faudra en particu-lier mesurer l’importance des luttes des prolétaires chinois.Celles-ci sont permanentes, dans les trois sections du prolé-tariat (employés des actuelles ou ex-entreprises d’État, tra-vailleurs migrants travaillant pour le capital délocalisé et sessous-traitants, chômeurs originaires des deux catégoriesprécédentes). Car ces luttes font fatalement monter les salai-res, remettant en cause la place initiale du capital «chinois»dans la division internationale du travail. La lutte de classeen Chine s’inscrit directement dans la contradiction proléta-riat-capital au niveau mondial.

Mademoiselle Zhang (21 ans)raconte son histoire :

Origines de Mademoiselle Zhang

Je suis partie de chez moi à l’âge de quinze ans, endécembre 1998. Je voulais aider ma famille et monfrère, qui était en âge de fonder sa propre famille.Pourtant, j’avais de bonnes notes à l’école et je suissûre que j’aurais pu aller à l’université. [Apparem-ment, Mademoiselle Zhang est une victime de lapolitique officielle de l’enfant unique par famille etest née sans autorisation, peut-être même sansexistence légale. De plus, venant de la campagne,elle est peut-être illégale sans papiers dans son pro-pre pays, le livret de résidence permanent obliga-toire, hukou, lui interdisant de s’installer en ville où,de toute façon elle reste considérée comme une ci-toyenne de seconde zone, sans accès aux servicespublics des résidents de ces villes.]

1er emploi : fabrication de fleurs et d’arbres de Noël

Je suis arrivée à Guangzhou grâce à un recruteurprofessionnel, qui m’a pris 250 yuan [un peu plus de24 euros] plus 50 yuan [environ 5 euros] parce que jen’avais pas de carte d’identité, plus 50 yuan pour jene sais quel certificat nécessaire lorsque je com-mencerai à travailler. En fait, il ne m’a jamais pro-curé de carte d’identité. Cette usine fonctionnaitavec des capitaux étrangers. On travaillait sept jourspar semaine, avec trois jours de congé par an. On fai-sait des heures supplémentaires tous les joursjusqu’à 22 heures. Au début, j’ai travaillé à la fabri-cation des pieds des sapins. On les polissait avec unchiffon trempé dans du diluant, puis on les envoyaitau four. L’atelier était plein de fumée, on ne voyaitpas très loin. La direction nous donnait un masqueet une paire de gants par semaine, mais ils étaient

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l’administration locale et des sociétés im-mobilières concernées et affrontent la po-lice (vingt blessés). 100 000 personnesavaient depuis 2004 versé des fonds à plu-sieurs sociétés sur la promesse de fortsdividendes, en liaison avec le boom immo-bilier des Jeux olympiques. Mais les grou-pes Tongxin et Yintai ont cessé tout verse-ment à cause de l’accroissement du coûtde la construction.

Octobre-novembre, Sichuan etChongqing : grève partielle des ensei-gnants des écoles primaires et secondai-res de plusieurs districts en raison dugrand écart de salaires entre les ensei-gnants et les fonctionnaires.Tous sont syn-diqués mais le syndicat n’a pas le pouvoir

de faire quoi que ce soit. Certains ensei-gnants n’osent pas parler de grève ; ils ré-duisent alors leur temps d’enseignementet incitent les élèves à travailler seuls.[Cette lutte couvre tout le pays.Voir danscette brochure « La Chine dans la crisemondiale », p. 25.]

1er octobre, Jiaozuo (Henan) : grèvede cent ouvriers d’une usine de cimentpour le paiement de six mois d’arriérésde salaires.

1er octobre, Guangzhou (Guang-dong) : manifestation d’un millier de pay-sans devant un chantier de constructionde logements pour l’indemnisation desterres dont ils ont été expropriés (plu-sieurs demandes depuis 2003).

6 octobre, Jiaozuo (Henan) : grève de500 ouvriers d’une usine de constructionde grues et de 500 autres d’une unité tex-tile en raison de cinq mois de salaires im-payés. On ne sait pas si les actions étaientcoordonnées.

8 octobre, Shaoxing (Zhejiang) : grèvede 1 000 ouvriers d’une imprimerie pourle paiement d’arriérés de salaires et aprèsla fuite des dirigeants.

8 octobre, Sanjiang (Guangdong) : desmanifestants venus du village de Shenlu af-frontent plus de 400 policiers. Ils imputentà l’administration les désastres subis lorsdu passage du typhon Hagupit en septem-bre (destruction d’une digue fluviale).

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Les éléments ci-dessus indiquentnettement une grande importance[en Chine] de l’extraction de la plus-value sur le mode absolu : longueurde la journée de travail et baisse dutravail nécessaire par réduction ab-solue du salaire (et non par baissede la valeur des subsistances). La re-cherche d’un renforcement de l’ex-ploitation du prolétariat mondialsur le mode de la plus-value absolueest l’une des principales raisons quele capital occidental et japonais a dese délocaliser, depuis trente ou qua-rante ans, dans les pays à bas coûtde main-d’œuvre. Cela est encoreplus vrai depuis l’explosion du sec-teur de la logistique et de sa produc-tivité (années 1990).Le capital international est allé enChine pour la qualité particulière desa main-d’œuvre : abondance, disci-pline, horaires interminables, bassalaires et sous-consommation – cequ’il ne pouvait pas trouver dans sesbases métropolitaines. Le renforce-ment de l’extraction de la plus-va-lue sur le mode relatif y était bloquépar la difficulté à augmenter la pro-ductivité, tandis que l’injectiond’une dose de plus-value absolue yétait entravée par la résistance desOS et l’inertie du compromis for-diste. Certes, une fois que les délo-

calisations se sont généralisées, el-les ont agi en retour sur les condi-tions de l’exploitation dans les mé-tropoles, où certaines formes del’extraction de la plus-value absoluereviennent en force (longueur, maissurtout densité de la journée de tra-vail et pluri-activité).Les modalités actuelles de l’exploi-tation du prolétariat chinois (sur-tout les migrants) indiquent uneforte prédominance de la plus-valueabsolue. Le très faible niveau des sa-laires, la longueur de la journée detravail, l’arbitraire patronal desamendes, du non-paiement des sa-laires, etc. vont dans ce sens. Cartout cela implique une très faibleconsommation ouvrière. Or, defaçon générale, plus le panierdes subsistances est restreint,moins la plus-value relativepeut jouer. C’est pourquoi ilpeut être intéressant d’exa-miner la consommation ou-vrière en Chine.

« Les travailleurs migrantsen Chine », Échanges,

n° 123, hiver 2007-2008

Dans la journée de travail,le travailleur produit de lavaleur, dont une part corres-pond à son salaire ; c’est le tra-vail nécessaire. L’autre part est

le surtravail, dont la valeur est appe-lée plus-value. Le salaire correspondà la valeur des biens nécessaires à lareproduction de la force de travail.Plus il faut de temps pour produireces marchandises de la consomma-tion ouvrière, moins la part de laplus-value (le temps qu’il reste dansla journée pour produire pour lepatron) est grande. Il y a deuxfaçons d’augmenter la plus-value :en allongeant la journée de travail(la plus-value absolue), et en aug-mentant la productivité du travailqui produit le panier de subsistan-ces, ce qui équivaut à une baisse dutemps de travail nécessaire (plus-value relative). La combinaison deces deux formes de la plus-value estla base de la formule d’équilibre dela reproduction du capital.

Luttes de classes..., p.149

la question de la plus-value absolue

10 octobre, Yongfeng (Guangdong) :des villageois expropriés, squattant dansdes tentes devant les bureaux de l’admi-nistration locale depuis deux mois, affron-tent la police venue les déloger. Ils accu-sent la municipalité d’avoir empoché leproduit de la vente de leurs terres.

10 octobre,Wuzhou (Guangxi) : mani-festation de chauffeurs de taxi pour pro-tester contre les punitions infligées poursurcharge à deux de leurs collègues. Ilsbloquent le trafic et saccagent un local depolice (trois arrestations). [Les luttes deschauffeurs de taxis se sont progressive-ment répandues à travers tout le pays de-puis 2007. Voir « La Chine dans la crisemondiale », p. 25.]

13 octobre, Dongguan (Guangdong) :1 000 ouvriers d’une fabrique de jouetsbloquent l’autoroute pour le paiement detrois mois d’arriérés de salaires et après lafuite de leur patron taïwanais avec lacaisse. Une centaine de policiers anti-émeutes les dispersent (20 arrestations).

13 octobre, Zhaoqing (Guangdong) :4 000 villageois expropriés, qui tententd’empêcher la construction d’une usinede recyclage de plastique, affrontent unmillier de policiers. Ils protestent pourl’indemnisation de leurs terres et crai-gnent des pollutions industrielles graves.

19 octobre, Huoqiying (Hebei) : despaysans occupent un chantier de construc-tion de la ligne à grande vitesse Beijing-

Shanghai, contre les réquisitions de ter-rains engendrées par le projet et pour ob-tenir des indemnités. Une centaine d’hom-mes à la solde du bureau des chemins defer les attaquent.

20 octobre, Le’an (Sichuan) : un ou-vrier lésé par son entreprise fait irruptiondans les bâtiments municipaux avec unebombe de sa fabrication. Il tue quatre per-sonnes avant d’être abattu.

20 octobre : un millier de victimes d’unecompagnie de vente pyramidale manifes-tent devant le bureau national des plainteset affrontement avec 500 flics. Ils exigentdu gouvernement qu’il prenne des mesu-res leur permettant de recouvrer lessommes perdues.

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très vite hors d’usage. Je suis restée là trente jours etj’ai gagné un peu plus de 500 yuan. Je vivais dans ledortoir de l’usine. Plus tard, la direction a demandéun statisticien, ou compteur. J’ai passé le test et j’aieu l’emploi. Les conditions de travail étaient moinsterribles. Je suis restée dans cette usine pendantneuf mois. Comme statisticienne, je gagnais 1,80yuan de l’heure. J’ai changé de poste et ma rempla-çante n’a été payée que 1,70 yuan. Elle m’a pris engrippe, et comme elle était la maîtresse du chefd’unité, ils ont commencé à me pourrir la vie. J’ai dûpartir. Je suis rentrée chez moi. Je n’aurais jamaispensé qu’il y avait une injustice et que je pouvais meplaindre. Je n’en avais pas eu l’idée non plus quandje travaillais dans la fumée du premier atelier. Jepensais simplement que c’était ça le travail en usine.

2e emploi : fabrication de jouets dans une entreprise artisanale

Je suis repartie après avoir appris à coudre à la ma-chine industrielle. Je suis allée à Chenghai, dans laprovince du Guangdong. Comme il n’y avait pasd’emplois disponibles dans la confection, j’ai trouvédu travail dans une petite usine de jouets. L’entre-prise n’employait que quelques douzaines de sala-riés, et quelquefois même moins de dix personnes.On travaillait au premier étage de la maison, lesdortoirs (filles et garçons) étaient au deuxième et lepatron et sa famille vivaient au troisième. Nous la-vions nos habits à la rivière. Le travail consistait àplacer des vis à la main, de sorte que nous avionstoutes sortes de plaies. Je suis partie au bout dequelques jours.

3e emploi : fabrication d’objets artisanaux

Je suis arrivée là par l’intermédiaire de quelqu’unde mon village, en même temps que mon cousin etma cousine. C’était à Chenghai, et il y avait vingt à

trente personnes. L’usine occupait le rez-de-chaus-sée d’un bâtiment auquel avait été rajouté un étagepour les dortoirs. Même une personne de petitetaille comme moi ne pouvait s’y tenir debout; enété il y faisait une chaleur terrible (ni air condi-tionné ni ventilateur: impossible de dormir) ; on yaccédait par une échelle. Il n’y avait qu’un WC etqu’une douche pour tout le monde, et il fallait fairela queue après le travail, qui finissait à 23 h 30 tousles jours. La journée était de quatorze heures.On était payé à la pièce, mais je n’ai jamais compriscomment ils calculaient nos salaires, qui ne corres-pondaient jamais à ce que nous avions produit.Nous sommes restés un mois, puis nous avons dé-cidé que ça ne valait pas le coup. La paie était de400-500 yuan par mois, mais après déduction desfrais d’alimentation, il ne restait rien. Ma cousinetravaillait lentement: le patron l’a vidée. Nous som-mes partis tous les trois. Mais le patron avait noscartes d’identité et nos salaires. Nous avons dû allerau département du Travail pour nous plaindre. Lefonctionnaire nous a expliqué que c’était la prati-que locale: si on démissionnait après juste un mois,on ne touchait pas son salaire. Mais il nous a aidé àrécupérer nos cartes d’identité.

4e emploi : usine de jouets

C’était une autre entreprise privée de Chenghai. Il yavait cinquante salariés et les conditions étaient lé-gèrement meilleures que dans mes emplois précé-dents. On travaillait huit heures, quatre le matin etquatre l’après-midi. S’il y avait des commandes, ontravaillait encore quatre heures le soir. Jamais decongés, sauf s’il n’y avait aucune commande ou encas de coupures d’électricité. Je devais coller desétiquettes sur les jouets. Les salaires étaient déter-minés par la production et la vitesse de la chaîne.Certains arrivaient à se faire 1000 yuan par mois,

22 octobre, Haicheng (Liaoning) : unmillier de mingong bloquent la circulationet saccagent le commissariat en réponse àla mort d’un de leurs camarades travail-lant dans cette ville.

23 octobre, Lo Wu (Hong Kong) :manifestation des ouvriers d’une usine depièces pour les montres Rolex et Oméga,pour le paiement de deux mois d’arriérésde salaires suite à la fermeture du site.

23 octobre, Daduan (Jiangxi) : un af-frontement entre des villageois et la so-ciété de bois d’œuvre Liuhai épaulée parla police provoque deux morts et plus decent blessés. Suite à quoi, plusieurs mil-liers de paysans assiègent la boîte, incen-dient les bâtiments et des voitures de flics.

24 octobre, Shenzhen (Guangdong) :rassemblement pour le paiement d’arrié-rés de salaires de 500 ouvriers de la fabri-que d’appareils Shunyi (appartenant à desentrepreneurs taïwanais en fuite) qui vireà l’affrontement devant l’usine.

27 octobre, Wujiang (Jiangsu) : mani-festation et blocage des grandes voies decommunication par les ouvriers de l’usinetextile Chunyu pour le paiement de qua-tre mois d’arriérés de salaires et après lafuite de leur patron.

28 octobre, Xiamen (Fujian) : manifes-tation d’un millier de salariés d’une usinede jouets appartenant à un investisseur deHong Kong en fuite à l’étranger pour lepaiement d’arriérés de salaires.

28 octobre, district de Gaotai (Gan-su) : un millier de personnes attaquent lesiège de la police suite à la mort d’un gar-dien d’entrepôt d’explosifs lors de son ar-restation par les flics.

Novembre : des grèves de chauffeurs detaxi éclatent au sujet des rémunérations,des licences d’exercice de la profession etdes conditions de travail dans de nom-breuses localités : arrêt de travail de 8 000chauffeurs de taxi à Chongqing et de leurscollègues dans des agglomérations de laprovince du Gansu, du Hunan (Fenghuanget Hongjiang), du Hubei (Suizhou), à Sanya(Hainan), à Shantou, Chaozhou et Guangz-hou (Guangdong), à Dali Bai (Yunnan) et àYongfeng (Jiangxi).

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d’autres seulement 400-500 yuan. Les dortoirs aussiétaient mieux, et on pouvait y faire sa cuisine. Cetteusine était privée, et construite par le patron lui-même, c’est pourquoi ce dernier était plus compré-hensif et courtois. Si on devait rentrer chez soi, onpouvait, et si quelqu’un de la famille venait en vi-site, il pouvait dormir dans le dortoir.Je suis restée trois mois. J’avais appris à me servird’une machine à coudre, et je voulais toujours tra-vailler dans la confection. Je voulais aussi gagnerplus. Je suis partie avec quelqu’un de mon villagequi venait d’arriver pour chercher du travail.

5e emploi : une usine de vidéodisques

Nous sommes allés à Dongguan . Nous avons pris unminibus sans autorisation officielle, qui nous a de-mandé un prix fou pour nous laisser au milieu de

nulle part. Nous avons passé les premiers jours à lagare, puis à la gare routière. Plus tard, nous avonstrouvé ma cousine ; nous nous glissions dans sondortoir la nuit. Mais nous ne sommes pas restés, depeur de lui faire du tort. Nous sommes allés chezquelqu’un d’autre de mon village. C’était un bravetype, mais c’était un homme, et c’est pourquoi jepensais que ce n’était pas une bonne idée de rester,même s’il ne m’a rien fait. Un soir, je suis allée dansun cinéma qui est ouvert toute la nuit. Au matin, aumoment de payer mon petit déjeuner, je me suisrendu compte que j’avais perdu mon portefeuille.J’ai dû attendre mon cousin et lui demander depayer pour moi.Finalement, je ne suis pas allée dans une usine deconfection, mais dans une usine de VCD (video com-pact disc). Cette usine employait 200 personnes, la

1er novembre, Xi’an (Shaanxi) : mani-festation des ouvriers d’une usine dechaussures pour le paiement d’arriérés desalaires, suite à la fuite du patron taïwanais.Sous la pression, le gouvernement local lâche l’équivalent de un million de dollars.

3 novembre, Dongguan (Guang-dong) : manifestation de 10 000 ouvriersde l’usine de chaussures Weixu pour leversement de salaires impayés, suite à lafermeture du site qui met 4 000 ouvriersau chômage. La police charge la manif.

4 novembre, Jilin (Jilin) : plusieurs cen-taines d’ouvriers du BTP bloquent les ruespour le paiement d’arriérés de salaires.

6 novembre, Shangyu (Zhejiang) : des

ouvriers bloquent une autoroute et l’agglomération de Daxu après le licencie-ment de 1200 salariés par la société deteintures Runtu.

7 novembre, Shenzhen (Guangdong) :plus de 400 personnes s’en prennent à unposte de police suite à la mort d’un mo-tocycliste qui cherchait à échapper à uncontrôle. Les manifestants caillassent lapolice et incendient un véhicule (treize ar-restations).

8 novembre, Jiangyan (Jiangsu) : 2 000ouvriers de l’usine de moteurs diesel Yang-dong prennent leur directeur en otage etbloquent la circulation de l’agglomérationpour le paiement d’arriérés de salaires.

12 novembre, Shenzhen (Guang-dong) : manifestation de plusieurs centai-nes d’ouvriers pour le paiement d’arriérésde salaires et suite à leur licenciement. Ilscaillassent les flics venus les disperser.

17 novembre, Qingdao (Shandong) :grève des chauffeurs d’autobus suite aunon-renouvellement de leur contrat par lamunicipalité.

17 novembre, Longnan (Gansu) :10 000 paysans tentent de s’opposer àl’expropriation de terrains en vue de laconstruction d’un centre administratif. Ilsaffrontent la police, mettent à sac 110 sal-les dans les bâtiments administratifs (ycompris les sièges du PCC et du syndicat)et détruisent vingt-deux véhicules. Les

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affrontements durent plusieurs jours (74flics blessés, plus de cent arrestations).

25 novembre, Zhongtang (Guang-dong) : manifestation de centaines d’ou-vriers de l’usine de jouets Kaida contre lelicenciement, avec de trop faibles indemni-tés, de 300 mingong et le non-respect dunouveau code de travail. Les ouvriers re-joints par 500 chômeurs affrontent lesflics et les vigiles, détruisent plusieurs voi-tures, saccagent l’usine et les locaux de lapolice.

26 novembre, Ji’nan (Shandong) :manifestation de 4 000 enseignants detoute la province devant le siège du PCCcontre leur licenciement.

2 décembre, Longhui (Hunan) : grèvede 1 000 enseignants pour le paiementd’allocations supprimées par le gouverne-ment local. Au même moment, à Liaoning(Shaanxi), grève des enseignants pour ob-tenir le même salaire que les autres fonc-tionnaires locaux.

3 décembre, Zhuzhou (Hunan) : ras-semblement de 1 000 ouvriers du groupeTaizi devant la mairie pour le paiementd’arriérés de salaires.

8 décembre, Shanghai : protestantcontre des licenciements dans l’usined’électronique Yixin (filiale de la firmetaïwanaise Huanxin), trois ouvriers de-mandent à parler au chef d’entreprisemais sont tabassés par des nervis. Un

millier de mingong tentent alors de péné-trer de force dans l’usine et affrontentplus de 300 flics (dix blessés et une voi-ture de police endommagée). L’usine se-rait occupée.

13 décembre-8 janvier, Shantou(Guangdong) : des paysans du village deCaikeng, insatisfaits des indemnités d’ex-propriation, bloquent l’accès du chantierde l’aéroport de Chaoshan.

15 décembre, Jinan (Zhejiang) : affron-tements entre des paysans et des vigilesde l’entreprise Wanjia. Sur un chantier derénovation urbaine, l’entreprise a modifiéunilatéralement le projet initial et veut im-planter des commerces à la place des es-paces verts.

Les travailleurs migrants ne repré-sentent qu’une fraction du proléta-riat chinois, mais c’est celle qui est laplus impliquée dans l’insertion in-ternationale du capitalisme chinoiset probablement la plus exploitée.

Données généralesOn appelle travailleurs migrants lesprolétaires issus de l’exode rural. Leplus souvent, ces ruraux ne dispo-sent pas d’un permis de résidence(hukou) urbain. Malgré plusieurs dé-buts de réforme, souvent limités lo-calement, le système maoïste despermis de résidence reste essentiel-lement en vigueur. De façon géné-rale, les hukou ruraux représentent57 % de la population (selon deschiffres de 2005), contre 43 % pourles hukou urbains. Les tentatives delibéralisation du système du hukousont plus avancées dans les petitesvilles que dans les grandes, et dansces dernières sont le plus souvent li-mitées aux banlieues. Les condi-tions de base pour accorder un hu-kou urbain à un rural sont toujoursl’obligation d’avoir un emploi stableet un domicile fixe. La limite decette libéralisation est pour unebonne part celle du budget de l’aidesociale des villes, car le hukou ur-bain est assorti de droits, de même

que le hukou rural s’accompagned’un droit à louer une terre agricole(l’octroi d’un hukou urbain fait par-fois partie des compensations offer-tes aux paysans chassés de leurs ter-res par l’extension des villes).Dans leur grande masse, les travail-leurs migrants n’ont qu’un hukourural. Ils doivent donc être considé-rés comme des sans-papiers de l’in-térieur, et sont à ce titre exploita-bles comme les immigrés dans d’au-tres pays. On estime leur nombre à150-200 millions. Selon une étuderécente du Development ResearchCenter of the State Council, dont arendu compte l’agence Xinhua le 16juin 2007, il y aurait 120 millions demigrants dans les grandes villes, et80 millions dans les petites. Pourdonner un ordre de grandeur del’importance de cette masse, l’Orga-nisation internationale du travail aétabli des chiffres qui permettentde conclure qu’en 2002 il y avait entout 350 à 434 millions de prolétai-res (urbains et ruraux) en Chine,pour une population active totalede 754 millions.Contrairement à ce qu’on croit sou-vent, l’exode rural ne se dirige pasexclusivement vers la côte. Entre1985 et 2000, les zones rurales du

pays ont vu le départ (provisoire etdéfinitif) de 114 millions de gens. 54 millions sont allés dans les villesdes provinces intérieures, et 60 mil-lions vers les villes des provincescôtières. La répartition des mi-grants par grands secteurs est lasuivante : plus de la moitié vontdans le bâtiment et l’industrie, et lereste dans l’hôtellerie, la restaura-tion, les services. Seuls 20 % du totalvont dans les sweatshops (« ateliersde la sueur ») de la côte, ce qui re-présente quand même 25 à 30 mil-lions de travailleurs (pour compa-raison, la population active totalede la France est de 27 millions).Les chiffres suivants sont anciens,mais ce sont les seuls que j’ai trou-vés : en 1993, 22 % des migrants seretrouvaient dans l’industrie, 33 %dans le bâtiment, 10 % dans lestransports, 31 % dans le commerceet la restauration, et 4 % dans l’agri-culture. Autres chiffres : la popula-tion de la ville de Shenzhen, dans leGuangdong, limitrophe de HongKong, où a été créée une des pre-mières zones économiques spécia-les en 1979, est passée de 310 000 à4,3 millions d’habitants entre 1980et 2000. À cette date, seuls 30 % dela population étaient des résidentspermanents avec un hukou urbain.Il s’agissait de fonctionnaires, d’en-trepreneurs, de techniciens et detravailleurs qualifiés. Le reste étaitformé de migrants sans permis derésidence.

«Les travailleurs migrants en Chine », op. cit.

les travailleurs migrants en Chine

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plupart des femmes. La première impression étaitqu’elle était exceptionnellement propre. Je travail-lais à l’emballage. On était payé 2 yuan de l’heure, et2,50 yuan pour les heures supplémentaires. Il n’yavait pas d’heures supplémentaires les week-ends.J’ai mis un moment à comprendre ce qui n’allaitpas: je n’avais rien à faire de la journée. Je gagnaisseulement entre 200 et 300 yuan par mois, dont ilfallait déduire 90 yuan pour la nourriture. L’usineavait un plan de retraite, et prenait 10% pour cela.On pouvait récupérer cet argent au moment dequitter l’usine. Les hommes et les femmes avaientles mêmes salaires pour le même boulot.J’y suis restée cinq mois, puis je suis partie parceque je ne gagnais pas assez. J’ai dû renoncer à unmois de salaire quand je suis partie : les règles de lasociété étaient qu’il fallait travailler un an avant departir pour être pleinement payée. C’est dire qu’onavait une occasion par an pour démissionner.

6e emploi : usine de céramique

Dans cette usine d’objets en terre cuite, il y avait400 à 500 salariés, dont 60% de femmes. Le salaireminimum était de 480 yuan par mois. Durant lestrois premiers mois, la prime d’heures supplémen-taires est de 1 yuan de l’heure; après trois mois, onpeut avoir une augmentation, selon l’évaluation dela chef, qui favorise les femmes de la même régionqu’elle. Les travailleurs sont divisés en trois catégo-ries : A, pour qui l’augmentation est de 8 yuan, B de7,50 yuan et C de 7 yuan. J’ai reçu un B, ce qui étaittrès bien, parce que j’ai achevé plein de travail. Sion ne prend aucun jour de congé pendant le mois,on peut recevoir une prime de 100 yuan.L’usine fournissait gratuitement deux repas parjour. On avait aussi 2 yuan par jour pour le petit dé-jeuner. On travaillait sept jours par semaine. Dans le

meilleur des cas, on ne faisait pas d’heures supplé-mentaires le dimanche. En cas d’heures supplémen-taires, on travaillait de 18 h à 23 h 30. En principe,on commençait à 8 h, mais en fait on devait être austade à 7 h 30 pour faire des exercices et du jogging.La sécurité au travail était relativement bonne.Dans notre unité, on devait remplir d’argile desmoules en forme de fleurs, et le travail demandaitune certaine habileté. C’est pourquoi le gérant noustraitait bien et nous payait un peu plus. Dans d’au-tres unités, c’était moins bien, comme par exempleà la peinture des fleurs, qui ne demandait pas beau-coup d’habileté. Dans cette unité, il y avait des tourspour aller aux toilettes, où on ne pouvait pas resterplus de cinq minutes, même quand on avait ses rè-gles. Le long de la chaîne, il fallait s’asseoir conve-nablement, avec interdiction de croiser les jambes.Il n’y avait pas ces règles dans mon unité. Les ou-vriers étaient assez qualifiés, et ils partaient si lespatrons se montraient trop stricts. Or il fallait aumoins deux semaines pour former quelqu’un. Cependant, en cas de traitement injuste, il fallaitsourire et supporter. Personne ne va au bureau duTravail.

7e emploi : confection à Pékin

Après l’usine de céramique, je suis rentrée chez moiquelque temps. Puis je suis allée travailler dans uneusine de confection dans la grande banlieue de Pé-kin, la Jiushan Garment Factory. Le propriétaireétait de la province d’Anhui, et il y avait environcent personnes. On travaillait en équipe de neufheures, et les heures supplémentaires le soir étaienten option. On n’avait jamais un jour de congé.Le salaire était aux pièces, et les heures supplémen-taires n’étaient pas comptées comme telles. Lesconditions de travail étaient terribles, pire que dans

17 décembre, Chongqing : grève dedeux jours de 9 000 chauffeurs de taxisur les questions du prix des carburants,des salaires, de la retraite et de la cou-verture santé. La grève semble avoir étéorganisée avec des piquets de grève etdes attaques contre les jaunes. Des tractset des affiches distribués dans la villeproclament : « Debout. Unissons-nous etfaisons grève ensemble. » Les grévistesn’ayant pas désigné de représentants, lafirme en a imposé aux chauffeurs.

19 décembre, Dongguan (Guang-dong) : grève de 300 ouvriers de JianrongSuitcase Factory. Après trois jours de manifestations, les travailleurs sont enfer-més dans l’usine par la police ! La grève se

poursuit malgré la proposition du gouver-nement local de payer 60 % des salairesdûs suite à la faillite de la firme.

20 décembre, Langfang (Hebei) :grève de 400 ouvriers travaillant à laconstruction d’une nouvelle usine decomposants électroniques Foxconn (quiexploite 450 000 travailleurs chinois) pourle paiement d’arriérés de salaires. Ils par-courent 50 km pour manifester devant lesiège de la boîte à Beijing. Ils sont disper-sés par la police.

24 décembre, Jizhou (Guangdong) :affrontements entre des policiers et deshabitants (neuf arrestations). Des ouvrierschargés d’installer un équipement électri-

que ont pénétré de force dans Jizhou, ac-compagnés des autorités locales. Les villa-geois s’opposent au projet et contestentl’indemnité octroyée pour l’expropriationdes terres.

Fin décembre 2008 à février 2009,Guangzhou (Guangdong) : affronte-ments réguliers entre la police et des mil-liers de riverains qui s’opposent à laconstruction d’un transformateur électri-que dans le parc Junjing. Ils craignent lesnuisances sanitaires qu’engendrerait un telprojet. En février, ils bloquent l’entrée duchantier et sont attaqués par des hommesde mains de la boîte. Le 14, jour de laSaint-Valentin, ils sont un millier à atta-quer et saccager le chantier.

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toutes les usines de Dongguan. Il n’y avait qu’unedouche, que personne ne nettoyait jamais. Le dortoirétait dans un immeuble à un étage, avec six ou septpersonnes par chambre. À cette époque les salairesétaient en retard de trois mois. Je n’étais là que de-puis un mois, mais j’avais des tensions avec la contre-maître, qui ne voulait pas me laisser sortir pour don-ner un coup de téléphone chez moi. Elle voulait queje finisse d’abord tout mon travail. Je lui ai dit que, sielle n’était pas satisfaite de mon travail, elle n’avaitqu’à me donner un bon de sortie, et je m’en irais.Les autres travailleurs demandaient au patron qu’illes paie. Ils le lui avaient déjà demandé plusieursfois. Ils dirent alors que s’ils n’étaient pas payés, ilss’en iraient. Le patron a piqué une colère et déclaréqu’il ne paierait personne. Son assistante est venueensuite, plus polie. Elle a expliqué que le patronavait été kidnappé quelques jours plus tôt, et avaitdû donner tout ce qu’il avait. Si le personnel n’avaitpas d’argent pour les repas, l’usine pourrait les ai-der. On nous a donné 30 à 50 yuan. L’assistante a ditqu’il y avait une commande urgente pour des habitsen coton, et que si on arrivait à traiter cette com-mande en toute priorité, elle verrait ensuite si ellepourrait nous payer.Nous avons travaillé sur la commande pendantdeux jours, et ils ne nous payèrent toujours pas.Plus tard, le patron nous a écrit une note disantqu’il était en crise financière et qu’il nous paieraitplus tard, selon un échéancier déterminé.On a entendu des informations sur le patron, et ona fini par se dire que c’était vraiment sans espoir.On a essayé quand même, mais le directeur del’usine nous a dit que si on voulait partir, il fallait lefaire maintenant. Il savait que nous n’avions pas unsou pour cela, même pas de quoi prendre le buspour Pékin.En fin de compte, nous avons décidé de partir,même sans la paie, et que nous verrions que faire

quand nous serions à Pékin. Normalement, la di-rection ferme à clé la porte du terrain de l’usine. Siquelqu’un veut sortir pour donner un coup de télé-phone ou faire des courses, il doit demander unbon de sortie. Mais nous sommes partis ensembleet unis.Nous sommes partis un soir. À cette heure-là, il n’yavait qu’un gardien au portail. Un type qui travail-lait avec nous avait volé la clé. Quand le portail a étéouvert, le gardien n’a pas pu nous retenir et noussommes partis. À ce moment, nous étions très con-tents de nous, pensant avoir remporté une espècede victoire. En fait certains, qui avaient perdu qua-tre mois de salaires, me disaient que j’avais de lachance de n’en perdre qu’un.Nous ne sommes pas allés au bureau du Travail. Àcette époque, nous ne savions rien sur rien. Parexemple, il ne fallait pas me demander pourquoi onavait besoin d’un bon de sortie. Toutes les usines lefaisaient. Pour quitter l’usine, il faut une permis-sion. Les patrons ont peur des vols. Quand on dé-missionnait, il fallait même un bon de sortie pourses bagages, sinon on ne pouvait pas les emporter.On a mis tout notre argent ensemble pour s’acheterdes tickets de bus. À Pékin, j’ai trouvé ma cousine, etje lui ai emprunté de l’argent pour rentrer chez moi.

8e emploi : confection à Shenzhen

Je ne suis restée qu’une semaine chez moi, puis jesuis partie à Shenzhen pour travailler dans uneusine appelée Hongcheng Garment Factory, finan-cée par de l’argent de Taiwan. On y fabriquait deshabits pour enfants. Il y avait environ six cents per-sonnes, moitié à la chaîne, moitié en travail à lamain. J’ai versé un dépôt de 80 yuan, selon eux pourma carte de personnel, ma licence d’usine et autresdocuments. On m’a mis sur une machine à coudreindustrielle, et le travail était vraiment dur.

2009

7 janvier, Shandong :un millier de mingongoccupent et bloquent lecampus de l’université

des Finances dont ils construisent les dor-toirs. Ils protestent contre le non-paie-ment de leurs salaires. Les affrontementsavec la police font cinq blessés.

13 janvier, Wuhu (Anhui) : blocage dupont de Zhongjiang par 1000 ouvriers del’entreprise immobilière Jiancheng pourdes arriérés de salaires. Affrontement avec 500 policiers (10 blessés).

15 janvier, Humen (Guangdong) : lessalariés de la fabrique de vêtements Lusi

affrontent une cinquantaine de policiersescortés d’une trentaine de vigiles de laboîte. L’usine a fermé ses portes sans ver-ser de salaires.

15-17 janvier : des mingong demandantle paiement de leurs salaires bloquent lacirculation des villes de Hohhot (Mongolieintérieure), Wuhan (Hubei), Nanjing(Jiangsu), Chengdu (Sichuan), Haikou (Hai-nan), Xian (Shaanxi) et Nanning (Guangxi).Un mode d’action qui fait tâche d’huile, sibien que le gouvernement interdit auxmédias d’en parler.

4 février, Pingshan (Guangdong) : ma-nifestations pendant plusieurs jours de700 ouvriers d’une usine italienne de tra-vail du cuir. Ils demandent le paiement

d’arriérés de salaires après la fermeturede leur boîte en janvier.

14 février, Tongxiang (Zhejiang) :affrontements entre plusieurs centainesde mingong et la police, suite au passage àtabac d’un ouvrier par des flics (six voitu-res de poulets rôties ou endommagées,cent blessés, une vingtaine d’arrestations).

18-19 février, Baolin (Sichuan) :affrontements entre 2 000 paysans et1000 flics, blocages de routes et siègedes locaux de la police. Les villageois pro-testent contre le détournement des sub-sides liés au tremblement de terre duprintemps 2008, mais leur colère éclatesuite à la mort de l’un d’eux dans uncommissariat.

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En ce qui concerne l’évolution dessalaires, on observe qu’au cours dela période 1994-2004, en termesréels, le revenu des travailleurs mi-grants ne leur a permis que de semaintenir au plus bas niveau de vie.Cependant, on observe aussi qu’enraison d’une pénurie de main-d’œu-vre apparue dans la région à partirde la fin 2003, les choses sont peut-être en train de changer. Elles lefont cependant lentement car la loide l’offre et de la demande (ici, detravail) est contrecarrée par le com-portement illégal des patrons, quicherchent à limiter la mobilité dutravail de plusieurs façons. Face à laforte résistance qu’opposent les pa-trons aux demandes d’augmenta-tions de salaires ou d’améliorationsdes conditions de vie et de travail,les travailleurs réagissent en effetpar la recherche d’un autre travaildans une autre usine. Mais les pa-trons contre-attaquent :– en ne payant les salaires qu’avecun retard considérable. Tout travail-leur qui veut vraiment démission-ner doit admettre de perdre les sa-laires en retard. À Shanghaï, les1 000 travailleurs d’une filature sud-coréenne ont séquestré sept cadresexpatriés pour obtenir le paiementdes arriérés. Ce serait la premièrefois que les travailleurs s’attaquentà des cadres étrangers ;– en retenant forfaitairement quin-ze jours de salaire si le travailleurdémissionne en cours de mois, lors-que les salaires sont à jour.Même la pratique courante de logerles travailleurs dans l’enceinte del’usine est un frein efficace à la mo-bilité : si le travailleur démissionneen espérant toucher plus tard sesarriérés de salaire, encore faut-ilqu’il puisse se loger dans la région.La cherté des loyers l’en dissuaderapidement.Le CLB déplore ce comportement il-légal des patrons et appelle de sesvœux un libre jeu des lois du mar-ché selon le droit écrit 1.

Mais le niveau des salaires aug-mente malgré tout, car les « forcesdu marché » s’imposent envers etcontre tout. Les travailleurs onttrouvé des façons de quitter l’entre-prise avec leur salaire :– en se faisant vider pour mauvaistravail ou mauvais comportement(les ouvriers allemands de la pé-riode nationale-socialiste ne firentpas autre chose lorsque le gouver-nement chercha à bloquer leur mo-bilité 2) ;– en achetant par des cadeaux leblanc-seing de leur contremaître(c’est à ce niveau qu’est donnée lavéritable autorisation de démis-sionner).D’après des statistiques publiées parLe Quotidien du Peuple du 15 juin2007, les salaires mensuels des mi-grants ont évolué comme suit :

Yuan/mois variation2003 7812004 803 + 2,8 %2005 855 + 6,5 %2006 953 + 11,5 %

Les chiffres montrent une nette ac-célération de la hausse en fin de pé-riode 3. Dans le même contexte, unenouvelle façon de faire travaillerplus les migrants est apparue ré-cemment dans la région de Guangz-hou. Sur la base des pénuries demain-d’œuvre apparues dans la ré-gion, certains travailleurs ont réin-venté l’intérim. Ce sont des travail-leurs qui connaissent déjà bien letravail à la chaîne, qui peuvent tra-vailler sur tous les postes et ont unebonne qualification. Au lieu de gar-der un emploi permanent dans uneentreprise, ils louent leurs servicessur une base temporaire quandl’entreprise connaît une situationd’urgence.Par exemple, dans une usine deconfection, le salaire normal pourun travail de repassage est de 30-45yuan par jour avec nourriture etdortoir. Le salaire des travailleurs

employés en cas d’urgence varie en-tre 80 et 120 yuan pour le même em-ploi. De plus, le salaire est versé cha-que jour, ce qui limite les impayés.Ce système s’est bientôt vu institu-tionnalisé sous la forme d’équipestoutes constituées qui viennentdans les usines au moment descoups de bourre. Elles sont dirigéespar un chef d’équipe, qui est habi-tuellement un travailleur plus âgé,qui connaît bien le métier et a denombreux contacts dans les usinesd’une région. Les enquêteurs 4 ci-tent le cas d’un chef d’équipe quidispose de cent travailleurs à qui ilgarantit 15 jours de travail par mois.Il prend 10 % de leur salaire.Malgré le surcoût, les patrons sontintéressés par ces travailleurs parcequ’ils permettent d’éviter les fraisliés aux retards de livraison, etparce qu’ils assurent un travail plusintensif et de meilleure qualité quele personnel permanent. Autrementdit parce qu’ils travaillent encoreplus tant qu’ils sont dans l’usine, àun niveau d’exploitation que les pa-trons ne peuvent pas obtenir despermanents. Mais ces mêmes pa-trons déclarent aux enquêteurs quele salaire de ces travailleurs est tropélevé, et qu’ils ne peuvent les em-ployer qu’exceptionnellement.

1. Avec la nouvelle loi sur le contrat de tra-vail, entré en vigueur le 1er janvier 2008, leChina Labour Bulletin va pouvoir continuer àrêver... Cette loi comporte beaucoup d’avan-cées pour les travailleurs, mais on sait quetout dépend des textes d’application... et dubon vouloir des patrons. La majorité desmigrants n’ont pas de contrat de travail, cequi est illégal depuis longtemps. Fin 2007, lesautorités de Dongguan ont rédigé un contrattype qui tient prétendument compte de lanouvelle loi. À y regarder de près, ce contratest en infraction sur de nombreux points, fai-sant disparaître comme par hasard des clau-ses qui protègent les travailleurs. Voir <www.ihlo.org/LRC/WC/071207.html>2. Voir « L’opposition des travailleurs dansl’Allemagne nazie », in Tim Mason, La Classeouvrière sous le IIIe Reich, Échanges et mouve-ment, 2005.3. La source qui cite le conflit chez Alco men-tionné plus haut indique toutefois un salairede 690 yuan par mois (avant déductions) ennovembre 2007.4. Jian Yang et Chenyan Liu, « New trend forfactory hiring in PRD », CSR Asia, vol. 3, n° 41.

«Les travailleurs migrants en Chine», op. cit.

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la question des salaires

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On faisait des heures supplémentaires tous les jours,on n’était pas libres avant 23h, et parfois on travail-lait jusqu’à 2 ou 3 heures du matin. Et le lendemain,il fallait commencer comme tous les jours, à 7h30.À midi, on avait une pause d’une demi-heure pourmanger et se reposer, mais on ne prenait pas de re-pos. On retournait au travail dès qu’on avait mangé.Le meilleur jour était le dimanche, où on ne travail-lait que jusqu’à 21h30. Nous étions vraiment épui-sés, au point que certains s’évanouissaient. D’autresétaient si fatigués que leur doigt était piqué par l’ai-guille ; ils étaient ensuite incapables de dire pour-quoi leurs mains étaient si proches de l’aiguille. Enfait, c’est parce qu’ils dormaient à moitié.Il y avait toujours une réunion le matin. Un jour,une femme s’est évanouie en plein milieu. Nous nesommes pas parvenu à la faire revenir à elle. Finale-ment son mari, qui travaillait là, l’a emmenée chezelle pour un jour de repos. Mais pas plus: ils ne luiont pas accordé plus de temps pour se reposer.On travaillait à la pièce, et il n’y avait pas de primepour les heures supplémentaires. Le salaire mini-mum était de 800 yuan par mois, et pouvait allerjusqu’à 2000 yuan. Mais il fut ensuite décrété que lesalaire maximum serait de 1800 yuan, parce que leschefs de section étaient à 2000 yuan. Le salaire étaitbon, mais le système des amendes était très strict.On pointait, et on perdait 1 yuan par minute de re-tard. S’il y avait des retours de marchandises pourmauvaise qualité, on avait une amende, si on répon-dait à un chef, amende, si le sol était sale, amende.Il y avait une femme nettement plus âgée que lesautres. Un jour, le chef de section lui a demandé derefaire quelque chose, et elle a refusé. En fait, on nepouvait pas dire qu’il y avait un défaut dans son tra-vail, mais quand le chef de section dit quelquechose, il vaut mieux obéir. Elle eut donc une

amende, mais elle a encore refusé et s’est disputéeavec le chef de section, qui lui a mis une deuxièmeamende! Ce mois-là, elle avait 600 yuan d’amendes,mais elle a encore fait environ 100 yuan.La nourriture était bonne dans cette usine : unesoupe et trois plats midi et soir, et le riz était trèsbon. Dans l’après-midi, on avait des fruits, et le soirtard il y avait un autre repas après les heures sup-plémentaires, et encore un autre si on travaillaitdans la nuit jusqu’à 3 heures. C’est très rare dans lesautres usines. Il y avait toutes sortes de choses pourle petit déjeuner, mais la plupart des gens n’en pre-nait pas : ils étaient trop fatigués et restaient au lit.On était à vingt par chambre, et il n’y avait pas as-sez de douches et de toilettes.Il n’y avait pas de contrat de travail. Une fois par an,on pouvait avoir un congé de vingt jours, trentejours maximum. Mais la plupart des gens avaient dela peine à avoir une journée libre. Si on ne venaitpas travailler, on avait une amende de 50 à 100 yuan.La fête nationale ou la fête du travail n’étaient paschômées. Dans le meilleur des cas, on était dispenséd’heures supplémentaires pour la fête de la mi-automne. Il n’y avait pas de syndicat, et nousn’avions jamais entendu parler de lois de protectiondu travail ni reçu aucune formation là-dessus.Je suis partie au bout de deux mois. J’étais tropépuisée. Mon quota était trop élevé. Parfois je tra-vaillais dans la nuit jusqu’à 3 heures sans arriver àle finir. Selon les règles de cette usine, on ne pou-vait pas démissionner avant trois mois. On n’a doncpas voulu me laisser partir. Je suis allée voir la chefde section, et elle a donné son accord. Mais quandje suis allée voir le chef de division, il a refusé.J’ai dû écrire une lettre au directeur général adjointvenu de Taiwan. À cette époque, ma famille avaitarrangé mon mariage, alors que je n’en voulais pas.Mais j’ai pris ce prétexte pour quitter mon boulot.

25 février, Beijing : des travailleurs li-cenciés occupent l’usine Panasonic Elec-tronic Devices pendant six heures et y sé-questrent trois des dirigeants.

1er mars, Daqing (Heilongjiang) etLiaoyang (Liaoning) : manifestations dedizaines de milliers d’ouvriers contre lasuppression de leur allocation pour lechauffage et de leur sécurité sociale aprèslicenciement. Plutôt que de réprimer im-médiatement le mouvement, le gouverne-ment lui laisse prendre de l’ampleur :émergent des meneurs qui sont alors ar-rêtés. Les manifestations pour exiger leurlibération durent jusqu’en juin.

3 mars, Beijing : un millier de pétition-naires détruisent une voiture de la police

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Dans la lettre, je disais que ma famille avait déjàreçu 2000 yuan de cadeaux pour la fiancée, que jen’étais pas d’accord et que je voulais rentrer pourarrêter tout. Lorsque j’aurais annulé tous les enga-gements, je reviendrais travailler parce qu’il me fal-lait gagner 2000 yuan pour dédommager l’autre fa-mille. Le directeur général adjoint m’a dit de venirdans son bureau. Il m’a dit de revenir à la fin dumois, et que là il serait d’accord. Je n’avais pas trèsconfiance, et je lui ai demandé de signer au basd’une lettre que j’avais écrite. Mais ensuite sessubordonnés n’étaient toujours pas d’accord, etj’étais bloquée. Au début, je faisais du bon boulotsur les habits que je travaillais, mais ensuite je mesuis moins fatiguée, et ils n’ont plus voulu me gar-der. Finalement, ils ont approuvé ma demande.Notre groupe fabriquait une sorte de parc pourbébé qui se vendait très bien. Les autres usines nesemblaient pas capables de produire ce parc, etdans notre usine, seule notre division pouvait lefaire. Nous étions les mieux payés de l’usine, et c’estaussi pourquoi il était difficile de quitter cet emploi.

Mais c’était vraiment épuisant. Ilsavaient du mal à trouver des travail-leurs. Beaucoup de gens partaient.Quelqu’un avait écrit sur le mur destoilettes : «Les filles ne devraient pas tra-vailler dans cette usine.» L’usine étaitimpitoyable. En 2003, pendant la crisedu SRAS, un type avait une grosse fiè-vre et il est allé à la clinique pouravoir un certificat d’un docteur. Maisl’usine refusa de lui donner un congémaladie, et l’empêcha aussi de venirtravailler. Finalement, le type estparti de lui-même.

9e emploi : une autre usine deconfection à Shenzhen

J’ai tout de suite pris un autre emploi dans le districtde Longgang de Shenzhen, à la New Horse GarmentFactory. Cette usine fabriquait des habits pour desmodélistes connus. J’y ai travaillé pendant un an.J’étais inspectrice des fils, c’est-à-dire que je devaisvérifier qu’il ne sortait aucun fil du vêtement. Les horaires habituels étaient en équipes de huitheures, avec deux heures supplémentaires les lundi,mercredi et vendredi. En cas d’heures supplémen-taires le week-end, on recevait double paie. On étaitpayé à l’heure, et mon salaire était de 2,77 yuan. Lessalaires étaient payés avec un mois de retard. Le sa-laire minimum était de 700 yuan par mois. On avaitune prime de 7 yuan quand on faisait l’équipe dusoir. Après trois mois de travail, on vous passait ausalaire aux pièces. L’usine fournissait aussi une assu-rance médicale et une autre pour les accidents dutravail. Cela coûtait 60 à 70 yuan par mois.Dans les dortoirs, on était à huit ou dix par cham-bre, mais il y avait un balcon à chaque chambre. Ladirection faisait souvent des exercices incendie. Il y

du Jiangsu venue les observer près de lagare du Sud de la capitale. Une pétition-naire avait été frappée par les policiers.

4 mars, Beijing : blocages de rues par1000 habitants de la zone résidentielleXinkang, pour protester contre l’installa-tion d’une ligne à haute tension dont ilsredoutent des effets magnétiques nocifs.

4 mars, Jiangnan (Sichuan) : manifesta-tion et blocages de routes par 2 000 min-gong contre des détournements de fondsdestinés à assister les personnes dépla-cées par le chantier du barrage des Trois-Gorges. Ils affrontent un millier de poli-ciers et renversent leurs véhicules (unetrentaine de blessés).

5 mars, Anyang (Henan) : blocages deroutes par près d’un millier d’ouvrierssidérurgistes opposés au plan de restruc-turation de leur entreprise (Linzhou Ironand Steel Co). Leurs revendicationsconcernent le paiement des arriérés desalaires, l’assurance maladie et les retrai-tes ainsi que l’indemnisation des salariéslicenciés. Ils se mettent en grève à la fin dumois de mars. Le conflit semble durerencore longtemps, puisqu’à partir du mer-credi 12 août, ils manifestent devantl’usine pendant quatre jours pour protes-ter contre la privatisation de leur entre-prise, les licenciements massifs qui endécoulent et des indemnités ridicules. Ilsséquestrent un de leurs dirigeants.

11 mars, Zhaoqing (Guangdong) : unmillier de villageois envahissent le siège duPCC et affrontent des centaines de poli-ciers. Ils protestent contre les faibles in-demnités accordées pour leur relogementen raison de la construction de la voie fer-rée Guyyang-Guangzhou (30 blessés etune centaine d’arrestations).

14 mars, Yulin (Shaanxi) : affronte-ments entre 200 ouvriers d’un champ pé-trolifère et 50 policiers suite à l’interpella-tion de trois ouvriers lors d’une rixe (qua-rante-six blessés dont vingt flics et troisde leurs véhicules détruits).

29 mars-4 avril, Baoding (Hebei) :grève de 6 000 ouvriers de l’usine textile

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avait une salle de récréation, où on pouvait jouer auballon ou regarder des films. Au bout de trois mois,j’ai changé de poste: j’ai travaillé dans la section despulvérisations. La pulvérisation est faite pour amé-liorer la qualité du tissu. Les autres n’étaient pascontentes, mais j’avais étudié la confection et je tra-vaillais dur – les autres femmes ne pouvaient pasdire grand-chose.La division travaillait en équipe de nuit et sur labase du salaire aux pièces. Puis le tarif fut réduit de40%. À l’origine, le salaire était d’environ 1700yuan, mais il est tombé à 1000 yuan.Plus tard j’ai été transférée au département du re-passage. À cette époque, il y avait trop de comman-des et pas assez de machines. C’est pourquoi ils ontloué une machine fabriquée en Chine. Elle n’étaitpas très sûre. Elle tombait tout le temps en panne.Mais j’avais été assignée à cette machine et je nepouvais rien y faire. La machine avait un écran desurveillance, mais un écrou ne tenait pas et l’écrantombait souvent. L’électricien l’a examinée, puis aaffirmé qu’on pouvait encore s’en servir, mais avecprudence. Je n’en ai pas tenu vraiment compte parla suite. Quand le contremaître a découvert le pro-blème, il m’a dit que si l’écran tombait encore unefois, on ne l’utiliserait plus.Le 25 mars 2004, je travaillais de nuit et l’écran esttombé plusieurs fois. J’ai donc cessé de l’utiliser.Dans la nuit, vers 3 heures, l’accident a eu lieu. Mamain a été happée par le rouleau de fer. Quelqu’un,pensant que la machine s’était enrayée, coupa lecourant. Mais ma main était encore dedans, et je nepouvais la retirer. Personne ne savait que faire, maisils appelèrent l’électricien. Ce dernier dormait, et ilmit six minutes à venir. Quand il libéra la pressionde la machine, je pus retirer ma main. La sécurité

appela pour demander une voiture de l’usine pourm’emmener à l’hôpital, mais il n’y avait pas dechauffeur. Il fallut une demi-heure pour obtenir untaxi, et j’allai à l’hôpital toute seule. Personne nem’a accompagnée.Je suis restée à l’hôpital vingt et un jours. On m’agreffé de la peau sur la main. J’ai dû demander plu-sieurs fois à l’usine qu’ils m’envoient l’argent dutraitement. L’usine n’a envoyé personne pour merendre visite ou rester avec moi au moment del’opération. J’ai demandé ensuite plusieurs foisqu’ils envoient un travailleur de l’usine pour resteravec moi quelques jours. Ils ont finalement accepté.L’usine n’avait donné que 100 yuan pour la nourri-ture. De peur de manquer d’argent, nous ne man-gions pas les repas de l’hôpital. Ma cousine m’ap-portait à manger tous les jours. Je n’étais pas encorecomplètement guérie, mais l’usine a cessé de payerles factures de l’hôpital, qui a arrêté les piqûres. En-suite l’hôpital a dit que j’étais guérie et que jen’avais plus besoin de piqûres. S’ils ne s’étaient pasarrêtés au milieu du traitement, j’aurais été guérieplus vite et mieux.Dix jours après ma sortie de l’hôpital, l’usine a com-mencé à faire pression pour que je revienne travail-ler. Le contremaître m’a convoquée dans son bu-reau et m’a demandé comment je faisais pour man-ger et m’habiller. Pensant qu’il s’enquérait de masanté, je lui ai répondu que j’arrivais à faire ça touteseule, sans l’aide de personne. Il m’a rétorquéqu’alors je pouvais bien venir travailler aussi.Cela m’a mise en colère. Le docteur avait suggéréqu’on me fasse une seconde greffe de peau. J’avaispeur que ma main reste déformée et handicapée, etje n’avais vraiment pas le moral. J’avais envie desauter par la fenêtre. Quand j’étais à l’hôpital,

Yimian (cédée en 2004 à un groupe deHong Kong) pour protester contre la pri-vatisation, les réductions et les impayés desalaires. Plus d’un millier d’entre eux en-treprennent une marche de 140 km versBeijing mais la police les stoppe au boutde 40 km.

7 avril, Huainan (Anhui) : 5 000 paysansoriginaires de sept villages envahissent leslocaux d’une société minière et molestentles cadres. Les autorités locales avaient au-torisé l’entreprise Gubei à creuser sousleurs villages, ce qui avait provoqué affais-sements de terrain, pertes de surface cul-tivable et dégradations d’immeubles. Lesvillageois affrontent ensuite 1000 flics puis

s’en prennent aux dirigeants locaux venuspour rétablir le calme.

13 avril, Shenzhen (Guangdong) : unmillier d’habitants assiègent un commissa-riat et affrontent la police (une dizaine deblessés). L’origine du conflit se trouve dansla mauvaise qualité des habitations à bascoût construites par les autorités locales.L’arrestation la veille de deux habitants quiprotestaient devant les dirigeants locaux adéclenché la manifestation.

14 avril, Fuling (Sichuan) : grève pourle paiement de trois mois d’arriérés de sa-laires de 4 à 5 000 ouvriers de la sociétéd’État Jindi (textile) qui vient de reprendrele groupe privé déclaré en faillite. 400 ou-vriers bloquent les rues de la ville.

14 avril, Yueyang (Hunan) : grève etmanifestation de chauffeurs de taxis pourune réduction des charges qu’ils doiventaux employeurs. Des bagarres éclatententre grévistes et jaunes (10 arrestations).

15 avril,Wuhan (Hubei) : une vingtained’enseignants qui se réunissent pour dis-cuter de leur licenciement sont arrêtéspar la police, la réunion projetée ayant étédéclarée illégale.

21 avril, Huizhou (Guangdong) : blo-cage de l’entrée de l’usine de piles GP par30 ouvriers. Les cas d’empoisonnementau cadmium se sont multipliés (en pre-mier lieu chez les enfants), et l’entrepriserefuse d’accorder des compensations.

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quelqu’un était venu d’un centre d’assistance auxtravailleurs de Shenzhen pour m’interroger surmon accident du travail. J’ai trouvé leur adresse etje suis allée les voir pendant ma convalescence. Ilsm’ont un peu aidée, mais c’était limité.Plus tard, j’ai eu ma seconde greffe. Je suis alléeseule à l’hôpital. Je ne savais pas, à cette époque,que l’assurance pour les accidents du travail in-cluait les frais de transport et de nourriture. Pourfaire des économies, j’ai pris un bus public au tra-jet interminable. L’opération a bien marché. J’ai ré-cupéré presque complètement le fonctionnementde ma main. Mais quand il fait mauvais, la peaugreffée craque facilement. L’usine ne m’a toujourspas payé mes salaires et l’argent de l’assurancequ’ils me doivent.

Situation actuelle de Mlle Zhang

Je travaille maintenant dans un centre d’assistanceaux travailleurs. Avec toute mon expérience du tra-vail, je crois que ce dont les travailleuses ont le plusbesoin, c’est : premièrement, de connaître la loi ;deuxièmement, quand elles connaissent un peu leslois, de défendre leurs droits ; troisièmement,quand elles défendent leurs droits, elles peuventfaire des progrès, et alors seulement elles peuventaméliorer leur condition. La première étape est dif-ficile. La plupart de ceux qui ont ce genre d’emploi

n’ont aucune connaissance de la loi et n’ont jamaispensé qu’ils ont des droits et n’ont jamais cherchéà les connaître. Ils pensent que partir dans lemonde du travail c’est comme ça, et c’est tout.Quand je me trouvais au chômage entre mes neufemplois, je vivais de fait dans la rue. Nous savionsque la gare ne nous rejetterait pas, qu’on pourrait yfermer un peu les yeux et se reposer. Quand on dé-missionne, il faut quitter l’usine. Avant de rentrer àla maison, nous allions dans des cinémas perma-nents où nous passions la nuit pour attendre l’aubeet les premiers bus.Le bureau du Travail n’a rien fait pour nous aider ounous protéger. Il ne pense qu’à se débarrasser detout travailleur qui vient dans ses bureaux. Sesfonctionnaires ne sont pas bien payés, et moins ilsen font mieux ils se portent. Si on ne les bousculepas, ils refusent de considérer votre cas. Et puisbien sûr, il y a les relations avec les patrons des usi-nes, qui les invitent à dîner, etc.Il y a des problèmes avec les lois actuelles. Prenezl’exemple des congés de maternité. Le règlement ditque la femme a droit à un congé prénatal de quinzejours. C’est très mauvais pour la santé des femmesqui viennent des autres parties de la Chine pour tra-vailler dans le Sud. Supposez qu’elles prennent unbus quinze jours avant la date prévue pour l’accou-chement. Qu’est-ce qu’elles font si quelque chose ar-

rive en chemin? Quand l’enfant a un mois,elles doivent revenir au travail, et ce n’estpas bon pour l’enfant. Un autre problèmerépandu est celui des règles douloureuses.Mais pour le moment, pas une usine, mêmecelles où les conditions de travail sont bon-nes, ne trouve le moyen de donner une at-tention spéciale à ces femmes.

Échanges, n°120, printemps 2007

« Effrontée et révoltée, Zhang, ouvrière chi-noise de 26 ans, a eu assez d’audace pour semettre à nu afin de revendiquer ses droits.An-cienne employée d’une usine située dans laprovince du Liaoning (Nord-Est), elle a mani-festé pendant trois heures devant l’entrée deson ancienne entreprise en petite culotte, afinde réclamer les 800 € d’arriérés de salairedus par son ancien employeur. »

[extrait de Marie-Claire... qui s’intéresse auxouvrières chinoises quand elles sont à poil]

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794 000, c’est le nombre officiel de travailleurs chi-nois expatriés en 2008, nombre croissant depuisplusieurs années et probablement plus proche dumillion 1. Effectuant des missions de plusieurs moisou années à l’étranger avant de rentrer en Chine, ilsne doivent donc pas être confondus avec les mi-grants (avec ou sans papiers) ni avec les membresde la diaspora chinoise 2. Ces expatriés 3, qui travaillent principalement dansles secteurs du BTP, du textile et de la pêche, sonten fait de deux types :- des ouvriers effectuant des missions temporaireset contractuelles pour le compte de grandes entre-prises chinoises dans le cadre de chantiers interna-tionaux de travaux publics, d’infrastructures rou-tières, ferroviaires et pétrolières, auxquels s’ajoutedu personnel d’encadrement pour des usines rache-tées ou construites dans d’autres pays 4 ;- des ouvriers fournis par des agences de recrute-ment chinoises à des entreprises de pays deman-deurs de main-d’œuvre dans le cadre d’accords bi-latéraux (surtout au Proche et Moyen-Orient et enAsie du Sud-Est) 5.Le principal intérêt de l’emploi d’expatriés réside,pour les entreprises, dans les salaires qui leurs sontversés, bien inférieurs à ceux de la main-d’œuvrelocale… mais pourtant supérieurs à ceux versés enChine, ce qui explique que les volontaires ne man-quent pas (une ouvrière chinoise dans une usine detextile en Roumanie gagne huit fois plus qu’enChine mais deux fois moins qu’une ouvrière rou-maine) 6. Leur soumission aux règles locales de tra-vail peut en outre être beaucoup plus « souple »(cela varie selon les accords bilatéraux).

Les employeurs chinois, qui rencontrent parfoisdes « difficultés » avec la main-d’œuvre locale (mé-tallos zambiens s’en prenant à l’encadrement chi-nois et voulant incendier leurs baraquements, ou-vriers algériens voulant créer des sections syndica-les, etc.), préfèrent exploiter leurs compatriotesplus habitués à leurs méthodes d’encadrement etpouvant être renvoyés en Chine en cas d’indisci-pline ou de grève.

L’avantage salarial (qui entraîne des coûts infé-rieurs de 20 à 30 % à ceux de leurs concurrents) et lapossibilité d’importer rapidement des centainesvoire des milliers d’ouvriers, permet aux entrepri-ses chinoises de s’emparer de nombreux marchés

l’exportation de prolétaires chinois

1. Ils étaient 540 000 en 2004, 635 000 en 2006.2. La diaspora chinoise se compose de populations ayant des ancêtreschinois mais résidant dans d’autres pays que la Chine et possédant géné-ralement la nationalité de leur pays « d’accueil ». Elle trouve notammentson origine au XIXe siècle lorsque les occidentaux manquaient de main-d’œuvre pour leurs colonies (plantations et mines) ou pour de vasteschantiers (construction de voies ferrées aux États-Unis après l’abolitionde l’esclavage). Elle serait forte aujourd’hui selon les estimations de 35 à100 millions de membres (dont 80 % en Asie du Sud-Est). 3. Des dizaines de millions de travailleurs s’expatrient ainsi à travers lemonde (beaucoup en provenance du Bangladesh ou des Philippines). 4. En octobre 2009, la société chinoise Nile Textile Group s’établit enÉgypte dans la zone franche de Port-Saïd, exploitant 600 travailleursdont 20 % de Chinois importés ; 950 firmes chinoises seraient présentesdans les zones franches de ce pays.5. En 1997 un accord est par exemple signé avec Israël où environ40 000 Chinois travaillent aujourd’hui surtout dans le BTP.6. Pour être exploités de la sorte, les travailleurs doivent payer de trèsfortes commissions à ces agences d’intérim.

2008

Juin, île Maurice : grève de 300 ouvrierschinois de Super Construction Ltd pour lepaiement d’arriérés de salaires. En octo-bre, les ouvriers empêchent l’expulsion parla police de quatre des leurs considéréscomme des « meneurs » ; ils campent de-

vant l’ambassade de Chine pour obtenir le remboursementdes sommes qu’ils ont dû verser pour obtenir ce travail.

25 mars, Mongomo (Guinée équatoriale) : grève pourles salaires des ouvriers chinois sur un chantier deconstruction géré par la compagnie Jianyu Overseas Deve-lopment Limited (filiale du groupe Wheihai). Des militairesdépêchés en nombre font des incursions jusque dans lesdortoirs pour les obliger à reprendre le travail. Devant larésistance des travailleurs, ils ouvrent le feu (deux morts,quatre blessés, cent arrestations). Les jours suivants, plus de300 ouvriers sont renvoyés en Chine.

16 octobre, Khemis Miliana (Algérie) : grève de 50 ou-vriers chinois travaillant à la construction d’une autoroute.Ils entament une marche en direction d’Alger pour protes-ter contre leurs conditions de travail et d’hébergement.

2009

21 septembre,Tel-Aviv (Israël) : grève de trois ouvrierschinois qui se barricadent une dizaine d’heures dans une ca-bine au sommet d’une grue pour le paiement de leurs salai-res. Ils obtiennent la promesse qu’un millier de dollars dusleur sera versée avant leur retour en Chine.

2010

27 février, Zallaq (Bahreïn) : 150 ouvriers chinois deChina State Construction Engineering Corp., en grève sau-vage depuis la veille, séquestrent neuf cadres et contremaî-tres.Après 6 heures de négociations avec un diplomate chi-nois et le ministre de l’Intérieur de Bahreïn, la police lancel’assaut (deux ouvriers, un cadre et un flic blessés, 26 ou-vriers chinois arrêtés). Les grévistes protestaient contre lesconditions de travail et de salaire, et demandaient le rapa-triement en Chine des cadres séquestrés.

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dans le BTP ou l’extraction de matières premières,notamment en Afrique 7. Elles assurent aujourd’huila plupart des grands chantiers de construction pu-blics ou privés (logements, barrages, routes, etc.) eton commence même à parler de « Chinafrique ». EnAlgérie, elles profiteraient également de la crise duBTP qui a touché le pays dans les années 90, détruitbeaucoup d’entreprises locales et entraîné une pé-nurie de main-d’œuvre qualifiée 8.En Europe, les entreprises chinoises (avec des tra-vailleurs chinois) ont tenté de pénétrer le marchéitalien sans succès, mais font leurs premiers pasdans les nouveaux pays de l’UE (Pologne, Rouma-nie, Bulgarie) 9 et surtout aux marges de l’UE(Ukraine, Macédoine, Serbie). En Roumanie et enPologne, une sorte de jeu de chaises musicales faitque les travailleurs locaux émigrent vers l’Ouest eu-ropéen ce qui entraîne un manque de main-d’œu-vre et un recours à des travailleurs asiatiques (Viet-namiens, Philippins ou Chinois) 10.

Cette mise en concurrence des travailleurs accen-tue leurs divisions et provoque parfois des tensionset l’apparition d’un racisme antichinois (commepar exemple en Algérie où seraient présents 20 à50 000 travailleurs chinois). C’est la figure del’étranger, de l’immigré, qui émerge encore une foisen évacuant les références sociales (la notion declasse) pour le plus grand profit du capital.

Afin d’assurer le développement de cette très profi-table exportation de prolétaires, et pour préserverl’abondance des volontaires, le gouvernement chi-nois a été obligé en 2009 de prendre des mesurespour assurer un minimum de « protection » aux ex-patriés (contre les agressions, fraudes, litiges éco-nomiques, etc.) 11. Car cette main-d’œuvre n’est pasaussi docile et corvéable qu’on pourrait le croire, etles salaires n’effacent pas l’exploitation forcenéequ’elle subit (très dures conditions de travail etd’hébergement, non-paiement des salaires fré-quent, etc.) : conflits, grèves et émeutes émaillentnombre de ces missions aux quatre coins dumonde : Algérie, Roumanie, Île Maurice, Arabiesaoudite, Israël, etc.

7. S’y ajoutent les offres de prêts chinois (des milliards à des tauximbattables) et les pots-de-vin (dont les occidentaux ne peuvent plususer aussi ouvertement). 8. Ces entreprises auraient commencé à s’implanter dans les années1990 alors que les occidentaux désertaient la région par crainte de lamontée de l’islamisme.9. Plusieurs articles sur les travailleurs asiatiques en Roumanie dansÉchanges, n° 126, automne 2008.10. Les travailleurs chinois expatriés auraient généré des revenus de7,24 milliards de dollars de janvier à novembre 2008 (en augmentationde 24,2 %).11. En 2009, à Bucarest et Varsovie, des ouvriers chinois en fin decontrat sont abandonnés sur place par leurs patrons qui ne voulaientpas leur payer de billet de retour… se transformant du coup en « sans-papiers ».

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Introduction : quelle crise en Chine ?

Selon la plupart des sources, la crise mondiale nes’est traduite en Chine que par un ralentissement dela croissance, et non pas par une récession propre-ment dite. Il y a cependant de nombreux expertspour dire que les chiffres de croissance publiés parle gouvernement ne tiennent pas la route. Poureux, l’économie chinoise aurait bien connu une vé-ritable récession fin 2008-début 2009. Ces expertss’appuient sur le fait que les statistiques chinoisesmentent mal. Elles annoncent par exemple unecroissance du PIB de 7,9 % au 2e trimestre 2009,alors que les exportations ont reculé de 22 % et sur-tout que la consommation d’électricité a baissé de2,3 % (depuis des années, la consommation chinoised’énergie augmente de 7 à 9 % par an). On pourraitmultiplier les exemples. Les chiffres du PIB sontgonflés parce que les sources provinciales qui lesfournissent ont intérêt à ce qu’ils le soient et que legouvernement central n’a pas les moyens de collec-ter les données de façon indépendante. Peu im-porte. Le plan de relance du gouvernement [an-noncé en novembre 2008] indique suffisammentque l’économie et la société chinoises sont prisesdans le maelström de la crise mondiale et que celle-ci constitue une menace pour le pouvoir.

1. Impact de la crise économique

La plupart des commentateurs pensent que la sor-tie de crise mondiale passe en particulier par un re-centrage de l’économie chinoise sur sa demande in-térieure. Le plan de relance du gouvernement jouece rôle, mais d’une façon perverse. Ce plan a été misen place de façon très rapide. Il semble que lacrainte principale du pouvoir soit que la montée duchômage n’entraîne des problèmes sociaux. Rappe-lons que le système de protection sociale est quasi-ment inexistant en Chine, notamment en ce quiconcerne les travailleurs migrants. Une autre caté-gorie sociale à risque pour le pouvoir est celle desétudiants, qui ont de plus en plus de peine à trouverdes débouchés conformes à leur formation et àleurs espérances.

1.1. La relance chinoise

Le plan de relance comporte deux aspects : augmen-tation des dépenses publiques et augmentation descrédits accordés par les banques (publiques).

1.1.1. Dépenses publiquesFace à la baisse des importations américaines et européennes, Pékin a très vite cherché à soutenir la demande intérieure par un plan de relance de

27 avril, Anyang (He-nan) : blocage d’une au-toroute par 300 travail-leurs de la firme HenanAnrai Hightech Co, li-

cenciés suite à la fermeture de l’usine. Ilsréclament le paiement de leurs salaires etde primes.

7 mai, Hangzhou (Zhejiang) : manifes-tation de centaines d’étudiants et bloca-ges de routes après la mort d’un étudiantlors d’un accident de la route.

18 mai, Nanjing (Jiangsu) : manifesta-tion de milliers d’étudiants qui vire à l’af-frontement avec la police, suite aux bruta-lités d’agents administratifs lors d’un mar-ché nocturne informel (30 blessés).

21 mai, district de Huining (Gansu) :plus d’un millier de manifestants attaquentla police après le passage à tabac d’unjeune de 15 ans ayant grillé un feu rouge(des dizaines de flics blessés).

23 mai,Yingde (Guangdong) : un postede police est attaqué par 300 producteursde thé (véhicules de flics et de pompiersincendiés). En lutte pour le paiement d’ar-riérés de prestations sociales, ils s’étaientrassemblés pour demander la libérationde quatre des leurs arrêtés la veille.

17 juin, Shishou (Hubei) : manifestationde 10 000 personnes et affrontement avecla police suite au décès suspect d’un em-ployé d’hôtel dont le propriétaire a des

connexions avec les dirigeants locaux duPCC. Des centaines de flics anti-émeutessont obligés de fuir, poursuivis par les ma-nifestants (200 blessés, dont 62 keufs etseize de leurs voitures détruites).

Juillet-août 2009 : dans le but prétendud’élever leur niveau de vie, les autoritéschinoises du Xinjiang organisent l’émigra-tion des Ouïgours vers les provincescôtières (avec mise en place de quotas).Ces quasi-déportations de travailleurs quenon seulement l’ethnie mais aussi la reli-gion, les coutumes et la langue, différen-cient fortement de la majorité Han, cau-sent inévitablement des tensions et ledéveloppement d’un racisme. Il est difficilede savoir comment s’est développé le

Plutôt que de résumer Luttes de classes dans la Chine des réformes (1978-2009) les notes quisuivent mettent à jour certains des développements que j’y ai faits. Je tiens compte d’informationsconcernant la période déjà couverte, mais qui m’avaient échappé, et d’éléments récents interve-nus depuis la fin de la rédaction de Luttes… (B. A., décembre 2009).

la Chine dans la crise mondiale

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460 milliards de dollars. En réalité, le financementdu gouvernement central n’est que de 115 milliardsde dollars, le reste étant attendu, mais sans certi-tude, des gouvernements locaux et du secteurprivé. Quoi qu’il en soit, l’initiative de Pékin a ététrès rapidement suivie d’effet : on a mis en œuvredes projets tous prêts qui avaient été refusés dansles années antérieures, ou on en a improvisés denouveaux sans trop d’études préalables. Le gouver-nement voudrait utiliser ces dépenses pour favori-ser une réorientation de l’économie vers des sec-teurs plus modernes ou pas encore excédentaires. Iln’est pas sûr du tout qu’il y parvienne. Les principa-les dépenses du plan sont les suivantes : - Infrastructures : les dépenses de l’État financerontle rail (plus 20 000 km, à 100 000 km), les autoroutes(l’État et les provinces feront passer le réseau auto-routier à 180 000 km en quelques années, pour 38 millions de voitures particulières – aux USA, les chiffres sont respectivement de 75 000 km et 230 millions de voitures), et les aéroports (secteuroù les doublons sont nombreux déjà).- Logement social, développement rural et protection so-ciale : on ne dispose pas de détails sur les program-mes de dépenses dans ces secteurs. Il est évidentqu’il s’agit de pacifier les campagnes et d’inciter lesménages à épargner moins. Il y a longtemps qu’onen parle. En ce qui concerne la couverture santé,Pékin finance 40 % des 124 milliards de dollars né-cessaires et attend des autorités locales qu’elles fi-nancent le reste et trouvent les solutions concrètes.Il y a des expériences locales, mais on n’a pas de vued’ensemble pour le moment.

1.1.2. Augmentation des créditsSous l’impulsion du gouvernement, les grandesbanques publiques ont, dans un premier temps, for-tement augmenté l’octroi de crédits aux entrepri-ses. Après avoir atteint 1 200 milliards de yuan parmois (environ 175 milliards de dollars) au premier

semestre 2009, les nouveaux crédits tombent à 300-700 milliards de yuan/mois au second trimestre.Mais ce n’est pas parce que la relance a atteint sesobjectifs. C’est parce que les banques craignent l’ac-cumulation de créances douteuses. Surtout, unepart importante des crédits sont investis de façonspéculative en bourse (20 %) ou dans l’immobilier(30 %). Comme en Occident, la relance fait gonflerdes bulles nouvelles.De plus, et selon un schéma bien établi, les nou-veaux crédits vont en quasi-totalité aux entreprisesd’État, tandis que les PME privées exportatrices ousous-traitantes à l’exportation n’en reçoivent pas.Or ce sont elles qui représentent 75 % des emploisurbains. 1.2. Modification du modèle chinois ?

Les éléments ci-dessus n’indiquent pas de réorien-tation fondamentale du modèle économique chi-nois, lequel est en résumé d’être un fournisseur detravail pas cher pour l’Occident. L’évolution souhai-tée par une fraction des capitalistes chinois et mon-diaux consisterait en la fameuse montée en gammede l’économie chinoise et en son recentrage sur lemarché intérieur. Il n’est pas impossible que l’effetde la crise aille dans le sens opposé : plus de lamême chose. Quelques aspects du problème :- Maintien des surcapacités : c’est évident dans dessecteurs comme la sidérurgie, le ciment, le verre. Lacrise n’entraîne pas de fermetures massives d’en-treprises de ces secteurs, entre autre à cause de larésistance des travailleurs concernés (voir plusbas). En conséquence, il y a surproduction de pro-duits sidérurgiques de base, baisse des prix – et lesaméricains viennent de porter plainte à l’OMCcontre les importations chinoises de tubes à desprix de dumping, disent-ils.- Excès du crédit et formation de nouvelles bulles decréances douteuses (voir plus haut).

conflit entre travailleurs hans et ouïgoursfin juin 2009 dans la fabrique de jouetsEarly Light (20 000 travailleurs dont 800Ouïgours), à Shaoguan (Guangdong), maissur la base d’accusation de viols, desaffrontements entre les deux communau-tés ont fait deux morts ouïgours. Cesmeurtres ont eu des répercussions dansleur province d’origine, le Xinjiang (extrê-me-ouest de la Chine) : notamment à Ou-roumtsi, la capitale de la province, les raidsmeurtriers des deux communautés diffici-lement contenues par la police auraientfait « officiellement » 156 morts. De nou-veaux affrontements ont lieu début août àOuroumtsi, à la fois entre communautéset chacune d’elles contre la police.

24 juillet, Tonghua (Jilin) : 10 000 ou-vriers de l’aciérie publique, menacés de li-cenciements occupent leur usine. Cer-tains d’entre eux balancent leur patronpar la fenêtre (et hop !) tandis que ceuxrestés dehors pour bloquer l’usine, empê-chent l’arrivée des secours.

20 août, Wenping (Hunan) : plus decent villageois bloquent les routes et affrontent la police. Leurs plaintes contreune fonderie de manganèse qui a empoi-sonné au plomb la population étaient res-tées sans effet. L’usine est finalement fer-mée et deux de ses dirigeants arrêtés.Des actions similaires se sont déroulées àDangling (Shaanxi) contre une fonderie dezinc qui a empoisonné 800 enfants. Les

manifestants ont envahi l’usine, encoura-gés par les ouvriers, et affronté la police.

22 août, Hunan : début d’une grève illi-mitée avec occupation dans une mine decharbon suite à une privatisation.

1er septembre, Fengwei (Fujian) :affrontements entre la police et plus de10 000 manifestants ayant pris en otageplusieurs officiels. Ils protestent contre lapollution industrielle dans la région, quiexpliquerait un taux de cancer élevé ausein de la population locale. Les villageoisbloquent l’accès à l’usine de traitementdes eaux pour en démontrer la toxicité.

Fin septembre, Shibin (Henan) : descentaines de paysans manifestent contre

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- Relance de la consommation intérieure douteuse : leschiffres officiels sont, selon les experts, sujets àcaution. Il y a une certaine augmentation de laconsommation, mais elle est temporaire car soute-nue par des subventions publiques (dans l’automo-bile, l’électroménager, notamment). On a vu plushaut que, pour le moment en tout cas, l’améliora-tion de la protection sociale n’incite pas les ména-ges à désépargner de façon significative. La seulefaçon que la consommation augmente de façonsoutenable serait que les salaires augmentent. En cequi concerne les migrants, le gel des salaires mini-maux et la tolérance annoncée aux abus patronauxvont dans le sens inverse.- Montée en gamme des exportations ? Au cours du pre-mier semestre 2009, les exportations chinoises ontbaissé, mais moins que celles des autres pays, desorte que la Chine gagne des parts de marché. Maisc’est dans le secteur bas de gamme qu’elle le fait. Ha-billement, chaussure, mobilier, la Chine prend desplace sur les marchés US et UE au dépens des autrespays fournisseurs (Mexique, Tunisie…). Et elle le faiten baissant prix et qualité, par exemple en utilisantdes tissus au rebut, considérés comme inutilisablesjusqu’à récemment. Rappelons aussi que, depuisjuillet 2008, le taux de change du Yuan ne s’apprécieplus. Il s’agit pour le gouvernement de défendre lesexportations par leur bas prix plus que par leurcomposition technique élevée ou par la hausse de laproductivité dans les usines exportatrices. Quant àla montée en gamme de la production en général,c’est à dire le développement technologique du capitalisme chinois, il semble bien que les limitesque j’avais soulignées dans Luttes… demeurent 1.Soulignant que les dépenses de recherche et déve-

la pollution engendrée par une fonderiede plomb qui a contaminé un millier d’en-fants (sources officielles). Les autorités lo-cales auraient ordonné à l’hôpital de ces-ser ses analyses de sang. Les manifesta-tions durent jusqu’à début octobre.

1er octobre, Jiaoyang (Fujian) : mani-festation de milliers de paysans pour de-mander le déplacement d’une fabrique debatteries électriques qui a provoqué plusd’une centaine d’empoisonnements dansla population (surtout des chiards).

12 octobre, Baijiamao (Shanxi) : despaysans qui occupent l’entrée d’une minede charbon depuis plusieurs mois sont at-taqués par une centaine de nervis (quatre

syndicats et modalités de l’exploitation

Jusqu’à présent, le gouvernement a arbitré contreles syndicats indépendants parce qu’il s’en tient aumodèle d’exploitation du travail instauré par les ré-formes, et qui repose sur l’avantage comparatif desbas salaires. Il en a été de même dans le développe-ment historique du capitalisme occidental. Les syn-dicats n’ont été tolérés par les patrons que progres-sivement, au fur et à mesure que se mettaient enplace l’accumulation intensive et le mécanisme de laplus-value relative. La recherche de la plus-value ab-solue est, pour les patrons, antagonique à l’admis-sion d’un syndicat. Dans ce modèle, où les immobili-sations de capital fixe sont peu élevées, l’initiativedu travailleur non qualifié dans l’effort de producti-vité n’est pas ou peu sollicitée. On impose de faire lemaximum possible d’heures pour un salaire de sur-vie qui est à prendre ou à laisser. D’autres sont prêtsà prendre sa place. Il n’y a pas grand chose à négo-cier. La fonction de contrôle et de pressurage de lamain-d’œuvre est déléguée à la répression pure. […]La complexification du procès de travail collectif re-quiert une participation plus active des travailleurs,un minimum d’initiative dans la résolution des pro-blèmes. Tout ça se paie, et le syndicat est une bonneinstitution pour obtenir cette collaboration enéchange d’un partage des gains de productivité. Lahausse des salaires et de la consommation ouvrière,l’accumulation de capital fixe, signifie le développe-ment du mécanisme de la plus-value relative.Comme lors du passage à la domination réelle du ca-pital en Occident, ce schéma laisse une place au syn-dicalisme. Mais ce passage d’un système d’exploita-tion du travail qui interdit le syndicalisme à un au-tre qui y trouve son intérêt est-il possible en Chineaujourd’hui ?

Luttes de classes..., p. 142

1. À savoir que la R&D, en Chine, c’est surtout du développement. Cf.Luttes…, p. 30-33. De son côté, André Grjebine souligne le poids impor-tant des importations dans les exportations technologiques chinoises :en informatique 95 %, en télécommunication 85 %, en composants élec-troniques 78 % (« Quel rôle pour la Chine dans la quête de la stabilitééconomique mondiale ? », L’économie politique, 2e trim. 2009).

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loppement de la Chine ont doublé entre 2000 et2005, un article de La Tribune conclut que « les résul-tats sont mitigés. Nombre de Chinois hautement qualifiéspréfèrent encore émigrer en Europe ou aux États-Unis.L’accent mis sur le développement industriel, au détri-ment de la recherche fondamentale, risque de créer unhandicap sérieux pour la Chine dans le domaine des in-dustries de pointe » 2.- Renationalisation de l’économie ? Recul du secteurprivé ? Comme les entreprises d’État sont les seulesà profiter de l’abondance du crédit, elles commen-cent à reprendre des entreprises privées. Par exem-ple, les sociétés nationales de pétrole rachètent des

stations-service privées, ou des promoteurs publicsreprennent des promoteurs privés. Dans le Shanxi,sous prétexte de sécurité du travail, les petites mi-nes de charbon privées sont autoritairement inté-grées dans des mines publiques plus importantes. Ilfaudra voir si cette tendance se confirme.Conclusion : rien n’indique pour le moment que lescapitalistes chinois soient capables d’instrumenta-liser la crise pour promouvoir une montée engamme de l’appareil de production et une sortie decrise par le haut. Cependant, ne serait-ce que par lamultiplication des faillites, une certaine moderni-sation de l’économie chinoise doit résulter de lacrise. Pour l’instant, l’impact de cette épurationn’est pas visible.

morts et quatorze blessés). Ils protestentcontre la privatisation de la mine jusque làpropriété du village.

17 octobre, Binchuan (Yunnan) : suiteà l’assassinat de l’un d’entre eux, 3 000 vil-lageois attaquent les bureaux et l’école duPCC, des bâtiments municipaux et détrui-sent des voitures de flics (55 blessés dont5 policiers, 50 arrestations). Ils protestentcontre leur expulsion visant à la construc-tion d’une centrale électrique.

22 octobre, Pingyang (Jiangsu) : mani-festation de dizaines de milliers d’habi-tants contre la construction d’un incinéra-teur. 3 000 flics sont dépêchés sur place.

28 octobre, Sichuan : une délégation de50 travailleurs du bâtiment, représentantplus de 1000 ouvriers, se présente ausiège du Cheng Tu Xingdu Real Estate. Ilsen ont assuré la construction dans unecascade de sous-traitants qui, le chantierterminé, les laisse avec près d’une annéed’arriérés de salaires. Ils sont éconduitssans ménagement par les hommes demain de la firme.

29 octobre, Lanzhou (Gansu) : un mil-lier d’étudiants manifestent, attaquent desbâtiments officiels et affrontent un millierde policiers (dix blessés). Ils dénoncentleurs conditions d’existence, d’alimenta-tion et d’hébergement et l’imposition dedroits scolaires.

30 octobre, Kunming (Yunnan) : aprèsla mort d’un charretier tué par des agentsmunicipaux, 1000 personnes défilent enportant son cadavre. Ils attaquent des bâ-timents officiels et affrontent des centai-nes de policiers (50 blessés).

9 novembre, Luzhou (Sichuan) : mani-festation devant la mairie de 100 retraités(âgés de 70 à 80 ans), licenciés lors d’unerestructuration en 1990, attaquée par plusde 100 flics (deux blessés). Leur ancienneusine, qui payait encore leurs retraites, estvendue à un spéculateur immobilier etleurs pensions sont ipso facto supprimées.

11 novembre, Haikou (Hainan) : grèvedes ouvrières de l’usine de lingerieTriumph International contre la réduction

2. La Tribune, 19 juin 2009, cité dans Problèmes économiques, n° 2981, 28 octobre 2009.

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2. Évolution des luttes prolétariennes

Par rapport à ce que j’ai développé dans Luttes…, lesremarques qui suivent prennent en compte des in-formations nouvelles qui me sont apparues autantsur les luttes sociales d’avant la crise que sur l’im-pact de la crise proprement dite. Une certaine évo-lution est perceptible depuis quelques années.

2.1. Luttes contre la restructuration des entreprises d’État

On se souvient que, dans les années 1990, de nom-breuses restructurations se sont faites à la hus-sarde, les directeurs s’appuyant cyniquement surl’ignorance où se trouvaient les salariés de leursdroits. Si la grande vague de restructurations estpassée, il reste encore des opérations à faire. Mais àprésent, les travailleurs sont mieux armés pour ré-sister. Ils connaissent mieux leurs droits et ont despratiques de résistance plus directes.Tout récemment, les travailleurs sont parvenus àstopper net des tentatives de privatisation accom-pagnées évidemment de licenciements importants.- Juillet 2009 : la Tonghua Iron and Steel (Jilin)compte 30 000 salariés. Lorsqu’un directeur venantd’une société privée annonce aux travailleurs quela privatisation envisagée implique le licenciementde 25 000 d’entre eux, il est battu à mort et les ou-vriers empêchent les ambulances d’approcher. Laprivatisation est suspendue.- Un peu plus tard le même été, les salariés d’un ma-gasin coopératif apprennent que le directeur avendu l’entreprise à leur insu (alors qu’ils sont as-sociés au capital) et se mettent en grève. Sur unephoto, on voit des vendeuses très calmes et quel-conques sur les marches du magasin. Elles tiennentun panneau où est écrit : « Un incident sanglant aurabientôt lieu contre la corruption », allusion transpa-rente à l’affaire de Tonghua.

- Août 2009 : à la Linzhou Iron and Steel de Anyang(Henan), l’usine est obsolète (40 ans d’âge) et est àl’arrêt depuis mars 2009 pour cause de manque decommandes. Malgré cela, les travailleurs ne veulentpas entendre parler d’une reprise par un groupeprivé. La privatisation est stoppée après que les tra-vailleurs en colère ont séquestré quelques heuresun cadre du Parti venu en médiation. - Août 2009 : plusieurs milliers de travailleurs duHunan Coal Industry Group se mettent en grèvequand la direction veut leur faire signer un accordde licenciement comportant des indemnités nette-ment inférieures au minimum légal (qui est de unmois de salaire par année d’ancienneté).La crise mondiale va peut-être contraindre le pou-voir à lancer une deuxième vague de restructura-tion des entreprises qu’il contrôle. Baosteel, le pre-mier sidérurgiste chinois ne produit que 35 millionsde tonnes (autant que Nippon Steel, mais moins de10 % du total national chinois, et surtout avec huitfois plus de personnel). Il y a donc de la place pourune rationalisation sévère du secteur. Le caséchéant, cependant, les conflits cités ci-dessus indi-quent nettement que le prix à payer sera plus cherque lors de la première vague de restructuration.

2.2. Travailleurs migrants

La baisse brutale des exportations avec la crisemondiale a entraîné des millions de licenciementset des milliers de faillites. Les données dont je dis-pose ne permettent pas de se faire une image d’en-semble de l’impact de la crise. Le dernier rapportdu Chinese Labour Bulletin sur le mouvement ouvrieren Chine 3 s’appuie sur une échantillon de 100conflits qu’il estime représentatif. 80 % de ces

de la prime annuelle de résultat. L’annoncedu paiement de cette prime ne met pas finau conflit : la revendication devient celle dusalaire et des jours de repos. Les négocia-tions seraient difficiles car les ouvrières,par crainte de la répression, refusent dedésigner des déléguées. La multinationalegermano-suisse (38 000 travailleurs dans120 pays) vient de fermer ses usines desPhilippines et de Thaïlande pour les trans-férer notamment en Chine. L’usine de Hai-kou exploite 3 000 ouvrières pour un sa-laire mensuel de 70 à 90 euros.

Novembre, Huijiang (Guangdong) :protestations massives de villageoiscontre la construction d’un incinérateur(le projet est ajourné en décembre).

25 novembre, district de Danshan(Anhui) : un millier de villageois affron-tent 200 policiers (trois voitures de flicsdétruites, vingt blessés, vingt arrestations).Les manifestants protestent contre les fai-bles indemnités accordées après des ex-porpriations visant à l’installation d’un jar-din public.

29 novembre, Chongqing : un millierde retraités de l’usine de motocycles Jia-ling bloquent pendant deux jours deuxaxes routiers ; suite à la faillite de leur so-ciété leurs pensions sont menacées.

1er décembre, Shitang (Guanxi) : unmillier de villageois affrontent la policeaprès la confiscation de motocycles non

autorisés et le tabassage d’un des proprié-taires qui résistait (quatorze arrestations,cinquante blessés dont vingt policiers).Ces engins servent souvent de véhicules-taxis et fournissent un revenu à leur pro-priétaire.

6 décembre, Yunfu (Guangdong) :plusieurs milliers d’habitants manifestentdevant le siège de la police pour deman-der la remise en liberté d’un des leurs ar-rêté à la suite à une rixe. Ils attaquent leslocaux, cassent portes et fenêtres et af-frontent les forces spéciales dépêchéespour les disperser (vingt blessés). Le len-demain, une route nationale est bloquéeet les affrontements continuent (cin-quante arrestations).

3. CLB, Going it alone, The Workers Movement in China (2007-2008), juillet 2009, disponible sur le site du CLB : <www.china-labour.org.hk>.

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conflits concernent des travailleurs migrants. LeCLB constate une évolution dans la lutte des mi-grants. Un tiers des conflits porte sur la défense desdroits élémentaires (salaires non payés, primesd’heures supplémentaires refusées, patrons enfuite…). Mais un autre tiers est fait de luttes plus of-fensives, réclamant des hausses de salaires, des ré-ductions de la durée ou de la charge de travail, unemeilleure couverture sociale, etc.

Dans les conflits observés par le CLB, la grève pro-prement dite n’intervient que dans 47 % des cas. Lestravailleurs ont aussi recours à d’autres moyenspour lutter : sit-in, manifestations, barrages deroute ou de voie ferrée. La violence contre les biensde l’entreprise, la direction ou le personnel de sécu-rité n’intervient que dans 5 % des cas. Parfois ce-pendant, la violence devient extrême : un migrantmaltraité par la police entre dans un commissariat

31 décembre, Zhentou (Hunan) : descentaines de paysans affrontent la policepour empêcher l’épandage d’oxyde decalcium sur leur champs. Depuis cinq moisils manifestent contre des empoisonne-ments au cadmium et à l’indium qui au-raient provoqué sept morts et atteint descentaines de personnes. L’épandage auraitpour objectif de détruire les preuvesd’une pollution et de retirer aux paysansle droit à une indemnisation. Les sols sontinutilisables pour les soixante ans à venir.

Presque par défini-tion, les grèves en Chine ne sont pasou très peu organisées, […] la for-mation de groupes syndicaux ou pa-rasyndicaux à la base est fortementréprimée. Il y a probablement desgroupes plus ou moins clandestins,mais ils ne sont pas perceptibles surnotre radar. Par « pas ou très peuorganisées », il faut entendre doncqu’il n’y a pas de préparatifs de lagrève longtemps à l’avance, par lademande de négociations, la com-munication aux travailleurs del’état du rapport de forces, l’an-nonce de dates lointaines où « onagira », etc. Les grèves sont donc leplus souvent soudaines, improvi-sées, et s’organisent dans le feu del’action. En se mettant en grève, lestravailleurs prennent des risquesconsidérables. Ceux qui sont arrêtésfinissent fréquemment en prisonpour plusieurs années. Aussi n’est-ilpas étonnant que, une fois le travailsuspendu, ils ne reculent pas devant

le recours à la violence et les des-tructions. Entrer en grève, pour untravailleur chinois, c’est déjà brûlerses vaisseaux. Il ne s’y met donc quelorsque son exaspération a atteintun degré très élevé. La répression,le refus de la négociation et l’ab-sence ou la faiblesse des médiationsfont le reste. […] De façon générale la grève éclatesans préparatifs particuliers lors-que les conditions d’exploitationdépassent, sur un point particulier,les limites du supportable (qualitéde la cantine, heures non payées,brutalité des vigiles ou contremaî-tres, etc.). […]On trouve là une atmosphère qui res-semble à celle de révoltes des OS quia eu lieu dans les usines à la chaîned’Europe et d’Amérique dans les an-nées 1960-1970. Les mêmes causesproduisant les mêmes effets, la su-rexploitation du travail taylorisé etfordisé produit les mêmes réactions

de révolte que celles qui avaient étéregroupées sous le nom d’antitravail.Sans doute en plus violent encore,puisque les destructions sont nom-breuses dans ces soulèvements brefset sans suite d’ouvriers exaspéréspar la rigidité des patrons sur lamoindre question de travail.Une autre caractéristique assez gé-nérale des grèves en Chine est leurcourte durée. L’absence de réserves,individuelles ou collectives, est évi-demment en cause ici. Mais l’isole-ment l’est aussi. On a vu la difficultéqu’ont les grévistes à établir desliens de solidarité avec leur entou-rage, et je ne connais pas d’exemplede grève de solidarité. L’occupationdes locaux favorise en général laprolongation des conflits, surtout sices locaux sont abandonnés parleur patron. Or, ainsi qu’on l’a men-tionné, il ne semble pas y avoirbeaucoup d’occupations en Chine -en tout cas pour le moment. Uneautre raison probable de la courtedurée des grèves est l’absence desyndicats pour les préparer, les sou-tenir, les financer.

Luttes de classes..., p.132

grèves et destructions

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et tue plusieurs flics. En juin 2009, dans une usinede Dongguan, un migrant a perdu une main dans unaccident de travail et n’arrive pas à obtenir de la di-rection l’indemnité à laquelle il a droit. Il tented’abord de suicider. Puis, lorsque la direction le videdes dortoirs, il poignarde trois directeurs (deuxmeurent). La scène se passe devant deux cents per-sonnes qui n’interviennent pas.Si l’on admet que les observations du CLB sont re-présentatives d’une tendance générale dans la luttedes migrants, on constate une certaine banalisa-tion, voire institutionnalisation des luttes. D’ail-leurs, certains migrants sont désormais sortis durang et, en vertu d’une loi existante, font professionde représenter et d’aider d’autres travailleurs mi-grants dans leurs démêlés avec les instances d’arbi-trage. Il semble que cela ait une certaine efficacité,puisqu’un tribunal a dû déclarer illégal ce procédédès que plus de deux ou trois travailleurs sont im-pliqués. Le CLB constate que « les revendications destravailleurs sont devenues plus élaborées et plus ambi-tieuses… Les travailleurs ont vu plein d’exemples où lesgrèves, les protestations, les barrages routiers et les sit-insont des moyens efficaces pour parvenir à leurs fins ; ilsont plus confiance en leur capacité à défendre leur pro-pres intérêts par ces moyens. » Et un personnage aussiimportant que le vice-président de la section deShenzhen de l’ACFTU répond en écho que « les grè-ves sont aussi naturelles que les disputes entre mari etfemme ». Il n’est sûrement pas représentatif de l’opi-nion générale dans la Fédération. Mais ces évolu-tions sont-elles suffisamment représentatives pourque, à la fin de la crise, les migrants chinois consti-tuent une classe ouvrière plus intégrée que ce quej’ai décrit dans Luttes… Si cela se confirmait, celavoudrait dire que la côte chinoise ne peut plus fonc-tionner comme l’atelier du monde. On reviendrasur cette question à propos de la question syndicale.

2.3. Apparition de luttes sectorielles

Les conflits sociaux en Chine sont de moins enmoins isolés les uns des autres. Les exemples où lalutte se propage, soit localement soit sectorielle-ment, sont plus nombreux. En octobre 2008, plu-sieurs centaines d’ouvriers bloquent la circulationpour protester contre la fermeture d’une cimente-rie à Jiaozuo (Henan). Six jours plus tard, les sala-riés d’une usine de grues et d’une fabrique textilede la même ville manifestent et font grève pour dessalaires impayés. À Shiajiazhang, en mars 2008, lesouvriers de trois usines d’un même groupe textilese mettent en grève pour obtenir une augmenta-tion de salaire. Ils sont bientôt rejoints pas les ou-vriers de quatre autres usines du groupe 4.Cette extension des grèves atteint parfois le niveaude grèves sectorielles, ce qui est relativement nou-veau en Chine. Le CLB en indique deux :

2.3.1. Grève des enseignants (2008)Elle couvre plusieurs centaines d’écoles maternel-les, primaires et secondaires à travers le pays, sur-tout dans les régions rurales du centre. Les ensei-gnants demandent que, conformément à la loi, ilssoient payés autant que les autres fonctionnaires demême niveau. Leur lutte est dirigée contre les auto-rités locales, car ce sont elles qui n’appliquent pasla loi. Le CLB ne dit pas du tout comment le mouve-ment s’est propagé. Les grèves se sont terminéesavec ou sans succès, selon les cas.

2.3.2. Grève des taxis (2007-2009)La grève affecte, successivement ou simultanément,de nombreuses villes du pays. Le CLB dénombre dixgrèves de taxis en 2007 et 32 en 2008. Il y en a encore

2010

Janvier, Hong Kong :manifestations de plu-sieurs milliers de per-sonnes contre la cons-

truction de la voie ferrée rapide HongKong-Guangzhou.

5 janvier, Foshan (Guangdong) : grèveet manifestation de 1 000 mingong del’usine de jouets Mattel Diecast Chinacontre un soudain changement dans lecalcul de leur retraite. Ils bloquent l’undes axes majeurs de la ville et affrontentune centaine de flics (22 arrestations).

7 janvier, Wanshi (Guangdong) : blo-cage d’un chantier par 500 villageois quiaffrontent pendant trois heures un millier

de flics (avec notamment des couteaux et des cocktails Molotov ; 10 blessés, 40 arrestations). Ils s’opposent à la vente deleurs terres par les autorités locales à unesociété privée.

7 janvier, Hewan (Jiangsu) : des villa-geois affrontent 200 nervis d’une sociétépétrochimique qui, avec le PCC local, veutles expulser. Un villageois est tué, les pay-sans se rassemblent devant la mairie pourréclamer le corps. Le jour suivant, ils ma-nifestent à nouveau (50 blessés).

12 janvier, Longyatun (Guangxi) : ma-nifestation et blocage de travaux par desvillageois qui refusent leur expropriation.La police pénètre dans le village pour ar-rêter douze protestataires mais sont pris

à partie par les habitants (50 arrestations,11 flics et une de leurs voitures endom-magés, 12 villageois blessés dont 5 par bal-les et peut-être un mort).

13 janvier, Miaobei (Zhejiang) : affron-tement entre 300 policiers et des villa-geois qui s’opposent à un projet deconstruction qui menace leurs récoltes.

14 janvier, Yangzhuang (Henan) : desvillageois bloquent l’autoroute avec destroncs d’arbres. Une société veut s’empa-rer de leurs terres et envoie la nuit desgros bras pour détruire les récoltes et tabasser les paysans.

15 janvier, Suzhou (Jiangsu) : plusieursmilliers d’ouvriers de l’usine Wintek Corp(sous-traitant d’Apple qui lui fournit les

4. Signalons, dans le même esprit, le mouvement de mingong dans plu-sieurs provinces en janvier 2009. Voir brève page 16. (n.d.é.)

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en 2009. Les chauffeurs de taxis protestent contreles charges excessives que leur imposent les compa-gnies, ainsi que contre les taxis qui travaillent aunoir. Dans la plupart des villes, les compagnies detaxis sont fortement oligopolistiques. Elles font va-rier arbitrairement les charges que supportent leschauffeurs, et l’absence de concurrence entre com-pagnies ne leur laisse aucun choix. Les grèves ontéclaté après de multiples tentatives de fonder dessections syndicales de chauffeurs, repoussées à cha-que fois par l’ACFTU parce que l’établissement d’unsyndicat « concerne l’entreprise ». Il est intéressant de noter que, selon le CLB, leschauffeurs sont le plus souvent des anciens ou-vriers des entreprises d’État ; mais on trouve égale-ment des travailleurs migrants. Si cela est avéré, ceserait la première fois que je vois des travailleursmigrants lutter aux côtés de collègues disposantd’un hukou urbain. Dans la plupart des cas, les auto-rités municipales s’efforcent de débloquer la situa-tion en faisant des concessions là où c’est en leurpouvoir et en faisant pression sur les compagniespour qu’elles en fassent aussi.

2.4. Toujours pas de libéralisation syndicale

On se souvient qu’une vague de grèves dans le portde Shenzhen (mars-mai 2007) avait notamment re-vendiqué la fondation d’une section syndicale (Lut-tes…, p. 139). Le CLB mentionne aussi ce mouve-ment, et donne sur lui des informations complé-mentaires. Le 24 mars 2007, la grève éclate d’aborddans une société de service d’un terminal de conte-neurs dans la partie est (Yantian) du port. Le 30mars, une grève similaire éclate dans la partieouest du port (Shekou). Dans les deux cas, les tra-vailleurs obtiennent des concessions (mais le CLBne donne aucun détail). Le 7 avril, plus de 300 gru-tiers de Yantian entrent en grève, et le 1er mai 200

travailleurs de Shekou se remettent en grève ycompris les grutiers, pour obtenir le paiement dequatre ans d’arriérés d’heures supplémentaires. Ilsgagnent. La revendication de former des sectionssyndicales au sein de l’ACFTU est même obtenue etle syndicat négocia un accord collectif.Ce récit semble confirmer qu’il existe, au sein del’ACFTU, et notamment dans la zone côtière, unetendance syndicale qu’on pourrait appeler proac-tive, prête à prendre en charge une poussée reven-dicative pour maintenir son statut, éviter la forma-tion d’organisations indépendantes et canaliser lacombativité des travailleurs. Dans le même ordred’idée, la section syndicale de Shenzhen aurait ob-tenu gain de cause contre Huawei (très importantesociété de matériel de télécom) lorsque celle-ci, fin2007, essaya d’imposer à ses salariés ayant plus dehuit ans d’ancienneté de démissionner et de re-prendre leur emploi dans des conditions précaires.La direction voulait contourner une clause de la loisur les contrats de travail, entrant en vigueur au 1er

janvier 2008, stipulant que les salariés d’une an-cienneté de plus de 10 ans voyaient automatique-ment leur contrat de travail converti en CDI. De trèsnombreuses sociétés ont procédé comme Huaweidans les derniers mois de 2007. Le CLB ne dit paspourquoi l’ACFTU aurait pris la défense des salariésde Huawei plutôt que d’une autre société.Quoi qu’il en soit, comme je l’avais déjà indiquédans Luttes…, la crise mondiale a mis fin à ces tenta-tions libérales dans l’ACFTU. Pékin a expressémentdemandé au syndicat de « défendre l’entreprise ». LeCLB donne une certaine explication de cette vic-toire des conservateurs quand il souligne que lesyndicat est encore plus soumis au Parti qu’aupara-vant. L’ACFTU a mis en place des procédures pourque les unions locales prennent à leur charge les ac-tivités des sections d’entreprise. Du coup, les

écrans tactiles de l’iPhone) entrent engrève à l’annonce de la suppression desprimes de fin d’année. Ils détruisent desvéhicules, endommagent les bâtiments etcaillassent les flic (100 blessés). Ils dénon-cent aussi l’emploi de produits toxiques(l’hexane qui a causé la mort de plusieurstravailleurs) dans le procès de fabrication.

15 janvier, Pizhou (Jiangsu) : 2 000 personnes (presque tout le village) mani-festent dans la ville et sont dispersées parla police anti-émeutes (50 blessés). Laveille, un habitant de Hewan a été tuélorsque qu’une centaine de gardes a tentéde s’emparer de force d’exploitationsagricoles que les autorités veulent vendrepour y construire une usine chimique.

19 janvier, Huangwu (Guangdong) :les villageois affrontent plus de 200 flicsvenus arrêter un habitant soupçonné defabriquer des cocktails Molotov (dix villa-geois et deux flics blessés). Pour un projetde construction, les autorités locales veu-lent expulser 108 familles.

19-20 janvier, Likeng (Guangdong) :un millier de personnes manifestentcontre un incinérateur qui provoqueraitdes cancers et des cas de saturnisme.

24 janvier, Nanhai (Guangdong) : 400personnes manifestent devant le futur sitede construction d’un incinérateur.

26 janvier,Tongle (Guangxi) : affronte-ments entre des villageois et 700 poli-ciers. Ils tentent d’empêcher l’expropria-

tion de leurs fermes que les autorités ontrevendues 100 fois plus chères que lemontant des indemnisations.

26 janvier, Guangzhou (Guangdong) :manifestation de 500 agents de la voieriesuite à la privatisation de leur service.

28 janvier, Beijing : grève de 200 em-ployés de l’usine Panasonic Electronic De-vices. Ils bloquent pendant au moins qua-tre jours l’entrée de l’usine et semblentséquestrer des cadres (y compris japo-nais). L’entreprise, qui dispose de deuxchaines de production de condensateurs,veut en délocaliser une dans le Guang-dong où le coût de production est infé-rieur. Les ouvriers veulent obtenir des in-demnités de licenciement plus élevées.

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unions locales se sont trouvées surchargées man-quant de fonds et de personnel. Elles se sont tour-nées vers les autorités locales pour de l’aide et sesont peu à peu confondues avec l’administration,c’est-à-dire avec le Parti. Reste à expliquer pour-quoi le Parti arbitre encore et toujours contre lessyndicats. J’ai donné une explication de cette atti-tude dans Luttes… (prédominance de la plus-valueabsolue, p. 142). Sur la base des éléments réunisdans cette note, rien n’indique qu’un changementde modèle massif est en court.

Conclusion

On a vu dans Luttes… que le prolétariat chinois,dans ses différentes fractions, est combatif et ré-pond comme il peut aux agressions des patrons. Ona vu aussi que ces luttes restent, sauf exceptions,très séparées les unes des autres. Cette dernière ap-préciation était sans doute un peu rapide. La pré-sente note indique que les luttes des travailleurschinois parviennent à sortir de leur isolement etrejoindre d’autres fractions pour gagner en effica-cité. C’est sans doute un élément nouveau, mais il

était déjà présent au cours de la période couvertedans Luttes… J’en cite même un bel exemple (la va-gue de grèves dans les entreprises japonaises de laZES de Dalian en 2005), mais sans en tenir comptesuffisamment.Dans Luttes…, le schéma implicite du rapport entreprolétariat et capital est que la répression est laprincipale réponse que le capitalisme chinoistrouve pour faire face aux poussées prolétariennes.C’est probablement une vue trop simple, reposantde façon excessive sur la situation des migrants –car on connaît mal la situation de ceux qui sont res-tés dans les entreprises publiques. Il reste à savoircomment le capitalisme chinois pourrait absorberla poussée revendicative qui semble se former dansle pays sous l’impact de la crise si son insertiondans le cycle mondial reste sur le même modèle etinterdit la fameuse montée en gamme qui, en ce quiconcerne l’exploitation du travail, consisterait à in-troduire une forte dose de plus-value relative, àaugmenter la consommation ouvrière et à laisser sedévelopper les syndicats. À suivre…

B. A., décembre 2009

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[pour comparaison, les chiffres entre crochetssont ceux concernant la France]

Superficie : 9 641 144 km2 [675 417]Population : 1 360 445 010 hab.[65 073 482]Population urbaine : 606 millions, soit43 % de la population totale.Densité : 141 hab./km2 [96,3]

Population active : 812 millions (2009) [27,97]Population active par secteur :agriculture : 43 % [3,8 %]industrie : 25 % [24,3 %]services : 32 % [71,8 %]Mingong : 150 à 200 millionsTravailleurs expatriés : 794 000 (2008)

Taux de chômage urbain : 4 % (officiellement ; 9,5 % selon une étude indépendante) [9,7 %]

PIB (nominal) : 4 758 milliards $ (3e rang mondial) [2 635] Croissance du PIB : 8,7 % (2009) [- 2,2 %]PIB (nominal) par habitant : 3 259 $(2008), (104e) [46 037]PIB par secteur :agriculture : 11,3 % [2 %]industrie : 48,6 % [24,3 %]services : 40,1 % [77,6 %]En 2005, les provinces de Guangdong,Shandong et Jiangsu représentaient untiers du PIB chinois. Les onze provincesquotières en représentaient 70 %.

Inflation : 4,9 % (2008) [2,8 %]Indice de développement humain (IDH) :81e (2008) [10e]

Principales industries :fer, acier, aluminium et autres métaux,charbon, construction de machines, ar-mement, textiles, pétrole, ciment, pro-duits chimiques, engrais, produits deconsommation, matériels de transport.En 2009, la Chine est devenue le premierconstructeur automobile et le premiermarché mondial (13,64 millions d’unitésproduites). Les marques les plus venduesproviennent d’entreprises mixtes asso-ciant notamment Volkswagen e t GM.

Commerce extérieur :Exportation : 1 200 milliards $ (2009)[457]Principaux clients : États-Unis 17,7 %,Hong Kong 13,3 %, Japon 8,1 %,Corée du Sud 5,2 %, Allemagne 4 % (2008)La moitié des exportations dites chinoi-ses sont réalisées par des multinationalesétrangères.Importations : 1 005 milliards $ (2009)[532]Biens importés, principaux fournisseurs :Japon 13,3 %, Corée du Sud 9,9 %, Taïwan9,2 %, États-Unis 7,2 %, Allemagne 4,9 %(2008) En 2009, la Chine comptait 1430 portscommerciaux, dont les six premiers mon-diaux : Shangai, Shenzen, Qingdao, Ning-bo, Guangzhou, Tianjin (aucun dans le« top 20 » en 2000 !).Dette publique : 18,9 % du PIB (2007)Dette extérieure : 363 milliards $ (31 décembre 2007) Recettes publiques : 640,6 milliards $ Dépenses publiques : 634,6 milliards $(2007)

Accidents du travail :500 000 en 2007, dont 98 340 morts (soit300 morts par jour).1616 accidents dans les mines de char-bons, causant la mort de 2 631 travail-leurs (2009). En 2007, le taux de mortalitéétait de cinq mineurs par million de ton-nes de charbons extraites dans les gran-des mines, 9,1 dans les petites ; ce tauxétait de 0,5 en Inde.Dans les deux premiers mois de 2009, 500dirigeants d’entreprises auraient été tuésdans des conflits touchant des salairesimpayés, réduits, ou lors d’un durcisse-ment des conditions d’exploitation.

Conflits du travail :En 2008, on en aurait compté dans tout lepays 237 000, en augmentation de 98 %par rapport à l’année précédente. De sep-tembre 2008 à mars 2009, leur nombres’élèverait à 546 000 rien que dans les pro-vinces centrales et du Sud-Est (Guangz-hou, Fujian et Jiangsu), où ils auraient étémultipliés par dix.En janvier 2008 on estimait que dans leGuangdong, éclatait chaque jour aumoins une grève impliquant plus de 1 000travailleurs.

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quelques chiffres et données

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1er octobre 1949 : proclamation de la République popu-laire de Chine suite à la victoire militaire du Parti com-muniste chinois (PCC) sur les nationalistes (le Kuomin-tang, dont les partisans se replient sur l’île de Taïwan). 1958 : Grand Bond en avant. Vaste mobilisation pour lamodernisation économique, industrialisation des cam-pagnes, collectivisation des terres et création des com-munes populaires. La désorganisation des structuresagricoles entraîne une gigantesque famine. Mao perdde son autorité. 1966 : début de la Révolution culturelle. Pour mettre àmal les dirigeants favorables à une libéralisation del’économie et recouvrer son autorité au sein du parti,Mao lance une campagne contre les élites et les bu-reaucrates en s’appuyant sur la jeunesse du pays. Unepériode de chaos s’ensuit. La situation est progressive-ment reprise en main par Zhou Enlai.1975 : Zhou Enlai, secondé par Deng Xiaoping, annoncele lancement officiel des « quatre modernisations » (agri-culture, industrie, science et technologie, défense na-tionale), marquant le début de l’ère des réformes.Septembre 1976 : mort de Mao Zedong.Juillet 1977 : Deng Xiaoping (considéré comme le lea-der des réformistes) est réhabilité après avoir été misà l’écart pendant la Révolution culturelle.1978 : début des réformes lancées par Deng, qui fontpasser la Chine d’une économie planifiée de type so-viétique à un « socialisme de marché », conservant lastructure rigide de contrôle par le PCC.1979 : ouverture au commerce mondial, début de la dé-collectivisation des terres, loi autorisant les investisse-ments étrangers.Avril 1979 : création des quatre premières zones éco-nomiques spéciales (ZES) dans les provinces du Guang-dong et du Fujian. Elles offrent aux entreprises étran-gères des conditions préférentielles (droits de douaneallégés, libre rapatriement des investissements et desbénéfices, pas d’impôts pendant plusieurs années puisimpôts très bas, statut d’extra-territorialité pour lescadres qui viennent travailler, etc.) ; elles sont un vec-teur important des réformes.1984 : réintroduction des lois du marché et libéralisa-tion des prix, grand boom dans l’industrie légère, sup-pression des communes populaires. « Ouverture » de14 villes côtières (puis des deltas de Yangzi et de la ri-vière des perles en 1985, de l’île de Hainan en 1988…).1986 : loi autorisant la constitution de sociétés au capi-tal à 100 % étranger. Avril-juin 1989 : un vaste mouvement étudiant de pro-testation contre le régime est rejoint par les ouvrierset s’étend à plusieurs villes. L’État écrase la révoltedans le sang en utilisant l’armée (notamment sur laplace Tian’anmen à Beijing).

1992 : le 14e Congrès du PCC adopte le principe del’« économie de marché socialiste ».1993 : Jiang Zemin devient président de la République. 1994 : début de la construction du barrage des Trois-Gorges (le plus grand du monde) sur le fleuve YangziJiang ; il ne sera achevé qu’en 2006. 1,8 millions de per-sonnes vont être expropriées, 15 villes et 116 villagesengloutis.Mars 1996 : la réforme du secteur d’État est déclaréetâche principale du gouvernement chinois.Juillet 1997 : rétrocession de Hong Kong.Octobre 2000 : création du Forum sur la coopérationsino-africaine afin de renforcer la « coopération » éco-nomique entre la Chine et l’Afrique. 2001 : la Chine adhère à l’OMC. Juillet 2001 : Beijing est désignée pour accueillir lesjeux olympiques de 2008 ; début d’une vaste restructu-ration de la ville qui se couvre de chantiers.Novembre 2002 : Hu Jintao succède à Jiang Zemin à latête du PCC et devient président de la République en2003.Décembre 2006 : la Chine ouvre son marché aux ban-ques étrangères, conformément aux engagements prislors de son adhésion à l’OMC en 2001. Juillet 2007 : la Chine devient la troisième puissanceéconomique du monde derrière le Japon et les États-Unis.2009 : la Chine devient le premier exportateur mon-dial, dépassant l’Allemagne.

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chronologie indicative

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pour aller chiner ailleurs

● Bruno Astarian, Luttes de classes dans la Chine des réformes (1978-2009), Acratie, 2009, 182 p.● Hsi Hsuan-wou et Charles Reeve, China blues. Voyageau pays de l’harmonie précaire, Verticales, 2008, 288 p.● « La lutte des classes dans la Chine en transforma-tion », Échanges, n° 125, été 2008, p. 27-40 (résumé d’un article de la revue Aufheben, n° 16, janvier 2008, disponible sur <libcom.org/files/china.pdf>, suivi de commentaires de Bruno Astarian)● Dossier « Chine » de la revue Échanges sur internet :<www.mondialisme.org/spip.php?rubrique91>● « Grondements ouvriers en Chine », Mouvement communiste, n° 9, printemps-été 2002, p. 27-33, <www.mouvement-communiste.com>● Serge Michel, Michel Beuret, La Chinafrique. Pékin à la conquête du continent noir, Hachette, « Littératures-Pluriel », 2009, 352 p. ● Wang Bing, À l’ouest des rails, 2004 (film sur la « restructuration » dans le centre industriel de Shenyang, 540 mn – ! )● Xiaolu Guo, Chine, la deuxième révolution, 2005 (film sur la restructuration urbaine et les ouvriers du BTP à Beijing, 61 mn)

Dans le monde une classe en lutte● Henri Simon, « Bangladesh, une révolte ouvrière », Échanges, n°118, automne 2006, sous forme de brochure sur <infokiosques.net>● « Au Bangladesh, des dizaines de milliers de grévis-tes détruisent des centaines d’usines », mai 2009,<dndf.org>● « Mahalla Al Kubra (Égypte) : une classe ouvrière militante » (sur les grèves émeutières dans le textileen 2006-2007), <www.tlaxcala.es>● Loren Goldner, « La défaite de la grève de SsangyongMotors » (Corée du Sud, été 2009), Échanges, n° 130, automne 2009, <www.mondialisme.org>● « Les mouvements ouvriers et la mobilité du capital » (dans l’industrie automobile), Échanges,n° 122, automne 2007, <www.mondialisme.org>● Grèce. La révolte de décembre 2008, 2009, 40 p., <infokiosques.net>

● « Réflexions sur la solidarité “virtuelle” dans les luttes » (à propos des luttes des dockers de Liverpoolde 1995, ou de l’enthousiasme romantique pour « le Chiapas »), Échanges, n° 84, avril-septembre 1997● Étrangers de partout. Bulletin contre les centres de rétention et leur monde, apériodique depuis 2009, <[email protected]>● « Histoires de révoltes dans les centres de rétentionen Europe », 2009, <infokiosques.net>● « Travailleurs immigrés en Roumanie : de nouveauxaspects de la lutte de classe », Échanges, n° 126, autonome 2008● De manière générale, vous l’aurez compris, la revuetrimestrielle Échanges publie des infos et des analysessur la lutte des classes dans le monde : <www.mondialisme.org/spip.php?rubrique3>

Un peu d’histoire et de théorie...● Gilles Dauvé et Karl Nesic, Sortie d’usine, Troploin,2010, 52 p., <troploin0.free.fr/ii>● Bruno Astarian, Christian Charrier, « Périodisationdu mode de production capitaliste. Histoire du capital,histoire des crises et histoire du communisme », Hic Salta, 1998, <lamaterielle.chez-alice.fr>● Bruno Astarian, Aux origines de l’« antitravail », Échanges & mouvement, 2005, 66 p.● Stéphane Beaud et Michel Pialoux, Retour sur la condition ouvrière. Enquête aux usines Peugeot de Sochaux-Montbéliard, 10/18, 2005 [1999], 480 p.● Les amis du potlatch, « À bas le prolétariat, vive le communisme », 1979, <infokiosques.net>● Contre le mythe autogestionnaire, 2009, 80 p., <[email protected]>● « Abandonnez l’activisme »,<cettesemaine.free.fr/Broch/andrewxbroch.html>● À couteaux tirés avec l’Existant, ses défenseurs et ses faux critiques, Mutines séditions, 2007, 102 p.,<[email protected]>

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Une première édition de cette brochurea été réalisée à l’occasion de deux soi-rées-discussion à Ganges et Avignon au-tour du livre de Bruno Astarian, Luttesde classes dans la Chine des réfor-mes (1978-2009). Cette seconde ver-sion, tout comme la précédente (ici re-vue et corrigée), ne prétend évidem-ment pas remplacer la lecture de ce bou-quin, ni en proposer un résumé, maisoffre une première approche du sujet etquelques documents complémentaires. Ces recherches sur la lutte des classes enChine ont été l’occasion de prendre letemps d’approfondir collectivementquelques réflexions, de se demander cequ’on fait, comment et pourquoi. Êtrecurieux de ce qui se passe au bout-du-monde (pas toujours si éloigné que ça,que l’on pense aux faubourgs de l’Unioneuropéenne : Algérie, Roumanie, etc.) nesignifie pas se complaire dans un rassu-rant « exotisme » révolutionnaire à lanoix de coco, ni dans une fascinationpour le « beau geste » émeutier (en soid’un intérêt limité).

La « question internationale » affine no-tre vision du monde, oblige à prendre durecul et permet une meilleure compré-hension de se qui se trame « ici » dans sacomplexité… Bref, ça élargit considéra-blement (crûment) les perspectives de laguerre sociale en cours. Cela confirmeque « the system », structuré par l’ex-ploitation, et la lutte pour l’abattre sontinternationaux (ce qui est loin d’être unscoop, on l’admet). Cela fait aussi écho à nos pratiques, ànos discours sur ce monde, à notre ten-dance à courir après les luttes, le toutpâtissant quelquefois d’un manque deréflexions, de perspectives, et basculantparfois dans des postures idéologiques :on le sait, ce ne sont pas les révolution-naires (encore moins les activistes) quiferont la révolution, mais bien la révolu-tion qui fera les révolutionnaires (et dé-fera les activistes).Cette brochure ne reflète pas non plusexactement l’état actuel de nos discus-sions. Certains points n’ont pu être qu’ef-fleurés, voire n’ont pas été abordés. Parexemple, les questions de « solidarité »,qui ne sont pas une mince affaire (tantau niveau international que local). Maisce bon temps passé ensemble à mangerdes nouilles sautées au faux canard(même pas laqué) et des gâteaux au sojaen discutant de lutte des classes et decommunisme nous a donné envie decontinuer. Même si c’est pas avec une ouplusieurs brochures qu’on va abolir lasociété de classes. Comme quoi, on estpeu de choses…

printemps [email protected]

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« Incident de masse » ?Juillet 2009, Tonghua (province de Jilin) :

Alors que, depuis plusieurs années, l’aciériede la ville est en « restructuration » (privati-sation puis renationalisation), un nouveaurachat de la boîte par un entrepreneur privéest annoncé : le 24 juillet, des milliers de si-dérurgistes, rejoints par d’anciens travail-leurs (préretraités et licenciés), bloquent lesaxes routiers et ferroviaires attenants àl’usine, ce qui stoppe la production des septhauts-fourneaux. Ils sont près de 30 000 à af-fronter plus d’un millier de flics : voitures depolice incendiées, plus de cent blessés. Lenouveau directeur ordonne la reprise du tra-vail et annonce que le nombre de salariés vaêtre réduit de 30 000 à 5 000 dans les jours sui-vants. L’usine est alors envahie par les mani-festants. Le directeur passe par une fenêtre etagonise pendant que plus de 10 000 ouvriersbloquent l’arrivée des secours (police, ambu-lances). Le soir, un représentant du gouver-nement provincial annonce à la télé que laprivatisation est « reportée ».

Un « incident de masse »...parmi quelques dizaines de milliers :

disciplinée, la main-d’œuvre du plus vaste atelier du monde ?